Éléments d'identification des modelés fluvioglaciaires issus des débâcles glaciaires Identification of Characteristics Features Associated with ...
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Document generated on 07/12/2022 1:07 p.m. Géographie physique et Quaternaire Essais Éléments d’identification des modelés fluvioglaciaires issus des débâcles glaciaires Identification of Characteristics Features Associated with Glacial Outburst Elemente für die Identifizierung der durch Gletscherausbrüche entstandenen glazifluvialen Modellierungen André Robitaille and Jean-Marie M. Dubois Volume 49, Number 3, 1995 Article abstract The Petite Rivière Pikauba valley was flooded following the failure of the URI: https://id.erudit.org/iderudit/033065ar Beloeil Dam, and its geomorphological description reveals a number of major DOI: https://doi.org/10.7202/033065ar modifications. The fluvial corridor, initially covered with thick till, now exhibits various erosion and disposition landforms which are surprisingly See table of contents similar to those found in the fluvioglacial topographies of glacier ourbursts or catastrophic fluvioglacial surges resulting from the sudden, drainage of glacial lakes. The most obvious identification features associated with fluvioglacial glacier outburst topographies are dry glacioiacustrine basins, grooved Publisher(s) morainic dams outburst deposits, deep grooves and terraces cut in till, fine Les Presses de l'Université de Montréal sedimentation bars and islets, and bedrock erosion. Glacier outbursts are an extremely powerful phenomenon, likely to produce extensive ISSN geomorphological transformations. Consequently, they deserve serious consideration in the reconstruction of proglacial environments. The identifier 0705-7199 (print) elements were applied to a number of sites in Québec, revealing fluvioglacial 1492-143X (digital) glacier outburst topographies that had not been identified as such initially. Explore this journal Cite this article Robitaille, A. & Dubois, J.-M. M. (1995). Éléments d’identification des modelés fluvioglaciaires issus des débâcles glaciaires. Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 435–457. https://doi.org/10.7202/033065ar Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1995 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Géographie physique et Quaternaire, 1995, vol. 49, n° 3, p. 435-457, 20 fig., 5 tabl. ÉLÉMENTS D'IDENTIFICATION DES MODELÉS FLUVIOGLACIAIRES ISSUS DES DÉBÂCLES GLACIAIRES André ROBITAILLE et Jean-Marie M. DUBOIS, Ministère des Ressources naturelles, 880, chemin Sainte-Foy, Québec, Québec G1S 4X4 et Département de géographie et de télédétection, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec J1K2R1. RÉSUMÉ La description géomorpholo- ABSTRACT Identification of characteris- ZUSAMMENFASSUNG Elemente fur die gique de la vallée de la Petite rivière tics features associated with glacial out- Identifizierung der durch Gletscheraus- Pikauba remodelée par une crue consécu- burst. The Petite Rivière Pikauba valley bruche entstandenen glazifluvialen tive à la rupture du barrage Belceil permet was flooded following the failure of the Modellierungen. Die geomorphologische de mettre en lumière des transformations Belceil Dam, and its geomorphological de- Beschreibung des Tais des kleinen majeures. Le corridor fluvial touché, initia- scription reveals a number of major modifi- Pikauba-Flusses, das nach dem Beloeil- lement tapissé de till épais, montre mainte- cations. The fluvial corridor, initially cov- Dammbruch uberlfutet und neu modelliert nant diverses formes d'érosion et de sédi- ered with thick till, now exhibits various worden war, IaBt die wichtigen mentation qui révèlent d'étonnantes simili- erosion and disposition landforms which Verànderungen deutlich, erkennen. Der tudes avec celles des modelés fluviogla- are surprisingly similar to those found in the betroffene FluBkorridor, der ursprunglich ciaires de débâcle glaciaire, soit des crues fluvioglacial topographies of glacier our- mit dickem Till bedeckt war, zeigt jetzt fluvioglaciaires catastrophiques associées bursts or catastrophic fluvioglacial surges verschiedene Erosions- und Sedimentier- au déversement brusque et violent de lacs resulting from the sudden, drainage of gla- ungsformen, welche erstaunliche Ahnlich- glaciaires. Les éléments d'identification les cial lakes. The most obvious identification keiten mit den glazifluvialen Modellierungen plus manifestes des modelés fluvioglaciaires features associated with fluvioglacial von Gletscherausbruchen oder den glazi- de débâcles glaciaires sont : les cuvettes glacier outburst topographies are dry fluvialen katastrophalen Hochfluten auf- glaciolacustres asséchées, les barrages glacioiacustrine basins, grooved morainic weisen, die durch plotzlichen und heftigen morainiques entaillés, les « accumulations dams outburst deposits, deep grooves and uberlauf der glazialen Seen entstanden. en nappe de débâcle glaciaire » (terme terraces cut in till, fine sedimentation bars Die deutlichsten Elemente fur die Identifi- proposé comme équivalent ti'outburst and islets, and bedrock erosion. Glacier zierung der glazifluvialen Gletscheraus- deposit), les entailles d'érosion profondes outbursts are an extremely powerful phe- bruchsmodellierungen sind: ausgetrocknete dans le till, les terrasses d'érosion dans le nomenon, likely to produce extensive glaziallimnische Becken, eingeschnittene till, les bancs et îlots de sédimentation fine, geomorphological transformations. Conse- Morânen-Dàmme, "deckenfôrmige Anhâuf- les formes d'érosion dans le roc. Les débâ- quently, they deserve serious considera- ungen von Gletscherausbruchen", tiefe cles glaciaires correspondent à une activité tion in the reconstruction of proglacial envi- Erosionseinschnitte in das Till, Erosionster- de grande puissance pouvant provoquer ronments. The identifier elements were ap- rassen im Till, Bànke und lnseln feiner de profondes modifications géomorpholo- plied to a number of sites in Québec, Sedimentierung, Erosionsformen im festen giques. En conséquence, elles méritent revealing fluvioglacial glacier outburst to- Gestein. Die Gletscherausbruche sind d'être sérieusement considérées dans la pographies that had not been identified as àuBerst màchtige Vorgânge und kônnen reconstitution des environnements progla- such initially. tiefe geomorphologische Verànderungen ciaires. L'application des éléments d'identi- bewirken. Folglich verdienen sie eine fication à quelques sites québécois a per- ernsthafte Berucksichtigung bei der Rekon- mis de révéler des modelés fluvioglaciaires struktion der proglazialen Umwelten. Die de débâcle glaciaire qui n'avaient pas été Anwedung der ldentifikationselemente auf interprétés ainsi au départ. einige Plàtze in Québec machte glazifluviale Modellierungen erkennbar, die zuvor nicht als solche interpretiert worden waren. Manuscrit reçu le 12 décembre 1994 ; manuscrit révisé accepté le 10 juin 1995
436 A. ROBITAILLE et J.-M. M. DUBOIS INTRODUCTION L'analyse détaillée de la géomorphologie de la Petite rivière Pikauba et une revue des travaux antérieurs ont En 1985, Ia rupture du barrage Belœil a entraîné la permis d'atteindre l'objectif proposé. vidange presque totale du lac Belœil situé au nord de Québec (fig. 1). L'action de l'eau fut d'une telle violence Les études relatives aux conséquences géomorpholo- qu'elle a transformé complètement le fond de la vallée de la giques des débâcles glaciaires au front des inlandsis (tabl. I) Petite rivière Pikauba. Ainsi, sur une distance de 6 km, et des glaciers alpins et nordiques (tabl. Il) sont abondan- 144 ha de forêt ont été dévastés et 2,1 x 106 m3 de maté- tes. Par contre, des nombreux travaux traitant des ruptures riaux meubles, principalement du till, ont été déplacés par de barrages artificiels, peu offrent une description des corri- la crue. dors fluviaux (tabl. III). Le nouveau visage de la vallée de la Petite rivière Pikauba Au Québec, aucune étude ne traite des effets des dé- ressemble à celui d'autres vallées elles aussi remodelées bâcles glaciaires sur la géomorphologie et, à notre connais- par des crues engendrées par la rupture de barrages artifi- sance, seuls Vincent (1989), Vincent et Hardy (1977) et ciels ; il s'apparente aussi de près au modelé des vallées Hardy (1976) signalent quelques effets d'une possible dé- transformées par des « débâcles glaciaires » par suite de bâcle glaciaire : celle associée à la vidange du Lac Ojibway la rupture de barrages glaciaires ou morainiques. Toutes vers la Mer de Tyrrell. Cependant, de nombreux autres proportions gardées, les débâcles glaciaires, selon leur sites, notamment ceux immédiatement en aval de grands ampleur, engendrent d'abord une érosion spectaculaire dans systèmes morainiques frontaux, ont peut-être connu des la partie amont, puis déplacent de grandes quantités de débâcles glaciaires. C'est le cas de la vallée de la rivière sédiments qui sont redéposés en aval. Les aires d'érosion Matamec, en aval de la moraine frontale de Manitou- et de sédimentation se succèdent dans l'espace ; il en Matamec et, vraisemblablement, du cours supérieur de la résulte d'importantes modifications du lit fluvial et de son rivière Portneuf. environnement immédiat. L'objectif poursuivi ici est de décrire les éléments d'iden- MÉTHODOLOGIE tification des modelés fluvioglaciaires façonnés, en partie ou en totalité, par des débâcles glaciaires provoquées par Une analyse des particularités géomorphologiques du la vidange soudaine de lacs glaciaires et de préciser leur corridor fluvial de la Petite rivière Pikauba, remodelée par contexte. Ces éléments sont définis selon les particularités la crue consécutive à la rupture du barrage Belœil, a été des corridors fluviaux, à savoir les formes d'érosion et effectuée. Dès la fin du mois de septembre 1985, plusieurs d'accumulation, les caractéristiques des sédiments et leur visites sur le terrain ont permis de constater l'ampleur des position stratigraphique. changements. Elles furent suivies d'une cartographie FIGURE 1. Localisation des si- tes à l'étude. Location of research sites. Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
o m TABLEAU I Conséquences géomorphologiques : méga-débâcles glaciaires C < O C) Auteur Lieu Type de Géomorphologie du corridor fluvial r~ barrage > O Formes d'érosion Formes d'accumulation > 30 Formes Caractéristiques Position rn des sédiments stratigraphique Pardee, 1910, 1942 États de Glace Entailles profondes dans le roc Deltas Sable, gravier et cailloux Bretz, 1923. a, b, 1928, Washington Chenaux anastomosés dans le roc stratifiés 1929, 1932, 1959, 1969; et Oregon, USA Cataractes Bides de courant géantes Sable, gravier et cailloux Bretz et al., 1956 Parois rocheuses Champ de blocs avec ou sans stratifiés Baker, 1978, 1973; Marmites géantes matrice Dépôts massifs Baker et al.. 1987; Burns Sillons etCordéro, 1993 Profil fluvial en bancs et en Chenaux anastomosés bassin (pool and riffle) Délavage des surfaces de till "Pendant bar" Immenses bancs de sédimentation fluviale "Eddy bar" Éléments grossiers surtout, dépôts mal stratifiés "Expansion bar" Éléments de toute taille dépôts massifs Nappes de sédiments fins (turbidites) Gilbert, 1890; Idaho, USA Non connu Entaille profonde dans le roc énormes bancs de blocs et de Dépôts massifs Stearns, 1936; (basalte) gravier "melon gravel" Malde, 1968 Chenaux marginaux Nappe de sable Cataractes Sédimentation fine (lacs tempo- Parois rocheuses raires le long du corridor) Élargissement de la vallée Champ de blocs très épais Kehew, 1982; Saskatchewan et Non connu Entailles profondes dans le till Épandages Dépôts massifs Kehew et Clayton, 1983; Manitoba, Canada, Terrasses façonnées dans le till Kehew et Lord, 1986; Dakota du Nord, Talus verticaux Deltas Sable et gravier bien triés et Lord et Kehew, 1987; Michigan, bassin Entailles dans le till sur le lit de bien stratifiés Lord, 1991; Kehew, 1993; du Mississipi, USA la cuvette lacustre à l'amont des Terrasses Kehew et al., 1989; barrages Kehew et Teller, 1994. Chenaux anastomosés dans le till Bancs fluviatiles Dépôts massifs Sillons dans le till Sable et gravier massifs avec îlots et bancs de till résiduels blocs et pierre anguleux non affectés "Pendant bar" Sable et gravier en vrac avec Sable et gravier sur blocs et pierre anguleux till "Alcove bar" Sable et gravier en vrac avec Sable et gravier sur blocs et pierres anguleux till
TABLEAU Il Conséquences géomorphologiques : débâcles glaciaires en régions alpines et nordiques Auteur Lieu Type de Géomorphologie du corridor fluvial barrage Formes d'érosion Formes d'accumulation Formes Caractéristique Position des sédiments stratigraphique Agassiz, 1840 Suisse Glace et Entailles profondes moraine Talus verticaux Rabot. 1905 Régions alpines et Glace et Entailles profondes dans le till Champ de blocs Éléments anguleux à subanguleux nordiques moraine Dépôts massifs grossiers Nappes de gravier et de pierres Kerr, 1934. 1936 Colombie-Britannique, Glace et Entailles dans les épandages Champ de blocs Éléments arrondis à subarrondis Dépôts grossiers Canada moraine fluvioglaciaires mal triés Nappes de sédiments grossiers Dépôts massifs sur dépôt caillouteux fluvioglaciaire Aitkenhead, Norvège Glace Élargissement du lit fluvial 1960 Mathews, 1965 Colombie-Britannique, Glace Élargissement du lit fluvial Canada Noff. 1966 Oregon, USA Moraine Entailles dans le till Champ de blocs Éléments anguleux à subanguleux Entaille dans le moraine frontale Talus verticaux Nappes de sédiments fins au milieu subaquatique Richardson. 1968 Washington, USA Glace et Chenaux peu profonds Champ de blocs Éléments anguleux à subanguleux moraine Terrasses entaillées dans le till Talus verticaux Maag, 1969 Axcel Herberg Glace Entailles dans les épandages Nappes de cailloux et de pierres Dépôts massifs Island, Canada fluvioglaciaires et dans le till Fahnestock et Alaska, USA Glace Entailles dans les épandages Dunes alluviales Dunes alluviales ai, 1969 fluvioglaciaires récentes sur dunes alluviales Talus verticaux Nappes de cailloux et de pierres anciennes Post et Mayo, Alaska. USA Glace Entailles profondes Rides de courant géantes Dépôts massifs 1971 Talus verticaux Épaisses nappes de cailloux et de pierres Bradley et Alaska, USA Glace Entailles dans l'épandage fluvio- Dunes alluviales Dépôts mal triés et massifs al., 1972 glaciaire Talus verticaux Champs de blocs Vivian, 1974 Alpes occidentales Glace et Élargissement et surcreusement du Nappes de sédiments grossiers moraine lit fluvial Entailles profondes Talus verticaux Lliboutry ef Pérou Moraine Entailles dans le till et dans les Cônes d'alluvions grossiers Dépôts massifs et grossiers al., 1977 épandages fluvioglaciaires Champ de blocs Éléments anguleux à arrondis Theakstone, Norvège Glace Entailles dans la moraine frontale Nappes de débris caillouteux 1978 Entailles profondes Talus Nappes de débris silteux Champ de blocs Yesenov et URSS Glace Entailles profondes Accumulation de blocs énormes Degovets. 1979 Nappes de gravier
TABLEAU Il (suite) Auteur Lieu Type de Géomorphologie du corridor fluvial barrage Formes d'érosion Formes d'accumulation Formes Caractéristique Position des sédiments stratigraphique Jackson, 1979 Colombie-Britannique, Glace Entailles profondes dans le till Cônes d'alluvions grossières Dépôts massifs et grossiers Cônes d'alluvions Canada récentes sur cônes d'alluvions anciens Young, 1980 Alaska, USA Glace Entailles profondes Rides de courant géantes Yukon, Canada Glissements dans la cuvette lacustre Xu, 1981 Tibet Moraine Entailles de la moraine frontale Nappes de gravier et de cailloux Dépôts massifs Entailles Levée de blocs Élargissement du chenal Levée de blocs avec matrice Éléments grossiers sableuse (blocs à la surface) Terrasses sableuses sur les rives convexes Yanamaka, Népal Glace et Entailles profondes Nappes de gravier et de cailloux Éléments anguleux déposés en vrac Nappes de 1982 moraine Terrasses Dépôts massifs sédiments grossiers sous les dépôts fluviatiles Beecorft, Suisse Glace Entailles dans les épandages Nappes de gravier Dépôts massifs 1983 fluvioglaciaires Hewitt, 1964, Himalaya, Glace Élargissement et surcreusement Nappes de dépôts grossiers et 1982; Asie Centrale chenal formation de kettles Qinghua, 1991 Entailles profondes Talus verticaux Glissements sur les talus Haeberh, Suisse Glace Entailles dans le till Champ de blocs de délavage 1983 Clague et al., Colombie-Britannique, Moraine Surcreusement du chenal Cônes d'alluvions grossiers Dépôts massifs Nappe de 1985 Canada Talus d'érosion Nappes de débris caillouteux Éléments anguleux à arrondis débris Glissements sur les talus anciens ? Blown et Church, Colombie-Britannique, Moraine Entailles dans le till Cônes d'alluvions grossières Dépôts massifs 1985 Canada contenant des blocs Fushimi et Népal Moraine et Terrasses d'érosion façonnées dans al., 1985 glace le till Entailles profondes Clague, 1987 Colombie-Britannique, Moraine Entailles dans la moraine frontale Rides de courants géantes Dépôts massifs Canada Cônes d'alluvions grossières Dépôts massifs Vuichard et Népal Moraine Entailles dans le till Nappes de graviers grossiers Dépôts massifs Nappes de Zimmerman, contenant des blocs graviers 1986. 1987 Terrasses d'érosion mal triés Talus verticaux sur dépôts Glissements sur les talus Champ de blocs fluvioglaciaires Entailles dans les terrasses fluvioglaciaires Entailles dans la moraine frontale McCarrol et Norvège Glace Surfaces rocheuses « striées » Champ de blocs Matthews, 1989
440 A. ROBITAILLE et J.-M. M. DUBOIS TABLEAU III Conséquences géomorphologiques : quelques ruptures de barrages artificiels en régions jadis englacées Auteur Lieu Type de Géomorphologie du corridor fluvial barrage Formes d'accumulation Formes d'érosion Formes Caractéristiques Position des sédiments stratigraphique Approfondissement et Cordons de blocs Pierres et blocs anguleux Champ de blocs sur till élargissement du chenal Scott et Californie Béton Gravelee, (USA) Glissements sur les talus Nappes de pierres 1968 et de blocs Nappes de pierres sur Entailles dans les terrasses terrasses fluvioglaciaires fluvioflaciaires Entailles dans le till Flèches sableuses Terrasses de sédiments Nappes de sédiments Sable stratifié sur till grossiers grossiers Stratifications horizontales Jarrett et Colorado En terre Entailles dans le till Champ de blocs Pierres et blocs anguleux Costa, 1986 (USA) (délavage) Talus verticaux Cône alluvial Sable et gravier à stratification Élargissement et horizontale approfondissement du chenal Nappes de gros blocs Levée de blocs Antidunes géomorphologique à l'échelle de 1/5 000 comprenant : 1) les vallée de la Petite rivière Pikauba est peu encaissée et en formes et micro-formes liées à l'érosion, au transport et à la grande partie comblée de till de fond, atteignant plusieurs sédimentation ; 2) les accumulations et les structures sédi- mètres d'épaisseur. Ce till est peu à moyennement compact et mentaires associées ; 3) la position du lit de la rivière. Puis constitué d'une matrice de sable silteux qui renferme des nous avons procédé à une étude exhaustive des travaux cailloux et des blocs cristallins d'un diamètre souvent supé- antérieurs portant autant sur les conséquences rieur à 1 m. Sa pierrosité (d > 2 mm) est de 40 % à 50 %. Par géomorphologiques des débâcles glaciaires consécutives à endroit, en bordure de la rivière, il est recouvert par de petits la vidange de barrages glaciaires que sur celles des rup- amas de sable et gravier d'origine fluvioglaciaire. tures de barrages artificiels. Sur le plan hydrologique, le milieu étudié correspond à Après avoir comparé les données de la Petite rivière la tête du bassin versant de la rivière Chicoutimi et com- Pikauba et celles des travaux antérieurs, des éléments prend trois composantes principales : le lac Belœil, la Pe- d'identification ont été dégagés. Pour illustrer l'application tite rivière Pikauba et le lac Talbot. des éléments d'identification, nous avons choisi de présen- En amont, le lac Belœil, situé à une altitude de 832 m, ter un site confirmé et un site probable de débâcle glaciaire. couvre une superficie de 2,3 km2. Sa profondeur moyenne Ces sites ont été repérés à la suite d'analyses sur des est d'environ 3,5 m ; il contient un peu plus de 9 x 106 m3 photographies aériennes et de problèmes d'interprétation d'eau. Ce lac d'origine glaciaire doit son existence à la stratigraphique concernant des dépôts quaternaires relevés présence d'un bourrelet de till de 16 à 20 m d'épaisseur dans des travaux antérieurs. orienté NNE-SSE, perpendiculairement à la vallée de la Petite rivière Pikauba. Cette crête est constituée d'un till LA VALLÉE DE LA PETITE RIVIÈRE PIKAUBA lâche de moindre pierrosité (10%-20%) et de couleur brunâtre. Le lit de la cuvette lacustre est tapissé d'une DESCRIPTION DU MILIEU mince pellicule (10 à 50 cm) de sédiments glaciolacustres La Petite rivière Pikauba est située à 120 km au nord de la varvés à texture silto-argileuse. Cette couche de silt argi- ville de Québec (fig. 1). Dans cette région, les grandes lignes leux masque un till de fond compact à pierrosité élevée du relief sont commandées par le substrat rocheux et le (40 % à 60 %), constitué d'une matrice sableuse compre- paysage reflète partout l'action glaciaire. Celle-ci a laissé sa nant de nombreux cailloux et blocs cristallins. Ce till est de trace de deux façons : abrasion du substrat rocheux cristallin couleur grisâtre. et accumulation de sédiments meubles variés d'origine gla- Exutoire du lac Belœil, la Petite rivière Pikauba a un ciaire, fluvioglaciaire et glaciolacustre. L'amplitude altitudinale débit moyen annuel d'environ 2 m3/s. Son profil longitudinal moyenne entre les talwegs et les sommets des collines arron- accuse une dénivellation de 75 m sur 5,9 km jusqu'au lac dies est de l'ordre de 110 m. Les collines sont recouvertes de Talbot, pour une pente moyenne de 1,2%. Toutefois, le placages de till indifférencié de 1 m ou moins d'épaisseur. La profil longitudinal de la rivière se subdivise en quatre biefs Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
MODELÉS FLUVIOGLACIAIRES 441 forêt et la partie superficielle du sol (1 à 2 m) sur une super- ficie de 144 ha. Ensuite, la vidange du lac a favorisé une concentration de l'écoulement, donc de l'érosion, dans l'axe de la ligne des grandes vitesses d'écoulement (fig. 4). Il en résulte principalement une succession de terrasses planes et discontinues, ainsi que d'entailles profondes, aux parois verticales, dans le till. C'est aussi durant cette phase que les aires de sédimentation ont été façonnées. La crue consécutive à la rupture a vraisemblablement été caractérisée par un écoulement de rupture à débit maxi- mal à croissance rapide puis à décroissance progressive. Nos observations appuient cette répartition de l'écoulement dans le temps. En effet, vers la dixième heure de l'événe- ment, le débit n'atteint pas plus de 50 à 75 m3/s et décroît jusqu'à la normale (± 2 m3/s) vers la vingtième heure. Le débit maximal de la crue, estimé de façon empirique selon FIGURE 2. Vue aérienne d'une portion de la cuvette lacustre une méthode de calcul proposée par Costa (1985) pour ce asséchée du lac Belceil et du tronçon 1 de la Petite rivière Pikauba. type de barrage, aurait été de l'ordre de 2 800 m3/s. En recourant à celle d'Evans (1986), le débit maximal aurait Aerial view of part of Lac Belceil dry lacustrine basin and Section 1 of the Petite Rivière Pikauba. même pu atteindre les 3 200 m3/s. Chacun des six tronçons est décrit en s'appuyant sur les successifs, de pente plus ou moins accentuée, formant des figures 3 et 5, et sur les caractéristiques géomorphologiques paliers ; le premier bief atteint 700 m de longueur et pos- apparaissant au tableau IV. sède une dénivellation de 25 m, le second, 1 600 m de longueur et 10 m de dénivellation, le troisième 800 m de Tronçon 1 longueur et 20 m de dénivellation et le quatrième, 2 800 m Le tronçon 1 correspond à une aire d'érosion. Situé immédiate- de longueur et 20 m de dénivellation. ment en amont du barrage Belœil dans la cuvette lacustre, il couvre une longueur totale de 200 m sur une largeur moyenne de Enfin, le lac Talbot, d'origine artificielle, couvre une su- 100 m. Sa profondeur moyenne est de 10 m. La quantité de perficie de 3,2 km2 et atteint rarement plus de 3 m de pro- sédiments érodés dans le till est estimée à 1,5 x 105 m3. fondeur. Il se situe à 757 m d'altitude et alimente la rivière La principale particularité géomorphologique du tronçon con- Pikauba qui débouche sur la rivière Chicoutimi et le lac siste en une entaille aux parois verticales de 3 à 16 m de hauteur Kénogami (altitude d'environ 160 m) près de la ville de (fig. 2). Le fond de cette entaille présente une topographie relati- Chicoutimi, à 60 km au nord. vement plane. Il est tapissé de cailloux et de blocs anguleux et GÉOMORPHOLOGIE DE LA VALLÉE REMODELÉE subanguleux empilés sur plus de 1 m d'épaisseur. Ce type d'accu- mulation provient essentiellement du till local et correspond donc Les phénomènes géomorphologiques qui nous intéres- à un « champ de blocs de délavage ». Les blocs et les cailloux sent, à la suite de la rupture du barrage Belœil (fig. 2), reposent vraisemblablement sur le till sous-jacent non perturbé. concernent une partie de la cuvette asséchée du lac Belœil, Sur le fond de l'entaille, on trouve de minces placages de sable la totalité du corridor fluvial de la Petite rivière Pikauba et grossier stratifié. Ces placages contiennent parfois des lits à une portion de la cuvette lacustre du lac Talbot. Cet axe, texture plus fine de silt argileux. long de 7 km décrit par Robitaille (1989, 1992, 1993) et De plus, à quelques centaines de mètres vers l'intérieur de la Robitaille et Dubois (1989), représente le territoire étudié. Il cuvette lacustre, on observe les cicatrices de glissement qui se divise en six tronçons (numéros 1 à 6) de largeur et de marquent le lit de la cuvette asséchée (Robitaille, 1993). Leur longueur variables où sont représentés des processus do- superficie est de l'ordre de 3 000 à 4 000 m2. Les niches de ces minants d'érosion ou de sédimentation (fig. 3). Chacun de glissements forment des hémicycles marqués d'un petit talus ces tronçons présente des particularités géomorphologiques d'environ 1 m de hauteur. Les matériaux entraînés semblent intimement liées aux caractéristiques physiques pré- correspondre à la couche de sédiments glaciolacustres et à la surface du till de fond sous-jacent. Aucun bourrelet d'accumula- existantes de la vallée, lesquelles ont de toute évidence tion ne peut être observé, car tous les matériaux ont été emportés conditionné la puissance érosive de la crue. Les tronçons, par la crue. qui présentent de profondes entailles d'érosion, correspon- dent aux biefs de pente plus forte où le fond de la vallée est Tronçon 2 étroit. Par contre, les tronçons peu entaillés par l'érosion, Le tronçon 2 correspond aussi à une zone d'érosion. Il est qui correspondent à des aires de sédimentation, sont asso- toutefois plus important que le précédent puisqu'il s'étend sur une ciés de près aux biefs de pente moins forte où le fond de la longueur totale de 600 m et qu'il atteint une largeur moyenne de vallée est plus large. 140 m ; sa profondeur moyenne est de 9 à 10 m. Nous estimons à environ 7 x 105 m3 le volume de sédiments érodés dans le till. Les unités géomorphologiques observées dans la vallée La géomorphologie du tronçon comprend deux unités semblent liées à deux phases distinctes d'écoulement de la géomorphologiques importantes, vraisemblablement associées aux crue. D'abord, l'onde de rupture a violemment décapé la deux phases d'écoulement de la crue : une terrasse puis une Géographie physique et Quaternaire, 49(3). 1995
442 A. R O B I T A I L L E et J . - M . M. D U B O I S •3 750 m Tronçon Longueur Processus dominant 200 m Erosion 600 m Erosion (3) 850 m Érosion et sédimentation 0 2100 m Érosion ® 2 400 m Érosion et sédimentation (J) 850 m Sédimentation LEGENDE Chenaux Talus d'érosion dans le till (~LJ-L Talus d'érosion dans le till (>5m) Champs de blocs de délavage Roc cristallin Sable, gravier cailloux, parfois blocs fluviaux sur le till. ETvE] Terrasse entaillée dans le till avec amas de gros blocs et chenaux comblés de sable fluvial. Levée de blocs FIGURE 3. Principales caractéristiques géomorphologiques de Main geomorphological features of the modified Petite Rivière la vallée de la Petite rivière Pikauba remodelée. Pikauba valley. Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
MODELÉS FLUVIOGLACIAIRES 443 entaille. La terrasse relativement plane, d'une longueur de 200 m grande partie tapissé de champs de blocs de délavage. Les et d'une largeur moyenne de 50 m, est façonnée dans un till erode champs de blocs couvrent des superficies de l'ordre de 2 500 m2 sur une épaisseur d'environ 3 m, ce qui correspond à la première et ont une épaisseur variant de 1 à 2 m. Ils reposent sur le till phase d'écoulement. Sa surface est parsemée de blocs et de sous-jacent demeuré intact. Les placages de gravier et de sable cailloux toujours incorporés au till. Elle est aussi marquée par un grossier reposant aussi sur le till couvrent des superficies simi- chenal perché (ancien lit de la Petite rivière Pikauba) d'environ 2 m laires et ont une épaisseur de 0,5 à 2 m. Ils forment une surface de profondeur, de 15 m de largeur et de 150 m de longueur. parsemée de chenaux d'écoulement abandonnés qui ont été L'entaille a été façonnée dans le till lors de la deuxième phase façonnés en fin de crue. d'écoulement. Les talus d'érosion qui la borde ont une hauteur Tronçon 3 variant entre 5 et 10 m sont essentiellement constitués de till (fig. 6). Le fond de l'entaille est pour sa part relativement plat et en La géomorphologie du tronçon 3 témoigne à la fois des processus liés à l'érosion et à la sédimentation. Sa surface, initialement constituée de till, a d'abord été décapée par l'onde de renie rivière rIKQUDQ rupture sur une épaisseur de 1 à 2 m (environ 100 000 m3). Par la Till ulmrm K>MJiUl Till r20 suite, lors de la deuxième phase, elle a été comblée de matériaux divers (sable à blocs) provenant de l'amont (fig. 7). Pour cette raison, nous observons surtout des phénomènes liés à la sédi- (A .. ? .... mentation, estimée à environ 1,6 x10 5 m 3 . - -.? ,--' Roc Roc Le tronçon 3 couvre une superficie de 175 000 m2 et s'étend -0 sur une longueur de 800 m sur une largeur moyenne de 250 m. Nous y distinguons trois types d'accumulation. 75 150 (Mètres) 1. Dans la partie amont, une accumulation de cailloux et de blocs est contenue partiellement dans une matrice gravelo-sableuse non stratifiée. Les cailloux anguleux et les blocs subanguleux provien- nent du till à l'amont et ont, de toute évidence, été mis en place avant la matrice gravelo-sableuse. En effet, celle-ci forme généra- lement de petites crêtes profilées à l'aval des blocs. Ce type B) Axe des grandes vitesses d'écoulement • • 1 0 1 particulier de sédimentation couvre une superficie d'environ 25 000 m2. Roc Roc 2. Le second type d'accumulation correspond à une pellicule de -0 sable et gravier, grossièrement stratifiés, d'environ 0,5 m d'épais- ISO seur. Cette couche masque le till décapé par la crue sur une 75 (Mètres) superficie d'environ 90 000 m2 et présente une surface parsemée de chenaux d'écoulement et de gros blocs toujours incorporés au till sous-jacent. 3. Le troisième type correspond à une sédimentation de sable moyen bien trié, grossièrement lité (fig. 8). Cette importante accu- mulation, qui repose sur du till, se situe immédiatement en amont de la bifurcation, à angle droit, de la vallée vers le nord-ouest (O • (fig. 3, 5 et 7). Elle atteint une épaisseur moyenne de 2 m et couvre une superficie d'environ 60 000 m2. Dans cette accumula- tion, les lits ne sont pas très marqués et sont même difficilement repérables à certains endroits. Ils sont horizontaux et d'épaisseur 75 150 variable, soit de 2 à 5 cm. ..(Mètres).. En surface, cette aire de sédimentation présente des formes profilées dans le sens de l'écoulement. Des flèches de sable atteignent parfois 30 m de longueur, une hauteur de 0,5 m et une largeur de 2 m. On note aussi de nombreux chenaux rectilignes encaissés de quelques dizaines de centimètres dans le dépôt de sable. Comme dans le tronçon 2, ces chenaux ont été entaillés en fin de crue. Tronçon 4 Le tronçon 4 correspond à une aire d'érosion comparable à 0 75 150 celle du tronçon 2. Ce tronçon qui s'étend sur une longueur de lètres) 2 100m atteint une largeur moyenne de 125 m. Sa profondeur FIGURE 4. Phases d'écoulement de la crue : A. Profil en travers moyenne est de 6 m, mais certains talus ont une hauteur de 10 m. du fond de la vallée de la Petite rivière Pikauba avant la crue ; B. Le volume de sédiments érodés est d'environ 9 x 105 m3. onde de rupture (première phase d'écoulement) ; C. vidange du lac Belœil (deuxième phase d'écoulement) ; D. profil en travers du Ce tronçon comprend deux unités géomorphologiques respec- fond actuel de la vallée. tivement liées aux deux phases d'écoulement de la crue : une Flood flow phases: A. Cross-section of the Petite Rivière Pikauba terrasse et une entaille. La terrasse est située sur la rive gauche valley floor before flooding; B. Failure wave (first flow phase); de la rivière. Elle est relativement plane et atteint une longueur de C. Depletion of Lac Belœil (second flow phase); D. Cross-section 1 100 m et une largeur moyenne de 100 m (fig. 9). Elle est of the present valley floor. façonnée (première phase) dans un till décapé sur 1 m d'épais- Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
444 A . R O B I T A I L L E et J . - M . M. D U B O I S FIGURE 5. Profils transversaux représentatifs des tronçons 1 à 6 de la Petite rivière Pikauba. TRONÇON Representative cross-sections of N l Sections 1-6 of the Petite Rivière Pikauba. 142,5 (Mètres) r 30 - 20 - TRONÇON N 2 - 0 (Mètres) r 5 - 2,5 TRONÇON M°3 142,5 285 (Mètres) TRONÇON N 4 m 114 /13 (Mètres) LEGENDE r 10 Profil initial du fond TRONÇON de Io vallée - 5 & (approximatif) N°5 Rivière actuelle Blocs Roc cristallin TRONÇON Sable et gravier [ffifffij N 6 Soble j ."."À 0 104,5 209 (Mètres) Gravier 1-"--XvIvI seur. En surface, elle est parsemée de blocs et de cailloux tronçon. A cet endroit, elle est comblée de sable et gravier non résultant du délavage de la partie superficielle du till (fig. 10). Elle stratifiés d'une épaisseur d'environ 1 m. Plus en amont, on montre aussi un chenal perché d'une longueur de 1 000 m et d'une observe un cordon de blocs mis en place sur le till par Ia crue. Ce largeur moyenne de 25 m, partiellement comblé de sable grossier cordon d'une longueur de 200 m et d'une largeur de 15 m est de sans structure sédimentaire apparente et est entaillé de chenaux. hauteur variable mais rarement plus de 4 m. Les blocs qui le composent sont relativement gros, soit environ 2 à 3 m de grand L'entaille s'étend sur toute la longueur du tronçon 4. Dans une axe en moyenne, et témoignent de la puissance de la crue première portion, de 900 m de longueur, cette entaille est similaire (fig. 11). Certains pèsent jusqu'à 2 0 1 . à celle décrite pour le tronçon 2. Elle est bordée de talus d'érosion façonnés dans le till, lesquels atteignent parfois 10 m de hauteur. Tronçon 5 Le fond est relativement plat et est constitué de blocs et de cailloux d'origine locale. Ces éléments grossiers proviennent du till et Le tronçon 5 correspond à une aire d'érosion et de sédimenta- forment des champs de blocs de délavage. Dans une deuxième tion génétiquement comparable à celle du tronçon 3. Sa géomor- portion de 1 200 m de longueur l'entaille aux parois verticales est phologie est aussi liée aux deux phases d'écoulement de la crue. aussi façonnée dans le till. Toutefois, cette dernière est moins Elle se caractérise par une large entaille peu profonde (érosion profonde et s'atténue jusqu'à disparaître totalement en aval du d'environ 250 000 m 3 de sédiments) comblée de sable et gravier Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
MODELES FLUVIOGLACIAIRES 445 TABLEAU IV Conséquences géomorphologiques : rupture du barrage Belœil Géomorphologie du corridor fluvial Numéro de Formes d'accumulation troçon Formes d'érosion Formes Caractéristiques des sédiments Position stratigraphique 1 Entaille dans le till Champs de blocs de délavage Blocs anguleux à subanguleux Champ de blocs sur till Talus verticaux Glissements sur les talus 2 Entaille dans le till Champs de blocs de délavage Blocs anguleux à subanguleux Champ de bloc sur le till Talus verticaux Placages de sable et gravier Absence de structure Sable et gravier sur till mince sédimentaire Chenaux rectilignes entaillés dans le till Terrasses façonnées dans le till 3 Chenaux entaillés dans le till Nappes de pierres et de blocs Absence de structure Pierres et blocs sur till avec sable et gravier sédimentaire Sable sur till Crêtes sableuses profilées Absence de structure Sable et gravier sur till vers l'aval sédimentaire Bancs de sable et gravier Dépôt grossièrement lité Chenaux anastomosés 4 Entaille dans le till Champ de blocs de délavage Blocs anguleux à subanguleux Champ de blocs sur till Terrasses façonnées dans le Levées ou cordons de blocs Blocs anguleux à subanguleux Cordon de blocs sur till till Nappes de sable et gravier Absence de structure Sable et gravier sur till Glissements sur les talus sédimentaire Bancs et îlots de sable Sable sur till Chenaux façonnés dans le till Absence de structure sédimentaire 5 Chenaux façonnées dans le till Levées ou cordons de blocs Blocs anguleux à subanguleux Champ de blocs sur till Nappes de sable et gravier Blocs anguleux à subanguleux Cordon de blocs sur till Bancs et îlots de sable Absence de structure Sable et gravier sur till sédimentaire Entailles d'érosion peu Flèches de sable profilées Absence de structure Sabler sur till profondes dans le till l'aval sédimentaire 6 Bancs et îlots de sable Absence de structure Sable sur till Bancs de sable et gravier sédimentaire Sable et gravier sur till Chenaux anastomosés Absence de structure sédimentaire grossièrement lités. Nous estimons le volume total de la sédimen- profondeur. Vers l'aval, l'érosion a atteint le substrat rocheux tation dans ce tronçon à 1,2 x 10s m3. cristallin et entaille le till plus profondément. Le tronçon 5 est d'une longueur de 2 400 m sur une largeur Tronçon 6 moyenne de 100 m. On y observe deux types de sédiments grossièrement lités : un dépôt de sable fin à grossier ainsi qu'un Le tronçon 6 se caractérise par deux zones de sédimentation, dépôt de sable et gravier qui masque le till (fig. 12). Dans les deux une première de type subaérien à l'embouchure de la rivière dans cas, ils présentent un granoclassement d'amont en aval. Les le lac Taibot et une deuxième de type subaquatique vers le centre placages de gravier sont plus fréquents vers l'amont. En surlace, du lac. Il s'agit d'une aire de sédimentation sableuse de plusieurs ces accumulations forment une multitude de chenaux orientés mètres d'épaisseur (fig. 13). La première zone montre en surface parallèlement et perpendiculairement au sens de l'écoulement. En des bancs de sable de forme plus ou moins effilée. Ces bancs sont général, ils sont peu profonds mais atteignent plusieurs dizaines différents de ceux observés plus en amont, notamment par leur de mètres de longueur. Ils pourraient être le résultat d'une érosion densité, leur forme allongée et par l'absence de petits chenaux en rigoles provoquée pendant l'abaissement du niveau de l'eau. sinueux à la surface. La deuxième zone correspond à une Nous remarquons aussi la présence de flèches sableuses effilées sédimentation de sable fin à moyen, de 2 à 3 m d'épaisseur, qui en aval de certaines buttes de till qui ont résisté à la crue. Enfin, la comble principalement la partie amont de la cuvette lacustre. topographie plane a favorisé la formation de bancs de sable. Le long de la Petite rivière Pikauba, le bilan sédimentaire est Certains atteignent 100 m de longueur et une largeur maximale de donc négatif. Nous estimons qu'environ 1,7 x 106 m3 de matériaux 60 m. Ils sont parsemés de petits chenaux d'environ 1 m de meubles ont atteint le lac Talbot et le système fluvial plus en aval. Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
446 A. ROBITAILLE et J.-M. M. DUBOIS FIGURE 6. Vue de la partie amont du tronçon 2 de la Petite FIGURE 8. Accumulation de sable grossièrement lité d'une épais- rivière Pikauba. À droite, un talus d'érosion d'environ 10 m entaillé seur moyenne de 2 m. dans le till ; au centre, le fond de l'entaille est parsemée de blocs et de placages de gravier et de sable grossier déposés par la crue. Coarsly layered sand deposit, with an average thickness of 2 m. View of the upstream part of Section 2 of the Petite Rivière Pikauba. On the right, an erosion groove in the till, measuring FIGURE 9. Vue aérienne d'une portion du tronçon 4 de la vallée approximately 10 m in the centre, boulders and veneers of gravel de la Petite rivière Pikauba. À gauche, une terrasse entaillée dans and coarse sand deposited by the flood are scattered across the le till ; au centre, un chenal de 3 à 4 m de profondeur. floor of the groove. Aerial view of part of Section 4 of the Petite Rivière Pikauba FIGURE 7. Vue aérienne du tronçon 3 de la Petite rivière Pikauba. valley. On the left, a terrace cut in the till; in the centre, a 3-4 m Aerial view of Section 3 of the Petite Rivière Pikauba. deep channel. ANALYSE DES TRAVAUX ANTÉRIEURS alpines et nordiques et, enfin, ceux correspondant à quel- ques ruptures de barrages artificiels (tabl. I1 II et III). L'étude de la documentation a permis d'identifier de nombreux travaux sur les ruptures de barrages tant glaciai- TERMINOLOGIE : DÉBÂCLE GLACIAIRE res qu'artificiels et d'inventorier les effets géomorphologiques Le terme « débâcle glaciaire » est employé par les Euro- que les débâcles glaciaires et les crues peuvent engendrer. péens francophones pour identifier le déversement brus- Elle a aussi permis de mettre en évidence de nombreuses que et violent d'un lac glaciaire (proglaciaire et poches similitudes avec le cas de la Petite rivière Pikauba. d'eau sous, intra, ou supraglaciaire). Il s'agit donc d'une On précise d'abord le sens et l'emploi du terme « débâ- crue fluvioglaciaire catastrophique. Au Québec, le terme cle glaciaire >• en géomorphologie. Ensuite, on présente « débâcle » est habituellement associé aux crues liées à la sommairement les effets géomorphologiques à partir des fonte de la neige au printemps. Certains dictionnaires gé- études qui mettent en lumière le rôle des débâcles glaciai- néraux de langue française, le dictionnaire de géographie res. Nous distinguons les effets liés à des méga-débâcles de George (1970) et le vocabulaire de géomorphologie de survenues en bordure des inlandsis, ceux associés à des Baulig (1970) signalent ce dernier usage. Curieusement, le débâcles glaciaires récentes observées dans les régions mot « débâcle » n'apparaît pas dans le dictionnaire de l'eau Géographie physique et Quaternaire. 49(3), 1995
MODELÉS FLUVIOGLACIAIRES 447 sible for a channel to be initiated by a subglacial stream, to be enlarged by the catastrophic subglacial drainage of an ice dammed lake and to be subsequently utilizated by a proglacial stream». Enfin, selon Embleton et King (1975, p. 532), « the method by which glacial lakes drain is equally diverse, but it is well established that the majority periodically empty, often catastrophically, by subglacial or englacial routes». Les études générales relatives au domaine proglaciaire qui soulignent le rôle géomorphologique des débâcles gla- ciaires sont, elles aussi, relativement peu nombreuses. Parmi les plus importantes, mentionnons celles de O'Connor et al. (1993), de Blachut et Ballantyne (1976), d'Ostrem (1973), de Fahnestock (1963), de Church et Gilbert (1975), de Derbyshire (1958, 1962), de Church (1972), de Clague (1975), de Thorarinsson (1939), de Frôdin (1954) et de FIGURE 10. Surface d'une terrasse façonnée dans le till lors de Maag (1969). Ainsi, Frôdin (1954, p. 128) mentionne à pro- la première phase d'écoulement de la crue. pos d'un sandur du nord de la Suède : « the conditions of Surface of a tenace formed in the till during the first flood flow sandur formation may in my opinion, have belonged, to phase. either one of two mains types ... 2. When the water from the dammed up lakes of the ice lake region in the west began (Association québécoise des techniques de l'eau, 1981). to discharge into the Baltic instead of the Atlantic, and the Quoi qu'il en soit, le sens du mot « débâcle » (glaciel) crée ice-barriers were broken, the new outlets and tapping une certaine confusion lorsqu'employé dans « débâcle gla- streams suddenly poured into the Norrland valleys masses ciaire ». Baulig (1970) et Michel et Fairbridge (1980) les of water which were incomparably greater than they had distingue nettement. carried before and capable of transforming the moraine Le terme « débâcle glaciaire » est couramment utilisé, deposits to extramarginal outwash plain. This was certainly notamment depuis les travaux de Rabot (1905). Les équi- the real period of sandur formation ». valents employés par les anglo-saxons sont : glacier burst, glacier outburst, glacial outburst, glacier flood et débris MÉGA-DÉBÂCLES GLACIAIRES : BORDURE DES flow. Les accumulations de dépôts produites lors des vi- INLANDSIS danges de lacs glaciaires sont des glacier outburst deposits, Les études portant sur des méga-débâcles glaciaires qui sont différents de l'outwash et des ice-contact deposits. survenues jadis au front des inlandsis concernent les grands À notre connaissance, cette distinction importante n'existe lacs glaciaires Missoula (Spokane Flood), Bonneville (Bon- pas en français pour les accumulations de débâcle gla- neville Flood), Regina et Souris, tous situés au centre et à ciaire ou « accumulations en nappe de débâcle glaciaire », l'ouest de l'Amérique du Nord, de même que le Lac Agas- locution que nous proposons ici. siz dans l'est. Dans chacun des cas, les débits estimés D'autres équivalents existent pour traduire « débâcle gla- impliquent plusieurs centaines de milliers de mètres cubes ciaire ». En Islande et aussi ailleurs, le terme Jôkulhlaup par seconde et les transformations géomorphologiques pro- décrit la vidange violente de poches d'eau sous, intra ou duites sont diversifiées, importantes et relèvent le plus sou- supra-glaciaires qui résultent d'éruptions volcaniques sous- vent du domaine de l'érosion (Dawson, 1992). La plupart glaciaires (Thorarinsson, 1956). Au Pérou, les débâcles des formes atteignent des centaines de mètres carrés ou glaciaires qui entraînent généralement d'énormes quantités davantage. Les entailles profondes et les bancs de sédi- de sédiments sont nommées Alluvione ou Huayco (Tufnell, mentation, par exemple, ont servi de modèle à l'interpréta- 1984). tion de méga-formes d'érosion et de sédimentation fluviale sur la planète Mars (Baker et Milton, 1974). Le tableau I DÉBÂCLES GLACIAIRES : OUVRAGES DE RÉFÉRENCE ET ÉTUDES GÉNÉRALES présente les principales caractéristiques géomorphologiques relevées sur les terrains modelés par ces méga-débâcles Peu d'ouvrages de référence traitent du rôle géomorpho- glaciaires. Il s'agit principalement de deltas, rides de cou- logique des débâcles glaciaires. Toutefois, les auteurs qui rant géantes, chenaux anastomosés entaillés dans le subs- en discutent font toujours ressortir leur grande puissance trat rocheux (basalte), champs de blocs de délavage, bancs d'érosion et leur grande capacité de transport. Elles sont de sédiments non triés déposés en vrac, entailles d'éro- considérées comme des événements d'importance majeure sion, cataractes abandonnées, marmites géantes, etc. dans le façonnement des environnements proglaciaires. Ainsi, selon Tricart et Cailleux (1962, p. 375) « elles affec- DÉBÂCLES GLACIAIRES : RÉGIONS ALPINES tent presque toujours des centaines de milliers de m3 qui ET NORDIQUES sont brusquement lâchés à la manière de chasse d'eau. Les études détaillées portant spécifiquement sur les cor- Aucun lit pérenne ne peut les contenir ... ». Price (1973, ridors fluviaux remodelés par des débâcles glaciaires sur- p. 111) en parle aussi dans les mêmes termes : « It's pos- venues récemment dans les régions alpines et nordiques Géographie physique et Quaternaire, 49(3), 1995
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