Leviers d'action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants - INRAE Productions Animales
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INRA Prod. Anim., 2011, 24 (5), 461-474 Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI INRA, UR1213, Herbivores, F-63122 Saint-Genès-Champanelle, France Courriel : michel.doreau@clermont.inra.fr L’un des moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les ruminants est de diminuer les émissions de méthane entérique. De nombreuses solutions sont préconisées, au niveau de la ration ou du type d’animal, mais la réponse de la production de méthane dans le rumen est variable. Il n’y a pas de solution miracle, mais les principales pistes sont présentées. La part de l’élevage dans les émis- Depuis plusieurs années, de nom- caces uniquement à court terme, en rai- sions de Gaz à Effet de Serre (GES) breux leviers d’action sont testés dans le son des possibilités d’adaptation de responsables du réchauffement clima- monde entier pour réduire les émissions l’écosystème microbien du rumen (cf. tique fait toujours débat, car elle dépend de méthane entérique, avec en particu- article de Popova et al 2011). La réduc- du mode de calcul adopté et de la zone lier une recherche abondante sur les tion ciblée d’une communauté micro- géographique considérée. Mais quelle additifs alimentaires. Les essais in vitro, bienne entraîne souvent une modifica- que soit cette part, elle est suffisamment très utiles pour explorer en conditions tion de l’équilibre entre les autres importante pour qu’il soit nécessaire de contrôlées les effets d’un nombre communautés, ou bien n’est que tran- rechercher les moyens de réduire ces important de substances, mettent sou- sitoire, et donc la réduction de la pro- émissions ; nombreuses sont les préco- vent en évidence des effets significatifs duction de méthane n’est pas perma- nisations faites par des organismes offi- sur la production de méthane, mais les nente. Les mesures de production de ciels internationaux comme la FAO conclusions tirées sont parfois hâtives. méthane sont réalisées le plus souvent (Food and Agriculture Organization), le Les essais in vivo sont nombreux avec après 2 à 4 semaines d’application du GIEC (Groupe d’experts Intergouver- des rations classiques, beaucoup plus traitement étudié. On précisera donc si nemental sur l’Evolution du Climat, en limités dans le cas des additifs ; les les effets obtenus ont été confirmés sur anglais IPCC), ou l’UNFCCC (Com- essais à long terme sont très rares. Cet le long terme, c’est-à-dire après plu- mission des Nations Unies sur le chan- article fait le point de l’état des connais- sieurs mois d’application du traitement. gement climatique). Parallèlement, de sances sur l’efficacité de nombreux Enfin, l’acceptabilité par le consomma- nombreuses nations se sont engagées à leviers testés pour réduire les émissions teur des techniques de réduction de la une réduction des émissions ; les directi- de méthane, et dégagera des pistes pour production de méthane sera évoquée ; ves de l’Union Européenne se sont tra- l’avenir. Nous nous centrerons sur les certaines stratégies efficaces font en duites dans les différents pays membres résultats obtenus in vivo, car de nom- effet appel à des additifs non autorisés, par des actions incitatives fondées ou breuses techniques permettant de rédui- ou peuvent présenter un risque d’effets non sur des aides, ou de simples feuilles re le méthane in vitro ne se révèlent pas délétères sur la santé de l’animal ou du de route avec des objectifs chiffrés efficaces in vivo ; en effet les systèmes consommateur. impliquant les différents acteurs des in vitro les plus utilisés reproduisent filières (Doreau et Dollé 2011). Dans le imparfaitement les processus physiolo- 1 / Stratégies de réduction cas des ruminants, lorsque la totalité des giques dans le rumen. De très nombreux émissions de GES est exprimée en équi- travaux sont disponibles ; seuls sont de la production de métha- valent gaz carbonique sur la base du cités les plus représentatifs ou les plus ne pouvoir réchauffant respectif du gaz car- originaux. Pour une bibliographie plus bonique, du protoxyde d’azote et du exhaustive, le lecteur se reportera aux méthane, ce dernier représente environ revues de Beauchemin et al (2009), de Le méthane est produit dans le rumen la moitié des émissions. Il est donc justi- Martin et al (2010) et de Cottle et al par les Archaea méthanogènes à partir fié de rechercher des leviers d’action (2011). de l’hydrogène issu de la fermentation pour les réduire. C’est l’objet de cet arti- des glucides. La voie biochimique de cle consacré aux émissions de méthane La réduction de la production de l’acétate produit de l’hydrogène, alors entérique par les ruminants ; ces derniers méthane peut être mesurée par kg de que celle du propionate en consomme, contribuent à plus de 97% des émissions Matière Sèche (MS) ingérée, ce qui per- ce qui explique la relation positive entre de méthane des animaux d’élevage en met d’évaluer l’impact d’une pratique la production de méthane et le rapport France selon Vermorel et al (2008). Les sur les processus digestifs, ou par kg de acétate/propionate du rumen (Sauvant propositions pour agir sur le méthane lait ou de viande produits, ce qui intè- et al 2011). Les effets des différentes entérique sont toutefois à replacer dans gre l’efficacité de production. Par stratégies à l’étude pour agir sur la le cadre plus global de la réduction de ailleurs, les stratégies de réduction des structure ou l’activité de la communau- l’ensemble des GES, qui est analysé émissions de méthane par l’alimenta- té méthanogène ont été détaillés par dans l’article de Dollé et al (2011). tion peuvent dans certains cas être effi- Popova et al (2011). L’hydrogène étant INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
462 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI Figure 1. Relation entre la population de protozoaires et la production de méthane dans le rumen : bilan de la bibliographie disponible (d’après Morgavi et al 2010a). Les différents essais sont identifiés par des chiffres à l’intérieur de symboles selon le facteur de variation étudié : triangles pour les concentrés riches en amidon, ronds pour les lipides, carrés pour les extraits de plantes. La ligne pointillée représente la droi- te de régression après prise en compte de l’effet essai. un substrat limitant dans la voie méta- (laurique et myristique) ou polyinsaturés liques, l’augmentation de la part du pro- bolique de la méthanogenèse, deux à 18 carbones (linoléique et linolénique), pionate dans le profil des AGV est une modes d’action majeurs seront discutés ou avec des composés secondaires des première solution. Le lien entre nature ci-dessous : i) réduire la production plantes comme les saponines. La défau- de l’alimentation ou additifs alimentai- nette d’hydrogène ou ii) réorienter l’hy- nation partielle ou totale a deux princi- res et proportion de propionate est établi drogène vers d’autres voies métabo- pales conséquences sur l’équilibre de depuis longtemps. Le tableau 1 fait le liques potentiellement bénéfiques pour l’écosystème microbien ruminal. D’une point des principaux facteurs connus. l’animal. part la population bactérienne se trouve Cette orientation vers le propionate est accrue, en raison de l’absence de préda- souvent liée à une diminution du pH La production nette d’hydrogène peut tion par les protozoaires ; d’autre part du (cas des rations riches en concentré). Le être réduite suite à une suppression par- fait de cette amélioration de la synthèse pH a par ailleurs un effet spécifique : tielle ou totale de la population de proto- de biomasse microbienne, qui joue un des pH faibles entraînent une diminu- zoaires (défaunation) dans le rumen. rôle de «puits d’hydrogène», il y a moins tion des protozoaires et des méthanogè- Une analyse de la bibliographie montre d’hydrogène disponible pour la métha- nes (Van Kessel et Russell 1996). un lien étroit entre la taille de la popula- nogenèse. Les profils des AGV sont plus tion de protozoaires et l’émission de pauvres en butyrate, au profit de l’acéta- Un autre moyen pour réorienter l’hy- méthane (figure 1). En effet, les proto- te ou du propionate (Jouany 1994). drogène disponible pour la production zoaires sont de forts producteurs d’hy- Malgré les diminutions observées dans de méthane est de l’utiliser dans d’au- drogène, en partie parce qu’ils favorisent la production de méthane, la réduction tres voies biochimiques, comme la voie le butyrate dans le mélange d’Acides de la population de protozoaires a, en de l’acétogenèse ou les voies réductri- Gras Volatils (AGV). La suppression des outre, deux conséquences générales ces de sulfates ou de nitrates (Morgavi protozoaires par des techniques de qu’il est nécessaire de garder en mémoi- et al 2010a). Les limites et les avantages défaunation totale utilisées en expéri- re : une réduction de la digestibilité de ces stratégies sont discutés dans l’ar- mentation n’est pas réalisable dans la des parois, et une augmentation du flux ticle de Popova et al (2011). Il est à pratique (Popova et al 2011). Mais dans de protéines quittant le rumen, car noter que l’hydrogénation des AG poly- des conditions d’alimentation applica- les protozoaires sont des prédateurs insaturés ne compte que marginalement bles sur le terrain, la population de des bactéries, et sortent lentement du dans la captation d’hydrogène «puits à protozoaires peut être réduite avec des rumen. hydrogène» permettant de limiter la rations très riches en céréales, ou par méthanogenèse : dans une ration de l’effet toxique de certains composés : En ce qui concerne la réorientation de vaches laitières riche en AG polyin- Acides Gras (AG) à chaîne moyenne l’hydrogène vers d’autres voies métabo- saturés, la captation de l’hydrogène INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants / 463 Tableau 1. Moyens d'accroître la proportion de propionate dans les AGV produits Johnson (1995) suggèrent que les sucres dans le rumen. solubles sont plus méthanogènes que l’amidon. Bien qu’il manque les don- nées pour l’affirmer, ceci pourrait être dû à des différences dans les orienta- tions des fermentations ruminales, vers le butyrate pour les sucres solubles et vers le propionate pour l’amidon. En conclusion, les différences selon la nature des glucides du concentré exis- tent, mais elles sont plus modestes que les différences liées à la proportion de concentré dans la ration. 2.2 / Nature du fourrage Peu d’essais ont comparé l’effet de différents types de fourrages sur les émissions de méthane d’animaux en production. Moe et Tyrrell (1979) nécessaire pour saturer ces AG ne rédui- pour la première fois par Blaxter et al concluaient à partir d’une base de don- rait la production de méthane que de 5 à (1965). Selon la méta-analyse de nées personnelle que des rations à base 6%. Sauvant et Giger-Reverdin (2009), pour de foin ou d’ensilage de maïs avaient un niveau alimentaire inférieur ou égal à des effets similaires sur la production de 2 / Composition de la ration 2,51, il y a peu de variation de la produc- méthane ; mais Martin et al (2009) ont tion de méthane en fonction de l’énergie observé une production de méthane par brute ingérée (de 6 à 7%) pour des kg de lait plus élevée pour des vaches 2.1 / Proportion de concentré et niveaux de concentré compris entre 20 recevant une ration à base de foin que et 50% de la ration, ce qui correspond à pour d’autres vaches recevant une nature des glucides la réalité du terrain en France pour les ration à base d’ensilage de maïs, et L’accroissement de la proportion de vaches laitières. Ces différents résultats Doreau et al (non publié) ont montré concentré dans la ration entraîne une sont liés à l’effet du pourcentage de que la production de méthane par kg de diminution de la production de méthane concentré sur le rapport acétate/propio- lait était plus élevée pour une ration à par kg de MS ingérée, et de manière nate dans les AGV du rumen, et à la base d’ensilage d’herbe que pour une encore plus nette en % de l’énergie diminution du pH à des niveaux de ration à base d’ensilage de maïs (figu- brute ingérée. Une relation curvilinéaire concentré dans la ration très élevés. re 2). Ces résultats pourraient s’expli- a été mise en évidence par Sauvant et quer par la fraction amylacée des ensila- Giger-Reverdin (2007) : la méthanoge- De nombreuses études anciennes ont ges de céréales, qui orientent les nèse est fortement réduite pour des montré que les céréales sont à l’origine fermentations ruminales vers le propio- niveaux de concentré très élevés. Ceci d’émissions de méthane plus faibles par nate. Inversement, Chung et al (2011a) est pris en compte dans la méthode d’es- kg de glucides digestibles que les ont observé avec des vaches taries une timation du GIEC dite «Tier 2» qui pro- concentrés riches en parois (Moe et production de méthane par kg de MS pose d’estimer les émissions de métha- Tyrrell 1979). Toutefois il y a eu peu de plus élevée de 33% avec de l’ensilage ne à 5% de l’énergie brute ingérée pour comparaisons directes. Beever et al d’orge qu’avec du foin ; dans cet essai l’ensemble des rations, excepté pour les (1989) ont montré que le remplacement les proportions des AGV étaient similai- rations de type «feedlot» très riches en de pulpes de betteraves par de l’orge res entre les deux régimes. Enfin, concentré, pour lesquelles elles sont pour une ration riche en concentré Staerfl et al (2012) ont observé avec des estimées à 3% de l’énergie brute ingérée réduisait l’émission de méthane par kg taurillons au cours de l'engraissement (IPCC, 2006). Ces chiffres correspon- de MS de 34%. L’orientation fermentai- des différences très modérées de pro- dent d’ailleurs aux résultats obtenus par re vers l’acétate dans le cas de la pulpe, duction de méthane par kg de MS entre Doreau et al (2011b) sur taurillons à ou vers le propionate dans le cas de des rations à base d'ensilage d'herbe ou l’engrais : de l’ordre de 6% pour des l’orge en est certainement la cause. d'ensilage de maïs. En conclusion, des rations à base d’ensilage de maïs ou de Beauchemin et McGinn (2005) ont recherches complémentaires sur l’effet foin, et 3% pour une ration à 86% de montré que la production de méthane de la ration de base restent à mener ; concentré. Une variation similaire, par kg de MS ou en % de l’énergie brute dans l’état actuel des connaissances, il quoique moins nette, a été observée par ingérée était plus faible avec du maïs ne semble pas que la nature du fourrage Lovett et al (2003) avec des rapports qu’avec de l’orge pour des génisses de la ration soit un déterminant majeur entre les proportions de fourrage et de engraissées avec des rations très riches de l’émission de méthane. concentré dans la ration allant de 65/35 en concentré. Les céréales ayant été dis- à 10/90. Dans ce cas, la diminution de la tribuées aplaties, ce résultat est proba- La composition chimique du fourra- méthanogenèse est particulièrement blement dû au fait qu’une partie du maïs ge, liée à son stade de maturité, influen- marquée pour les forts niveaux d’inges- était digéré dans l’intestin. Avec des ce modérément les émissions de métha- tion, comme cela a été mis en évidence rations à 50% de concentré, Moe et al ne. Une récente méta-analyse réalisée par Sauvant et Giger-Reverdin (2009). (1973) n’ont pas observé de différence sur des fourrages distribués sans com- Cette interaction entre les effets de la entre du maïs et de l’avoine, mais les plémentation a montré que la produc- digestibilité de la ration, qui augmente deux aliments étaient broyés, ce qui tion de méthane par kg de matière orga- avec la proportion de concentré, et du entraîne une forte dégradation ruminale nique ingérée ou digérée était corrélée niveau alimentaire avait été montrée dans les deux cas. Enfin, Johnson et positivement à la digestibilité de la 1 Par définition, un niveau alimentaire de 1 correspond aux quantités ingérées nécessaires pour couvrir les besoins d’entretien de l’animal. INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
464 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI Figure 2. Effet de la nature du fourrage sur la production de méthane. La méta-analyse d’Archimède et al Comparaisons 1 à 4 : essai 1 (Martin et al 2009 et non publié) ; comparaisons 5 et (2011) a montré que les graminées 6 : essai 2 (Doreau et al non publié). Les comparaisons 2, 3 et 4 sont des rations ayant une photosynthèse en C42, carac- supplémentées en lipides. Tous les régimes sont formulés pour couvrir les besoins téristique des climats chauds, induisent énergétiques et azotés des animaux. une production de méthane supérieure de 10 à 17% à celle des graminées ayant une photosynthèse en C3, caractéris- tique des climats tempérés, à même digestibilité, teneur en NDF et niveau d’ingestion. Les raisons en sont encore inexpliquées. Inversement, les légumi- neuses à photosynthèse en C4 induisent une production de méthane inférieure aux légumineuses à photosynthèse en C3, mais c’est très probablement dû à la proportion de tannins en moyenne supé- rieure dans les légumineuses tropicales. La présence de tannins contribue en effet à la réduction des émissions de méthane ; leur rôle sera détaillé dans le paragraphe 3.1. 2.3 / Apport de lipides L’enrichissement en lipides de la ration est une voie nutritionnelle pro- metteuse pour réduire les émissions de méthane. La raison la plus évidente est que les lipides, quels qu’ils soient, ne fournissent pas de substrat pour la pro- duction de méthane dans le rumen, matière organique, mais aussi à la entre graminées et légumineuses tempé- contrairement à la fermentation des glu- teneur en NDF du fourrage, alors que rées. Toutefois, certains travaux suggè- cides auxquels ils se substituent. En ces deux facteurs varient en sens inver- rent que les légumineuses sont à l’origi- outre, les actions sur les populations se (Archimède et al 2011). Ce résultat ne d’une émission de méthane entéri- microbiennes décrites précédemment rend compte du fait que plus il y a de que plus faible que les graminées. renforcent cet effet anti-méthanogène. constituants digestibles, plus il y a de McCaughey et al (1999) ont observé une La réduction de la production de métha- substrats pour la méthanogenèse, et que, diminution de 10% de la production de ne par apport de lipides a été quantifiée à même digestibilité, plus il y a de NDF, méthane par kg de gain de poids sur des dans des équations proposées par Giger- plus la voie de l’acétate, et donc la bovins à viande au pâturage, lorsque les Reverdin et al (2003) et Eugène et al méthanogenèse, sont favorisées. Il faut graminées étaient remplacées par un (2008) pour les vaches laitières, et qui toutefois remarquer que la plage de mélange graminées-luzerne. Un tel effet font respectivement état de diminutions variation des proportions d’AGV est n’a pas été relevé avec du trèfle blanc ou moyennes de 2,2 et 1,7% de la produc- plus faible entre fourrages qu’entre violet (Beever et al 1985, Van Dorland et tion de méthane par kg de MS ingérée rations mixtes. Des comparaisons direc- al 2007, Hammond et al 2011) ; par lorsque la teneur en lipides augmente tes ont d’ailleurs donné des résultats ailleurs Carulla et al (2005) et Niderkorn d’un point, c’est à dire de 1% dans la contradictoires. Robertson et Waghorn et al (2011) n’ont observé aucun effet MS de la ration. Dans l’étude d’Eugène (2002) ont observé que la production de significatif de la luzerne ou du trèfle vio- et al (2008), cette diminution est non méthane augmentait avec le stade de let apporté en substitution à du ray-grass significative, mais elle l’est lorsque le maturité du fourrage, alors que Pinares- sur l’émission de méthane par kg de MS, méthane est exprimé par rapport à Patiño et al (2003) n’ont pas observé de toujours lors d’essais in vivo. L’effet de l’énergie brute ingérée. Dans une revue variation de production de méthane en la luzerne parfois observé pourrait laisser basée sur 17 études, Beauchemin et al pourcentage de l’énergie brute ou de la penser que la réduction de méthane serait (2008) rapportent une diminution de matière organique ingérée. Par ailleurs, due à la richesse de la luzerne en malate, production de méthane par kg de MS Kirkpatrick et Steen (1999) n’ont pas un acide organique contribuant à réduire ingérée de 5,6% par point de lipides observé de différence de production de la production de méthane (cf. § 4.3), ou à supplémentaires dans la ration pour dif- méthane en proportion de l’énergie certains métabolites secondaires comme férentes espèces de ruminants. Dans une brute ingérée entre un fourrage vert et les saponines (cf. § 3.2). Toutefois, l’ab- revue de synthèse, récapitulant 67 régi- un ensilage récoltés simultanément, ce sence d’effet de la substitution de luzer- mes enrichis en lipides tirés de 28 publi- qui est logique dans la mesure où le pro- ne déshydratée à du tourteau de soja à cations, Martin et al (2010) ont observé cessus d’ensilage modifie peu la teneur raison de 30% de la ration (Doreau et al une diminution moyenne de 3,8% de en parois et la digestibilité. non publié) ne plaide pas pour un «effet méthane par kg de MS ingérée, par point luzerne» spécifique. Il faut toutefois de lipides supplémentaires. Une mise à La méta-analyse d’Archimède et al noter que l’introduction de légumineuses jour de cette base de données a été réali- (2011) n’a pas mis en évidence de diffé- dans la ration tend à réduire les émis- sée ; elle comprend maintenant 82 ré- rence d’émission de méthane, in vivo, sions de protoxyde d’azote. gimes enrichis en lipides tirés de 2 Les plantes fixent le CO lors de la photosynthèse par différentes voies métaboliques ; les deux principales sont dites en C3 et en C4, selon que la fixation 2 de CO2 produit un composé à 3 ou 4 atomes de carbone. Les plantes fourragères de zone tempérée ont en général une photosynthèse en C3, le maïs et les plantes fourragères tropicales ont une photosynthèse en C4. INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants / 465 Figure 3. Effet de la supplémentation lipidique sur la production de méthane, en réponse de la production de méthane fonction des AG majeurs de la source lipidique : revue de la bibliographie. (van Zijderveld et al 2011), parfois des réponses très fortes à dose élevée : Martin et al (2008) ont montré une diminution de la production de méthane de plus de 50% avec un apport de 5,8% d’huile de lin. La réponse à des doses croissantes de graine de lin extrudée est faible pour des apports modérés (diminution de production journalière de 6 à 15% pour 2% de lipides ajoutés), et plus prononcée pour des doses éle- vées (diminution de production journa- lière de 40 à 42% pour 6% de lipides ajoutés) (Martin et al 2009). L’emploi du lin pour réduire la production de méthane s’accompagne d’un effet plu- tôt bénéfique sur la qualité nutrition- nelle du lait et de la viande, en raison d’une légère augmentation des AG en oméga 3 (acide linolénique). Toutefois, un apport excessif de lin peut se tradui- re par une limitation du niveau d’inges- tion des animaux, un accroissement dans les produits de certains AG mono- insaturés trans (Doreau et al 2011a), et par une tendance à la péroxydation des lipides. Dans l’état actuel des connais- sances, un apport de lipides du lin de l’ordre de 2 à 3% peut se révéler effi- cace pour réduire la méthanogenèse (Martin et al 2011). Quand aux AG à 33 publications. Cette synthèse (figu- bien qu’ayant pris en compte l’effet chaîne moyenne qui ont des effets mar- re 3) montre en outre que la diminution essai, probablement en raison de la qués sur la méthanogenèse, leur emploi moyenne de la production de méthane forte variabilité de réponse de la pro- devrait être freiné par leur effet plutôt dépend de la nature des AG. Elle est la duction de méthane à l’apport lipi- négatif sur la «valeur santé» des pro- plus importante pour les AG à chaîne dique. duits animaux, et peut-être par une moyenne (apportés par le coprah, 8,5% réduction de digestibilité des rations par point de lipides supplémentaires), Cette forte variabilité se traduit par le dans certains cas. puis pour l’acide linolénique (apporté fait que la comparaison directe entre par le lin, 5,6% par point de lipides sources de lipides donne des résultats Parmi les sources de lipides, on peut supplémentaires), puis pour l’acide contradictoires in vivo. Différents essais citer les drêches de maïs de distillerie, linoléique (apporté par le tournesol et ont été récapitulés par Martin et al sous-produit de la fabrication d’éthanol. le soja, 4,0% par point de lipides sup- (2010). La comparaison des trois types Ce produit ne contient qu’environ 10% plémentaires). Les AG mono-insaturés d’AG les plus fréquemment testés d’AG, mais comme il peut être incorpo- comme l’acide oléique (apporté par le (oléique, linoléique et linolénique) ré en quantités élevées dans la ration, il colza), les AG saturés, palmitique et donne des résultats variables d’un essai constitue un moyen d’enrichir la ration stéarique (savons de calcium d’huile de à l’autre. Les connaissances actuelles en lipides ; McGinn et al (2009) ont palme, graisses cristallisées) ont un sur l’effet des différentes sources de obtenu sur des bovins à viande une bais- effet plus limité. La figure 3 montre lipides sur les populations microbiennes se de la production de méthane de 16% que dans un nombre limité d’essais du rumen (cf. Popova et al 2011) ne per- en remplaçant l’orge (35% de la ra- l’apport de lipides entraîne un léger mettent pas d’expliquer ces divergen- tion) par des drêches de maïs sèches accroissement de la production de ces. L’effet des AG à 20 et 22 carbones avec solubles3. D’autres sous-produits méthane par kg de MS, peut-être en sur la production de méthane est encore d’agrocarburants, comme les tourteaux raison d’interactions avec le reste de la mal connu : il est très dépresseur in vitro gras de colza à 10% de lipides, ont le ration. Très récemment, Grainger et (Fievez et al 2007) mais in vivo, l’huile même effet (Moate et al 2011). Beauchemin (2011) ont étudié par de poisson, en association avec d’autres méta-analyse 21 publications regrou- sources de lipides, n’a qu’un effet L’effet de l’apport lipidique sur la pant 92 traitements (60 enrichis en lipi- mineur (Woodward et al 2006). Des étu- méthanogenèse peut dépendre de la com- des et 30 témoins) et ont mis en évi- des complémentaires seraient nécessai- position de la ration, mais les données dence une diminution de 1,0 g de res, peut-être avec des micro-algues sont fragmentaires et contradictoires. La méthane par kg de MS ingérée dont l’utilisation est a priori plus accep- baisse de méthane avec des apports (approximativement 4%) par point de table que celle des huiles d’origine ani- croissants de graine de lin est plus pro- lipides supplémentaires. Mais ces male. noncée en pourcentage avec une ration à auteurs n’ont détecté, avec une métho- base de foin qu’avec une ration à base dologie différente de la nôtre, aucun De nombreux essais ont été réalisés d’ensilage de maïs (Martin et al 2009), et effet significatif de la source de lipides, avec le lin. Parfois, il n’y a pas eu de inversement plus prononcée avec de 3 Sous-produit de la fabrication d’éthanol à partir de céréales, en anglais DDGS (Dry Distillers Grains with Solubles). INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
466 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI l’ensilage d’orge qu’avec du foin (Chung tent une biomasse non négligeable, dans les zones tropicales, elles sont utilisées et al 2011a) ; avec des AG à chaîne certains pays. Une récente revue a décrit dans les zones tempérées (lotier, sain- moyenne elle est plus prononcée avec les effets des principales plantes étu- foin) de même que des extraits de tan- une ration riche en concentré qu’avec diées (Patra et Saxena 2010). Les méta- nins ajoutés à la ration. une ration riche en fourrage (Lovett et al bolites secondaires les plus prometteurs 2003, Machmüller et al 2003). sont les tannins et les saponines, mais Carulla et al (2005) ont montré que bien d’autres constituants sont suscepti- l’extrait de tannins d'écorce d'acacia Peu d’essais à long terme ont été bles de réduire la production de métha- noir (A. Mearnsii) réduisait la produc- réalisés. Grainger et Beauchemin ne, et sont souvent présents dans des tion de méthane par des moutons à un (2011) ont récapitulé 7 essais à moyen huiles essentielles. taux d'incorporation de 2,5% de la MS, et long terme avec différentes sources avec toutefois une légère diminution de de lipides, dont seulement 3 ont duré 3.1 / Plantes riches en tannins digestibilité compensée par une légère plus de 3 mois, et tirent la conclusion augmentation d'ingestion. Cet effet a été que l’effet des lipides se maintient dans Les tannins sont connus depuis plu- confirmé par Grainger et al (2009) avec le temps. Holter et al (1992) et sieurs années pour leur action inhibitri- des vaches laitières au pâturage à un Grainger et al (2010) avec des graines ce sur la production de méthane enté- taux d'incorporation de 2% de la MS, de coton distribuées à des vaches rique. Ceci vient d’être confirmé par puis par Staerfl et al (2012) dans un respectivement pendant 16 et 12 se- une récente méta-analyse qui récapitule essai à long terme avec des taurillons, à maines ont même trouvé que l’effet des 15 essais in vitro et 15 essais in vivo un taux d'incorporation de 3% de la lipides s’accentuait dans le temps. (Jayanegara et al 2011a). Cet effet pour- MS ; la digestibilité des parois était éga- Enfin, Martin et al (2011) ont établi rait être lié en particulier à la forte lement réduite, mais sans conséquence qu’après une année de complémenta- réduction des Archaea méthanogènes sur le gain de poids des animaux. En tion en graine de lin de la ration de (Popova et al 2011). Les tannins peu- revanche, Beauchemin et al (2007) vaches laitières, la production de vent être consommés dans certains four- n’ont pas trouvé d’effet de l’extrait de méthane était inférieure à celle de la rages distribués aux animaux à plus ou tannin de quebracho distribué à raison ration non supplémentée. Au contraire, moins grande échelle, ou sous forme de 2% de la MS, de même que Sliwinski Eugène et al (2011) ont observé avec d’extraits ajoutés à la ration. Sous le et al (2002) avec 1 à 2% de tannins de des taurillons engraissés durant 6 mois nom générique de tannins, on range châtaignier dans la MS. Il est difficile de que la réduction de la production de deux familles très différentes de compo- savoir si ces différences doivent être méthane par kg de gain de poids d’une sés : les tannins condensés, dont l’effet imputées à la nature des tannins ou aux ration concentrée riche en amidon et négatif sur la production de méthane a conditions expérimentales. lipides en comparaison avec une ration été très bien étudié, et les tannins hydro- concentrée riche en fibres, était moins lysables, dont ce même effet est moins Parmi les légumineuses à tannins cul- prononcée au cours du temps, mais connu, mais a été mis en évidence tivées en régions tempérées, le lotier l’effet peut être attribué aussi bien aux récemment par Jayanegara et al corniculé (Lotus corniculatus) a été lar- lipides qu’à l’amidon. Toutefois ces (2011b). L’introduction dans la ration gement étudié, principalement en différents essais considérés ensemble, de tannins condensés, mais aussi de tan- Nouvelle-Zélande, et son effet sur la laissent penser que l’effet des lipides nins hydrolysables, entraîne d’autres diminution de méthane semble clair. Par polyinsaturés sur la production de effets qui peuvent être favorables exemple, les émissions de méthane par méthane pourrait être permanent. comme la réduction de la dégradation kg de MS ou kg de lait par des vaches des protéines dans le rumen ou la possi- laitières sont plus faibles avec le lotier ble réduction de l’hydrogénation des corniculé qu’avec le ray-grass, et cet 3 / Plantes spécifiques et AG, ou défavorables, comme la diminu- effet est dû aux tannins, car il est suppri- huiles essentielles tion fréquente de la digestibilité de la mé lorsque les tannins sont inactivés par matière organique (Waghorn 2008). Il le polyéthylène glycol, molécule se est donc important de s’assurer que la fixant sur les tannins (Woodward et al Un nombre considérable de mesures réduction de la production de méthane 2004). Un effet similaire a été observé de la production de méthane a été réali- ne s’accompagne pas d’un effet dépres- avec des vaches laitières sur une légu- sé in vitro avec des plantes très diverses, sif sur la digestibilité ; des essais avec mineuse à tannins du Sud de l’Europe, choisies parfois pour leur richesse des taux d’incorporation croissants le sainfoin d’Italie (Hedysarum corona- connue en métabolites secondaires, par- d’une même source de tannins permet- rium) (Woodward et al 2002) ; en fois au hasard. L’essai le plus embléma- traient certainement de répondre à cette revanche, on manque de références in tique est celui de Bodas et al (2008) qui interrogation. De nombreuses légumi- vivo sur le sainfoin (Onobrychis sp.). ont testé 450 plantes ; Garcia-Gonzalez neuses tropicales sont riches en tannins, et al (2008) dans la même équipe ont en particulier des légumineuses arbusti- 3.2 / Plantes riches en saponines réalisé un essai similaire sur 158 plan- ves comme Leucaena leucocephala, qui tes, certaines étant communes avec l’es- constituent une ressource alimentaire Les saponines sont des glycosides sai précédent. Au total, moins de non négligeable dans certains pays. présents dans de nombreuses plantes. Ils 10 plantes ou extraits ont fortement Bien que la nature et la structure biochi- diminuent la dégradation des protéines réduit la production de méthane sans mique des tannins varie d’une plante à dans le rumen et favorisent la synthèse effet négatif sur les fermentations, en l’autre, Jayanegara et al (2011b) ont de protéines microbiennes, ce qui limite particulier deux variétés de rhubarbe. montré une relation négative entre l’é- la quantité d’hydrogène disponible pour L’utilisation potentielle de telles plan- mission de méthane in vitro et les la méthanogenèse. Les saponines rédui- tes, si elles se montraient efficaces, est teneurs en tannins condensés, mais sent la population de protozoaires bien sûr tributaire de leur aptitude à la aussi en tannins hydrolysables ; toute- (Newbold et Rode 2006) ; l’effet sur les culture ainsi que de leur absence de fois les plantes ayant la meilleure valeur différentes populations microbiennes du toxicité. Les plantes tropicales, riches nutritive entraînent également une pro- rumen dépend du type de ration et a été en métabolites secondaires, sont égale- duction de méthane élevée, peut-être détaillé par Popova et al (2011). In ment largement étudiées (Soliva et al parce qu’elles sont plus riches en gluci- vitro, l’effet négatif des saponines sur 2008, Jayanegara et al 2011a), mais des fermentescibles. Bien que les plan- la méthanogenèse a été montré avec seules certaines d’entre elles représen- tes à tannins soient plus répandues dans différentes plantes, mais il n’est pas sys- INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants / 467 tématique. Toutefois, dans certains cas, et sur certaines espèces bactériennes, Parmi les autres extraits de plantes avec des doses élevées de saponines, ce qui peut réduire l’intensité des fer- dont l’effet négatif sur la production de des diminutions de 25% ont été mises mentations. Parmi les composés dont méthane a été montré in vivo, on peut en évidence. C’est le cas d’un essai de l’action négative sur la production de également citer la noix de cajou, dont Holtshausen et al (2009) avec un niveau méthane a été montrée in vitro, la l’effet avait été préalablement montré in d’incorporation de Yucca schidigeria et réponse à des doses croissantes a été vitro. Selon Shinkai et al (2010) un sup- de Quillaja saponaria dans le fermen- étudiée pour le carvacrol, le thymol, plément de 23 g/j de noix de cajou à des teur correspondant à 4,5 g/kg de MS ; l’eugénol et le cinnamaldéhyde, ainsi vaches laitières a réduit de 20% la pro- toutefois à ces niveaux d’incorporation que pour les huiles plus complexes de duction de méthane ; mais très peu de la digestibilité des parois in vitro était thym, de cannelle et d’origan par détails sont disponibles sur cet essai. Un fortement réduite. Macheboeuf et al (2008) et par essai récent (Tekippe et al 2011) a mon- Benchaar et Chiquette (non publié, tré un effet très net de la feuille d’origan Les essais in vivo sont en nombre cités par Benchaar et Greathead 2011). (500 g/j) sur la production de méthane plus limité. Les sources de saponines Les huiles d’origan et de thym contien- de vaches laitières (- 40%) dans un essai les plus étudiées sont celles qui ont nent du carvacrol et du thymol, et en de courte durée (périodes de 3 semai- donné des résultats concluants dans moindre quantité des terpènes qui sont nes) ; toutefois les auteurs suggèrent des tests in vitro et qui sont les deux leurs précurseurs, le γ-terpinène et le que la méthodologie employée a pu sur- principales sources commercialisées, p-cymène. Macheboeuf et al (2008) estimer la réduction de méthane. Par Yucca schidigeria et Quillaja sapona- ont montré que ces huiles ont des effets ailleurs, Wang et al (2009) ont observé ria. Les diminutions de méthane ont plus marqués que les molécules qui les une diminution de la production de été soit nulles, parfois en raison de composent, suggérant des effets addi- méthane de 12% après addition de 250 doses très faibles, soit de l’ordre de 5 à tifs ou même synergiques. Il en serait mg/j d’un extrait d’origan, commercia- 10% et non significatives, avec des de même pour l’huile de cannelle et ses lisé sous le nom de ropadiar®, dans la doses voisines de 1 g/kg de MS ingérée composants, le cinnamaldéhyde qui est ration de moutons, dans un essai de avec des moutons pendant de courtes le composé prédominant et l’eugénol. courte durée (périodes de 2 semaines). périodes (Pen et al 2007), avec des A notre connaissance, il n’existe pas Il convient d’être prudent, car l’effet in vaches laitières après des périodes d’essai in vivo testant l’efficacité de vitro de l’origan sur la méthanogenèse d’adaptation de 4 semaines (Holtshau- ces molécules pour réduire les émis- n’est pas systématique. sen et al 2009), et curieusement de sions de méthane, sans perturber l’in- l’ordre de 15% et significative dans un gestion ou la digestion. Par ailleurs, En conclusion, il est difficile d’extra- essai de courte durée de Wang et al Mohammed et al (2004) ont montré poler des résultats prometteurs in vitro (2009) avec une dose de 0,1 g/kg de que l’huile de raifort protégée pour aux conditions in vivo, et beaucoup de MS. Par ailleurs, deux essais sur mou- éviter des chutes d’ingestion a réduit travail reste à faire pour démontrer l’ef- tons avec des périodes expérimentales la production de méthane de près de ficacité de certaines huiles essentielles ; de 3 semaines ont mis en évidence des 20% chez des bouvillons ; cet essai de jusqu’à présent aucun essai à long terme diminutions de la production de métha- courte durée n’a toutefois pas été n’a été réalisé. ne significatives d’environ 10%, l’un confirmé. avec des fruits de Sapindus saponaria (Hess et al 2004) et l’autre avec des L’association de deux ou plusieurs 4 / Additifs et biotechnolo- saponines de thé (Zhou et al 2011). Un huiles essentielles pourrait accroître les gies effet dépressif de 27% des saponines chances de succès d’une stratégie de de thé a même été observé par Mao et réduction de la production de méthane. al (2010) sur moutons après 2 mois Par ailleurs, Beauchemin et McGinn Dans cette partie ne sont pas traitées d’adaptation. Le nombre de données (2006) ont montré l’inefficacité d’un les techniques visant à réduire spécifi- disponibles et concordantes est toute- mélange commercial d’huiles essentiel- quement les méthanogènes (vaccination fois trop faible pour qu’une conclusion les et d’épices. ou anticorps, composés chimiques puisse être tirée sur les possibilités toxiques pour les méthanogènes comme d’emploi de certaines plantes riches en L’extrait d’ail a été souvent montré le chloroforme, le bromoéthylsulfonate saponines comme agents permettant de comme très efficace pour réduire la pro- et le bromochlorométhane) dont le rôle réduire la production de méthane. duction de méthane in vitro, en raison et l’efficacité sont détaillés dans l’arti- de la présence de composés organosul- cle de Popova et al (2011). 3.3 / Huiles essentielles et autres furés. In vivo, les résultats sont déce- extraits de plantes vants. Klevenhusen et al (2011) et van 4.1 / Addition de probiotiques Zijderveld et al (2011) n’ont pas obser- L’intérêt des huiles essentielles pour vé de diminution de la production de Les levures vivantes, exclusivement réduire la méthanogenèse a fait l’objet méthane avec l’extrait d’ail ou son com- représentées par différentes souches de de la revue récente de Benchaar et posé qui semble le plus efficace, le Saccharomyces cerevisiae, sont utili- Greathead (2011). Ces auteurs men- bisulfure de diallyl, qui inhiberait spéci- sées depuis plusieurs années comme tionnent tout d’abord la très grande fiquement les Archaea méthanogènes; additifs dans la ration des ruminants variabilité de composition en huiles toutefois le bisulfure de diallyl aurait essentiellement pour stimuler la dégra- essentielles d’une même plante, en un effet positif sur la digestibilité. dation des fibres, pour limiter la dégra- fonction entre autres de leur région L’absence d’effet d’une supplémenta- dation des protéines ou pour prévenir d’origine. Ceci rend l’interprétation tion avec des bulbes d’ail sur la produc- l’acidose (Chaucheyras-Durand et al des résultats expérimentaux difficile tion de méthane a aussi été observée par 2008). L’addition des souches commer- lorsque des extraits de plantes sont Patra et al (2011) avec des moutons, et cialisées n’a pas montré jusqu’à présent analysés pour leurs effets sur les fer- par Staerfl et al (2012) avec des tau- d’effet sur la production de méthane mentations ruminales. En outre, la rillons. Si l’effet de l’extrait d’ail s’avé- (Doreau et Jouany 1998, entre autres), multiplicité des molécules actives au rait significatif dans le futur, son usage mais il n’y a pas de souches commercia- niveau de la population microbienne pourrait être limité à la production de lisées qui soient spécifiquement déve- du rumen se traduit par des effets inhi- viande, en raison de l’apparition d’o- loppées pour réduire la méthanogenèse. biteurs sur les Archaea méthanogènes deurs dans le lait. Certaines souches ont montré in vitro INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
468 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI une réduction de la production de 4.2 / Antibiotiques ionophores lorsque l’effet est significatif, celui du méthane (Newbold et Rode 2006), et fumarate est plus important que celui du une première publication fait état d’une Les antibiotiques ionophores, princi- malate, et celui des formes acides plus tendance non significative à une réduc- palement le «monensin» et le «lasaloci- important que celui des sels (Newbold tion de la production de méthane in vivo de», sont une catégorie d’antibiotiques et al 2005). Par ailleurs, Jouany et al chez la vache avec une souche sélec- dotés de propriétés spécifiques (stimu- (2008) ont observé en fermenteur de tionnée (Chung et al 2011b). lation du transport actif des cations et type «batch»4 que l’association entre réduction de la production d’ATP) qui acide malique et huile de tournesol L’incorporation de bactéries probio- se traduisent par une toxicité vis-à-vis réduisait la production de méthane, tiques comme additif se développe. des bactéries à gram positif (Jouany alors que chacun de ces composés pris Pour les ruminants adultes, ces bactéries 1994). Ils sont interdits dans l’Union seul n’avait pas d’effet. Curieusement, sont destinées à prévenir l’acidose, ou à Européenne depuis 2006, mais sont tou- l’effet des acides organiques sur la limiter le portage des pathogènes poten- tefois toujours cités comme un moyen méthanogenèse est souvent plus impor- tiels tels que certaines souches possible de réduire les émissions de tant in vivo ou en fermenteur continu d’Escherischia coli et Salmonella spp. méthane (Moran et al 2011). Leur que dans des systèmes in vitro simples Les bactéries les plus communément uti- emploi chez le ruminant entraîne à court de type «batch». Ceci peut être dû à une lisées sont des utilisatrices de lactate qui terme une diminution de la production compétitivité plus grande des bactéries accroissent la production de propionate, de méthane de 0 à 30%. D’après la utilisant les acides organiques par rap- et des bactéries lactiques. Un travail revue de Beauchemin et al (2008), l’ef- port aux méthanogènes dans des systè- récent dans notre laboratoire, utilisant fet dépendrait du niveau d’incorpora- mes complexes. Toutefois, l’effet le une association de bactéries probio- tion ; la production de méthane dimi- plus spectaculaire a été obtenu avec des tiques, a permis, pour la première fois à nuerait en moyenne de 3 à 8% par kg de agneaux en croissance par Wallace et al notre connaissance, de diminuer signifi- MS ingérée à des doses élevées (20 à 35 (2006) avec l’incorporation dans la cativement la production de méthane mg par kg de MS ingérée). Cet effet est ration de 10% de fumarate protégé de la chez la vache, sans modification de la relié à l’orientation des fermentations dégradation dans le rumen par encapsu- production laitière, dans un essai de ruminales vers l’acide propionique et à lation, la production de méthane étant courte durée (données non publiées). Ce une stimulation des bactéries à gram réduite jusqu’à 75% après 2 mois sur ce résultat prometteur reste à confirmer. négatif ; en outre la population de proto- régime. Cet effet n’a pas été reproduit zoaires est réduite, mais celle des ultérieurement dans un essai sur vaches L’utilisation de l’hydrogène par la méthanogènes n’est pas affectée. A long laitières (McCourt et al 2008). voie de l’acétogenèse existe chez terme, l’effet a été confirmé dans des l’Homme et différentes espèces anima- essais nord-américains par Odongo et al Lorsqu’on calcule par stoechiométrie les. Dans le rumen, les bactéries acéto- (2007) avec des vaches laitières (- 7% l’amplitude théorique de diminution de gènes ne sont pas compétitives avec les après 6 mois d’application) mais pas par la production de méthane liée à l’effet Archaea méthanogènes pour l’utilisa- Guan et al (2006) avec des bouvillons : «puits d’hydrogène» des acides orga- tion de l’hydrogène. Récemment, il a la baisse de production de méthane niques, on se rend compte que l’effet été montré in vitro que de telles bacté- observée durant le premier mois ne s’est strict de l’utilisation d’hydrogène lors ries de l’intestin du kangourou étaient pas maintenue ultérieurement, en lien du métabolisme des acides organiques compétitives vis-à-vis des Archaea avec une chute transitoire de la popula- ne suffit pas à expliquer les réponses méthanogènes du rumen (Klieve et tion de protozoaires, qui se sont adaptés parfois observées : une distribution de Joblin 2007). Cet essai a eu une forte aux ionophores. Il est à noter qu’un 2 kg de fumarate par jour à une vache publicité médiatique, mais la culture de autre antibiotique promoteur de crois- laitière ne diminuerait la production de telles bactéries et leur implantation dans sance, la flavomycine, a montré une cer- méthane de seulement 10% (Newbold et le rumen restent à faire. Il existe donc taine efficacité in vivo pour réduire la Rode 2006). Par ailleurs, Ungerfeld et une voie d’exploration, mais il est pro- production de méthane dans un essai de Forster (2011) ont montré à partir de bable que des probiotiques contenant courte durée (Wang et al 2009), mais données in vitro que seulement la moi- des bactéries acétogènes puissent être son emploi est interdit de la même tié du malate était convertie en propio- efficaces lorsqu’une stratégie de sup- manière que celui des ionophores. nate. D’autres mécanismes conduisant à pression des méthanogènes est appli- la réduction de la production de métha- quée conjointement (Joblin 1999). 4.3 / Acides organiques ne sont donc à rechercher. Même si les acides organiques se montraient effica- L’effet de microorganismes exogènes Les acides organiques sont des consti- ces sur le long terme pour réduire la sans activité probiotique a également tuants mineurs de certaines plantes ; le méthanogenèse, il y a plusieurs freins à été testé. Récemment une culture fon- cas de la luzerne a été évoqué précé- leur utilisation pratique : la possible res- gique de Monascus sp. s’est révélée demment. Dans le rumen, ils sont triction de l’usage de molécules de syn- efficace in vivo et a conduit à une réduc- convertis par des bactéries en succinate thèse en alimentation animale, le fait tion de la production de méthane de avec consommation d’hydrogène que des quantités importantes soient 30% chez le mouton après 2 semaines venant du dihydrogène ou du formate ; nécessaires, ce qui peut entraîner un d’apport. Ce résultat, dû à différents le succinate est à son tour converti en problème pour l’image des produits et, métabolites de ce champignon, s’ex- propionate. Trois acides organiques de en corollaire, leur coût élevé. plique par une orientation des fermenta- synthèse ont été étudiés in vitro pour tions vers le propionate et une baisse leur effet négatif sur la production de Le glycérol, composé disponible en de la population de méthanogènes méthane, le malate, le fumarate et grande quantité lors de la production (Morgavi et al 2010b). L’applicabilité l’acrylate, et les deux premiers l’ont été d’agrocarburants, n’est pas un acide de cette technique, et la confirmation de in vivo. In vitro, la réduction de la organique, mais est converti en propio- l’effet à long terme restent à montrer. méthanogenèse n’est pas systématique ; nate, et son inclusion dans la ration en 4 Les fermenteurs de type «batch» sont des systèmes simples qui permettent l’incubation de substrats avec un contenu de rumen en milieu clos pendant une période limitée (souvent 24 h). A l’opposé, les fermenteurs continus sont alimentés en substrats et les produits de fermentation sont évacués, pendant plusieurs jours. INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
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