Leviers d'action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants - INRAE Productions Animales

 
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INRA Prod. Anim.,
2011, 24 (5), 461-474             Leviers d’action pour réduire
                                  la production de méthane entérique
                                  par les ruminants
                                                       M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI
                                                      INRA, UR1213, Herbivores, F-63122 Saint-Genès-Champanelle, France
                                                                                 Courriel : michel.doreau@clermont.inra.fr

L’un des moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les ruminants est de
diminuer les émissions de méthane entérique. De nombreuses solutions sont préconisées, au
niveau de la ration ou du type d’animal, mais la réponse de la production de méthane dans le
rumen est variable. Il n’y a pas de solution miracle, mais les principales pistes sont présentées.

   La part de l’élevage dans les émis-            Depuis plusieurs années, de nom-            caces uniquement à court terme, en rai-
sions de Gaz à Effet de Serre (GES)            breux leviers d’action sont testés dans le     son des possibilités d’adaptation de
responsables du réchauffement clima-           monde entier pour réduire les émissions        l’écosystème microbien du rumen (cf.
tique fait toujours débat, car elle dépend     de méthane entérique, avec en particu-         article de Popova et al 2011). La réduc-
du mode de calcul adopté et de la zone         lier une recherche abondante sur les           tion ciblée d’une communauté micro-
géographique considérée. Mais quelle           additifs alimentaires. Les essais in vitro,    bienne entraîne souvent une modifica-
que soit cette part, elle est suffisamment     très utiles pour explorer en conditions        tion de l’équilibre entre les autres
importante pour qu’il soit nécessaire de       contrôlées les effets d’un nombre              communautés, ou bien n’est que tran-
rechercher les moyens de réduire ces           important de substances, mettent sou-          sitoire, et donc la réduction de la pro-
émissions ; nombreuses sont les préco-         vent en évidence des effets significatifs      duction de méthane n’est pas perma-
nisations faites par des organismes offi-      sur la production de méthane, mais les         nente. Les mesures de production de
ciels internationaux comme la FAO              conclusions tirées sont parfois hâtives.       méthane sont réalisées le plus souvent
(Food and Agriculture Organization), le        Les essais in vivo sont nombreux avec          après 2 à 4 semaines d’application du
GIEC (Groupe d’experts Intergouver-            des rations classiques, beaucoup plus          traitement étudié. On précisera donc si
nemental sur l’Evolution du Climat, en         limités dans le cas des additifs ; les         les effets obtenus ont été confirmés sur
anglais IPCC), ou l’UNFCCC (Com-               essais à long terme sont très rares. Cet       le long terme, c’est-à-dire après plu-
mission des Nations Unies sur le chan-         article fait le point de l’état des connais-   sieurs mois d’application du traitement.
gement climatique). Parallèlement, de          sances sur l’efficacité de nombreux            Enfin, l’acceptabilité par le consomma-
nombreuses nations se sont engagées à          leviers testés pour réduire les émissions      teur des techniques de réduction de la
une réduction des émissions ; les directi-     de méthane, et dégagera des pistes pour        production de méthane sera évoquée ;
ves de l’Union Européenne se sont tra-         l’avenir. Nous nous centrerons sur les         certaines stratégies efficaces font en
duites dans les différents pays membres        résultats obtenus in vivo, car de nom-         effet appel à des additifs non autorisés,
par des actions incitatives fondées ou         breuses techniques permettant de rédui-        ou peuvent présenter un risque d’effets
non sur des aides, ou de simples feuilles      re le méthane in vitro ne se révèlent pas      délétères sur la santé de l’animal ou du
de route avec des objectifs chiffrés           efficaces in vivo ; en effet les systèmes      consommateur.
impliquant les différents acteurs des          in vitro les plus utilisés reproduisent
filières (Doreau et Dollé 2011). Dans le       imparfaitement les processus physiolo-         1 / Stratégies de réduction
cas des ruminants, lorsque la totalité des     giques dans le rumen. De très nombreux
émissions de GES est exprimée en équi-         travaux sont disponibles ; seuls sont          de la production de métha-
valent gaz carbonique sur la base du           cités les plus représentatifs ou les plus      ne
pouvoir réchauffant respectif du gaz car-      originaux. Pour une bibliographie plus
bonique, du protoxyde d’azote et du            exhaustive, le lecteur se reportera aux
méthane, ce dernier représente environ         revues de Beauchemin et al (2009), de             Le méthane est produit dans le rumen
la moitié des émissions. Il est donc justi-    Martin et al (2010) et de Cottle et al         par les Archaea méthanogènes à partir
fié de rechercher des leviers d’action         (2011).                                        de l’hydrogène issu de la fermentation
pour les réduire. C’est l’objet de cet arti-                                                  des glucides. La voie biochimique de
cle consacré aux émissions de méthane             La réduction de la production de            l’acétate produit de l’hydrogène, alors
entérique par les ruminants ; ces derniers     méthane peut être mesurée par kg de            que celle du propionate en consomme,
contribuent à plus de 97% des émissions        Matière Sèche (MS) ingérée, ce qui per-        ce qui explique la relation positive entre
de méthane des animaux d’élevage en            met d’évaluer l’impact d’une pratique          la production de méthane et le rapport
France selon Vermorel et al (2008). Les        sur les processus digestifs, ou par kg de      acétate/propionate du rumen (Sauvant
propositions pour agir sur le méthane          lait ou de viande produits, ce qui intè-       et al 2011). Les effets des différentes
entérique sont toutefois à replacer dans       gre l’efficacité de production. Par            stratégies à l’étude pour agir sur la
le cadre plus global de la réduction de        ailleurs, les stratégies de réduction des      structure ou l’activité de la communau-
l’ensemble des GES, qui est analysé            émissions de méthane par l’alimenta-           té méthanogène ont été détaillés par
dans l’article de Dollé et al (2011).          tion peuvent dans certains cas être effi-      Popova et al (2011). L’hydrogène étant

                                                                                              INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
462 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI

Figure 1. Relation entre la population de protozoaires et la production de méthane dans le rumen : bilan de la bibliographie
disponible (d’après Morgavi et al 2010a).
Les différents essais sont identifiés par des chiffres à l’intérieur de symboles selon le facteur de variation étudié : triangles pour
les concentrés riches en amidon, ronds pour les lipides, carrés pour les extraits de plantes. La ligne pointillée représente la droi-
te de régression après prise en compte de l’effet essai.

un substrat limitant dans la voie méta-        (laurique et myristique) ou polyinsaturés     liques, l’augmentation de la part du pro-
bolique de la méthanogenèse, deux              à 18 carbones (linoléique et linolénique),    pionate dans le profil des AGV est une
modes d’action majeurs seront discutés         ou avec des composés secondaires des          première solution. Le lien entre nature
ci-dessous : i) réduire la production          plantes comme les saponines. La défau-        de l’alimentation ou additifs alimentai-
nette d’hydrogène ou ii) réorienter l’hy-      nation partielle ou totale a deux princi-     res et proportion de propionate est établi
drogène vers d’autres voies métabo-            pales conséquences sur l’équilibre de         depuis longtemps. Le tableau 1 fait le
liques potentiellement bénéfiques pour         l’écosystème microbien ruminal. D’une         point des principaux facteurs connus.
l’animal.                                      part la population bactérienne se trouve      Cette orientation vers le propionate est
                                               accrue, en raison de l’absence de préda-      souvent liée à une diminution du pH
   La production nette d’hydrogène peut        tion par les protozoaires ; d’autre part du   (cas des rations riches en concentré). Le
être réduite suite à une suppression par-      fait de cette amélioration de la synthèse     pH a par ailleurs un effet spécifique :
tielle ou totale de la population de proto-    de biomasse microbienne, qui joue un          des pH faibles entraînent une diminu-
zoaires (défaunation) dans le rumen.           rôle de «puits d’hydrogène», il y a moins     tion des protozoaires et des méthanogè-
Une analyse de la bibliographie montre         d’hydrogène disponible pour la métha-         nes (Van Kessel et Russell 1996).
un lien étroit entre la taille de la popula-   nogenèse. Les profils des AGV sont plus
tion de protozoaires et l’émission de          pauvres en butyrate, au profit de l’acéta-       Un autre moyen pour réorienter l’hy-
méthane (figure 1). En effet, les proto-       te ou du propionate (Jouany 1994).            drogène disponible pour la production
zoaires sont de forts producteurs d’hy-        Malgré les diminutions observées dans         de méthane est de l’utiliser dans d’au-
drogène, en partie parce qu’ils favorisent     la production de méthane, la réduction        tres voies biochimiques, comme la voie
le butyrate dans le mélange d’Acides           de la population de protozoaires a, en        de l’acétogenèse ou les voies réductri-
Gras Volatils (AGV). La suppression des        outre, deux conséquences générales            ces de sulfates ou de nitrates (Morgavi
protozoaires par des techniques de             qu’il est nécessaire de garder en mémoi-      et al 2010a). Les limites et les avantages
défaunation totale utilisées en expéri-        re : une réduction de la digestibilité        de ces stratégies sont discutés dans l’ar-
mentation n’est pas réalisable dans la         des parois, et une augmentation du flux       ticle de Popova et al (2011). Il est à
pratique (Popova et al 2011). Mais dans        de protéines quittant le rumen, car           noter que l’hydrogénation des AG poly-
des conditions d’alimentation applica-         les protozoaires sont des prédateurs          insaturés ne compte que marginalement
bles sur le terrain, la population de          des bactéries, et sortent lentement du        dans la captation d’hydrogène «puits à
protozoaires peut être réduite avec des        rumen.                                        hydrogène» permettant de limiter la
rations très riches en céréales, ou par                                                      méthanogenèse : dans une ration de
l’effet toxique de certains composés :           En ce qui concerne la réorientation de      vaches laitières riche en AG polyin-
Acides Gras (AG) à chaîne moyenne              l’hydrogène vers d’autres voies métabo-       saturés, la captation de l’hydrogène

INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants / 463

Tableau 1. Moyens d'accroître la proportion de propionate dans les AGV produits                             Johnson (1995) suggèrent que les sucres
dans le rumen.                                                                                              solubles sont plus méthanogènes que
                                                                                                            l’amidon. Bien qu’il manque les don-
                                                                                                            nées pour l’affirmer, ceci pourrait être
                                                                                                            dû à des différences dans les orienta-
                                                                                                            tions des fermentations ruminales, vers
                                                                                                            le butyrate pour les sucres solubles et
                                                                                                            vers le propionate pour l’amidon. En
                                                                                                            conclusion, les différences selon la
                                                                                                            nature des glucides du concentré exis-
                                                                                                            tent, mais elles sont plus modestes que
                                                                                                            les différences liées à la proportion de
                                                                                                            concentré dans la ration.

                                                                                                            2.2 / Nature du fourrage
                                                                                                              Peu d’essais ont comparé l’effet de
                                                                                                            différents types de fourrages sur les
                                                                                                            émissions de méthane d’animaux en
                                                                                                            production. Moe et Tyrrell (1979)
nécessaire pour saturer ces AG ne rédui-              pour la première fois par Blaxter et al               concluaient à partir d’une base de don-
rait la production de méthane que de 5 à              (1965). Selon la méta-analyse de                      nées personnelle que des rations à base
6%.                                                   Sauvant et Giger-Reverdin (2009), pour                de foin ou d’ensilage de maïs avaient
                                                      un niveau alimentaire inférieur ou égal à             des effets similaires sur la production de
2 / Composition de la ration                          2,51, il y a peu de variation de la produc-           méthane ; mais Martin et al (2009) ont
                                                      tion de méthane en fonction de l’énergie              observé une production de méthane par
                                                      brute ingérée (de 6 à 7%) pour des                    kg de lait plus élevée pour des vaches
2.1 / Proportion de concentré et                      niveaux de concentré compris entre 20                 recevant une ration à base de foin que
                                                      et 50% de la ration, ce qui correspond à              pour d’autres vaches recevant une
nature des glucides                                   la réalité du terrain en France pour les              ration à base d’ensilage de maïs, et
   L’accroissement de la proportion de                vaches laitières. Ces différents résultats            Doreau et al (non publié) ont montré
concentré dans la ration entraîne une                 sont liés à l’effet du pourcentage de                 que la production de méthane par kg de
diminution de la production de méthane                concentré sur le rapport acétate/propio-              lait était plus élevée pour une ration à
par kg de MS ingérée, et de manière                   nate dans les AGV du rumen, et à la                   base d’ensilage d’herbe que pour une
encore plus nette en % de l’énergie                   diminution du pH à des niveaux de                     ration à base d’ensilage de maïs (figu-
brute ingérée. Une relation curvilinéaire             concentré dans la ration très élevés.                 re 2). Ces résultats pourraient s’expli-
a été mise en évidence par Sauvant et                                                                       quer par la fraction amylacée des ensila-
Giger-Reverdin (2007) : la méthanoge-                    De nombreuses études anciennes ont                 ges de céréales, qui orientent les
nèse est fortement réduite pour des                   montré que les céréales sont à l’origine              fermentations ruminales vers le propio-
niveaux de concentré très élevés. Ceci                d’émissions de méthane plus faibles par               nate. Inversement, Chung et al (2011a)
est pris en compte dans la méthode d’es-              kg de glucides digestibles que les                    ont observé avec des vaches taries une
timation du GIEC dite «Tier 2» qui pro-               concentrés riches en parois (Moe et                   production de méthane par kg de MS
pose d’estimer les émissions de métha-                Tyrrell 1979). Toutefois il y a eu peu de             plus élevée de 33% avec de l’ensilage
ne à 5% de l’énergie brute ingérée pour               comparaisons directes. Beever et al                   d’orge qu’avec du foin ; dans cet essai
l’ensemble des rations, excepté pour les              (1989) ont montré que le remplacement                 les proportions des AGV étaient similai-
rations de type «feedlot» très riches en              de pulpes de betteraves par de l’orge                 res entre les deux régimes. Enfin,
concentré, pour lesquelles elles sont                 pour une ration riche en concentré                    Staerfl et al (2012) ont observé avec des
estimées à 3% de l’énergie brute ingérée              réduisait l’émission de méthane par kg                taurillons au cours de l'engraissement
(IPCC, 2006). Ces chiffres correspon-                 de MS de 34%. L’orientation fermentai-                des différences très modérées de pro-
dent d’ailleurs aux résultats obtenus par             re vers l’acétate dans le cas de la pulpe,            duction de méthane par kg de MS entre
Doreau et al (2011b) sur taurillons à                 ou vers le propionate dans le cas de                  des rations à base d'ensilage d'herbe ou
l’engrais : de l’ordre de 6% pour des                 l’orge en est certainement la cause.                  d'ensilage de maïs. En conclusion, des
rations à base d’ensilage de maïs ou de               Beauchemin et McGinn (2005) ont                       recherches complémentaires sur l’effet
foin, et 3% pour une ration à 86% de                  montré que la production de méthane                   de la ration de base restent à mener ;
concentré. Une variation similaire,                   par kg de MS ou en % de l’énergie brute               dans l’état actuel des connaissances, il
quoique moins nette, a été observée par               ingérée était plus faible avec du maïs                ne semble pas que la nature du fourrage
Lovett et al (2003) avec des rapports                 qu’avec de l’orge pour des génisses                   de la ration soit un déterminant majeur
entre les proportions de fourrage et de               engraissées avec des rations très riches              de l’émission de méthane.
concentré dans la ration allant de 65/35              en concentré. Les céréales ayant été dis-
à 10/90. Dans ce cas, la diminution de la             tribuées aplaties, ce résultat est proba-                La composition chimique du fourra-
méthanogenèse est particulièrement                    blement dû au fait qu’une partie du maïs              ge, liée à son stade de maturité, influen-
marquée pour les forts niveaux d’inges-               était digéré dans l’intestin. Avec des                ce modérément les émissions de métha-
tion, comme cela a été mis en évidence                rations à 50% de concentré, Moe et al                 ne. Une récente méta-analyse réalisée
par Sauvant et Giger-Reverdin (2009).                 (1973) n’ont pas observé de différence                sur des fourrages distribués sans com-
Cette interaction entre les effets de la              entre du maïs et de l’avoine, mais les                plémentation a montré que la produc-
digestibilité de la ration, qui augmente              deux aliments étaient broyés, ce qui                  tion de méthane par kg de matière orga-
avec la proportion de concentré, et du                entraîne une forte dégradation ruminale               nique ingérée ou digérée était corrélée
niveau alimentaire avait été montrée                  dans les deux cas. Enfin, Johnson et                  positivement à la digestibilité de la

1 Par définition, un niveau alimentaire de 1 correspond aux quantités ingérées nécessaires pour couvrir les besoins d’entretien de l’animal.

                                                                                                            INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
464 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI

Figure 2. Effet de la nature du fourrage sur la production de méthane.                                         La méta-analyse d’Archimède et al
Comparaisons 1 à 4 : essai 1 (Martin et al 2009 et non publié) ; comparaisons 5 et                          (2011) a montré que les graminées
6 : essai 2 (Doreau et al non publié). Les comparaisons 2, 3 et 4 sont des rations                          ayant une photosynthèse en C42, carac-
supplémentées en lipides. Tous les régimes sont formulés pour couvrir les besoins                           téristique des climats chauds, induisent
énergétiques et azotés des animaux.                                                                         une production de méthane supérieure
                                                                                                            de 10 à 17% à celle des graminées ayant
                                                                                                            une photosynthèse en C3, caractéris-
                                                                                                            tique des climats tempérés, à même
                                                                                                            digestibilité, teneur en NDF et niveau
                                                                                                            d’ingestion. Les raisons en sont encore
                                                                                                            inexpliquées. Inversement, les légumi-
                                                                                                            neuses à photosynthèse en C4 induisent
                                                                                                            une production de méthane inférieure
                                                                                                            aux légumineuses à photosynthèse en
                                                                                                            C3, mais c’est très probablement dû à la
                                                                                                            proportion de tannins en moyenne supé-
                                                                                                            rieure dans les légumineuses tropicales.
                                                                                                            La présence de tannins contribue en
                                                                                                            effet à la réduction des émissions de
                                                                                                            méthane ; leur rôle sera détaillé dans le
                                                                                                            paragraphe 3.1.

                                                                                                            2.3 / Apport de lipides
                                                                                                               L’enrichissement en lipides de la
                                                                                                            ration est une voie nutritionnelle pro-
                                                                                                            metteuse pour réduire les émissions de
                                                                                                            méthane. La raison la plus évidente est
                                                                                                            que les lipides, quels qu’ils soient, ne
                                                                                                            fournissent pas de substrat pour la pro-
                                                                                                            duction de méthane dans le rumen,
matière organique, mais aussi à la                    entre graminées et légumineuses tempé-                contrairement à la fermentation des glu-
teneur en NDF du fourrage, alors que                  rées. Toutefois, certains travaux suggè-              cides auxquels ils se substituent. En
ces deux facteurs varient en sens inver-              rent que les légumineuses sont à l’origi-             outre, les actions sur les populations
se (Archimède et al 2011). Ce résultat                ne d’une émission de méthane entéri-                  microbiennes décrites précédemment
rend compte du fait que plus il y a de                que plus faible que les graminées.                    renforcent cet effet anti-méthanogène.
constituants digestibles, plus il y a de              McCaughey et al (1999) ont observé une                La réduction de la production de métha-
substrats pour la méthanogenèse, et que,              diminution de 10% de la production de                 ne par apport de lipides a été quantifiée
à même digestibilité, plus il y a de NDF,             méthane par kg de gain de poids sur des               dans des équations proposées par Giger-
plus la voie de l’acétate, et donc la                 bovins à viande au pâturage, lorsque les              Reverdin et al (2003) et Eugène et al
méthanogenèse, sont favorisées. Il faut               graminées étaient remplacées par un                   (2008) pour les vaches laitières, et qui
toutefois remarquer que la plage de                   mélange graminées-luzerne. Un tel effet               font respectivement état de diminutions
variation des proportions d’AGV est                   n’a pas été relevé avec du trèfle blanc ou            moyennes de 2,2 et 1,7% de la produc-
plus faible entre fourrages qu’entre                  violet (Beever et al 1985, Van Dorland et             tion de méthane par kg de MS ingérée
rations mixtes. Des comparaisons direc-               al 2007, Hammond et al 2011) ; par                    lorsque la teneur en lipides augmente
tes ont d’ailleurs donné des résultats                ailleurs Carulla et al (2005) et Niderkorn            d’un point, c’est à dire de 1% dans la
contradictoires. Robertson et Waghorn                 et al (2011) n’ont observé aucun effet                MS de la ration. Dans l’étude d’Eugène
(2002) ont observé que la production de               significatif de la luzerne ou du trèfle vio-          et al (2008), cette diminution est non
méthane augmentait avec le stade de                   let apporté en substitution à du ray-grass            significative, mais elle l’est lorsque le
maturité du fourrage, alors que Pinares-              sur l’émission de méthane par kg de MS,               méthane est exprimé par rapport à
Patiño et al (2003) n’ont pas observé de              toujours lors d’essais in vivo. L’effet de            l’énergie brute ingérée. Dans une revue
variation de production de méthane en                 la luzerne parfois observé pourrait laisser           basée sur 17 études, Beauchemin et al
pourcentage de l’énergie brute ou de la               penser que la réduction de méthane serait             (2008) rapportent une diminution de
matière organique ingérée. Par ailleurs,              due à la richesse de la luzerne en malate,            production de méthane par kg de MS
Kirkpatrick et Steen (1999) n’ont pas                 un acide organique contribuant à réduire              ingérée de 5,6% par point de lipides
observé de différence de production de                la production de méthane (cf. § 4.3), ou à            supplémentaires dans la ration pour dif-
méthane en proportion de l’énergie                    certains métabolites secondaires comme                férentes espèces de ruminants. Dans une
brute ingérée entre un fourrage vert et               les saponines (cf. § 3.2). Toutefois, l’ab-           revue de synthèse, récapitulant 67 régi-
un ensilage récoltés simultanément, ce                sence d’effet de la substitution de luzer-            mes enrichis en lipides tirés de 28 publi-
qui est logique dans la mesure où le pro-             ne déshydratée à du tourteau de soja à                cations, Martin et al (2010) ont observé
cessus d’ensilage modifie peu la teneur               raison de 30% de la ration (Doreau et al              une diminution moyenne de 3,8% de
en parois et la digestibilité.                        non publié) ne plaide pas pour un «effet              méthane par kg de MS ingérée, par point
                                                      luzerne» spécifique. Il faut toutefois                de lipides supplémentaires. Une mise à
  La méta-analyse d’Archimède et al                   noter que l’introduction de légumineuses              jour de cette base de données a été réali-
(2011) n’a pas mis en évidence de diffé-              dans la ration tend à réduire les émis-               sée ; elle comprend maintenant 82 ré-
rence d’émission de méthane, in vivo,                 sions de protoxyde d’azote.                           gimes enrichis en lipides tirés de

2 Les plantes fixent le CO lors de la photosynthèse par différentes voies métaboliques ; les deux principales sont dites en C3 et en C4, selon que la fixation
                           2
de CO2 produit un composé à 3 ou 4 atomes de carbone. Les plantes fourragères de zone tempérée ont en général une photosynthèse en C3, le maïs et les
plantes fourragères tropicales ont une photosynthèse en C4.

INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants / 465

Figure 3. Effet de la supplémentation lipidique sur la production de méthane, en                            réponse de la production de méthane
fonction des AG majeurs de la source lipidique : revue de la bibliographie.                                 (van Zijderveld et al 2011), parfois des
                                                                                                            réponses très fortes à dose élevée :
                                                                                                            Martin et al (2008) ont montré une
                                                                                                            diminution de la production de méthane
                                                                                                            de plus de 50% avec un apport de 5,8%
                                                                                                            d’huile de lin. La réponse à des doses
                                                                                                            croissantes de graine de lin extrudée
                                                                                                            est faible pour des apports modérés
                                                                                                            (diminution de production journalière
                                                                                                            de 6 à 15% pour 2% de lipides ajoutés),
                                                                                                            et plus prononcée pour des doses éle-
                                                                                                            vées (diminution de production journa-
                                                                                                            lière de 40 à 42% pour 6% de lipides
                                                                                                            ajoutés) (Martin et al 2009). L’emploi
                                                                                                            du lin pour réduire la production de
                                                                                                            méthane s’accompagne d’un effet plu-
                                                                                                            tôt bénéfique sur la qualité nutrition-
                                                                                                            nelle du lait et de la viande, en raison
                                                                                                            d’une légère augmentation des AG en
                                                                                                            oméga 3 (acide linolénique). Toutefois,
                                                                                                            un apport excessif de lin peut se tradui-
                                                                                                            re par une limitation du niveau d’inges-
                                                                                                            tion des animaux, un accroissement
                                                                                                            dans les produits de certains AG mono-
                                                                                                            insaturés trans (Doreau et al 2011a), et
                                                                                                            par une tendance à la péroxydation des
                                                                                                            lipides. Dans l’état actuel des connais-
                                                                                                            sances, un apport de lipides du lin de
                                                                                                            l’ordre de 2 à 3% peut se révéler effi-
                                                                                                            cace pour réduire la méthanogenèse
                                                                                                            (Martin et al 2011). Quand aux AG à
33 publications. Cette synthèse (figu-                bien qu’ayant pris en compte l’effet                  chaîne moyenne qui ont des effets mar-
re 3) montre en outre que la diminution               essai, probablement en raison de la                   qués sur la méthanogenèse, leur emploi
moyenne de la production de méthane                   forte variabilité de réponse de la pro-               devrait être freiné par leur effet plutôt
dépend de la nature des AG. Elle est la               duction de méthane à l’apport lipi-                   négatif sur la «valeur santé» des pro-
plus importante pour les AG à chaîne                  dique.                                                duits animaux, et peut-être par une
moyenne (apportés par le coprah, 8,5%                                                                       réduction de digestibilité des rations
par point de lipides supplémentaires),                   Cette forte variabilité se traduit par le          dans certains cas.
puis pour l’acide linolénique (apporté                fait que la comparaison directe entre
par le lin, 5,6% par point de lipides                 sources de lipides donne des résultats                   Parmi les sources de lipides, on peut
supplémentaires), puis pour l’acide                   contradictoires in vivo. Différents essais            citer les drêches de maïs de distillerie,
linoléique (apporté par le tournesol et               ont été récapitulés par Martin et al                  sous-produit de la fabrication d’éthanol.
le soja, 4,0% par point de lipides sup-               (2010). La comparaison des trois types                Ce produit ne contient qu’environ 10%
plémentaires). Les AG mono-insaturés                  d’AG les plus fréquemment testés                      d’AG, mais comme il peut être incorpo-
comme l’acide oléique (apporté par le                 (oléique, linoléique et linolénique)                  ré en quantités élevées dans la ration, il
colza), les AG saturés, palmitique et                 donne des résultats variables d’un essai              constitue un moyen d’enrichir la ration
stéarique (savons de calcium d’huile de               à l’autre. Les connaissances actuelles                en lipides ; McGinn et al (2009) ont
palme, graisses cristallisées) ont un                 sur l’effet des différentes sources de                obtenu sur des bovins à viande une bais-
effet plus limité. La figure 3 montre                 lipides sur les populations microbiennes              se de la production de méthane de 16%
que dans un nombre limité d’essais                    du rumen (cf. Popova et al 2011) ne per-              en remplaçant l’orge (35% de la ra-
l’apport de lipides entraîne un léger                 mettent pas d’expliquer ces divergen-                 tion) par des drêches de maïs sèches
accroissement de la production de                     ces. L’effet des AG à 20 et 22 carbones               avec solubles3. D’autres sous-produits
méthane par kg de MS, peut-être en                    sur la production de méthane est encore               d’agrocarburants, comme les tourteaux
raison d’interactions avec le reste de la             mal connu : il est très dépresseur in vitro           gras de colza à 10% de lipides, ont le
ration. Très récemment, Grainger et                   (Fievez et al 2007) mais in vivo, l’huile             même effet (Moate et al 2011).
Beauchemin (2011) ont étudié par                      de poisson, en association avec d’autres
méta-analyse 21 publications regrou-                  sources de lipides, n’a qu’un effet                     L’effet de l’apport lipidique sur la
pant 92 traitements (60 enrichis en lipi-             mineur (Woodward et al 2006). Des étu-                méthanogenèse peut dépendre de la com-
des et 30 témoins) et ont mis en évi-                 des complémentaires seraient nécessai-                position de la ration, mais les données
dence une diminution de 1,0 g de                      res, peut-être avec des micro-algues                  sont fragmentaires et contradictoires. La
méthane par kg de MS ingérée                          dont l’utilisation est a priori plus accep-           baisse de méthane avec des apports
(approximativement 4%) par point de                   table que celle des huiles d’origine ani-             croissants de graine de lin est plus pro-
lipides supplémentaires. Mais ces                     male.                                                 noncée en pourcentage avec une ration à
auteurs n’ont détecté, avec une métho-                                                                      base de foin qu’avec une ration à base
dologie différente de la nôtre, aucun                   De nombreux essais ont été réalisés                 d’ensilage de maïs (Martin et al 2009), et
effet significatif de la source de lipides,           avec le lin. Parfois, il n’y a pas eu de              inversement plus prononcée avec de

3 Sous-produit de la fabrication d’éthanol à partir de céréales, en anglais DDGS (Dry Distillers Grains with Solubles).

                                                                                                           INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
466 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI

l’ensilage d’orge qu’avec du foin (Chung      tent une biomasse non négligeable, dans       les zones tropicales, elles sont utilisées
et al 2011a) ; avec des AG à chaîne           certains pays. Une récente revue a décrit     dans les zones tempérées (lotier, sain-
moyenne elle est plus prononcée avec          les effets des principales plantes étu-       foin) de même que des extraits de tan-
une ration riche en concentré qu’avec         diées (Patra et Saxena 2010). Les méta-       nins ajoutés à la ration.
une ration riche en fourrage (Lovett et al    bolites secondaires les plus prometteurs
2003, Machmüller et al 2003).                 sont les tannins et les saponines, mais          Carulla et al (2005) ont montré que
                                              bien d’autres constituants sont suscepti-     l’extrait de tannins d'écorce d'acacia
   Peu d’essais à long terme ont été          bles de réduire la production de métha-       noir (A. Mearnsii) réduisait la produc-
réalisés. Grainger et Beauchemin              ne, et sont souvent présents dans des         tion de méthane par des moutons à un
(2011) ont récapitulé 7 essais à moyen        huiles essentielles.                          taux d'incorporation de 2,5% de la MS,
et long terme avec différentes sources                                                      avec toutefois une légère diminution de
de lipides, dont seulement 3 ont duré         3.1 / Plantes riches en tannins               digestibilité compensée par une légère
plus de 3 mois, et tirent la conclusion                                                     augmentation d'ingestion. Cet effet a été
que l’effet des lipides se maintient dans        Les tannins sont connus depuis plu-        confirmé par Grainger et al (2009) avec
le temps. Holter et al (1992) et              sieurs années pour leur action inhibitri-     des vaches laitières au pâturage à un
Grainger et al (2010) avec des graines        ce sur la production de méthane enté-         taux d'incorporation de 2% de la MS,
de coton distribuées à des vaches             rique. Ceci vient d’être confirmé par         puis par Staerfl et al (2012) dans un
respectivement pendant 16 et 12 se-           une récente méta-analyse qui récapitule       essai à long terme avec des taurillons, à
maines ont même trouvé que l’effet des        15 essais in vitro et 15 essais in vivo       un taux d'incorporation de 3% de la
lipides s’accentuait dans le temps.           (Jayanegara et al 2011a). Cet effet pour-     MS ; la digestibilité des parois était éga-
Enfin, Martin et al (2011) ont établi         rait être lié en particulier à la forte       lement réduite, mais sans conséquence
qu’après une année de complémenta-            réduction des Archaea méthanogènes            sur le gain de poids des animaux. En
tion en graine de lin de la ration de         (Popova et al 2011). Les tannins peu-         revanche, Beauchemin et al (2007)
vaches laitières, la production de            vent être consommés dans certains four-       n’ont pas trouvé d’effet de l’extrait de
méthane était inférieure à celle de la        rages distribués aux animaux à plus ou        tannin de quebracho distribué à raison
ration non supplémentée. Au contraire,        moins grande échelle, ou sous forme           de 2% de la MS, de même que Sliwinski
Eugène et al (2011) ont observé avec          d’extraits ajoutés à la ration. Sous le       et al (2002) avec 1 à 2% de tannins de
des taurillons engraissés durant 6 mois       nom générique de tannins, on range            châtaignier dans la MS. Il est difficile de
que la réduction de la production de          deux familles très différentes de compo-      savoir si ces différences doivent être
méthane par kg de gain de poids d’une         sés : les tannins condensés, dont l’effet     imputées à la nature des tannins ou aux
ration concentrée riche en amidon et          négatif sur la production de méthane a        conditions expérimentales.
lipides en comparaison avec une ration        été très bien étudié, et les tannins hydro-
concentrée riche en fibres, était moins       lysables, dont ce même effet est moins           Parmi les légumineuses à tannins cul-
prononcée au cours du temps, mais             connu, mais a été mis en évidence             tivées en régions tempérées, le lotier
l’effet peut être attribué aussi bien aux     récemment par Jayanegara et al                corniculé (Lotus corniculatus) a été lar-
lipides qu’à l’amidon. Toutefois ces          (2011b). L’introduction dans la ration        gement étudié, principalement en
différents essais considérés ensemble,        de tannins condensés, mais aussi de tan-      Nouvelle-Zélande, et son effet sur la
laissent penser que l’effet des lipides       nins hydrolysables, entraîne d’autres         diminution de méthane semble clair. Par
polyinsaturés sur la production de            effets qui peuvent être favorables            exemple, les émissions de méthane par
méthane pourrait être permanent.              comme la réduction de la dégradation          kg de MS ou kg de lait par des vaches
                                              des protéines dans le rumen ou la possi-      laitières sont plus faibles avec le lotier
                                              ble réduction de l’hydrogénation des          corniculé qu’avec le ray-grass, et cet
3 / Plantes spécifiques et                    AG, ou défavorables, comme la diminu-         effet est dû aux tannins, car il est suppri-
huiles essentielles                           tion fréquente de la digestibilité de la      mé lorsque les tannins sont inactivés par
                                              matière organique (Waghorn 2008). Il          le polyéthylène glycol, molécule se
                                              est donc important de s’assurer que la        fixant sur les tannins (Woodward et al
   Un nombre considérable de mesures          réduction de la production de méthane         2004). Un effet similaire a été observé
de la production de méthane a été réali-      ne s’accompagne pas d’un effet dépres-        avec des vaches laitières sur une légu-
sé in vitro avec des plantes très diverses,   sif sur la digestibilité ; des essais avec    mineuse à tannins du Sud de l’Europe,
choisies parfois pour leur richesse           des taux d’incorporation croissants           le sainfoin d’Italie (Hedysarum corona-
connue en métabolites secondaires, par-       d’une même source de tannins permet-          rium) (Woodward et al 2002) ; en
fois au hasard. L’essai le plus embléma-      traient certainement de répondre à cette      revanche, on manque de références in
tique est celui de Bodas et al (2008) qui     interrogation. De nombreuses légumi-          vivo sur le sainfoin (Onobrychis sp.).
ont testé 450 plantes ; Garcia-Gonzalez       neuses tropicales sont riches en tannins,
et al (2008) dans la même équipe ont          en particulier des légumineuses arbusti-      3.2 / Plantes riches en saponines
réalisé un essai similaire sur 158 plan-      ves comme Leucaena leucocephala, qui
tes, certaines étant communes avec l’es-      constituent une ressource alimentaire            Les saponines sont des glycosides
sai précédent. Au total, moins de             non négligeable dans certains pays.           présents dans de nombreuses plantes. Ils
10 plantes ou extraits ont fortement          Bien que la nature et la structure biochi-    diminuent la dégradation des protéines
réduit la production de méthane sans          mique des tannins varie d’une plante à        dans le rumen et favorisent la synthèse
effet négatif sur les fermentations, en       l’autre, Jayanegara et al (2011b) ont         de protéines microbiennes, ce qui limite
particulier deux variétés de rhubarbe.        montré une relation négative entre l’é-       la quantité d’hydrogène disponible pour
L’utilisation potentielle de telles plan-     mission de méthane in vitro et les            la méthanogenèse. Les saponines rédui-
tes, si elles se montraient efficaces, est    teneurs en tannins condensés, mais            sent la population de protozoaires
bien sûr tributaire de leur aptitude à la     aussi en tannins hydrolysables ; toute-       (Newbold et Rode 2006) ; l’effet sur les
culture ainsi que de leur absence de          fois les plantes ayant la meilleure valeur    différentes populations microbiennes du
toxicité. Les plantes tropicales, riches      nutritive entraînent également une pro-       rumen dépend du type de ration et a été
en métabolites secondaires, sont égale-       duction de méthane élevée, peut-être          détaillé par Popova et al (2011). In
ment largement étudiées (Soliva et al         parce qu’elles sont plus riches en gluci-     vitro, l’effet négatif des saponines sur
2008, Jayanegara et al 2011a), mais           des fermentescibles. Bien que les plan-       la méthanogenèse a été montré avec
seules certaines d’entre elles représen-      tes à tannins soient plus répandues dans      différentes plantes, mais il n’est pas sys-

INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants / 467

tématique. Toutefois, dans certains cas,     et sur certaines espèces bactériennes,             Parmi les autres extraits de plantes
avec des doses élevées de saponines,         ce qui peut réduire l’intensité des fer-        dont l’effet négatif sur la production de
des diminutions de 25% ont été mises         mentations. Parmi les composés dont             méthane a été montré in vivo, on peut
en évidence. C’est le cas d’un essai de      l’action négative sur la production de          également citer la noix de cajou, dont
Holtshausen et al (2009) avec un niveau      méthane a été montrée in vitro, la              l’effet avait été préalablement montré in
d’incorporation de Yucca schidigeria et      réponse à des doses croissantes a été           vitro. Selon Shinkai et al (2010) un sup-
de Quillaja saponaria dans le fermen-        étudiée pour le carvacrol, le thymol,           plément de 23 g/j de noix de cajou à des
teur correspondant à 4,5 g/kg de MS ;        l’eugénol et le cinnamaldéhyde, ainsi           vaches laitières a réduit de 20% la pro-
toutefois à ces niveaux d’incorporation      que pour les huiles plus complexes de           duction de méthane ; mais très peu de
la digestibilité des parois in vitro était   thym, de cannelle et d’origan par               détails sont disponibles sur cet essai. Un
fortement réduite.                           Macheboeuf et al (2008) et par                  essai récent (Tekippe et al 2011) a mon-
                                             Benchaar et Chiquette (non publié,              tré un effet très net de la feuille d’origan
  Les essais in vivo sont en nombre          cités par Benchaar et Greathead 2011).          (500 g/j) sur la production de méthane
plus limité. Les sources de saponines        Les huiles d’origan et de thym contien-         de vaches laitières (- 40%) dans un essai
les plus étudiées sont celles qui ont        nent du carvacrol et du thymol, et en           de courte durée (périodes de 3 semai-
donné des résultats concluants dans          moindre quantité des terpènes qui sont          nes) ; toutefois les auteurs suggèrent
des tests in vitro et qui sont les deux      leurs précurseurs, le γ-terpinène et le         que la méthodologie employée a pu sur-
principales sources commercialisées,         p-cymène. Macheboeuf et al (2008)               estimer la réduction de méthane. Par
Yucca schidigeria et Quillaja sapona-        ont montré que ces huiles ont des effets        ailleurs, Wang et al (2009) ont observé
ria. Les diminutions de méthane ont          plus marqués que les molécules qui les          une diminution de la production de
été soit nulles, parfois en raison de        composent, suggérant des effets addi-           méthane de 12% après addition de 250
doses très faibles, soit de l’ordre de 5 à   tifs ou même synergiques. Il en serait          mg/j d’un extrait d’origan, commercia-
10% et non significatives, avec des          de même pour l’huile de cannelle et ses         lisé sous le nom de ropadiar®, dans la
doses voisines de 1 g/kg de MS ingérée       composants, le cinnamaldéhyde qui est           ration de moutons, dans un essai de
avec des moutons pendant de courtes          le composé prédominant et l’eugénol.            courte durée (périodes de 2 semaines).
périodes (Pen et al 2007), avec des          A notre connaissance, il n’existe pas           Il convient d’être prudent, car l’effet in
vaches laitières après des périodes          d’essai in vivo testant l’efficacité de         vitro de l’origan sur la méthanogenèse
d’adaptation de 4 semaines (Holtshau-        ces molécules pour réduire les émis-            n’est pas systématique.
sen et al 2009), et curieusement de          sions de méthane, sans perturber l’in-
l’ordre de 15% et significative dans un      gestion ou la digestion. Par ailleurs,             En conclusion, il est difficile d’extra-
essai de courte durée de Wang et al          Mohammed et al (2004) ont montré                poler des résultats prometteurs in vitro
(2009) avec une dose de 0,1 g/kg de          que l’huile de raifort protégée pour            aux conditions in vivo, et beaucoup de
MS. Par ailleurs, deux essais sur mou-       éviter des chutes d’ingestion a réduit          travail reste à faire pour démontrer l’ef-
tons avec des périodes expérimentales        la production de méthane de près de             ficacité de certaines huiles essentielles ;
de 3 semaines ont mis en évidence des        20% chez des bouvillons ; cet essai de          jusqu’à présent aucun essai à long terme
diminutions de la production de métha-       courte durée n’a toutefois pas été              n’a été réalisé.
ne significatives d’environ 10%, l’un        confirmé.
avec des fruits de Sapindus saponaria
(Hess et al 2004) et l’autre avec des          L’association de deux ou plusieurs            4 / Additifs et biotechnolo-
saponines de thé (Zhou et al 2011). Un       huiles essentielles pourrait accroître les      gies
effet dépressif de 27% des saponines         chances de succès d’une stratégie de
de thé a même été observé par Mao et         réduction de la production de méthane.
al (2010) sur moutons après 2 mois           Par ailleurs, Beauchemin et McGinn                Dans cette partie ne sont pas traitées
d’adaptation. Le nombre de données           (2006) ont montré l’inefficacité d’un           les techniques visant à réduire spécifi-
disponibles et concordantes est toute-       mélange commercial d’huiles essentiel-          quement les méthanogènes (vaccination
fois trop faible pour qu’une conclusion      les et d’épices.                                ou anticorps, composés chimiques
puisse être tirée sur les possibilités                                                       toxiques pour les méthanogènes comme
d’emploi de certaines plantes riches en         L’extrait d’ail a été souvent montré         le chloroforme, le bromoéthylsulfonate
saponines comme agents permettant de         comme très efficace pour réduire la pro-        et le bromochlorométhane) dont le rôle
réduire la production de méthane.            duction de méthane in vitro, en raison          et l’efficacité sont détaillés dans l’arti-
                                             de la présence de composés organosul-           cle de Popova et al (2011).
3.3 / Huiles essentielles et autres          furés. In vivo, les résultats sont déce-
extraits de plantes                          vants. Klevenhusen et al (2011) et van          4.1 / Addition de probiotiques
                                             Zijderveld et al (2011) n’ont pas obser-
   L’intérêt des huiles essentielles pour    vé de diminution de la production de               Les levures vivantes, exclusivement
réduire la méthanogenèse a fait l’objet      méthane avec l’extrait d’ail ou son com-        représentées par différentes souches de
de la revue récente de Benchaar et           posé qui semble le plus efficace, le            Saccharomyces cerevisiae, sont utili-
Greathead (2011). Ces auteurs men-           bisulfure de diallyl, qui inhiberait spéci-     sées depuis plusieurs années comme
tionnent tout d’abord la très grande         fiquement les Archaea méthanogènes;             additifs dans la ration des ruminants
variabilité de composition en huiles         toutefois le bisulfure de diallyl aurait        essentiellement pour stimuler la dégra-
essentielles d’une même plante, en           un effet positif sur la digestibilité.          dation des fibres, pour limiter la dégra-
fonction entre autres de leur région         L’absence d’effet d’une supplémenta-            dation des protéines ou pour prévenir
d’origine. Ceci rend l’interprétation        tion avec des bulbes d’ail sur la produc-       l’acidose (Chaucheyras-Durand et al
des résultats expérimentaux difficile        tion de méthane a aussi été observée par        2008). L’addition des souches commer-
lorsque des extraits de plantes sont         Patra et al (2011) avec des moutons, et         cialisées n’a pas montré jusqu’à présent
analysés pour leurs effets sur les fer-      par Staerfl et al (2012) avec des tau-          d’effet sur la production de méthane
mentations ruminales. En outre, la           rillons. Si l’effet de l’extrait d’ail s’avé-   (Doreau et Jouany 1998, entre autres),
multiplicité des molécules actives au        rait significatif dans le futur, son usage      mais il n’y a pas de souches commercia-
niveau de la population microbienne          pourrait être limité à la production de         lisées qui soient spécifiquement déve-
du rumen se traduit par des effets inhi-     viande, en raison de l’apparition d’o-          loppées pour réduire la méthanogenèse.
biteurs sur les Archaea méthanogènes         deurs dans le lait.                             Certaines souches ont montré in vitro

                                                                                             INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
468 / M. DOREAU, C. MARTIN, M. EUGÈNE, M. POPOVA, D.P. MORGAVI

une réduction de la production de                     4.2 / Antibiotiques ionophores                         lorsque l’effet est significatif, celui du
méthane (Newbold et Rode 2006), et                                                                           fumarate est plus important que celui du
une première publication fait état d’une                 Les antibiotiques ionophores, princi-               malate, et celui des formes acides plus
tendance non significative à une réduc-               palement le «monensin» et le «lasaloci-                important que celui des sels (Newbold
tion de la production de méthane in vivo              de», sont une catégorie d’antibiotiques                et al 2005). Par ailleurs, Jouany et al
chez la vache avec une souche sélec-                  dotés de propriétés spécifiques (stimu-                (2008) ont observé en fermenteur de
tionnée (Chung et al 2011b).                          lation du transport actif des cations et               type «batch»4 que l’association entre
                                                      réduction de la production d’ATP) qui                  acide malique et huile de tournesol
   L’incorporation de bactéries probio-               se traduisent par une toxicité vis-à-vis               réduisait la production de méthane,
tiques comme additif se développe.                    des bactéries à gram positif (Jouany                   alors que chacun de ces composés pris
Pour les ruminants adultes, ces bactéries             1994). Ils sont interdits dans l’Union                 seul n’avait pas d’effet. Curieusement,
sont destinées à prévenir l’acidose, ou à             Européenne depuis 2006, mais sont tou-                 l’effet des acides organiques sur la
limiter le portage des pathogènes poten-              tefois toujours cités comme un moyen                   méthanogenèse est souvent plus impor-
tiels tels que certaines souches                      possible de réduire les émissions de                   tant in vivo ou en fermenteur continu
d’Escherischia coli et Salmonella spp.                méthane (Moran et al 2011). Leur                       que dans des systèmes in vitro simples
Les bactéries les plus communément uti-               emploi chez le ruminant entraîne à court               de type «batch». Ceci peut être dû à une
lisées sont des utilisatrices de lactate qui          terme une diminution de la production                  compétitivité plus grande des bactéries
accroissent la production de propionate,              de méthane de 0 à 30%. D’après la                      utilisant les acides organiques par rap-
et des bactéries lactiques. Un travail                revue de Beauchemin et al (2008), l’ef-                port aux méthanogènes dans des systè-
récent dans notre laboratoire, utilisant              fet dépendrait du niveau d’incorpora-                  mes complexes. Toutefois, l’effet le
une association de bactéries probio-                  tion ; la production de méthane dimi-                  plus spectaculaire a été obtenu avec des
tiques, a permis, pour la première fois à             nuerait en moyenne de 3 à 8% par kg de                 agneaux en croissance par Wallace et al
notre connaissance, de diminuer signifi-              MS ingérée à des doses élevées (20 à 35                (2006) avec l’incorporation dans la
cativement la production de méthane                   mg par kg de MS ingérée). Cet effet est                ration de 10% de fumarate protégé de la
chez la vache, sans modification de la                relié à l’orientation des fermentations                dégradation dans le rumen par encapsu-
production laitière, dans un essai de                 ruminales vers l’acide propionique et à                lation, la production de méthane étant
courte durée (données non publiées). Ce               une stimulation des bactéries à gram                   réduite jusqu’à 75% après 2 mois sur ce
résultat prometteur reste à confirmer.                négatif ; en outre la population de proto-             régime. Cet effet n’a pas été reproduit
                                                      zoaires est réduite, mais celle des                    ultérieurement dans un essai sur vaches
   L’utilisation de l’hydrogène par la                méthanogènes n’est pas affectée. A long                laitières (McCourt et al 2008).
voie de l’acétogenèse existe chez                     terme, l’effet a été confirmé dans des
l’Homme et différentes espèces anima-                 essais nord-américains par Odongo et al                   Lorsqu’on calcule par stoechiométrie
les. Dans le rumen, les bactéries acéto-              (2007) avec des vaches laitières (- 7%                 l’amplitude théorique de diminution de
gènes ne sont pas compétitives avec les               après 6 mois d’application) mais pas par               la production de méthane liée à l’effet
Archaea méthanogènes pour l’utilisa-                  Guan et al (2006) avec des bouvillons :                «puits d’hydrogène» des acides orga-
tion de l’hydrogène. Récemment, il a                  la baisse de production de méthane                     niques, on se rend compte que l’effet
été montré in vitro que de telles bacté-              observée durant le premier mois ne s’est               strict de l’utilisation d’hydrogène lors
ries de l’intestin du kangourou étaient               pas maintenue ultérieurement, en lien                  du métabolisme des acides organiques
compétitives vis-à-vis des Archaea                    avec une chute transitoire de la popula-               ne suffit pas à expliquer les réponses
méthanogènes du rumen (Klieve et                      tion de protozoaires, qui se sont adaptés              parfois observées : une distribution de
Joblin 2007). Cet essai a eu une forte                aux ionophores. Il est à noter qu’un                   2 kg de fumarate par jour à une vache
publicité médiatique, mais la culture de              autre antibiotique promoteur de crois-                 laitière ne diminuerait la production de
telles bactéries et leur implantation dans            sance, la flavomycine, a montré une cer-               méthane de seulement 10% (Newbold et
le rumen restent à faire. Il existe donc              taine efficacité in vivo pour réduire la               Rode 2006). Par ailleurs, Ungerfeld et
une voie d’exploration, mais il est pro-              production de méthane dans un essai de                 Forster (2011) ont montré à partir de
bable que des probiotiques contenant                  courte durée (Wang et al 2009), mais                   données in vitro que seulement la moi-
des bactéries acétogènes puissent être                son emploi est interdit de la même                     tié du malate était convertie en propio-
efficaces lorsqu’une stratégie de sup-                manière que celui des ionophores.                      nate. D’autres mécanismes conduisant à
pression des méthanogènes est appli-                                                                         la réduction de la production de métha-
quée conjointement (Joblin 1999).                     4.3 / Acides organiques                                ne sont donc à rechercher. Même si les
                                                                                                             acides organiques se montraient effica-
   L’effet de microorganismes exogènes                   Les acides organiques sont des consti-              ces sur le long terme pour réduire la
sans activité probiotique a également                 tuants mineurs de certaines plantes ; le               méthanogenèse, il y a plusieurs freins à
été testé. Récemment une culture fon-                 cas de la luzerne a été évoqué précé-                  leur utilisation pratique : la possible res-
gique de Monascus sp. s’est révélée                   demment. Dans le rumen, ils sont                       triction de l’usage de molécules de syn-
efficace in vivo et a conduit à une réduc-            convertis par des bactéries en succinate               thèse en alimentation animale, le fait
tion de la production de méthane de                   avec consommation d’hydrogène                          que des quantités importantes soient
30% chez le mouton après 2 semaines                   venant du dihydrogène ou du formate ;                  nécessaires, ce qui peut entraîner un
d’apport. Ce résultat, dû à différents                le succinate est à son tour converti en                problème pour l’image des produits et,
métabolites de ce champignon, s’ex-                   propionate. Trois acides organiques de                 en corollaire, leur coût élevé.
plique par une orientation des fermenta-              synthèse ont été étudiés in vitro pour
tions vers le propionate et une baisse                leur effet négatif sur la production de                  Le glycérol, composé disponible en
de la population de méthanogènes                      méthane, le malate, le fumarate et                     grande quantité lors de la production
(Morgavi et al 2010b). L’applicabilité                l’acrylate, et les deux premiers l’ont été             d’agrocarburants, n’est pas un acide
de cette technique, et la confirmation de             in vivo. In vitro, la réduction de la                  organique, mais est converti en propio-
l’effet à long terme restent à montrer.               méthanogenèse n’est pas systématique ;                 nate, et son inclusion dans la ration en

4 Les fermenteurs de type «batch» sont des systèmes simples qui permettent l’incubation de substrats avec un contenu de rumen en milieu clos pendant une
période limitée (souvent 24 h). A l’opposé, les fermenteurs continus sont alimentés en substrats et les produits de fermentation sont évacués, pendant plusieurs
jours.

INRA Productions Animales, 2011, numéro 5
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