Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE

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Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
NOVEMBRE 2014
                                    Hors série n° 2
                                    p 1 > 44
                                    volume 30

                    > www.medecinesciences.org

médecine/sciences

                    2e COLLOQUE DE
                    L’ITMO SANTÉ PUBLIQUE
                    Médecine « personnalisée »
                    et innovations biomédicales
                    Enjeux de santé publique,
                    économiques, éthiques et sociaux
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
Revue internationale de biologie et de médecine

                                       2e colloque de l’ITMO Santé publique
    médecine/sciences
                                           Médecine « personnalisée »
                                           et innovations biomédicales
                                                 Enjeux de santé publique,
                                              économiques, éthiques et sociaux
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Jean-Marc Quilbé
RÉDACTION
RÉDACTEUR EN CHEF
                                         SOMMAIRE
Hervé Chneiweiss (Paris)
RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE              ÉDITORIAL
Laure Coulombel (Paris)              4 Médecine personnalisée : chimère ou révolution ?
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL                       Jean-Paul Moatti
DE LA RÉDACTION
François Flori (Paris)                   SESSION 1. LES GRANDS ENJEUX DE SANTÉ
ADJOINT À LA RÉDACTION                   PUBLIQUE, ÉCONOMIQUES, ÉTHIQUES ET SOCIAUX
François Authier (Paris)
                                         DE LA MÉDECINE PERSONNALISÉE
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
                                     8 Médecine personnalisée : un concept flou, des pratiques diversifiées
Marie-Thérèse Dron (Paris)
                                         Simone Bateman
DIRECTRICE ÉDITORIALE
                                    14 Génomique, de la recherche à la clinique : questions autour d’un changement
Martine Krief-Fajnzylberg
                                         de perspective
CONSEILLÈRE ET
                                         Catherine Bourgain
REPRÉSENTANTE DE L’INSERM
Suzy Mouchet
                                         SESSION 2. ÉCHANGES NORD-SUD ET INNOVATIONS
COMITÉ ÉDITORIAL
Antoine Bril (Paris)
                                         BIOMÉDICALES
Carine Franc (Villejuif)            18 Étude Millennia2015 « Femmes et eSanté 2010-2012 » : réseaux et technologies
Marie Gaille (Paris)                   innovantes
Hélène Gilgenkrantz (Paris)            Véronique Inès Thouvenot, Kristie Holmes
Jacques Haiech (Strasbourg)
Xavier Jeunemaitre (Paris)          23 Modèles mathématiques dynamiques pour la médecine personnalisée
Bertrand Jordan (Marseille)            Rodolphe Thiébaut, Mélanie Prague, Daniel Commenges
Olivier Lortholary (Paris)
Anne-Marie Moulin (Paris)                SESSION 3. LA MÉDECINE PERSONNALISÉE :
Jean-Michel Rigo (Hasselt)
Jean-Luc Teillaud (Paris)                AGGRAVATRICE OU RÉDUCTRICE DES INÉGALITÉS
COMITÉ SCIENTIFIQUE
                                         DE SANTÉ ?
Michel Aubier (Paris)               27 Médecine personnalisée : équité et accès
Joël Bockaert (Montpellier)              Yann Joly, Bartha M. Knoppers
Marcel Dorée (Montpellier)          32 Perspective économique sur les traitements ciblés
Denis Duboule (Genève)
Gérard Friedlander (Paris)               Valérie Seror
Thierry Galli (Paris)               36 Médecine personnalisée, médecine privatisée ? Enjeux juridiques et de santé
Simone Gilgenkrantz (Nancy)            publique
Michel Goldman (Bruxelles)
Jean-Pierre Grünfeld (Paris)           Emmanuelle Rial-Sebbag
Axel Kahn (Paris)                   41 Tests génétiques, prévention et marchés d’assurance santé
Jean-Claude Kaplan (Paris)             David Bardey, Philippe De Donder
Jean-François Lacronique (Paris)
Arnold Munnich (Paris)
Jean-Paul Ortonne (Nice)
Marc Peschanski (Évry)
Jacques Piette (Liège)
Jacques Pouysségur (Nice)
Bernard Rossier (Lausanne)
Guy Rousseau (Bruxelles)
Philippe Sansonetti (Paris)
Alain Tedgui (Paris)
Germain Trugnan (Paris)
Gilbert Vassart (Bruxelles)
Éric Vivier (Marseille)            PHOTO DE COUVERTURE : © Aviesan ITMO Santé publique.

                                                                                          m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014   1
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
International journal of biology and medicine

                                                 2th ITMO Public health conference
       médecine/sciences
                                                        Personalized medicine and
                                                         biomedical innovations
    médecine/sciences a été le fruit                   Economic, ethical and social stakes
    d’une coopération entre
    le gouvernement de la République
    française et le gouvernement
                                                                in public health
    du Québec, à la suite d’une
    recommandation de
    la Commission permanente
                                                                            CONTENTS
    de coopération franco-québécoise.

    ÉDITEUR
                                                                            EDITORIAL
    EDP Sciences/Éditions EDK                                         4 Personalized medicine: illusion or revolution?
    109, avenue Aristide Briand                                             Jean-Paul Moatti
    92541 Montrouge Cedex, France
    Tél. : 01 41 17 74 05                                                   SESSION 1. THE BIG ECONOMIC, ETHICAL
    Fax : 01 49 85 03 45
    editorial@edk.fr                                                        AND SOCIAL STAKES IN PUBLIC HEALTH
                                                                            FOR PERSONALIZED MEDICINE
    IMPRIMEUR                                                         8 Personalized medicine: an elusive concept, diversified practices
    Corlet, Imprimeur, S.A.
    ZI route de Vire,                                                       Simone Bateman
    14110 Condé-sur-Noireau, France                                  14 Genomics from bench to bedside: a change in perspective
    N° 83406                                                                Catherine Bourgain
    INFOGRAPHIE, MISE EN PAGE                                               SESSION 2. NORTH-SOUTH EXCHANGES
    Desk
    25, boulevard de la Vannerie                                            AND BIOMEDICAL INNOVATIONS
    53940 St-Berthevin, France                                       18 The Millennia2015 Women and eHealth Study 2010-2012:
                                                                        networks and innovative programs
    SERVICE ABONNEMENTS                                                 Véronique Inès Thouvenot, Kristie Holmes
    EDP Sciences/Éditions EDK
    17, avenue du Hoggar
                                                                     23 Mathematical dynamical models for personalized medicine
    PA de Courtabœuf                                                    Rodolphe Thiébaut, Mélanie Prague, Daniel Commenges
    91944 Les Ulis Cedex A, France
    Tél. : 01 69 18 75 75                                                   SESSION 3. PERSONALIZED MEDICINE:
    Fax : 01 69 86 06 78                                                    WORSENING OR REDUCTION OF
    subscribers@edpsciences.org
                                                                            HEALTH DISPARITIES?
    PUBLICITÉ                                                        27 Personalized medicine: equity and access
    Claudine Trufer                                                         Yann Joly, Bartha M. Knoppers
    Tél. : 01 41 17 73 95                                            32 An economic perspective on targeted treatments
    claudine.trufer@edpsante.fr
                                                                            Valérie Seror
    Copyright© « Médecine/Sciences-                                  36 Personalized medicine, privatized medicine ? Legal and public
    Inserm ». Publication périodique                                    health stakes
    mensuelle. Tous droits de reprographie                              Emmanuelle Rial-Sebbag
    à des fins de vente,
    de location, de publicité ou de pro-
                                                                     41 Genetic testing, prevention and health care insurance markets
    motion réservés à l’éditeur.                                        David Bardey, Philippe De Donder
    Commission paritaire n° 1117 T 81597
    EDK, Paris, Dépôt légal :
    à parution
    ISSN n° 07670974
    ISSN électronique n° 1958-5381

    Indexée dans
    PubMed/Medline                                                 INDEX DES ANNONCEURS :   Aviesan ITMO Santé publique, 2e couv., 4e couv. - Bulletin
    Current Contents,                                              d’abonnement, p. 44.
    série Life Sciences
    EMBASE/Excerpta Medica
    PASCAL
    CABS
    BIOSIS

2                                            m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
Jeudi 5 décembre 2013
                        Grand auditorium de la
        Bibliothèque Nationale de France (BNF)
                Quai François Mauriac, Paris 13e
                Ouverture : sous la présidence du Pr André Syrota, président d’Aviesan
                         et du Pr Jean-Emile Gombert, président d’Athena

Session 1 : Les grands enjeux de santé publique,           Session 3 : La médecine personnalisée :
       économiques, éthiques et sociaux                           aggravatrice ou réductrice
         de la médecine personnalisée                              des inégalités de santé ?
Présidée par Florence Demenais (Inserm UMR 946)       Présidée par Anne Cambon-Thomsen
Conférence d’Ivo Gut                                  (Inserm UMR 1027)
(Centre Nacional d’Anàlisi Genòmica, Barcelone)       Conférence de Bartha Knoppers
- High content genome analysis in the age of          (McGill University, Montréal) - Bringing the Policy
personalised medicine                                 Challenges Into Focus
Conférence de Theresa Marteau                         – Valérie Seror (SESSTIM/IRD)- Perspectives
(University of Cambridge) - Disease Prediction        économiques sur les traitements ciblés
and Behaviour Change: three fallacies and a           – Emmanuelle Rial-Sebbag (UMR 1027,
challenge                                             Inserm/Université de Toulouse III) - Médecine
– Simone Bateman (CNRS, Cermes3, Villejuif) -         personnalisée ? Médecine privatisée ? Enjeux
Médecine personnalisée : un concept Áou,              juridique et de santé publique
des pratiques diversiÀées                             – David Bardey (Universidad de los Andes, Bogota
– Philippe Ravaud (Inserm, Université Paris           and Toulouse School of Economics) - Les tests
Descartes, Paris) - Médecine personnalisée            génétiques et leurs conséquences pour la gestion
ou médecine stratiÀée ? Un point de vue               du risque « santé »
épidémiologique
– Catherine Bourgain (Inserm, Cermes3, Villejuif) -
Génomique, de la recherche à la clinique :                                 Table ronde
questions autour d’un changement de perspective       Animée par Daniel Benamouzig (Directeur adjoint
                                                      ITMO Santé publique)
          Session 2 : Échanges Nord-Sud
           et innovations biomédicales                • Jean-Luc Sanne (Administrateur ScientiÀque,
                                                      Direction Générale Recherche et Innovation,
Présidée par Laurent Vidal (SESSTIM, IRD)             Direction Santé, Unité Médecine Personnalisée,
Conférence de Véronique Thouvenot                     Commission Européenne)
(Fondation Millennia2025, Genève) - Étude
Millennia 2015 Femmes et eSanté 2010-2012:            • Fabien Calvo (Directeur de l’ITMO Cancer
réseaux et technologies innovantes                    et directeur général adjoint de l’Institut national
                                                      du cancer)
Conférence d’Isaac Kohane
(Harvard Medical School) - Studying human             • Jean-François Delfraissy (Directeur de l’ITMO
disease at a national scale                           Maladies Infectieuses et directeur de l’Agence
– Michel Drancourt (IHU Méditerranée Infection,       nationale de recherches sur le sida et les hépatites
Marseille) - Diagnostic rapide des maladies           virales)
infectieuses et tropicales par le Point-of-Care
                                                      • Sophie Béjean (Responsable du GAMO
– Matthew Albert (Institut Pasteur/Inserm
                                                      Valorisation de l’alliance Athena et Présidente du
U818, Paris) - Integrating genetic and functional
                                                      Collège des Économistes de la Santé)
biomarkers using Point-of-Care diagnostic tools
– Rodolphe Thiébaut (Inserm, ISPED, Bordeaux) -       • Yannick Plétan (Vice-président de la Commission
Modèles mathématiques dynamiques pour la              des Affaires scientiÀques du Leem et directeur
médecine personnalisée                                médical de Roche)

                                                                        m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014   3
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
médecine/sciences 2014 ; 30 (hors série n° 2) : 4-7

    médecine/sciences

                                Éditorial                                                             Médecine personnalisée :
                                                                                                      chimère ou révolution ?

                                                                                                   Jean-Paul Moatti

                        Innovations technologiques :                                                             Robert Gordon, de l’université Northwestern (Illinois),
                        techno-pessimistes et techno-optimistes                                                  les « progrès rapides réalisés au cours des 250 der-
                                                                                                                 nières années pourraient bien représenter un épisode
                        En 1938, neuf ans après le déclenchement de la crise                                     unique de l’histoire humaine » [4]. Selon cette thèse,
                        économique la plus profonde jamais traversée par le                                      à la différence des inventions de la deuxième révo-
                        système capitaliste, l’économiste d’Harvard, Alvin Harvey                                lution industrielle, qui court du milieu du XIXe siècle
                        Hansen, alors conseiller du président américain Franklin                                 à celui du XXe (électricité, eau courante, transports
                        D. Roosevelt, évoquait dans un ouvrage la possibilité que                                automobile et aérien, téléphone, cinéma, télévision,
                        le monde soit entré dans une période de « stagnation                                     équipement ménager, etc) qui ont permis la globali-
                        séculaire » [1]. Les destructions massives de la seconde                                 sation progressive des échanges et de la consomma-
                        Guerre Mondiale et les nécessités de reconstruction qui                                  tion de masse, les innovations actuelles (nouvelles
                        en ont découlé, ainsi que les politiques keynésiennes de                                 technologies de l’information et de la communication,
                        relance par l’investissement public (dont Hansen était                                   biotechnologies, énergies renouvelables, etc), en dépit
                        lui-même un fervent partisan), ont eu raison de cette                                    des bouleversements profonds de la vie quotidienne
                        prédiction pessimiste. Fin 2013, cinq ans après le début                                 qu’elles apportent, ne se traduiraient pas par d’impor-
                        de la crise financière qui s’est traduite par la deuxième                                tants gains de productivité ; ceci serait confirmé par
                        récession la plus grave de l’histoire économique mondiale,                               la statistique selon laquelle la croissance de la pro-
                        un autre économiste d’Harvard, Lawrence Henry Summers,                                   ductivité américaine dans les huit décennies ayant
                        ancien conseiller des présidents américains B. Clinton et                                précédé l’année 1972 aurait été en moyenne supérieure
                        B. Obama, remettait au goût du jour ce concept de « sta-                                 d’environ 1 % par an en comparaison des quatre qui
                        gnation séculaire », à l’occasion d’une adresse devant le                                ont suivi jusqu’à aujourd’hui [5]. Pour les « techno-
                        Fonds monétaire international [2]. Le constat que la plu-                                optimistes », à l’inverse, cette vision sous-estime
                        part des économies, notamment celles des pays les plus                                   complètement le fait que « la croissance économique
                        avancés, dont ceux de l’Union européenne, ne soient tou-                                 se produit lorsque les gens prennent des ressources et
                        jours pas parvenus à retrouver les rythmes de croissance                                 les réarrangent de façon plus efficace » [6], et que
                        d’avant la crise de 2008 en dépit de taux d’intérêt proches                              les gains de productivité les plus importants découlent
                        de zéro, de taux d’inflation très faibles, et que les signes                             désormais de l’amélioration de l’efficacité du « capital
                        de reprise semblent s’accompagner systématiquement de                                    intellectuel » que favorisent les progrès actuels dans
                        la résurgence de « bulles » financières, entretient un vif                               l’obtention et l’analyse automatisée de l’information
                        débat dans les cercles académiques sur la possibilité que                                dans tous les secteurs de l’activité humaine [7, 8].
                        le monde soit entré dans une longue période de ralentisse-
                        ment de la richesse produite par habitant [3].                                           Impact de l’innovation en matière de santé :
                        Parmi les facteurs les plus âprement discutés pour expli-                                la médecine personnalisée
                        quer la menace d’une stagnation économique sur une
                        longue période, figurent au premier rang des prédictions                                 La médecine personnalisée : avenir des systèmes
                        opposées quant à l’impact des innovations technolo-                                      de santé ?
                        giques. Pour certains « techno-pessimistes », comme                                      En matière de santé, rien ne peut mieux illustrer ce
                                                                                                                 débat général sur l’impact de l’innovation que la
                        2e colloque de l’ITMO Santé publique, Médecine « personnalisée » et innovations biomé-   médecine dite « personnalisée ». Un rapport récent
                        dicales : enjeux de santé publique, économiques, éthiques et sociaux, 5 décembre 2013
                        (Grand auditorium de la Bibliothèque nationale de France, Paris 13e) dont le Comité
                                                                                                                 de la Fondation européenne de la science sou-
                        d’organisation était présidé par Jean-Paul Moatti.                                       ligne qu’elle est appelée à jouer un rôle sans cesse

4                           m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014
                            DOI : 10.1051/medsci/201430s201
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
croissant « dans l’avenir des systèmes de santé », et à                                         lancer les divers risques éthiques et sociaux que la médecine

                                                                                                                                                                        ÉDITORIAL
susciter des transformations radicales en ce qu’elle repré-                                     personnalisée ne peut aussi manquer de susciter.
sente « une nouvelle approche pour classifier, comprendre,
traiter et prévenir les maladies sur la base de données et                                      Médecine personnalisée : de quoi parle t-on ?
d’information prenant en compte les différences biologiques                                     Face aux promesses marketing, associées à la commerciali-
et environnementales entre les individus » [9]. Il n’est nul                                    sation de certains biomarqueurs, de « faire de chaque traite-
besoin de rappeler aux lecteurs de médecine/sciences que le                                     ment, un traitement unique » [11], les scientifiques ont raison
couplage entre la baisse spectaculaire des coûts de séquen-                                     de rappeler que la médecine dite personnalisée « ne signifie
çage du génome et de l’exome humains (d’un facteur 100 000                                      pas, au sens littéral, la création de médicaments et de procé-
au cours des cinq dernières années) permise par les nouvelles                                   dures thérapeutiques qui seraient uniques et individualisées
techniques à haut débit et les informations des biobanques                                      pour chaque patient, mais plutôt une capacité accrue de clas-
et des bases de données cliniques à grande échelle alimente                                     ser les individus en sous-groupes qui diffèrent dans leur sus-
une accélération sans précédent du progrès des connais-                                         ceptibilité de contracter une maladie donnée ou de répondre
sances biomédicales et de l’essor des thérapies ciblées gui-                                    à une thérapie spécifique » [12]. Les spécialistes de santé
dées par des biomarqueurs. On peut d’ailleurs se féliciter que                                  publique qui s’expriment dans ce numéro, rejoints en cela par
le rapport récent de la Commission Open Data en santé1, dont                                    nombre de biologistes et de cliniciens, préfèrent d’ailleurs par-
les principales recommandations sont reprises dans le projet                                    ler de « médecine stratifiée » ou de « médecine de précision »,
de nouvelle loi de santé publique qui devrait être examiné                                      dans la mesure où l’approche moléculaire ne fait en définitive
par le Parlement au début de 2015, facilite, dans le respect                                    qu’apporter un complément d’information aux facteurs classi-
des règles juridiques et déontologiques de protection de la                                     quement utilisés pour les classifications diagnostiques et pour
vie privée et d’anonymisation des informations individuelles,                                   guider les choix et options de prise en charge thérapeutique.
l’extension de ce couplage des données biomédicales aux                                         La nouveauté ne tient donc pas à un changement de nature
fins de recherche avec les grandes bases de données médico-                                     intrinsèque dans le raisonnement probabiliste qui caractérise
administratives qui recouvrent la quasi-totalité des pres-                                      la médecine moderne, mais plutôt à ce que les différents outils
criptions médicales et sanitaires dont bénéficie la popula-                                     « omiques » permettent d’identifier des facteurs pronostiques
tion française [10]. Nul besoin de rappeler aux chercheurs en                                   « ex ante », avant l’initiation de la thérapeutique, voire avant
biomédecine et en santé que la thématique de la médecine                                        le déclenchement même de la pathologie. C’est en ce sens, et
personnalisée est au cœur du défi « santé, évolution démo-                                      en ce sens seulement, que la médecine de précision diffère des
graphique et bien-être », l’un des sept « défis sociétaux »                                     approches médicales classiques, c’est-à-dire des « modèles
qui structure Horizon 2020, le nouveau programme pour la                                        adaptatifs et séquentiels où l’adaptation ultérieure de la
recherche et l’innovation de l’Union européenne dont va                                         thérapeutique dépend de la réponse observée chez le patient
dépendre pour une part significative leur financement des                                       suite à la mise en œuvre d’un traitement antérieur » [13].
cinq prochaines années.                                                                         C’est pourquoi généticiens d’une part, biostatisticiens et
La question demeure néanmoins posée de l’impact réel, éco-                                      bio-informaticiens d’autre part, peuvent aisément converger
nomique, social, éthique et de santé publique, des innovations                                  sur l’idée que « la génomique n’est pas suffisante » [14],
biomédicales qui s’inscrivent dans ce domaine, aux contours                                     et que l’obtention de prédictions individuelles de qualité
encore flous et évolutifs, de la médecine dite personnalisée.                                   suffisamment fiable pour s’avérer utile en pratique clinique
Les contributions rassemblées dans ce numéro de médecine/                                       ou à des fins d’intervention préventive, suppose des algo-
sciences - issues du 2e colloque de l’Institut thématique mul-                                  rithmes complexes prenant en compte l’interaction entre telle
tiorganismes santé publique (ISP) de l’Alliance des sciences de                                 ou telle anomalie moléculaire et les multiples autres facteurs
vie et de la santé (AVIESAN), qui s’est tenu le 5 décembre 2013                                 susceptibles d’influencer le pronostic et la réponse au trai-
à la Bibliothèque nationale de France - discutent justement                                     tement [15]. De ce point de vue, on peut se féliciter que le
ces enjeux, et notamment jusqu’à quel point ces promesses                                       plan d’action 2015 de l’Agence nationale de recherche inscrive
indéniables de retombées positives pour la prise en charge                                      dans ses priorités explicites le développement des « outils de
des patients se concrétiseront effectivement à l’échelle de la                                  bio-informatique, biostatistique et modélisation en biologie,
santé globale des populations, et feront plus que contreba-                                     recherche préclinique et clinique, épidémiologie intégrant les
                                                                                                données de la biologie à haut débit », et fasse de l’analyse des
                                                                                                « données massives » en biologie, biotechnologies et santé-
1
  « Le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, qui s’est tenu le
                                                                                                environnement un de ses principaux axes transversaux [16] ; et
17 juillet 2013, a confié au Ministère des Affaires sociales et de la Santé l’animation d’un    espérer que cela contribuera à rattraper le retard accumulé par
débat sur l’ouverture des données publiques de santé, porté par une commission associant les
différents acteurs concernés et ouvert aux contributions citoyennes. Cette commission a remis
                                                                                                notre pays en matière de personnel qualifié et de maîtrise des
son rapport à la Ministre, Mme Marisol Touraine en juillet 2014 (voir [10]).                    outils informatiques à des fins médicales.

                     m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014                                                                                                    5
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
La médecine personnalisée : dépasser les oppositions                 ciblées [19], conduisent là aussi à un jugement nuancé : si
    et identifier les paramètres et les choix pour                       les coûts par année de vie supplémentaire gagnée restent
    une innovation biomédicale bénéfique                                 de l’ordre de 20 000 € dans un certain nombre de cas, soit
                                                                         un chiffre équivalent à nombre d’innovations médicales des
    Face aux discours qui voient dans la médecine personnalisée          trente dernières années, ils peuvent souvent être multipliés
    un moyen de répondre à la montée générale de l’individualisme        par un facteur dix ou cinquante en fonction des caractéris-
    dans nos sociétés et à sa traduction dans les exigences crois-       tiques des tests et des molécules associées et des négocia-
    santes des patients (et de leurs associations) pour une relation     tions de prix et de remboursement auxquelles ces innovations
    médecin-malade moins « asymétrique », plus transparente              donnent lieu.
    et plus participative [17], les chercheurs en épidémiologie et       Dans le débat général, évoqué au début de cet éditorial, qui
    sciences sociales soulignent la complexité des processus cogni-      voit s’affronter techno-optimistes et techno-pessimistes
    tifs d’interprétation de l’information « prédictive » et le fait     parmi les économistes, certains s’efforcent aujourd’hui de
    qu’elle s’inscrit dans un processus « d’échange symbolique »         proposer un dépassement de cette opposition : plutôt que
    dont les effets ne sont pas toujours unilatéralement positifs        de discuter si les innovations d’aujourd’hui sont, ou non,
    [18]. Diverses contributions de ce numéro discutent également        moins porteuses de gains de productivité que celles d’hier,
    les possibles avantages, mais aussi les inconvénients, de la         ne faudrait-il pas se demander si c’est le concept même de
    diffusion de la médecine dite personnalisée en matière d’iné-        productivité, étroitement lié à la seule progression du produit
    galités de santé (entre pays développés et en développement,         intérieur brut, qui nécessite une remise en cause pour intégrer
    et à l’intérieur de chaque pays), et les risques de discrimination   dans sa mesure d’autres composantes du bien-être et du
    sociale, de transformations de la division du travail entre diffé-   développement humains [20]. Dans le même esprit, l’apport
    rentes spécialités et catégories de professionnels de santé, de      principal de ce numéro de médecine/sciences sera sans doute
    modifications entre les rôles respectifs du secteur public et du     de contribuer au dépassement des oppositions mécaniques
    marché privé dans la fourniture des biens et services de santé,      entre promoteurs de la médecine personnalisée et analystes
    ou de protection de la vie privée.                                   critiques de ses risques potentiels pour favoriser un dialogue
    Un des apports de l’économie à la compréhension de la dyna-          interdisciplinaire dans la communauté scientifique, et entre
    mique des dépenses de santé a été de montrer que le progrès          celle-ci et la société, pour mieux identifier les paramètres et
    biomédical est responsable du tiers, voire de la moitié, de la       les choix qui permettraient d’insuffler aux innovations biomé-
    hausse de ces dépenses sur une longue période, notamment             dicales issues de la génomique les trajectoires les plus favo-
    parce que la majorité des innovations en médecine obéissent          rables à l’amélioration du bien-être des populations.
    à une loi des rendements décroissants. Cette loi caractérise         Personalized medicine: illusion or revolution?
    les situations où une augmentation de l’utilisation de tous les      LIENS D’INTÉRÊT
    facteurs de production, dans une proportion donnée, se traduit       L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées
    par un accroissement du produit dans une proportion moindre.         dans cet article.
    Ces rendements d’échelle décroissants ont pour conséquence
    inévitable l’augmentation à long terme du coût moyen, et cela
    s’est avéré être le cas de la quasi totalité des innovations                                                                   J.P. Moatti
    médicamenteuses récentes dans les principales pathologies.                                               Université d’Aix-Marseille-AMU
    En permettant de mieux cibler les innovations coûteuses sur                                                    UMR 912 AMU-Inserm-IRD
    les sous-groupes de patients susceptibles d’en bénéficier, en                             (sciences économiques et sociales de la santé
    obligeant les firmes pharmaceutiques à concentrer les indi-                          et traitement de l’information médicale- SESSTIM)
    cations de leurs produits sur les niches où leur valeur ajoutée                                                                   UMR912
                                                                                                                   23, rue Stanislas Torrents,
    est effectivement maximale, la médecine personnalisée peut
                                                                                                                     13006 Marseille, France
    a priori apparaître comme un outil de maîtrise de l’impact                                                  jean-paul.moatti@inserm.fr
    des progrès sur les dépenses de santé. Encore faut-il que les
    gains d’efficacité que ces innovations permettent soient plus        RÉFÉRENCES
    que proportionnels aux surcoûts qu’elles induisent en matière
    d’ajouts de tests génomiques et d’inclusion dans le prix des          1. Hansen AH. Full recovery or stagnation? New York : W.W. Norton Eds, 1938.
                                                                          2. Summers LH. US economic prospects: secular stagnation, hysteresis, and the zero
    thérapeutiques, d’un amortissement de frais de recherche et              lower lound. Business Economics 2014 ; 49 : 65-73.
    développement élevés, voire de rentes de situation liées à une        3. Teulings C, Baldwin R (Eds). Secular stagnation: facts, causes and cures. London :
    position de monopole des fabricants. Les recherches évoquées             CPER Press, A Vox EU.org book, 2014.
                                                                          4. Gordon RJ. The demise of US economic growth: restatement, rebuttal, and
    dans ce numéro, comme une récente revue de la littérature                reflections. Boston: National Bureau of Economic Research, Working paper
    portant sur 84 études d’évaluation économique des thérapies              n° 19895, February 2014.

6                  m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
RÉFÉRENCES                                                                              13. Hingorani AD, Windt DA, Riley RD. Prognosis research strategy (PROGRESS) 4 :
                                                                                            stratified medicine research. Br Med J 2013 ; 346 : e5793.

                                                                                                                                                                                        ÉDITORIAL
                                                                                        14. Chakravarti A. Genomics is not enough. Science 2011 ; 334 : 15.
 5. Vijg J. The American technological challenge: stagnation and decline in the 21st
                                                                                        15. Thiebaut R, Hejblum B, Richert L. The analysis of Big Data in clinical research. Rev
    century. New York : Algora Pub, 2011.
                                                                                            Epidemiol Sante Publ 2014 ; 62 : 1-4.
 6. Bloom N, Romer PM, Terry SJ, Reenen JV. A trapped factors model of innovation. Am
                                                                                        16. http://www.agence-nationale-recherche.fr/fileadmin/aap/2015/pa-anr-2015-
    Eco Rev 2013 ; 103 : 208-13.
                                                                                            aap-generique.pdf
 7. Brynjolfsson E, Mcafee A. The second machine age: work, progress, and prosperity
                                                                                        17. Ginsburg GS, Haga SB. Translating genomic biomarkers into clinically useful
    in a time of brilliant technologies. New York : W.W. Norton Eds, 2014.
                                                                                            diagnostics. Expert Rev Mol Diagn 2006 ; 6 : 179-91.
 8. OCDE. Nouvelles sources de croissance : le capital intellectuel. Paris : OCDE
                                                                                        18. Sarradon-Eck A, Sakoyan J, Desclaux A, et al. They should take time: disclosure of
    Éditions, 2013.
                                                                                            clinical trial results as part of a social relationship. Soc Sci Med 2012 ; 75 : 873-
 9. European Science Foundation. Personalized medicine for the European citizen.
                                                                                            82.
    www.esf.org, Strasbourg, novembre 2012.
                                                                                        19. Hatz MHM, Schremser K, Rogowski WH. Is individualized medicine more cost-
10. Commission Open Data en Santé. Rapport à la Ministre des Affaires Sociales
                                                                                            effective? A systematic review. PharmacoEconomics 2014 ; 32 : 443-55.
    et de la Santé, 9 juillet 2014. http://www.drees.sante.gouv.fr/rapport-de-la-
                                                                                        20. Gadrey J, Jany-Catrice F. Les nouveaux indicateurs de richesse. Paris :
    commission-open-data-en-sante,11323.html.
                                                                                            La Découverte, 2012.
11. http://www.mammaprint.fr/
12. President’s Council of Advisors on Science and Technology. Priorities for
    personalized medicine. Washington DC: White House, September 2008. http://www.                                                          TIRÉS À PART
    whitehouse.gov/files/documents/ostp/PCAST/pcast_report_v2.pdf.                                                                          J.P. Moatti

                   m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014                                                                                                                      7
Médecine " personnalisée " et innovations biomédicales - 2e COLLOQUE DE L'ITMO SANTÉ PUBLIQUE
médecine/sciences 2014 ; 30 (hors série n° 2) : 8-13

    médecine/sciences
                                                                                              Session 1
                                                                                              Les grands enjeux
                                                                                              de santé publique,
     > Cet article propose une brève enquête sur
                                                                                              économiques,
     le champ de pratiques que recouvre le terme                                              éthiques
     « médecine personnalisée ». L’enquête identifie                                          et sociaux
     dans la littérature à ce propos quatre thèmes
     récurrents : une médecine faite sur mesure, ren-
                                                                                              de la médecine
     due possible par des technologies émergentes,                                            personnalisée
     où la génétique et la génomique occupent une
     place prépondérante, et qui nécessite le recueil
     d’un grand nombre de données. Il en ressort que                                          Médecine
     la médecine personnalisée, ainsi qualifiée, s’in-                                        personnalisée
     téresse moins à la singularité du cas de chaque
     patient qu’aux différences entre patients d’une
                                                                                              Un concept flou,
     même catégorie. Elle vise, avec l’aide de tech-                                          des pratiques diversifiées
     nologies de pointe, une objectivation accrue du                                          Simone Bateman
     recueil des données biologiques des patients, en
     vue d’améliorer les outils dont elle dispose pour                                                                              Centre de recherche médecine,
     faire des diagnostics, prendre des décisions thé-                                                                              sciences, santé, santé mentale,
     rapeutiques, voire mettre en place des mesures                                                                                 société (CERMES3),
     préventives plus efficaces. <                                                                                                  CNRS UMR 8211,
                                                                                                                                    Université Paris Descartes,
                                                                                                                                    EHESS, Inserm U988,
                                                                                                                                    Campus CNRS de Villejuif,
                                                                                                                                    7, rue Guy Môquet,
                                                                                                                                    94801 Villejuif, Cedex, France.
                                                                                                                                    simone.bateman@parisdes-
                                                                                                                                    cartes.fr
    Un nombre croissant de publications scientifiques
    annonce l’avènement d’une médecine dite personnali-
    sée – affirmation étonnante pour tous ceux qui ont pu                                   Si la médecine personnalisée échappe à une caractérisation précise,
    croire que la médecine impliquait déjà une attention                                    c’est en grande partie parce qu’elle s’affiche comme un objectif à
    à la singularité du cas de chaque personne, appréciée                                   atteindre plutôt que comme une réalité pratique à analyser. Tous
    dans sa globalité. Toutefois, malgré la récurrence de ce                                les protagonistes de ce débat semblent cependant s’accorder sur
    terme dans les débats sur l’avenir de la médecine, il est                               quelques traits indispensables à sa caractérisation comme person-
    difficile de trouver dans l’abondante littérature à ce                                  nalisée, et sur les conditions nécessaires à sa réalisation. Une défi-
    propos une définition consensuelle du terme. L’expres-                                  nition formelle de cette médecine paraît donc, dans l’immédiat, être
    sion « médecine personnalisée » elle-même ne fait                                       un exercice moins utile qu’une enquête sur ce dont il serait question
    pas l’objet d’un consensus, puisqu’elle génère aussi un                                 si une telle personnalisation de la médecine devait être mise en
    débat sur des formules alternatives qui lui seraient pré-                               œuvre. L’anglais permet de saisir cette distinction de façon plus
    férables : médecine de précision, médecine stratifiée,                                  concise : il s’agit non pas de savoir « what personalized medicine is,
    médecine prédictive, médecine génomique.                                                but what it is about ».
                                                                                            Parmi les récentes publications ayant fait état de l’avènement d’une
                                                                                            médecine personnalisée, il convient de signaler une série de rapports,
    Ce texte fait partie du numéro hors série n° 2/2014 de médecine/sciences (m/s           préparés par des instances scientifiques ou gouvernementales de
    hs2 novembre 2014, vol. 30,) relatant les interventions faites lors du 2e colloque de   plusieurs pays occidentaux et parus depuis 2008, ayant pour objectif
    l’ITMO Santé publique - Médecine « personnalisée » et innovations biomédicales :
    enjeux de santé publique, économiques, éthiques et sociaux (5 décembre 2013).           de « préparer le chemin » de cette nouvelle médecine. Ces rapports,

8                         m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014
                          DOI : 10.1051/medsci/201430s202
riches d’enseignements, illustrent cependant cette absence de                 tômes similaires peuvent avoir différentes maladies,
consensus, non seulement sur une définition du terme, mais aussi sur          avec des causes différentes ; et, de même, que des
le champ que le terme recouvre, sur le point d’entrée qu’il convient de       interventions médicales peuvent réussir chez certains
privilégier pour comprendre son développement, et sur les stratégies          patients ayant une maladie, mais pas chez d’autres
qu’il convient de mettre en œuvre pour y aboutir. Certains rapports           ayant apparemment la même maladie ([4], p. 2).

                                                                                                                                            SESSION 1
portent sur la médecine personnalisée elle-même [1-6] ; d’autres en        Toutefois, les précisions apportées dans la seconde
font état de manière subsidiaire, puisqu’ils portent principalement sur    citation indiquent que c’est moins la singularité du cas
des technologies qui la rendent possible (enabling technologies) et        de chaque patient qui fonde cette personnalisation
sur les structures qui lui sont associées [7-9], ou sur les difficultés    nouvelle que les différences entre individus apparte-
spécifiques que suscite une telle approche de la médecine [10-14].         nant à une même catégorie de patients. Le Comité de
Cette littérature comporte cependant un certain nombre de thèmes qui       bioéthique du Président des États-Unis précise, dans
reviennent avec insistance et qui nous permettent donc de mieux cer-       son rapport sur la médecine stratifiée, ce que veut dire,
ner de quoi on parle lorsque l’on se réfère aujourd’hui à « la médecine    d’un point de vue pratique, cette médecine faite aux
personnalisée ».                                                           mesures du patient :
                                                                              Dans la pratique,...la médecine personnalisée ne

                                                                                                                                              LES GRANDS ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE, ÉCONOMIQUES, ÉTHIQUES ET SOCIAUX DE LA MÉDECINE PERSONNALISÉE
Une médecine faite sur mesure                                                 signifie pas littéralement la création de médica-
                                                                              ments ou de dispositifs médicaux spécifiques pour
La plupart des rapports évoqués ci-dessus s’accordent au moins                chaque patient. Au contraire, il s’agit de la capacité
sur un point : la médecine personnalisée tient compte des caracté-            de classer les individus dans des sous-populations
ristiques individuelles de chaque patient. Curieusement, ces défi-            selon qu’ils sont ou non susceptibles de développer
nitions puisent leurs métaphores dans le vocabulaire de l’habille-            une maladie particulière ou sensibles à un traite-
ment : à la place de soins standardisés relevant d’une médecine à             ment spécifique. Des interventions à but préventif ou
taille unique (one size fits all), voire du « prêt-à-porter », et donc        thérapeutique seront alors proposées uniquement à
dispensés selon des catégories standard (âge, poids, symptômes,               ceux qui pourront en bénéficier, épargnant ainsi les
etc.), il s’agit de proposer des traitements « faits sur mesure »             frais et les effets secondaires aux autres ([1], p. 7).
(customised, tailored).                                                    En d’autres termes, la médecine personnalisée s’intéresse
   • La médecine personnalisée se réfère aux traitements médicaux          au patient, non pas en tant que personne dont l’état de
   « faits sur mesure » [the tailoring of medical treatment] selon les     santé et la situation sont appréciés dans leur globalité,
   caractéristiques individuelles de chaque patient ([1], p. 7)1.          mais en tant qu’individu faisant partie d’un groupe par-
   • La médecine personnalisée peut se décrire comme des soins de          ticulier de patients. Elle consisterait à mieux cerner et
   santé ajustés [customisation of healthcare], autant que possible,       comprendre ces différences entre patients, afin de créer
   aux différences individuelles, et ceci à toutes les étapes du pro-      de nouvelles catégories – les strates auxquelles se réfère
   cessus, de la prévention au diagnostic, au traitement, et au suivi      le terme « médecine stratifiée » – plus pertinentes que
   après traitement ([3], p. 13).                                          celles utilisées actuellement par la médecine.
   • …la promesse de la « médecine personnalisée »…consiste à pro-
   poser des traitements médicaux « faits sur mesure » [the tailoring      Une médecine habilitée par les technologies
   of medical treatment] selon les caractéristiques individuelles, les     émergentes
   besoins et les préférences de chaque patient ([4], p. 2).
   • La médecine personnalisée [est] un modèle médical où les soins        Les rapports cités plus haut attribuent le caractère
   médicaux sont « faits sur mesure » [customised] suivant le profil       inédit de cette nouvelle forme de personnalisation de
   de chaque patient ([5], p. 98).                                         la médecine à l’émergence de nouvelles technologies :
À première vue, cette description métaphorique de la médecine per-            • Le principe qui consiste à ajuster un traitement aux
sonnalisée ne diffère guère d’une conception plus classique de la prise       caractéristiques spécifiques de chaque patient n’est
en charge personnalisée du patient. Certains rapports reconnaissent           pas nouveau… Cependant, des progrès rapides en
ouvertement ce fait :                                                         génomique et biologie moléculaire, dont surtout le
   • Le principe qui consiste à ajuster un traitement aux caractéris-         séquençage du génome humain, promettent d’aug-
   tiques spécifiques du patient n’est pas nouveau ; il a toujours été        menter considérablement la capacité des médecins à
   l’objectif des médecins ([1], p. 7).                                       stratifier les patients de manière cliniquement utile
   • Le concept de médecine personnalisée n’est pas nouveau : les clini-      ([1], p. 7).
   ciens ont depuis longtemps observé que des patients ayant des symp-        • La nouveauté, ce sont les avancées dans un large
                                                                              éventail de domaines, de la génomique à l’imagerie
1
    Toutes les citations ont été traduites de l’anglais par l’auteur.         médicale à la médecine régénérative, ainsi que la

                         m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014                                                                    9
puissance accrue du calcul informatique et l’avènement des tech-           optimales de soin. C’est ce qui conduira le National
         nologies mobiles et sans fil ; ces avancées permettent aux patients        Cancer Institute américain à dire que la médecine per-
         d’être traités et surveillés de manière plus précise et efficace, et       sonnalisée est, tout simplement, une médecine géné-
         d’une façon qui répond mieux à leurs besoins individuels ([4], p. 2).      tiquement informée (genetically informed medicine)2.
     Le rapport du Nuffield Council for Bioethics sur les biotechnologies
     émergentes parle de « technologies habilitantes » (enabling techno-            Une médecine génétiquement informée
     logies), c’est-à-dire de technologies qui rendent possible cette forme
     de personnalisation :                                                          La génétique joue depuis presqu’un siècle un rôle
         Il est également important de reconnaître l’influence du dévelop-          dans la médecine, notamment auprès de familles
         pement technologique sur la science. Ce qui est devenu possible            chez lesquelles l’on constate la présence sur plusieurs
         dans les sciences de la vie est clairement influencé par l’intro-          générations d’une maladie grave, ou auprès de couples
         duction de nouvelles technologies. Parfois, ces technologies sont          confrontées à la naissance d’enfants ayant une affec-
         explicitement développées en réponse aux besoins perçus des                tion grave conduisant ou non à un décès. L’intérêt pour
         chercheurs en sciences de la vie, mais d’autres fois elles sont            les données génétiques n’est donc pas récent.
         développées dans d’autres contextes… Une fois mises au point,              De nombreux témoins identifient le projet Génome
         leur disponibilité commerciale et les améliorations apportées à            Humain, dont la mise en œuvre date de 1988, comme
         leur facilité d’utilisation permettent la diffusion rapide de ces          l’un des événements scientifiques ouvrant la voie à
         nouvelles techniques dans différents laboratoires et contextes de          cette nouvelle forme de personnalisation de la méde-
         recherche ([9], p. 99).                                                    cine. Francis S. Collins, médecin chercheur et directeur à
     Parmi les biotechnologies ayant un impact sur la personnalisation de           l’époque du National Human Genome Research Institute
     la médecine, les rapports citent la génomique, la pharmacogénétique,           (NHGRI) des National Institutes of Health (NIH), et à ce
     la pharmacogénomique et la bioinformatique. Les progrès en matière             titre responsable de la conduite de ce projet, déclare
     de séquençage, et la capacité à produire en moins de temps et à un             ainsi dans une conférence prononcée en 1999 :
     moindre coût la séquence du génome d’un individu, permettent ainsi                 Il y a une décennie, l’histoire de la biologie a été
     d’envisager une utilisation clinique de ce type de données. Par ailleurs,          transformée à jamais par l’audacieuse décision de
     le développement de biobanques, où sont conservés les échantillons                 lancer un programme de recherche qui caractéri-
     biologiques humains destinés aux recherches impliquant entre autres                serait, jusqu’aux derniers détails, l’ensemble des
     le séquençage, constitue un service technique complémentaire indis-                instructions génétiques de l’être humain… Les scien-
     pensable à cette forme de personnalisation [8]. Enfin les technologies             tifiques voulaient cartographier le terrain génétique
     de l’information et de la communication ont considérablement aug-                  humain, sachant que cela les conduirait à des
     menté leur puissance d’analyse et capacité de stockage des données                 connaissances précédemment inimaginables et de
     numériques (cloud-computing) ; de plus, elles jouent un rôle impor-                là au bien commun. Ce bien comporterait une nou-
     tant dans la diffusion au consommateur d’une offre de génomique dite               velle compréhension de l’apport de la génétique aux
     personnalisée (personalized genomics) qui se situe en parallèle, voire             maladies humaines et l’élaboration de stratégies
     même en concurrence avec l’offre plus encadrée de conseil et de prise              rationnelles pour minimiser ou prévenir complète-
     en charge proposée par l’institution médicale [7].                                 ment les phénotypes des maladies ([15], p. 28).
     Le rapport du Nuffield Council propose ainsi une définition de la méde-        L’importance accordée à ce tournant pour l’avenir de la
     cine personnalisée qui met davantage en évidence le rôle crucial des           médecine a conduit le New England Journal of Medicine
     technologies :                                                                 (NEJM) à publier, de novembre 2002 à septembre 2003,
         Médecine personnalisée : un concept qui reflète la confluence de           une série d’articles de synthèse (review articles) sous
         différentes disciplines et démarches scientifiques, technologiques         la rubrique « Genomic Medicine », et ceci en libre
         et sociales. Le terme a plusieurs sens, mais parmi ceux-ci, il y a celui   accès pour que l’ensemble de la communauté médicale
         d'une médecine « faite sur mesure » [the tailoring of medicine]            puisse en bénéficier. Cette initiative sera renouvelée,
         selon les caractéristiques biologiques de patients spécifiques ou de       sous le même intitulé, entre mai 2010 et février 2012.
         groupes de patients (pharmacogénétique, médecine stratifiée). La           Francis Collins est un fréquent contributeur aux deux
         technologie habilitante de base [basic enabling technology] de la          séries, cosignant notamment avec Alan Guttmacher
         médecine personnalisée est la biologie moléculaire ([9], p. 192).          plusieurs articles, dont les articles de lancement de
     Remarquons que l’ensemble de connaissances et d’outils techniques              chaque série : « Genomic Medicine – A Primer » [16]
     mis en œuvre pour servir cette démarche converge essentiellement vers          et « Genomic Medicine – An Updated Primer » [17]. Le
     la caractérisation du profil génomique de la personne. Cette insistance
     sur la valeur de celui-ci pour la prise en charge souligne le caractère        2
                                                                                      http://www.cancer.gov/aboutnci/servingpeople/cancer-research-progress/
     central de l’information génétique pour déterminer les catégories              therapeutic-platform

10                  m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014
fait que Collins ait été nommé directeur des NIH en 2009 est aussi une          L’Alliance mondiale pour la génomique et la santé
indication de l’importance accordée à la médecine génomique comme               (Global Alliance) a été créée pour accroître la capa-
visée de la recherche biomédicale.                                              cité de la médecine génomique à faire progresser la
Le rapport du Nuffield Council sur les biotechnologies émergentes [9]           santé humaine. Elle réunit plus de 220 institutions
– tout comme le New England Journal of Medicine – classe la médecine            de premier plan travaillant dans les soins de santé,

                                                                                                                                                SESSION 1
personnalisée comme l’une des formes possibles de ce qu’ils appellent           la recherche, la défense des droits des patients,
une « médecine génomique ». Comme Collins, le rapport attribue                  les sciences de la vie et les technologies de l’infor-
l’intérêt croissant pour cette personnalisation génomique de la méde-           mation. Les partenaires de l’Alliance mondiale se
cine aux avancées que représente le projet Genome Humain (HGP) et               sont associés pour créer un cadre commun et pour
les autres recherches qui lui sont associées : les études d’association         harmoniser leurs approches du partage responsable,
pangénomique (GWAS), le projet de catalogue des haplotypes (Hap-                volontaire et sécurisée de données génomiques et
Map), ou l’étude des éléments fonctionnels du génome (ENCODE).                  cliniques3.
Mais, à la différence de Collins, il en souligne les limites :               Certains chercheurs estiment également qu’il est néces-
    Pendant les premières années du XXIe siècle, la façon dont l’abou-       saire de compléter la collecte de données génétiques
    tissement du projet génome humain conduirait à une nouvelle              par celle de données cliniques. Ainsi, des chercheurs de

                                                                                                                                                  LES GRANDS ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE, ÉCONOMIQUES, ÉTHIQUES ET SOCIAUX DE LA MÉDECINE PERSONNALISÉE
    ère de la médecine, axée sur la prédiction et la prévention de           plusieurs institutions américaines ont pris l’initiative de
    maladies plutôt que sur leur guérison, a fait l’objet de discus-         créer, en 2007, un consortium afin d’étudier la meilleure
    sions. Ce changement découlerait du recours à des techniques de          manière d’exploiter à des fins de recherche les données
    diagnostic plus puissantes… et de l’utilisation de l’information         de dossiers médicaux électroniques :
    ainsi produite pour instruire des changements dans les modes                Le Electronic Medical Records and Genomics
    de vie, les produits pharmaceutiques faits sur mesure [tailored             Network (eMERGE) est un consortium financé par
    pharmaceuticals], et la thérapie génique. Malgré l’enthousiasme             le National Human Genome Research Institute,
    qui entoure la réalisation du projet génome humain,... la mise en           et engagé dans l’élaboration de méthodes et de
    place d’un système d’innovations qui intègre la génomique dans              bonnes pratiques pour l’utilisation du dossier
    les soins de santé s’est avérée plus complexe qu’une simple ques-           médical électronique comme outil de recherche
    tion de diffusion technique ([9], p. 28).                                   en génomique… Le réseau a joué un rôle majeur
En effet, cette médecine requiert, pour la rendre effective, que soient         dans la validation du concept que les données
menées des recherches sur une masse considérable de données ; car               cliniques provenant de dossiers médicaux électro-
rappelons-nous, il s’agit non pas d’avoir plus de données sur chaque            niques peuvent être utilisées avec succès dans la
individu, mais d’avoir des données sur des populations, permettant              recherche en génomique [18].
théoriquement de mieux cerner les critères qui permettront aux méde-         Depuis, en 2010, le National Research Council (NRC)
cins de distinguer les patients entre eux et donc de mieux les soigner.      américain, dans son rapport sur la « médecine de
                                                                             précision » [2] a préconisé la collecte de données
Une médecine avide de données                                                observationnelles en situation clinique, en vue d’ali-
                                                                             menter un réseau commun de données pouvant servir
La réalisation d’une médecine personnalisée fondée sur une meilleure         la communauté de recherche. Dans ce même but, le
exploitation clinique des caractéristiques génétiques de chaque patient      National Health Service (NHS) du Royaume-Uni a créé,
suppose l’existence de connaissances solides sur les variants génétiques     en janvier 2014, une base de données – le « care.data
associés aux différentes maladies. Les connaissances aujourd’hui à notre     programme » – ayant pour objectif de centraliser les
disposition ne sont pas négligeables, mais elles sont pour la plupart        informations contenues dans les dossiers médicaux
limitées à des maladies à transmission mendélienne. L’identification         du NHS, à des fins de recherches. Cette initiative vise
de variants associés aux autres maladies non mendéliennes implique la        globalement les problèmes liés à la qualité du service
collecte de données à des fins de recherche sur des groupes élargis de       proposé par la NHS. La médecine personnalisée n’est
patients. Leur utilité pour la prise en charge clinique du patient ne peut   pas explicitement mentionnée, mais l’objectif est indé-
être établie que sur le long terme. De tels travaux de recherche sont en     niablement présent :
cours depuis plusieurs années (GWAS, PheWAS). Mais, pour le moment,             Accepter de partager des informations sur les soins
les résultats sont plutôt décevants, les variants génétiques identifiés         que vous avez reçus nous aide à comprendre les
n’ayant souvent qu’une valeur prédictive faible.                                besoins de santé de chacun et la qualité du traite-
Cette nécessité de travailler sur de grandes populations a incité les           ment et des soins dispensés, il nous aide à réduire les
chercheurs à prendre des initiatives en vue de mettre en commun leurs           inégalités dans les soins dispensés… Ces informations
données de recherche. En 2013, plusieurs institutions de recherche se
sont réunies à cette fin sous le nom de Global Alliance :                    3
                                                                                 http://genomicsandhealth.org/about-global-alliance

               m/s hors série n° 2, vol. 30, novembre 2014                                                                                 11
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