Mémoire pour les consultations prébudgétaires en prévision du budget de 2021 - Payer pour la reprise que nous voulons

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Mémoire pour les consultations
  prébudgétaires en prévision du
         budget de 2021

Payer pour la reprise que nous voulons
             Institut Broadbent,

              Le 7 août 2020

                                         1
Recommandation 1 : Que le gouvernement instaure un impôt progressif sur la fortune afin de permettre aux
Canadiens les plus riches de verser une contribution adaptée à leur richesse destinée à réparer les dommages subis
par les finances publiques en raison de la COVID-19.

Recommandation 2 : Que le gouvernement modifie son régime fédéral d’impôt sur le revenu en imposant une plus
grande part du revenu avant impôt du 1 % des contribuables ayant les revenus les plus élevés afin de le rendre plus
progressif.

Recommandation 3 : Que le gouvernement mette fin aux allégements fiscaux lorsque seulement une partie du
revenu gagné est imposée, comme dans le cas des dividendes, des gains en capital et des options d’achat d’actions,
et qu’il s’attaque à l’évasion fiscale.

Recommandation 4 : Que le gouvernement mette en œuvre une réforme de l’impôt sur les sociétés, en éliminant
les réductions d’impôt sur les sociétés, afin de mettre fin aux subventions aux entreprises et aux incitatifs inefficaces
à l’investissement.

Recommandation 5 : Que le gouvernement mette en place un fonds souverain destiné à contribuer à une reprise
économique verte.

Recommandation 6 : Que le gouvernement augmente les taxes à la consommation et les taxes de vente une fois
que la récession économique sera terminée, afin d’investir dans une reprise économique verte et ainsi réagir à la
crise climatique mondiale.

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Introduction

Avant l’avènement de la COVID, le monde commençait tout juste à saisir l’ampleur des changements qui devront
être apportés au cours de la prochaine décennie afin d’éviter un effondrement généralisé des écosystèmes causés
par les changements climatiques. En fait, la pandémie nous a donné à réfléchir aux graves lacunes de nos systèmes,
qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, des normes d’emploi et du soutien du revenu. Nous avons été contraints
de regarder en face les inégalités et les injustices de longue date que les Autochtones, les femmes, les Noirs et
d’autres groupes racialisés subissent depuis des années. Ils ont subi certains des pires effets du virus.

Un régime fiscal bien équilibré, bien conçu et équitable peut contribuer à une société bien équilibrée, intelligente et
juste. La plupart des Canadiens appuient un tel arrangement, mais notre régime fiscal actuel rate la cible. Bon
nombre des décisions que les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada et les gouvernements d’autres
démocraties industrialisées ont prises en ce qui a trait aux recettes publiques au cours des 30 dernières années
n’ont pas donné suite aux avantages promis, et ce, même si elles ont coûté cher.

Surtout, depuis les années 1980, nous avons réussi à effectuer un transfert de richesse sans précédent vers une
petite minorité qui avait le moins besoin d’aide tout en imposant l’austérité à la majorité de la population. Ceci a eu
pour effet d’entraîner une recrudescence des inégalités et de l’insécurité.

Le principal facteur de la recrudescence spectaculaire des inégalités est l’élargissement des profits d’un groupe
concentré dans le contexte d’un milieu de travail de plus en plus précaire et de la stagnation des salaires sur le
marché du travail.

Les gouvernements ont exacerbé le problème en imposant une cure d’amaigrissement aux programmes de soutien
du revenu comme l’aide sociale et l’assurance-emploi et en rendant le régime fiscal plus inégal. Depuis 1980, le taux
d’imposition de la tranche de revenu supérieure est passé de 431 à 33 %2, et l’impôt sur les sociétés est passé de
363 à 15 %4, ce qui est incroyablement bas. Les allégements fiscaux sur les revenus de placements sont également
devenus plus généreux au fil du temps5. Tous ces changements dans le système ont largement profité aux riches.

Ces réformes ont fait beaucoup plus que donner un répit injuste aux riches. L’OCDE calcule que les recettes fiscales
du Canada ont chuté de 34,7 % du PIB en 2000 à 33,0 % en 2019 (bien en deçà de la moyenne de l’OCDE de
34,3 %)6. Cela se traduit par une perte de recettes fiscales annuelles de près de 50 milliards de dollars.

La majeure partie des économies découlant des réductions d’impôt se sont accumulées dans les bilans du secteur
privé sous forme de réserves7 de liquidités, ont financé le transfert d’emplois et d’activités à l’extérieur du pays,
ainsi que le rachat d’actions par les banques et les paiements de dividendes que les sociétés n’auraient pas pu se
permettre d’effectuer autrement.

Nous avons également gaspillé notre richesse en ressources, une erreur douloureuse et funeste pour une économie
axée sur les ressources. L’exemple de la Norvège hante le Canada. Ce pays a créé un régime fiscal inspiré de nos
propres politiques alors que des ententes ont été mises en place dans les années 1970 par les gouvernements
Lougheed de l’Alberta et Blakeney de la Saskatchewan qui ont judicieusement utilisé les recettes publiques tirées du
pétrole pour investir dans la santé économique future. Et puis les Norvégiens ont continué d’utiliser ces recettes de
la même façon. Par conséquent, la Norvège a converti trois décennies d’exploitation des ressources naturelles en
capital d’investissement public s’élevant à plus de 1,18 milliard de dollars, ce qui est amplement suffisant pour

1
    https://www.budget.gc.ca/pdfarch/1981-pap-fra.pdf.
2
    https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/impot/particuliers/foire-questions-particuliers/taux-imposition-canadiens -particuliers-
annee-courante-annees-passees.html.
3
    https://bdp.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/fr_CA/ResearchPublications/201144E?.
4
    https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/impot/entreprises/sujets/societes/taux-impot-societes.html.
5
    https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/broadbent/pages/7061/attachments/original/1518552577/Cinq_NonSens_Sondage.pdf?1518552577.
6
    https://www.oecd.org/tax/revenue-statistics-canada.pdf.
7
    http://www.progressive-economics.ca/2014/03/14/corporate-cash-stash-surpasses-national-debt.
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financer la diversification de la Norvège, qui délaisse les combustibles fossiles pour se tourner vers une économie
de plein emploi durable et prospère. Au lieu de cela, les Canadiens, tant au palier fédéral que provincial, ont écouté
les charlatans financiers et ont décidé de se débarrasser des ressources naturelles de notre pays.

Après avoir choisi de concentrer la richesse entre les mains d’une infime proportion de nos citoyens, de financer le
tarissement de notre économie et de dilapider la valeur de nos ressources naturelles, nous avons choisi de tenter
de compenser nos recettes fiscales inadéquates en imposant l’austérité à la plupart de nos citoyens. Les services
publics établis dans le cadre de meilleures politiques antérieures ont été mis à rude épreuve pendant des
décennies, notamment nos systèmes de soins de santé publique, de soutien du revenu et d’éducation publique.

Toutefois, nous avons des choix – des choix abordables. Les inégalités flagrantes, le tarissement de notre économie
et le don de nos ressources naturelles à de riches sociétés ne sont pas des lois naturelles immuables, pas plus que
l’austérité. Il s’agit simplement des résultats de mauvaises décisions politiques prises en fonction d’arguments qui
se sont révélés faux.

La nature particulière de la crise actuelle de la COVID-19, une pandémie mondiale dont on ne voit pas la fin, exige
une réponse très différente des solutions mises en œuvre au cours des plus récentes récessions. Les décideurs
doivent également tenir compte de la façon dont les choix politiques qui ont précédé et suivi la Grande Récession de
2008-2009 ont créé des conditions qui ont rendu les coûts de cette crise beaucoup plus élevés qu’ils ne l’auraient été
autrement. Notre stratégie d’aujourd’hui doit être fondée sur la compréhension de la vulnérabilité de notre monde
face à des crises comme la COVID-19 et sur la nécessité de rebâtir notre résilience. L’objectif de la reprise post-COVID
n’est pas de revenir à la « normalité » boiteuse d’avant la COVID, mais plutôt de transformer le Canada en un pays
plus égalitaire, durable et productif qui joue son rôle dans un monde meilleur.

RECOMMANDATIONS

Nous proposons six domaines d’intérêt pour accroître les recettes fédérales :

      1.   Un impôt progressif sur la fortune devrait s’appliquer à la richesse extrême.

En fait, la richesse est une meilleure façon d’évaluer la capacité de payer que le revenu, qui peut varier
considérablement au fil du temps. Certains prétendent que les riches paient déjà de l’impôt sur leur revenu de
placement, mais ce n’est souvent qu’une petite partie de la richesse qui s’accumule d’une année à l’autre. Un récent
rapport de l’Institut Broadbent sur l’impôt sur le patrimoine a révélé qu’un simple impôt modeste sur le patrimoine
sur tous les actifs financiers et non financiers peut générer d’importants revenus tout en luttant contre les inégalités
croissantes8.

À court terme, un impôt sur la fortune permettrait aux Canadiens les plus riches de verser une contribution adaptée
à leur richesse destinée à réparer les dommages subis par les finances publiques en raison de la COVID-19 et pour
mettre en œuvre le plan de relance économique nécessaire. À plus long terme, cette mesure aura pour effet
d’atténuer les inégalités sociales et économiques flagrantes qui existent au Canada et permettra aux gouvernements
de bâtir une société plus équitable. On a présenté de nombreuses options d’impôt sur la fortune au Canada et aux
États-Unis. Le directeur parlementaire du budget a récemment estimé qu’un impôt de 1 % sur la richesse de plus de
20 millions de dollars rapporterait environ 70 milliards de dollars sur 10 ans, même si un niveau réaliste d’évasion
fiscale était pris en compte dans les calculs9.

8
  https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/broadbent/pages/7711/attachments/original/1592491105/The_Case_for_a_Wealth_Tax_in_Canada_-
_Report.pdf?1592491105.
9
  https://nationalpost.com/news/politics/election-2019/federal-ndps-proposed-super-wealth-tax-could-raise-70b-over-10-years-budget-watchd
og-finds.
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2.   L’impôt fédéral sur le revenu devrait être plus progressif

Bien que la structure du taux d’imposition au Canada soit modérément progressive sur la majeure partie de
l’échelle des revenus, – elle prélève une plus grande part des revenus antérieurs à l’impôt sur le revenu des mieux
nantis – les impôts du 1 % des plus riches sont considérablement réduits par le traitement préférentiel accordé à
certains types de revenus plus courants chez les riches. Le taux d’imposition le plus élevé au Canada est également
inférieur à celui de nombreux autres pays. La réforme de l’impôt sur le revenu devrait cibler ces augmentations au
1 % des plus riches (dont le revenu est supérieur à environ 250 000 $), ainsi qu’à ceux se situant à la limite
supérieure de cette fourchette, soit 0,1 % des plus riches (dont le revenu annuel est supérieur à un demi-million de
dollars) qui devraient payer un taux beaucoup plus élevé.

        3.   Mettre fin aux allégements fiscaux pour les riches et lutter contre l’évasion fiscale.

Seulement la moitié des gains en capital et des options d’achat d’actions sont imposables, alors que les salaires le
sont à 100 %. Le crédit d’impôt pour dividendes réduit également l’impôt réel des très rares Canadiens qui gagnent
un revenu de placement important ne provenant pas des régimes de pension et des REER 10. Il faut cesser d’offrir ces
allégements fiscaux. En outre, il faut également mettre fin à l’évasion fiscale des très riches au moyen d’abris fiscaux
extraterritoriaux – au moyen de vérifications beaucoup plus intensives, de pénalités plus sévères et de l’abolition des
accords fiscaux conclus avec des pays utilisés comme paradis fiscaux.

        4.   Fin du bien-être des entreprises.

Depuis les années 1980, le taux d’imposition du revenu des sociétés a diminué de façon constante, et les recettes
provenant de l’impôt sur les sociétés ont diminué par rapport au PIB. Bien que divers gouvernements fédéral et
provinciaux aient justifié ces taux d’imposition moindres comme un moyen de stimuler l’investissement des
entreprises, ce taux d’investissement a, en fait, diminué. En fait, les réductions de l’impôt sur les sociétés ne sont
pas pertinentes pour la plupart des décisions d’investissement, qui sont influencées en grande partie par les
ressources et les richesses intellectuelles, l’infrastructure publique, les compétences de la main-d’œuvre disponible,
les crédits d’impôt et les subventions ciblés, notamment ceux offerts pour la recherche et le développement. La
réforme de l’impôt sur les sociétés devrait éliminer les réductions d’impôt généralisées et mettre davantage
l’accent sur des incitatifs à l’investissement plus efficaces.

        5.   Dans la mesure où les finances le permettent, les revenus de l’exploitation des ressources devraient
             être mis en commun dans un fonds souverain, afin d’être investis dans une reprise économique verte.

Le gouvernement du Canada et les provinces productrices des énergies fossiles (Colombie-Britannique, Alberta,
Saskatchewan et Terre-Neuve) ont probablement raté l’occasion unique de transformer l’essor pétrochimique des
40 dernières années en capital conduisant à la transformation. Il s’agit peut-être de la pire erreur financière que les
gouvernements aient commise dans l’histoire du Canada, une erreur que tous les Canadiens devront payer, surtout
au moment où nous commençons à faire le point sur les lourds déficits environnementaux que les bénéficiaires de
dons en ressources privés du Canada souhaitent faire payer par l’État. Ces coûts sont notamment les dépenses liées
aux puits orphelins et à l’assainissement des terres. Ces coûts sont si exorbitants qu’ils pourraient éclipser les coûts
associés au programme d’urgence de la COVID-19 actuel du gouvernement fédéral.

Cependant, certains revenus pourraient être récupérés. Le gouvernement du Canada, par exemple, pourrait
s’affranchir de sa dépendance financière aux revenus ponctuels tirés des ressources et les rediriger vers un
fonds souverain qui n’investirait que dans des projets de diversification économique durable et de
décarbonisation.

10
     https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/broadbent/pages/7061/attachments/original/1518552577/Cinq_NonSens_Sondage.pdf?1518552577.
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6.   Augmenter les taxes à la consommation (ventes) et les primes de sécurité sociale.

Au Canada, les gouvernements sont extrêmement dépendants de l’impôt sur le revenu, qui a été attaqué et érodé,
ainsi que des revenus tirés des ressources, qui ont été gaspillés comme nous l’avons décrit plus haut. Par exemple,
les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) révèlent que les Canadiens
paient beaucoup moins que leur revenu en taxes de vente utilisées pour contribuer aux programmes de sécurité
sociale que les citoyens des pays européens11.

Bien que ces taxes soient souvent considérées comme étant régressives, même les taxes uniformes profitent le plus
aux groupes à faible revenu, dans la mesure où les recettes sont consacrées à des programmes progressifs,
universels et fondés sur les besoins. En fait, en vertu de ce qu’on a appelé l’aubaine discrète du Canada, la grande
majorité des citoyens de ce pays reçoivent beaucoup plus de valeur des programmes de sécurité sociale et d’autres
services publics qu’ils ne paient en impôts qui contribuent à les financer12.

Voici un excellent exemple : les taxes sur le carbone et les redevances semblables liées aux dommages causés à
l’environnement devraient également faire partie des réponses de nos gouvernements à la crise climatique
mondiale – à la fois pour encourager les comportements et investir collectivement dans un avenir de soins
adéquats pour l’environnement et pour les personnes touchées par la pollution environnementale et la crise
climatique.

Toutefois, en dépit de cette aubaine discrète, il serait imprudent d’augmenter les taxes à la consommation en cette
période de récession économique. Bien qu’elles fassent partie intégrante de notre trousse d’outils fiscaux, ces taxes
ne devraient être augmentées que dans le contexte d’une réforme fiscale fondamentale.

11
     https://www.oecd.org/tax/revenue-statistics-canada.pdf.
12

https://www.policyalternatives.ca/sites/default/files/uploads/publications/National_Office_Pubs/2009/Les_avantages_tires_des_services_publics
.pdf.
                                                                                                                                          6
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