" NOUS AVONS POUR ORDRE DE VOUS ÉCRASER " - LA RÉPRESSION CROISSANTE DE LA DISSIDENCE EN IRAN

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« NOUS AVONS
POUR ORDRE
DE VOUS ÉCRASER »
LA RÉPRESSION CROISSANTE
DE LA DISSIDENCE EN IRAN
" NOUS AVONS POUR ORDRE DE VOUS ÉCRASER " - LA RÉPRESSION CROISSANTE DE LA DISSIDENCE EN IRAN
TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES................................................................................................ 2

1. INTRODUCTION..................................................................................................... 4

2. LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET D’ASSOCIATION DE PLUS EN PLUS RESTREINTE.. 11

   2.1 LOIS ET POLITIQUES LIMITANT LA LIBERTÉ D’EXPRESSION .......................... 13

   2.2 RESTRICTIONS DE LA LIBERTÉ D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION .................. 17

3. DE L’ARRESTATION À L’EXÉCUTION : LES SCHÉMAS DE VIOLATIONS DES DROITS
HUMAINS ................................................................................................................ 22

   3.1 LA TORTURE ET LES AUTRES FORMES DE MAUVAIS TRAITEMENTS EN
   DÉTENTION ......................................................................................................... 23

   3.2 DES CONDITIONS DE DÉTENTION DÉPLORABLES ......................................... 24

   3.3 PROCÈS INIQUES ........................................................................................... 25

4. QUI SONT LES CIBLES ? ....................................................................................... 28

   4.1 LES ORGANISATIONS DE DÉFENSE DES DROITS HUMAINS ET LEURS
   MEMBRES ........................................................................................................... 28

   4.2. LES AVOCATS ............................................................................................... 32

   4.3 LES DÉFENSEURS DES DROITS DES FEMMES ................................................ 36

   4.4 MILITANTS POUR LES DROITS HUMAINS ISSUS DE MINORITéS ................... 38

   4.5 CINEASTES..................................................................................................... 39

   4.6 BLOGUEURS .................................................................................................. 40

   4.7 JOURNALISTES .............................................................................................. 46

   4.8 DIRIGEANTS POLITIQUES ET MILITANTS....................................................... 48
" NOUS AVONS POUR ORDRE DE VOUS ÉCRASER " - LA RÉPRESSION CROISSANTE DE LA DISSIDENCE EN IRAN
4.9 LES SYNDICALISTES ........................................................................................51

   4.10 ÉTUDIANTS ET UNIVERSITAIRES ..................................................................53

   4.11 PERSONNES LESBIENNES, GAYS, BISEXUELLES ET TRANSGENRES ..............56

   4.12 MINORITÉS ETHNIQUES ET RELIGIEUSES ....................................................57

   4.13 PERSONNES EN LIEN AVEC L’ORGANISATION IRANIENNE DES
   MOUDJAHIDIN DU PEUPLE (OIMP) .....................................................................64

5. AU‐DELÀ DES FRONTIÈRES IRANIENNES .............................................................66

6. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ..............................................................69

NOTES......................................................................................................................72
" NOUS AVONS POUR ORDRE DE VOUS ÉCRASER " - LA RÉPRESSION CROISSANTE DE LA DISSIDENCE EN IRAN
4   « Nous avons pour ordre de vous écraser. »
     La répression croissante de la dissidence en Iran

1. INTRODUCTION

« Celui qui l’interrogeait lui a dit : "Nous
avons pour ordre de vous écraser et si
vous ne coopérez pas, nous pouvons
faire ce que nous voulons de vous et si
nous n’écrivez pas votre déposition,
nous vous forcerons à la manger" ».
Mahdieh Mohammadi, épouse du journaliste emprisonné Ahmad Zeidabadi, dans un
entretien avec Radio Farda, en septembre 20091

Le 14 février 2011, des milliers d’Iraniens, encouragés par les manifestations de
masse qui ont balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, ont défié une
interdiction gouvernementale en manifestant à Téhéran et dans d’autres villes.
La milice paramilitaire Bassidj et d’autres forces de sécurité ont réagi en tirant
sur les manifestants, en leur jetant des gaz lacrymogènes et en les frappant
avec des matraques avant d’arrêter un grand nombre d’entre eux. Dans le
sillage du renversement des gouvernements autocratiques en Tunisie et en
Egypte, les autorités iraniennes ne voulaient prendre aucun risque.

Ce sont les dirigeants de l’opposition Mehdi Karroubi et Mir Hossein Mousavi qui
ont appelé à manifester par solidarité avec la population de Tunisie et d’Égypte
et ces manifestations ont été les premières démonstrations publiques
importantes de l’opposition depuis que les autorités iraniennes ont écrasé dans
une extrême violence les grandes manifestations qui avaient éclaté et s’étaient
poursuivies pendant six mois à la suite des résultats contestés des élections
présidentielles en juin 2009, et qui avaient atteint leur point culminant lors de la
fête religieuse d’Achoura en décembre 2009.

Apparemment sans ironie, le Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei,
a célébré les soulèvements en Tunisie et en Égypte, déclarant qu’ils reflétaient
un « éveil islamique » fondé sur la révolution iranienne de 19792. Les dirigeants
iraniens ont aussi soutenu les Bahreïnites qui manifestaient pour leurs droits3.
Cependant, en 2009, l’Iran a exercé une répression sans pitié envers les
Iraniens qui exprimaient le même désir que celui des Tunisiens, des Égyptiens et
des Bahreïnites manifestant pour leurs droits politiques et la justice sociale. En
février 2011, un simple appel à des manifestations de solidarité a suffi pour faire
placer Mehdi Karroubi et Mir Hossein Mousavi en résidence surveillée, pour
bloquer les sites Internet d’opposition et arrêter des centaines de militants
politiques et d’autres personnes.

Amnesty International février 2012          Index : MDE 13/002/2012
« Nous avons pour ordre de vous écraser. »5
                                  La répression croissante de la dissidence en Iran

Les manifestations qui en ont découlé en 2011 dans plusieurs villes d’Iran ont
été dispersées par la force et des mesures supplémentaires ont été prises pour
étouffer l’opposition et faire taire les critiques. Un an plus tard, Mehdi Karroubi
et Mir Hossein Mousavi sont toujours assignés à résidence et on estime que des
centaines de personnes sont encore en prison, simplement pour avoir osé
exprimer leur opinion. Pendant ce temps, les forces de sécurité et en particulier
la milice Bassidj, continuent d’opérer en toute impunité pour les crimes commis.

Depuis la répression de 2009, les autorités n’ont cessé de renforcer les sanctions
à la fois en droit et en pratique, et elles ont resserré leur contrôle sur les
médias. Elles ont empêché la tenue de manifestations publiques en utilisant les
articles du Code pénal iranien qui rendent les manifestations, les débats publics
et la formation de groupes et d’associations considérés comme une menace à la
« sécurité nationale » passibles de longues peines d’emprisonnement ou même
de la peine de mort. Des avocats ont été emprisonnés en même temps que leurs
clients. La diffusion des télévisions étrangères par satellite a été brouillée. Des
journaux ont été interdits. Les dissidents et les critiques écrivant dans des
journaux ou sur des sites Internet ou s’exprimant dans les médias risquent
d’être inculpés d’infractions telles que « propagande contre le régime »,
« insultes envers un représentant du régime », « diffusion d’informations
mensongères dans l’intention de porter atteinte à la sécurité de l’État » ou
parfois des « infractions » de « corruption sur terre » ou « inimitié à l'égard de
Dieu », des accusations qui peuvent entrainer la peine de mort4.
En Iran, la communauté des internautes est sous le coup d’une nouvelle loi
relative à la cybercriminalité et les blogueurs entre autres personnes sont
conduits en prison. La sévérité des peines prononcées à l’encontre de blogueurs
est bien la preuve que les autorités ont peur du pouvoir d’Internet et de la libre
circulation des informations vers et hors du pays. Au moment de la rédaction de
ce rapport, en février 2012, parallèlement au lancement de la campagne pour
les élections parlementaires débutait également une nouvelle vague
d’arrestations de blogueurs, de journalistes et d’autres personnes, apparemment
pour dissuader les gens de manifester lors de l’anniversaire des manifestations
du 14 février ou de chercher à faire ressortir des critiques contre le
gouvernement lors des élections parlementaires.

Les organes de sécurité iraniens, en grand nombre et agissant souvent de
manière parallèle - dont notamment une nouvelle force de cyber-police -
peuvent maintenant surveiller de près les militants quand ils utilisent leurs
ordinateurs dans la sphère privée. Ces forces ont limité le débit, et travaillent à
la mise en service de serveurs gérés par l’État, de protocoles Internet (IP)
spécifiques, de fournisseurs d’accès Internet (ISP) et de moteurs de recherche..
D’innombrables sites web sont bloqués, dont le site d’Amnesty International
www.amnesty.org. Il en va de même avec de nombreux sites iraniens et
étrangers de réseaux sociaux. Une « cyber-armée »relativement récente et mal
connue, qui serait liée aux padsaran (également dénommés « corps des
gardiens de la révolution iranienne »), s’est livrée à des attaques sur des sites
web iraniens et étrangers, notamment sur les sites Twitter et Voice of America.

Les restrictions qu’imposent les autorités sur Internet servent également à
étouffer toutes les critiques venant de l’étranger. Cette politique est complétée
par un harcèlement des opposants qui vivent en exil et des arrestations en Iran
de proches des critiques ou des journalistes qui vivent à l’étranger. Selon de
nouvelles règles, le fait d’entrer en contact avec plus de 60 institutions

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     La répression croissante de la dissidence en Iran

étrangères, organismes de presse et ONG figurant sur une liste constitue
désormais un délit.

Les vagues d’arrestations des derniers mois ont ciblé des avocats, des étudiants,
des journalistes, des militants politiques et leurs proches, des membres des
minorités religieuses et ethniques en Iran, des réalisateurs de cinéma, des
militants des droits des travailleurs et des personnes entretenant des rapports à
l’international, en particulier avec les médias étrangers comme la branche « BBC
Persian »de la BBC. Des dizaines de personnes ont été torturées et
emprisonnées, parmi lesquelles figurent des prisonniers d’opinion. Bien d’autres
personnes ont été harcelées ou se sont vu interdire toute sortie du territoire.

La répression contre les défenseurs des droits humains s’est intensifiée. Nombre
d’entre eux ont été harcelés ou arrêtés et détenus arbitrairement. Certains sont
toujours en détention après avoir fait l’objet de procès non équitables au cours
de ces dernières années. Beaucoup sont des prisonniers d’opinion. Le Centre de
défense des droits humains (CDDH), l’Association pour les droits des prisonniers,
Défenseurs des droits humains en Iran ou le Comité des reporters des droits
humains ont tous été fermés ou la reconnaissance légale leur a été refusée. Les
syndicats indépendants sont toujours interdits et plusieurs membres de
syndicats sont emprisonnés.

Les perspectives de ceux qui tombent dans les griffes du système de justice
injuste iranien sont encore assombries par l’augmentation du nombre de
personnes condamnées à mort et exécutées. En 2011, on a dénombré environ
quatre fois plus d’exécutions publiques qu’en 2010 et on estime que des
centaines de personnes ont été condamnées à mort l’an dernier. Il y avait au
moins trois mineurs parmi les personnes exécutées l’an dernier, bien que
l’exécution de personnes de moins de 18 ans au moment des faits allégués soit
strictement interdite en vertu du droit international.

Ce rapport fait suite à deux rapports précédents d’Amnesty International :
« Iran ; une élection contestée, une répression accrue » publié en décembre
20095, et « From protest to prison: Iran one year after the election » publié en
juin 20106. Son objet est de montrer que les atteintes aux droits humains
révélées dans ces rapports ont non seulement perduré mais dans certains cas se
sont amplifiées ou ont été établies dans le droit.

Ceux qui se retrouvent dans les prisons et centres de détention en Iran
subissent fréquemment des actes de torture et d’autres mauvais traitements,
qui s’avèrent une pratique courante et très répandue. D’anciens détenus,
hommes et femmes, ainsi que des prisonniers qui ont rédigé des lettres ouvertes
depuis leurs cellules partout dans le pays rapportent avoir été frappés,
notamment sur la plante des pieds, parfois alors qu’ils étaient pendus la tête en
bas. Ils disent avoir été brûlés avec des cigarettes et des objets métalliques
chauffés. Ils ont décrit comment ils avaient été soumis à des simulacres
d’exécution. Ils ont rapporté avoir été victimes de viols, parfois avec des
instruments, notamment par d’autres prisonniers, ou menacés de viol. Ils se
sont plaints d’avoir été privés de nourriture et d’eau en quantité suffisante, alors
que les traitements médicaux étaient souvent délivrés tardivement ou même
refusés. Dans de nombreux cas, la torture et les mauvais traitements sont
utilisés pour extorquer des « aveux » et il est courant que les tribunaux ne
tiennent aucun compte des plaintes pour torture et acceptent comme preuves

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les « aveux » obtenus par ces moyens illégaux.

En Iran, la plupart des procès sont manifestement iniques, en particulier ceux
qui sont tenus devant les tribunaux spéciaux comme les tribunaux
révolutionnaires, qui se déroulent fréquemment à huis clos. Il est courant que
les accusés se voient refuser l’accès à des avocats durant la phase d’enquête
préliminaire au procès et souvent même durant le procès, sur la base d’une
interprétation restrictive d’une note du Code de procédure pénale. Souvent, les
procès, devant des juges qui semblent prononcer les peines selon les
instructions des enquêteurs, ne durent que quelques minutes.

Les détenus qui protestent contre l’injustice, la torture ou les effroyables
conditions de détention sont parfois transférés dans des prisons éloignées en
guise de châtiment ou sont inculpés de nouvelles infractions. Certains sont
libérés mais ont l’interdiction de voyager pour empêcher la formation de réseaux
internationaux, ou ils sont contraints de fuir par peur d’autres persécutions. Les
amis et parents de détenus sont arrêtés ou harcelés dans le but de les dissuader
de s’exprimer publiquement au sujet du cas de leur proche ou de faire pression
sur les détenus.

Les communautés appartenant aux minorités ethniques d’Iran, notamment les
Arabes ahwazi, les Azerbaïdjanais, les Baloutches, les Kurdes et les Turkmènes,
continuent de subir des discriminations en droit et en pratique. L’utilisation des
langues des minorités sur les lieux de travail contrôlés par l’État et pour
l’enseignement dans les écoles reste interdite. Les minorités religieuses sont
confrontées à une discrimination et une marginalisation similaires. Les militants
qui font campagne pour les droits des minorités sont menacés, risquent d’être
arrêtés et emprisonnés, de même que les militants qui mènent campagne contre
la discrimination généralisée envers les femmes en droit et en pratique.

Comme le démontrent ces schémas d’abus répétés de longue date, les
références récentes faites par les dirigeants iraniens à un « réveil islamique »
libérateur durant la révolution de 1979 sont mensongères. Non seulement la
torture a perduré après la révolution, mais il en a été de même pour la
répression de la différence d’opinion politique.

Les membres d’organisations de gauche et de groupes kurdes en particulier,
ainsi que les membres de l'Organisation iranienne des moudjahidin du peuple
(OIMP), qui ont tous joué un rôle important dans la révolution, ont été arrêtés
en grand nombre après avoir perdu la lutte pour le pouvoir qui a suivi. Des
milliers de prisonniers politiques ont perdu la vie aux mains de l’État, qui a
exécuté sommairement nombre d’entre eux à partir de 1979, notamment au
cours du terrible « massacre des prisons » en 1988.

De vagues « critères de l’islam » inscrits dans la Constitution et ultérieurement
dans la législation, ont été utilisés par les autorités pour justifier de nombreuses
violations de droits humains. Les droits des femmes en ont rapidement pâti : un
code vestimentaire strict a été introduit, il a été décidé que le témoignage d’une
femme ne valait que la moitié de celui d’un homme devant les tribunaux, et que
les femmes ne recevraient que la moitié des dommages accordés à un homme
en cas de blessure ou de décès imputable à un homme, tout cela s’ajoutant au
statut inéquitable accordé aux femmes dans le Code civil pour les affaires ayant
trait au mariage, au divorce et à la garde des enfants. Les relations sexuelles

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hors mariage ont été rendues passibles de flagellation ou de lapidation à mort.
Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres sont soumises à une
discrimination accrue en raison de leur identité et passibles de sanctions sévères
en cas de condamnation pour « relations sexuelles consenties ».
La discrimination pour des motifs ethniques ou religieux a aussi été inscrite dans
la loi, et appliquée dans les politiques et la pratique. Même les « infractions » qui
n’étaient pas inscrites dans la loi comme « l’apostasie de l’Islam » pouvaient
faire l’objet de poursuites en vertu des dispositions constitutionnelles et
législatives exigeant des juges qu’ils utilisent leur connaissance du droit
musulman pour rendre leurs décisions dans les cas non prévus par le droit
national..

Les rapports d’Amnesty International sur l’Iran depuis 2009 ainsi que des
rapports récents publiés par des organes des Nations unies7 apportent des
preuves accablantes de la gravité de la situation des droits humains en Iran et
contredisent les fréquentes déclarations des autorités, notamment dans le cadre
du dialogue avec le Comité des droits de l’homme de l’ONU en octobre 2011,
dans lesquelles elles nient toute violation des droits humains et clament que de
telles allégations ont une motivation politique.

Les autorités iraniennes s’efforcent à tout prix de barrer le chemin à toute forme
d’observation du pays provenant de l’extérieur, notamment en refusant de
coopérer avec les mécanismes des droits humains des Nations unies, tout en
affirmant respecter leurs obligations internationales. L’Iran bloque neuf
mécanismes de l’ONU dont les demandes de visite sont en attente et aucune
délégation des procédures spéciales de l’ONU n’a été autorisée à conduire de
mission d’enquête depuis 2005. En effet, le gouvernement a expressément
refusé d’accepter les recommandations formulées lors de l’Examen périodique
universel (EPU) qui appelaient à permettre les visites en février 20108. De la
même manière, les organisations internationales de défense des droits humains
ne sont pas autorisées à effectuer des visites ; les demandes de visites
d’Amnesty International dans le pays pour y mener des recherches sont
systématiquement refusées depuis la période ayant suivi la révolution en 1979.

En dépit de la répression brutale contre les militants et les incessantes
tentatives visant à bâillonner les blogueurs, les journalistes et les dissidents, de
nombreuses personnes en Iran continuent à se mesurer aux tentaculaires
ramifications de l’appareil de sécurité, dont certaines s’attaquent désormais au
monde virtuel, et à lutter pour leurs droits et leur dignité. Leur courage a été
manifeste aux yeux du monde en 2009 quand elles ont été des centaines de
milliers à descendre dans les rues et à affluer sur les places de Téhéran et
d’autres villes, préfigurant le « Printemps arabe » de 2011.

Le travail de campagne peut porter ses fruits.
Si la plus grande partie de ce rapport porte sur la détérioration de la situation
des droits humains en Iran, on compte également parfois de bonnes nouvelles,
en particulier des libérations de personnes pour qui les membres d’Amnesty
International dans le monde entier ont mené des actions. Ces libérations
démontrent à quel point l’attention internationale peut faire la différence dans la
vie de personnes et de leurs familles, et par conséquent combien il est
primordial que la communauté internationale continue à suivre la situation des
droits humains en Iran.

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                                 La répression croissante de la dissidence en Iran

Deux frères, les docteurs Arash et Kamiar Alaei, célèbres chercheurs spécialistes
du VIH/SIDA, ont été détenus apparemment en raison des liens qu’ils
entretenaient avec des organisations à l’étranger, notamment avec des
organisations de la société civile basées aux États-Unis et de leurs critiques
concernant les changements dans la politique gouvernementale relative au
VIH/SIDA. Ils ont été arrêtés en juin 2008 et condamnés en janvier 2009
respectivement à six ans et trois ans d’emprisonnement pour « coopération avec
un gouvernement ennemi ».

Ni l’un ni l’autre n’était engagé politiquement. Ils ont été condamnés à l’issue
d’un procès inique où ont été produites des preuves secrètes qu’ils n’ont pas été
autorisés à voir ou à contester, et après deux mois de détention préventive sans
possibilité de voir un avocat. L’accusation aurait cité la participation des deux
frères à des conférences internationales sur le VIH/SIDA comme faisant partie
de leur dessein de provoquer une prétendue « révolution de velours » en Iran.

Le docteur Kamiar Alaei a été libéré en 2010 après avoir purgé deux ans et demi
de sa peine. Son frère, le docteur Arash Alaei est sorti de prison en août 2011,
lorsque quelque 70 prisonniers ont été libérés à l’occasion d’une fête religieuse.
Voici un extrait de la lettre que les deux frères ont écrite à Amnesty
International en 2011 :

Grâce à votre soutien, nous sommes aujourd'hui libres et en sécurité. Lorsque
nous avons reçu le message au sujet de votre campagne par le biais de notre
famille, c'était comme si nous recevions du nouveau sang qui a réchauffé nos
cœurs et nous a donné de l'énergie pour être forts, supporter la situation et ne
pas nous laisser abattre. Nous avons appris de notre expérience en prison que si
vous croyez à ce que vous faites, il faut continuer votre travail, qu'il soit
apprécié ou non par votre gouvernement… Et vous devez le faire jusqu'au
dernier instant de votre vie. Grâce à vos efforts, nous nous réjouissons d'être
réunis et nous voulons prolonger votre action en nous faisant la voix des sans-
voix, pour ceux qui vivent une situation similaire à la nôtre. Voilà au moins une
manière dont nous pouvons transmettre la gentillesse que vous nous avez
témoignée… Du fond du cœur, nous vous remercions d'avoir mené campagne
pour notre liberté. »

Le temps de l’action
Il faut agir de toute urgence pour rompre le cercle vicieux des violations des
droits humains en Iran, un cycle qui se nourrit de la quasi-garantie d’impunité
pour les auteurs. Le gouvernement doit immédiatement prendre des mesures
pour établir l’état de droit, garantir une véritable indépendance du système
judiciaire, et faire en sorte que toute personne qui commet des violations de
droits humains soit tenue pour responsable de ses crimes. Le gouvernement doit
également veiller à ce que la Constitution garantisse la protection des droits
humains et interdise la discrimination et les autres violations des droits
fondamentaux.

Entre autres, Amnesty International appelle les autorités iraniennes à :

         Libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion,
soit toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé sans violence
leurs droits internationalement reconnus ;
         Amender la législation qui restreint indûment les droits à la liberté

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     La répression croissante de la dissidence en Iran

d’expression, d’association et de réunion, et permettre un débat public ouvert
avant les élections parlementaires de mars 2012 ;
          Instaurer immédiatement un moratoire sur les exécutions en vue
d’abolir la peine de mort.

En l’absence d’organismes indépendants et impartiaux pour enquêter sur les
allégations de violations des droits humains et pour apporter réparation aux
victimes et aux familles touchées, conformément aux normes internationales
relatives aux droits humains, Amnesty International demande également aux
autorités iraniennes de :

         Permettre un examen international approfondi de la situation des
droits humains en Iran, notamment en autorisant les visites du Rapporteur
spécial des Nations unies sur l’Iran en plus des autres mécanismes thématiques
des Nations unies relatifs aux droits humains qui ont fait des demandes de visite
ainsi que des organisations internationales indépendantes œuvrant pour les
droits humains comme Amnesty International.

Amnesty International appelle également la communauté internationale à ne pas
laisser les tensions générées par le programme nucléaire de l’Iran ou d’autres
évènements dans la région accaparer son attention au détriment de son travail
de pression sur les autorités iraniennes pour qu’elles respectent leurs obligations
en matière de droits humains, au titre d’un certain nombre de traités
internationaux relatifs aux droits humains auxquels l’Iran est partie9. Amnesty
International demande en particulier que:

       Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU renouvelle le mandat du
Rapporteur spécial sur l’Iran en mars 2012 ;

         La communauté internationale fasse pression sur les autorités
iraniennes pour qu’elles accordent au Rapporteur spécial sur l’Iran l’accès au
pays et qu’elles tiennent leur engagement à recevoir les mécanismes des
Nations unies relatifs aux droits humains qui ont formulé des demandes de
visites en Iran.

Amnesty International février 2012          Index : MDE 13/002/2012
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2. LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET
D’ASSOCIATION DE PLUS EN PLUS
RESTREINTE
La législation en vigueur depuis la révolution de 1979 impose des restrictions
injustifiées à l’exercice pacifique des droits à la liberté d’expression, de réunion
et d’association. C’est notamment le cas de la Loi sur la presse de 1981, du
Code pénal, du Code du travail, ainsi que de la Loi sur les partis politiques, les
sociétés, les associations politiques et professionnelles et les associations
islamiques ou de minorités religieuses reconnues (Loi sur les partis politiques).

Depuis des années, Amnesty International fait état de violations des droits
humains relatives à ces lois, lesquelles ont également été critiquées par d’autres
observateurs internationaux des droits humains, comme le Comité des droits de
l'homme des Nations unies10. En outre, le Rapporteur spécial sur la promotion et
la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression a fait part de son
inquiétude quant à la présence, dans le Code pénal et la Loi sur la presse, de
nombreuses dispositions limitant la liberté d’opinion et d’expression11.

Dans un rapport publié en décembre 2001, Amnesty International exprimait et
illustrait en détails ses préoccupations quant à des lois entravant le droit à la
liberté d’expression12. Depuis, les violations décrites dans ce rapport perdurent.
Les autorités iraniennes interdisent toujours certaines chaînes de télévision et de
radio indépendantes, ainsi que l’utilisation d’antennes paraboliques. Il leur arrive
également de brouiller la diffusion d’émissions par satellite depuis l’étranger. Les
autorités ont censuré des livres et restreint la quantité de papier fourni à
certains éditeurs, afin que ceux-ci ne puissent publier certains ouvrages. Des
publications ont été interdites, généralement de façon temporaire, par le Conseil
de surveillance de la presse dans l’attente de décisions de justice. Certains
déclarent avoir cessé leur activité en raison de la Loi de 1960 sur les restrictions
préventives13. Sur certains sujets, le contenu des journaux est réglementé. Des
journalistes et des commentateurs ont fait l’objet d’arrestations. D’innombrables
Iraniens sont victimes de harcèlement et de persécutions pour avoir exprimé
leurs opinions, à l’oral comme à l’écrit.

Toutefois, depuis au moins une décennie, les autorités iraniennes sont
extrêmement préoccupées par l'essor d’Internet et la possibilité offerte aux
citoyens d’exprimer librement leurs opinions.

Comme d’autres gouvernements répressifs, les autorités iraniennes ont peu à
peu mis en place une série de mesures, notamment juridiques, visant à limiter
l’accès à Internet depuis l’Iran et à sanctionner les personnes publiant du
contenu sur des sites web ou des blogs personnels. De plus, les émeutes post-
électorales de 2009 ont démontré l’importance du rôle que jouent les médias
sociaux comme Facebook ou Twitter, que ce soit pour organiser des
manifestations ou pour signaler des violations des droits humains commises
lorsque des manifestations sont réprimées. Depuis, les autorités ont pris des
mesures supplémentaires afin d’empêcher la population iranienne de recourir à
ces outils pour organiser la dissidence.

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     La répression croissante de la dissidence en Iran

MESURES ADOPTÉES OU EN C OURS D’ÉLABORATION DEPUIS 2001
VISANT À RES TREINDRE DAVANTAGE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION,
D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION EN IRAN

2001 : Ordre du Guide suprême sur les « politiques globales relatives aux
réseaux fournissant des données informatiques ».

2001 : Les « Règles et réglementations pour les fournisseurs de données
informatiques » du Conseil suprême de la révolution culturelle donnent au
gouvernement le contrôle total d’Internet et limitent le contenu des publications
sur le web.

2002 : « Décret sur la Constitution du comité en charge de déterminer les sites
Internet interdits ».

2005 : Loi sur la promotion de la culture de chasteté et modestie.

Mai 2006 : L’Agence gouvernementale des technologies de l'information annonce
la mise en place prochaine d’une base de données nationale de filtrage pouvant
être utilisée pour bloquer l’accès à des sites Internet.

Octobre 2006 : L’organe de réglementation des radio-télécommunications limite
à 128 kilobits/seconde la vitesse de connexion et interdit aux fournisseurs de
services Internet de proposer des offres haut débit.

2007 : Le ministère de la Culture et de l'Orientation islamique exige que toute
personne possédant un site ou un blog s’enregistre auprès des autorités.

2008 : La Loi sur les crimes audiovisuels étend la peine de mort à certaines
activités liées à la pornographie.

2009 : Loi sur les cybercrimes (ou Loi sur les crimes informatiques)

2009 : Création d’une « cyberarmée » probablement liée aux pasdaran.

Janvier 2010 : Interdiction de prises de contact avec plus de 60 médias et think
tanks étrangers.

Juillet 2010 : Création du Haut conseil du cinéma, un organe contrôlant tous les
aspects de la production des films, y compris les sources de financement.

Janvier 2011 : Inauguration de la « force de cyberpolice » à Téhéran,
entièrement opérationnelle en janvier 2012.

Projets de loi qui, s’ils      sont adoptés tels quels, entrav eraient le droit
d’exercer les libertés         fondamentales d’expression, d e réunion et
d’association :

Projet de loi sur l’établissement et la supervision des organisations non
gouvernementales (ONG)

Amnesty International février 2012          Index : MDE 13/002/2012
« Nous avons pour ordre de vous écraser. »13
                                  La répression croissante de la dissidence en Iran

Projet de loi sur la formation de partis politiques

Projet de loi modifiant le Code pénal

Une grande partie du cadre juridique restreignant la liberté d’expression,
d’association et de réunion repose sur des dispositions du Code pénal. Depuis
2007, les quatre premiers livres du Code pénal font l’objet d’une révision par le
parlement. En janvier 2012, le Conseil des gardiens, chargé de vérifier la
conformité de la législation à la Constitution et au droit islamique, a déclaré
qu’aucune disposition du projet ne violait le droit islamique, ouvrant la voie à la
mise en application du texte. Une version antérieure du projet de loi qu’a
consultée Amnesty International conserve de nombreuses dispositions
existantes qui s’avèrent incompatibles avec les obligations de l’Iran aux termes
des instruments internationaux des droits humains. Par exemple, cette version
prévoit encore la flagellation et l’amputation comme sanctions et continue de
pénaliser les relations sexuelles consenties en dehors du mariage, qu’elles soient
homosexuelles ou hétérosexuelles. En outre, elle permet toujours aux juges de
prendre des décisions en se basant sur leur « savoir », qui peut être leur opinion
personnelle. Dans de nombreux domaines, ce projet de loi reste discriminant
envers les femmes et les minorités religieuses. Il semble également que
l’exécution de mineurs délinquants soit laissée à la discrétion du juge. Enfin, ce
projet permettrait le recours à la lapidation en punition de l’adultère en
autorisant les juges à citer la loi islamique.

2.1 LOIS ET POLITIQUES LIMITANT LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
De nouvelles mesures, adoptées dans le but de limiter la liberté de tout un
chacun en Iran d'exercer son droit à la liberté d'expression, trouvent leur
ancrage dans des politiques et pratiques bien établies. Le Code pénal, le Code de
la presse et d'autres réglementations ont servi de base à une censure vieille de
plusieurs décennies sur les articles de presse, ainsi qu'à l'interdiction de
journaux et au contrôle de la littérature (factuelle ou fictive), de la télévision, du
théâtre, du cinéma et des arts picturaux. En avril 2009, le Code de la presse a
été modifié de façon à couvrir le contenu publié sur Internet14 , mais les mesures
juridiques énoncées ci-après imposent des restrictions encore plus lourdes.

En vertu du Code de la presse et du Code pénal, les personnes écrivant dans des
journaux ou des sites Internet, ainsi que celles répondant à des interviews pour
les médias, peuvent être accusées de « diffusion de propagande contre le
régime », « outrage à des représentants », « diffusion de propos mensongers
dans le but de nuire à la sécurité de l'État », voire de « corruption sur terre » ou
d'« inimitié à l'égard de Dieu ».

Les organes de sécurité iraniens, nombreux et souvent parallèles, peuvent
désormais surveiller l'activité des militants utilisant leurs ordinateurs personnels
depuis leurs domiciles.

Ces dernières années, une « cyberarmée » nébuleuse, semble-t-il liée aux
pasdaran, a mené des attaques contre des sites Internet en Iran et à l'étranger,
notamment ceux de Twitter et de Voice of America. En janvier 2012, le général
de brigade Esmail Ahmadi Moghaddam, chef de la police iranienne, a annoncé
que la cyberpolice, instituée un an plus tôt dans le but de « lutter contre la

                    Amnesty International février 2012        Index : MDE 13/002/2012
14   « Nous avons pour ordre de vous écraser. »
     La répression croissante de la dissidence en Iran

cybercriminalité et les réseaux sociaux qui propagent " l'espionnage et les
émeutes" », était opérationnelle dans l'ensemble du pays15..

En août 2011, le ministre de la Culture et de l'Orientation islamique a déclaré
que le cabinet préparait un projet de loi sur l'ensemble des médias, en vertu
duquel les SMS et les CD, au même titre que les blogs et les sites Internet,
seraient uniquement régis par la Loi sur la presse16. En janvier 2012, la
cyberpolice a publié de nouvelles réglementations exigeant des propriétaires de
cybercafés qu'ils s'équipent de caméras de vidéosurveillance et enregistrent
l'identité et les coordonnées des clients avant qu'ils n'utilisent les ordinateurs.
Ces informations doivent être conservées durant six mois et permettent une
nouvelle fois aux forces de sécurité de surveiller les activités des militants17.

Depuis 2001, les autorités iraniennes prennent des mesures de plus en plus
fortes pour contrôler l'accès de la population au monde extérieur via les outils et
médias électroniques. Elles ont limité le débit de connexion et développent des
serveurs, des protocoles Internet spécifiques (IP), des fournisseurs d’accès et
des moteurs de recherche gérés par l'État.

L'accès à d'innombrables sites Internet, notamment des réseaux sociaux
nationaux et internationaux, est bloqué. C'est le cas du site d'Amnesty
International, www.amnesty.org. De nombreux Iraniens utilisent des proxy et
des programmes anti-filtres pour accéder à des sites étrangers, mais ceux-ci
sont de plus en plus bloqués. Le fait de fournir de tels logiciels ou de former à
leur utilisation constitue une infraction pénale.

Les dirigeants iraniens ont fait part de leur volonté de mettre en place, à
l'échelle nationale, un intranet conforme aux « principes de l'Islam », qui
fonctionnerait parallèlement au Word Wide Web et « le remplacerait dans les
pays musulmans de la région18 ». Il semble qu'à travers cette mesure, les
autorités aient l'intention d'interdire l'accès au web mondial à la plupart des
Iraniens.

Les fournisseurs d’accès à Internet iraniens qui proposent des offres de
connexion Internet au public ont l'obligation de se connecter via la Compagnie
iranienne de télécommunication, contrôlée par le gouvernement, afin de faciliter
le contrôle par l'État19. Les autorités exigent également que ces fournisseurs
d’accès enregistrent les sites visités par les utilisateurs20. Selon de récentes
instructions, les cybercafés doivent conserver durant six mois des données
détaillées relatives à l'identité des clients et aux sites qu'ils visitent21.

De plus, les autorités bloquent les diffusions satellites provenant de l'étranger.
L'accès à l'information est également limité puisque les antennes satellites,
illégales en Iran, sont confisquées.

Les forces de sécurité surveillent de près les lignes fixes et les services de
téléphonie mobile. Les Iraniens pensent souvent être sur écoute et adaptent
leurs conversations en conséquence. Les services de SMS auraient parfois été
bloqués, en particulier lorsque des manifestations de masse étaient prévues.

La Loi de 2008 sur les crimes audiovisuels - amendement d'une version
ultérieure - prévoit la flagellation et la peine de mort pour les producteurs de
contenus « obscènes », les producteurs de contenus « destinés à des abus

Amnesty International février 2012          Index : MDE 13/002/2012
« Nous avons pour ordre de vous écraser. »15
                                  La répression croissante de la dissidence en Iran

sexuels », et les principaux agents de la production de ces contenus, au motif de
la « corruption sur terre ». En vertu de l'article 4, les personnes utilisant ces
contenus pour faire du chantage à d'autres afin de « forniquer avec eux » seront
accusées de viol, ce qui entraîne une condamnation à mort à titre de peine
obligatoire. Des dispositions du Code pénal sanctionnent en effet l'adultère et la
fornication.

D'autres restrictions de la liberté d'expression ont été imposées par la Loi de
2009 sur les cybercrimes, dans laquelle figuraient beaucoup des restrictions du
Code pénal et de la Loi sur la presse, ce qui montre clairement que ces lois
s'appliquent aussi à Internet et aux publications électroniques.

Ashkan Delanvar - un étudiant désormais privé de suivre des études en raison
de ses opinions politiques - a été, à la connaissance d'Amnesty International, la
première personne à être condamnée à une peine d'emprisonnement en vertu
de la Loi sur la cybercriminalité, pour avoir fourni un logiciel anti-filtre et une
formation à son utilisation. Il a été condamné à 10 mois d'emprisonnement
après avoir été reconnu coupable, puis sa peine ait été rallongée en appel22.
Craignant pour sa sécurité, Ashkan Delanvar a fui l'Iran avant de purger sa
peine. Il est actuellement demandeur d'asile en Europe.

Le droit à l'enseignement a longtemps fait l'objet de restrictions. Des étudiants
en étaient privés en raison de leurs croyances ou de leurs activités politiques.
Après l'élection présidentielle controversée, la liberté académique a de nouveau
été remise en question, les autorités ayant procédé à une purge des universités,
notamment en ce qui concerne l'enseignement des sciences sociales. Dans un
discours d'août 2009, le Guide suprême déclarait que « l'instruction de ces
sciences humaines dans les universités conduira à des doutes et des réserves
quant aux croyances et principes religieux. » Les cours de sciences sociales,
comme la sociologie et la politique, ont alors été réduits, tout comme les cours
sur les droits de l'homme.

Outre ces nouvelles restrictions relatives à la liberté d'expression, les Iraniennes
et les Iraniens doivent toujours, lorsqu'ils se trouvent dans l'espace public23,
respecter un code vestimentaire obligatoire qui est inscrit dans la législation. Ces
dernières années, les autorités ont intensifié leurs efforts pour appliquer la Loi
sur la promotion de la culture de chasteté et modestie, ce qui a conduit
certaines universités à menacer les étudiants ne respectant pas le code
vestimentaire de mettre un terme à leurs études. Toutefois, ce code
vestimentaire n'a jamais été clairement défini. Si de nombreuses femmes
portent des robes traditionnelles, d'autres ont choisi d'interpréter le code
différemment. Celles-ci risquent d'être harcelées par la police ou les forces de
sécurité, comme la Milice volontaire, appelée Bassidj, en particulier lors des
vagues de répressions estivales, qui se sont intensifiées depuis 2005.

En février 2012, il a été signalé que toutes les fonctionnaires seraient obligées
de porter un uniforme spécial, supposé conforme à la « tenue islamique », à
compter du 21 mars 2012, premier jour de la nouvelle année iranienne. Selon
des rapports provenant d'agences de presse iraniennes, cette politique sera
d'abord appliquée à Téhéran, puis étendue à d'autres régions du pays24. Il
semble que la mise en application de ce code vestimentaire s'explique
également par des raisons politiques et serve à faire taire les dissidents et

                    Amnesty International février 2012        Index : MDE 13/002/2012
16   « Nous avons pour ordre de vous écraser. »
     La répression croissante de la dissidence en Iran

critiques supposés. En février 2011, l'avocate Nasrin Sotoudeh a été jugée et
condamnée à payer 500 000 rials25 pour non-respect du code vestimentaire. Elle
avait réalisé une vidéo pour accepter un prix pour son travail sur les droits
humains en 2008 en Italie, où ses cheveux n’étaient pas couverts. Les autorités
iraniennes lui avaient interdit de quitter le pays pour recevoir ce prix en
personne. Elle a réalisé cette vidéo depuis son domicile mais ne l'a pas diffusée
en Iran. La vidéo a néanmoins été postée sur Internet.

NORMES INTERNATIONALES RÉGISSANT LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

La liberté d'expression est g arantie par l'article 19 du             Pacte
international relatif aux droits civi ls et politiques (PIDCP),         qui
dispose : « Nul ne peut être inquié té pour ses opinions » et « Toute
personne a droit à la liberté d 'expression ; ce droit comp rend la liberté
de rechercher, de recev oir et de ré pandre des informations et des idées
de toute espèce, sans considération de frontières, sous u ne forme orale,
écrite, imprimée ou art istique, ou par tout autre moyen de son choix. »
La liberté d'expression ne p eut être restreinte que da ns le cadre du
respect des droits ou de la réput ation des autres, ou encore de la
protection de la sécu rité nationale, de l'o rdre public, de la santé
publique ou de la mora le. Elle doit se conformer à des tests stricts de
nécessité et de proportionnalité.

Dans son observation générale n°34 de l'article 19, publiée en septembre 2011,
le Comité des droits de l'homme des Nations unies — l'organe officiel chargé de
superviser l'interprétation du PIDCP — indiquait clairement que la liberté
d'expression s'applique aux contenus audiovisuels et à Internet, ainsi qu'à
d'autres formes de communication plus traditionnelles, et couvre :

« l’expression et la réception de communications sur toute forme d’idée et
d’opinion susceptible d’être transmise à autrui... discours politique, le
commentaire de ses affaires personnelles et des affaires publiques, la
propagande électorale, le débat sur les droits de l’homme, le journalisme,
l’expression culturelle et artistique, l’enseignement et le discours religieux. »

Le Comité précisait également que les restrictions légales sur la liberté
d'expression ne peuvent jamais être invoquées « pour justifier des mesures
tendant à museler un plaidoyer en faveur de la démocratie multipartiste, des
valeurs démocratiques et des droits de l’homme ».

Le Comité, qui insistait ensuite sur la nécessité d'une pluralité de médias qui ne
soient pas placés sous le seul contrôle de l'État, soulignait également que la
« trahison » ou les « lois relatives à la sécurité nationale » ne peuvent être
invoquées « pour supprimer ou dissimuler des informations sur des questions
d’intérêt public légitime qui ne portent pas atteinte à la sécurité nationale ou
pour engager des poursuites contre des journalistes, des chercheurs, des
militants écologistes, des défenseurs des droits de l’homme ou d’autres
personnes, parce qu’ils ont diffusé ces informations », et précisait que « toutes
les personnalités publiques, y compris celles qui exercent des fonctions au plus
haut niveau du pouvoir politique, comme les chefs d’État ou de gouvernement,
sont légitimement exposées à la critique et à l’opposition politique ».

Amnesty International février 2012          Index : MDE 13/002/2012
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