Pauvreté : l'aggravation devrait être pour demain - Julien ...
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La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise DOSSIER sanitaire Pauvreté : l’aggravation devrait être pour demain Julien Damon Conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (En3s) La crise Covid fait des victimes sani- de la pauvreté aura été ainsi largement taires ; ce sont principalement les per- signalée au cours de l’année 2020. Les sonnes âgées. Elle fait déjà et elle fera chiffres avancés - on a souvent entendu encore, dans les années qui viennent, parler d’un million de pauvres en plus - des victimes économiques ; ce sont les prêtent à une discussion sérieuse. Mais jeunes et les indépendants. Dès le début le problème n’est pas dans la contro- de l’épidémie et des réponses en termes verse savante autour des affirmations de confinement, nombre d’inquiétudes venues de sources associatives 1. Il est et d’alarmes ont été exprimées, en de nature plus prospective. En effet, France, au sujet de la progression de au-delà des données précises, il est très 1 la pauvreté. Un dénuement accru se probable que la pauvreté s’avère plus repère rapidement aux guichets des marquée demain, quand l’ensemble services sociaux, que ces services des mesures cherchant à compenser la soient publics ou privés. L’augmentation crise seront réduites. I - Raisonner sur 2020 et sur les années à venir Au sujet de l’impact de la double crise grandi. Certes, le nombre d’allocataires sanitaire et économique, Covid et du RSA augmente. Pour toute l’année confinements, sur la pauvreté, il faut 2020, l’augmentation du nombre d’al- raisonner en deux temps. Pour dire locataires de RSA aura été de près de d’abord que la pauvreté est, courant 10 %. Cette progression annuelle est 2020, largement contenue par l’effort la plus élevée depuis la création du exceptionnel de dépenses publiques. RMI (ancêtre du RSA) en 1988. Pour la Certes, les files d’attente devant les première fois, le nombre d’allocataires services de distribution alimentaire ont a dépassé 2 millions 2. (1) V. quelques relais et débats dans la presse, avec ces articles : « Covid-19 : la crise sanitaire a fait basculer un million de Françaises et de Français dans la pauvreté », Le Monde, 6 oct. 2020 ; « Un million de pauvres en plus ? Une hausse invérifiable mais indéniable », Libération, 13 oct. 2020 ; « La France franchira la barre des dix millions de pauvres en 2020 selon le Secours catholique », Le Parisien, 12 nov. 2020. (2) Pour l’actualité des données sur le RSA, v. le site des CAF, www.caf.fr et tout particulièrement la revue en ligne « RSA conjoncture ». RDSS - C - Mars - Avril 2021
DOSSIER La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire Graphique 1 | Évolutions du nombre d’allocataires du RSA 2 500 000 2 000 000 1 500 000 1 000 000 500 000 0 1990 1994 1998 2002 2006 2010 2014 2018 Source : CAF 2 Cette donnée sur le RSA doit être consi- en dizaines de milliards d’euros, permet dérée comme la plus importante en ce par le chômage partiel, les aides à l’em- qui concerne la pauvreté en 2020, avant bauche des jeunes ou encore les efforts des chiffres plus généraux qui seront pour l’hébergement des sans-abri 3 de ensuite publiés par l’INSEE à partir limiter les conséquences immédiates du d’autres sources socio-fiscales. Elle ne considérable ralentissement de l’écono- capte pas toute la diversité du phéno- mie. On oublie souvent, dans les com- mène et ne saurait résumer toutes ses mentaires sur le plan de relance annoncé évolutions. C’est cependant l’approche en septembre 2020, de souligner l’im- la plus réactive pour connaître les ten- portance des dépenses « sociales » qu’il dances à l’œuvre. contient. Ce plan de relance tient en trois tiers. Aux deux volets « écologie » Incontestablement, la pauvreté aura et « compétitivité », s’ajoute le plus gros augmenté en 2020. Les indicateurs offi- tiers, sous le nom « cohésion ». Et sont, ciels de la pauvreté, pour 2020, ne seront pour cette rubrique, débloqués 36 mil- renseignés qu’en 2021 ou en 2022. Mais liards d’euros 4. l’indicateur RSA est, à lui seul, une infor- mation essentielle sur les évolutions de Pour aider les 750 000 jeunes arri- la pauvreté réelle. vés sur le marché du travail en sep- tembre 2020 mais aussi ceux qui sont Du point de vue des réponses à ces évo- aujourd’hui sans activité ou formation, lutions préoccupantes, l’ensemble des le gouvernement mobilise environ 7 efforts consentis par les pouvoirs publics milliards d’euros. Le plan « Un jeune, et les régimes sociaux, qui se compte une solution », lancé le 23 juillet 2020 (3) Sur les sans-abri en période Covid, v. J. Damon, Les sans-abri face au coronavirus et au confinement, RDSS 2020. 877. Mars - Avril 2021 - C - RDSS
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire DOSSIER et évoqué par le Président de la répu- mage des jeunes, c’est-à-dire la pro- blique dans son intervention télévisée portion des jeunes actifs (on ne compte le 24 novembre, vise à offrir une solu- pas ceux qui suivent leur scolarité) est tion à chaque jeune. Il s’appuie sur un de 20 % à l’automne 2020. Cependant ensemble de leviers qui n’ont jamais ce chômage des jeunes fait, depuis le autant été dotés budgétairement : aides début des années 1980, du yo-yo entre à l’embauche, formations, accompagne- 15 % et 25 % 6. À la différence d’autres ments, aides financières aux jeunes en pays (Espagne, Italie ou Suède par difficulté, etc., afin de répondre à toutes exemple), le chômage des jeunes actifs les situations. L’objectif affiché est de n’a pas fortement augmenté 7. En un « ne laisser personne sur le bord de la mot, l’État-providence à la française, route » 5. renforcé comme jamais, confronté à des défis de financement colossaux Dans une certaine mesure, tout ceci (car les recettes se sont effondrées) aura fonctionné assez convenablement joue encore bien son rôle d’amortisseur en 2020. Un chiffre seulement : le chô- de crise. Graphique 2 | Taux de chômage des 20-24 ans (en %) 25 20 3 15 10 5 0 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007 2011 2015 2019 Source : INSEE (4) V. le détail des mesures ici : https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance (5) Concrètement, v. le contenu du programme sur la plateforme Internet ouverte le 19 nov. : https://www.1jeune- 1solution.gouv.fr/ (6) V. à ce sujet la note du Centre d’observation de la société, « Le chômage frappe la jeunesse, mais touche aussi les plus âgés », 9 avr. 2020 : http://www.observationsociete.fr/ages/jeunes/le-chomage-marque-la-jeunesse-mais- frappe-aussi-les-plus-ages.html (7) Sur la comparaison internationale des évolutions socio-économiques liées à la crise Covid, v. les pages dédiées du site de l’OCDE : https://www.oecd.org/coronavirus/fr/ RDSS - C - Mars - Avril 2021
DOSSIER La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire La grande question est celle de l’avenir. frappés par la crise. S’ils n’arrivent En l’occurrence, on ne peut être que pas à rouvrir le rideau de leur bou- pessimiste, raisonnablement pessimiste, tique, s’ils sont contraints de revendre mais vraiment inquiet. Les amortisseurs leur licence de taxi, s’ils ne retrouvent sociaux de type chômage partiel ne sont pas les clientèles de leurs activités pas éternels. Viendra le moment du chô- d’expertise, ils vont basculer dans un mage qui sera fait de blocage des recru- dénuement moins bien compensé que tements, de fermeture d’entreprises et pour les salariés. Ce sont déjà eux qui de plans sociaux. Ceux qui en pâtiront le paient le prix du ralentissement éco- plus, ce sont les jeunes. nomique, sans chômage partiel même si, certes, avec des fonds de solidarité Il faut aussi dire un mot des indépen- spécifiques. C’est eux qui paieront les dants. Ce sont eux, artisans et commer- frais d’une économie qui mettra du çants, qui ont vu leurs activités tota- temps à rebondir, malgré l’importance lement arrêtées, qui sont directement du plan de relance. II - Problèmes de mesure : pauvreté et travail informel Sur le plan de la pauvreté, il faut qu’une flambée. En tout cas, il n’y aura signaler une certaine inadaptation des pas de données fiables pour 2020, avant instruments de mesure. C’est d’ailleurs le deuxième semestre 2021. Ensuite, et pour cela que l’indicateur RSA est à surtout, avec un seuil de pauvreté qui suivre avec intérêt. Les données INSEE est fonction du niveau de vie médian, 4 ou Eurostat sur la pauvreté, se calculant si le niveau de vie médian baisse (ce à partir de travaux annuels, sont tou- qu’il est raisonnable d’envisager pour jours en retard par rapport à une pres- 2020 et 2021), alors le seuil de pauvreté tation pour lesquelles les données sont baissera, et, mécaniquement, le taux de fournies trimestriellement et devraient pauvreté. Petite absurdité du système : même faire l’objet, à partir de 2021, d’un quand tout va bien, la pauvreté aug- tableau de bord mensuel 8. mente presque mécaniquement, quand tout va mal c’est l’inverse. Ce simple Du côté des chiffres plus généraux sur la petit sujet technique a son importance. pauvreté, publiés par l’INSEE, il faut bien relever des insuffisances pour un suivi Autre sujet d’importance : celui du tra- conjoncturel efficace. Il faut aussi souli- vail informel, ou travail au noir. Diverses gner que la définition retenue (une pau- méthodes existent pour l’estimer, du vreté monétaire relative qui se calcule en côté ministère des Finances ou URS- fonction du niveau de vie médian) peut SAF. Le point d’actualité a trait à des être discutée, notamment en période observations plus sociologiques qu’éco- de crise économique. D’abord, les der- nomiques. Dès le premier confinement, niers chiffres dont on dispose fin 2020 les files d’attente aux distributions ali- sont pour 2019 (14,5 % de la population mentaires ont étonné. On peut les expli- comptée comme pauvre, contre 14,8 % quer de façon un rien originale par rap- en 2018) 9. Ces chiffres, les plus récents, port à ce qui se raconte habituellement indiqueraient plus un infléchissement sur l’explosion de la pauvreté. D’abord, (8) Sur la mise en place d’un suivi mensuel des prestations de solidarité pendant la crise sanitaire, annoncée fin 2020 : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/plus-de- 2-millions-d-allocataires-du-rsa-fin-octobre-2020-mise-en-place-d-un (9) V. l’estimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités publiée par l’INSEE, le 18 nov. 2020 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4964147 Mars - Avril 2021 - C - RDSS
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire DOSSIER ces files paraissent très denses, car boulots qui s’est véritablement effon- le nombre de services de distribution drée. Pas de jardinage rémunéré, moins alimentaire se réduit. Tout simplement de revenus non déclarés (en totalité ou parce qu’une partie des bénévoles, partiellement) dans certains secteurs généralement âgés, restent confinés comme la restauration ou le bâtiment, (pendant les périodes de confinement, moins de jobs d’étudiants (babysitting, naturellement). Ensuite, dans un espace petits cours, etc.). Tout ce qui permet, en public qui est vidé de ses passants, on régime économique habituel, de complé- voit davantage ces services de distribu- ter les ressources des ménages pauvres tion alimentaire qui, de surcroît, pour ou modestes a été largement altéré par certains d’entre eux, étaient auparavant les confinements et le ralentissement organisés dans des bâtiments et qui, économique. pour des raisons sanitaires, sont main- tenant organisés à l’extérieur. Cela dit, Du côté des allocataires de minima les prestataires de ces services, géné- sociaux, il faut signaler un phénomène ralement associatifs, ont rapporté, dès simple. Les personnes en difficulté se le printemps 2020, des profils nouveaux, sont tournées vers les associations et qu’il s’agisse de jeunes ou de personnes les élus locaux, très peu vers les caisses plus âgées jamais venus, dont des allo- de sécurité sociale, principalement les cataires de minima sociaux qui, eux CAF, qui avaient pourtant abondé leurs aussi, n’avaient jamais sollicité cette budgets de secours exceptionnels. Bien aide. Or les bénéficiaires de minima entendu, ces aides sont peut-être moins sociaux n’ont pas vu leurs niveaux de connues. Mais il est aussi plus difficile vie diminuer. Il faut entendre par là leur de venir les demander en signalant que niveau de vie tel que l’on peut le mesu- ses revenus, informels, ont diminué. rer à partir des prestations légales et 5 de la fiscalité. Si ces personnes ont eu Il faut donc tirer comme leçon de la nécessité de recourir à des aides excep- période l’importance de cette économie tionnelles, c’est, d’une part, parce que informelle. Même si c’est sans chiffre parfois de nouvelles dépenses s’impo- précis, dans la vie quotidienne des plus saient à elles : pensons aux familles qui modestes, des jeunes en particulier, il y n’avaient plus leurs enfants à la cantine a là une dimension capitale qui pouvait quand les écoles étaient fermées ; c’est, largement échapper aux radars. Et qui d’autre part, parce qu’une grande partie s’avère très difficile à bien délimiter et de l’économie informelle s’est écroulée. à compenser. Pour faire spectaculaire, on pour- Plus largement, la pauvreté, en raison rait parler de la prostitution et de la de son caractère multidimensionnel, ne drogue, même si le numérique a, dans se laisse pas aisément apprécier par ces activités aussi, permis des adap- une statistique unique. Plus que les tations. Mais plus généralement, c’est évolutions conjoncturelles de la pauvreté toute l’économie de la débrouille, faite monétaire ou du RSA, ce qui importe ce d’argent liquide, de services et petits sont ses transformations. III - Les conséquences de la crise sur dix transformations de la pauvreté Depuis deux ou trois décennies, les Elles font l’objet de décisions et de évolutions de la pauvreté sont le thème prises de position politiques, ainsi que d’une littérature spécialisée florissante. de débats techniques nourris. On s’in- RDSS - C - Mars - Avril 2021
DOSSIER La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire téresse généralement à l’augmentation sous un seuil à 60 % ou à 50 % du ou à la diminution (plus rarement) du niveau de vie médian), la tendance, phénomène. Certains problèmes spé- depuis les années 1970 est, d’abord, à cifiques ont progressivement atteint une baisse puis à une stabilisation du l’agenda politique : enfants pauvres, taux de pauvreté (entre 13 % et 15 %). travailleurs pauvres, sans-abri, etc. Les Cette diminution puis cette stabilisation ruptures et transformations majeures de la pauvreté, mesurée sous sa forme sont toutefois assez rares. monétaire, masque de profondes trans- formations. En un mot, la pauvreté s’est Si l’on reprend l’indicateur INSEE le bien davantage transformée qu’elle n’a plus classique (la pauvreté entendue augmenté 10. Graphique 3 | Évolutions du taux de pauvreté (en %) 17 16 15 14 6 13 12 11 10 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 Source : INSEE On peut souligner dix transformations de 1) L’inscription sur l’agenda politique. la pauvreté, qui caractérisent les deux ou Alors que le sujet de la pauvreté n’était trois dernières décennies, et les rappro- pas un sujet d’importants débats pendant cher des traits de la crise économique les Trente glorieuses, il s’est imposé et sociale amenée par le coronavirus et à partir des années 1980. Certes, les les confinements. L’exercice permet une thèmes du « quart monde » ou encore vision prospective sur les mois et années des « sans-logis » avaient émergé, mais qui viennent. ils n’avaient absolument pas la même (10) Pour davantage de précisions, v. Damon, L’Exclusion, PUF, coll. QSJ ?, 5e éd., 2018. Mars - Avril 2021 - C - RDSS
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire DOSSIER importance dans le débat public. Glo- les Trente glorieuses, des personnes balement, la pauvreté, dans le contexte âgées qui n’avaient pas encore accès à Covid, s’inscrit fermement dans la liste des régimes de retraite performants. Ce des thèmes repérés comme essentiels sont, aujourd’hui, d’abord des jeunes et à traiter par le gouvernement. Dans ses des enfants vivant dans des ménages qui « vœux aux Français » du 31 décembre n’ont pas accès à une insertion profes- 2020, le président de la République a sionnelle stable. La crise contemporaine clairement indiqué, tout au début d’ail- met incontestablement en lumière la leurs de son intervention, l’intérêt qu’il concentration de la pauvreté sur la jeu- portait au sujet. Emmanuel Macron nesse. À court terme, avec un chômage souligna, à cette occasion, l’importance qui pèse d’abord sur les jeunes, et avec d’agir en direction de « tous nos compa- des niveaux de vie qui n’auront pas triotes vivant dans la précarité, parfois baissé pour les retraités (à la différence la pauvreté, pour qui la crise que nous des populations actives), les différences traversons rend le quotidien plus diffi- vont s’accroître entre les jeunes arrivant cile encore ». Il n’est pas nécessaire de sur le marché du travail et ceux qui l’au- longuement argumenter pour considérer ront tout juste quitté. Il y a là matière que la pauvreté restera en bonne place nouvelle pour tous les débats, plus ou des sujets à traiter par les politiques moins tendus, sur les équilibres généra- publiques. tionnels. Le président de la République a évoqué le sujet, dans ses vœux, en 2) Une politique publique prioritaire. parlant du « fardeau » de la dette trans- Alors que la pauvreté n’était pas éri- mis à la jeunesse. L’accentuation des gée en risque de sécurité sociale ni en déséquilibres des comptes publics et priorité explicite des mécanismes de l’accentuation des difficultés d’accès au protection sociale, la lutte contre la pau- marché du travail consécutives aux déci- 7 vreté et l’exclusion est établie, depuis sions de 2020 font incontestablement de les années 1990, comme une priorité la jeunesse la préoccupation majeure en des politiques publiques. Récemment, termes de pauvreté. le gouvernement avait lancé en 2018 une nouvelle « stratégie nationale de pré- 4) La « monoparentalisation » de la vention et de lutte contre l’exclusion » 11. pauvreté. Alors que les familles nom- Cette stratégie a été heurtée par la breuses sont moins nombreuses et les crise du coronavirus. L’un de ses projets familles monoparentales plus répan- phares, la création d’un « revenu univer- dues, la pauvreté affecte d’abord des sel d’activité » (RUA), consistant en une personnes vivant dans des familles fusion des principales prestations d’aide monoparentales. Rien ne peut proba- sociale (dont le RSA, mais aussi les aides blement s’envisager rigoureusement à au logement) 12, a été freiné. Un autre, court terme sur les évolutions de la le « service public de l’insertion et de monoparentalité liées à la Covid et à ses l’emploi », a été ralenti mais relancé fin conséquences. Les confinements, sur le 2020. En tout état de cause, la période plan démographique, auront donné lieu qui vient sera certainement à l’innova- à un mini « baby boom » ou à un mini tion et aux nouveaux développements en « divorce boom ». Les données sur la matière de lutte contre la pauvreté. monoparenalité seront disponibles fin 2021. On peut simplement souligner que 3) Le rajeunissement de la pauvreté. les familles monoparentales sont bien Les pauvres étaient d’abord, pendant celles qui pâtissent le plus de la pau- (11) V. Le « plan pauvreté », RDSS(dossier), 2018. 941 s. ; v. aussi https://solidarites-sante.gouv.fr/affaires-sociales/lutte- contre-l-exclusion/lutte-pauvrete-gouv-fr/ (12) Au sujet de ce « RUA », v. J. Damon, Le projet de RUA, c’est le projet de RSA, RDSS 2020. 238. RDSS - C - Mars - Avril 2021
DOSSIER La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire vreté et de confinements qui à la fois avec des emplois stables. Là aussi, la limitent leurs revenus et les obligent à donnée, pour mesurer les impacts de la une présence accrue auprès des enfants période récente, ne sera pas disponible (lorsque ceux-ci ne sont pas à l’école). rapidement. Il est en tout cas certain que la crise aura pour conséquence 5) La féminisation. De la monoparen- des tensions accrues sur les emplois talisation de la pauvreté découle une précaires et sur les jeunes. La part et certaine féminisation de la pauvreté. Les le volume des personnes exerçant une femmes à la tête de foyers monoparen- activité professionnelle tout en vivant taux ont plus de difficultés encore sur dans un ménage compté comme pauvre le marché du travail. Cette féminisation devraient donc augmenter. de la pauvreté a certes trait à la mono- parentalité, mais aussi à l’espérance 8) La dépendance accrue aux presta- de vie plus élevée des femmes. Parmi tions. Si les taux de pauvreté restent les pauvres âgés, on trouve surtout des relativement constants (entre 13 % et femmes âgées. Il n’est pas du tout cer- 15 % depuis plus de vingt ans), c’est, tain que la crise ait un impact sur ce entre autres raisons, parce que les phénomène. dépenses sociales en général et les dépenses spécifiques pour remédier à 6) Le problème des budgets contraints. la pauvreté augmentent. La dépense Si les taux de pauvreté restent relative- publique, notamment sociale, n’a jamais ment constants, l’augmentation du coût été aussi élevée qu’en 2020. Pour les de la vie, et singulièrement des coûts salariés du privé en activité partielle, les du logement, a un puissant impact sur pouvoirs publics (État et régime d’as- les budgets des plus défavorisés. La surance chômage) ont dépensé comme 8 période récente, disons depuis le pre- jamais ils ne l’avaient fait. Par ailleurs, mier confinement du printemps 2020, a nombre d’aides conjoncturelles ont été montré l’importance du travail au noir versées. La dépense publique ne saura mais aussi, plus largement, la fragilité rester après 2020 au niveau de ce qu’elle des budgets des ménages modestes. a atteint cette année. Il n’en reste pas Il est certain que ce dossier comman- moins qu’un nombre accru de chômeurs dera des révisions du côté du système et de jeunes sans emploi va alimen- socio-fiscal, avec reprise du dossier du ter une dépense toujours importante. RUA et, surtout, innovations du côté des Encore une fois, avec des indications aides aux plus modestes. La piste des statistiques qui seront ce qu’elles sont « chèques consommation », est de plus sur la pauvreté, on verra s’approfondir la en plus souvent évoquée, notamment part du budget des ménages modestes par des think tanks, assez différents, constituée d’aides publiques. comme Terra Nova, les Gracques ou encore l’Institut Montaigne 13. 9) L’urbanisation de la pauvreté. Tandis que la pauvreté se stabilisait en moyenne 7) Davantage de travailleurs pauvres. nationale, elle augmentait clairement Les travailleurs pauvres sont certes des dans l’agglomération parisienne et dans individus en situation professionnelle les autres unités urbaines de plus de précaire, mais la pauvreté se mesurant 200 000 habitants. Plus que l’urbanisa- non pas à l’échelle individuelle mais à tion de la pauvreté, c’est sa concentra- celle du ménage, les travailleurs pauvres tion urbaine qui est préoccupante. C’est sont aussi des personnes vivant dans la problématique des « zones urbaines des familles à faibles revenus, même sensibles », que l’on appelle maintenant (13) V. É. Chaney, J. Damon, Relance : trente milliards d’euros pour les plus modestes, Note de l’Institut Montaigne, nov. 2020 : https://www.institutmontaigne.org/publications/relance-30-milliards-deuros-pour-soutenir-les-popula- tions-modestes Mars - Avril 2021 - C - RDSS
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’épreuve de la crise sanitaire DOSSIER « quartiers prioritaires ». Les taux de des langues de pays issus de l’ex-bloc pauvreté y sont deux à trois fois plus soviétique. Aujourd’hui, il faut pouvoir se élevés qu’en population générale. Sur ce débrouiller avec l’ensemble des langues plan géographique, ce n’est probable- du monde. La pauvreté, qui pouvait se ment pas tant l’urbanisation croissante saisir comme un problème essentiel- de la pauvreté qui préoccupera : c’est lement national, s’est, dans une cer- l’intensité variée du choc économique taine mesure, internationalisée 15. Pour selon les territoires. Déjà, les chiffres du apprécier ce dixième trait, sur le plan RSA ne montrent pas le même impact des suites de 2020, il faut se placer dans selon les départements 14. Ce ne sont pas une perspective globale. Ce qui nourrit les départements les plus affectés par la l’immigration venant elle-même nourrir désindustrialisation qui ont été le plus la pauvreté en France relève de la désta- frappés. Ce sont des départements d’ac- bilisation politique et économique d’une tivité tertiaire, touristique notamment. Il partie du monde. La crise du corona- est probable, en tout cas possible, que la virus et des confinements a également crise débouche sur une géographie de la cet effet. Les migrations de pauvreté pauvreté relativement nouvelle. - baptisons-les ainsi - ne devraient pas diminuer. Au contraire. 10) Un rôle croissant de l’immigration. Le sujet est très sensible. Pour illus- Ces dix traits ne dessinent pas l’image trer la plus grande part prise par l’im- de la pauvreté à venir. Ils ne permettent migration dans la pauvreté, on peut pas un portrait détaillé. Ils autorisent, signaler qu’au milieu des années 1980, en revanche, une perspective sur ce à la création des Restos du Cœur, il qui pointe, et qui se résume en une suffisait de parler français pour se faire formule : continuation des transforma- comprendre. Dans les années 1990, il tions de la pauvreté et accentuation des 9 a fallu trouver des traducteurs pour difficultés. (14) V., ici aussi, les données conjoncturelles de la CAF sur le RSA : www.caf.fr (15) V. aussi, à ce sujet, la note de J. Damon, à partir des données du Secours Catholique, « De plus en plus d’étran- gers et sans-papiers parmi les pauvres », Telos, 1er déc. 2020 : https://www.futuribles.com/fr/article/de-plus-en- plus-detrangers-et-sans-papiers-parmi-l/ RDSS - C - Mars - Avril 2021
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