Personnalité et water-polo Investigation à l'aide du Questionnaire de Personnalité pour Sportifs d'E. Thill

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J.-P. HEUZE, UFR-STAPS de Dijon, Campus Montmuzard, B.P. 138, 21004 Dijon
Cedex.

                   Personnalité et water-polo
             Investigation à l'aide du Questionnaire
             de Personnalité pour Sportifs d'E. Thill

La réalisation d'une performance de haut niveau passe par une planification rigoureuse
de ses composantes. Les recherches, dans le domaine sportif, ont abouti à la prise en
compte de multiples facteurs qui interagissent dans la détermination d'une performance
majeure.
Les premiers travaux se sont intéressés aux variables physiologiques, biomécaniques
et morphologiques. Les facteurs psychologiques requis par un sport donné n'ont fait
l'objet d'études que plus récemment. Le monde sportif a privilégié l'apparence sur ce
qui, de fait, la détermine (Vigarello, 1988). Mais l'accroissement des performances des
athlètes a contraint les cadres sportifs à accorder plus de poids aux paramètres
psychologiques.
Cette évolution se retrouve au water-polo où, à notre connaissance, il existe peu de
travaux abordant ce sport sous un angle psychologique. Or le règlement de cette
activité crée un système de contraintes variées.
Les exigences physiques proviennent du milieu aquatique qui procure des appuis
instables, des dimensions du champ de jeu qui supposent de nombreux déplacements
d'intensité et de durée variables, des interactions des joueurs qui nécessitent force,
vitesse, endurance, souplesse et coordination.
Les impératifs techniques sont liés au transport du ballon vers la cible adverse (tirs,
réceptions, passes, prises de balles, lancers...), à la motricité des joueurs dans ce
milieu (crawl avec tête hors de l'eau ; dos avec jambes en brasse ; rétropédalage...) et
à la combinaison de ces deux modalités (pour la conduite de la balle, le dribble, etc...).
Les nécessités tactiques renvoient à l'organisation des conduites motrices des
participants au sein de structures de jeu (défensives et offensives), en rapport avec les
postes occupés.
Les contraintes psychologiques découlent principalement de la durée limitée de
certaines actions (le temps de possession du ballon de 35"; le temps d'exclusion de
20"), des interactions motrices au cours desquelles la distance de charge (Parlebas,
1986) varie selon que le joueur est ou n'est pas en possession du ballon, de la
nécessaire coopération des équipiers pour vaincre l'adversaire compte tenu des
consignes énoncées par le règlement.
Ces exigences s'appliquent à tous les joueurs, mais connaissent de fines variations en
fonction des postes de jeu. Ainsi, un ailier ne développe pas la même motricité en
attaque qu'un avant de pointe. Il ne subit pas la même opposition (nous reviendrons sur
les caractéristiques des postes plus après). L'élévation du niveau de jeu accentue la
spécialisation à un poste. Pourtant, ce sont les situations de jeu qui déterminent le
placement des joueurs dans l'eau. Aussi leur est-il demandé une certaine polyvalence
qui leur permet de s'exprimer à tous les postes (Clémençon et Delon, 1989). Ce
paradoxe nous a semblé intéressant à étudier du point de vue de son retentissement
sur les dimensions de la personnalité du pratiquant de water-polo.
La personnalité constitue un champ d'études privilégié en psychologie. Les
nombreuses théories proposées se sont attachées à établir la «consistance» des
conduites. Ces modèles peuvent être regroupés en trois courants majeurs:
personnaliste, situationniste et interactionniste (Ekehammar, 1974).
Les premiers travaux sur la personnalité se sont appuyés sur des modèles
personnalistes. Ils insistent sur l'importance des facteurs personnels dans la
détermination du comportement. Ces variables internes sont censées rendre compte de
la «consistance » trans-situationnelle des conduites (e.g., traits).
Le courant situationniste d'inspiration béhavioriste a avancé une autre explication. Pour
celui-ci, les facteurs situationnels déterminent le comportement en l'initiant et en
l'orientant. Cette orientation théorique a conduit à affirmer une spécificité du
comportement dans une situation (Endler et Magnusson, 1976).
Les travaux entrepris dans ces cadres théoriques n'ont pas permis de conclure à une
«consistance» des conduites (Bowers, 1973 ; Huteau, 1985). Ils ont entraîné une
remise en cause de ces deux courants. Il leur a été reproché de se limiter à une vue
partielle de la personnalité. Après avoir chacun ignoré les facteurs considérés comme
importants par l'autre, ces modèles se sont rapprochés en évoluant vers une
perspective interactionniste. Le courant personnaliste a reconnu l'influence de facteurs
situationnels en admettant que les individus puissent se comporter différemment dans
des situations différentes; les théoriciens du comportement comme ceux de
l'apprentissage social ont introduit des variables internes dans leurs modèles (Endler et
Magnusson, 1976).
L'interactionnisme s'appuie sur des facteurs personnels et situationnels pour expliquer
les conduites. Ekehammar (1974) place le début de ce courant autour des années 30,
dans les travaux de Kantor puis de Lewin. Actuellement, deux conceptions de
l'interactionnisme existent.
La première suppose une causalité unidirectionnelle entre des variables indépendantes
(situationnelles et personnelles) et des variables dépendantes (les conduites
observables). Cette conception s'appuie sur un modèle mécanique de l'homme ou de
l'organisme réactif (Overton, Reese in EndIer et Magnusson, 1976). La conduite
apparaît comme le simple résultat d'une interaction entre des facteurs personnels et
situationnels. Cet interactionnisme statique ou mécanique (Endler et Magnusson,
1976), n'envisage pas d'effets en retour de la conduite sur les facteurs qui l'ont
déterminée (Huteau, 1985).
La deuxième conception présume une causalité réciproque entre les variables
indépendantes et dépendantes. Elle se fonde sur un modèle organique ou dynamique
de l'homme. L'individu affecte le caractère des situations par ses actions conscientes
ou inconscientes. Cette perspective appelle un comportement intentionnel, dirigé vers
un but. La personne est active et douée d'intention. Elle interprète les situations et leur
attribue une signification qui dépend de plusieurs paramètres (e.g., histoire
personnelle, vécu...). L'interactionnisme se définit alors comme un processus
d'interaction continu et dynamique entre des facteurs personnels et situationnels
(Endler et Magnusson, 1976).
Pervin (in Endler et Magnusson, 1976) propose de parler d'interaction pour
l'interactionnisme statique et de transaction pour la deuxième conception. Le modèle
transactionnel insiste sur la signification accordée à la situation par le sujet et la
présente comme un déterminant essentiel du comportement. Ce modèle implique le
recours à des mécanismes cognitifs. Cette orientation théorique se retrouve, par
exemple, dans la modélisation de la motivation par Atkinson. L'auteur conseille
d'apprécier le niveau d'engagement motivationnel d'un sujet dans une activité à partir
de la force du mobile, de la probabilité du succès et de la valeur incitative du succès
(Thill, 1986).
Endler et Magnusson (1976) se prononcent en faveur du modèle transactionnel, qu'ils
considèrent plus fonctionnel et plus réaliste. Mais ils reconnaissent les limites des
méthodologies actuelles qui ne permettent pas d'examiner la nature de la causalité
réciproque ou de l'interaction dynamique. En conséquence, ils préconisent le recours
aux deux types de modèles. Pour une première étude sur la personnalité des joueurs
de water-polo, nous nous référons à un interactionnisme statique.
Les études sur la personnalité du sportif, apparues au début des années 50, ont tenté
d'identifier des facteurs de la performance sportive (Thill, 1986). Elles posent le
problème de la relation entre la pratique sportive et la personnalité de celui qui s'y
adonne. Trois grandes problématiques ont été successivement abordées: les
psychologues ont cherché à identifier un profil psychologique qui différencierait les
sportifs des non-sportifs, puis les sujets experts des débutants, enfin, qui distinguerait
les sportifs en fonction du sport pratiqué ou des spécialités dans les disciplines
sportives (Filliard, Lévêque et Moreaux, 1992).
Le modèle des traits, issu du courant personnaliste, a servi d'assise théorique à de
nombreux travaux grâce à sa capacité descriptive. Pour celui-ci, les traits constituent
une prédisposition basique; ils sont censés rendre compte de la «consistance» des
conduites au travers des situations.
Les études menées dans cette perspective théorique, ont conduit à des interprétations
contradictoires. Certaines ont conclu à des différences significatives entre sportifs et
non-sportifs, entre athlètes de haut niveau et débutants, ou entre pratiquants de
disciplines variées (Kane, 1966 ; Kroll et Péterson, 1965). D'autres n'ont pas noté de
telles différences (Rushall, 1967 ; Vanek et Cratty, 1972). Enfin, Hardman (1973) a
constaté, en comparant des études réalisées à l'aide de l'inventaire de personnalité de
Cattell, que pour une même discipline, les auteurs arrivaient à des conclusions
différentes, voire opposées.
Ces divergences dans les résultats, ont amené plusieurs auteurs à remettre en cause
l'hypothèse d'une influence de la pratique sportive sur la personnalité (Cratty, 1973 ;
Martens, 1975; Thomas, 1982; Vanek et Cratty, 1972). La personnalité générale du
sportif serait une abstraction (Vanek, Hosek, Rychtecky et Slepicka, 1980).
Ceux qui défendent cette hypothèse, ont expliqué ces incohérences observées, par
l'inadaptation des questionnaires classiques de personnalité au domaine sportif
(Morgan, 1980 ; Tutko et Richards, 1971). D'après ces chercheurs, il convient de
construire des outils spécifiques à ce domaine, et possédant des échelles de validité.
La faible consistance des premiers résultats obtenus a également conduit à
reconsidérer le modèle des traits (Thill et Brenot, 1985). Il semble que les premières
études aient été entachées d'un biais attributif: on a cherché à expliquer et prédire des
comportements à partir des seules variables personnologiques (Thill, 1986). Les
critiques formulées à l'encontre de cette théorie ne portent pas sur les traits, mais sur la
difficulté de leur mesure, leur inefficacité relative à pronostiquer des comportements et
leur caractère supposé de généralité (Thill et Brenot, 1985). Elles ont amené les
psychologues à envisager une «consistance» relative des conduites (Thill, 1986). Pour
mieux comprendre celles-ci, il apparaît nécessaire de rapporter les variables internes
aux situations rencontrées. Thill (1986) propose d'utiliser des procédures de mesures
des traits qui prennent en considération les situations dans lesquelles les conduites
sont censées se développer. Nous retrouvons l'interactionnisme statique précisé par
Endler et Magnusson (1976).
De nouvelles investigations ont été menées à l'aide d'outils spécifiques au domaine
sportif.
Certaines cherchent à appréhender la personnalité des athlètes à partir d'une
configuration de traits spécifiques à la pratique sportive. Ainsi, Thill (1983a) a identifié
des profils psychologiques différents sur des spécialistes de voile, en fonction du poste
occupé. Les résultats obtenus par les candidats aux Centres Permanents
d'Entraînement et de Formation montrent des profils psychologiques qui diffèrent selon
le sport pratiqué (Filliard et Lévêque, 1990). Dans une perspective plus dynamique,
Thill (1988) a mis en évidence une influence structurante de la pratique sportive sur les
traits de personnalité, lors d'une étude longitudinale sur des sportifs de différentes
disciplines.
D'autres travaux portent sur des caractéristiques précises de la personnalité. Ainsi,
plusieurs auteurs ont constaté, chez les sportifs, une tendance à l'extraversion
(Eysenck, Nias et Cox, 1982). Kroll (1979) observe que de nombreuses études
signalent un niveau d'anxiété moindre chez les athlètes, par rapport aux non-athlètes.
Il semble donc que les traits ne soient pas des dispositions invariantes, mais puissent
être compris comme des qualités susceptibles d'adaptation en fonction des situations.
Ces travaux vont dans le sens d'une personnalité en rapport avec la discipline sportive
pratiquée, voire avec le poste occupé.
Par notre étude sur des pratiquants de water-polo, nous souhaitons comprendre s'il
existe une relation entre des traits de personnalité et un type de pratique, ou un niveau
de pratique. Nous faisons l'hypothèse que le joueur de water-polo présente un profil
psychologique en rapport avec son activité, son niveau d'expertise et son poste de jeu.
Nous n'écartons pas le fait que des dispositions psychologiques puissent être sous-
jacentes au choix de l'activité sportive. Mais d'autres variables, en particulier sociales,
peuvent également expliquer ce choix (Thill, 1986, 1988). Nous nous contentons
d'étudier, pour ce qui nous concerne, une possible adéquation entre un profil
psychologique et une pratique sportive particulière (le water-polo).
Pour cela, nous demanderons à des experts de réaliser une description des exigences
psychologiques par poste en termes de qualités requises et de tâches à effectuer. Dans
notre interprétation, nous pourrons confronter ces descriptions de comportements
requis aux évaluations en termes de traits.
MÉTHODE

Population

Elle se compose de 64 joueurs évoluant dans les Championnats de France de
Nationale 1 (20 joueurs), 1B (23 joueurs) et 2A (21 joueurs). Leur moyenne d'âge est de
23,5 ans. En moyenne, ils pratiquent le water-polo depuis 8,5 ans, à raison de 7 heures
d'entraînement hebdomadaire. Notre population ne nous a pas permis de constituer des
échantillons significatifs par poste de jeu. Nous avons regroupé les joueurs par ligne de
jeu. Notre groupe d'avants se composent des ailiers et des avants de pointe ; notre
groupe d'arrières réunit les milieux et les centres en retrait.

Variables

L'interactionnisme statique suggère de considérer les traits de personnalité et les
situations propres au water-polo (en fonction du niveau et du poste occupé) comme les
variables indépendantes. Leur interaction produit les conduites observables dans le jeu
(les variables dépendantes), que nos experts précisent dans les tâches à réaliser.

Méthodes de mesure

Pour appréhender la personnalité des joueurs de water-polo, nous avons utilisé le
Questionnaire de Personnalité pour Sportifs d'E. Thill (1983b). Cet outil considère la
performance comme la résultante de facteurs situationnels et personnels (Filliard,
Lévêque et Mureaux, 1992). il permet de mesurer le jeu des interactions entre une
pratique sportive spécifiée et la personnalité des sportifs (Thill, 1986). Il peut donc être
utilisé dans une perspective interactionniste (Thill et Brenot, 1985). Il nous a permis de
travailler sur un nombre relativement important de sujets et de comparer nos résultats à
d'autres populations. De plus, cet outil a été validé et étalonné avec rigueur (Thill,
1983b; Thill et Brenot, 1985).
Le QPS se présente sous la forme de 340 affirmations auxquelles le sujet répond par
«vrai» ou «faux». Nous n'avons utilisé que la forme adulte du QPS, destinée aux sujets
de plus de 17 ans. Quatre domaines sont évalués au travers de 14 traits (tableau 1) :
        - le domaine de la motivation regroupe le désir de réussite (DR apprécié à partir
        de ses deux composantes: extrinsèque, DR2 et intrinsèque, DR1) et l'estime de
        soi (ES) ;
        - le domaine de l'activité comprend l'endurance psychologique (EP), la vitesse-
        intensité (VI) et la compétitivité psychologique (CP) ;
        - le domaine du contrôle comporte le contrôle de l'activité (CA), la prise de risque
        (PR), le contrôle émotionnel (CE) et la résistance psychologique (RP) ;
        - le domaine de la relation englobe l'extraversion-introversion (El), la dominance
        (DO), l'agressivité (AG), la sociabilité (SO) et la coopération (CO).
La désirabilité sociale (DS) permet d'apprécier le degré de sincérité du sujet lors de la
passation de ce questionnaire.
Deux autres questionnaires ont été utilisés.
Le premier, destiné aux joueurs, permet le recueil d'informations sur l'âge, le club, le
niveau de jeu et la pratique du joueur. Le deuxième, destiné aux entraîneurs, porte sur
les exigences psychologiques du water-polo. Il leur demande de préciser pour chaque
poste, dans un tableau, les qualités dominantes requises et les tâches à réaliser
(Clémençon et Delon, 1989). Nous avons remis ce questionnaire à chaque entraîneur
de club lors des passations de QPS par les joueurs.

Traitement des données

Nous avons réalisé des tests de comparaisons de moyennes pour groupes
indépendants (test t de Student), avec un seuil maximum de signification de cinq pour
cent (Vessereau, 1988).
TABLEAU 1. - Signification des quatorze traits de personnalité
                    Notes basses                    Notes élevées
Désir de            Peu ambitieux,                  Motivé, désir de
Réussite            irrésolu, intérêts              réussite, d'exceller
(DR)                limités, passif                 d'acquérir un statut
Estime de Soi       Faible estime de                Se valorise, consistant
(ES)                soi, insatisfait,               intégré, influent
                    dépendant
Endurance           Peu endurant, se                Endurant, persévérant
Psychologique       décourage, dispersion           déterminé,
(EP)                des intérêts                    obstiné
Vitesse-Intensité   Lent, modéré,                   Vif, spontané, allure
(VI)                fatigable                       rapide, énergique
Compétitivité       Manque d'affirmation            Capacité de surpassement
(CP)                de soi, concède                 affirmé
Contrôle de         Contrôlé, délibéré,             Impulsif, insouciant
l'Activité (CA)     réfléchi, pondéré               imprévoyant
Prise de Risque     Préfère la sécurité,            Audacieux, prend des
(PR)                réservé, rigide                 risques, spontané
  Contrôle          Changeant d'humeur,             Stable émotionnellement,
Emotionnel          d'énergie, sensible,            égalité d'humeur,
(CE)                pessimiste                      euphorique
Résistance          Peu résistant aux               Résistant aux malchances,
Psychologique       pressions fortes                critiques et stress
(RP)                de l'environnement
Introversion-       Introverti,                     Extraverti, porté à
Extraversion        méditatif,                      l'activité manifestée,
(EI)                observation de soi              expressif
Dominance           Soumission, tendance            Dominant, persuasif,
(DO)                à suivre, manque de             aptitudes au
                    confiance                       commandement
Agressivité         Tolérant, inhibé,               Agressif, combatif,
(AG)                bienveillant, passif            défend sa place
Sociabilité         Socialement timide,             Sociable, entreprend
(SO)                réservé, se suffit à lui-même   contacts et activités sociales
Coopération         Autonome, méfiant,              Coopératif, abnégation
(CO)                critique, égocentrique          de soi au profit
                                                    du groupe
RÉSULTATS

Le tableau 2 permet la comparaison entre les joueurs de water-polo et la population
sportive de référence de Thill (1983b), constituée de sportifs de haut niveau de plus de
17 ans. Nos sujets présentent des résultats significativement supérieurs aux autres
sportifs pour ce qui concerne les traits vitesse-intensité, coopération, sociabilité,
résistance psychologique, extraversion-introversion, agressivité et contrôle de l'activité.
Leur désir de réussite par auto-détermination est cependant plus faible.

Le tableau 3 signale trois différences significatives en fonction du niveau de jeu: les
joueurs de Nationale 2A apparaissent supérieurs à ceux de la Nationale 1 aux traits
vitesse-intensité et coopération. Les joueurs de Nationale 1 manifestent une
compétitivité psychologique supérieure à celle des pratiquants de Nationale 1B.
Le tableau 4 différencie les avants des arrières pour sept des quatorze traits étudiés.
Les scores des avants s'avèrent plus élevés aux traits: vitesse-intensité, estime de soi,
extraversion-introversion, contrôle émotionnel, compétitivité psychologique, prise de
risque et sociabilité.
Le tableau V synthétise les opinions des entraîneurs sur les qualité dominantes
requises aux différents postes. Ces experts reconnaissent des similitudes entre les
postes de jeu. Tous exigent une importante puissance physique alliée à une rapidité
d'exécution. Mais les rôles tactiques différent selon les positions occupées dans l'eau.
Les entraîneurs attendent des arrières des qualités d'organisation et de distribution du
jeu; celles-ci supposent de l'expérience ainsi qu'une lecture optimale des tactiques
adverses. Ils demandent aux avants de créer le danger dans la défense adverse par
leur mobilité, leur vivacité, leur vision instantanée du jeu et leur anticipation.
INTERPRÉTATION

Qualités psychologiques et water-polo

La moyenne élevée au trait vitesse-intensité place les joueurs de water-polo dans la
catégorie des sujets vifs, spontanés, énergiques. Elle témoigne du jeu actuel en
mouvement.
Cette tendance est corroborée par la valeur du contrôle de l'activité qui décrit les
poloïstes comme impulsifs. Ce sport requiert spontanéité et immédiateté dans les
réponses motrices, car les contraintes de temps et d'adversité pèsent sur les joueurs.
Celles-ci sont liées au règlement :
        - le temps de possession du ballon réduit à 35 secondes ;
        - la possibilité de sanctionner tout joueur pour perte de temps ;
        - le droit de charge sur le joueur en possession du ballon, qui n'est pas limité par
le règlement.
Elles dépendent également des phases de jeu. Le joueur accomplit toutes sortes
d'actions avec célérité :
        - le débordement d'un adversaire dans les nombreuses situations de un contre
un;
        - la circulation de balle rapide sur le front de l'attaque afin de mettre les
défenseurs hors de position...
L'extraversion-introversion conforte cette analyse. Les poloïstes apparaissent
extravertis. Ce type psychologique est généralement reconnu comme propice à la prise
d'information et à l'échange avec autrui; il se rencontre fréquemment en sport collectif.
Cette extraversion sous-tend la capacité à réagir avec promptitude et énergie.
La convergence de ces trois traits renforce la signification de chacun d'eux et présente
le water-polo comme un sport où les contraintes spatio-temporelles sont soutenues. La
rapidité, la vivacité, la spontanéité et la vision du jeu soulignées par les entraîneurs
confirment ces résultats.
Leur note élevée au trait coopération corrobore les qualités d'abnégation des poloïstes
au profit du groupe. Associée à la sociabilité, cette caractéristique témoigne d'une
nécessaire adaptation à une pratique collective qui requiert une forte cohésion. La
nature du milieu environnant peut expliquer cette cohésion. Les appuis instables et les
déplacements, rendus difficiles par la résistance de l'eau, nécessitent une mise en
commun impérative des moyens. La sociabilité et la coopération élevées semblent
refléter la capacité des joueurs à servir la tâche et l'objectif du groupe. Ces qualités
sont mentionnées par nos experts.
Autre trait significativement supérieur à la population de référence, l'agressivité
témoigne de fortes dispositions combatives chez ces joueurs. Elle renvoie aux rigueurs
de l'affrontement, aux nombreux duels qui se caractérisent par une distance de charge
réduite. Mais la proximité des résultats aux échelles agressivité et dominance, semble
indiquer que cette agressivité est bien intégrée à la maîtrise du jeu.
La résistance psychologique des poloïstes dépasse celle de la population sportive
générale évaluée par Thill. Les poloïstes présentent une grande résistance aux aléas
de la compétition. Plusieurs explications peuvent être avancées. Elles recouvrent le
règlement comme les phases de jeu précédemment décrites. L'arbitre est également
une source de stress. Les règles lui laissent une part d'interprétation non négligeable.
Des sources de conflit existent (coup donné sous l'eau et non sanctionné ; faute
contestable sifflée contre soi...).
Le public, qui encourage son équipe, fait partie de ces aléas car dans une piscine il se
trouve à deux ou trois mètres du bord du bassin. Sa pression en est accentuée. Tous
ces facteurs permettent d'expliquer la capacité élevée des poloïstes à gérer et
surmonter les influences stressantes.
L'orientation des notes aux traits prise de risque et contrôle émotionnel, ajoutée à la
valeur importante de la résistance psychologique, soulignent en effet les bonnes
capacités de contrôle de ces sujets.
Le désir de réussite qui, avec l'estime de soi, appréhende la motivation, ne distingue
pas notre groupe de celui des sportifs en général. Il traduirait plutôt une faiblesse dans
ce domaine. Le caractère confidentiel de ce sport, lié à un désintérêt des médias, peut
éclairer ce résultat, et notamment pour ce qui concerne les incitations extrinsèques. De
plus les conditions de pratique du water-polo constituent une autre source d'explication
possible: l'amateurisme contraint les joueurs à gagner leur vie en dehors de leur
pratique. La profession représente un deuxième pôle de motivation, au détriment du
water-polo.
TABLEAU 5. - Analyse par poste.
Accentuation des traits en fonction du niveau de jeu

Avec l'élévation du niveau de pratique, les traits coopération et vitesse-intensité
s'atténuent. Même si la coopération semble diminuer, la valeur à ce trait reste
supérieure à la population de référence.
L'atténuation de la vitesse-intensité traduit une pondération accrue des joueurs de
Nationale 1. Nous l'expliquons par la maîtrise du jeu développé à ce niveau. Dans les
Nationales inférieures, les situations dangereuses sont essentiellement provoquées par
les déplacements des joueurs dans les défenses adverses. En Nationale 1, la maîtrise
technique des poloïstes leur permet de créer le danger par la circulation du ballon qui
règle leurs propres déplacements. Plus le joueur évolue à un niveau élevé, plus il
apprend à gérer le temps de possession du ballon que lui accorde le règlement (35").
Les poloïstes de Nationale 1 cherchent à éviter les aléas du jeu et à jouer des
situations connues (la tendance à la prise de risque appuie cette idée). Ils anticipent
sur les situations à venir ce qui suppose de la discipline, de la rigueur. Dans les
Nationales inférieures, les joueurs réagissent aux situations, d'où des comportements
plus réactifs.
La note obtenue par les joueurs de Nationale 1 au trait vitesse-intensité, traduit
également une meilleure gestion de leurs ressources énergétiques. Celle-ci se fait au
profit de l'accroissement de leur compétitivité psychologique. Les enjeux diffèrent entre
les Nationales 1 et 2A ; les équipes de Nationale 1 se battent pour le titre de champion
et leurs joueurs sont de potentiels sélectionnables pour l'équipe de France. La
tendance au trait désir de réussite va dans ce sens. La quantité et la qualité
d'entraînement autorisent également un niveau d'engagement supérieur, un volume de
jeu plus important.

Comparaison des avants et des arrières

La vitesse-intensité apparaît comme le trait le plus discriminatif. La caractéristique
observée chez les poloïstes se trouve accentuée chez les avants. Il leur est demandé
une rapidité de décision, de réaction et de déplacement pour exploiter les failles de la
défense adverse, partir en contre-attaque, se replier en défense, passer en un contre
un et créer un écart avec son adversaire. Le poids élevé de la contrainte temporelle les
amène à réagir avec promptitude à toute situation. Ce trait reflète les qualités de
rapidité, vivacité, spontanéité et anticipation que les entraîneurs attribuent aux avants.
Cette analyse est renforcée par le résultat au trait extraversion-introversion. Les avants
se révélant extravertis, dépendants de l'environnement. Nous avons signalé que ce
type psychologique est reconnu comme propice à la prise d'informations. Cette
particularité des avants s’accommode particulièrement à leur rôle de déstabilisation de
la défense adverse que leur confient nos experts. Cette mission tactique les contraint à
une prise d'informations quasi-instantanée sur les positions de leurs adversaires (pour
les contourner) et de leurs partenaires (pour combiner avec eux).
Ces deux caractéristiques psychologiques semblent moins développées chez les
arrières. La plus faible sollicitation de leur vitesse-intensité s'explique par la nature des
tâches qu'il leur est demandé d'accomplir: organiser, contrôler et réguler le jeu. Cette
organisation du jeu suppose une bonne vision de celui-ci. Les arrières se présentent
comme extravertis, mais dans une moindre proportion.
La sociabilité des avants s'exprime sur le versant relationnel et les porte à nouer des
relations avec autrui. Celle des arrières apparaît dans le jeu (en tendance, leur
coopération dépasse celle des avants); elle traduit leur plus grande abnégation au
profit de l'équipe. En organisant le jeu, ils servent les avants. Nous pouvons y déceler
une adéquation à leurs rôles, tels qu'ils sont définis par les entraîneurs.
La plus grande compétitivité psychologique des avants signifie leur capacité à se
surpasser. Elle renvoie aussi bien à leurs fonctions (déjà décrites) qu'à leurs places
dans l'eau. Les postes avancés qu'ils occupent, les désignent comme les plus
dangereux pour l'équipe adverse; ils subissent totalement la pression de la défense.
La prise de risque supérieure des avants se justifie également par leurs positions:
l'avant de pointe joue dos au but ; les ailiers, sur les côtés, disposent d'un angle de but
fermé. Enfin, leur plus grande créativité pour surprendre les défenses renforce ce trait.
Les entraîneurs décrivent un grand nombre de tâches à réaliser par les avants qui
impliquent une prise de risque de leur part: jeu dans un espace réduit, situations de
poursuite... Cette prise de risque est facilitée par la confiance en eux qu'ils affichent au
trait dominance (leur moyenne dépasse celle des arrières, sans atteindre le seuil de
signification [t = 1,324 ; significatif à .20]). Les avants se dévoilent comme stables
émotionnellement. Ils sont nantis de sérieux atouts dans le domaine du contrôle
(contrôle émotionnel, prise de risque, résistance psychologique, contrôle de l'activité).
Les pression psychologiques et physiques exercées par les défenseurs ont peu de
prise sur eux.
Le dernier trait qui distingue significativement nos deux groupes concerne l'estime de
soi. La meilleure estime de soi des avants s'inscrit dans la logique de leurs fonctions.
Ils créent et exploitent les occasions de but. Ils occupent des postes socialement
gratifiants.

CONCLUSION

Le Questionnaire de Personnalité pour Sportifs de Thill nous a permis de dégager le
profil psychologique du joueur de water-polo. Actuellement, les différences
significatives constatées recouvrent essentiellement le domaine relationnel
(extraversion-introversion, agressivité, sociabilité, coopération) ; elles mettent en valeur
l'aspect collectif de ce sport. Deux portent sur le domaine du contrôle (résistance
psychologique, contrôle de l'activité). La dernière appréhende le domaine de l'activité
(vitesse-intensité).
L'analyse par ligne de jeu différencie les joueurs en fonction de leur position avancée
ou reculée sur le terrain. Elle signale une bonne correspondance entre les contraintes
des postes, définies par les entraîneurs, et les caractéristiques psychologiques
relevées. Les avants présentent des traits psychologiques plus marqués dans les
domaines de l'activité, du contrôle, des relations et de la motivation.
Notre étude souligne une spécification de traits de personnalité chez le joueur de
water-polo, en fonction de sa pratique, de son niveau institutionnel et de sa place dans
le jeu. Elle ne nous permet pas de préciser si le choix de cette activité nécessite la
présence initiale de ces traits, ou s'ils sont renforcés par la pratique intensive de ce
sport (une étude longitudinale s'avérerait intéressante). Notre perspective théorique
nous conduit à interpréter ces différences comme le fruit de l'interaction entre les
dispositions internes des pratiquants et les situations qu'ils affrontent.
Ce travail pourrait être complété par le recueil de données sur de nouvelles
populations, pour constituer des effectifs suffisants. Si les tendances se confirment,
nous pourrions alors actualiser l'étalonnage du questionnaire de personnalité pour
sportifs en le rendant spécifique au water-polo. Par ailleurs, ceci autoriserait une
analyse plus fine par poste de jeu.
Au cours de notre étude, nous avons constaté une faiblesse de la motivation des
joueurs. Nous voyons là un axe possible de travail avec un psychologue du sport.
Cette étude constitue une première approche des contraintes psychologiques du water-
polo. Elle sert de point de départ à un recueil plus complet d'informations sur l'équipe
nationale, afin de proposer une démarche d'implication psychologique auprès de celle-
ci.

Ce prolongement s'avère d'autant plus intéressant qu'à l'heure actuelle nous assistons
au renouveau de la sélection française sur la scène internationale. Après vingt huit ans
d'absence aux Jeux Olympiques, la France a retrouvé ce niveau de compétition en
1988. Ses performances récentes lui ont permis de se qualifier, à nouveau, pour les
Jeux Olympiques de Barcelone.
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