Personnalité et water-polo Investigation à l'aide du Questionnaire de Personnalité pour Sportifs d'E. Thill
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J.-P. HEUZE, UFR-STAPS de Dijon, Campus Montmuzard, B.P. 138, 21004 Dijon Cedex. Personnalité et water-polo Investigation à l'aide du Questionnaire de Personnalité pour Sportifs d'E. Thill La réalisation d'une performance de haut niveau passe par une planification rigoureuse de ses composantes. Les recherches, dans le domaine sportif, ont abouti à la prise en compte de multiples facteurs qui interagissent dans la détermination d'une performance majeure. Les premiers travaux se sont intéressés aux variables physiologiques, biomécaniques et morphologiques. Les facteurs psychologiques requis par un sport donné n'ont fait l'objet d'études que plus récemment. Le monde sportif a privilégié l'apparence sur ce qui, de fait, la détermine (Vigarello, 1988). Mais l'accroissement des performances des athlètes a contraint les cadres sportifs à accorder plus de poids aux paramètres psychologiques. Cette évolution se retrouve au water-polo où, à notre connaissance, il existe peu de travaux abordant ce sport sous un angle psychologique. Or le règlement de cette activité crée un système de contraintes variées. Les exigences physiques proviennent du milieu aquatique qui procure des appuis instables, des dimensions du champ de jeu qui supposent de nombreux déplacements d'intensité et de durée variables, des interactions des joueurs qui nécessitent force, vitesse, endurance, souplesse et coordination. Les impératifs techniques sont liés au transport du ballon vers la cible adverse (tirs, réceptions, passes, prises de balles, lancers...), à la motricité des joueurs dans ce milieu (crawl avec tête hors de l'eau ; dos avec jambes en brasse ; rétropédalage...) et à la combinaison de ces deux modalités (pour la conduite de la balle, le dribble, etc...). Les nécessités tactiques renvoient à l'organisation des conduites motrices des participants au sein de structures de jeu (défensives et offensives), en rapport avec les postes occupés. Les contraintes psychologiques découlent principalement de la durée limitée de certaines actions (le temps de possession du ballon de 35"; le temps d'exclusion de 20"), des interactions motrices au cours desquelles la distance de charge (Parlebas, 1986) varie selon que le joueur est ou n'est pas en possession du ballon, de la nécessaire coopération des équipiers pour vaincre l'adversaire compte tenu des consignes énoncées par le règlement. Ces exigences s'appliquent à tous les joueurs, mais connaissent de fines variations en fonction des postes de jeu. Ainsi, un ailier ne développe pas la même motricité en attaque qu'un avant de pointe. Il ne subit pas la même opposition (nous reviendrons sur les caractéristiques des postes plus après). L'élévation du niveau de jeu accentue la spécialisation à un poste. Pourtant, ce sont les situations de jeu qui déterminent le placement des joueurs dans l'eau. Aussi leur est-il demandé une certaine polyvalence
qui leur permet de s'exprimer à tous les postes (Clémençon et Delon, 1989). Ce paradoxe nous a semblé intéressant à étudier du point de vue de son retentissement sur les dimensions de la personnalité du pratiquant de water-polo. La personnalité constitue un champ d'études privilégié en psychologie. Les nombreuses théories proposées se sont attachées à établir la «consistance» des conduites. Ces modèles peuvent être regroupés en trois courants majeurs: personnaliste, situationniste et interactionniste (Ekehammar, 1974). Les premiers travaux sur la personnalité se sont appuyés sur des modèles personnalistes. Ils insistent sur l'importance des facteurs personnels dans la détermination du comportement. Ces variables internes sont censées rendre compte de la «consistance » trans-situationnelle des conduites (e.g., traits). Le courant situationniste d'inspiration béhavioriste a avancé une autre explication. Pour celui-ci, les facteurs situationnels déterminent le comportement en l'initiant et en l'orientant. Cette orientation théorique a conduit à affirmer une spécificité du comportement dans une situation (Endler et Magnusson, 1976). Les travaux entrepris dans ces cadres théoriques n'ont pas permis de conclure à une «consistance» des conduites (Bowers, 1973 ; Huteau, 1985). Ils ont entraîné une remise en cause de ces deux courants. Il leur a été reproché de se limiter à une vue partielle de la personnalité. Après avoir chacun ignoré les facteurs considérés comme importants par l'autre, ces modèles se sont rapprochés en évoluant vers une perspective interactionniste. Le courant personnaliste a reconnu l'influence de facteurs situationnels en admettant que les individus puissent se comporter différemment dans des situations différentes; les théoriciens du comportement comme ceux de l'apprentissage social ont introduit des variables internes dans leurs modèles (Endler et Magnusson, 1976). L'interactionnisme s'appuie sur des facteurs personnels et situationnels pour expliquer les conduites. Ekehammar (1974) place le début de ce courant autour des années 30, dans les travaux de Kantor puis de Lewin. Actuellement, deux conceptions de l'interactionnisme existent. La première suppose une causalité unidirectionnelle entre des variables indépendantes (situationnelles et personnelles) et des variables dépendantes (les conduites observables). Cette conception s'appuie sur un modèle mécanique de l'homme ou de l'organisme réactif (Overton, Reese in EndIer et Magnusson, 1976). La conduite apparaît comme le simple résultat d'une interaction entre des facteurs personnels et situationnels. Cet interactionnisme statique ou mécanique (Endler et Magnusson, 1976), n'envisage pas d'effets en retour de la conduite sur les facteurs qui l'ont déterminée (Huteau, 1985). La deuxième conception présume une causalité réciproque entre les variables indépendantes et dépendantes. Elle se fonde sur un modèle organique ou dynamique de l'homme. L'individu affecte le caractère des situations par ses actions conscientes ou inconscientes. Cette perspective appelle un comportement intentionnel, dirigé vers un but. La personne est active et douée d'intention. Elle interprète les situations et leur attribue une signification qui dépend de plusieurs paramètres (e.g., histoire personnelle, vécu...). L'interactionnisme se définit alors comme un processus d'interaction continu et dynamique entre des facteurs personnels et situationnels
(Endler et Magnusson, 1976). Pervin (in Endler et Magnusson, 1976) propose de parler d'interaction pour l'interactionnisme statique et de transaction pour la deuxième conception. Le modèle transactionnel insiste sur la signification accordée à la situation par le sujet et la présente comme un déterminant essentiel du comportement. Ce modèle implique le recours à des mécanismes cognitifs. Cette orientation théorique se retrouve, par exemple, dans la modélisation de la motivation par Atkinson. L'auteur conseille d'apprécier le niveau d'engagement motivationnel d'un sujet dans une activité à partir de la force du mobile, de la probabilité du succès et de la valeur incitative du succès (Thill, 1986). Endler et Magnusson (1976) se prononcent en faveur du modèle transactionnel, qu'ils considèrent plus fonctionnel et plus réaliste. Mais ils reconnaissent les limites des méthodologies actuelles qui ne permettent pas d'examiner la nature de la causalité réciproque ou de l'interaction dynamique. En conséquence, ils préconisent le recours aux deux types de modèles. Pour une première étude sur la personnalité des joueurs de water-polo, nous nous référons à un interactionnisme statique. Les études sur la personnalité du sportif, apparues au début des années 50, ont tenté d'identifier des facteurs de la performance sportive (Thill, 1986). Elles posent le problème de la relation entre la pratique sportive et la personnalité de celui qui s'y adonne. Trois grandes problématiques ont été successivement abordées: les psychologues ont cherché à identifier un profil psychologique qui différencierait les sportifs des non-sportifs, puis les sujets experts des débutants, enfin, qui distinguerait les sportifs en fonction du sport pratiqué ou des spécialités dans les disciplines sportives (Filliard, Lévêque et Moreaux, 1992). Le modèle des traits, issu du courant personnaliste, a servi d'assise théorique à de nombreux travaux grâce à sa capacité descriptive. Pour celui-ci, les traits constituent une prédisposition basique; ils sont censés rendre compte de la «consistance» des conduites au travers des situations. Les études menées dans cette perspective théorique, ont conduit à des interprétations contradictoires. Certaines ont conclu à des différences significatives entre sportifs et non-sportifs, entre athlètes de haut niveau et débutants, ou entre pratiquants de disciplines variées (Kane, 1966 ; Kroll et Péterson, 1965). D'autres n'ont pas noté de telles différences (Rushall, 1967 ; Vanek et Cratty, 1972). Enfin, Hardman (1973) a constaté, en comparant des études réalisées à l'aide de l'inventaire de personnalité de Cattell, que pour une même discipline, les auteurs arrivaient à des conclusions différentes, voire opposées. Ces divergences dans les résultats, ont amené plusieurs auteurs à remettre en cause l'hypothèse d'une influence de la pratique sportive sur la personnalité (Cratty, 1973 ; Martens, 1975; Thomas, 1982; Vanek et Cratty, 1972). La personnalité générale du sportif serait une abstraction (Vanek, Hosek, Rychtecky et Slepicka, 1980). Ceux qui défendent cette hypothèse, ont expliqué ces incohérences observées, par l'inadaptation des questionnaires classiques de personnalité au domaine sportif (Morgan, 1980 ; Tutko et Richards, 1971). D'après ces chercheurs, il convient de construire des outils spécifiques à ce domaine, et possédant des échelles de validité. La faible consistance des premiers résultats obtenus a également conduit à
reconsidérer le modèle des traits (Thill et Brenot, 1985). Il semble que les premières études aient été entachées d'un biais attributif: on a cherché à expliquer et prédire des comportements à partir des seules variables personnologiques (Thill, 1986). Les critiques formulées à l'encontre de cette théorie ne portent pas sur les traits, mais sur la difficulté de leur mesure, leur inefficacité relative à pronostiquer des comportements et leur caractère supposé de généralité (Thill et Brenot, 1985). Elles ont amené les psychologues à envisager une «consistance» relative des conduites (Thill, 1986). Pour mieux comprendre celles-ci, il apparaît nécessaire de rapporter les variables internes aux situations rencontrées. Thill (1986) propose d'utiliser des procédures de mesures des traits qui prennent en considération les situations dans lesquelles les conduites sont censées se développer. Nous retrouvons l'interactionnisme statique précisé par Endler et Magnusson (1976). De nouvelles investigations ont été menées à l'aide d'outils spécifiques au domaine sportif. Certaines cherchent à appréhender la personnalité des athlètes à partir d'une configuration de traits spécifiques à la pratique sportive. Ainsi, Thill (1983a) a identifié des profils psychologiques différents sur des spécialistes de voile, en fonction du poste occupé. Les résultats obtenus par les candidats aux Centres Permanents d'Entraînement et de Formation montrent des profils psychologiques qui diffèrent selon le sport pratiqué (Filliard et Lévêque, 1990). Dans une perspective plus dynamique, Thill (1988) a mis en évidence une influence structurante de la pratique sportive sur les traits de personnalité, lors d'une étude longitudinale sur des sportifs de différentes disciplines. D'autres travaux portent sur des caractéristiques précises de la personnalité. Ainsi, plusieurs auteurs ont constaté, chez les sportifs, une tendance à l'extraversion (Eysenck, Nias et Cox, 1982). Kroll (1979) observe que de nombreuses études signalent un niveau d'anxiété moindre chez les athlètes, par rapport aux non-athlètes. Il semble donc que les traits ne soient pas des dispositions invariantes, mais puissent être compris comme des qualités susceptibles d'adaptation en fonction des situations. Ces travaux vont dans le sens d'une personnalité en rapport avec la discipline sportive pratiquée, voire avec le poste occupé. Par notre étude sur des pratiquants de water-polo, nous souhaitons comprendre s'il existe une relation entre des traits de personnalité et un type de pratique, ou un niveau de pratique. Nous faisons l'hypothèse que le joueur de water-polo présente un profil psychologique en rapport avec son activité, son niveau d'expertise et son poste de jeu. Nous n'écartons pas le fait que des dispositions psychologiques puissent être sous- jacentes au choix de l'activité sportive. Mais d'autres variables, en particulier sociales, peuvent également expliquer ce choix (Thill, 1986, 1988). Nous nous contentons d'étudier, pour ce qui nous concerne, une possible adéquation entre un profil psychologique et une pratique sportive particulière (le water-polo). Pour cela, nous demanderons à des experts de réaliser une description des exigences psychologiques par poste en termes de qualités requises et de tâches à effectuer. Dans notre interprétation, nous pourrons confronter ces descriptions de comportements requis aux évaluations en termes de traits.
MÉTHODE Population Elle se compose de 64 joueurs évoluant dans les Championnats de France de Nationale 1 (20 joueurs), 1B (23 joueurs) et 2A (21 joueurs). Leur moyenne d'âge est de 23,5 ans. En moyenne, ils pratiquent le water-polo depuis 8,5 ans, à raison de 7 heures d'entraînement hebdomadaire. Notre population ne nous a pas permis de constituer des échantillons significatifs par poste de jeu. Nous avons regroupé les joueurs par ligne de jeu. Notre groupe d'avants se composent des ailiers et des avants de pointe ; notre groupe d'arrières réunit les milieux et les centres en retrait. Variables L'interactionnisme statique suggère de considérer les traits de personnalité et les situations propres au water-polo (en fonction du niveau et du poste occupé) comme les variables indépendantes. Leur interaction produit les conduites observables dans le jeu (les variables dépendantes), que nos experts précisent dans les tâches à réaliser. Méthodes de mesure Pour appréhender la personnalité des joueurs de water-polo, nous avons utilisé le Questionnaire de Personnalité pour Sportifs d'E. Thill (1983b). Cet outil considère la performance comme la résultante de facteurs situationnels et personnels (Filliard, Lévêque et Mureaux, 1992). il permet de mesurer le jeu des interactions entre une pratique sportive spécifiée et la personnalité des sportifs (Thill, 1986). Il peut donc être utilisé dans une perspective interactionniste (Thill et Brenot, 1985). Il nous a permis de travailler sur un nombre relativement important de sujets et de comparer nos résultats à d'autres populations. De plus, cet outil a été validé et étalonné avec rigueur (Thill, 1983b; Thill et Brenot, 1985). Le QPS se présente sous la forme de 340 affirmations auxquelles le sujet répond par «vrai» ou «faux». Nous n'avons utilisé que la forme adulte du QPS, destinée aux sujets de plus de 17 ans. Quatre domaines sont évalués au travers de 14 traits (tableau 1) : - le domaine de la motivation regroupe le désir de réussite (DR apprécié à partir de ses deux composantes: extrinsèque, DR2 et intrinsèque, DR1) et l'estime de soi (ES) ; - le domaine de l'activité comprend l'endurance psychologique (EP), la vitesse- intensité (VI) et la compétitivité psychologique (CP) ; - le domaine du contrôle comporte le contrôle de l'activité (CA), la prise de risque (PR), le contrôle émotionnel (CE) et la résistance psychologique (RP) ; - le domaine de la relation englobe l'extraversion-introversion (El), la dominance (DO), l'agressivité (AG), la sociabilité (SO) et la coopération (CO). La désirabilité sociale (DS) permet d'apprécier le degré de sincérité du sujet lors de la passation de ce questionnaire.
Deux autres questionnaires ont été utilisés. Le premier, destiné aux joueurs, permet le recueil d'informations sur l'âge, le club, le niveau de jeu et la pratique du joueur. Le deuxième, destiné aux entraîneurs, porte sur les exigences psychologiques du water-polo. Il leur demande de préciser pour chaque poste, dans un tableau, les qualités dominantes requises et les tâches à réaliser (Clémençon et Delon, 1989). Nous avons remis ce questionnaire à chaque entraîneur de club lors des passations de QPS par les joueurs. Traitement des données Nous avons réalisé des tests de comparaisons de moyennes pour groupes indépendants (test t de Student), avec un seuil maximum de signification de cinq pour cent (Vessereau, 1988). TABLEAU 1. - Signification des quatorze traits de personnalité Notes basses Notes élevées Désir de Peu ambitieux, Motivé, désir de Réussite irrésolu, intérêts réussite, d'exceller (DR) limités, passif d'acquérir un statut Estime de Soi Faible estime de Se valorise, consistant (ES) soi, insatisfait, intégré, influent dépendant Endurance Peu endurant, se Endurant, persévérant Psychologique décourage, dispersion déterminé, (EP) des intérêts obstiné Vitesse-Intensité Lent, modéré, Vif, spontané, allure (VI) fatigable rapide, énergique Compétitivité Manque d'affirmation Capacité de surpassement (CP) de soi, concède affirmé Contrôle de Contrôlé, délibéré, Impulsif, insouciant l'Activité (CA) réfléchi, pondéré imprévoyant Prise de Risque Préfère la sécurité, Audacieux, prend des (PR) réservé, rigide risques, spontané Contrôle Changeant d'humeur, Stable émotionnellement, Emotionnel d'énergie, sensible, égalité d'humeur, (CE) pessimiste euphorique Résistance Peu résistant aux Résistant aux malchances, Psychologique pressions fortes critiques et stress (RP) de l'environnement Introversion- Introverti, Extraverti, porté à Extraversion méditatif, l'activité manifestée, (EI) observation de soi expressif Dominance Soumission, tendance Dominant, persuasif, (DO) à suivre, manque de aptitudes au confiance commandement Agressivité Tolérant, inhibé, Agressif, combatif, (AG) bienveillant, passif défend sa place Sociabilité Socialement timide, Sociable, entreprend (SO) réservé, se suffit à lui-même contacts et activités sociales Coopération Autonome, méfiant, Coopératif, abnégation (CO) critique, égocentrique de soi au profit du groupe
RÉSULTATS Le tableau 2 permet la comparaison entre les joueurs de water-polo et la population sportive de référence de Thill (1983b), constituée de sportifs de haut niveau de plus de 17 ans. Nos sujets présentent des résultats significativement supérieurs aux autres sportifs pour ce qui concerne les traits vitesse-intensité, coopération, sociabilité, résistance psychologique, extraversion-introversion, agressivité et contrôle de l'activité. Leur désir de réussite par auto-détermination est cependant plus faible. Le tableau 3 signale trois différences significatives en fonction du niveau de jeu: les joueurs de Nationale 2A apparaissent supérieurs à ceux de la Nationale 1 aux traits vitesse-intensité et coopération. Les joueurs de Nationale 1 manifestent une compétitivité psychologique supérieure à celle des pratiquants de Nationale 1B. Le tableau 4 différencie les avants des arrières pour sept des quatorze traits étudiés. Les scores des avants s'avèrent plus élevés aux traits: vitesse-intensité, estime de soi, extraversion-introversion, contrôle émotionnel, compétitivité psychologique, prise de risque et sociabilité. Le tableau V synthétise les opinions des entraîneurs sur les qualité dominantes requises aux différents postes. Ces experts reconnaissent des similitudes entre les postes de jeu. Tous exigent une importante puissance physique alliée à une rapidité d'exécution. Mais les rôles tactiques différent selon les positions occupées dans l'eau. Les entraîneurs attendent des arrières des qualités d'organisation et de distribution du jeu; celles-ci supposent de l'expérience ainsi qu'une lecture optimale des tactiques adverses. Ils demandent aux avants de créer le danger dans la défense adverse par leur mobilité, leur vivacité, leur vision instantanée du jeu et leur anticipation.
INTERPRÉTATION Qualités psychologiques et water-polo La moyenne élevée au trait vitesse-intensité place les joueurs de water-polo dans la catégorie des sujets vifs, spontanés, énergiques. Elle témoigne du jeu actuel en mouvement. Cette tendance est corroborée par la valeur du contrôle de l'activité qui décrit les poloïstes comme impulsifs. Ce sport requiert spontanéité et immédiateté dans les réponses motrices, car les contraintes de temps et d'adversité pèsent sur les joueurs. Celles-ci sont liées au règlement : - le temps de possession du ballon réduit à 35 secondes ; - la possibilité de sanctionner tout joueur pour perte de temps ; - le droit de charge sur le joueur en possession du ballon, qui n'est pas limité par le règlement. Elles dépendent également des phases de jeu. Le joueur accomplit toutes sortes d'actions avec célérité : - le débordement d'un adversaire dans les nombreuses situations de un contre un; - la circulation de balle rapide sur le front de l'attaque afin de mettre les défenseurs hors de position... L'extraversion-introversion conforte cette analyse. Les poloïstes apparaissent extravertis. Ce type psychologique est généralement reconnu comme propice à la prise d'information et à l'échange avec autrui; il se rencontre fréquemment en sport collectif. Cette extraversion sous-tend la capacité à réagir avec promptitude et énergie. La convergence de ces trois traits renforce la signification de chacun d'eux et présente le water-polo comme un sport où les contraintes spatio-temporelles sont soutenues. La rapidité, la vivacité, la spontanéité et la vision du jeu soulignées par les entraîneurs confirment ces résultats. Leur note élevée au trait coopération corrobore les qualités d'abnégation des poloïstes au profit du groupe. Associée à la sociabilité, cette caractéristique témoigne d'une nécessaire adaptation à une pratique collective qui requiert une forte cohésion. La nature du milieu environnant peut expliquer cette cohésion. Les appuis instables et les déplacements, rendus difficiles par la résistance de l'eau, nécessitent une mise en commun impérative des moyens. La sociabilité et la coopération élevées semblent refléter la capacité des joueurs à servir la tâche et l'objectif du groupe. Ces qualités sont mentionnées par nos experts. Autre trait significativement supérieur à la population de référence, l'agressivité témoigne de fortes dispositions combatives chez ces joueurs. Elle renvoie aux rigueurs de l'affrontement, aux nombreux duels qui se caractérisent par une distance de charge réduite. Mais la proximité des résultats aux échelles agressivité et dominance, semble indiquer que cette agressivité est bien intégrée à la maîtrise du jeu. La résistance psychologique des poloïstes dépasse celle de la population sportive générale évaluée par Thill. Les poloïstes présentent une grande résistance aux aléas de la compétition. Plusieurs explications peuvent être avancées. Elles recouvrent le
règlement comme les phases de jeu précédemment décrites. L'arbitre est également une source de stress. Les règles lui laissent une part d'interprétation non négligeable. Des sources de conflit existent (coup donné sous l'eau et non sanctionné ; faute contestable sifflée contre soi...). Le public, qui encourage son équipe, fait partie de ces aléas car dans une piscine il se trouve à deux ou trois mètres du bord du bassin. Sa pression en est accentuée. Tous ces facteurs permettent d'expliquer la capacité élevée des poloïstes à gérer et surmonter les influences stressantes. L'orientation des notes aux traits prise de risque et contrôle émotionnel, ajoutée à la valeur importante de la résistance psychologique, soulignent en effet les bonnes capacités de contrôle de ces sujets. Le désir de réussite qui, avec l'estime de soi, appréhende la motivation, ne distingue pas notre groupe de celui des sportifs en général. Il traduirait plutôt une faiblesse dans ce domaine. Le caractère confidentiel de ce sport, lié à un désintérêt des médias, peut éclairer ce résultat, et notamment pour ce qui concerne les incitations extrinsèques. De plus les conditions de pratique du water-polo constituent une autre source d'explication possible: l'amateurisme contraint les joueurs à gagner leur vie en dehors de leur pratique. La profession représente un deuxième pôle de motivation, au détriment du water-polo.
TABLEAU 5. - Analyse par poste. Accentuation des traits en fonction du niveau de jeu Avec l'élévation du niveau de pratique, les traits coopération et vitesse-intensité s'atténuent. Même si la coopération semble diminuer, la valeur à ce trait reste supérieure à la population de référence. L'atténuation de la vitesse-intensité traduit une pondération accrue des joueurs de Nationale 1. Nous l'expliquons par la maîtrise du jeu développé à ce niveau. Dans les Nationales inférieures, les situations dangereuses sont essentiellement provoquées par les déplacements des joueurs dans les défenses adverses. En Nationale 1, la maîtrise technique des poloïstes leur permet de créer le danger par la circulation du ballon qui règle leurs propres déplacements. Plus le joueur évolue à un niveau élevé, plus il apprend à gérer le temps de possession du ballon que lui accorde le règlement (35"). Les poloïstes de Nationale 1 cherchent à éviter les aléas du jeu et à jouer des situations connues (la tendance à la prise de risque appuie cette idée). Ils anticipent sur les situations à venir ce qui suppose de la discipline, de la rigueur. Dans les Nationales inférieures, les joueurs réagissent aux situations, d'où des comportements plus réactifs. La note obtenue par les joueurs de Nationale 1 au trait vitesse-intensité, traduit également une meilleure gestion de leurs ressources énergétiques. Celle-ci se fait au profit de l'accroissement de leur compétitivité psychologique. Les enjeux diffèrent entre les Nationales 1 et 2A ; les équipes de Nationale 1 se battent pour le titre de champion et leurs joueurs sont de potentiels sélectionnables pour l'équipe de France. La tendance au trait désir de réussite va dans ce sens. La quantité et la qualité d'entraînement autorisent également un niveau d'engagement supérieur, un volume de jeu plus important. Comparaison des avants et des arrières La vitesse-intensité apparaît comme le trait le plus discriminatif. La caractéristique observée chez les poloïstes se trouve accentuée chez les avants. Il leur est demandé une rapidité de décision, de réaction et de déplacement pour exploiter les failles de la défense adverse, partir en contre-attaque, se replier en défense, passer en un contre un et créer un écart avec son adversaire. Le poids élevé de la contrainte temporelle les amène à réagir avec promptitude à toute situation. Ce trait reflète les qualités de rapidité, vivacité, spontanéité et anticipation que les entraîneurs attribuent aux avants. Cette analyse est renforcée par le résultat au trait extraversion-introversion. Les avants se révélant extravertis, dépendants de l'environnement. Nous avons signalé que ce type psychologique est reconnu comme propice à la prise d'informations. Cette particularité des avants s’accommode particulièrement à leur rôle de déstabilisation de la défense adverse que leur confient nos experts. Cette mission tactique les contraint à une prise d'informations quasi-instantanée sur les positions de leurs adversaires (pour les contourner) et de leurs partenaires (pour combiner avec eux). Ces deux caractéristiques psychologiques semblent moins développées chez les arrières. La plus faible sollicitation de leur vitesse-intensité s'explique par la nature des
tâches qu'il leur est demandé d'accomplir: organiser, contrôler et réguler le jeu. Cette organisation du jeu suppose une bonne vision de celui-ci. Les arrières se présentent comme extravertis, mais dans une moindre proportion. La sociabilité des avants s'exprime sur le versant relationnel et les porte à nouer des relations avec autrui. Celle des arrières apparaît dans le jeu (en tendance, leur coopération dépasse celle des avants); elle traduit leur plus grande abnégation au profit de l'équipe. En organisant le jeu, ils servent les avants. Nous pouvons y déceler une adéquation à leurs rôles, tels qu'ils sont définis par les entraîneurs. La plus grande compétitivité psychologique des avants signifie leur capacité à se surpasser. Elle renvoie aussi bien à leurs fonctions (déjà décrites) qu'à leurs places dans l'eau. Les postes avancés qu'ils occupent, les désignent comme les plus dangereux pour l'équipe adverse; ils subissent totalement la pression de la défense. La prise de risque supérieure des avants se justifie également par leurs positions: l'avant de pointe joue dos au but ; les ailiers, sur les côtés, disposent d'un angle de but fermé. Enfin, leur plus grande créativité pour surprendre les défenses renforce ce trait. Les entraîneurs décrivent un grand nombre de tâches à réaliser par les avants qui impliquent une prise de risque de leur part: jeu dans un espace réduit, situations de poursuite... Cette prise de risque est facilitée par la confiance en eux qu'ils affichent au trait dominance (leur moyenne dépasse celle des arrières, sans atteindre le seuil de signification [t = 1,324 ; significatif à .20]). Les avants se dévoilent comme stables émotionnellement. Ils sont nantis de sérieux atouts dans le domaine du contrôle (contrôle émotionnel, prise de risque, résistance psychologique, contrôle de l'activité). Les pression psychologiques et physiques exercées par les défenseurs ont peu de prise sur eux. Le dernier trait qui distingue significativement nos deux groupes concerne l'estime de soi. La meilleure estime de soi des avants s'inscrit dans la logique de leurs fonctions. Ils créent et exploitent les occasions de but. Ils occupent des postes socialement gratifiants. CONCLUSION Le Questionnaire de Personnalité pour Sportifs de Thill nous a permis de dégager le profil psychologique du joueur de water-polo. Actuellement, les différences significatives constatées recouvrent essentiellement le domaine relationnel (extraversion-introversion, agressivité, sociabilité, coopération) ; elles mettent en valeur l'aspect collectif de ce sport. Deux portent sur le domaine du contrôle (résistance psychologique, contrôle de l'activité). La dernière appréhende le domaine de l'activité (vitesse-intensité). L'analyse par ligne de jeu différencie les joueurs en fonction de leur position avancée ou reculée sur le terrain. Elle signale une bonne correspondance entre les contraintes des postes, définies par les entraîneurs, et les caractéristiques psychologiques relevées. Les avants présentent des traits psychologiques plus marqués dans les domaines de l'activité, du contrôle, des relations et de la motivation. Notre étude souligne une spécification de traits de personnalité chez le joueur de
water-polo, en fonction de sa pratique, de son niveau institutionnel et de sa place dans le jeu. Elle ne nous permet pas de préciser si le choix de cette activité nécessite la présence initiale de ces traits, ou s'ils sont renforcés par la pratique intensive de ce sport (une étude longitudinale s'avérerait intéressante). Notre perspective théorique nous conduit à interpréter ces différences comme le fruit de l'interaction entre les dispositions internes des pratiquants et les situations qu'ils affrontent. Ce travail pourrait être complété par le recueil de données sur de nouvelles populations, pour constituer des effectifs suffisants. Si les tendances se confirment, nous pourrions alors actualiser l'étalonnage du questionnaire de personnalité pour sportifs en le rendant spécifique au water-polo. Par ailleurs, ceci autoriserait une analyse plus fine par poste de jeu. Au cours de notre étude, nous avons constaté une faiblesse de la motivation des joueurs. Nous voyons là un axe possible de travail avec un psychologue du sport. Cette étude constitue une première approche des contraintes psychologiques du water- polo. Elle sert de point de départ à un recueil plus complet d'informations sur l'équipe nationale, afin de proposer une démarche d'implication psychologique auprès de celle- ci. Ce prolongement s'avère d'autant plus intéressant qu'à l'heure actuelle nous assistons au renouveau de la sélection française sur la scène internationale. Après vingt huit ans d'absence aux Jeux Olympiques, la France a retrouvé ce niveau de compétition en 1988. Ses performances récentes lui ont permis de se qualifier, à nouveau, pour les Jeux Olympiques de Barcelone.
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