Pourquoi les partis politiques belges changent-ils de nom ?

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Pourquoi les partis politiques belges
                    changent-ils de nom ?
                                     Benjamin Biard

L      e 12 mars 2022, le CDH a tenu un congrès de refondation. À cette occasion, il
       a adopté de nouveaux statuts, un nouveau manifeste, une nouvelle couleur et,
       démarche la plus commentée, un nouveau nom : Les Engagés. Nombreux sont
les partis politiques à procéder à un changement d’appellation dans le temps. Depuis
le début des années 1990, tel a été le cas de l’ensemble de ceux qui sont aujourd’hui
représentés au sein du Parlement fédéral belge à l’exception du PS, d’Écolo, du PTB et
de la N-VA 1.
Au moins trois raisons expliquent ces évolutions. Primo, la plupart des changements
d’appellation interviennent à la suite d’une déception voire d’une débâcle électorale afin
de redynamiser l’organisation du parti et de tenter de lui donner un nouveau souffle.
Secundo, plusieurs traduisent une réorganisation interne du parti ou une volonté d’élargir
son électorat à de nouveaux segments de la population. Tertio, le cas du Vlaams Blok
est atypique, en ce sens qu’il s’est transformé en Vlaams Belang sous la pression exercée
par la justice. En se focalisant sur la période comprise entre 1990 et aujourd’hui, cette
@nalyse du CRISP en ligne procède à l’étude de ces trois cas de figure, avant de
s’interroger sur ce que recouvrent ces nouvelles appellations et, enfin, de questionner leur
impact concret sur le nombre d’adhérents, sur la trajectoire électorale ainsi que sur la
dynamique interne des partis concernés.

Rebondir après une défaite électorale
La plupart des changements de nom interviennent en période de difficulté électorale et
visent à moderniser les partis sur la forme et à les repositionner sur certains enjeux. Ainsi
en est-il pour les libéraux flamands en 1992. Si le Partij voor Vrijheid en Vooruitgang
(PVV - Parti de la liberté et du progrès) remporte 11,6 % des suffrages (soit + 0,8 %)
à la Chambre des représentants lors des élections législatives du 13 décembre 1987, il ne
s’en trouve pas moins renvoyé dans l’opposition dès 1988. De retour à la présidence
du parti, Guy Verhofstadt opère des transformations majeures au sein de celui-ci. Le
15 novembre 1992, le PVV est rebaptisé Vlaamse Liberalen en Democraten (VLD -
Libéraux et démocrates flamands). Confirmant son ancrage libéral sur le plan socio-
économique, la nouvelle formation insiste désormais davantage sur son identité flamande 2.

1
2
    Et encore la N-VA a-t-elle été fondée plus tardivement que les autres, soit en septembre 2001.
    S. GOVAERT, « Du PLP-PVV au VLD. I. 1971-1991 » et « Du PLP-PVV au VLD. II. 1992-1995 », Courrier
    hebdomadaire, CRISP, n° 1501-1502 et 1503-1504, 1995.
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De la même manière, alors que le Christelijke Volkspartij (CVP - Parti social chrétien)
enregistre un score plancher à l’occasion du scrutin multiple du 13 juin 1999 (avec 14,1 %
des suffrages à la Chambre, soit – 3,1 %) et alors qu’il est rejeté quasiment partout dans
l’opposition, il se transforme lors d’un congrès organisé à Courtrai les 28 et 29 septembre
2001 : il se nomme désormais Christen-Democratisch en Vlaams (CD&V - Chrétiens-
Démocrates et Flamands). Conservant sa référence chrétienne, il intègre lui aussi une
dimension flamande dans son appellation et opte pour un modèle institutionnel qu’il
qualifie de confédéral.
                              3
Comme son parti frère , le Parti social chrétien (PSC) francophone prend acte de son
échec électoral historique rencontré en 1999 (avec 5,9 % des suffrages à la Chambre, soit
– 1,8 %) et se renouvelle sur la forme et sur le fond. Le parti opère ainsi une réforme
statutaire majeure lors d’un congrès tenu à Bruxelles le 18 mai 2002 et devient le Centre
démocrate humaniste (CDH). Abandonnant quant à lui son identité chrétienne, il entend
aller un peu plus loin dans sa déconfessionnalisation et s’ouvrir aux non-croyants 4. Par
ailleurs, il insiste sur son soutien à la régulation de l’économie et souhaite accentuer son
action européenne et internationale. Il entend enfin associer davantage ses mandataires
locaux, ses membres et la société civile à sa dynamique interne. Une succession de défaites
électorales – dont celle du 26 mai 2019, qui voit le parti orange atteindre un nouveau
score plancher – amène néanmoins le parti à opérer un nouveau processus de refondation
dès 2019. Baptisé « Il fera beau demain », ce processus alliant réflexion interne et large
consultation externe conduit à la transformation du CDH en Les Engagés voici deux mois.
Les élections de 1999 n’ont pas seulement marqué une sévère sanction des deux partis
sociaux-chrétiens. Leurs partenaires de la coalition sortante (le gouvernement Dehaene II),
les socialistes, ont également subi une défaite cuisante. Avec 9,5 % des suffrages à la
Chambre (soit – 3,1 %), le Socialistische Partij (SP - Parti socialiste) annonce son intention
de procéder lui aussi à un changement d’appellation, à la différence du PS 5. Le 13 octobre
2001, à Gand, il prend le nom de Socialistische Partij Anders–Sociaal progressief alternatief
(SP.A) 6. Le parti socialiste flamand entend alors se positionner plus clairement sur des
thèmes tels que la mobilité, le logement, l’emploi, l’énergie, la qualité de vie ou encore
les pensions. Si ce renouvellement permet au parti de connaître un net rebond lors des
élections législatives du 18 mai 2003 (avec 14,9 % à la Chambre, soit + 5,4 %), celui-ci
est de courte durée : ses résultats électoraux décroissent de manière continue depuis lors,
atteignant un nouveau score plancher lors des élections du 26 mai 2019, avec 6,7 %
à la Chambre (soit – 2,1 %). Ce dernier ressac électoral conduit Conner Rousseau, élu
président du parti en novembre 2019, à initier un nouveau changement de nom,
abandonnant le label « socialiste » au profit d’une dénomination faisant écho au nom
de la coopérative socialiste fondée par Edward Anseele à Gand à la fin du 19e siècle :
Vooruit. Mais cette nouvelle appellation, qui entre en vigueur le 21 mars 2021, est

3
    B. BIARD, « Les partis frères en Belgique : les relations entre le CDH et le CD&V », Courrier hebdomadaire,
4
    CRISP, n° 2467-2468, 2020.
    P. WYNANTS, « Du PSC au CDH. II. 1999-2004 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1895-1896, 2005.
5
    S’il ne change pas de nom, le Parti socialiste francophone entame en revanche à cette époque un travail
    interne, sous la forme des Ateliers du progrès. Quelque temps plus tard, il se lancera dans les Convergences
    à gauche avec Écolo. Cf. X. MABILLE, « Le Parti socialiste. Évolution 1978-2005 », Courrier hebdomadaire,
6
    CRISP, n° 1867-1868, 2005, p. 50-51.
    X. MABILLE, « L’évolution récente des partis politiques », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1759, 2002,
    p. 20.
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également celle du centre culturel gantois bien connu. Dédommagé par le parti de
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C. Rousseau, ce dernier se résout à changer son propre nom .
Enfin, c’est aussi suite à un revers électoral de taille que le parti écologiste flamand
Anders Gaan Leven (Agalev - Vivre autrement) devient Groen! (Vert !) 8 le 15 novembre
2003. Lors des élections législatives du 18 mai 2003, cette formation avait en effet obtenu
2,5 % des suffrages (soit – 4,5 %), ce qui constituait son plus faible score depuis 1981.
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À l’issue de ce scrutin, Agalev n’avait d’ailleurs plus aucun élu au niveau fédéral et, en
conséquence, perdait sa dotation publique. À travers sa nouvelle dénomination, le parti
met alors l’accent sur sa dimension écologiste et entend se présenter comme progressiste,
                                                               10
altermondialiste et défenseur d’un autre modèle économique . Quoique sèchement battu
au scrutin de 2003, lui aussi, Écolo (3,1 % à la Chambre, soit – 4,3 %) n’opte pas pour
un changement de nom, mais modifie ses statuts sur divers points en 2005, année de
son 25e anniversaire 11.

Marquer une réorganisation interne ou imprimer une nouvelle
stratégie politique
Le 14 septembre 1993, alors que le FDF connaît un déclin électoral depuis 1981 et alors
que les libéraux francophones entendent élargir leur image pluraliste et renforcer leur base
électorale pour tenter de devenir un acteur incontournable en Région bruxelloise lors
des élections à venir, la présidente du FDF, Antoinette Spaak, et le président du PRL,
Jean Gol, annoncent que leurs partis vont former une fédération commune : la Fédération
PRL FDF 12. Quelques années plus tard, le Mouvement des citoyens pour le changement
(MCC), créé par l’ancien président du PSC, Gérard Deprez, entame un rapprochement
avec la Fédération PRL FDF. Celui-ci est officialisé le 1er décembre 1998 et la dénomination
de cet assemblage devient Fédération PRL FDF MCC. Bien que cette dernière connaisse
un léger tassement électoral lors des élections législatives de 1999 (avec 10,1 % des
suffrages à la Chambre, soit – 0,2 % par rapport au résultat obtenu par la Fédération
PRL FDF en 1995), les libéraux accèdent au rang de première famille politique du pays
à cette occasion et opèrent un retour au pouvoir, portés par la progression du VLD (arrivé
en tête à la Chambre, avec 14,3 %, soit + 1,1 %). Par ailleurs, la Fédération PRL FDF MCC
ambitionne désormais de devenir le premier parti francophone 13. Dans cette perspective,
le 24 mars 2002, près de 2 000 militants du PRL, du FDF, du MCC et du PFF 14 se

7
     Devenu Kunstencentrum Vooruit, le centre culturel a conservé l’URL vooruit.be, tandis que le parti politique
     utilise l’adresse vooruit.org.
8
9
     Le point d’exclamation sera abandonné le 11 janvier 2012.
     La sénatrice Agalev Jacinta De Roeck sera néanmoins cooptée par le groupe SP.A–Spirit. Conservant
     sa liberté de vote, elle siégera au sein de ce groupe.
10
     A. TRÉFOIS, J. FANIEL, « L’évolution des partis politiques flamands (2002-2007) », Courrier hebdomadaire,
11
     CRISP, n° 1971, 2007, p. 46-51.
     A. TRÉFOIS, J. FANIEL, « L’évolution des partis politiques francophones (2002-2007) », Courrier hebdomadaire,
12
     CRISP, n° 1972, 2007, p. 36-38.
     P. WYNANTS, « Le libéralisme francophone du PLP au MR. I. 1961-1999 », Courrier hebdomadaire, CRISP,
     n° 2092-2093, 2011, p. 13.
13
     Statut qu’elle endosse déjà au Parlement de la Communauté française, où elle devance le PS d’un siège
     (30 contre 29 suite aux scrutins de 1999). Rappelons cependant que cette assemblée ne fait pas l’objet
     d’une élection directe.
14
     Relevons que le Partei für Freiheit und Fortschritt (PFF - Parti pour la liberté et le progrès), l’aile
     germanophone du PRL, conserve l’appellation qui avait été adoptée par le parti libéral unitaire en 1961
     (PLP-PVV).
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réunissent sur le site du Heysel, à Bruxelles, afin de participer à l’assemblée constituante
d’un mouvement appelé à succéder à la Fédération PRL FDF MCC. Si chacune conserve
son existence propre, les composantes décident de s’unir derrière un sigle commun, des
instances partagées et un manifeste conjoint : le Mouvement réformateur (MR) est né 15.
L’objectif est de gagner en visibilité – à travers un sigle plus restreint et une identité
plus claire – mais aussi d’intégrer davantage les différentes composantes. A contrario, en
2001, lors de la négociation de la cinquième réforme de l’État, le FDF avait fait cavalier
     16
seul .
Quelques années plus tard, le parti libéral flamand décide une nouvelle fois de changer
de nom. Fusionnant avec l’aile flamande du parti Vivant le 11 février 2007, il se renomme
Open VLD. Il s’engage à défendre trois des priorités de son petit allié : diminuer
substantiellement les charges sur le travail, instaurer un revenu de base pour tout le
monde et introduire le référendum 17.
Le 24 janvier 2010, bien qu’il constitue toujours une composante du MR, le Front
démocratique des francophones (FDF) devient les Fédéralistes démocrates francophones
(FDF). Conservant le même sigle, la signification de ce dernier évolue afin d’élargir les
prétentions électorales du parti, notamment en Wallonie. Le 25 septembre 2011, le conseil
général du FDF vote à l’unanimité moins trois abstentions le retrait du parti hors du MR.
Constituant désormais un parti indépendant, les FDF abandonnent leur nom historique
le 13 novembre 2015 et décident de s’appeler Démocrate Fédéraliste Indépendant (Défi).
Si le nouveau nom conserve le terme « fédéraliste », celui de « francophones » disparaît.
L’objectif du parti demeure de se déployer en Wallonie, ainsi désormais que de se
distinguer sur d’autres thématiques que la défense des francophones.

Échapper à une sanction financière
L’opération de transformation du Vlaams Blok en Vlaams Belang répond à une logique
distincte 18.
En octobre 2000, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR,
aujourd’hui Unia) et la Liga voor Mensenrechten (LVM, qui est la ligue flamande des
droits humains) attaquent en justice trois asbl constitutives du Vlaams Blok pour violation
de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la
xénophobie (dite loi Moureaux). Au terme d’un long processus judiciaire, la cour d’appel
de Gand condamne ces associations le 21 avril 2004 à une amende et au paiement
commun de dommages et intérêts pour incitation à la discrimination et à la haine
à l’égard des immigrés 19.
Sous la pression de cette condamnation pénale, et de crainte de se voir privé de ses
dotations publiques, le Vlaams Blok se réunit en congrès le 14 novembre de la même
année afin de se dissoudre et de se refonder sous l’appellation Vlaams Belang. Conservant

15
     P. WYNANTS, « Le libéralisme francophone du PLP au MR. II. 1999-2004 », Courrier hebdomadaire,
16
     CRISP, n° 2108-2109, 2011.
17
     P. WYNANTS, « Le libéralisme francophone avant l’ère Reynders », La Revue nouvelle, n° 10, 2005, p. 65.
     A. TRÉFOIS, J. FANIEL, « L’évolution des partis politiques flamands (2002-2007) », op. cit., p. 32.
18
     B. BIARD, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. I. Moyens légaux et cordon sanitaire politique »,
19
     Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2522-2523, 2021, p. 10-11.
     Cette décision est confirmée par la Cour de cassation le 9 novembre 2004.
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son sigle (VB) et son ancrage à l’extrême droite, le Vlaams Belang maintient ses
priorités et défend les mêmes promesses électorales. Seuls quelques changements
programmatiques assez mineurs sont apportés afin de donner l’image d’un parti davantage
modéré. Le jour même de cette transformation, Filip Dewinter – cadre historique du
parti – qualifie d’ailleurs celle-ci « d’opération de manucure : nous aiguisons nos griffes
et nos dents pour sortir du coin plus puissant[s] que jamais. Le parti n’est qu’un moyen
pour réaliser notre programme. Ce programme ne change pas. C’est le combat pour
                                    20
un État flamand indépendant » .

De véritables mutations ?
Si de nombreux partis politiques changent d’appellation à travers le temps, peu d’entre
eux se renouvellent véritablement sur le fond. Depuis le début des années 1990, on peut
estimer que trois partis ont clairement questionné leur rapport à un ou plusieurs clivages
à l’occasion de leur refondation. Le positionnement le long de ces clivages est un critère
essentiel dans l’analyse puisque les partis politiques naissent en bonne partie de ces
derniers 21.
Le premier qui se distingue en ce sens est le PVV, lorsqu’il se transforme en VLD au début
des années 1990. En affirmant ouvertement son identité flamande, il entend s’afficher plus
clairement le long du clivage communautaire. Cela lui vaudra notamment le ralliement
de plusieurs dissidents de la Volksunie, comme Jaak Gabriëls, Bart Somers ou Bart
Tommelein 22. Par ailleurs, en décembre 2002, le VLD adopte une déclaration de principe
dans laquelle il se positionne pour le confédéralisme, c’est-à-dire la défédéralisation poussée
                                                                                          23
de l’État belge au détriment de l’Autorité fédérale et au profit des entités fédérées .
Dans une logique similaire, en 2001, le nouveau CD&V entend se maintenir le long du
clivage philosophico-religieux mais aussi réaffirmer son positionnement le long du clivage
communautaire en soutenant lui aussi plus ouvertement l’option confédérale.
Enfin, la transformation du PSC en CDH et, surtout, le passage de ce dernier aux Engagés
marque une prise de distance avec le clivage philosophico-religieux à l’origine du Parti
catholique en 1884 et, plus largement, avec les organisations du pilier chrétien 24. D’ailleurs,
dans leur manifeste adopté en mars 2022, Les Engagés se prononcent « pour un État qui
soit impartial, équidistant de toute religion ou philosophie » 25. En revanche, à l’inverse
du CD&V, il se repositionne peu le long d’un autre clivage, se réclamant toujours du centre
sur le plan socio-économique et ne faisant pas des questions communautaires une priorité.

20
21
     Le Soir, 15 novembre 2004.
22
     V. DE COOREBYTER, « Clivages et partis en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2000, 2008.
     S. GOVAERT, « La Volksunie. Du déclin à la disparition (1993-2001) », Courrier hebdomadaire, CRISP,
23
     n° 1748, 2002.
     Sous l’impulsion de Gwendolyn Rutten, alors présidente, le confédéralisme sera officiellement rejeté
     par le parti libéral flamand réuni en congrès le 24 novembre 2013. Dès 2016, plusieurs figures de proue
     de l’Open VLD (dont Alexander De Croo, alors ministre fédéral) vont aussi mettre en avant l’idée de
24
     refédéralisation de certaines compétences aujourd’hui confiées aux Régions ou aux Communautés.
     Sur ce dernier, cf. L. BRUYÈRE, A.-S. CROSETTI, J. FANIEL, C. SÄGESSER (dir.), Piliers, dépilarisation et clivage
     philosophique en Belgique, Bruxelles, CRISP, 2019 ; B. BIARD, « CDH et CD&V, un ancrage contrasté
                                                                        er
25
     au sein du “pilier chrétien” », Les @nalyses du CRISP en ligne, 1 décembre 2019, www.crisp.be.
     Les Engagés, Manifeste pour une société régénérée, 12 mars 2022, p. 19.
LES @NALYSES DU CRISP EN LIGNE – 12 MAI 2022                                                                    6

Pour l’ensemble des autres formations ayant procédé à un changement d’appellation,
le repositionnement le long d’un clivage est nettement plus timide, voire absent. Il s’agit
plutôt de se réaffirmer et de se libérer de certains labels qui ont parfois moins la cote,
comme l’implique l’abandon du terme socialiste par Vooruit en 2021 26.

Quels résultats ?
Les effets des changements d’appellation partisane peuvent être analysés à au moins trois
niveaux : sur le nombre d’adhérents que comportent les partis, sur la trajectoire électorale
de ces derniers ainsi que sur leur dynamique interne.
Aucun effet systématique ne peut être établi concernant l’évolution du nombre
d’adhérents. Dans certains cas, celui-ci part à la hausse à court terme, directement après
la transformation des partis. Il en est ainsi du VLD à partir de 1992, du CDH dès 2003,
de Groen! en 2003 puis en 2004 ou encore du VB, qui connaît un accroissement du
nombre de ses membres dès 2004, après un léger recul en 2003. Dans d’autres cas, les
mutations opérées ne parviennent pas à contenir le déclin du nombre d’adhérents, même
à terme. Ainsi en est-il du CD&V, du SP.A ou encore du MR. Globalement toutefois,
à moyen voire long terme, quasiment aucun des partis ayant procédé à un changement
d’appellation ne réussit à réamorcer une hausse consistante du nombre de ses
adhérents 27. Plus généralement, cette tendance est aussi repérée au-delà des frontières
nationales 28. Une exception notoire est sans doute Groen, dont les effectifs sont variables
dans le temps. Alors qu’ils diminuent sensiblement dès 2005, ils connaissent de nouvelles
hausses dès 2010 et, surtout, 2018 (année où le parti passe pour la première fois de son
histoire la barre des 10 000 adhérents). Les effectifs du VB sont également variables dans
le temps : alors qu’ils déclinent dès 2007 dans un contexte marqué par d’importants conflits
internes au parti d’extrême droite, ils réaugmentent en continu à partir de 2013.
Sur le plan électoral, les opérations de renouvellement sont souvent couronnées de succès
lors du scrutin suivant. Tel est le cas du VLD, à l’élection de la Chambre, en 1995 (avec
13,2 %, soit + 1,2 %), du SP.A en 2003 (voir ci-dessus), du MR en 2003 (avec 11,4 %, soit
+ 1,3 %), de Groen! en 2007 (avec 4,0 %, soit + 1,5 %), du VB en 2007 (avec 12,0 %, soit
+ 0,4 %) 29 et de Défi en 2019 (avec 2,2 %, soit + 0,4 %). Par contre, ni le CD&V ni le CDH
ne parviennent à endiguer le déclin électoral rencontré en 1999, même dans l’immédiat :
lors des élections fédérales de 2003, ils récoltent respectivement 13,3 % (soit – 0,8 %)
et 5,5 % (soit – 0,4 %) des votes valablement exprimés à la Chambre. De son côté,
l’Open VLD connaît un sévère ressac électoral dans les mois qui suivent sa transformation
en 2007 (avec 11,8 %, soit – 3,6 %). Par ailleurs, la stabilisation ou la réorientation de
la trajectoire électorale de ces partis doit être nuancée sur le long terme. Si elles sont
globalement variables, notons toutefois que les performances électorales des formations

26
     D’aucuns ont relevé que c’est aussi la volonté d’éviter d’effrayer certaines personnes qui, lors de la
     fondation du parti en 1885, avait conduit les socialistes à baptiser leur formation Parti ouvrier belge, sans
27
     référence explicite à une idéologie.
     T. LEGEIN, É. VAN HAUTE, « Les partis politiques au prisme de l’organisation », in P. DELWIT, É. VAN HAUTE
                                                                                                         e
     (dir.), Les partis politiques en Belgique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2021 (4 éd.), p.
28
     47-50.
     I. VAN BIEZEN, P. MAIR, T. POGUNTKE, « Going, going, … gone? The decline of party membership in
29
     contemporary Europe », European Journal of Political Research, volume 51, n° 1, 2012, p. 24-56.
     Rappelons que le changement de nom de ce parti ne faisait pas suite à une défaite électorale ; celle-ci
     n’interviendra qu’en 2009.
LES @NALYSES DU CRISP EN LIGNE – 12 MAI 2022                                                               7

dites traditionnelles ont tendance à décliner dans le temps 30. Le déclin enregistré par la
formation socialiste flamande et par les deux partis sociaux-chrétiens est particulièrement
marqué.
Enfin, la dynamique interne des partis peut être affectée – positivement ou négativement –
par de tels changements d’appellation. Si ces modifications sont classiquement perçues
avec beaucoup d’optimisme et d’enthousiasme, relevons que certaines d’entre elles vont
jusqu’à provoquer des scissions. La plus marquante a caractérisé la transformation du
PSC en CDH en 2002. Dès le lendemain du congrès fondateur du parti humaniste,
l’ancien ministre régional bruxellois Dominique Harmel et six militants sociaux-chrétiens
annoncent la fondation d’un nouveau parti politique : les Chrétiens démocrates
francophones (CDF). Se positionnant au centre-droit, ils regrettent notamment l’abandon
de la référence chrétienne par le parti orange. Si les CDF ne s’imposent pas dans le paysage
partisan et ne décrochent aucune représentation parlementaire, ils ont néanmoins pour
effet de priver le CDH de plusieurs milliers de voix, surtout dans les franges conservatrices
                                                            31
de son électorat. Les CDF disparaissent en 2013 . Au sein du CD&V aussi, la
restructuration qui intervient au début des années 2000 provoque de multiples tensions.
Elles induisent notamment l’expulsion de l’ancien président du CVP, Johan Van Hecke
(qui plaidait pour un rapprochement avec les libéraux du VLD), par le bureau politique
du parti en octobre 2001. En compagnie notamment de Karel Pinxten, ancien ministre
fédéral, celui-ci créera la Nieuwe Christen-Democratie (NCD - Nouvelle démocratie
chrétienne) en 2002 32. Plus récemment, et peu de temps après que Les Engagés ont succédé
au CDH, plusieurs voix s’élèvent en interne pour contester la structure de l’organisation.
Alors que certains fustigent « le pouvoir hallucinant du président du parti » 33 dans la
sélection des candidats lors des élections, d’autres remettent en cause la réelle volonté
d’élargir la participation au sein du parti. Si l’objectif du parti est de rassembler largement
derrière lui, le défi qui consiste à éviter la désunion en son sein demeure néanmoins entier.

Conclusion
À travers le temps, la plupart des partis politiques représentés à la Chambre des
représentants ont renouvelé leur appellation. Au moins trois raisons permettent de
saisir de telles évolutions : réagir face à un échec électoral, consacrer ou impulser une
réorganisation interne ou un changement de stratégie politique, ou encore répondre
à la pression exercée par la justice. Si ces changements ne traduisent pas systématiquement
une véritable mutation sur le fond, plusieurs partis entendent néanmoins se renouveler
véritablement, notamment en repensant leur positionnement le long d’un ou plusieurs
clivages.
Même s’il est impossible de savoir ce qu’il serait advenu en l’absence de tels changements,
l’efficacité de ces derniers s’avère limitée. Ainsi, ils n’empêchent pas la plupart des partis

30
     C. ISTASSE, « Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019). II. Analyse nationale » et
     « Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019). III. Les familles politiques », Courrier
31
     hebdomadaire, CRISP, n° 2418-2419 et 2435, 2019.
     J. DOHET, J. FANIEL, S. GOVAERT, C. ISTASSE, J.-P. NASSAUX, P. WYNANTS, « Les partis sans représentation
     parlementaire fédérale », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2206-2207, 2014, p. 94-97.
32
     Par après, la NCD s’intègre progressivement au VLD. Cf. X. MABILLE, « L’évolution récente des partis
33
     politiques », op. cit., p. 15-16.
     « Le pouvoir du chef inquiète des ex-CDH », La Dernière Heure, 5 avril 2022.
LES @NALYSES DU CRISP EN LIGNE – 12 MAI 2022                                                                      8

de connaître un recul – souvent structurel – du nombre de leurs adhérents et de leurs
électeurs. Parfois même, les transformations que ces changements de dénomination
accompagnent provoquent des tensions au sein des partis concernés, qui peuvent aller
jusqu’à engendrer des scissions.
De la même manière, il faut préciser que les partis qui ne changent pas de nom peuvent
tout autant être soumis à de telles difficultés. Concrètement, ce n’est pas parce que le PS,
                                                                    34
Écolo, le PTB et la N-VA maintiennent leur appellation respective qu’ils ne connaissent
pas des reculs électoraux parfois historiques – comme Écolo en 2003 – ou qu’ils ne
parviennent pas à récupérer des voix, selon le moment et le contexte.
Globalement, les partis traditionnels belges semblent être entrés en crise. Ainsi, lors
des élections législatives du 26 mai 2019, le score cumulé des partis socialistes, libéraux
et de tradition sociale-chrétienne se situait pour la première fois sous le seuil des 50 %
(soit 44,9 %) 35. Malgré leurs changements d’appellation, ces formations peinent à se
réinventer et, surtout, à se stabiliser de façon durable dans le paysage politique belge. Sans
doute est-ce à travers des opérations de renouvellement plus profondes encore que ces
formations pourront potentiellement espérer dépasser cet état de crise.

Pour citer cet article : Benjamin BIARD, « Pourquoi les partis politiques belges changent-ils de
nom ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 12 mai 2022, www.crisp.be.

34
35
     Rappelons que le cadre de cette étude est limité à la période comprise entre 1990 et 2022.
     B. BIARD, P. BLAISE, J. FANIEL, C. ISTASSE, C. SÄGESSER, « Les résultats des élections fédérales et européennes
     du 26 mai 2019 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2433-2434, 2019, p. 16.
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