Préférences manuelle et latérale et style de jeu au hockey sur glace

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S. GRONDIN, M. TROTTIER, C. HOULE - * Département de psychologie, Université
Laurentienne, chemin du lac Ramsey, Sudbury, Ontario, Canada, P3E 2C6

                  Préférences manuelle et latérale
                 et style de jeu au hockey sur glace

INTRODUCTION

Les activités manuelles quotidiennes chez l'humain peuvent être classées en trois
catégories (Guiard, 1987). D'abord, elles peuvent être unimanuelles : tel est le cas, par
exemple, lorsqu'on se brosse les dents. Dans un tel cas, on verra ressortir chez celui
qui exerce l'action une préférence manuelle. Deux autres catégories d'activités sont
dites bimanuelles symétriques ou asymétriques.                Dans une activité bimanuelle
symétrique, comme lorsqu'on monte une échelle, les deux mains ont un rôle semblable.
Une activité bimanuelle est asymétrique lorsque chaque main est affectée à des rôles
différents : la pratique d'instruments de musique à cordes en est un exemple (Guiard,
1987). Dans ce dernier cas, on pourra observer auprès de la personne qui s'exécute
une préférence latérale (Guiard, 1989).
Dans une activité bimanuelle asymétrique, le rôle dévolu à chaque main peut
généralement être prédit sur la base de la préférence latérale. Ainsi on peut s'attendre
à ce qu'un droitier, à qui l'on présenterait un violon pour qu'il en joue une première fois,
ait spontanément tendance à tenir l'instrument de la main gauche et l'archet de la main
droite. Pour expliquer cette préférence, Guiard (1987 ; 1989) propose certains
principes de coopération entre les mains gauche et droite. Un premier principe stipule
que la main dominante tend à organiser son action en fonction d'une position définie
par la main non dominante et non en fonction d'une position absolue. Ce contraste
cinésie/posture (Guiard (1985), lorsque appliqué à une préférence manuelle droitière,
est appelé « right-to-left reference principle » (Guiard, 1989). Un second principe
indique que les contributions relatives de la droite et de la gauche sont guidées par une
affectation de la main dominante à la tâche comportant une composante micrométrique
par opposition à une participation à une activité macrométrique de la main non
dominante.      Ainsi, lors d'une tâche bimanuelle asymétrique qui comporte des
résolutions fines, celles-ci, qu'elles soient temporelles ou spatiales, sont assumées par
la main droite d'une personne droitière.
Toujours en partant de l'exemple du droitier, Guiard (1989) suggère un troisième
principe, le « left-hand precedence principle » selon lequel, dans une activité cyclique,
c'est d'abord la main gauche qui apporte sa contribution. Pour illustrer ce fait, où
préséance est donnée à la main gauche, Guiard rappelle l'action d'enfiler une aiguille : il
faut d'abord fixer l'aiguille, que le droitier tiendra de la gauche, avant que la main droite
n'amorce son mouvement.
Même si, le plus souvent, la préférence manuelle permet de prédire adéquatement
l'affectation des tâches de chaque main dans une activité bimanuelle, il existe des
activités sportives où l'on note de nombreuses exceptions. Un de ces cas, celui de la
manipulation de la crosse au hockey sur glace, est l'objet de la présente étude.
Pour les fins de cette étude, distinguons deux groupes de joueurs de hockey selon leur
manière de tenir la crosse. La terminologie utilisée pour désigner ces deux groupes est
inspirée du vieux langage martial et est rapportée par Guiard (1987).                 Ainsi
distinguerons-nous le groupe taille (cut) du groupe estoc (thrust). Le groupe taille
désigne les joueurs qui placent leur main non-dominante en bout de manche, comme le
font ceux qui veulent frapper de taille, c'est-à-dire par la tranche. Ce groupe comprend
les gauchers qui placent leur main gauche plus bas que leur main droite sur le manche
(au hockey sur glace, on dit de ces joueurs qu'ils lancent de la gauche1) ; et les droitiers
qui placent leur main droite plus bas que leur main gauche sur le manche (on dit de ces
joueurs qu'ils lancent de la droite). A l'opposé, le groupe estoc désigne les joueurs qui
placent leurs mains comme ceux qui désirent frapper d'estoc, c'est-à-dire par la pointe.
Au hockey, il s'agit des gauchers qui lancent de la droite et des droitiers qui lancent de
la gauche.

1. Dans la perspective théorique proposée par Guiard, il est incorrect de dire qu'un
joueur lance de la gauche ou de la droite. En fait, le joueur utilise ses deux mains,
chaque main ayant un rôle qui lui est propre. Or, si on dit qu'un joueur lance de la
gauche, c'est que le palet est normalement placé à sa gauche lorsqu'il décoche un
lancer.

Nous posons donc l'hypothèse suivante. Les mains placées pour frapper de taille
favorisent les mouvements de rotation : ainsi, les hockeyeurs de ce groupe devraient
pouvoir lancer avec force. Les mains placées pour l’estoc offrent de meilleures chances
d'exécuter des translations axiales et de contrôler les mouvements dans la direction de
la poussée : au hockey sur glace, cela devrait se traduire par un meilleur contrôle du
palet.
Ainsi, selon l'appartenance au groupe taille ou estoc, on devrait voir apparaître
différentes tendances dans la façon de jouer au hockey. D'une part, les joueurs du
groupe taille devraient aimer lancer avec force, et s'ils lancent avec force, on peut
s'attendre à ce que ces joueurs aiment également lancer souvent. D'autre part, les
joueurs du groupe estoc devraient montrer une préférence pour un style de jeu axé sur
le contrôle, et donc sur la finesse. Par extension, on peut s'attendre à ce que ces
joueurs, préférant jouer avec finesse, soient moins enclins à jouer avec force et donc, à
mettre en échec un adversaire en s'imposant physiquement. Enfin, on peut aussi
s'attendre à ce que les joueurs du groupe estoc favorisent la précision, au détriment de
la force, dans les occasions où ils doivent lancer.
Bref, nous voulons vérifier dans cette étude si la manière de tenir la crosse, plus
spécifiquement, si le fait de placer la main dominante au-dessus ou au-dessous de
l'autre main, peut être lié à un style de jeu particulier. Notre étude consiste donc en une
enquête sur les préférences manuelle et latérale de joueurs de hockey, enquête
complétée par une évaluation par des entraîneurs de la manière de jouer de ces
joueurs. Un questionnaire, basé sur les énoncés rapportés au paragraphe précédent, a
été construit pour faire ces évaluations.

MÉTHODE

Sujets
Il y avait 194 sujets dans l'échantillon, tous impliqués dans de hauts niveaux de
compétition en hockey sur glace dans la région de Sudbury, Ontario. Les sujets étaient
sélectionnés lorsque leur entraîneur acceptait de participer à l'étude.
Quinze équipes, réparties selon différentes catégories et classes, ont participé à
l'expérience. Le tableau 1 rapporte cette répartition. Les joueurs de niveau collégial
avaient entre 18 et 23 ans. Les joueurs de niveaux Midget, Bantam et Pee-Wee ont
respectivement 16 (AA) et 17 (AAA) ans, 14 (AA) et 15 (AAA) ans, et 12 (AA) et 13
(AAA) ans. Les classes AA ou AAA sont utilisées au hockey amateur canadien pour
désigner un niveau élevé de compétition. De ces 194 joueurs, 71 sont défenseurs et
123 jouent à l'avant.

Matériel

Deux questionnaires ont été utilisés au cours de cette étude. (1) Chacun des 194
joueurs devait compléter le Edinburgh Handedness Inventory afin d'établir la préférence
manuelle (Oldfield, 197 1, p. 111).
(2) L'autre questionnaire a été construit pour les fins de la présente étude : identifier le
style de jeu des joueurs. Ce questionnaire comprend 14 énoncés (voir en appendice :
les énoncés sont rapportés en anglais - avec traduction française - car l'étude a été
menée auprès d'entraîneurs anglophones). L'entraîneur devait indiquer si l'énoncé
décrivait adéquatement un joueur donné. A chaque énoncé, l'entraîneur répondait, sur
une échelle de 1 à 10, s'il était fortement d'accord (1) ou fortement en désaccord (10).
Pour 7 des 14 questions (3, 4, 7, 8, 9, 10, 12), l'accord de l'entraîneur désignait, selon
les hypothèses posées dans l'introduction, une préférence pour un style de jeu basé sur
le contrôle et la finesse; tandis qu'un accord avec les 7 autres énoncés (1, 2, 5, 6, 11,
13, 14) désignait une préférence pour un style de jeu axé sur la puissance. Après que
les questionnaires aient été remplis, le score sur les questions 3, 4, 7, 8, 9, 10 et 12
était inversé et le calcul du score final devenait l'addition des scores aux 14 énoncés.
En d'autres mots, la variable dépendante globale extraite du questionnaire pour chaque
joueur était un score situé sur une échelle allant de 14 (jeu en puissance) à 140 (jeu en
finesse). En plus de cette analyse globale, le résultat pour chacune des questions est
analysé et rapporté.
Bien entendu, les auteurs reconnaissent que des joueurs peuvent être dotés de
qualités extraordinaires et pour le contrôle du palet et pour la force de leur lancer.
L'objectif ici, c'est d'identifier si une tendance dans la manière de jouer se dégage, sur
un grand ensemble de joueurs, en fonction de leurs préférences manuelle et latérale.
Bref, on s'attend à ce que les joueurs du groupe taille obtiennent dans l'ensemble un
score moins élevé que les joueurs du groupe estoc.

                          Nombre de          Position     Taille      Estoc
Catégorie    Classe Clubs Joueurs Déf.             Att.  G      D   G     D
Pee-Wee        AA        2         23        8      15   4      4   3     12
Pee-Wee       AAA        3         37       13      24   4      13  5     15
Bantam         AA        3         39       14      25   1      9   4     25
Bantam        AAA        2         28       11      17   1      6   2     19
Midget        AAA        4         49       18      31   2      18  0     29
Collège          -       1         18        7      11   0      5   1     12
TOTAL                   15         194      71     123 12 55 15 112
            Déf. = Défenseurs Att. = Attaquants G = Gauchers D= Droitiers
                      TABLEAU 1. - Description de l'échantillon
Procédure

La procédure se déroulait en deux étapes.
Premièrement, l'entraîneur de l'équipe collégiale a été contacté. Dans cette équipe de
fort niveau, il y avait aussi un assistant-entraîneur. Tous deux avaient une bonne
connaissance de leurs joueurs. Avec cette équipe, deux caractéristiques ont été
testées afin d'estimer la validité de notre questionnaire sur le style de jeu. Nous
voulions savoir (1) si deux observateurs ayant une bonne connaissance d'un
échantillon de joueurs pouvaient faire une évaluation similaire de ces joueurs sur la
base du questionnaire ; et (2) si ces mêmes observateurs pouvaient être stables dans
leurs propres évaluations, c'est-à-dire s'ils pouvaient, une semaine après une première
évaluation, faire une deuxième évaluation semblable à la première.
Après la vérification de ces deux points (voir résultats), le questionnaire a été distribué
à d'autres entraîneurs qui ont accepté de participer à l'étude et qui ont eux-mêmes
distribué l'inventaire d'Edinburgh à leurs joueurs.
Les évaluations par les entraîneurs de l'équipe collégiale ont été faites en décembre, et
celles des autres entraîneurs en janvier. Une saison de hockey dure environ 6 mois, de
la fin septembre à la fin mars. Ainsi, les évaluations ont été faites à un moment de la
saison qui nous permet de croire que les entraîneurs avaient une bonne connaissance
de leurs joueurs.

RÉSULTATS

Avant d’entreprendre l’analyse des scores au questionnaire sur le style de jeu, une
analyse de la validité de notre instrument a été faite.

Validité

Nous avons pris deux précautions avant d'utiliser le questionnaire sur le style de jeu : la
première, décrite dans la procédure, touche l’entraîneurs et l'assistant de l'équipe
collégiale ; et la deuxième concerne la manière de répondre de chacun des entraîneurs
participant à l'étude.
Pour l'équipe collégiale, une corrélation de Pearson a été calculée entre les scores
rapportés lors de la première évaluation de chacun des deux évaluateurs, l’entraîneurs
et l'assistant. La corrélation, basée sur l'évaluation de 18 joueurs, était de .80 (p < .01).
La corrélation entre la première et la deuxième évolution était, pour l'entraîneur, de .78
(p < .01), et de .99 (p < .01) pour l'assistant. Cette stabilité des jugements de l'assistant
dépend probablement de son entraînement à faire une évaluation des joueurs puisqu'il
est recruteur pour la Ligue de Hockey Junior de l'Ontario, une ligue où se développent
de nombreux futurs joueurs professionnels..
Une deuxième précaution a été prise afin de s'assurer cette fois-ci que chaque
entraîneur remplissait le questionnaire sérieusement. Les énoncés 3 et 14 sont
presque identiques, sauf que l'échelle était inversée. La corrélation entre les scores à
ces énoncés devait donc être très élevée et négative. Le tableau 2 montre ces
corrélations. La plus élevée est de - .98 et la plus faible de - .71, la moyenne étant de -
.88. De plus, dans le but d'évaluer la fidélité des jugements des entraîneurs, une
corrélation a été calculée afin d'estimer le lien entre deux aspects du questionnaire qui
devaient mener à des résultats semblables : le score pour les sept énoncés où l'accord
indique une préférence pour un jeu en finesse, et le score pour les sept énoncés où
l'accord indique une préférence pour un jeu axé sur la puissance.
Le tableau 2 montre ces corrélations qui se situent toutes entre - .65 et - .97, avec une
moyenne de - .84. Bref, nous avons deux raisons de croire que les entraîneurs ont
rempli le questionnaire avec sérieux.

L’échantillon

Des 194 sujets, 27 avaient une préférence manuelle gauche (13.92 %). Ce résultat est
conforme à la proportion de gauchers rencontrée dans la population en général
(environ 10 %: Hécaen, 1984). D'autre part, 12 des 27 gauchers (44.4 %) sont du
groupe taille, c'est-à-dire portent leur main gauche vers le bas de la crosse tandis que
55 des 167 droitiers (32.9 %) appartiennent également au groupe taille puisqu'ils
placent leur main droite vers le bas de la crosse. Cette différence de fréquence a été
testée à l'aide du test du chi carré et est non significative (χ= 1.37).
Enfin, il faut noter que le score moyen à l'inventaire d'Edinburgh était semblable pour
chaque groupe. Pour les joueurs ayant une préférence manuelle gauche, il n'y a pas
de différences significatives [t(25) = .54, n.s.] entre les moyennes des groupes taille
(18.17) et estoc (17.00). Pour les droitiers également, la différence de moyennes entre
les groupes taille (18.40) et estoc (18.89) n'est pas significative [t(165) =.73, n.s.].

Style de jeu

Le tableau 3 montre les résultats moyens, pour chaque catégorie et chaque classe, et
selon les préférences manuelle et latérale, obtenus au questionnaire sur le style de jeu.
Rappelons qu'un score élevé indique une préférence pour un style en finesse. La
différence entre les groupes taille et estoc est significative pour chez les Pee-Wee AA
[t(21) = 2.78, p < .011, chez les PeeWee AAA [t(35) = 4.08, p < .0 1 ], chez les Bantam
AA [t(37) = 2.39, p < .051, chez les Midget AAA [t(47) = 3.49, p < .01] et pour l'équipe
de niveau collégial [t(16) = 2.48, p < .051. Chez les Bantam AAA, les joueurs du groupe
estoc ont également une moyenne supérieure à celle des joueurs du groupe taille, mais
cette différence ne s'est pas avérée significative [t(26) = 1.03, p = .314].

          Catégorie         Classe           n             3 vs 14   Sous-éch.
          Pee-Wee             AA             11              -.81       -.70*
                              AA             12              -.98        -.86
                             AAA             13              -.98        -.82
                             AAA             14              -.78        -.92
                             AAA             10              -.95        -.95
          Bantam              AA             15              -.82        -.85
                              AA             14              -.94        -.82
                              AA             10              -.82      -.73**
                             AAA             13              -.91        -.81
                             AAA             15              -.82        -.81
          Midget             AAA             12             -.71*       -.65*
                             AAA             10              -.91        -.97
                             AAA             13              -.98        -.96
                             AAA             14              -.85        -.84
          Moyenne                                            -.88       -.84*
                               *p
Pour l’ensemble des sujets, les gauchers et les droitiers du groupe taille ont des
moyennes respectives de 65.43 et 61.67. Pour le groupe estoc, les gauchers et les
droitiers ont des moyennes respectives de 79.93 et 77.9 1. Le score moyen pour tous
les sujets du groupe taille (62.34) est significativement différent [t(192) = 6.87, p < .01]
de celui des sujets du groupe estoc (78.15). Ces résultats s'apparentent à ceux obtenus
dans une étude pilote2. Pour les différentes catégories de notre échantillon, les
tendances sont les mêmes. De plus, tel qu'indiqué au tableau 4, si on divise notre
échantillon selon la position des joueurs, la différence de moyennes chez les
défenseurs entre les groupes taille (56.04) et estoc (72.26) est significative
[t(69) = 5.08, p < .01] ; et elle l'est également [t(121) = 5.35, p < .01] chez les joueurs
d'avant (taille = 65.86 ; estoc = 81.61).

2.      Dans une étude pilote sur le même sujet, les préférences manuelle et latérale et
le style de jeu au hockey sur glace, des entraîneurs devaient placer leurs joueurs sur
une échelle de 1 à 10. Une cote de 10 indiquait qu'un joueur préfère jouer de façon
agressive en s'impliquant physiquement, qu'il lance avec force et tend davantage à
lancer qu'à tromper l'adversaire avec des feintes. A l'opposé, une cote de 1 indiquait
que le joueur aime jouer avec finesse, contrôler le palet, faire des passes plutôt que de
lancer et recherche la précision lorsqu'il lance. Ainsi, une cote de 5 ou 6 par exemple,
indiquait une préférence pour un style de jeu mixte, où aucune préférence pour un de
ces deux pôles ne se dégage. Dans cette étude pilote, il y avait 34 joueurs, 16 du
groupe taille et 18 du groupe estoc. Les premiers ont obtenu un score moyen de 6.19
(s = 2.37), ce qui indique un style basé sur la puissance; et les seconds ont obtenu un
score moyen de 4.17 (s = 2.26), ce qui indique une préférence pour un style axé sur la
finesse. La différence entre ces scores est significative [t(32) = 7.36, p < .011.

                                    Taille                                 Estoc
                        Gauchers               Droitiers        Gauchers        Droitiers
Catégorie   Classe      X        ET           X          ET     X     ET       X        ET
Pee-Wee       AA       73.3      9.9         62.8        5.3   81.0  0.4      79.5     10.2
             AAA       55.5     19.1         63.0       16.3   91.6  9.0      81.5     16.7
Bantam        AA       67.0       -          65.0       11.8   65.0  2.5      78.0     12.8
             AAA       54.0       -          71.0        4.0   80.0  5.6      74.6     16.1
Midget       AAA       74.5     36.0         56.9       14.4    -     -       76.2     17.7
Collège        -        -         -          57.8       18.0   78.0   -       80.0     17.6
                    Les scores peuvent varier entre 14 et 140
  TABLEAU 3. - Score moyen (X) et écart-type (ET) pour chaque catégorie et classe
                      dans chaque condition expérimentale
Taille            Estoc
       Défenseurs               n               24                47
                                X             56.04             72.26
                               ET             11.59             13.24
       Attaquants               n               43                80
                                X             65.86             81.61
                               ET             15.18             15.80
       Total                    n               67               127
                                X             62.34             78.15
                               ET             14.69             15.52
                     Les scores peuvent varier entre 14 et 140
TABLEAU 4. - Score moyen (X) et écart-type (ET) pour les défenseurs et attaquants, et
              pour l'ensemble des sujets des groupes Taille et Estoc

Enfin, pour l'ensemble de l'échantillon, la moyenne pour les défenseurs (66.77) est
significativement différente [t(192) = 3.82, p < .01] de celle des attaquants (76.11): par
rapport aux attaquants, les défenseurs ont davantage tendance à jouer en puissance.
Nous avons aussi procédé à une comparaison des groupes taille et estoc pour chacune
des 14 questions. Au tableau 5 sont rapportés, pour chaque question, les scores
moyens de ces deux groupes, la valeur observée au test t, et le niveau de signification
statistique sur ce test. Il n'y a qu'aux questions 2, 6 et 11 que les deux groupes ne
montrent aucune différence. Aux questions 1 et 5, la différence entre les deux groupes
ne permet pas de rencontrer le seuil critique conventionel (p < .05) mais demeure
assez importante et la tendance de ces résultats va dans le sens prédit par l'hypothèse
de départ. Enfin, pour les neuf autres questions, les différences entre les scores des
groupes taille et estoc sont significatives.

DISCUSSION

La présente investigation avait pour objectif d'analyser le lien entre le style de jeu des
joueurs de hockey sur glace et leurs préférences manuelle et latérale. Deux groupes
ont été formés : (1) Taille : les gauchers plaçant leur main droite sur la partie supérieure
du manche et les droitiers plaçant leur main gauche sur la partie supérieure du manche
; et (2) Estoc : les gauchers plaçant leur main gauche sur la partie supérieure du
manche et les droitiers plaçant leur main droite sur la partie supérieure du manche.

     Question           Taille          Estoc             t                p<
     1     X                 4.63           5.23          1.40            .16
           ET                2.88           2.78
     2     X                 5.01           5.26            .68           .50
           ET                2.38           2.40
     3     X                 7.04           6.07          2.28            .03
           ET                2.74           2.87
     4     X                 6.07           5.01          3.19            .01
           ET                2.26           2.19
     5     X                 4.06           4.72          1.83            .07
           ET                2.44           2.34
     6     X                 4.91           5.23            .84           .40
ET             2.61            2.44
     7      X              6.52            4.45         5.49             .01
            ET             2.67            2.41
     8      X              6.25            4.46         5.25             .01
            ET             2.34            2.23
     9      Yc             5.82            4.29         4.37             .01
            ET             2.93            2.28
     10     R              6.25            4.73         4.17             .01
            ET             2.43            2.41
     11     X              3.81            4.04          .60             .55
            ET             2.62            2.53
     12     X              5.67            4.73         2.82             .01
            ET             2.33            2.14
     13     X              4.81            5.80         2.66             .01
            ET             2.51            2.44
     14     X              3.72            4.69         2.22             .03
            ET             2.80            2.93
                        Les scores peuvent varier entre 1 et 10.
                   TABLEAU 5. - Score moyen (X) et écart-type (ET)
                   à chaque question pour les groupes Taille et Estoc

Il est d'abord intéressant de noter que la répartition des joueurs dans les catégories
taille et estoc n'est pas attribuable au hasard car dans un tel cas, on aurait dû avoir la
moitié des joueurs dans chaque groupe. De même, on est très loin du cas du hockey
sur gazon où les joueurs tiennent la crosse avec la main gauche au bout du manche
(lancent de la droite) et ce, même si l'on peut supposer que la plupart des joueurs sont
droitiers. Ainsi, pour le hockey sur glace, puisque l'on retrouve davantage de joueurs
dans le groupe estoc, et compte tenu des résultats de l'étude, il est permis de croire
que le contrôle du palet a plus de poids que le lancer avec force dans la préférence
latérale.
En fait, on s'attendait à ce que les joueurs utilisant une prise pour mieux frapper de
taille affectionnent un style de jeu basé sur la puissance ; et à ce que les joueurs
utilisant une prise aidant à frapper d’estoc adoptent davantage un style basé sur la
finesse.
Sur la base de l'évaluation du style de jeu de 194 joueurs par leur entraîneur,
l'hypothèse a été confirmée. La différence entre les deux groupes est importante, et on
la retrouve tant auprès des gauchers que des droitiers; et tant auprès des défenseurs
que des attaquants. De plus, on rencontre cette différence dans presque toutes les
catégories et classes, c'est-à-dire pour différents groupes d'âge et sur la base
d'évaluations par différents entraîneurs.
D'autre part, l'analyse de chacun des énoncés du questionnaire permet de vérifier à
plusieurs reprises que les joueurs du groupe taille, par rapport aux joueurs de l'autre
groupe, ont une plus grande tendance à jouer en force et ont une tendance moins
prononcée à favoriser un jeu axé sur le contrôle du palet. Par ailleurs, il est intéressant
de noter que les deux groupes ne montrent aucune différence aux questions 2 et 6.
Ainsi, dans une situation où deux joueurs se présentent contre un seul opposant, les
joueurs du groupe taille n'ont pas davantage tendance à lancer que les joueurs du
groupe estoc et ce, même si dans l'ensemble du jeu, ces derniers préfèrent passer et
contrôler le palet plutôt que de lancer (Question 8). Aussi, dans une situation
d'échappée devant le gardien, les joueurs du groupe estoc n'ont pas plus tendance que
les joueurs de l'autre groupe à déjouer plutôt que de lancer. Ainsi, pour certaines
situations de jeu spécifiques, les joueurs des deux groupes font les mêmes choix. Par
contre, lorsqu'ils utilisent le lancer (Question 7), les joueurs du groupe taille misent
plutôt sur la force tandis que ceux du groupe estoc choisissent de miser sur la
précision.

Ces résultats peuvent être expliqués par l'interprétation théorique de Guiard (1987 ;
1989) du rôle de l'asymétrie dans le contexte des activités bimanuelles humaines.
Guiard (1987) propose d'abord que chaque main est un moteur. Il suggère également
que ces deux moteurs formeraient une chaîne cinétique et agiraient comme s'ils étaient
assemblés en série. Ainsi, on ne peut bien comprendre une action bimanuelle
asymétrique qu'en regardant comment s'articule les mouvements produits par chaque
main. Cette vision englobe les trois principes rapportés dans l'introduction et sur
lesquels il convient de revenir pour les intégrer dans le contexte du hockey sur glace.
Le principe de référence spatiale stipule que dans le cas d'un individu ayant une
préférence manuelle droitière, la main gauche a dans l'activité bimanuelle, un rôle de
positionnement à partir duquel s'exerce l'action de la main droite. Cette description
implique une notion de temporalité où la gauche a préséance sur la droite (principe de
préséance). Suivant ces principes, on pourrait s'attendre à ce qu'en hockey sur glace, il
y ait davantage de droitiers qui lancent en ayant la main droite en bas et de gauchers
qui lancent en ayant la main gauche en bas, ce qui n'est généralement pas le cas,
comme l'indique notre échantillon. Guiard (1987) rapporte que l'on devrait s'attendre à
ce que les droitiers préfèrent placer la main gauche au-dessus de la main droite dans
toute activité, comme le golf, où il faut frapper avec un long instrument. En fait, si toute
l'efficacité au hockey sur glace devait tenir des résultats d'un seul élan comme au golf,
alors la distribution des préférences latérales au hockey se rapprocherait probablement
de celle du golf. Or, tel n'est pas le cas, car le hockey comporte une composante
supplémentaire, celle de l'organisation du jeu, qui commande de l'efficacité dans le
contrôle du palet.

Suivant le deuxième principe énoncé dans l'introduction, celui selon lequel les mains
dominante et non dominante sont respectivement affectées aux activités
micrométriques et macrométriques, le droitier aurait avantage à investir sa main droite
dans les mouvements de moindre ampleur. Ainsi, en plaçant sa main droite au haut de
la crosse, le droitier devrait être plus efficace lors du dribble, c'est-à-dire pour contrôler
le jeu. De même, pour passer, la main du haut se déplace généralement moins que la
main du bas (Walford, 1971). Même pour le lancer, le déplacement de la main placée
plus haut est de moindre ampleur que celui de l'autre main. Ceci est évident pour le
lancer frappé, et est également vrai pour un type de lancer très efficace, le « snap
shot » (Halliwell, Groppel, & Ward, 1978). Ainsi, si le droitier donne un rôle de
référence spatiale à sa main droite en la plaçant au-dessus de sa main gauche, il
devrait être en mesure de lancer avec précision. Dans ce cas, la main gauche devient
alors chargée de terminer l'action : la puissance du lancer de ce droitier devrait être
moindre que la puissance du lancer d'un droitier qui place la main gauche plus haut et
qui laisse ainsi terminer l'action par la main dominante, la droite.
CONCLUSION

L'étude menée auprès de 194 joueurs de hockey a permis de noter que la répartition
dans ce sport du nombre de gauchers et de droitiers est conforme à celle rencontrée
dans la population en général. Il est cependant intéressant de noter que la répartition
des joueurs, selon leur préférence latérale, est particulière. 34.5 % des joueurs utilisent
la prise qui aide à frapper de taille, c'est-à-dire celle qui favorise l'élan et qui est
généralement rencontrée au cricket, au base-ball et au hockey sur gazon. 65.5 % des
joueurs utilisent une prise aidant à mieux frapper d’estoc, c'est-à-dire une prise où la
main préférée est placée en bout de manche comme le font les joueurs de billard par
exemple. Enfin, l'étude démontre clairement que le style de jeu au hockey sur glace
diffère selon qu'un joueur adopte une prise favorisant une frappe de taille ou d’estoc.
Dans ce dernier cas, les joueurs aiment contrôler le palet, choisissent de lancer avec
précision plutôt qu'avec force et n'ont pas tendance à s'imposer physiquement. Nous
croyons que ces résultats sont non seulement d'intérêt pour le théoricien du hockey sur
glace, mais aussi pour les neuropsychologues qui travaillent sur le vaste problème des
préférences manuelle et latérale ; et nous souhaitons que la présente étude stimulera la
recherche sur la latéralité dans ce cas particulier qu'est le hockey sur glace.
BIBLIOGRAPHIE

- Guiard Y., « Latéralisation manuelle et spécialisation hémisphérique chez l'humain »,
Thèse de Doctorat-Sciences, Faculté des sciences de Luminy, Aix-Marseille II, 1985.
- Guiard Y., « Asymmetric division of labor in human skilled bimanual action: the
kinematic chain as a model », Journal of Motor Behavior, 1987, 19, 486-517.
- Guiard Y., « Lateral asymmetry in the context of two-handed action »,
PerceivinglActing workshop (PA W) Review, 1989, 4, 10-13.
- Halliwell W. R., Groppel J. L., Ward T., « A kinematic analysis of the snap shot in ice
hockey as executed by professional hockey players », In F. Landry et W.A.R. Orban
(Eds), Le hockey sur glace, vol. 10. Miami, FI, Symposia Specialists, 1978, 97-104.
- Hécaen H., Les Gauchers: Étude neuropsychologique, Paris, P.U.F., 1984.
- Oldfield R. C., « The assessment and analysis of handedness : the Edinburgh
inventory », Neuropsychologica, 1971, 9, 97-113.
- Walford G. A., Ice Hockey: an Illustrated Guidefor Coaches, New York, The Ronald
Press Co., 1971.
APPENDICE I

                             Questionnaire on style of play
                            (questionnaire sur le style de jeu)

                                           Scale
                                         (échelle)

                        Strongly agree                  Strongly disagree
                      (fortement d'accord)         (fortement en désaccord)
                              1                               10

1 Player enjoys using his slapshot much more than the wristshot.
(le joueur préfère nettement utiliser le lancer frappé plutôt que le lancer du poignet)

2. In a two-on-one situation, the player would much rather shoot the puck than pass it.
(dans une situation de deux contre un, le joueur préfère nettement lancer le palet plutôt
que de le passer à son coéquipier)

3. Player dislikes being involved in a physical type of game.
(le joueur déteste être impliqué dans un match où les mises en échec sont
nombreuses)

4. Making precise passes is what the player does best.
(des passes précises, voilà ce que le joueur fait le mieux)

5. Whenever the player gets an opportunity, he shoots the puck.
(dès qu'il en a la chance, le joueur tente de faire un lancer)

6. On a breakaway, the player would much rather shoot the puck than deek the
goaltender.
(sur une échappée, le joueur préfère nettement lancer plutôt que de déjouer le gardien)

7. When the player shoots the puck, he tries to pick the corners rather than utilizing a
hard shot.
(lorsque le joueur lance, il essaye davantage de viser les coins du but plutôt que de
miser sur la vitesse du tir)

8. Player relies more on a passing game than on a shooting game.
(le joueur a un style de jeu qui repose davantage sur son efficacité pour passer que
pour lancer)

9. Player bas excellent stickhandling abilities.
(le joueur excelle dans le dribble)

10. Player has no problems controlling the puck for a long period of time.
(le joueur peut aisément contrôler le palet durant une longue période)

11. Player enjoys going into the corners and digging the puck out.
(le joueur aime aller dans les coins de patinoire afin de disputer le palet à un
adversaire)

12. Player bas no trouble making passes, either forehanded or backhanded.
(le joueur n'a aucun problème à faire des passes, qu'elles soient faites du côté droit ou
du revers)

13. The player's stickhandling abilities are not as good as his slapshot.
(l'habileté du joueur n'est pas aussi grande pour le dribble que pour le lancer frappé)

14. Player enjoys playing a physical game.
(le joueur aime participer à un match où les mises en échec sont nombreuses)
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