Préférences manuelle et latérale et style de jeu au hockey sur glace
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S. GRONDIN, M. TROTTIER, C. HOULE - * Département de psychologie, Université Laurentienne, chemin du lac Ramsey, Sudbury, Ontario, Canada, P3E 2C6 Préférences manuelle et latérale et style de jeu au hockey sur glace INTRODUCTION Les activités manuelles quotidiennes chez l'humain peuvent être classées en trois catégories (Guiard, 1987). D'abord, elles peuvent être unimanuelles : tel est le cas, par exemple, lorsqu'on se brosse les dents. Dans un tel cas, on verra ressortir chez celui qui exerce l'action une préférence manuelle. Deux autres catégories d'activités sont dites bimanuelles symétriques ou asymétriques. Dans une activité bimanuelle symétrique, comme lorsqu'on monte une échelle, les deux mains ont un rôle semblable. Une activité bimanuelle est asymétrique lorsque chaque main est affectée à des rôles différents : la pratique d'instruments de musique à cordes en est un exemple (Guiard, 1987). Dans ce dernier cas, on pourra observer auprès de la personne qui s'exécute une préférence latérale (Guiard, 1989). Dans une activité bimanuelle asymétrique, le rôle dévolu à chaque main peut généralement être prédit sur la base de la préférence latérale. Ainsi on peut s'attendre à ce qu'un droitier, à qui l'on présenterait un violon pour qu'il en joue une première fois, ait spontanément tendance à tenir l'instrument de la main gauche et l'archet de la main droite. Pour expliquer cette préférence, Guiard (1987 ; 1989) propose certains principes de coopération entre les mains gauche et droite. Un premier principe stipule que la main dominante tend à organiser son action en fonction d'une position définie par la main non dominante et non en fonction d'une position absolue. Ce contraste cinésie/posture (Guiard (1985), lorsque appliqué à une préférence manuelle droitière, est appelé « right-to-left reference principle » (Guiard, 1989). Un second principe indique que les contributions relatives de la droite et de la gauche sont guidées par une affectation de la main dominante à la tâche comportant une composante micrométrique par opposition à une participation à une activité macrométrique de la main non dominante. Ainsi, lors d'une tâche bimanuelle asymétrique qui comporte des résolutions fines, celles-ci, qu'elles soient temporelles ou spatiales, sont assumées par la main droite d'une personne droitière. Toujours en partant de l'exemple du droitier, Guiard (1989) suggère un troisième principe, le « left-hand precedence principle » selon lequel, dans une activité cyclique, c'est d'abord la main gauche qui apporte sa contribution. Pour illustrer ce fait, où préséance est donnée à la main gauche, Guiard rappelle l'action d'enfiler une aiguille : il faut d'abord fixer l'aiguille, que le droitier tiendra de la gauche, avant que la main droite n'amorce son mouvement. Même si, le plus souvent, la préférence manuelle permet de prédire adéquatement l'affectation des tâches de chaque main dans une activité bimanuelle, il existe des activités sportives où l'on note de nombreuses exceptions. Un de ces cas, celui de la manipulation de la crosse au hockey sur glace, est l'objet de la présente étude. Pour les fins de cette étude, distinguons deux groupes de joueurs de hockey selon leur manière de tenir la crosse. La terminologie utilisée pour désigner ces deux groupes est
inspirée du vieux langage martial et est rapportée par Guiard (1987). Ainsi distinguerons-nous le groupe taille (cut) du groupe estoc (thrust). Le groupe taille désigne les joueurs qui placent leur main non-dominante en bout de manche, comme le font ceux qui veulent frapper de taille, c'est-à-dire par la tranche. Ce groupe comprend les gauchers qui placent leur main gauche plus bas que leur main droite sur le manche (au hockey sur glace, on dit de ces joueurs qu'ils lancent de la gauche1) ; et les droitiers qui placent leur main droite plus bas que leur main gauche sur le manche (on dit de ces joueurs qu'ils lancent de la droite). A l'opposé, le groupe estoc désigne les joueurs qui placent leurs mains comme ceux qui désirent frapper d'estoc, c'est-à-dire par la pointe. Au hockey, il s'agit des gauchers qui lancent de la droite et des droitiers qui lancent de la gauche. 1. Dans la perspective théorique proposée par Guiard, il est incorrect de dire qu'un joueur lance de la gauche ou de la droite. En fait, le joueur utilise ses deux mains, chaque main ayant un rôle qui lui est propre. Or, si on dit qu'un joueur lance de la gauche, c'est que le palet est normalement placé à sa gauche lorsqu'il décoche un lancer. Nous posons donc l'hypothèse suivante. Les mains placées pour frapper de taille favorisent les mouvements de rotation : ainsi, les hockeyeurs de ce groupe devraient pouvoir lancer avec force. Les mains placées pour l’estoc offrent de meilleures chances d'exécuter des translations axiales et de contrôler les mouvements dans la direction de la poussée : au hockey sur glace, cela devrait se traduire par un meilleur contrôle du palet. Ainsi, selon l'appartenance au groupe taille ou estoc, on devrait voir apparaître différentes tendances dans la façon de jouer au hockey. D'une part, les joueurs du groupe taille devraient aimer lancer avec force, et s'ils lancent avec force, on peut s'attendre à ce que ces joueurs aiment également lancer souvent. D'autre part, les joueurs du groupe estoc devraient montrer une préférence pour un style de jeu axé sur le contrôle, et donc sur la finesse. Par extension, on peut s'attendre à ce que ces joueurs, préférant jouer avec finesse, soient moins enclins à jouer avec force et donc, à mettre en échec un adversaire en s'imposant physiquement. Enfin, on peut aussi s'attendre à ce que les joueurs du groupe estoc favorisent la précision, au détriment de la force, dans les occasions où ils doivent lancer. Bref, nous voulons vérifier dans cette étude si la manière de tenir la crosse, plus spécifiquement, si le fait de placer la main dominante au-dessus ou au-dessous de l'autre main, peut être lié à un style de jeu particulier. Notre étude consiste donc en une enquête sur les préférences manuelle et latérale de joueurs de hockey, enquête complétée par une évaluation par des entraîneurs de la manière de jouer de ces joueurs. Un questionnaire, basé sur les énoncés rapportés au paragraphe précédent, a été construit pour faire ces évaluations. MÉTHODE Sujets Il y avait 194 sujets dans l'échantillon, tous impliqués dans de hauts niveaux de compétition en hockey sur glace dans la région de Sudbury, Ontario. Les sujets étaient sélectionnés lorsque leur entraîneur acceptait de participer à l'étude. Quinze équipes, réparties selon différentes catégories et classes, ont participé à l'expérience. Le tableau 1 rapporte cette répartition. Les joueurs de niveau collégial
avaient entre 18 et 23 ans. Les joueurs de niveaux Midget, Bantam et Pee-Wee ont respectivement 16 (AA) et 17 (AAA) ans, 14 (AA) et 15 (AAA) ans, et 12 (AA) et 13 (AAA) ans. Les classes AA ou AAA sont utilisées au hockey amateur canadien pour désigner un niveau élevé de compétition. De ces 194 joueurs, 71 sont défenseurs et 123 jouent à l'avant. Matériel Deux questionnaires ont été utilisés au cours de cette étude. (1) Chacun des 194 joueurs devait compléter le Edinburgh Handedness Inventory afin d'établir la préférence manuelle (Oldfield, 197 1, p. 111). (2) L'autre questionnaire a été construit pour les fins de la présente étude : identifier le style de jeu des joueurs. Ce questionnaire comprend 14 énoncés (voir en appendice : les énoncés sont rapportés en anglais - avec traduction française - car l'étude a été menée auprès d'entraîneurs anglophones). L'entraîneur devait indiquer si l'énoncé décrivait adéquatement un joueur donné. A chaque énoncé, l'entraîneur répondait, sur une échelle de 1 à 10, s'il était fortement d'accord (1) ou fortement en désaccord (10). Pour 7 des 14 questions (3, 4, 7, 8, 9, 10, 12), l'accord de l'entraîneur désignait, selon les hypothèses posées dans l'introduction, une préférence pour un style de jeu basé sur le contrôle et la finesse; tandis qu'un accord avec les 7 autres énoncés (1, 2, 5, 6, 11, 13, 14) désignait une préférence pour un style de jeu axé sur la puissance. Après que les questionnaires aient été remplis, le score sur les questions 3, 4, 7, 8, 9, 10 et 12 était inversé et le calcul du score final devenait l'addition des scores aux 14 énoncés. En d'autres mots, la variable dépendante globale extraite du questionnaire pour chaque joueur était un score situé sur une échelle allant de 14 (jeu en puissance) à 140 (jeu en finesse). En plus de cette analyse globale, le résultat pour chacune des questions est analysé et rapporté. Bien entendu, les auteurs reconnaissent que des joueurs peuvent être dotés de qualités extraordinaires et pour le contrôle du palet et pour la force de leur lancer. L'objectif ici, c'est d'identifier si une tendance dans la manière de jouer se dégage, sur un grand ensemble de joueurs, en fonction de leurs préférences manuelle et latérale. Bref, on s'attend à ce que les joueurs du groupe taille obtiennent dans l'ensemble un score moins élevé que les joueurs du groupe estoc. Nombre de Position Taille Estoc Catégorie Classe Clubs Joueurs Déf. Att. G D G D Pee-Wee AA 2 23 8 15 4 4 3 12 Pee-Wee AAA 3 37 13 24 4 13 5 15 Bantam AA 3 39 14 25 1 9 4 25 Bantam AAA 2 28 11 17 1 6 2 19 Midget AAA 4 49 18 31 2 18 0 29 Collège - 1 18 7 11 0 5 1 12 TOTAL 15 194 71 123 12 55 15 112 Déf. = Défenseurs Att. = Attaquants G = Gauchers D= Droitiers TABLEAU 1. - Description de l'échantillon
Procédure La procédure se déroulait en deux étapes. Premièrement, l'entraîneur de l'équipe collégiale a été contacté. Dans cette équipe de fort niveau, il y avait aussi un assistant-entraîneur. Tous deux avaient une bonne connaissance de leurs joueurs. Avec cette équipe, deux caractéristiques ont été testées afin d'estimer la validité de notre questionnaire sur le style de jeu. Nous voulions savoir (1) si deux observateurs ayant une bonne connaissance d'un échantillon de joueurs pouvaient faire une évaluation similaire de ces joueurs sur la base du questionnaire ; et (2) si ces mêmes observateurs pouvaient être stables dans leurs propres évaluations, c'est-à-dire s'ils pouvaient, une semaine après une première évaluation, faire une deuxième évaluation semblable à la première. Après la vérification de ces deux points (voir résultats), le questionnaire a été distribué à d'autres entraîneurs qui ont accepté de participer à l'étude et qui ont eux-mêmes distribué l'inventaire d'Edinburgh à leurs joueurs. Les évaluations par les entraîneurs de l'équipe collégiale ont été faites en décembre, et celles des autres entraîneurs en janvier. Une saison de hockey dure environ 6 mois, de la fin septembre à la fin mars. Ainsi, les évaluations ont été faites à un moment de la saison qui nous permet de croire que les entraîneurs avaient une bonne connaissance de leurs joueurs. RÉSULTATS Avant d’entreprendre l’analyse des scores au questionnaire sur le style de jeu, une analyse de la validité de notre instrument a été faite. Validité Nous avons pris deux précautions avant d'utiliser le questionnaire sur le style de jeu : la première, décrite dans la procédure, touche l’entraîneurs et l'assistant de l'équipe collégiale ; et la deuxième concerne la manière de répondre de chacun des entraîneurs participant à l'étude. Pour l'équipe collégiale, une corrélation de Pearson a été calculée entre les scores rapportés lors de la première évaluation de chacun des deux évaluateurs, l’entraîneurs et l'assistant. La corrélation, basée sur l'évaluation de 18 joueurs, était de .80 (p < .01). La corrélation entre la première et la deuxième évolution était, pour l'entraîneur, de .78 (p < .01), et de .99 (p < .01) pour l'assistant. Cette stabilité des jugements de l'assistant dépend probablement de son entraînement à faire une évaluation des joueurs puisqu'il est recruteur pour la Ligue de Hockey Junior de l'Ontario, une ligue où se développent de nombreux futurs joueurs professionnels.. Une deuxième précaution a été prise afin de s'assurer cette fois-ci que chaque entraîneur remplissait le questionnaire sérieusement. Les énoncés 3 et 14 sont presque identiques, sauf que l'échelle était inversée. La corrélation entre les scores à ces énoncés devait donc être très élevée et négative. Le tableau 2 montre ces corrélations. La plus élevée est de - .98 et la plus faible de - .71, la moyenne étant de - .88. De plus, dans le but d'évaluer la fidélité des jugements des entraîneurs, une corrélation a été calculée afin d'estimer le lien entre deux aspects du questionnaire qui devaient mener à des résultats semblables : le score pour les sept énoncés où l'accord indique une préférence pour un jeu en finesse, et le score pour les sept énoncés où l'accord indique une préférence pour un jeu axé sur la puissance.
Le tableau 2 montre ces corrélations qui se situent toutes entre - .65 et - .97, avec une moyenne de - .84. Bref, nous avons deux raisons de croire que les entraîneurs ont rempli le questionnaire avec sérieux. L’échantillon Des 194 sujets, 27 avaient une préférence manuelle gauche (13.92 %). Ce résultat est conforme à la proportion de gauchers rencontrée dans la population en général (environ 10 %: Hécaen, 1984). D'autre part, 12 des 27 gauchers (44.4 %) sont du groupe taille, c'est-à-dire portent leur main gauche vers le bas de la crosse tandis que 55 des 167 droitiers (32.9 %) appartiennent également au groupe taille puisqu'ils placent leur main droite vers le bas de la crosse. Cette différence de fréquence a été testée à l'aide du test du chi carré et est non significative (χ= 1.37). Enfin, il faut noter que le score moyen à l'inventaire d'Edinburgh était semblable pour chaque groupe. Pour les joueurs ayant une préférence manuelle gauche, il n'y a pas de différences significatives [t(25) = .54, n.s.] entre les moyennes des groupes taille (18.17) et estoc (17.00). Pour les droitiers également, la différence de moyennes entre les groupes taille (18.40) et estoc (18.89) n'est pas significative [t(165) =.73, n.s.]. Style de jeu Le tableau 3 montre les résultats moyens, pour chaque catégorie et chaque classe, et selon les préférences manuelle et latérale, obtenus au questionnaire sur le style de jeu. Rappelons qu'un score élevé indique une préférence pour un style en finesse. La différence entre les groupes taille et estoc est significative pour chez les Pee-Wee AA [t(21) = 2.78, p < .011, chez les PeeWee AAA [t(35) = 4.08, p < .0 1 ], chez les Bantam AA [t(37) = 2.39, p < .051, chez les Midget AAA [t(47) = 3.49, p < .01] et pour l'équipe de niveau collégial [t(16) = 2.48, p < .051. Chez les Bantam AAA, les joueurs du groupe estoc ont également une moyenne supérieure à celle des joueurs du groupe taille, mais cette différence ne s'est pas avérée significative [t(26) = 1.03, p = .314]. Catégorie Classe n 3 vs 14 Sous-éch. Pee-Wee AA 11 -.81 -.70* AA 12 -.98 -.86 AAA 13 -.98 -.82 AAA 14 -.78 -.92 AAA 10 -.95 -.95 Bantam AA 15 -.82 -.85 AA 14 -.94 -.82 AA 10 -.82 -.73** AAA 13 -.91 -.81 AAA 15 -.82 -.81 Midget AAA 12 -.71* -.65* AAA 10 -.91 -.97 AAA 13 -.98 -.96 AAA 14 -.85 -.84 Moyenne -.88 -.84* *p
Pour l’ensemble des sujets, les gauchers et les droitiers du groupe taille ont des moyennes respectives de 65.43 et 61.67. Pour le groupe estoc, les gauchers et les droitiers ont des moyennes respectives de 79.93 et 77.9 1. Le score moyen pour tous les sujets du groupe taille (62.34) est significativement différent [t(192) = 6.87, p < .01] de celui des sujets du groupe estoc (78.15). Ces résultats s'apparentent à ceux obtenus dans une étude pilote2. Pour les différentes catégories de notre échantillon, les tendances sont les mêmes. De plus, tel qu'indiqué au tableau 4, si on divise notre échantillon selon la position des joueurs, la différence de moyennes chez les défenseurs entre les groupes taille (56.04) et estoc (72.26) est significative [t(69) = 5.08, p < .01] ; et elle l'est également [t(121) = 5.35, p < .01] chez les joueurs d'avant (taille = 65.86 ; estoc = 81.61). 2. Dans une étude pilote sur le même sujet, les préférences manuelle et latérale et le style de jeu au hockey sur glace, des entraîneurs devaient placer leurs joueurs sur une échelle de 1 à 10. Une cote de 10 indiquait qu'un joueur préfère jouer de façon agressive en s'impliquant physiquement, qu'il lance avec force et tend davantage à lancer qu'à tromper l'adversaire avec des feintes. A l'opposé, une cote de 1 indiquait que le joueur aime jouer avec finesse, contrôler le palet, faire des passes plutôt que de lancer et recherche la précision lorsqu'il lance. Ainsi, une cote de 5 ou 6 par exemple, indiquait une préférence pour un style de jeu mixte, où aucune préférence pour un de ces deux pôles ne se dégage. Dans cette étude pilote, il y avait 34 joueurs, 16 du groupe taille et 18 du groupe estoc. Les premiers ont obtenu un score moyen de 6.19 (s = 2.37), ce qui indique un style basé sur la puissance; et les seconds ont obtenu un score moyen de 4.17 (s = 2.26), ce qui indique une préférence pour un style axé sur la finesse. La différence entre ces scores est significative [t(32) = 7.36, p < .011. Taille Estoc Gauchers Droitiers Gauchers Droitiers Catégorie Classe X ET X ET X ET X ET Pee-Wee AA 73.3 9.9 62.8 5.3 81.0 0.4 79.5 10.2 AAA 55.5 19.1 63.0 16.3 91.6 9.0 81.5 16.7 Bantam AA 67.0 - 65.0 11.8 65.0 2.5 78.0 12.8 AAA 54.0 - 71.0 4.0 80.0 5.6 74.6 16.1 Midget AAA 74.5 36.0 56.9 14.4 - - 76.2 17.7 Collège - - - 57.8 18.0 78.0 - 80.0 17.6 Les scores peuvent varier entre 14 et 140 TABLEAU 3. - Score moyen (X) et écart-type (ET) pour chaque catégorie et classe dans chaque condition expérimentale
Taille Estoc Défenseurs n 24 47 X 56.04 72.26 ET 11.59 13.24 Attaquants n 43 80 X 65.86 81.61 ET 15.18 15.80 Total n 67 127 X 62.34 78.15 ET 14.69 15.52 Les scores peuvent varier entre 14 et 140 TABLEAU 4. - Score moyen (X) et écart-type (ET) pour les défenseurs et attaquants, et pour l'ensemble des sujets des groupes Taille et Estoc Enfin, pour l'ensemble de l'échantillon, la moyenne pour les défenseurs (66.77) est significativement différente [t(192) = 3.82, p < .01] de celle des attaquants (76.11): par rapport aux attaquants, les défenseurs ont davantage tendance à jouer en puissance. Nous avons aussi procédé à une comparaison des groupes taille et estoc pour chacune des 14 questions. Au tableau 5 sont rapportés, pour chaque question, les scores moyens de ces deux groupes, la valeur observée au test t, et le niveau de signification statistique sur ce test. Il n'y a qu'aux questions 2, 6 et 11 que les deux groupes ne montrent aucune différence. Aux questions 1 et 5, la différence entre les deux groupes ne permet pas de rencontrer le seuil critique conventionel (p < .05) mais demeure assez importante et la tendance de ces résultats va dans le sens prédit par l'hypothèse de départ. Enfin, pour les neuf autres questions, les différences entre les scores des groupes taille et estoc sont significatives. DISCUSSION La présente investigation avait pour objectif d'analyser le lien entre le style de jeu des joueurs de hockey sur glace et leurs préférences manuelle et latérale. Deux groupes ont été formés : (1) Taille : les gauchers plaçant leur main droite sur la partie supérieure du manche et les droitiers plaçant leur main gauche sur la partie supérieure du manche ; et (2) Estoc : les gauchers plaçant leur main gauche sur la partie supérieure du manche et les droitiers plaçant leur main droite sur la partie supérieure du manche. Question Taille Estoc t p< 1 X 4.63 5.23 1.40 .16 ET 2.88 2.78 2 X 5.01 5.26 .68 .50 ET 2.38 2.40 3 X 7.04 6.07 2.28 .03 ET 2.74 2.87 4 X 6.07 5.01 3.19 .01 ET 2.26 2.19 5 X 4.06 4.72 1.83 .07 ET 2.44 2.34 6 X 4.91 5.23 .84 .40
ET 2.61 2.44 7 X 6.52 4.45 5.49 .01 ET 2.67 2.41 8 X 6.25 4.46 5.25 .01 ET 2.34 2.23 9 Yc 5.82 4.29 4.37 .01 ET 2.93 2.28 10 R 6.25 4.73 4.17 .01 ET 2.43 2.41 11 X 3.81 4.04 .60 .55 ET 2.62 2.53 12 X 5.67 4.73 2.82 .01 ET 2.33 2.14 13 X 4.81 5.80 2.66 .01 ET 2.51 2.44 14 X 3.72 4.69 2.22 .03 ET 2.80 2.93 Les scores peuvent varier entre 1 et 10. TABLEAU 5. - Score moyen (X) et écart-type (ET) à chaque question pour les groupes Taille et Estoc Il est d'abord intéressant de noter que la répartition des joueurs dans les catégories taille et estoc n'est pas attribuable au hasard car dans un tel cas, on aurait dû avoir la moitié des joueurs dans chaque groupe. De même, on est très loin du cas du hockey sur gazon où les joueurs tiennent la crosse avec la main gauche au bout du manche (lancent de la droite) et ce, même si l'on peut supposer que la plupart des joueurs sont droitiers. Ainsi, pour le hockey sur glace, puisque l'on retrouve davantage de joueurs dans le groupe estoc, et compte tenu des résultats de l'étude, il est permis de croire que le contrôle du palet a plus de poids que le lancer avec force dans la préférence latérale. En fait, on s'attendait à ce que les joueurs utilisant une prise pour mieux frapper de taille affectionnent un style de jeu basé sur la puissance ; et à ce que les joueurs utilisant une prise aidant à frapper d’estoc adoptent davantage un style basé sur la finesse. Sur la base de l'évaluation du style de jeu de 194 joueurs par leur entraîneur, l'hypothèse a été confirmée. La différence entre les deux groupes est importante, et on la retrouve tant auprès des gauchers que des droitiers; et tant auprès des défenseurs que des attaquants. De plus, on rencontre cette différence dans presque toutes les catégories et classes, c'est-à-dire pour différents groupes d'âge et sur la base d'évaluations par différents entraîneurs. D'autre part, l'analyse de chacun des énoncés du questionnaire permet de vérifier à plusieurs reprises que les joueurs du groupe taille, par rapport aux joueurs de l'autre groupe, ont une plus grande tendance à jouer en force et ont une tendance moins prononcée à favoriser un jeu axé sur le contrôle du palet. Par ailleurs, il est intéressant de noter que les deux groupes ne montrent aucune différence aux questions 2 et 6. Ainsi, dans une situation où deux joueurs se présentent contre un seul opposant, les joueurs du groupe taille n'ont pas davantage tendance à lancer que les joueurs du groupe estoc et ce, même si dans l'ensemble du jeu, ces derniers préfèrent passer et contrôler le palet plutôt que de lancer (Question 8). Aussi, dans une situation d'échappée devant le gardien, les joueurs du groupe estoc n'ont pas plus tendance que
les joueurs de l'autre groupe à déjouer plutôt que de lancer. Ainsi, pour certaines situations de jeu spécifiques, les joueurs des deux groupes font les mêmes choix. Par contre, lorsqu'ils utilisent le lancer (Question 7), les joueurs du groupe taille misent plutôt sur la force tandis que ceux du groupe estoc choisissent de miser sur la précision. Ces résultats peuvent être expliqués par l'interprétation théorique de Guiard (1987 ; 1989) du rôle de l'asymétrie dans le contexte des activités bimanuelles humaines. Guiard (1987) propose d'abord que chaque main est un moteur. Il suggère également que ces deux moteurs formeraient une chaîne cinétique et agiraient comme s'ils étaient assemblés en série. Ainsi, on ne peut bien comprendre une action bimanuelle asymétrique qu'en regardant comment s'articule les mouvements produits par chaque main. Cette vision englobe les trois principes rapportés dans l'introduction et sur lesquels il convient de revenir pour les intégrer dans le contexte du hockey sur glace. Le principe de référence spatiale stipule que dans le cas d'un individu ayant une préférence manuelle droitière, la main gauche a dans l'activité bimanuelle, un rôle de positionnement à partir duquel s'exerce l'action de la main droite. Cette description implique une notion de temporalité où la gauche a préséance sur la droite (principe de préséance). Suivant ces principes, on pourrait s'attendre à ce qu'en hockey sur glace, il y ait davantage de droitiers qui lancent en ayant la main droite en bas et de gauchers qui lancent en ayant la main gauche en bas, ce qui n'est généralement pas le cas, comme l'indique notre échantillon. Guiard (1987) rapporte que l'on devrait s'attendre à ce que les droitiers préfèrent placer la main gauche au-dessus de la main droite dans toute activité, comme le golf, où il faut frapper avec un long instrument. En fait, si toute l'efficacité au hockey sur glace devait tenir des résultats d'un seul élan comme au golf, alors la distribution des préférences latérales au hockey se rapprocherait probablement de celle du golf. Or, tel n'est pas le cas, car le hockey comporte une composante supplémentaire, celle de l'organisation du jeu, qui commande de l'efficacité dans le contrôle du palet. Suivant le deuxième principe énoncé dans l'introduction, celui selon lequel les mains dominante et non dominante sont respectivement affectées aux activités micrométriques et macrométriques, le droitier aurait avantage à investir sa main droite dans les mouvements de moindre ampleur. Ainsi, en plaçant sa main droite au haut de la crosse, le droitier devrait être plus efficace lors du dribble, c'est-à-dire pour contrôler le jeu. De même, pour passer, la main du haut se déplace généralement moins que la main du bas (Walford, 1971). Même pour le lancer, le déplacement de la main placée plus haut est de moindre ampleur que celui de l'autre main. Ceci est évident pour le lancer frappé, et est également vrai pour un type de lancer très efficace, le « snap shot » (Halliwell, Groppel, & Ward, 1978). Ainsi, si le droitier donne un rôle de référence spatiale à sa main droite en la plaçant au-dessus de sa main gauche, il devrait être en mesure de lancer avec précision. Dans ce cas, la main gauche devient alors chargée de terminer l'action : la puissance du lancer de ce droitier devrait être moindre que la puissance du lancer d'un droitier qui place la main gauche plus haut et qui laisse ainsi terminer l'action par la main dominante, la droite.
CONCLUSION L'étude menée auprès de 194 joueurs de hockey a permis de noter que la répartition dans ce sport du nombre de gauchers et de droitiers est conforme à celle rencontrée dans la population en général. Il est cependant intéressant de noter que la répartition des joueurs, selon leur préférence latérale, est particulière. 34.5 % des joueurs utilisent la prise qui aide à frapper de taille, c'est-à-dire celle qui favorise l'élan et qui est généralement rencontrée au cricket, au base-ball et au hockey sur gazon. 65.5 % des joueurs utilisent une prise aidant à mieux frapper d’estoc, c'est-à-dire une prise où la main préférée est placée en bout de manche comme le font les joueurs de billard par exemple. Enfin, l'étude démontre clairement que le style de jeu au hockey sur glace diffère selon qu'un joueur adopte une prise favorisant une frappe de taille ou d’estoc. Dans ce dernier cas, les joueurs aiment contrôler le palet, choisissent de lancer avec précision plutôt qu'avec force et n'ont pas tendance à s'imposer physiquement. Nous croyons que ces résultats sont non seulement d'intérêt pour le théoricien du hockey sur glace, mais aussi pour les neuropsychologues qui travaillent sur le vaste problème des préférences manuelle et latérale ; et nous souhaitons que la présente étude stimulera la recherche sur la latéralité dans ce cas particulier qu'est le hockey sur glace.
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APPENDICE I Questionnaire on style of play (questionnaire sur le style de jeu) Scale (échelle) Strongly agree Strongly disagree (fortement d'accord) (fortement en désaccord) 1 10 1 Player enjoys using his slapshot much more than the wristshot. (le joueur préfère nettement utiliser le lancer frappé plutôt que le lancer du poignet) 2. In a two-on-one situation, the player would much rather shoot the puck than pass it. (dans une situation de deux contre un, le joueur préfère nettement lancer le palet plutôt que de le passer à son coéquipier) 3. Player dislikes being involved in a physical type of game. (le joueur déteste être impliqué dans un match où les mises en échec sont nombreuses) 4. Making precise passes is what the player does best. (des passes précises, voilà ce que le joueur fait le mieux) 5. Whenever the player gets an opportunity, he shoots the puck. (dès qu'il en a la chance, le joueur tente de faire un lancer) 6. On a breakaway, the player would much rather shoot the puck than deek the goaltender. (sur une échappée, le joueur préfère nettement lancer plutôt que de déjouer le gardien) 7. When the player shoots the puck, he tries to pick the corners rather than utilizing a hard shot. (lorsque le joueur lance, il essaye davantage de viser les coins du but plutôt que de miser sur la vitesse du tir) 8. Player relies more on a passing game than on a shooting game. (le joueur a un style de jeu qui repose davantage sur son efficacité pour passer que pour lancer) 9. Player bas excellent stickhandling abilities. (le joueur excelle dans le dribble) 10. Player has no problems controlling the puck for a long period of time. (le joueur peut aisément contrôler le palet durant une longue période) 11. Player enjoys going into the corners and digging the puck out.
(le joueur aime aller dans les coins de patinoire afin de disputer le palet à un adversaire) 12. Player bas no trouble making passes, either forehanded or backhanded. (le joueur n'a aucun problème à faire des passes, qu'elles soient faites du côté droit ou du revers) 13. The player's stickhandling abilities are not as good as his slapshot. (l'habileté du joueur n'est pas aussi grande pour le dribble que pour le lancer frappé) 14. Player enjoys playing a physical game. (le joueur aime participer à un match où les mises en échec sont nombreuses)
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