Réflexions d'été (part two) - Georges Privet L'Inconvénient
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Document generated on 09/11/2021 7:31 p.m. L'Inconvénient Réflexions d’été (part two) Georges Privet À quoi sert la fiction ? Number 66, Fall 2016 URI: https://id.erudit.org/iderudit/83771ac See table of contents Publisher(s) L'Inconvénient ISSN 1492-1197 (print) 2369-2359 (digital) Explore this journal Cite this review Privet, G. (2016). Review of [Réflexions d’été (part two)]. L'Inconvénient, (66), 56–58. Tous droits réservés © L’inconvénient, 2016 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Cinéma RÉFLEXIONS D'ÉTÉ (PART TWO) Georges Privet 5 mai : Écrire sur le cinéma aujourd’hui, peu dire qu’on lui souhaite la meilleure la saison – le genre de catastrophe in- c’est guetter avec impatience l’avène- des chances… dustrielle que tout le monde veut voir, ment d’une renaissance qui tarde à histoire de constater par soi-même venir, tout en regardant l’art qu’on aime 16 mai : En furetant sur l’Internet l’étendue des dommages. se faire bouffer inexorablement par l’in- Movie Database, je découvre que les Netflix s’en réjouit d’ailleurs (qu’on dustrie… bandes-annonces américaines ont dé- en parle en bien ou en mal, pourvu Ainsi, la fermeture de la Boîte sormais leurs propres bandes-annonces qu’on en parle…) et profite du chaos Noire, après celle du complexe Excen- – de très courtes accroches de cinq ou pour annoncer en grande pompe que tris et de dizaines de vidéoclubs et de six secondes qui les précèdent afin d’ai- Marseille aura droit à une seconde sai- salles de répertoire, vient rappeler une der les gens à voir s’ils sont prêts à voir son. « Succès » typique d’une époque où fois encore (et sans doute pour la der- la « version longue ». En découvrant ça, les gens préfèrent rester chez eux à rire nière, car il ne reste désormais plus on se demande quelle chance on peut d’un navet « incontournable » plutôt grand-chose à fermer) la fin d’une cer- désormais avoir de convaincre les gens que de sortir pour aller à la rencontre taine idée du septième art, mise à mort de visionner un Antonioni, un Angelo- d’un film qu’ils risquent d’être les seuls par le monde du numérique, de la dé- poulos ou un Kiarostami… à voir. D’ailleurs, la même semaine, le matérialisation et du cinéma maison. très beau film de Jia Zhang-ke Au-delà Pour suppléer au manque d’écrans, 27 mai : L’actualité du cinéma, c’est aus- des montagnes sort à Montréal sans le tout en essayant d’élargir son propre si de plus en plus celle de la télévision. À moindre buzz et dans l’indifférence la public, la Cinémathèque québécoise – preuve, la minisérie Marseille, sur Net- plus totale. ultime rempart et dernier bastion de flix – où Gérard Depardieu et Benoît la cinéphilie – consacre désormais une Magimel s’affrontent dans ce qui est 24 juin : Le réseau TVA a décidé de de ses salles à des sorties de nouveaux vendu comme une sorte de « House of fêter la Saint-Jean-Baptiste en invitant films, un geste qui dit bien à quel point Cards à la française » –, devient contre les Québécois à revoir Independence Day le cinéma qu’on aime ne trouve désor- toute attente un succès étrange, du – un blockbuster on ne peut plus amé- mais plus de place que dans les endroits genre « il faut que tu le vois, parce que ricain. spécialement consacrés à sa survie en c’est tellement mauvais que c’est bon ». On se dit qu’il y a peut-être là une tant qu’art. Éreintée par la presse, ridiculisée sorte d’inside joke teintée d’ironie, ou un Parallèlement, la Cinémathèque par les internautes et faisant même acte de provocation militante, ou peut- annonce, pour juillet et août, la tenue l’objet d’un blogue Tumblr répertoriant être même une espèce de message subli- d’une vaste rétrospective consacrée à avec délectation ses répliques les plus minal provenant de l’inconscient. Mais une alléchante « Histoire de l’érotisme », débiles (par exemple : « Vous trouvez la vérité est à la fois plus simple et plus partant sans doute du principe que si les pas ça bizarre qu’on se touche le zob en décevante : la suite du film s’apprête à gens ne se déplacent pas pour ça, ils ne parlant de Picasso ? »), la série devient prendre l’affiche, et les Américains (qui viendront plus pour grand-chose. C’est ironiquement un des must culturels de ne ratent jamais ce genre d’occasion) en 56 L’INCONVÉNIENT • no 66, automne 2016
ont profité pour inviter les diffuseurs à de « purger » sans violence ses instincts beaucoup déçu à sa sortie, mais auquel repasser l’original comme une sorte de les plus inavouables et les plus profonds. je ne peux m’empêcher de repenser très mégabande-annonce. souvent. Pourquoi ? Difficile à dire… Reste, au-delà de l’anecdote, une 11 juillet : Les 3 p’tits cochons 2, un gros Le ratage est si douloureux et incon- question troublante : pourquoi le diffu- film de mononc’ parfaitement quel- testable qu’on peut vraiment parler d’un seur le plus populaire au Québec fait- conque, devient contre toute attente le naufrage : personnages synthétiques, il si peu de place au cinéma québécois premier succès québécois de l’année. sexualité aseptisée, intrigue sans inté- dans sa programmation ? Quoi qu’il en Un succès qui témoigne d’un nouveau rêt... On ne croit à rien, sauf, peut-être, soit, il y a là une politique qui garantit phénomène : la tendance qu’ont les pro- à cet étrange moment où une femme que « le jour de l’indépendance » n’arri- ducteurs à faire des suites à des succès – qui voit Kadhafi se faire lyncher à vera pas de sitôt, et qu’il restera pour modestes dont à peu près personne ne la télévision – demande, affolée, à son les Québécois un gros film de science- se souvient. compagnon : « Mais nous, est-ce qu’on fiction. À preuve, la relationniste d’un est vrais ? » important distributeur m’avait offert Pour moi, c’est un peu comme si 1er juillet : Parlant d’Amérique (peut-on quelques semaines plus tôt un DVD Arcand (après avoir été injustement faire autrement ?), The Purge: Election de Now You See Me à l’entrée de la attaqué au sujet de L’âge des ténèbres) Year attire les foules en nous plongeant projection de presse de la suite très s’était dit : « D’accord, vous ne voulez dans les États-Unis de 2025, dans une astucieusement nommée Now You See plus que je parle de la société québé- société où, un jour par année, tous les Me 2 – le producteur du film sachant coise… Je peux arrêter sans problème ! » crimes (y compris le meurtre) sont per- pertinemment que personne ne se sou- Et qu’il avait tâché – avec un positi- mis. Ses héros : une candidate à la prési- viendrait du divertissement insignifiant visme forcé, qui frôle le déni volontaire dence et son garde du corps, qui tentent dont il venait de produire la suite. Signe – de traquer le « beau » dans ce qu’il d’échapper aux maniaques et aux leaders d’une époque si friande de suites, et des a de plus artificiel : les intrigues sans d’extrême droite qui veulent profiter de revenus (modestes mais stables) qu’elles fièvre de jeunes sans âme, filmés comme cette « fête » pour avoir leur peau. génèrent, elle n’hésite plus à faire des des dieux dans un Charlevoix aux airs On aura compris que The Purge: suites que personne n’attend à des d’Olympe, admirant le fleuve et leur Election Year est de ces séries B qui re- films dont personne ne se souvient. Un nombril dans des maisons plus intéres- flètent avec mordant l’inconscient col- constat qui me remet en mémoire cette santes qu’eux. Le déclin de l’empire étant lectif de leur époque. Sorti peu après le phrase de Steven Soderbergh : « Le clairement consommé, les invasions massacre d’Orlando et peu avant celui problème avec les gens qui méprisent étant maintenant loin derrière nous, les de Dallas, ce thriller sur le contrôle des le public, c’est que le public leur donne ténèbres s’étant dissipées pour faire place armes et l’ère Trump crie que l’Amé- souvent raison. » à une lumière suspecte… rique d’aujourd’hui est un film d’hor- D’autant plus que le tout est filmé reur. Et qu’il n’y a à peu près que le 7 juillet : Je revois Le règne de la beauté, avec une sorte de sérénité feinte, de cinéma d’action qui lui permette encore le dernier Arcand – un film qui m’avait bonheur béat, presque chimique, qui L’INCONVÉNIENT • no 66, automne 2016 57
dit à chaque scène le vide abyssal du mes coups de cœur des dernières se- 16 juillet : Par une étrange coïnci- Québec contemporain, son abandon maines sont souvent des vieux films que dence, je trouve sur le site de Libération des enjeux collectifs à l’autel du conten- je découvre désormais sur le Net : Be- un article fascinant sur la découverte, tement personnel, et sa reddition sou- gotten d’Edmund Elias Merhige (1989), en 2004, d’une petite salle de cinéma mise et souriante aux joies du confort et un étrange petit film expérimental sur le cachée dans les catacombes de Paris. de l’indifférence. Ne restent plus que les début et la fin du monde ; Charles mort Abandonnée au moment de sa visite maisons belles et vides du générique fi- ou vif, d’Alain Tanner (1969), sur le pdg par la police, la petite salle contenait un nal, qui semble d’ailleurs s’efforcer de les d’une fabrique de montres qui aban- écran de bonne taille, un projecteur en mettre en valeur pour leurs prochains donne tout pour partir vivre avec un parfait état, un système électrique com- propriétaires. jeune couple bohème ; The Big Bang de plet, un bar, trois lignes téléphoniques et James Toback (1990), amusant défilé de une bonne collection de films ! Quand 8 juillet : Comme chaque année depuis têtes parlantes spéculant sur le sens de la police y est retournée trois jours plus huit ans, la culture pop américaine la vie et l’origine du monde ; La vieille tard, l’électricité et le téléphone avaient débarque en force à Comiccon, attirant dame indigne, de René Allio (1965), été coupés et on avait laissé une note quelque 60 000 amateurs de cinéma, sur la rébellion tardive d’une femme disant : « N’essayez pas de nous retrou- de télé, de BD, de jeux vidéo et de cos- âgée ; Putney Swope, de Robert Downey ver… » play. Une faune « sympathétique » et (1969), sur des Afro-Américains qui tragicomique, qui témoigne – avec ses prennent la direction d’une agence de 27 juillet : Virée annuelle au ciné-parc cinquantenaires engoncés dans leurs pub new-yorkaise ; Themroc, de Claude entre amis. L’occasion de renouer avec costumes de superhéros, collectionnant Faraldo (1973), un film entièrement une certaine innocence, entourés de les mêmes jouets que leurs enfants et dialogué en grognements, sur le ras-le- couples qui ont amené leurs enfants, petits-enfants – d’une culture désormais bol d’un peintre en bâtiment ; et Wanda, leurs sandwichs et leurs chaises lon- indissociable du commerce, qui semble le seul et unique film de sa réalisatrice gues, ou qui font du necking à l’arrière avoir régressé à un stade d’infantilisme et vedette, Barbara Loden (1970), sur du pick-up, en regardant distraite- perpétuel. une femme passive qui se lie à un cri- ment l’écran. Une chance comme une En voyant un reportage sur l’évé- minel, est arrêtée et remercie le juge au autre – et Montréal en offre désormais nement à la télé, je repense à une phrase moment du prononcé de sa peine. plusieurs (avec les RIDM en plein air, que le critique Ty Burr, du Boston Globe, Ces films mis en ligne de manière Film noir au canal et même le FFM) a écrite après avoir vu la destruction souvent illégale, et dans des copies – de voir du cinéma en plein air, l’été, d’Auschwitz dans le plus récent film de de qualité douteuse, m’amènent à un à la belle étoile, sans trop de bandes- superhéros : « X-Men : Apocalypse est un constat étonnant : je vois désormais les annonces, de jeux électroniques ou de film fait pour des spectateurs pour qui films que j’aime le plus sur un écran pubs dans les parages. l’Histoire n’est plus qu’un lien Wikipé- plus petit que les programmes souvenirs On en profite en se disant que c’est dia et la fin de l’humanité la punch line qu’on achetait jadis en sortant du ciné- l’été et qu’il fait beau. Que l’hiver s’en d’une bande dessinée. » C’est, il va sans ma. Preuve que la cinéphilie se vit désor- vient et qu’il risque d’être long. Et qu’il dire, un immense succès. mais loin des salles, presque en contre- faudra probablement retourner sous bande, sur des écrans qui vont de la taille terre très bientôt. g 15 juillet : Je dois me rendre à l’évidence : d’un cartable à celle d’un timbre-poste. 58 L’INCONVÉNIENT • no 66, automne 2016
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