Relations inter-entreprises et frontières des industries
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Relations inter-entreprises et frontières des industries Les représentations traditionnelles de l’industrie ignorent le Elle propose ensuite un nouveau cadre analytique fondé plus souvent les relations inter-entreprises ou les sur le concept de division institutionnelle du travail de appréhendent uniquement comme des relations d’achat- coordination qui, en intégrant la diversité des relations vente. Elles ne peuvent donc fournir, au mieux, qu’une inter-entreprises, offre la perspective de parvenir à une vision partielle des réalités industrielles dans la mesure où définition pertinente de la notion d’industrie. L’objectif est elles ne prennent pas en compte la diversité de ces de définir un concept opératoire permettant de répondre à relations qui jouent pourtant un rôle essentiel dans la question des frontières des industries, à partir de l’idée l’organisation des industries. que les entreprises qui entretiennent des relations ne relevant pas du marché partagent en fait différentes Pour tenter de résoudre ce paradoxe, cette communication étapes d’un processus de production commun et se propose de préciser, tout d’abord, les diverses raisons appartiennent donc à une même industrie. En évitant ainsi analytiques qui expliquent pourquoi les approches le recours à des nomenclatures de produits ou d’activités, traditionnelles de l’organisation industrielle ne parviennent ce concept d’industrie devrait permettre une meilleure pas à rendre compte de cette pluralité de relations inter- appréhension de la structuration et du fonctionnement du entreprises et rencontrent donc des difficultés à définir un système productif. concept d’industrie qui ne soit pas synonyme de marché. Une nouvelle dynamique d’organisation 81
RELATIONS INTER-ENTREPRISES ET FRONTIÈRES DES INDUSTRIES Joël Thomas Ravix Professeur de sciences économiques, Université de Nice-Sophia Antipolis, GREDEG-IDEFI (CNRS-UNSA) L’observation des réalités industrielles montre que les relations inter-entreprises se sont certes développées, mais surtout qu’elles se sont considérablement diversifiées au cours des dernières années. Paradoxalement, l’analyse économique a toujours ignoré cette diversité puisque les représentations traditionnelles de l’industrie sont construites à partir de regroupements d’entreprises n’entretenant entre elles que des relations commerciales. Ces représentations du système productif ne peuvent fournir qu’une vision partielle de l’organisation industrielle. Mon propos sera donc de démontrer qu’une approche par les relations inter-entreprises peut représenter de manière plus pertinente la structure et le fonctionnement de l’industrie. Les difficultés d’une définition économique de l’industrie Les problèmes de définition économique de l’industrie proviennent des postulats de base de l’analyse économique. Dans la théorie économique standard, l’industrie et la firme n’ont aucune spécificité, étant donnée l’hypothèse d’information parfaite de l’ensemble des agents économiques. Cette hypothèse implique que la coordination des agents passe par une seule institution : le marché. Dans ce cadre de la microéconomie traditionnelle, les agents n’ont aucune raison de construire des entreprises et par conséquent l’idée d’industrie, traduisant des relations entre les entreprises, ne peut pas avoir de signification. Pour cette raison, dans la plupart des ouvrages d’économie industrielle, le concept d’industrie est assimilé à celui de marché. Ces deux questions de la nature de la firme et de la nature de l’industrie sont donc liées à l’abandon de cette hypothèse d’information parfaite. L’abandon de ce postulat a conduit à l’ouverture de deux voies principales. 1. La première voie est celle de la nouvelle microéconomie. Elle place en amont du marché et de la firme le contrat en tant que modalité institutionnelle de coordination. Cette approche conduit à une disparition de l’identité théorique de la firme puisqu’elle l’appréhende comme une simple juxtaposition de contrats parallèles et non complémentaires engendrés par des phénomènes d’asymétrie de l’information. Elle conduit également à l’éviction complète des relations inter-entreprises, considérées comme isomorphes aux relations internes de l’entreprise. Il est donc impossible de les distinguer sur le plan analytique. 2. La deuxième voie est celle de la nouvelle économie institutionnelle qui se trouve confrontée à une difficulté du même ordre. Dans sa version initiale, elle propose une dichotomie stricte entre le marché et la hiérarchie, fondée sur la théorie des coûts de transaction, et traite les modalités intermédiaires de coordination comme des formes instables convergeant soit vers le marché, soit vers la hiérarchie. Elle conduit donc également à une éviction des relations inter-entreprises. Inversement, lorsque cette approche propose de modifier sa dichotomie initiale pour montrer que les formes intermédiaires sont en réalité des formes stables de coordination, elle est conduite à traiter la firme comme un système de contrats à long terme et les relations inter-entreprises comme autant de contrats différenciés. La nouvelle économie institutionnelle converge alors vers la nouvelle microéconomie, sans parvenir vraiment à expliquer l’organisation de l’industrie. La nécessité d’une nouvelle approche des relations inter-entreprises Pour tenter de résoudre cette impasse méthodologique, il est possible d’emprunter une troisième voie ouverte par G.B. Richardson dans son article « The organization of industry », publié en 1972 dans l’Economic Journal. Cette voie consiste à démontrer que la coordination se réalise à travers trois formes institutionnelles différentes qui sont la firme, la coopération et le marché. Une nouvelle dynamique d’organisation 83
Cette nouvelle approche est construite à partir de deux concepts fondamentaux : 1. le premier est celui d’activité qui ne se réduit pas à la notion de transaction : ce concept désigne les différentes fonctions exercées par la firme et qui relèvent de la réalisation de la production ; 2. le deuxième est celui de compétence : il recouvre les connaissances, expériences et qualifications des organisations mettant en œuvre les activités productives. Ces deux concepts illustrent l’idée que la production prend la forme d’un processus dont les différentes phases correspondent à autant d’activités. Il devient alors possible d’introduire une distinction analytique supplémentaire entre similitude et complémentarité des activités. En effet, celles qui font appel aux mêmes compétences sont considérées comme semblables, et celles qui représentent différentes phases d’un même processus de production sont complémentaires. Trois formes institutionnelles de coordination Dans cette nouvelle perspective, les problèmes de coordination proviennent des contraintes propres à la mise en œuvre de la production, car l’élaboration d’un processus de production impose une coordination qualitative et quantitative des activités qui le composent. La démonstration de l’existence de trois formes institutionnelles de coordination repose uniquement sur cette contrainte et sur le principe selon lequel les entreprises ont tendance à regrouper des activités similaires pour lesquelles elles possèdent les compétences requises. Sur ces bases, il est possible de démontrer que les activités semblables et complémentaires sont coordonnées à l’intérieur de l’entreprise par la direction. Cette modalité de coordination répond à la nécessité de soumettre la cohérence du plan de production à un contrôle unique et intégré. Inversement, lorsque les activités sont étroitement complémentaires mais dissemblables, elles sont coordonnées par des accords de coopération entre les entreprises. Comme elles réalisent différentes étapes d’un même processus de production, elles doivent s’entendre préalablement pour harmoniser leurs plans de production. Enfin, les activités ni semblables, ni complémentaires, seront, quant à elles, coordonnées ex post sur le marché. En rompant la dichotomie entre la firme et le marché, cette troisième approche se démarque radicalement des deux autres. Elle offre la possibilité de distinguer différentes modalités de relations inter-entreprises qui permettent de concevoir l’organisation du système productif en industrie. Pour la mettre en évidence, il faut considérer que les entreprises construisent des domaines de spécialisation qui leur sont propres. Cette notion de domaine de spécialisation regroupe deux éléments complémentaires : 1. le premier est la base de production qui recouvre l’ensemble des moyens matériels, des connaissances techniques et managériales que l’entreprise doit mobiliser pour mettre en œuvre les différentes opérations de la production ; 2. le deuxième élément est la zone de marché qui désigne le fait que l’entreprise développe, en plus de la production, des relations et des procédures de vente avec ses clients : elle participe alors directement à l’organisation des marchés sur lesquels elle intervient. L’organisation institutionnelle de la production Dans cette approche plus réaliste des activités de la firme, l’organisation économique de la production recouvre les trois formes de coordination suivantes : § une coordination, principalement technique, des processus élémentaires qui caractérisent chaque opération ; § une coordination des différentes opérations entre elles, relevant d’une logique d’entreprise et ayant pour finalité de gérer le bon déroulement de l’ensemble du processus ; 84 Insee Méthodes
§ la coordination entre la firme et son environnement, correspondant aux relations de la firme avec ses fournisseurs et ses clients. Cette dernière forme de coordination peut passer par des modalités très variées. Selon qu’une entreprise confie à une autre, une ou plusieurs opérations, il est possible de définir des formes spécifiques de relations interentreprises, comme l’indique la typologie suivante : Figure 1 - Une typologie des relations inter-entreprises Nature des Fabrication opérations Conception Approvisionnement Montage Commercialisation Modalités Finition Travail à façon Production sur spécification Prestation de conception et de production Prestation de conception Production sous la marque d’un distributeur Production sous licence Fourniture Prestation de service Ce que fait le client Ce que fait l’entreprise Deux critères essentiels interviennent pour établir une distinction précise entre différentes formes de relations inter-entreprises : 1. le premier est celui du contrôle de la commercialisation, qui oppose différentes formes de sous- traitance, dont relèvent la production sous la marque d’un distributeur, la production sous licence, la fourniture et la prestation de service ; 2. le deuxième critère est celui de la maîtrise de la conception : il permet de distinguer la production sous la marque d’un distributeur d’autres formes de sous-traitance et la production sous licence de la fourniture et de la prestation de service. Cette typologie indique que l’organisation institutionnelle de la production ne passe pas nécessairement par le canal de la fourniture ou de la prestation de service, mais qu’il existe d’autres modalités répondant à une logique d’organisation et de coordination de l’activité productive des entreprises. L’organisation du système productif en industries Comme les relations relevant de la sous-traitance élargie se différencient nettement des autres formes de relations relevant, quant à elles, de la fourniture en général, il est possible de qualifier les premières de production déléguée et les secondes de production autonome. Lorsqu’il est admis que les formes déléguées traduisent des relations étroites de complémentarité technologique entre les entreprises, il devient alors envisageable de découper le système productif selon le poids relatif de cette modalité de relations inter-entreprises. En effet, il est possible, dès lors qu’une entreprise réalise principalement de la production déléguée pour une autre entreprise, de considérer que ces deux entreprises ont des activités étroitement complémentaires et qu’elles peuvent être réunies au sein d’un ensemble qui peut être appelé industrie. Une nouvelle dynamique d’organisation 85
Dans cette perspective, la production déléguée devrait ainsi permettre de repérer les relations de complémentarité internes à une industrie, tandis que la production autonome devrait permettre de tracer les frontières entre les différentes industries. Pour conclure, cette nouvelle forme de découpage du système productif présente un double intérêt : § d’une part, elle ne privilégie ni une logique marchande ni une logique productive, puisqu’elle intègre les deux perspectives aux niveaux inter et intra industries : l’ensemble de la structure industrielle peut être appréhendé dans toute sa diversité, d’autant plus que cette méthode n’entre pas en contradiction avec d’autres approches possibles de l’organisation du système productif ; elle permet en outre d’affiner la notion de filière en y intégrant une dimension réellement productive ; § par ailleurs, elle présente l’avantage de donner à la notion d’industrie sa véritable dimension puisqu’elle émerge de l’activité concrète des entreprises et non de nomenclatures arbitraires ; elle semble donc mieux adaptée pour rendre compte de l’organisation industrielle. 86 Insee Méthodes
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