Synthèse de l'article - Taxonomic bias in biodiversity data and societal preferences Août 2018 - Fondation pour la Recherche sur la ...

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Synthèse de l'article - Taxonomic bias in biodiversity data and societal preferences Août 2018 - Fondation pour la Recherche sur la ...
Synthèse de l’article
    Taxonomic bias in biodiversity data and societal
    preferences
     Août 2018

    Référence Julien Troudet, Philippe Grandcolas, Amandine Blin, Régine Vignes-
    Lebbe & Frédéric Legendre (2017). Taxonomic bias in biodiversity data and socie-
    tal preferences. Nature - Scientific Reports 7:9132
    DOI: 10.1073/10.1038/s41598-017-09084-6
    5 https://www.nature.com/articles/s41598-017-09084-6

    Les données de la biodiversité :
    biais taxonomiques en lien avec les
    préférences sociétales
    Moora et al. (2011) ont estimé à 11 millions le nombre total d’espèces peuplant
    notre planète. Seules 1,4 étant décrites, la majorité d’entre elles (plus de 99%) est
    toujours inconnue, peu étudiée ou ignorée. Il reste donc un travail titanesque pour
    les connaître toutes et les décrire.

    Alors que la protection de la biodiversité s’impose de plus en plus comme un en-
    jeu majeur tant pour les décideurs politiques que pour les acteurs de la société
    civile (des entreprises aux associations), les discussions autour de la biodiversité se
    concentrent uniquement sur un petit sous-ensemble d’espèces et la majorité des
    eucaryotes reste inconnue ou ignorée. C’est ce qu’on appelle un biais taxonomique
    et, quoiqu’omniprésent dans la recherche sur la biodiversité, il est peu étudié, peu
    compris et donc peu ou pas pris en compte dans les conclusions de la recherche
    alors même qu’il est connu et que ses conséquences peuvent empêcher d’élabo-
    rer des conclusions couvrant l’ensemble du vivant et de mettre en place des pro-
    grammes de protection efficaces.
         Ainsi, certains organismes - principalement des plantes et des vertébrés - sont
    surreprésentés dans divers domaines scientifiques, car ils sont considérés comme
    écologiquement plus importants que d’autres et de ce fait sont plus susceptibles
    de lever des fonds. Or, il a été scientifiquement démontré que les espèces rares,
    petites ou non charismatiques, jouent parfois un rôle essentiel dans les écosys-
    tèmes et ne pas les considérer, par manque de connaissances, représente une en-
    trave à la compréhension globale de la biodiversité à l’échelle mondiale, nuit à la
    mise en place de plans de conservation efficaces et ralentit la découverte de nou-
    veaux produits ou propriétés chez les espèces sauvages.

    L’étude de la biodiversité est une tâche ardue et nécessite de déployer une main-
    d’œuvre considérable pour rassembler et analyser les données sur la biodiversité.
    Cependant, alors que la biodiversité diminue à un rythme sans précédent, le biais
    taxonomique représente un fardeau pour les études sur la biodiversité qu’il est
    urgent de prendre en compte et de dépasser pour avoir une idée plus exacte de la
    diversité du vivant.

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Éléments de méthode

    Les auteurs se sont attachés à mettre en évidence et qualifier précisément les
    biais d’attraction pour certaines espèces tant de la part des chercheurs que des
    gouvernements ou du grand public. Bien que certains éléments de la biodiversité
    soient plus difficiles à étudier que d’autres (habitats éloignés, espèces rares, mi-
    croscopiques ou difficile à identifier), ces caractéristiques intrinsèques ne peuvent
    à elles seules expliquer le biais observé en science. Deux hypothèses sur le rôle de
    deux facteurs extrinsèques peuvent alors être avancées :
          • l’hypothèse de « recherche taxonomique » qui suppose que des consi-
            dérations et limites scientifiques orientent la collecte de données sur la
            biodiversité,
          • l’hypothèse de « préférences sociétales » qui suggère que les intérêts so-
            ciétaux influencent et biaisent le choix des organismes d’étude.

    Les auteurs ont choisi comme base d’étude des biais taxonomiques le Système
    d’information sur la biodiversité (GBIF, la plus grande base mondiale de données
    primaires sur la biodiversité en libre accès) car sa constitution, qui résulte de la
    bonne volonté des contributeurs et non d’un protocole d’échantillonnage bien
    planifié, reflète de ce fait l’hétérogénéité des données collectées, l’état de notre
    connaissance et les pratiques d’étude au niveau mondial.
        En utilisant 626 millions d’occurrences, couvrant 1,01 million d’espèces (sur les
    2,2 que compte le GBIF) et 24 classes d’organismes, les auteurs ont caractérisé les
    lacunes dans la connaissance de la biodiversité et quantifié les biais taxonomiques
    et les imprécisions dans l’enregistrement des données. Ils ont enfin fait des recom-
    mandations pour l’élaboration de stratégies d’échantillonnages plus représenta-
    tives de la biodiversité.

                                    QUELQUES DÉFINITIONS
    Classification scientifique des espèces
     = Classification traditionnelle des espèces selon une hiérarchie fixe de catégories, définie
     de la manière suivante :

                                                                          Figure 1 :
                                                                          Classification scientifique
                                                                          (Source Wikipedia)

    Occurences d’une espèce
     = nombre de données enregistrées dans le GBIF concernant une espèce. Il peut s’agir
     d’observations dans la nature, ou de prélèvements de spécimen. Chaque espèce dans
     une classe est caractérisée par un nombre d’occurrences enregistrées dans le GBIF.

    Nombre médian d’occurrences par espèce au sein d’une classe
     = Le nombre médian d’occurrence par espèce est le nombre qui partage les espèces de la
     classe en deux groupes égaux, le premier étant composé de 50% des espèces de la classe
     avec autant ou moins d’occurrences enregistrées dans le GBIF et le second de 50% des
     espèces de la classe avec autant ou plus d’occurrences enregistrées dans le GBIF.
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    Précision taxonomique
     = Niveau de la classification traditionnelle jusqu’auquel l’organisme a été classé.
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Résultats

    Répartition des occurrences de biodiversité dans le GBIF

    Figure 2 : Proportion des espèces par classe enregistrées dans le GBIF avec au moins une occurrence (vert clair),
    avec plus de 20 occurrences (vert médian) et avec plus de 20 occurrences spatialement distinctes (vert foncé).
    (Source : Troudet et al. 2017 - Nature scientific report)

          • Plus de la moitié des enregistrements (53%) sont des occurrences d’oiseaux
            (345 millions d’occurrences) avec un nombre médian de 371 occurrences par
            espèce1, alors même que les espèces d’oiseaux ne représentent que 1 % des
            espèces répertoriées dans le GBIF.

          • Par contraste, avec trois fois plus d’espèces, les arachnides présentent seu-
            lement 2,17 millions d’occurrences et l’un des plus bas nombre médian par
            espèce (3).

          • Les classes présentant les nombres médians les plus bas, inférieurs à 7, sont
            les classes d’arthropodes (Insectes, Maxillopodes, Arachnides, Crustacés
            supérieurs), certains champignons (Agaricomycetes) et diatomées (Bacil-
            lariophyceae), alors que les plantes dicotylédones et les Insectes sont deux
            classes avec un grand nombre d’espèces enregistrées.

          • Seules six des 24 classes ont un nombre médian d’occurrences par espèce
            supérieure à 20.

          • 20 des 24 classes étudiées comptent plus de 50% de leurs espèces référen-
            cées au moins une fois dans le GBIF et, pour 14 d’entre elles, ce pourcentage
            avoisine 70% ou plus. En revanche, seuls 35% des espèces d’insectes et 36%
            des espèces d’Arachnides sont référencées au moins une fois dans le GBIF.

          • Par ailleurs, le nombre d’occurrences par espèces est variable : 21% ont une
            seule occurrence (c’est-à-dire 212 911 espèces), 44% avaient entre 2 et 19
            occurrences (c’est-à-dire 446 643 espèces) et 35% ont 20 occurrences ou
            plus (c’est-à-dire, 353 843 espèces dans trois classes : les oiseaux, les am-
            phibiens et les poissons à nageoires rayonnées). Pour toutes les classes,
            sauf celle des oiseaux, moins de 1/3 des espèces sont échantillonnées « dé-
            cemment » (c’est-à-dire avec 20 occurrences spatialement distinctes). Cela
            contraste avec les classes d’arthropodes, où, au mieux, 9% des espèces ont
3           été échantillonnées « décemment ».

    1.          La moitié des espèces présente un nombre d’occurrences supérieur à 371.
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Précision taxinomique
         • 94% des occurrences du GBIF ont été identifiées au moins au niveau de
           l’espèce
          • Les niveaux les plus bas de précision taxonomique ont été trouvés pour les
            Maxillopodes et les Cnidaires (58% et 59% des occurrences, respectivement)
          • Les plus hauts niveaux ont été trouvés dans les différentes classes de
            plantes (91 à 95% des occurrences chez les dicotylédones, les monocoty-
            lédones et les conifères), de champignons (93% chez les Agaricomycetes et
            les Ascomycètes) et d’oiseaux (99%).
          • Précision taxonomique au sein des insectes
            Plus de 90% des occurrences ont été identifiées au niveau spécifique pour
            quatre ordres (les siphonaptères, les odonates, les orthoptères et les Pso-
            codea), avec une précision taxonomique allant de 35 à 0,5% pour les Gryllo-
            blattodea, les Mantophasmatodea et les strepsiptères.
          • Précision taxonomique au sein des mammifères
            Elle est très hétérogène allant de 22% (Périssodactyles) à 99% (Mono-
            trèmes et Notoryctidés). À l’inverse, la précision taxinomique était moins
            variable entre les ordres des Lecanoromycetes (plus de 89% de précision
            taxonomique pour tous les ordres), des plantes dicotylédones (82% et plus)
            et des oiseaux (77% et plus).

    Origine des données (Troudet et al., 2018)
    La façon d’acquérir des données d’occurrence de biodiversité a évolué, passant de
    la collecte de spécimens sur le terrain (vivants ou conservés, y compris fossiles) à
    des observations dématérialisées qui génèrent une masse importante de données
    stockées et partagées plus rapidement qu’auparavant (Bisby 2000, Kitchin 2014).
    Cette modification dans les origines des données peut avoir de fortes consé-
    quences en systématique et en biologie évolutive, car les nouvelles données col-
    lectées, quoique plus nombreuses et donc de valeur statistique supérieure, n’ont
    pas toujours la même « qualité » que les données anciennes, basées sur des spéci-
    mens souvent stockés en collection (Troudet et al, 2018). Par exemple, il existe un
    écart bien connu, entre les espèces décrites et le nombre réel d’espèces qui néces-
    site, selon plusieurs auteurs, la collecte d’échantillons (Ceríaco et al., 2016 ; Dubois
    2017; Pine et Gutierrez, 2018 ; Troudet et al., 2018).

    Figure 3 : Origine de l’occurrence pour chaque classe. Les classes avec une forte proportion d’occurrences basées
    sur des spécimens sont bleues (spécimen vivant ou conservé, échantillons matériels ou fossiles). En orange, il
4   s’agit des classes avec des occurrences majoritairement basées sur l’observation (observation de la machine ou
    de l’homme, littérature). Les barres grises montrent les occurrences où la base d’enregistrement est inconnue.
    (Source : Troudet et al. 2017 - Nature scientific report)
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Certaines classes, comme les amphibiens, les gastéropodes, les reptiles et les mol-
    lusques bivalves ont une forte proportion d’occurrences basées sur des spécimens
    alors que d’autres, comme les oiseaux ont des occurrences principalement basées
    sur l’observation (94%).
          • Pour plusieurs raisons (difficultés à obtenir des permis de collecte, augmen-
            tation des espèces en voie de disparition, déclin des populations, etc.), de
            moins en moins de données de biodiversité sont basées sur des spécimens.
          • Les classes des amphibiens, des gastéropodes et des reptiles sont les trois
            classes avec les proportions les plus élevées d’occurrences basées sur des
            spécimens. Elles sont également les classes ayant une tendance décrois-
            sante ou stabilisatrice dans l’accumulation des données.
          • Cette tendance en fonction de l’origine des données (spécimens ou obser-
            vation) devrait se confirmer avec un écart d’autant plus grand que certains
            enregistrements sont vieux ou obsolètes et que la production de données
            nouvelles est faible.

    Incertitudes spatiale et temporelle
    Généralement, une occurrence de biodiversité, quelle que soit sa nature, contient
    une identification taxonomique (nom scientifique), une localisation et une date
    (Ariño, 2010). Certaines occurrences du GBIF manquent de précision, par exemple
    absence de coordonnées géographiques ou encore de mois ou année de collecte
    ou d’observation.

    La proportion d’inexactitudes spatiale et temporelle diffère grandement entre les
    classes :
         • Seuls 4% des occurrences d’oiseaux présentent des inexactitudes tempo-
           relles et/ou spatiales,
         • Les classes présentant le plus d’incertitudes sont les gastéropodes, les
           amphibiens, les mollusques bivalves et les reptiles, classes qui par ail-
           leurs présentent la proportion la plus élevée d’occurrences fondées sur des
           spécimens.

    Figure 4 : Incomplétude des données. Proportion d’occurrences avec un manque de données de localisation
    géographique, par exemple sans coordonnées spatiales (violettes) ou temporelles, par exemple sans précision
    de mois ou d’années (jaune). (Source : Troudet et al. 2017 - Nature scientific report)

5   Des analyses de correspondances multiples réalisées sur ces données ont démon-
    tré que les données enregistrées avant 1975 étaient majoritairement corrélées
avec des occurrences basées sur des spécimens et des occurrences ayant des pro-
    blèmes de localisation. Inversement, les données plus récentes étaient corrélées
    avec des occurrences complètes et basées sur l’observation. Ainsi, les classes taxo-
    nomiques dont les occurrences sont les plus anciennes et les plus incomplètes sont
    les amphibiens, les reptiles et les algues rouges. Alors que les oiseaux bénéficient
    de données récentes et plus complètes, essentiellement basées sur l’observation.

    Corrélation entre l’intérêt public,
    la collecte de données et la recherche taxonomique
    L’étude suggère que les préférences sociétales, et non la recherche taxonomique,
    orientent les données de biodiversité recueillies. Un effet significatif de l’opinion
    publique sur la collecte de données de biodiversité, donc sur les productions scien-
    tifiques et les décisions de gestion, a ainsi pu être mis en évidence. Les analyses
    n’ont malheureusement pas pu identifier les relations de causes à effets de ces
    liens.
         L’intérêt du public a été déduit du nombre de pages Web avec le mot-clé « es-
    pèces » ajouté au nom scientifique de l’espèce et l’effort de recherche a été dé-
    duit du nombre de publications dans la base de publications scientifiques Web of
    Science.
           • Les espèces les plus populaires sur le web sont les espèces les plus enre-
             gistrées dans le GBIF : le nombre de pages Web variait de 0 à 1,8 million
             avec un nombre médian de 1 480 pages pour les 24 000 espèces les mieux
             représentées (1 000 espèces pour chaque classe).
         • Le nombre de publications comptabilisées pour 453 ordres, variait de 0
           (pour huit ordres) à 72 426 pour les coléoptères, avec un nombre médian de
           229 publications.
         • Pour la plupart des classes, les analyses suggèrent une corrélation positive
           et significative entre l’intérêt du public et le nombre d’occurrences dans le
           GBIF. Quelques corrélations négatives ont été trouvées mais n’ont jamais
           été significatives.
         • A contrario, la quantité de travaux de recherche n’était pas significative-
           ment corrélée avec le nombre d’occurrences pour la plupart des classes et,
           lorsqu’une corrélation a été trouvée, elle était soit positive (par exemple
           pour les mammifères), soit négative (par exemple, pour les champignons à
           chapeaux).
         • Une corrélation forte a été trouvée entre l’intérêt public et la quantité de
           de travaux de recherche pour 10 cas sur 47.
         • Les interactions entre les scientifiques, les citoyens et les organismes de
           financement sont complexes et les mécanismes sous-jacents influençant ne
           sont pas clairs, néanmoins, confirmant des travaux antérieurs, cette étude
           confirme que les recherches sur les taxons auxquels le public est sensibilisé
           sont plus susceptibles d’être financés et reçoivent plus de financements.
         • Le développement récent de la science citoyenne a peut-être accru l’impact
           de préférences sociétales en favorisant la collecte des données pour cer-
           tains taxons « populaires ». Par exemple, une des plus grosses bases de
           données sur les oiseaux est eBird (211 millions d’occurrences), en partie ba-
           sée sur la science citoyenne.

    Biais taxonomiques
    Un biais taxonomique est la mise en évidence que certains taxons sont plus étu-
    diés que d’autres, alors que ceci n’est pas lié à leur abondance ou leur importance
    écologique.
         • En analysant les données du plus grand référentiel de données sur la bio-
6           diversité disponible, les auteurs mettent en évidence l’existence d’un fort
            biais taxonomique sur toutes les classes dans les données sur la biodiversi-
            té avec deux extrêmes, les oiseaux et les insectes. Ce biais se manifeste par
une absence de proportionnalité entre les données enregistrées et le nombre
             réel d’espèces connues ou supposées. Des travaux antérieurs l’avaient déjà dé-
             montré pour des catégories définies de biodiversité, par exemple Wilson et al.
             (2007) sur les espèces exotiques envahissantes.
          • Les oiseaux sont surreprésentés dans les données sur la biodiversité, mais
            aussi dans les disciplines scientifiques allant de l’écologie comportementale à
            l’évolution et la conservation. Le nombre sans cesse croissant des observa-
            tions naturalistes amateurs amplifient indubitablement le biais.
          • D’autres classes de vertébrés (les poissons à nageoires rayonnées, les mam-
            mifères et, dans une moindre mesure, les reptiles et les amphibiens) sont rela-
            tivement bien représentés dans le GBIF.
          • Les classes de plantes, en particulier monocotylédones et dicotylédones, sont
            surreprésentées.
          • A contrario, les arthropodes (Insectes, Arachnides, crustacés supérieurs et
            Maxillopodes) et les mollusques (Gastéropodes et Bivalves) sont sous-repré-
            sentés, particulièrement les insectes.
          • Le biais taxonomique est encore plus évident lorsqu’on considère la qualité
            des échantillonnages (les espèces échantillonnées au moins en 20 points dif-
            férents du globe). Le champ d’investigation des études qui reposent sur les
            échantillonnages (par exemple la modélisation de niches écologiques) se limite
            aux vertébrés et aux plantes, les invertébrés et les champignons ayant prati-
            quement été exclus en raison de données insuffisantes à l’échelle de la pla-
            nète. Étant donné que ces organismes négligés ont une grande diversité et
            jouent des rôles cruciaux dans divers écosystèmes, cette situation entraînera
            inévitablement un déséquilibre fondamental dans les connaissances de la bio-
            diversité induisant des erreurs dans les décisions de gestion. Le même biais
            est présent entre les différents ordres des 24 classes étudiées.
          • Ce biais taxonomique dans les données sur la biodiversité est, bien que connu
            depuis quelques décennies, resté globalement le même depuis les années
            1950. Même si la plupart des classes sont mieux enregistrées aujourd’hui
            qu’auparavant, l’écart entre les oiseaux et le reste de la biodiversité (soit ~ 99%
            de la biodiversité connue) augmente avec le temps. Ainsi, alors que la majeure
            partie de la biodiversité reste à décrire, les mêmes taxons sont préférentielle-
            ment étudiés et enregistrés.
          • L’évolution des biais taxonomiques au fil du temps a rarement fait l’objet
            d’étude et jamais à grande échelle.

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    Figure 5 : Les biais taxonomiques dans les données de biodiversité. En vert, les classes avec un excès de données
    et en rouge les classes avec un manque de données par rapport au nombre idéal d’occurrences qui devraient
    être enregistrées dans le GBIF (représentées par la barre verticale noire).Ce nombre idéal est fonction du nombre
    d’espèces connues qui composent la classe. (Source : Troudet et al. 2017 - Nature scientific report)
Ce biais taxonomique était déjà apparent il y a plus de 50 ans, ce qui signifie que
    les classes qui étaient sur- ou sous-représentés dans les années 1950 sont en-
    core sur- ou sous-représentés aujourd’hui. Toutefois, les auteurs ont constaté une
    augmentation des biais taxonomiques au fil du temps, principalement en raison
    de l’accumulation plus rapide de données pour les oiseaux comparés à d’autres
    classes (283 millions d’occurrences d’oiseaux enregistrées entre 2000 et 2016). Au-
    jourd’hui bien que les données s’accumulent à grande vitesse pour la plupart des
    classes, pour les amphibiens, les reptiles et les algues rouges, le nombre d’occur-
    rences enregistrées par an a stagné ou même a diminué au cours des 40 dernières
    années.
        Ce biais taxonomique au niveau des classes se retrouve à des échelles taxono-
    miques plus fines : certains ordres sont mieux représentés dans la base de don-
    nées du GBIF que d’autres avec un nombre d’occurrences parfois plus de 50 fois
    supérieurs à ceux des autres ordres de la même classe

                                   LIMITES DE L’ÉTUDE

       Une des limites de l’étude a été de considérer toutes les espèces comme
       équivalentes et directement comparables, ce qui n’est pas le cas. Par ail-
       leurs, ce travail n’a pas pris en compte l’effet de la richesse en espèces : chez
       les insectes elle est si grande que, quel que soit les moyens mis en œuvre,
       cette classe sera toujours à risque d’être sous-étudiée. Enfin, des biais inévi-
       tables se produisent lors de l’utilisation des recherches sur Internet, comme
       la difficulté à distinguer un page scientifique d’une page non académique.
       De nombreuses pages Web (30-80%) contenant les noms scientifiques des
       espèces ont peu ou rien à voir avec la recherche académique.

    Recommandations et principes généraux
    pour des stratégies efficaces d’acquisition de connaissances sur la biodiversité
    La chaîne de connaissance de la biodiversité est complexe et les scientifiques y
    jouent un rôle clé. Cependant, les présents résultats montrent qu’ils ne sont pas
    seuls responsables de la pertinence des échantillonnages ou du choix des espèces
    et que les préférences sociétales sont trop importantes pour être ignorées.

    Quelques recommandations peuvent aider à dépasser ce biais taxonomique :
        • Les causes sous-jacentes du biais taxonomique doivent être identifiées afin
          de s’en prémunir, autant que possible.
         • Dans certains cas, le biais taxonomique observé peut être corrigé. Shine &
           Bonnet (2000) ont montré comment les serpents, qui étaient sous-repré-
           sentés en écologie chez les vertébrés terrestres jusqu’en 1990, ont gagné en
           popularité et donc en accumulation de données.
         • De même, l’accumulation de données pour la plupart des classes croît à un
           rythme beaucoup plus rapide maintenant qu’il y a 50 ou 30 ans et est une
           tendance encourageante. De toute évidence, cette tendance peut géné-
           rer des changements dans les pratiques de partage des données, dans les
           pratiques de partage des données, mais atteindre l’exhaustivité et la meil-
           leure qualité possible pour la collecte des données de biodiversité reste une
           gageure.
         • Les scientifiques doivent communiquer largement sur les besoins de re-
           cherche y compris sur les organismes sous représentés et en faire la pro-
           motion auprès du public. Par exemple, le rôle crucial des protistes dans
           l’écosystème mériterait des recherches, mais cette classe est actuellement
           trop obscure et pas assez médiatisée pour susciter l’intérêt du grand public.
         •     De nouvelles pratiques ou méthodes comme les méthodes d’analyse
8            génétique (métagénomique), par une collecte rapide, non ciblée de don-
nées. Le gain attendu serait colossal et irait au delà d’un échantillonnage
      bien équilibré de la biodiversité en favorisant de nouvelles vocations scien-
      tifiques, des programmes de science citoyenne plus efficaces et une plus
      grande influence sur les financements et décisions politiques.
    • Les programmes de science citoyenne pourraient considérablement contri-
      buer à notre connaissance de la biodiversité, notamment si des programmes
      spéciaux étaient dédiés aux taxons négligés. Ils pourraient avoir d’autant
      plus d’impacts et d’influences sur les décisions politiques qu’ils sont dé-
      veloppés conjointement par les acteurs et les scientifiques. La science ci-
      toyenne et la collecte de données par des non professionnels pourraient
      être décisives dans un proche avenir et il a notamment été démontré qu’un
      programme de science citoyenne bien conduit pouvaient produire en deux
      ans la même quantité de données qu’un scientifique en une décennie.
    • Différents domaines de recherche de l’ingénierie moléculaire à la science
      quantique et aux neurosciences ont grandement bénéficié de l’implication
      de non-professionnels. Pourtant, l’utilisation de la science citoyenne pour
      étudier les taxons qui ne sont pas aussi charismatiques que les oiseaux ou
      les mammifères en est encore à ses débuts.
    • Des efforts doivent être faits pour développer la science citoyenne au bé-
      néfice des taxons méconnus, probablement en s’appuyant sur de nouvelles
      technologies comme les téléphones intelligents et les applications dédiées.
      La science citoyenne ne peut pas et ne doit pas remplacer la recherche
      scientifique ; ce sont des approches complémentaires avec des forces et
      des limites différentes.

                              synthèse Hélène Soubelet,
                                         docteur vétérinaire et directrice de la FRB

                              relecture Philippe Grandcolas,
                                         membre du conseil scientifique de la FRB

                                         Jean-François Silvain,
                                         président de la FRB

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GLOSSAIRE

     A   Agaricomycetes : Une des classes d’un des deux embranchement des champi-
           gnons, les basidiomycètes, ou « champignons à chapeaux »

         Ascomycètes : Un des deux embranchements de champignons comprenant
           notamment les levures, les morilles, les truffes

     B   Bacillariophyceae : Micro algues unicellulaires planctoniques des eaux douces
           et marines

     E   Eucaryotes : Organismes unicellulaires ou pluricellulaires qui se caractérisent
           par la présence d’un noyau dans les cellules

     G   Grylloblattodea : Un sous-ordre d’insectes peu décrit dont on ne connaît que
           28 espèces et 5 genres (Wikipédia)

     L   Lecanoromycetes : une des classes des champignons ascomycètes

     M   Mantophasmatodea : Un ordre des insectes vivant en Afrique, dont les indivi-
          dus sont dotés d’un exosquelette segmenté

         Maxillopodes : Crustacés caractérisés par un abdomen et des appendices ré-
          duits, comme les bernacles et les copépodes

         Monocotylédones : Plantes à fleurs ne présentant qu’un seul cotylédon ou
          pré-feuille après la germination. Ce sont essentiellement les graminées, les
          orchidées, les palmiers, les bananiers et les joncs

         Monotrèmes : ordre animal défini par Charles-Lucien Bonaparte en 1838, re-
          groupant des espèces caractérisées par le fait d’être à la fois ovipares et
          mammifères : ils pondent des œufs mais allaitent leurs petits, comme les
          ornithorynques

     N   Notoryctidés : famille de mammifères marsupiaux qui vivent dans les déserts
          de l’Ouest australien

     O   Odonates : Un des ordres des insectes, appelé familièrement les libellules

         Orthoptères : Un des ordres des insectes comprenant notamment les grillons,
           les sauterelles et les criquets

     P   Périssodactyles : Un des ordres des mammifères ongulés possédant un
           nombre impair de doigts aux membres postérieurs

         Plantes dicotylédones : Plantes à fleurs présentant deux cotylédons ou pré-
           feuilles après la germination

         Poissons à nageoires rayonnées : Cette classe comprend la quasi-totalité des
           poissons communs

         Psocodea : Un des ordres des insectes comprenant notamment les poux

     S   Siphonaptères : Un des ordres des insectes comprenant les puces

         Strepsiptères : Un des ordres des insectes dont les membres sont parasites

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