Troisième Partie Jeunesses mobiles / mobilisées et citoyenneté globale

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Troisième Partie Jeunesses mobiles /
 mobilisées et citoyenneté globale

               Régis Malet and Bruno Garnier - 9783631823842
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Angelo Montoni1

    La formation citoyenne par la contestation. Les
    assemblées dans les mobilisations d’étudiants et
           de lycéens au Chili et au Québec

Résumé : Deux contextes différents dans deux pays éloignés avec des histoires politiques et
réalités économiques distinctes génèrent dans une quasi-synchronisation les mouvements
de contestation les plus importants de leur histoire récente : le mouvement d’étudiants
chiliens de 2011 et québécois de 2012. Ces processus de contestation bien qu’ayant des causes
diverses, détiennent deux élément communs : une critique radicale à la (néo) libéralisation
des systèmes éducatifs et l’utilisation de formes de délibération et de participation fondées
sur la démocratie directe. À partir d’une enquête ethnographique réalisée à Santiago du
Chili et à Montréal, cette étude s’intéresse au rôle de l’assemblée générale étudiante dans la
formation politique et citoyenne de jeunes chiliens et québécois. Nous analysons premiè-
rement le contexte et les principales caractéristiques de l’organisation des assemblées, pour
ensuite identifier leurs limites : la légitimité et l’ouverture à la participation.
Mots clé : Mobilisation étudiante, assemblées, démocratie directe, participation poli-
tique, jeunesse

1. 
   Introduction
Deux contextes différents dans deux pays éloignés avec des histoires politiques
et réalités économiques distantes génèrent dans une quasi-synchronisation les
mouvements de contestation les plus importants de leur histoire récente : le
mouvement d’étudiants chiliens de 2011 et le mouvement d’étudiants qué-
bécois de 2012. Ces deux processus de contestation présentent pourtant des
particularités que l’on identifie dans d’autres événements contestataires qui
caractérisent les premières années de cette décennie2. Ce sont d’abord, des

1    Centre d’études des mouvements sociaux, Ecole des Hautes Etudes en Sciences
     Sociales, EHESS Paris.
2    Il faut dire que le contexte était « bouillant » dans toute la planète et ces deux événe-
     ments ne sont aucunement isolés. D’ailleurs, il n’est pas anodin que « populairement »
     ils soient connus comme les printemps chiliens et le printemps érable, en direct
     allusion aux mouvements nés dans les pays arabes. De même, les luttes étudiantes ne
     sont pas exclusives de ces deux pays, on retrouve des grèves monstres en Angleterre
     en 2010, en Colombie et au Mexique en 2012
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processus guidés par les jeunes : lycéens et lycéennes, étudiantes et étudiants.
Ils se trouvent donc conditionnés par des espaces particuliers comme le sont les
établissements éducatifs (lycées et universités). Ils se présentent ensuite, dès leur
origine, comme des mouvements critiques de la néolibéralisation des systèmes
d’éducation supérieure. Selon le contexte, cette critique se présente sous deux
dimensions. D’une part, dans le modèle chilien, où l’éducation a été largement
privatisée, les protagonistes de la contestation cherchent un retour en arrière,
les jeunes chiliens se battent de ce fait pour la fin du profit et pour la gratuité de
l’enseignement supérieur au sein d’un capitalisme éducatif (Riffo 2013) forte-
ment financiarisé (Solomon 2010) dans lequel la banque privée tire désormais la
plupart des profits. D’autre part, le modèle éducatif québécois encore largement
financé par la collectivité3 commence à se soumettre aux règles du marché, avec
la hausse planifiée des frais de scolarité, la diminution de la part relative de
la contribution de l’État au financement global de l’enseignement supérieur et
l’imposition du principe de l’« utilisateur payeur » (Clain 2013). Dans les deux
cas, c’est le néo-libéralisme qui est dénoncé et l’endettement massif des jeunes
comme sa principale conséquence (Poirier St-Pierre et Ethier 2013 ; Han 2012).
    Ces mobilisations qui demandent d’abord des améliorations dans leurs sys-
tèmes éducatifs s’élargissent et se transforment en mouvements qui exigent
des changements profonds dans le fonctionnement de ces sociétés. Parmi ces
changements, comme on l’observe d’ailleurs dans la plupart de mouvements de
contestation apparus durant la première moitié de cette décennie se trouve la
demande d’une démocratie réelle (Ogien et Laugier 2014). Cette demande ne se
fait pas attendre et rapidement elle s’illustre par des formes alternatives de par-
ticipation fondées sur la démocratie directe. Cette pratique participative prend
la forme des assemblées de lycéennes et de lycéens, d’étudiantes et d’étudiants.
Elles constituent le noyau de la discussion et de la délibération au sein de ces
mouvements4.
    Qu’est-ce donc qu’une assemblée ? D’un point de vue interactionniste, les
assemblées sont des situations de coprésence que Goffman (2013) traitait de
« rassemblements orientés » (focused gatherings), c’est-à-dire des règles et des
comportements qui permettent à ces rencontres « informelles » de solution-
ner des problèmes. En termes politiques les assemblées d’étudiants sont des

3   Le Québec présente les frais de scolarité les plus bas au Canada et en Amérique
    du Nord.
4   Nous travaillerons la notion de délibération comme des mécanismes d’interactions
    entre des citoyens capables de raisonner ensemble sur ce qui constitue la meilleure
    décision collective (Le Goff, 2011)
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La formation citoyenne par la contestation                   197

procédures de démocratie directe, dans lesquelles n’importe quel étudiant, étu-
diante ou élève peut prendre la parole et voter, et où les participants se consi-
dèrent légitimes à prendre des décisions par la seule vertu de leur rassemblement
(Le Mazier 2014 : 62). Elle donne réponse à l’impératif délibératif (Blondiaux et
Sintomer 2002) exigé dans le cadre de mobilisations sociales actuelles.
   Notre travail se place ainsi dans l’ensemble d’analyses sur les liens ou les rup-
tures entre dispositifs de participation et mobilisations sociales (Neveu 2011).
Le grand enjeu de notre analyse est donc celui de la participation. Deux grandes
questions nous guident : Comment s’organise ce type de participation entre les
jeunes mobilisés ? Et quelles sont ses limites ?
   Pour commencer à répondre à ces questions, nous nous positionnons dans
une démarche comparative à l’exercice de traduction de ce qui est « participer ».
Nous sommes de ce fait obligés de détacher deux éléments qui permettront de
réaliser l’analyse de ces deux contextes. Premièrement, et d’un point de vue
pragmatique, le terme « participer » signifiera prendre part à des univers de
sens en train de se faire, s’initier à des formes d’expérience publique, apprendre
à maîtriser des processus de catégorisation et d’argumentation, des manières
de voir et de dire et des activités de coopération et de communication – autant
de modalités d’engagement dans un monde commun. Deuxièmement, « par-
ticiper » signifiera traverser un processus de prise de conscience collective et
publique d’une situation problématique et se lancer dans le travail d’imputation
de responsabilités, d’attribution de causes et d’anticipation de conséquences
(Cefaï 2013).
   La participation peut ainsi susciter des processus d’enquête, qui remettent
en discussion des questions qui ne l’étaient pas ou plus (Barthe 2006) ou qui
recadrent les modes de problématisation et de publicisation proposés par les
institutions. C’est ce qui montrent les mobilisations analysées, qui remettent en
cause la vision du progrès centrée sur une vision néolibérale de la société, ainsi
que l’éducation comme mode de construction individuelle du capital humain,
donc à acheter et vendre, en somme de rompre avec le « there is no alternative »
du néolibéralisme (Ancelovici & Dupuis-Déri 2014). Il y a également des ques-
tionnements moraux concernant les concepts de sélection et de méritocratie
dans des sociétés très inégales.
   Dewey (2010) explique que la participation à des dynamiques collectives de
définition de situations problématiques, d’identification de spectres de solu-
tions possibles, par le débat, l’enquête et l’expérimentation, et d’évaluation
par anticipation de leurs conséquences désirables ou détestables, engendre des
publics, dans notre cas des jeunes contestataires. Ce processus se passe en deçà
des lieux officiels de délibération publique comme les chambres parlementaires
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et les forums politico-administratifs et se produit dans des lieux de rencontre
de ce public : lycées, universités, gymnase, en somme une agora où le peuple
s’assemble pour délibérer (Dupuis-Déri 2016 : 18).
    Dans cette agora se trouvent des profils avec des « motifs parce que » et
« motifs en vue de » divers (Schütz, 2007). Il faut donc distinguer les « profes-
sionnels » (Nonjon 2005) ou les « artisans » (Carrel, 2013) de la participation.
Cette agora rassemble également des représentants d’associations d’étudiants,
qui ont eux-mêmes des statuts complexes de porte-paroles, parfois reconnus,
parfois dénoncés par leurs représentés, qui occupent leurs places en vertu d’une
disposition réglementaire, d’un adoubement politique ou d’une revendication
collective. Il ne faut pas non plus oublier le rôle des stratèges, qui, sans nécessai-
rement être des porte-paroles, organisent et peuvent transformer l’assemblée en
instance de consultation sans délibération.
    En ce qui concerne le sujet collectif ou le peuple politique (Dupuis-Déri
2016 : 36), celui-ci porte plusieurs changements à la vision qui avait été
construite depuis les années 1990 sur les nouvelles formes d’engagement de
militants. Si bien qu’on assiste à un effacement des organisations bureaucra-
tiques et hiérarchisées au profit de groupements plus informels et décentralisés.
Des analyses comme ceux portés par J. Ion (1997), sur un engagement indivi-
duel qui se ferait moins intense, comme si les militants prenaient garde à ne
pas se laisser piéger par la logique épuisante du surengagement, à partir des
événements analysés deviennent très contestables. Selon Ion, les groupements
informels et non hiérarchisés témoigneraient de la réduction du nombre et de
la durée des réunions ou de l’affaiblissement de la sociabilité militante observé
dans les années 1990 et 2000. Nous notons, néanmoins, dans les deux situations
analysées, un ancrage fort de structures traditionnelles dans la construction
des formes d’organisation « alternatives » c’est le cas du Parti Communiste au
Chili et de Québec Solidaire5 au Québec qui portent dans leurs files les princi-
paux leaders des mobilisations. Nous observons ensuite les effets des processus
historiques « d’individuation » sur les pratiques militantes, contrairement à
l’idée d’individualisation propagée jusqu’au début de cette décennie. C’est cette
individuation qui nous permet de parler d’un sujet collectif, qui dans son agir
« infra-politique » (Scott 2009) crée des « résistances » qui se posent « contre »,
« au revers » ou « à côté » des scènes et des auditoires officiels, où sont dres-
sées des façades de déférence ou d’obéissance. Ces résistances documentent la

5   Parti de gauche anticapitaliste réformiste dont font partie de nombreux porte-paroles
    de la grève de 2012.
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question de l’acquisition de capacités politiques qui vont s’exprimer lors des
assemblées et éclairent le sens des refus de participer dans le jeu de la démocra-
tie représentative.
    La méthodologie de travail pour cette étude recourt en premier lieu à des
entretiens, donc à des matériaux d’ordre déclaratif : nous avons réalisé 28
entretiens à Santiago du Chili et 14 à Montréal. Notre méthodologie se com-
plète avec l’analyse d’enregistrements vidéo des assemblés durant les deux
périodes étudiées. Concernant le profil des enquêtés, elles et ils sont pour la
plupart des jeunes pratiquant un engagement radical, c’est-à-dire de jeunes qui
revendiquent des pratiques illégales ou non « légitimes » en politique et dont
l’objectif est de briser l’ordre établi (Collovald et Gaïti 2006) et qui se mani-
festent à travers l’action directe de collectifs (Breton E. et al. 2012). Elles et ils
font en effet partie d’un même type de réseau qui est représentatif en termes de
classe, d’origine ethnique et linguistique de l’ensemble des acteurs mobilisés,
mais qui idéologiquement présentent un engagement plus radical.
    Nous verrons, dans un premier temps, le contexte et les principales caracté-
ristiques de l’organisation des assemblées dans chaque endroit enquêté. Dans
un deuxième temps, nous identifierons deux grandes limites au fonctionne-
ment des assemblées : la légitimité et l’ouverture à la participation.

2. Contexte : les assemblées étudiantes
Les logiques de fonctionnement des assemblées étudiantes dans les deux cas
étudiés présentent des caractéristiques qui permettent de les classer dans des
catégories similaires. Tout d’abord, elles sont mises en place au sein de mou-
vements de contestation coordonnées par un ensemble de regroupements
nationaux d’associations. A l’intérieur de ces regroupements, on trouve des
associations avec un fonctionnement classique, avec des dirigeants élus dans
des élections représentatives où les listes en concurrence sont liées à des partis
politiques traditionnels. Tandis qu’au Chili elles sont organisées par chaque
université (FECH, FEUC, FEUSACH, etc.6) au Québec, elles sont de carac-
tère provincial (FECQ, FEUQ7). Ce sont toutes des associations à l’origine

6   Fédération d’étudiants de l’université du Chili contrôlé par le parti communiste,
    Fédération d’étudiants de l’université catholique contrôlée en alternance par la droite
    (UDI) et le centre (Démocratie chrétienne) et la Fédération d’étudiants de l’université
    de Santiago du Chili contrôlé par le PC ou la gauche radicale.
7   Fédération étudiante collégiale du Québec et Fédération étudiante universitaire du
    Québec tous les deux contrôlées par le Parti Québécois.
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corporatistes. Toutefois, avant les mobilisations, des regroupements plus larges
se sont constitués. D’une part, au Chili la CONFECH va regrouper l’ensemble
des fédérations d’étudiants du pays. Cela permet d’effacer les hiérarchies
entre universités de la capitale et de provinces permettant également l’entrée
de fédérations contrôlées par la gauche radicale qui promeut des formes plus
horizontales de participation. L’événement principal se trouve pourtant dans
la participation d’organisations lycéennes comme l’assemblée coordinatrice
d’élèves du secondaire (ACES) extérieur à toute forme traditionnelle et institu-
tionnelle d’organisations d’élèves. D’autre part, au Québec se produit la mise en
avant de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ). L’ACES
et l’ASSÉ ont comme caractéristique un discours majoritairement révolution-
naire, anticapitaliste et autonomiste, promouvant la démocratie directe et la
délibération comme forme d’action. Ainsi, sans être majoritaires, leur forme
d’organisation s’impose progressivement au sein des respectifs mouvements
étudiants.

2.1 
    L’occupation et le collectif : l’espace de la démocratie directe
En ce qui concerne les changements au sein des organisations lycéennes
chiliennes, historiquement elles ont été structurées de façon verticale, où
la participation se traduisait par des élections annuelles des représentants.
Elles étaient en effet le reflet de la démocratie représentative post-dictatoriale
chilienne. Une transformation se met en place lorsqu’en octobre de l’année
2000 l’ACES fait irruption. Cette organisation qui n’a pas de dirigeant s’im-
plante dans tous les lycées par le biais des collectifs dont les porte-paroles par-
ticipent à des assemblées hebdomadaires. L’ACES est construite à l’image des
nouvelles formes de travail politique des lycéens, influencés entre autres par
une mouvance politique autonomiste et antiautoritaire (Montoni 2015) et par
les structures politiques des secteurs populaires8. Cette dernière situation peut
s’expliquer par les politiques de démocratisation de l’enseignement secondaire
qui donnent accès à toute une nouvelle catégorie de jeunes, habitants de quar-
tiers périphériques, habitués à des formes horizontales d’organisation politique.

8   Historiquement, les organisations des quartiers populaires suivent une logique de
    fonctionnement horizontale, même si pendant des années elles ont été influencées
    par des partis politiques de la gauche traditionnelle elles ne sont jamais tombées sur
    la logique hiérarchique des partis politiques, en gardant une autonomie dans leur
    fonctionnement. C’est l’image de ces organisations que les jeunes vont reproduire
    lors des occupations.
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La formation citoyenne par la contestation                            201

   L’ACES montre rapidement une dynamique de fonctionnement différente,
elle postule l’autonomie comme principe directeur, en se structurant de
manière horizontale elle fonde ses décisions dans le principe qu’ils nomment
« action directe de masses ». Cette pratique de démocratie directe a été mar-
quée par l’utilisation de l’assemblée comme mécanisme de prise de décisions, la
rotation des porte-paroles et la quête de parité dans la sélection de ceux-ci. Un
élément important à souligner dans la mise en place de ces pratiques au niveau
des lycéens sont les rapports d’amitié qui les précèdent. En effet, l’apprentis-
sage de la démocratie directe et sa mise en pratique dans les assemblées passent
par des formes de socialisation juvénile qui commencent non seulement par
les rencontres au lycée ou dans les quartiers, par des rapports de voisinage ou
même familiaux, mais aussi par des rencontres dans des manifestations et des
défilés pour s’achever dans la construction d’un collectif. Ce sont en effet des
groupes d’affinité (Dupuis-Déri 2003) qui représentent les premières rencontres
politiques des jeunes mobilisés :
  « …parce qu’avant du 2006 j’avais beaucoup de camarades avec lesquels j’allais aux
  manifs, mais parce qu’on était des élèves, pour l’unité des élèves, mais pas pour la ques-
  tion politique, mais après 2006 tout a commencé. Pour l’occupation de 2006 on était
  l’unique collectif qui s’organisait en assemblée, mais après les occupations il y avait
  trois collectifs, c’est-à-dire beaucoup plus des gens avec l’envie de faire des choses, de
  participer, de bouger. Alors que l’occupation c’était une expérience, évidement c’est là
  qui se produit toute la logique de l’assemblée générale, de la coordination et d’aller aux
  défiles. C’est là que l’on comprend l’enjeu et c’est là qu’on se rend compte que le truc
  n’est pas si facile non plus. Lorsqu’on a vu qu’il y avait tellement des lycées occupés, on
  croyait qu’on était dans une révolution parce que c’était énorme, on disait ohh c’est le
  bordel et puis ils [le gouvernement] nous ont de toute façon niqués » (Gustavo, étudiant
  de philosophie, 2012)

L’action de l’ACES permet également de vulgariser dans l’opinion publique ces
nouvelles pratiques de jeunes : occupation, démocratie directe, assemblées et
action directe. En effet, même si les étudiants utilisent ces formes d’actions lors
de leurs grèves, elles restent circonscrites au monde universitaire qui est encore
largement réservé à une élite économique, sociale et culturelle. Les mobili-
sations d’élèves du secondaire de 2006 et surtout de 2011 dévoilent au grand
public – qui vit l’organisation des occupations au travers des médias ou des
récits de leurs enfants – les formes de prises de décision et les actions directes
que ces décisions entrainent :
  « L’année dernière c’était comme l’essor de l’ACES, et moi je participais de cette assem-
  blée d’élèves du secondaire et il y a eu énormément d’actions directes avec les cama-
  rades, on a occupé même le Congrès National, il y a des camarades qui sont toujours
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  en procès à cause de cette action directe…et d’autres actions aussi » (Manuel, étudiant
  participant d’une occupation de lycée, 2011)

La pratique de la démocratie directe et de l’assemblée dans le cas chilien se
trouve certainement liée aux occupations de lycées et à l’organisation de col-
lectifs, qui ont été massifs l’année 2006. Ce sont des lieux d’expérimentation
du politique, sans l’intervention des adultes et rarement de partis politiques :
  « Avec le temps, j’ai connu les gars et je suis rentrée au collectif et j’ai commencé ma
  participation. À l’intérieur du collectif, il y avait une sorte de formation et j’ai com-
  mencé à saisir des questions plus théoriques, par exemple le marxisme. Les gars les plus
  âgés nous donnaient de textes et tout. Mais ce qui était bien, ce que j’ai aimé de mon
  expérience, c’était que jamais il n’y a eu quelqu’un qui nous ait dit ce qu’il fallait faire,
  c’était toujours discuté, toujours c’était de questions et de réponses, tous donnaient
  leur opinion. Moi par exemple je n’avais aucune formation politique, mais je sentais
  que je pouvais parler d’égal à égal avec eux, ils n’utilisaient jamais de technicismes…à
  l’université c’est très courant cela, tu entends un étudiant qui parle et il parle dans une
  langue qu’un gars populaire ne va pas comprendre. Par contre au lycée non. Alors c’est
  là qui est née l’expérience du collectif et moi je crois que c’était là le point d’inflexion
  qui marque mon intérêt à vie pour les questions politiques et sociales et les luttes des
  étudiants » (Gustavo, étudiant philosophie, 22 ans, 2012)

On peut souligner que dans les deux contextes la mise en place de la pratique
participative de l’assemblée a été un long travail. L’appropriation se fait durant
des années et elle traverse les différentes cohortes de lycéens et d’étudiants
mobilisés, avec le temps la pratique s’améliore et se créent de nouvelles règles
qui permettent une participation plus large :
  « En attendant j’ai essayé de constituer des collectifs, j’ai essayé de constituer plusieurs
  trucs pour essayer de faire quelque chose de plus dans le lycée. J’ai développé la pensée
  qui m’avait inculqué les gars qui sont sortis en 2006 : qu’il fallait former les bases, tout
  d’abord dans ton lycée, dans ta cité et ensuite partout. Alors la base que j’avais c’était
  le centre d’élèves (organisation formelle des élèves). Il fallait alors tout de suite éliminer
  les dirigeants du centre d’élèves. Il ne fallait pas qu’il soit un centre d’élèves, cela devait
  être une assemblée. Il fallait amener tous les gars dans le gymnase et que tout le monde
  parle. Je me suis dédié à ce truc presque deux ans, second et troisième (années de secon-
  daire)… alors tout au début c’était surtout d’appuyer les gars qui rentraient au lycée,
  rien de concret, surtout donner des outils pour qu’ils puissent s’informer des choses qui
  se passaient ici » (Jordan, ancien élève d’un des lycées occupés, 20 ans, 2011)

Au sein des discussions dans les collectifs, se produit la socialisation politique
et la découverte du militantisme en dehors de la politique partisane, les jeunes
découvrent que c’est une voie prise par beaucoup d’autres jeunes comme eux
et que cela peut continuer en dehors de la période de mobilisation. En effet,

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La formation citoyenne par la contestation                             203

la critique à la démocratie représentative ne passe pas seulement par la démo-
cratie directe et les assemblées, les organisations lycéennes profitent des occu-
pations de lycées pour faire un boycott aux élections de maires et conseillers
régionaux en octobre 2012. Tout d’abord, comme critique au système électoral
chilien, ensuite comme forme de d’appropriation des espaces (car les élections
se déroulent dans les lycées), enfin comme forme de participation dans des pro-
cessus fermés aux mineurs, autrement dit à la majorité de lycéens et lycéennes :
  « Pourtant il y avait une posture, la posture politique de « yo no presto el voto » (je ne
  prête pas mon vote) que parfois ne se comprenait pas, les adultes ne comprenaient pas
  ce truc de « funar » (répudiation publique) les élections, mais cela donnait du contenu,
  dans le sens qu’il ne s’agissait pas seulement d’empêcher l’élection de représentants,
  mais qu’il s’agissait de s’organiser dans leurs espaces et de montrer qu’il y a d’autres
  formes de faire la politique » (Ambar, lycéenne, 17 ans, 2012)

Les assemblées sont également des moments d’échange entre les vieilles formes
de participation, représentées souvent par des adultes qui participent des
assemblées et de nouvelles formes de compréhension de la participation prônée
par les groupes des jeunes parfois plus radicaux :
  « Dans cette assemblée il y avait des étudiants, il y avait des lycéens et il y avait des
  personnes qui travaillaient dans « le populaire » (militants) c’est-à-dire dans les pobla-
  ciones et même de personnes âgés, bon 50 ans ce n’est pas beaucoup non plus, mais qui
  ont vécu la dictature et même l’unité populaire. Alors c’était comme amener toute cette
  énergie et expérience. Mais maintenant c’est un nouveau processus, c’est-à-dire avec
  ce qui s’est passé avec l’abstention très élevée (résultat des élections de maires signales
  auparavant), avec la délégitimation de la classe politique, etc., c’est un nouveau proces-
  sus, je crois qu’on est face à une nouvelle conjoncture » (Angel, 18 ans, lycéen, 2012).

Enfin, les jeunes restituent l’assemblée dans les rapports avec leurs pairs, leurs
familles et leurs voisins. Ils cherchent à installer cette pratique dans leur quo-
tidien :
  « … notre idée est de prendre ces pratiques et les amener vers les gens, qu’ils puissent les
  voir comme des trucs dans leur quotidien. L’assembléisme, le travail de base, et même
  si tu n’es pas d’accord avec la voie armée tu peux faire d’autre type de travail, en fai-
  sant des affiches, tracts, en faisant des forums…” (Javiera, étudiante de sciences poli-
  tiques, 2012)

2.2 Une démocratie réelle
La pratique de l’assemblée est depuis longtemps très répandue au Québec, il
existe d’ailleurs un manuel de procédures très utilisé au sein des groupes mili-
tants : Procédure des assemblées délibérantes, plus connue comme le code Morin
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(1994 [1938]). Pourtant, avant le mouvement de contestation de 2012 une par-
tie importante des jeunes déclare n’avoir jamais participé à une assemblée. De
ce fait, pour analyser cet épisode contestataire, il est nécessaire de passer par
l’étude des événements fondateurs qui sont les Assemblées Générales (AG).
   Les AG commencent dans les universités et les CEGEP (Collège d’Enseigne-
ment Général et Professionnel) en février 2012. C’est au travers de cette ins-
tance, fondée sur l’idée de consensus9, que les associations étudiantes votent la
« grève générale illimitée » qui marque le départ du processus de contestation.
Ces assemblées deviennent pour les étudiantes et étudiants, tout au long du
mouvement, un outil pour l’apprentissage du politique et de nouvelles formes
de prise autonome de décisions :
    « En 2012. C’est vraiment là que j’ai commencé à militer, dès qu’il y a eu des AG pour
    parler de la question de la hausse de frais de scolarité…j’allais tout le temps aux
    AG…c’était ma première année à l’université…c’est là que j’ai commencé à militer »
    (Antonio, étudiant en science politique, 2016).

Comme dans le cas chilien, les assemblées sont des moments de débat, mais
surtout de formation. C’est dans les assemblées que les jeunes se socialisent
politiquement et obtiennent des réponses aux enjeux qui les entourent, d’abord
liésaux problèmes corporatifs pour ensuite discuter sur d’autres problèmes
sociaux et sur la manière de les affronter :
    « J’adorais les AG, j’adorais, j’allais tout le temps j’ai participé et tout puis c’était très
    formateur, c’est là aussi que je dois avouer que j’ai appris c’était quoi le hausse de frais
    de scolarité de 75%, ce n’est pas au travers les médias, ce n’est pas au travers du discours
    politique, c’est dans mes AG que j’ai été politisé sur la question de la hausse, sur la
    politique du gouvernement, sur c’est quoi leur stratégie et tout, c’est quoi nous comme
    stratégie qu’on doit adopter et le fait qu’on puisse en assemblée, en groupe dans nos
    facultés, adopter nous-mêmes des stratégies, de positions, j’ai trouvé ça génial. C’était
    très formateur… » (Alain, étudiant en science politique, 2017)

Pour celles et ceux qui ont plus d’expérience, former les jeunes devient une obli-
gation, le partage de l’expérience militante est fondamental pour donner une
continuité à la démocratie directe et aux assemblées en dehors du contexte de
mobilisation :

9   Dans le consensus, les désaccords qui persistent sont réduits à un niveau acceptable
    pour tout le monde. Cela signifie que l’on puisse « vivre » avec une position que l’on ne
    partage pas complètement, mais que l’on est disposé à appuyer pour que le processus
    de prise de décision suive son cours et progresse (Dupuis-Déri, 2013).
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La formation citoyenne par la contestation                              205

  « Puis c’était important à ce moment-là d’être cadre, de transmettre mes connaissances,
  déjà je faisais beaucoup d’ateliers sur comment organiser une AG, j’informais à l’UdeM
  sur les ateliers là-dessous ou sur ce début d’actions sur la sécurité, sécurité en tant que
  formation dans les manifs, dans les actions, comment organiser puis de mesures de
  sécurité, fait que j’ai donné beaucoup de temps là-dessous » (Stéphanie, étudiante, 2017)

De même que pour les lycéens chiliens, les AG sont pour certains dans un pre-
mier temps des lieux de rencontre, c’est l’endroit où les jeunes peuvent tisser
des liens d’amitié, et rencontrer des personnes avec des intérêts et des façons de
penser similaires :
  « sauf que quelques-uns que j’avais rencontrés dans les initiations ont vu l’affiche et ont
  dit ehh on va à l’AG, on va rencontrer des gens tsé. Fait que je suis allée à la première AG,
  et puis ils étaient en train de choisir le comité exécutif et puis je ne savais pas c’est quoi,
  mais j’avais envie de faire partie du gang fait que je dis moi ! Moi ! Je peux faire ça, je
  savais comme organiser des réunions, j’avais déjà plein d’années d’expérience, même si
  j’avais juste 18 ans » (Myriam, étudiante d’anthropologie, janvier 2017).

L’appropriation d’un rôle de manière individuelle est souvent accompagnée de
l’idée collective de s’approprier des espaces soit physiques ou symboliques. Il y
a une prise de conscience collective et publique de la possibilité d’agir. Il n’y a
pas un refus du pouvoir, il y a une idée de pouvoir libératrice. De pouvoir faire,
car ils ont une capacité d’action, de création, du pouvoir avec, car ils résolvent
des situations problématiques en collectif démystifiant les rapports de domina-
tion et enfin du pouvoir du dedans qui leur permet de se débarrasser de leurs
« démons intérieurs », des idées reçues, des peurs, afin d’atteindre des niveaux
plus élevés d’autonomie et d’autodétermination :
  « Les assemblées c’était très formateur, c’était génial, c’était un espace politique où
  tu peux prendre tes décisions, où tu peux intervenir. Habituellement, dans la scène
  publique institutionnalisée, tous ces espaces-là tu ne peux pas te les approprier, le pou-
  voir politique qu’on a ici habituellement c’est d’aller voter une fois chaque 4 ans, ici on
  crée un espace. La première fois que je suis allé, j’étais étonné, c’était extrêmement bien
  organisé. On prend beaucoup d’information, les gens viennent débattre démocratique-
  ment, les débats sont très cordiaux et tout, on peut prendre le micro, on peut venir discu-
  ter, il y a de bons débats et on peut voter et tout. » (Thomas, étudiant, décembre 2016).

Dans la recherche du pouvoir avec, les pratiques de démocratie directe et d’au-
tonomie collective seront transférées plus tard à d’autres acteurs, lors de l’or-
ganisation des assemblées populaires de quartier (APAQ) à la fin mai 2012
(Lincourt et Fontaine, 2012). Ces pratiques qui se déplacent du monde étudiant
vers l’ensemble de la communauté arrivent à perturber, au moins pour un
moment, l’ordre établi :

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  « Jamais au Québec on a eu tellement de débats distincts que pendant la grève étu-
  diante. Jamais on n’avait parlé des questions environnementales avec autant de ferveur,
  jamais on n’avait parlé de démocratie, jamais on n’avait organisé les APAQ, c’était mer-
  veilleux ce qui s’est passé pendant ce temps de grève » (Alain, étudiant, décembre 2016).

À la fin de la grève, la démocratie directe va s’établir ou se consolider dans les
groupes militants et elle va être la base pour de nouvelles luttes. Tout d’abord
dans des situations liées directement aux conséquences de la mobilisation
sociale, comme c’est le cas des cliniques juridiques et des groupes d’autodéfense
collective :
  « La clinique, c’était vraiment une bonne chose qu’elle se soit formée, puis après mon
  implication c’était personnel, dans mon groupe d’arrêtés, aller à la cour et faire des
  AG de groupes d’arrêtés. L’objectif était d’organiser la contestation de contraventions,
  travailler ensemble pour l’autodéfense juridique, c’était assez pratique et formateur »
  (Lia, étudiant en droit, 2016).

Elle va enfin rentrer aussi dans l’organisation de leur vie quotidienne, lors-
qu’elle servira pour délibérer et débattre sur la répartition de tâches dans une
collocation, ou sur le rôle qui correspond à chaque membre d’une collectivité :
  « la coloc était vraiment fun, mais tellement difficile, dans le fond on avait 4 apparte-
  ments qui étaient dans le même bloc et qui communiquaient entre eux par des escaliers
  internes, et il y avait une terrasse, mais dans le fond chacun des appartements avait un
  système de gestion autonome, mais il y avait aussi des assemblées de bloc, fait que dans
  le fond nous on faisait, toutes nos décisions on les prenait ensemble en assemblée et on
  partageait les tâches, fait qu’on avait aussi de projet collectif » (Myriam, étudiante en
  anthropologie, janvier 2017).

2. Conséquences d’une participation politique : l’apprentissage
    de la démocratie directe et ses enjeux
Les critiques de la démocratie directe ne se font pas attendre et certainement
une bonne partie de celles-ci est fondée sur des situations concrètes. Nous
entendons se répéter les inégalités qui se reproduisent autour des assemblées,
dans le domaine d’un discours politique plus ou moins maîtrisé, dans la prise
de parole ou dans la possibilité qu’auront tous et toutes à participer à l’ensemble
des assemblées délibératives. Cela entraine une des plus fortes critiques lié au
manque de quorum lorsque les grèves s’éternisent et les jeunes assistent de
moins en moins aux assemblées. Il y a également la critique du vote à main levée,
qui pour certains est synonyme de pression sociale lorsque quelqu’un n’est pas
d’accord avec la majorité. Enfin, nous avons souvent entendu parler du manque
de dialogue avec d’autres acteurs du système éducatif souvent moins radicaux
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La formation citoyenne par la contestation                             207

ou même certains réactionnaires : professeurs, directifs, et fonctionnaires.
Pourtant, les jeunes conscients de ces difficultés ont amélioré progressivement
ces pratiques en éliminant ou bien en réduisant certaines de ces difficultés.
   Nous consacrons notre analyse dans ce deuxième temps à deux enjeux qui
perturbent, de façon récurrente et dans les deux contextes travaillés, le fonc-
tionnement des assemblées : la légitimité et l’ouverture à la participation.

3.1 
    Le nécessaire besoin de légitimité
Un aspect amplement débattu au sein des groupes de jeunes était la quête de
légitimité des assemblées et des décisions prises par celles-ci. Dans la situation
québécoise, cela commence rapidement à générer des conflits lorsque certains
étudiants n’adhérent pas au mandat de grève et refusent de quitter les salles de
classe lors des levées de cours10 :
   « …dans ces levés de cours on a été confrontés à des étudiants qui voulaient entrer à
   leurs cours, qui ne respectaient pas le mandat qui avait était adopté démocratiquement
   en AG, donc déjà là on devait aller dans chaque cours, aller voir le professeur, lui expli-
   quer qu’il y avait un mandat de grève et que le cours ne pouvait pas se tenir et donc il y
   avait tout le temps des étudiants qui nous envoyaient chier » (Thomas, étudiant, 2016)

La délégitimation de ce mode de participation est fondamentalement politique.
En effet, au sein des étudiants non mobilisés, l’assemblée était vue comme la
forme qu’avaient les associations d’étudiantes les plus « radicalisées » d’impo-
ser leur point de vue à l’ensemble des étudiants, en reprenant l’accusation du
gouvernement d’empêcher à la « majorité silencieuse » d’aller en cours (Poirier
Saint-Pierre et Éthier, 2013) :
   « …on avait fait des AG, on avait voté et tout, il fallait respecter les mandats de grève,
   beaucoup des choses se sont bien passées, mais tous ces étudiants-là insistaient pour
   avoir accès à leurs cours, pour je ne sais pas quelle raison, parce qu’au final les cours ils
   sont terminés, j’ai terminé mon cours, tout le monde a terminé leurs cours, il n’y a pas
   eu des problèmes, mais ces étudiants-là, qui étaient très violents et tout, donc c’est des
   gens que…j’ai beaucoup discuté avec eux, surtout c’était de gens que je répugnais, que
   je répugnais beaucoup et des gens avec lesquels je ne voulais pas entrer en relation…
   Ce sont des étudiants et des étudiantes en science politique qui dissent que les AG ne
   sont pas légitimes, je ne voyais même pas l’intérêt d’entamer un débat avec eux, j’ai eu
   des amis qui l’ont fait, mais je n’avais pas temps à essayer de convaincre ces gens-là… »
   (Alain, étudiant, 2016)

10 Il s’agit de l’interdiction de la réalisation d’activités académiques lors d’une grève
   étudiante ou au cours d’une assemblée générale.
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Le manque de légitimité au sein des groupes d’étudiants et d’étudiantes
empêche également la mise en place d’actions plus radicales, comme les occu-
pations, qui constituaient le principal répertoire d’action au Chili contraire-
ment au Québec où elles étaient rares :
  « Les occupations au Québec sont très difficiles quasi inexistantes, il y en eut une en
  2015, elle a duré en gros 12 heures, avant que la police intervienne, mais c’est très dif-
  ficile, au départ parce qu’il y a des étudiants qui sont contre, contre la grève et qui ne
  croient pas à la légitimité des AG et qui ne croient pas dans la légitimité du mandat de
  grève et qui veulent assister à leurs cours » (Thomas, étudiant, 2016)

Ce clivage devient encore plus prononcé du moment où les étudiants les plus
engagés voient l’assemblée comme l’unique espace réelle de participation, se
fermant à d’autres pratiques participatives :
  « j’ai trouvé que je ne pouvais pas rentrer en discutions avec mes principes si je ne parti-
  cipais pas en AG et puis quand le contexte de la grève était arrivé, quand j’ai vraiment
  appris énormément si j’étais contre la hausse, si je vais m’affirmer politiquement, je dois
  aller, c’est là que je vais obtenir l’information, c’est là où je peux prend position, c’est là
  où je peux voter une grève, donc j’ai trouvé cela extrêmement important c’est vraiment
  mes premières expériences d’AG concrètes c’était en 2012, à la fin 2011, mais surtout
  en 2012, qd les AG étaient massives. » (Antonio, étudiant en science politique, 2016)

D’autre part, dans le contexte chilien, les lycéennes et les lycéens subissent aussi
le problème de rendre légitimes leurs assemblées. Néanmoins, celui-ci se trouve
dans d’autres niveaux d’adhérence. Un premier obstacle est la délégitimation
vécue au sein même du mouvement. En effet, les étudiants, surtout des univer-
sités et souvent issues des classes moyennes et supérieures, voient les formes de
prise de décision des lycéens comme non sérieuses, parfois irrationnelles ou
trop radicales. Souvent, des appels à manifestations lancés par les lycéens ne
sont pas suivis par les étudiants qui préfèrent défiler plus tard ou partir vers
d’autres points de la ville. Paradoxalement, les étudiantes et les étudiants uti-
lisent également l’assemblée comme forme de prise de décision, mais chaque
assemblée n’a pas la même valeur dépendant de l’origine sociale de ceux qu’y
participent. On pourrait dire que l’alliance classe moyenne et classe défavori-
sée, représentée en gros par des étudiants d’un côté et des lycéens de l’autre, n’a
pas été exempte de difficultés et de clivages.
    S’il y a une dimension où les deux mouvements sont confrontés à une délé-
gitimation, ce sont leurs rapports avec les pouvoirs politiques. Dans le cadre
de négociations avec les autorités politiques, ces dernières passent de l’indiffé-
rence au mépris et enfin à l’incompréhension, soit par une stratégie nettement

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La formation citoyenne par la contestation                              209

politique, soit par une réelle méconnaissance de nouvelles logiques participa-
tives engagées par les jeunes mobilisés :
  « Je pense que le gouvernement c’est le plus indifférent, je considère que ne pas donner
  des solutions et ne pas accepter les propositions que nous lui donnons, parce que ça a été
  proposé dans les assemblées de l’ACES, de lui donner, figure toi, de lui résoudre toutes
  les pétitions que nous lui demandons, d’où trouver plus de ressources, etc., mais eux
  ils ne prennent en compte rien, rien de ce qu’on essaye de faire. En plus lorsqu’ils font
  leurs tables de négociations avec les ministres, ils invitent les personnes qu’ils veulent, tu
  vois ? Les gens qu’ils connaissent et qu’ils savent comment maîtriser et tout ça » (Yerko,
  lycéen, 19 ans)

Dans les deux contextes, lorsque les mobilisations échappent au contrôle gou-
vernemental et que les assemblées et la démocratie directe gagnent en légiti-
mité, la stratégie des gouvernements sera de montrer ces pratiques comme des
instances à l’intérieur d’un conflit. Mais la dissolution du conflit passera néces-
sairement par les canaux de la démocratie représentative, c’est-à-dire soit par
des accords multipartistes, comme cela a été le cas au Chili en 2006, soit par des
élections anticipées d’un nouveau gouvernement, comme au Québec en 2012 :
  « …sur le coup à la fin de la grève c’est très déprimant, l’AG où on a voté le retour en classe
  ça avait été horrible, il y avait beaucoup de gens qui étaient au bord de larmes, tout ce
  qui on avait vécu, puis les gens de l’exécutif de notre association étudiante avaient peur,
  avaient peur de poursuivre la grève et avaient décidé de retourner en classe, du coup
  j’avais voté pour le retour en classe [il était membre du bureau de l’association], mais
  beaucoup de gens ne voulaient pas retourner en classe, ils voulaient poursuivre la grève,
  ce n’était pas fini le combat, c’était très triste, de voir des gens avec qui tu avais com-
  battu dire qu’il fallait retourner en classe, dire que c’était fini qu’il a eu des élections et
  un nouveau gouvernement, c’était vraiment triste de voir ça » (Alain, étudiant, 2016).

On observe finalement que même ceux qui se servent de la démocratie directe
hésitent à la garder comme mode décisionnel quand une possibilité de résoudre
des problèmes à partir des canaux traditionnels s’ouvre. Ce type de décision
politique isole ceux qui voient la démocratie directe et l’assemblée comme un
lieu de débat et de délibération qui construit un « peuple politique » (Dupuis-
Déri, 2016, 36), mais au sein de cet isolement ils tissent des liens qui vont les
maintenir unis après la contestation :
  « Puis il y avait l’AG pour décider si on retourne ou pas, puis on ne l’a pas gagné donc
  que ça a créé de lien entre, bon le but ce n’est pas de gagner ou perdre, mais le vote a été
  de retourner en classe, parce que les gens disaient bah il y a des élections, ça a vraiment
  fonctionné le fait qu’il y ait une élection, ils ont dit l’issue ça va être dans les élections.
  Puis, c’est là que ça a créé de lien avec disons les autres personnes plus radicales dans

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