Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...

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Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
Pédopsychiatrie en crise :
       Assistant familial,
       un lourd impact
       une profession en crise
© Flore Mabilleau

                    Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-
                    tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé
                    par le gouvernement, pointent du doigt leur précarité, le manque de
                    reconnaissance de leur travail ainsi que des dysfonctionnements ins-
                    titutionnels.

                    Quarante, 100 et même 200 : voici le nombre d’assistants familiaux que peinent à recru-
                    ter, dans l’ordre, les départements de l’Indre-et-Loire, du Loiret et du Nord. Le métier, plus
                    connu du grand public sous le vocable de « famille d’accueil », ne semble plus aujourd’hui
                    susciter de vocations.

                                                       Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
Entre les départs à la retraite, les licenciements et les démissions, 27 départements, parmi
            les 34 ayant répondu à l’enquête de l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned),
            étaient déficitaires en candidats en 2015… Les besoins sont pourtant croissants : entre 2013
            et 2017, les placements d’enfants et de jeunes majeurs ont augmenté de 10,4 %.

                                                              « Une grosse crise se prépare, s’alarme Michelle Babin,
                                                              présidente de la Fédération nationale des assistants
                                                              familiaux (Fnaf), exerçant depuis 1994.
                                                              Des enfants qui devraient être placés restent d’ailleurs
                                                              actuellement chez leurs parents, faute de places ! »

                                                              Parallèlement, les durées d’accueil temporaires dans
                                                              les foyers de l’enfance augmentent tandis que des
                                                              fratries sont amenées à être séparés. Corollaire de
                                                              cette pénurie, certains professionnels se retrouvent
                                                              avec plus de trois enfants - effectif réglementaire
                                                              maximum, sauf dérogations - ou ont du mal à poser
                                                              leurs vacances, faute de « familles relais » dispo-
Michelle Babin, présidente de la Fnaf. © DR                   nibles.

            Un métier singulier
            Les assistants familiaux ou assistantes familiales - car ce sont essentiellement des
            femmes même si le métier se masculinise - sont recrutés pour leur très grande majorité
            par les départements, mais peuvent aussi exercer pour des associations de placement
            familial. Leur travail : héberger à leur domicile et accompagner au quotidien, pour de
            longues ou de courtes durées, des jeunes de 0 à 21 ans, moyennant une rémunération.

                                              « Pour faire ce métier, il faut
                                              que toute la famille soit partante »
                                              Michelle Babin, présidente de la Fnaf

            « Ce n’est pas un travail ordinaire », rappelle Sandra Onyszko, responsable communication
            de l’Ufnafaam, fédération nationale regroupant assistants maternels, assistants familiaux
            et accueillants familiaux. Dans ce métier, l’attachement, permettant à l’enfant de se
            construire, joue un rôle fondamental.

            « Nous mettons au service d’une mission magnifique ce que l’on a de plus précieux : notre
            famille, notre maison, tout notre temps, 24h/24 », s’exclame Evelyne Arnaud, porte-parole du
            SAF Solidaires, syndicat professionnel des assistants familiaux. « Pour faire ce métier, il faut
            que toute la famille soit partante », rappelle Michelle Babin.

                                                           Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
Pas de diplôme obligatoire
Conjoints et enfants sont d’ailleurs, dans la plupart des cas, auditionnés durant la procé-
dure d’agrément. Celui-ci, instruit par les services de protection maternelle et infantile
(PMI) des départements, est obligatoire pour exercer, de même que le stage préparatoire
à l’accueil du premier enfant, de 60 heures, et que la formation initiale de 240 heures, à
réaliser sous trois ans après la première embauche.

Ces études sont requises, sauf validation des acquis de l’expérience (VAE), pour l’obtention
du diplôme d’État d’assistant familial (DEAF). Ce diplôme, l’un des quatorze du travail
social, n’est toutefois pas obligatoire pour exercer la profession… D’ailleurs, seuls 16 %
des assistants familiaux en exercice dans les départements interrogés lors de l’enquête
de l’Oned l’avaient obtenu.

Une profession fragilisée
Pourtant en France, contrairement aux autres pays européens, le métier s’est profession-
nalisé depuis 1977 avec salaires, congés payés et formation. Ce qui n’empêche pas les
burn-out d’augmenter. « Je croise de plus en plus de collègues en souffrance, qui ont davan-
tage de difficultés avec des enfants aux comportements virulents plus tôt et plus forts »,
constate Gabrielle Marceteau, assistante familiale en Ille-et-Vilaine.

Sandra Onyszko, responsable communication de l’Ufnafaam. © DR

Les professionnels évoquent des jeunes arrivant « de plus en plus cassés », pris en charge
tardivement par les structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et pour qui les suivis
pédopsychiatriques se raréfient en raison de la pénurie de médecins sur ce secteur.

                                                  Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
« Les enfants quittent leur famille de plus en plus tard avec des traumatismes lourds », appuie
        Sandra Onyszko. Certains peuvent présenter des troubles psychiatriques sévères pour
        lesquels les professionnels se sentent démunis, faute de formation adéquate.

                             « Les enfants quittent leur famille de plus
                             en plus tard avec des traumatismes lourds »
                             Sandra Onyszko, Ufnafaam

        Autre source de fragilisation : l’augmentation de signalements et d’enquêtes menées pour
        retrait d’agrément. Les départements appliquent un principe de précaution nécessaire,
        justifié par des situations avérées, par le passé, de mineurs placés ayant pu être maltrai-
        tés et/ou abusés sexuellement par leurs familles d’accueil.

        Mais c’est « une épée de Damoclès avec laquelle on vit », explique Michelle Babin, qui
        dénonce « l’absence de présomption d’innocence » dans ces procédures aux consé-
        quences psychologiques et financières lourdes.

        Des rémunérations disparates
                                               Mais le blues des assistants familiaux tient aussi à
                                               leur statut, précaire, et à la différence de traitement
                                               de ces professionnels, en fonction du lieu où ils
                                               travaillent. « Chaque département fait ce qu’il veut, il
                                               n’y a aucune harmonisation sur le territoire ! », tempête
                                               Evelyne Arnaud.

                                               À chaque département sa politique d’aide sociale à
                                               l’enfance. Les rémunérations des assistants familiaux
                                               sont ainsi fixées, par délibération, par chaque collec-
                                               tivité.

                                                 Celles-ci ne peuvent cependant pas être inférieures à
                                                 des seuils planchers, soit - dans le secteur public - 50
                                                 heures de salaire minimum interprofessionnel de
                                                 croissance (Smic) pour la part « fixe » liée à la fonc-
Evelyne Arnaud, porte-parole du SAF SolidairesDR
                                                 tion d’accueil, et 70 heures de Smic par enfant pour
                                                 la part modulable : ce qui équivaut à 1 203,60 € bruts
            par mois pour l’accueil d’un enfant et 1 905 € bruts par mois pour deux enfants.

        Eviter le « remplissage »
        Des salaires auxquels s’ajoutent les indemnités dites d’entretien, qui doivent permettre de
        couvrir les frais engagés par l’assistant familial (pour la nourriture, l’hébergement, l’hy-

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giène corporelle, les loisirs familiaux, etc.), voire de sujétions exceptionnelles, pour l’ac-
cueil de jeunes en situation de handicap, par exemple.

« Un salaire décent éviterait à certains assistants familiaux de faire du remplissage, en accueillant
4 ou 5 enfants et parfois 6 le week-end avec les relais, tacle Evelyne Arnaud. Cela fait prendre des
risques aux enfants accueillis, car on mélange des problématiques qui n’ont pas à être ensemble ».

L’insuffisance du salaire peut conduire certains assistants familiaux à accueillir trop d’enfants, quitte à mélanger les problématiques. © Flore Mabilleau

En cas de suspension d’agrément, de retrait ou d’absence d’enfant, des indemnités
viennent compléter à la marge le salaire de base de ces agents publics non titulaires.

« C’est un métier où l’on ne peut pas vraiment faire de projet car la rémunération est en dents
de scie, avance Michelle Babin. Si une assistante familiale accueille trois jeunes, dont une
fratrie de deux enfants, et que ces deux derniers retournent dans leur famille, c’est autant de
salaire perdu ». « Cette précarité fait peur aux candidats », complète Sandra Onyszko.

Un manque d’écoute
Certains professionnels se sentent aussi peu écoutés, reconnus, voire carrément mis à l’écart
par les équipes de l’ASE. Le Code de l’action sociale et des familles (CASF) énonce que
l’activité de l’assistant familial « s’insère dans un dispositif de protection de l’enfance, un dispo-
sitif médico-social, ou un service d’accueil familial thérapeutique ». L’assistant familial est un
travailleur social qui n’exerce donc jamais seul sa mission envers les enfants confiés.

                                  « La majorité des assistants familiaux
                                  ne se sentent toujours pas considérés »
                                  Evelyne Arnaud, porte-parole du SAF Solidaires

                                                         Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
Et pourtant, il « a été considéré comme un exécutant durant de nombreuses années, analyse
Evelyne Arnaud. La majorité des assistants familiaux ne se sentent toujours pas considérés et
ne sont pas entendus lorsqu’ils parlent de l’enfant. Pour certains, c’est d’ailleurs très bien
comme cela ; il y a de part et d’autres des difficultés à travailler ensemble ».

L’Ufnafam a réalisé un questionnaire auprès de ses adhérents afin de savoir s’ils se sen-
taient intégrés dans une équipe. « Certains le sont - par des réunions d’équipe, des question-
naires, etc. - mais d’autres non, c’est à la discrétion des services », reprend Sandra Onyszko.

Quid du partage d’informations ?
Quid du partage des informations concernant le passé des enfants ? Là encore, chaque
équipe, voire chaque référent, a ses pratiques. Au nom du secret professionnel ou du
secret médical, les assistants familiaux ne sont parfois pas informés de la potentielle
dangerosité des enfants, ce qui a d’ailleurs donné lieu à de véritables drames, médiatisés.

« C’est important que l’enfant soit accueilli avec un regard neuf, mais il y a tout de même besoin
d’avoir un minimum d’informations - s’il a des troubles de comportement, des problèmes de
santé par exemple - pour travailler le mieux possible », observe Evelyne Arnaud.

Le projet pour l’enfant (PPE), rénové par la loi en 2016, reste peu mis en place. © Flore Mabilleau

Le « contrat d’accueil », feuille de route obligatoire de tout placement - qui énonce les
raisons pour lesquelles l’enfant est accueilli, dans quelles conditions et avec quels objectifs
- permet d’avoir accès à un certain nombre d’informations, mais reste trop peu souvent
utilisé, tout comme le projet pour l’enfant (PPE), rénové en 2016, et encore peu mis en place.

Des équipes submergées
Les difficultés de communication sont d’autant plus importantes que les référents socio-

                                                        Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
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éducatifs des enfants, éducateurs spécialisés de formation dans la plupart des cas, sont
submergés de travail.

« C’est l’institution et tout un dispositif qui travaille pour les besoins de l’enfant, pas seule-
ment l’assistant familial ou l’éducateur spécialisé référent, reprend Evelyne Arnaud. Mais c’est
de moins en moins le cas puisque de nombreuses équipes ASE sont en burn-out. Par ailleurs,
comment prévenir les situations de maltraitance dans les familles d’accueil, si elles ne sont
pas visitées ? ».

Des jeunes lâchés à 18 ans
À cette problématique, s’ajoute l’impression, pour certains assistants familiaux d’œuvrer
face à des vents contraires, notamment avec les plus de 18 ans trop souvent « lâchés »
sans solution une fois leur majorité atteinte. Les possibilités de prolongation de prise en
charge jusqu’à 21 ans par le contrat jeune majeur ont tendance à se raréfier, s’écourter et
sont surtout réservées dans les faits aux jeunes qui ont un projet d’insertion.

« L’assistant familial va souvent continuer l’accueil, pour l’enfant, sans être rémunéré, observe
Sandra Onyszko. Ce qui est assez paradoxal, quand on sait que pour un jeune âgé de 15 ans, il
ne peut même pas décider seul de lui couper les cheveux… »

Une crise de grande ampleur
De nombreux changements doivent aujourd’hui être amorcés, pour que le métier d’assis-
tant familial devienne attractif. A fortiori dans un contexte de forts départs à la retraite
dans les années à venir.

Le rapport de la mission d’information sur l’aide sociale à l’enfance, proposant des chan-
gements réglementaires au gouvernement (lire ci-dessous), prévient néanmoins : « parce
que la crise des assistants familiaux qui se profile sera probablement d’une ampleur telle que
même des mesures radicales ne pourraient complètement l’endiguer, un second chantier doit
être ouvert ».

Il comprend, notamment, la création de davantage de villages d’enfants.

En chiffres

• 40 000, c’est le nombre d’assistants familiaux qui seraient en exercice, selon différentes
estimations.

• 83 000 enfants et jeunes majeurs - soit 47,1 % des enfants et jeunes majeurs confiés -
étaient accueillis en 2017, par des familles d’accueil, selon les chiffres de la Drees, sur
décision judiciaire dans près de 80 % des cas.

                                     Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
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En images : le témoignage de Roxane
Delaporte, assistante familiale à Bourgueil,
Indre et-Loire

 Bientôt des réformes
 Le statut d’assistant familial sera réformé, tandis que « le parrainage » et « l’intervention de tiers béné-
 voles » seront développés. C’est en tout cas ce qu’a annoncé Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la
 ministre des Solidarités et de la Santé, en juillet dernier.

 « Il me semble indispensable de rendre plus attractif le métier d’assistant familial en modernisant ses condi-
 tions d’exercice », a-t-il expliqué lors des Assises nationales de la protection de l’enfance, sans donner plus
 de précisions. Le Secrétaire d’État peut toutefois compter sur les préconisations du rapport de la mission
 d’information sur l’Aide sociale à l’enfance déposé en début d’été à l’Assemblée nationale.

 Ce rapport propose notamment de renforcer la formation de ces professionnels, de réviser leur statut et
 de revaloriser leur rémunération globale, tout en harmonisant les situations sur le territoire, mais aussi de
 leur permettre « d’exercer une autre activité professionnelle, sous réserve d’adaptation des modalités d’agré-
 ment et de rémunération ».

 Autre démarche : celle des sénateurs Nassimah Dindar et Xavier Iacovelli, auteurs d’une récente proposi-
 tion de loi visant à généraliser le contrat jeune majeur entre 18 et 21 ans. Ces parlementaires prévoient le
 dépôt d’une seconde proposition de loi, consacrée cette fois aux assistants familiaux et à l’accompagne-
 ment des enfants. Il s’agirait de rapprocher les taux d’encadrement d’un département à l’autre et de rendre
 plus attractif le métier d’assistant familial.

                                          Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
Séverine Euillet, Maîtresse de conférences à l’Université Paris-Nanterre. © Julien Millet

« Ce travail nécessite beaucoup
de recul »
Séverine Euillet, Maîtresse de conférences à l’Université Paris-Nanterre au
sein de l’équipe de recherche Éducation familiale et interventions sociales
auprès des familles, a notamment dirigé l’ouvrage « Parcours en accueil
familial » (l’Harmattan, 2019).

Quand le métier d’assistant familial est-il apparu ?
Séverine Euillet Cette terminologie existe depuis la loi, encore en vigueur, de 2005,
mais la professionnalisation de ce métier a débuté dès 1977, avec une loi qui impose
rémunération, sécurité sociale et congés payés et se poursuit en 1992 via le renforcement
du statut professionnel avec une formation de 120 heures. Néanmoins, c’est avec les
nourrices du XVIIe siècle que ce métier d’accueil trouve ses origines.

                                                        Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Les départements ont de plus en plus de difficultés à recruter des assis-tants familiaux. Ces professionnels, dont le statut devrait être réformé ...
Cette professionnalisation des assistants familiaux est-elle une exception
française ?
S.E. Oui, je ne connais pas d’autres pays européens où ce métier se soit autant profes-
sionnalisé. Dans certains, les « foster carer » - familles d’accueil ndlr - n’ont toujours ni
contrat de travail, ni salaires et l’accueil de l’enfant à protéger par un membre de la
famille (« tiers digne de confiance », en France) est favorisé, alors qu’en France, cette
proportion reste très faible.

Quel est le rôle de l’assistant familial en France ?
S.E. La loi est très claire : il doit favoriser un développement affectif, social et psycholo-
gique harmonieux de l’enfant. Pour cela, l’assistant familial doit déployer ses compétences
et son expérience pour développer une relation affective sécurisée, dont les enfants ont
besoin, et les restaurer dans leur rapport à l’autre, les aider à avoir confiance en eux, dans
les adultes, en l’avenir, à comprendre leur situation particulière, etc.

Ces professionnels se plaignent de ne pas être reconnus à part entière comme
des travailleurs sociaux. Pourquoi ?
S.E. Le processus de professionnalisation tient sur un triptyque : la formation, le diplôme
d’État et l’intégration dans une équipe. Le législateur a voulu reconnaître les compétences
des professionnels de l’accueil qui se sentaient isolés et dévalorisés dans leurs fonctions.
Mais il n’a pas anticipé la question de l’intégration dans une équipe, qui repose sur un
équilibre subtil entre tous les professionnels et qui nécessite beaucoup de communica-
tion et de reconnaissance réciproques.

C’est-à-dire ?
S.E. Faire évoluer les rôles et les fonctions de certains a forcément des conséquences
pour les autres professionnels. Donner davantage de responsabilités à l’assistant familial
oblige le référent socio-éducatif, le psychologue ou encore le chef de service à se reposi-
tionner. L’assistant familial devient un collègue, mais paradoxalement, c’est l’équipe qui
peut mettre fin à un accueil en cas de difficultés.

Et puis l’assistant familial s’expose beaucoup puisqu’il parle aussi de ce qui se passe dans
son intimité familiale. Il est donc difficile d’être dans une relation d’égal à égal. Et pour-
tant l’assistant familial ne peut pas effectuer ses missions seul ; il a besoin de partager, de
co-éduquer, de co-élaborer avec des professionnels, car c’est un métier de la relation
d’aide très difficile dans lequel l’institution garante a des responsabilités. Ce travail
nécessite beaucoup de recul pour comprendre ce qui se passe sur la scène familiale.

D’où l’importance de créer des groupes d’échanges entre professionnels ou de
supervision avec des tiers indépendants du service ?
S.E. Oui, c’est capital. Quelles qu’en soient les formes, des espaces-temps d’analyse des
pratiques devraient être systématiques. Cela permet de rompre l’isolement des assistants
familiaux, d’éviter le burn-out et de favoriser la continuité des parcours des enfants ac-
cueillis.

                                     Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Des assistantes familiales en plein travail, lors des ateliers d’écriture de l’album jeunesse « Poupio ». © Jean-Paul Noble

De nouveaux outils pour
la professionnalisation
Le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine a créé des postes de « responsable
de l’accompagnement professionnel des assistants familiaux », ainsi que des
groupes d’analyse des pratiques. Le but : soutenir la professionnalisation
des assistants familiaux.

Ancienne éducatrice spécialisée puis référente enfance/famille, Patricia Jouatel est deve-
nue, à 58 printemps, l’une des six responsables de l’accompagnement professionnel (RAF)
des 850 assistants familiaux employés par le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine.

De nouveaux postes créés en 2014 et occupés majoritairement par des travailleurs
sociaux, rattachés aux agences départementales, ces services déconcentrés du départe-
ment, dans les territoires.

                                                        Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
Un encadrement de premier niveau
« Nous sommes chargés de l’accompagnement professionnel des assistants familiaux et de
l’encadrement hiérarchique de premier niveau », détaille Patricia Jouatel, qui suit près de
130 professionnels.

Entre autres missions, les RAF mènent les entretiens d’évaluation en cas de renouvelle-
ment ou d’extension d’agrément et accompagnent également les assistants familiaux lors
de leur passage devant la Commission consultative paritaire départementale (CCPD) en
cas de demande de restriction ou de retrait d’agrément.

Un suivi individuel et collectif
« Nous sommes présents au quotidien auprès d’eux dans un suivi individuel mais aussi collec-
tif », précise Patricia Jouatel. Qui se matérialise, notamment, par des « réunions de service
» proposées tous les trimestres. « Chaque RAF organise ces réunions d’équipes pour informer
les assistants familiaux de tout ce qui les concerne sur le territoire ».

Des exemples ? Lors des derniers rendez-vous, en Ille-et-Vilaine, le nouveau schéma de
l’accueil social de proximité ou encore la mise en place du « projet pour l’enfant » renou-
velé par la loi 2016, ont été présentés.

                     « C’est une reconnaissance du travail
                     des assistants familiaux »
                     Patricia Jouatel, responsable de l’accompagnement
                     professionnel des AF

Les RAF, postes d’encadrements intermédiaires, servent aussi d’interfaces entre les assis-
tants familiaux et les autres services du département (RH, services agrément, etc.) et sont
les « vecteurs d’informations descendantes et ascendantes, surtout lorsqu’il y a des difficultés
», observe Patricia Jouatel.

« C’est aussi une reconnaissance du travail des assistants familiaux et une prise en compte de
leur professionnalisation, analyse la RAF. Ils disposent ainsi d’un soutien et d’un accompagne-
ment de proximité, comme les autres professionnels, même s’ils ne sont pas titulaires de la
fonction publique ».

Un vrai confort
« Les RAF sont nos référents, des personnes-ressources qui nous accompagnent dans tout
ce qui concerne notre activité professionnelle » , observe Gabrielle Marceteau, 54 ans.

Elle qui est assistante familiale depuis 19 ans en Ille-et-Vilaine reconnaît : « c’est un vrai

                                    Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
confort pour nous : ce sont les premières personnes que
                                                                         l’on contacte au département et c’est à elles que l’on
                                                                         expose nos questions ou nos problèmes ».

                                                                         Des groupes d’analyse
                                                                         depuis 2015
                                                                         Afin d’aller plus loin dans la professionnalisation des
                                                                         familles d’accueil, le conseil départemental a, en
                                                                         2015, également créé des « groupes d’analyse de
                                                                         pratique ». « L’objectif, c’est d’aider les professionnels à
                                                                         se sentir mieux dans leur poste en leur permettant de
                                                                         nourrir un sentiment d’appartenance professionnelle et
                                                                         en prévenant l’usure du métier », précise Patricia
Gabrielle Marceteau, assistante familiale depuis 19 ans en Ille-et-
Vilaine. © DR                                                            Jouatel.

            À l’image de dispositifs proposés dans d’autres départements (comme la Drôme, par
            exemple), ces rencontres regroupent chaque mois une douzaine de professionnels cha-
            peautés par des tierces personnes (psychologue, thérapeute, psychanalyste).

            Groupes projets, groupes d’analyse de pratiques... : l’opportunité est donnée aux assistants familiaux de bénéficier de temps d’échanges collectifs.
            © Jean-Paul Noble

            L’objectif : permettre aux assistants familiaux d’avoir accès à un temps d’échanges, entre
            pairs, sur leur pratique professionnelle. « C’est l’occasion de partager leurs questionnements,
            leurs difficultés, dans un cadre bienveillant, hors hiérarchie, avec des collègues soumis au
            secret professionnel », analyse Patricia Jouatel.

            L’encadrement par un intervenant extérieur est aussi le moyen « de prendre du recul par
            rapport à ses pratiques, de théoriser et d’envisager des solutions ». Le RAF n’assiste pas à ces

                                                                      Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
séances de paroles collectives, mais a accès, chaque année, au bilan, qui montre que les
familles d’accueil « sont très satisfaites de cette possibilité d’échanger en dehors des commis-
sions départementales d’aide sociale (CDAS) », reprend Patricia Jouatel.

Dévoiler son intimité
Gabrielle Marceteau fait partie, depuis quatre ans, d’un de ces groupes chapeautés par une
psychologue. Chaque mois durant plus de 2 heures, elle retrouve les mêmes assistants
familiaux pour dialoguer à cœur ouvert. « L’analyse de pratique exige de parler de soi, de se
livrer, explique Gabrielle Marceteau. Lorsque l’on évoque un problème avec un enfant, la psycho-
logue va nous chercher et nous amène souvent à parler de notre propre histoire. »

Un dévoilement de son intimité qui nécessite d’être en confiance. « Ce qui est dit entre ces
4 murs ne sort pas, c’est la condition pour que la parole se libère ». Des séances qui amènent
« beaucoup de remises en question », mais permettent aussi « un travail très enrichissant ».
« Ces ateliers, précieux, sont nécessaires à notre travail et à la réussite de nos accueils »,
martèle l’assistante familiale.

Des projets culturels collaboratifs
D’autres temps de réflexion et de rencontres peuvent également être inventés. Un «
groupe projet » a ainsi été créé il y a près de quatre ans, regroupant des assistants fami-
liaux et des référents ASE, aidés, en fonction des options de travail, par des animateurs
numériques et sportifs, voire par le service d’action culturelle du département.

Des assistantes familiales ont participé à l’album « Poupio » dont Elodie Squarcetti ». Photo prise lors de la présentation de l’album « Poupio ».
© Jérôme Sevrette

Il y a trois ans, une pièce de théâtre a ainsi été montée. Cette année, c’est un album jeu-
nesse, « Poupio », mettant en images la vie quotidienne d’un enfant confié à une famille

                                                      Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
d’accueil, qui a été conjointement créé par des assistantes familiales, des référents ASE,
l’autrice jeunesse Sophie Bordet-Pétillon et l’illustratrice Elo.

Un outil de médiation
Un livre imprimé à 3 000 exemplaires ! « Il nous manquait un outil de médiation pour parler de
notre métier et de la relation éducative avec les enfants placés », explique Elodie Squarcetti,
assistante familiale, qui a suivi les 10 ateliers de création, de juin 2017 à juillet 2018.

Ce travail collectif a également permis des échanges constructifs avec les travailleurs
sociaux de l’ASE : « On n’a pas toujours la même vision des choses, ni la même façon de les
exprimer, mais les ateliers nous ont rappelé que nous avons le même but, et permis de mieux
nous comprendre », estime une autre assistante familiale, Rozenn Benic, qui souligne par
ailleurs la « fierté collective » tirée de cette réalisation.

                                           Actuellement, le « groupe projet » travaille sur un forum
                                           « jeux de société » qui poursuit deux objectifs : « la
                                           possibilité, pour les assistants familiaux, de partager leurs
                                           connaissances sur les jeux et celle d’ouvrir un atelier autour
                                           duquel collègues et enfants pourraient se retrouver »,
                                           précise Patricia Jouatel.

Extrait du livre « Poupio »
                                           Du tutorat
Ailleurs dans l’Hexagone, des conseils départementaux ont lancé d’autres dispositifs afin
d’accompagner les assistants familiaux dans leur professionnalisation. Certains - comme
la Meurthe-et-Moselle ou la Vendée - ont ainsi mis en place du tutorat, permettant à des
professionnels expérimentés de transmettre leur savoir à de jeunes familles d’accueil.

Contact :

Agence départementale de Redon et Vallons de Vilaine

Tél. : 02 99 02 47 50

    Pour aller plus loin
    • Rapport de la Mission d’information sur l’aide sociale à l’enfance, Assemblée nationale, juin 2019.

    • Table ronde de représentants des assistants familiaux, vidéo du 25 avril 2019 en ligne sur le site de
    l’Assemblée nationale.

    • Rapport d’activité du CNPE (Conseil national de la protection de l’enfance), 2018.

    • « L’accueil familial, quel travail d’équipe? », rapport d’étude de l’Observatoire National de l’Enfance en
    danger (ONED), 2015.

    • Mission d’enquête sur le placement familial au titre de l’aide sociale à l’enfance, rapport de l’IGAS, 2013.

                                             Longs Formats - Flore MABILLEAU - 19 juillet 2019
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