De Norma Jeane Mortenson à Marilyn Monroe 1926-1946
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1926-1946 De Norma Jeane Mortenson à Marilyn Monroe
En 1926, Hollywood a atteint son apogée. Le cinéma (muet), un an après une crise passagère due à la concurrence de la radio, marche plus fort que jamais. Il est la première des distractions populaires : sur fond de jazz (hot), de prohibition et de charleston. Follies, Follies : les Années folles pour oublier les an- nées de la Grande Guerre ! Les films « best-sellers » de l’année sont (par ordre de sortie), tout d’abord (le 6 janvier) le renommé Ben-Hur (avec Ramon Novarro), le film le plus cher de la décen- nie ; suit Le Pirate noir (avec Douglas Fairbanks) ou le premier film partiellement en couleurs grâce au procédé appelé communément « Technicolor » ; puis Kiki (avec Norma Talmadge), La Lettre rouge « réservé aux adultes » (avec Lillian Gish et Lars Hanson), Beau geste (avec Ro- nald Colman), et The Great Gatsby/Gatsby le Magnifique (avec Warner Baxter) pour les principaux francs succès à venir. Et plus de 400 longs métrages sont réalisés pour une somme de 120 millions de billets verts (statistiques du journal Motion Picture News). On est cependant loin des 854 films produits aux States en 1921. Un record jamais égalé. Jamais ! La Mecque du cinéma n’en est pas moins en pleine prospérité. Hollywood, c’est Byzance. C’est encore toute une pé- riode insouciante où le cinéma se contente d’être un spectacle destiné à divertir le plus grand nombre. De ce 11
fait, le « star system » crée des personnages que le monde entier réclame. Le premier en grade (et à avoir été créé) est Mary Pick- ford (née en 1892), dans le métier depuis 1909, l’année de ses dix-sept ans. Surnommée « Little Mary » dès 1910, l’adorable jeune fille au sourire à fossettes et coiffée d’anglaises est devenue « la petite fiancée de l’Amérique » avant d’être appelée « la chérie du monde ». Pas moins ! Il faut dire que son magnétisme au box-office a rarement été atteint ; rarement… À la ville, La Mégère apprivoisée (film de 1929) est l’épouse d’une autre légende vivante majeure, Douglas Fairbanks, l’idole bondissante. « Doug » réunissant en un seul homme : Zorro, d’Artagnan, Robin des Bois et Le Voleur de Bagdad des « Twenties » avec panache. Ce couple royal d’un nouveau genre a fait sortir 300 000 Moscovites pour les voir, lors d’une tournée pour la promotion de leurs films, alors que ceux-ci étaient pour- tant officiellement bannis de l’ex-Union Soviétique ! Consacrée star en 1919 avec Après la pluie, le beau temps, Gloria Swanson (née en 1899) est la seconde puis- sante superstar féminine, et la vamp (actuelle) la plus populaire de la planète Terre. Et cela donne des ailes à « la » reine du Studio Paramount (partie pour devenir in- dépendante), laissant à sa rivale maison, Pola Negri, une célèbre actrice polonaise du cinéma allemand (déjà tête d’affiche sûre grâce à des succès importés), éclairer la montagne Paramount en cette année 1926. Ceci pour une brève période. 1928 marquera la fin de ses années glorieu- ses hollywoodiennes (commencées en 1923) : le test du micro lui ayant été fatal, elle s’en retournera en Europe. Une star est passée… La troisième à monter sur le podium des grandes figu- res du 7ème Art à ses balbutiements est l’illustre Lillian Gish (née en 1896). Présentée par « Little Mary », en 12
1912, au réalisateur David W. Griffith (le Maître du ciné- ma muet américain), Lillian et lui allaient connaître ensemble la gloire avec la fresque monumentale Nais- sance d’une nation, en 1915. Pour son actrice fétiche, devenue « la » muse de l’écran, le cinéaste inventa le « gros plan ». Rien que ça ! Et sur ses conseils, David W. Griffith lui suggéra de voler de ses propres ailes, après néanmoins une ultime réussite commune, Les deux orphe- lines, en 1921. Aujourd’hui Miss Gish est la pièce maîtresse de la Metro-Goldwin-Mayer, l’usine à rêves « numéro un » de la capitale mondiale du cinéma. À Mary Pickford, Gloria Swanson et Lillian Gish, ad- joignons, en toute évidence, Pola Negri et les noms « brillantissimes » de Marion Davies (star depuis Sur les marches du trône en 1922), Norma Shearer (starisée en 1924 avec Larmes de clown) et la blonde crépue Maë Murray qui échoit cette année après Altar of Desire. Puis- que dès lors, Maë Murray fera moins parler d’elle par son activité professionnelle que par les frasques de sa vie sen- timentale ! Cependant, cette authentique reine de la Metro reste tout de même le symbole d’un Hollywood dans sa phase la plus délirante, pour qui son réalisateur de mari, Robert Z. Leonard, avait créé le « flou artistique ». La roue tournant, 1926 marque la popularité naissante de la ténébreuse Joan Crawford qui gagnera ses galons de grande star avec Les Nouvelles vierges, en 1928. Pour l’heure, Joan Crawford, tout comme Carole Lombard et Janet Gaynor, commence à peine sa carrière, tandis que la Paramount lance la première « It-Girl » via la rousse Clara Bow (« sex-star » propulsée au sommet en 1927 dans It- Girl, le mot devenant synonyme de « sex-appeal ») ; et la rebelle Louise Brooks (et sa coupe au carré révolution- naire) qui connaîtra un gloire de courte durée durant les années 1928 à 1930. Affublée de courtes robes, la future Loulou (1929) lancera l’uniforme chic des lesbiennes hol- lywoodiennes, parisiennes et berlinoises. La mode de la 13
« garçonne », femme moderne par excellence, aura vu le jour. À toutes ces étoiles féminines vraiment exceptionnelles qui brillent (ou brilleront) au firmament de l’Olympe ci- nématographique – avant de tomber dans l’oubli pour certaines d’entre elles, tandis que d’autres auront un règne éternel –, il ne faut pas omettre une suédoise (née en 1905) nommée Greta Garbo. Découverte et révélée par son com- patriote Mauritz Stiller dans La Légende de Gösta Berling (en 1924), celui-ci l’a imposée à la M.G.M., tandis que lui-même se fera renvoyer des plateaux et finalement du studio… Déprimé et malade, son mentor regagnera Stock- holm pour y mourir le 8 novembre 1928 à l’âge de 45 ans, brisé par Hollywood, et serrant une photo de Garbo dans sa main. Pour le quart d’heure, 1926 marque l’avènement du « visage du siècle » sous les traits de Greta Garbo avec Le Torrent, La Tentation et La Chair et le Diable. Le premier film (dont le grand nom Ricardo Cortez est pourtant la seule tête d’affiche) lance (le 22 février), par sa sortie pu- blique new-yorkaise, l’attraction de la sensationnelle nouvelle star (dans un rôle refusé par Norma Shearer). Avec le second, au lendemain de la première au Capitol de New York (le 10 octobre), Greta Garbo est saluée par des critiques en délire. Et le troisième voit son ascension re- cord culminer au soir de la première (cette fois à Los Angeles, le 25 décembre) : le couple formé par John Gil- bert (l’héritier de Valentino) et Garbo, pulvérise tous les records d’entrées. Leurs scènes d’amour (les plus brûlan- tes filmées jusqu’alors) ne sont pas étrangères à ce triomphe de plus à mettre à l’actif de la « firme du lion ». Laquelle définie alors leur nouvelle « poule aux œufs d’or » de « vamp » ! Un terme inventé, en mars 1915, pour qualifier les débuts à l’écran de Theda Bara dans The Fool there was. Ce film fit sensation et rendit célèbre du jour au 14
lendemain son héroïne « sexy et dangereuse pour la mora- lité du sexe opposé ». La « Carmen-Cléopâtre-Salomé » des années 10 incarnant Satan (aux yeux charbonneux) pour les puritains. Et tandis que 1926 solde la filmogra- phie de Theda Bara (36 ans cette année) avec Madame Mystery, ce millésime voit Greta Garbo conquérir Holly- wood (et le reste du monde…). Il n’y aura plus qu’ELLE seule et les autres jusqu’à l’apparition de L’Ange bleu en 1930 au succès phénoménal. J’ai nommé Marlene Die- trich, une autre européenne (née en 1901 en Allemagne) qui a très bien supporté le voyage. Le public américain en devient fou après Morocco/Cœurs brûlés (en 1930), son premier film américain, dans lequel, pour la première fois à l’écran, une femme (Marlene) embrasse une autre femme : la « fauteuse » de troubles est nominée aux Os- cars en 1931. Garbo a enfin une rivale ! Côté messieurs, ma poignée (pour faire court) de grands personnages emblématiques à attirer les foules sont : (le déjà nommé) Doug Fairbanks, Charlie Chaplin (Charlot, le génial « vagabond solitaire »), Buster Keaton (« l’homme qui ne rit jamais »), Harold Lloyd (« l’homme timide aux lunettes d’écailles arborant un canotier ») et John Barrymore (« le plus grand acteur du monde »), la deuxième grande star qui rapporte de l’argent au studio Warner Bros après… le chien Rintintin, de 1923 à 1930. Et à défaut d’ébranler la renommée de Rintintin, « le plus grand acteur du monde » ébranla celle de Doug avec Don Juan. Ce film marquant les débuts du parlant (au Warner’s Theater de Broadway, le 6 août 1926), grâce à un nouveau procédé d’enregistrement sur disque appelé « Vitaphone » mais pas encore de dialogue parlé ! C’est Al Johnson dans Le Chanteur de jazz qui pronon- cera les premiers mots (« Hey Mom ! Listen to this. ») jamais entendus dans un long métrage. Après ce film (dont 15
la première aura lieu à New York, le 6 octobre 1927), rien ne sera plus tout à fait pareil. Mais « la » date à retenir de cette année 1926 est celle du lundi 23 août. Ce jour-là, au Polyclinic Hospital de New York, on enregistre le décès d’un certain Rodolfo Pietro Filiberto Raffaello Guglielmi, dit Rudolph Valenti- no. Il avait 31 ans ! À l’annonce de son hospitalisation urgente (le 15 août au soir de la première du Fils du Cheikh sur la Côte Ouest), il avait fallu établir un service d’ordre nuit et jour. Une nuée d’admiratrices s’étant pressée devant les grilles de l’hôpital d’où montaient les sanglots, les prières et… d’où on emportait, ici et là, une femme qui avait perdu connaissance. Les journaux publiaient dans chacune de leurs éditions, en lettres énormes, des bulletins de santé (encourageants) jusqu’à l’édition spéciale annonçant l’issue fatale : le « latin lover » à l’œil de velours sous une paupière lourde, ce visage même de l’amour, ayant suc- combé après une agonie particulièrement douloureuse. L’homme qui vient de mourir était « l’amant idéal » pour des milliers et des milliers de femmes. Il avait reçu 5 000 lettres d’amour PAR JOUR au plus fort de sa gloire, née en mars 1921, avec la sortie de Les Quatre cavaliers de l’Apocalypse, qui avait fait de ce ténébreux, en l’espace de quelques jours, un nom presque aussi célèbre que celui de Fairbanks. Sa disparition montre au paroxysme l’impact du cinéma sur le public en général, et féminin en particulier. Une pétition monstre est adressée à la direction de l’hôpital demandant que le corps du beau Rudy soit embaumé et exposé avant la mise en bière, pour que ses fidèles, hysté- riques et bruyants de douleur, puissent une dernière fois le contempler… Entendu, ce sera une chose faite dans le rayonnement d’une chapelle ardente. Pendant trois jours ! Une multitude de 100 000 personnes pleurent l’Armand Duval de Camille (La Dame aux camélias/Alla Nazimova 16
de 1921), Le Cheikh (1921), le lord du Droit d’aimer (1922 avec Gloria Swanson), le beau matador de Arènes sanglantes (1922), Monsieur Beaucaire (1924), etc. C’est que cet émigrant italien a encore une masse de fans, malgré que la diminution de celle-ci avait fait chuté sa côte au box-office, amenant par conséquent son studio, la Paramount, à ne pas gêner son départ pour la United Artists (fondée en 1919 par la crème des crèmes : Pick- ford, Fairbanks, Chaplin et Griffith), après l’échec (fin 1925) rencontré par Cobra. Son corps est ramené vers Hollywood (où l’attend son tombeau au Memorial Park Cemetery) par un train spécial. Celui-ci est accueilli à chaque gare par des veuves voilées à la larme ruisselante et fleurs à la main. Et à ses funérail- les grandioses, 40 000 personnes sont présentes. De même que la police dénombre douze suicides de femmes (et d’hommes…) à travers le monde ! Notons que « l’amant du monde » est aussi surnommé « la houppette rose » ! En catimini, porté (aussi) sur les garçons, il avait épousé suc- cessivement deux « officielles » de Nazimova (figure de « mère fondatrice » du Hollywood lesbien !). À ces funé- railles, transformées en scènes d’émeute (une femme est même sauvée in extremis : cette dernière s’étant tranchée les veines sur la tombe du défunt), on remarque l’absence de l’ambivalente Pola Negri, dernière compagne de ce grand séducteur, en ce 7 septembre 1926. Face à l’événement, une précédente cérémonie avait eu lieu à New York le 31 août. Là, Miss Negri était présente, toutes voiles dehors. L’Amérique toute entière en deuil ignore que non loin de là, l’un des mythes les plus universels du cinéma vient de naître sous les sunlights : le « team » Laurel et Hardy. Le petit et le gros. Les rois du burlesque. En cette « grande ère de la comédie », ce duo comique s’est formé pour les besoins de 45 Minutes from Hollywood. Hollywood qui, ne se doutant de rien, ne sait pas qu’un autre événement 17
capital est en marche, qu’une étoile (aux yeux bleus) vient de naître à deux pas des studios et qu’elle forgera l’histoire et la gloire du cinéma américain en devenant l’une des reines de l’écran sous le pseudonyme de Marilyn Monroe. On y arrive enfin ! Pour l’instant, celle-ci se nomme encore Norma Jean Mortenson et a vu le jour le 1er juin 1926, à 9 heures 30 du matin, dans la salle de charité de General Hospital, dans la périphérie nord-est de Los Angeles. Son signe zodiacal est Gémeaux, ascendant Lion. « Je suis née sous le signe des Gémeaux, c’est un si- gne cérébral. » Sur le certificat de naissance de l’état civil, la paternité est reconnue par Edward Mortenson. Il porte à son sujet la mention « ADRESSE INCONNUE ». C’est que cet ouvrier émigré norvégien a abandonné la mère de l’enfant, pour- tant sa légitime depuis le 11 octobre 1924. Il se tuera, à 32 ans, dans un accident de moto, le 18 juin 1929. C’est pour ainsi dire tout ce que l’on sait de ce père « officiel ». Car selon des témoins proches de la génitrice, le géniteur serait un certain Charles Gifford (que Marilyn tentera de ren- contrer à plusieurs reprises). Un employé aux Consolidated Film Industries, tout comme la maman, où elle émarge sur les feuilles de paie en qualité de « décou- peuse de négatifs ». Pour la jeune maman, née le 27 mai 1902, Norma Jean est le troisième enfant qu’elle met au monde. Il succède à Jack (né en 1918, décédé depuis) et à Berniece (née en 1919), élevés par leur père John Baker. Ce dernier, la pré- nommée Gladys, la mère de Norma Jean, l’avait épousé en premières noces, le 17 mai 1917, avant de demander le divorce en juin 1921. Soit cinq années avant que Norma Jean – Mortenson et non Baker – ne voit le jour. 18
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