LT-06-05-2020 - A Singapour, le traçage par app dégénère en surveillance de masse

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LT-06-05-2020 - A Singapour, le traçage par
app dégénère en surveillance de masse

TECHNOLOGIE
LT-06-05-2020-Premier pays à avoir lancé le
pistage du virus par smartphone de manière
volontaire, Singapour lance un nouveau
service liberticide, baptisé SafeEntry. La
Suisse peut en tirer des leçons

    Singapour lance désormais une application obligatoire pour fréquenter des lieux
     publics, mais bientôt aussi pour se rendre dans des centres commerciaux. — ©
                                                               Roslan Rahman/AFP

                Anouch Seydtaghia
Publié mercredi 6 mai 2020 à 18:21
Modifié jeudi 7 mai 2020 à 09:33

Ce vendredi 8 mai sera une date importante dans la lutte
contre le coronavirus en Suisse. Le Conseil fédéral
devra débattre de l’application pour tracer les personnes
porteuses de la maladie et présenter son plan d’action. Le
programme, développé notamment par l’EPFL, pourrait
être testé sur un nombre restreint de personnes dès la
semaine prochaine, avant un possible lancement pour le
grand public fin mai. D’ici là, il vaut la peine de s’intéresser
à Singapour. Un temps loué pour sa rapidité à lancer une
application similaire, ce pays d’Asie a subitement mis en
place un système de surveillance à large échelle.

En lançant le 20 mars son application, Singapour est l’un
des premiers, si ce n’est le premier Etat – Chine mise à part
– à lancer un programme de traçage du virus. Le
programme TraceTogether, développé par l’Etat, est
proposé de manière volontaire et anonyme. Il se base sur la
technologie Bluetooth pour détecter si deux individus sont
restés à proximité l’un de l’autre durant plus de quinze
minutes. Singapour a lancé TraceTogether après avoir fermé
partiellement ses frontières et imposé des mesures de
quarantaine aux voyageurs.

Attaque contre la Suisse
Le 15 mars, avant le lancement de son application,
Lawrence Wong, ministre du Développement national, s’en
est pris à la Suisse et au Royaume-Uni, où les infections
sont en hausse: «C’est comme si ces pays avaient
abandonné toute mesure pour contenir ou limiter la
propagation du virus.» Singapour n’enregistre alors qu’une
vingtaine de nouvelles infections par jour.

La suite sera beaucoup plus compliquée. De nombreux
experts pensaient que les Singapouriens, réputés pour leur
discipline, leur acceptation des règles et leur utilisation
importante des technologies, allaient utiliser en masse
TraceTogether. Il n’en est rien: un peu plus d’un million de
personnes la téléchargent, soit environ 20% des 5,6 millions
habitants de la cité-Etat. On est loin des 60% espérés, un
taux jugé par de nombreux scientifiques comme nécessaire
pour endiguer la propagation du virus.

Lire aussi: Application de traçage: le parlement exige une
base légale solide

Une foi ébranlée
Un autre problème survient: l’explosion du nombre de
contaminations. Dès le 6 avril, Singapour décrète un semi-
confinement. Mi-avril, plusieurs centaines de nouveaux cas
sont enregistrés chaque jour, avec un pic à plus de 1400
unités le 20 avril. Plusieurs raisons sont avancées. D’abord,
les conditions de vie difficiles de centaines de milliers de
travailleurs immigrés: ils habitent dans une telle
promiscuité que l’application se révèle inutile pour tenter
de juguler la pandémie. Singapour découvre aussi que de
nombreuses personnes âgées n’ont pas de smartphone ou ne
savent pas télécharger une application.

La foi absolue dans la technologie s’ébranle. Le 11 avril,
Jason Bay, directeur des services numériques
gouvernementaux de Singapour, écrivait ceci: «Si vous me
demandez si un système de traçage des contacts via
Bluetooth […] est prêt à remplacer la recherche manuelle
des contacts, je vous répondrai sans réserve que non.» Il
faut donc en parallèle interroger une à une les personnes
malades pour retracer leurs parcours et identifier celles et
ceux qu’elles auraient pu infecter.

Lire également: Sept questions sur la future application de
traçage du coronavirus

Déplacements sous surveillance
Mais le 21 avril, le premier ministre, Lee Hsien Loong,
insiste: «Nous devons utiliser pleinement la technologie
pour retracer le parcours des personnes infectées par le
virus.» Fini la base volontaire. La cité-Etat annonce une
mesure drastique: l’obligation de s’enregistrer lorsque l’on
pénètre dans un bâtiment public, via le système SafeEntry.
Depuis le 23 avril, les Singapouriens doivent scanner, avec
leur smartphone, un code QR lorsqu’ils entrent et qu’ils
sortent d’un tel bâtiment. Cette obligation sera étendue aux
centres commerciaux et aux entreprises dès le 12 mai. Et le
gouvernement veut aussi que les gares et les parcs soient
équipés de tels lecteurs de codes QR.

Ainsi, le système central obtiendra les coordonnées
complètes – du nom au numéro de téléphone – des
Singapouriens qui fréquentent ces lieux. SafeEntry diffère
ainsi de TraceTogether sur deux points majeurs: d’abord,
son caractère obligatoire, comme on vient de le voir –
même si un haut responsable de la Santé vient de demander
que TraceTogether devienne obligatoire. Ensuite, la qualité
des données récoltées diffère: la première application
lancée fonctionne de manière anonyme – ni le nom, ni la
localisation des personnes n’étant révélés. SafeEntry ne
semble pas avoir suscité, pour l’heure, de critiques.
Système décentralisé
Alors que la Suisse s’apprête à lancer son application,
l’exemple singapourien peut ainsi être éclairant. Même si la
situation n’est pas totalement la même. La Suisse va utiliser
un système le plus décentralisé possible (DP3T). Ce
système sera élaboré sur la base d’une plateforme technique
ad hoc développée par Google et Apple qui facilitera son
utilisation, notamment pour Bluetooth. Et il ne sera jamais
question – le Conseil fédéral l’a répété mardi – de rendre
cette application obligatoire. Une application qui ne
remplacera jamais un traçage manuel des malades, effectué
par des médecins dans chaque canton pour retracer le
parcours des personnes positives au virus. Une position
partagée par l’OMS qui a indiqué mercredi que ces
applications «ne remplaceront pas» le travail
d’investigations menées par des humains. L’organisation a
estimé qu’elles ne feront «qu’aider» face à la pandémie.

LT-06-05-2020-Application de traçage: le parlement

exige une base légale solide
TECHNOLOGIE
Le Conseil national et le Conseil des Etats
veulent qu’une loi spécifique soit conçue, ce
qu'a jusqu'à présent refusé le Conseil fédéral.
Sur le plan technique, il reste aussi encore du
travail

   Réunion extraordinaire du parlement dans la halle d’exposition de Berne, le 4 mai
                                                        2020. — © keystone-sda.ch

                Anouch Seydtaghia
Publié mardi 5 mai 2020 à 20:28
Modifié mercredi 6 mai 2020 à 07:42

L’application de traçage des personnes infectées par le
coronavirus sera-t-elle lancée mi-mai? Rien n’est moins sûr.
Et en tout cas pas pour le grand public. Le Conseil des Etats
exigeait lundi soir une base légale et le Conseil national l'a
imité mardi dans la soirée. En face, le Conseil fédéral
insistait: il faut faire vite et une nouvelle loi ne serait pas
nécessaire.
Cette application pour smartphone se heurte ainsi à des
écueils sur le terrain politique, alors que tous les obstacles
sur le plan technique ne sont pas non plus écartés. A Berne,
le gouvernement veut agir rapidement: le Conseil fédéral
assure que toutes les réserves émises par les sénateurs ont
déjà été prises en compte et que l’application sera sûre. «Il
est urgent et important que l’application soit disponible le
plus rapidement possible afin de soutenir l’assouplissement
progressif du confinement», avait écrit le gouvernement en
réponse à une demande de la Commission des institutions
politiques du Conseil des Etats. Mardi soir, Alain Berset l'a
répété devant les élus.

«Une période courte»
Ce sentiment d’urgence ne doit pas empêcher le parlement
de légiférer, ont rétorqué les sénateurs. Le Conseil
des Etats l’a exigé par 32 voix contre 10 dans une motion et
le National l'a imité par 127 voix contre 55. Une loi doit
permettre de clarifier l’impact d’une telle application sur la
vie privée des utilisateurs. Il faudra aussi écrire dans une loi
que son utilisation se fera sur une base totalement
volontaire. Enfin, les données personnelles ne devront pas
être stockées de manière centralisée, ont demandé les
sénateurs.

Ces trois points ont déjà été abordés et il n’y a aucune
ambiguïté à ce sujet, affirme le Conseil fédéral. Le fait que
l’application est en grande partie développée et testée par
l’EPFL et l’EPFZ est aussi une garantie du sérieux du
projet. Dans sa réponse à la commission, le Conseil fédéral
précisait qu’il pouvait «agir dans le cadre de ses
compétences en matière de droit sur les épidémies»,
ajoutant qu’il «entend limiter son ordonnance à une période
relativement courte».

Discussion vendredi
Quelle sera la suite? Le Conseil fédéral doit discuter de
cette application de traçage vendredi et sans doute
communiquer sa position le même jour. Comme le
gouvernement espère un taux d’acceptation de la population
le plus haut possible – ce qui ne pourra se faire sans doute
qu’en fournissant le maximum de garanties –, il va plancher
sur une nouvelle loi, qui devra être soumise au parlement
lors de la session de juin. D'ici là, il se basera sur la
législation actuelle pour lancer une phase de test, sans doute
la semaine prochaine, mais auprès d'une communauté
réduite d'utilisateurs en Suisse. Ensuite viendra le temps
d'une base légale spécifique.

Lire aussi: Sept questions sur la future application de
traçage du coronavirus

Un lancement de l’application en Suisse la semaine
prochaine semble ainsi peu probable. D’autant plus que, sur
le plan technique, elle n’est pas terminée. Testée notamment
de manière intensive par les spécialistes de l’EPFL, elle
pourrait être prête la semaine prochaine dans le cadre d’une
première version test. Une version définitive ne serait prête
que quelques jours plus tard.

Ajoutons que, toujours sur le plan technique, les
développeurs de l’application doivent encore travailler avec
Google et Apple. Les deux géants américains, qui doivent
faciliter la création et l’utilisation d’applications de traçage,
ont déjà rendu publique une partie des API (interfaces de
programmation d’application) pour ces programmes. Des
captures d’écran d’applications qui pourraient ainsi être
créées ont aussi été montrées par Apple et Google. Mais
une discussion entre ces deux sociétés et les développeurs –
dont l’EPFL et l’EPFZ – doit encore avoir lieu ces
prochains jours.

En France le 2 juin
De son côté, en France, l’application StopCovid sera prête
le 2 juin pour accompagner le déconfinement, sans avoir
recours aux plateformes d’Apple et de Google, a annoncé
mardi le secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Cedric O.
Le premier ministre, Edouard Philippe, a réaffirmé mardi
vouloir soumettre ce projet à un débat suivi d’un vote à
l’Assemblée nationale «lorsque l’application en cours de
développement fonctionnera et avant sa mise en œuvre».
«Nous avons refusé» les solutions d’Apple et de Google
«qui posent selon nous un certain nombre de problèmes en
termes de protection de la vie privée et en termes
d’interconnexion avec le système de santé», a expliqué
Cédric O.

LT-27-04-2020 - Sept questions sur la future

application de traçage du coronavirus
TECHNOLOGIE
La Suisse pourrait lancer son application de
pistage du virus aux alentours du 11 mai. Ce
programme pour smartphone, qui sera
proposé sur base volontaire, pose de
nombreuses questions techniques, mais
surtout autour du respect de la vie privée

      La future application doit permettre de retrouver, de manière anonyme, tous les
téléphones côtoyés durant une période de contagion, durant dix à quinze minutes et à
                                        environ 2 mètres. — © Petra Orosz/Keystone

                Anouch Seydtaghia
Publié lundi 27 avril 2020 à 10:53
Modifié lundi 27 avril 2020 à 16:30

Ce sera peut-être dans quelques jours. Ce sera peut-être
jamais. Impossible de prévoir quand ou même si la Suisse
lancera une application pour tracer le virus. Les préparatifs
pour développer un tel système avancent extrêmement vite.
Mais en parallèle s’intensifie un débat sur la pertinence
d’une telle application, sur son utilité pour lutter contre la
pandémie et son respect de la vie privée. De concert avec
l’EPFL et l’EPFZ, l’Office fédéral de la santé publique
(OFSP) estime qu’un tel programme pourra être prêt d’ici
au 11 mai – ce qui ne veut pas forcément dire qu’il sera
lancé en Suisse à cette date. D’ici là, des milliers de
questions se posent sur cette application. Nous en avons
retenu sept.

■ Comment fonctionnera
l’application?
Le programme sur smartphone aura un seul but: vous
avertir si vous avez été en contact rapproché, durant la
période de contagion, avec une personne porteuse du virus.
Supposez que vous vous appelez Maria. Vous avez
téléchargé cette application, tout comme Marcelo, Jonathan
ou encore Dora. Vous ne les connaissez pas forcément: vous
les croisez dans le train, dans des magasins, voire, bientôt,
au restaurant. Un jour, Marcelo présente les symptômes du
virus. Il se fait tester: le résultat est positif. Tous les
téléphones que Marcelo a côtoyés durant sa période de
contagion, durant dix à quinze minutes et à environ 2
mètres reçoivent une alerte. Un professionnel de la santé a
donné un code à usage unique à Marcelo, que ce dernier a
choisi librement d’entrer dans son téléphone.

Maria, Jonathan et Dora apprennent ainsi qu’ils ont
fréquenté de manière rapprochée un porteur du virus. Ils
devront ensuite appeler une hot-line médicale. Le but, c’est
ainsi de casser le plus vite possible la chaîne de
contamination en isolant rapidement des porteurs possibles
de la maladie.

L’ensemble doit être totalement anonyme: Maria, Jonathan
et Dora ne devront jamais savoir que c’est Marcelo qui a été
testé positif. Comment est-ce possible? Car chacun de leurs
téléphones crée un identifiant unique – par exemple
892HGGFE204 –, qui est modifié toutes les quinze
minutes. Les téléphones utilisent la technologie sans fil
Bluetooth pour communiquer leurs identifiants uniques et
temporaires. Ces codes doivent être stockés dans les
téléphones. A posteriori, il est possible pour les
smartphones de Maria, Jonathan et Dora de se souvenir
qu’ils ont été proches de Marcelo un certain jour. Sans que
jamais son nom soit révélé, ni l’heure du contact, par
exemple.
■ Pourquoi parle-t-on maintenant de
cette application?
Une fois le pic de l’épidémie dépassé – ce qui semble être
le cas en Suisse –, cette application doit être un moyen de
retracer le parcours de chaque malade pour casser toute
chaîne de contamination. En mars, les cas étaient si
nombreux que le système de santé aurait été saturé par le
nombre d’alertes. Vendredi, il y a eu officiellement 181 cas
de coronavirus, samedi 217. Les spécialistes estiment que
plus le nombre de cas quotidiens sera faible, plus
l’application sera efficace. Et cette dernière, qui doit
s’inscrire dans une palette large de mesures décidées par les
autorités, n’est de toute façon pas encore techniquement
prête.

Lire aussi: L’application pour tracer le virus sera prête le
11 mai en Suisse

■ Le téléphone est-il un moyen fiable
de tracer le virus?
Cela dépend beaucoup du Bluetooth. A l’origine conçue
pour la transmission de données sur plusieurs dizaines de
mètres, cette technologie serait alors employée dans un but
tout autre. «Nous calibrons les mesures reçues par
Bluetooth et n’utilisons que celles dont nous estimons la
distance proche et le contact long, soit entre dix et quinze
minutes», assure Edouard Bugnion, vice-président de
l’EPFL et membre du groupe de travail de la Confédération
intitulé «Epidémiologie numérique».

■ Quand l’application sera-t-elle
prête?
A l’origine, l’EPFL collaborait au projet de recherche
PEPP-PT regroupant 130 organismes de huit pays
européens. Mais l’établissement lausannois, comme
l’EPFZ, a estimé que le système serait trop centralisé,
présentant des risques pour la vie privée des utilisateurs. Il
est d’ailleurs en train d’être abandonné par tous, y compris
l’Allemagne, comme on l’a appris ce dimanche. Les deux
écoles sont devenues des piliers d’un autre projet, DP-3T,
où davantage de données sont stockées dans les téléphones.
La France travaille sur un autre projet, baptisé Robert,
proche du PEPP-PT – mais ce projet pourrait lui aussi être
abandonné. Il est possible que les applications soient
interopérables.
Pour qu’une telle application soit efficace, il
faudrait qu’une part considérable de la
population la télécharge et l’emploie au
quotidien
Rodolphe Koller, responsable du site spécialisé ICTjournal
La semaine dernière, l’OFSP a affirmé qu’elle opterait pour
le projet DP-3T, qui sera achevé d’ici au 11 mai. Mais
personne ne sait quand l’application qui en découlera sera
disponible. La semaine passée, sur le site de l’EPFL, une
dizaine de soldats ont testé le système. Ils simulaient des
situations au restaurant ou dans un train et étaient équipés
d’un smartphone avec l’application en test. «L’objectif était
de valider les algorithmes qui nous permettent de calculer la
distance entre les personnes», affirmait Alfredo Sanchez,
chef de projet d’intégration DP-3T.

Lire aussi: L’EPFL se distancie du projet européen de
traçage du virus via les téléphones

■ Apple et Google ont-ils un rôle à
jouer?
Un rôle majeur. «Notre protocole a été développé
indépendamment d’Apple et de Google et nous
commençons un essai pilote avant les nouvelles
fonctionnalités promises dans leurs systèmes iOS et
Android. Cela dit, notre solution, comme toutes les
solutions Bluetooth, se heurte à des limitations techniques»,
concède Edouard Bugnion. C’est simple: aucun smartphone
tournant avec le système iOS n’autorise le Bluetooth à être
utilisé en permanence par une application, notamment pour
des raisons de sécurité. Sans la levée de cette restriction,
impossible d’utiliser une application de traçage du virus de
manière fiable.

L’affaire est si importante que, ces derniers jours, le
commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton,
a parlé de ce problème majeur avec Tim Cook, directeur
d’Apple. Il s’est aussi entretenu avec Sundar Pichai,
directeur de Google. Les deux géants américains, qui ont
annoncé mi-avril une coopération inédite contre le virus,
vont sans doute assouplir leurs systèmes. «Et la bonne
nouvelle, c’est que nous pourrons adopter les interfaces de
programmation d’iOS et d’Android sans devoir changer
l’architecture de notre système, pour garantir la sécurité et
le respect de la sphère privée», affirme Edouard Bugnion.
Apple et Google s’inspirent officiellement du DP-3T, ce qui
est une belle preuve de reconnaissance pour l’EPFL. Les
deux sociétés doivent proposer une nouvelle version de test
de leurs systèmes cette semaine.

■ Le respect de l’anonymat est-il
garanti?
Question majeure. Plusieurs ingénieurs et défenseurs de la
vie privée émettent des doutes. Sur le site web Risques-
tracage.fr, des chercheurs, dont le professeur en
cryptographie de l’EPFL Serge Vaudenay, avertissent: les
risques de dérives existent. Voici un extrait des exemples
fictifs qu’ils mentionnent:

 • Il risque d’y avoir de fausses alertes (comme une
   détection à travers un mur).
 • Une personne qui ne fréquente que son épicier et qui
   reçoit une alerte pourra en déduire que son épicier est
   malade.
 • Une entreprise qui veut savoir si un candidat à un poste
   est malade: le recruteur pourrait placer son téléphone
   (employé uniquement pour cet usage) près du candidat et
   attendre plusieurs jours pour savoir s’il était malade.
 • En détectant les signaux Bluetooth, un centre commercial
   pourrait savoir qui utilise l’application. Et interdire l’accès
   à ceux qui ne l’utilisent pas.
Sur la question de l’anonymat, Edouard Bugnion répond
ceci: «L’application a pour but de permettre à des personnes
qui ne se connaissent pas nominalement de communiquer
«après coup» et de manière anonyme. Si le message
n’indique pas la source (il indique juste le jour du contact à
risque), la personne qui le reçoit peut bien évidemment
spéculer sur la personne qui pourrait être positive. Mais
cette application est destinée à être déployée de manière à
compléter la traçabilité clinique des contacts connus selon
les protocoles des médecins cantonaux et de la loi sur les
épidémies. Dans les cas où on peut spéculer sur l’identité
du malade, la personne devrait normalement être contactée
par les autorités de santé publique de toute façon.»

■ Sera-t-on obligé de télécharger
cette application?
Non, a affirmé Alain Berset, conseiller chargé du
Département fédéral de l’intérieur. «Mais pour qu’une telle
application soit efficace, il faudrait qu’une part considérable
de la population la télécharge et l’emploie au quotidien,
estime Rodolphe Koller, responsable du site spécialisé
ICTjournal. On parle de 60% de pénétration, soit autant que
WhatsApp, l’application la plus populaire en Suisse. Si
l’adoption est très inférieure, le système se révélera inutile.
Pour y remédier, les autorités pourraient être tentées de
rendre l’app obligatoire ou d’inciter fortement la population
à l’utiliser, par exemple en limitant les lieux accessibles aux
personnes qui ne l’auraient pas en activité sur leur
téléphone.»

En face, Edouard Bugnion reconnaît qu’il «est important
d’atteindre, sur une base volontaire, une densité de
déploiement à l’intérieur des diverses communautés de
proximité, comme les collègues de travail ou les
pendulaires CFF. Cela permettra de réduire le facteur de
reproduction de l’épidémie.» Mais le vice-président de
l’EPFL remarque aussi que «l’application autrichienne a été
téléchargée 400 000 fois en deux semaines, alors que la
technologie est encore en développement. C’est bon signe.»

Jeudi, un sondage mené par Deloitte auprès de 1500 Suisses
indiquait que 30% soutiennent sans réserve le traçage du
virus par smartphone, 34% y sont plutôt favorables, 22% le
rejettent plutôt et 14% le rejettent catégoriquement.

Le parlement, en session dès le 4 mai, va très certainement
se saisir de ce dossier pour le moins explosif.
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