Analyse de l'économie politique du Mali - Perspectives sur les programmes de sécurité alimentaire - Research Technical ...
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MISNUMA/Marco Dormino RESEARCH TECHNICAL ASSISTANCE CENTER Décembre 2019 Analyse de l'économie politique du Mali Perspectives sur les programmes de sécurité alimentaire Ousmane MAIGA, Moctar TOUNKARA, Seydou DOUMBIA, Hamadoun SANGHO
Remerciements Cette étude a été menée en collaboration avec l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, et avec le Département d’Enseignement et de Recherche en Santé Publique de la Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie de Bamako, en partenariat avec le Centre d’Assistance Technique et de Recherche de NORC, de l’Université de Chicago, grâce au financement du bureau Food For Peace de l’USAID Mali. Nous remercions toutes les parties prenantes, à savoir : le Gouvernement du Mali (en particulier, le Ministère de l’Administration Territoriale, le Commissariat à la Sécurité Alimentaire, le Système d’Alerte Précoce, l’Observatoire du Marché Agricole, la Direction Nationale du Développement Social, la Direction Générale de la Santé et de l’Hygiène Publique, la Direction Nationale de l’Agriculture, de la Pêche, de la Production et de l’Industrie Animale, des Domaines et du Cadastre, du Commerce, de la Concurrence et de la Consommation, les Directions Régionales de la Santé, du Développement Social des régions de Mopti, Tombouctou, Gao et Ségou), les populations des régions de Mopti, Tombouctou, Gao et Ségou. Nous souhaitons en particulier remercier et exprimer toute notre gratitude à Gabriela Alcaraz Velasco, Directrice de recherche, pour son travail de supervision, de suivi et d’évaluation du rapport, depuis l’élaboration du protocole jusqu’à la rédaction finale, ainsi qu’à toute l’équipe du Centre d’Assistance Technique et de Recherche de NORC de l’Université de Chicago. Nous remercions le bureau de Food For Peace de l’USAID, qui a financé ce projet et qui nous a accompagnés et soutenus tout au long de ce travail. Research Technical Assistance Center Le Centre d'assistance technique à la recherche (Research Technical Assistance Center) est un réseau de chercheurs universitaires qui génèrent des données de recherche opportunes pour l'USAID afin de promouvoir des politiques et des programmes fondés sur des données probantes. Le projet est dirigé par NORC à l'Université de Chicago en partenariat avec l'Arizona State University, le Centro de Investigación de la Universidad del Pacifico (à Lima, au Pérou), Davis Management Group, le DevLab@Duke University, Forum One, l'Institute of International Education, Notre Dame Initiative for Global Development, Population Reference Bureau, Resilient Africa Network à la Makerere University (à Kampala, en Uganda), United Negro College Fund, l'Université de Chicago et l'Université de l'Illinois à Chicago. Le Centre d'assistance technique à la recherche (RTAC) a été créé grâce au soutien du peuple américain par le biais de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) en vertu du contrat n° 7200AA18R00023. Ce rapport a été produit par des chercheurs de l'Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako (USTTB), sous la seule responsabilité du RTAC et du NORC de l'Université de Chicago, et ne reflète pas nécessairement les vues de l'USAID ou du gouvernement américain. Citation suggérée Maiga et al. 2019. Analyse de l'économie politique du Mali. Research Technical Assistance Center: Washington, DC.
Synthèse La sécurité alimentaire est intrinsèquement un sujet interdisciplinaire qui implique un large éventail de parties prenantes. Les institutions publiques et privées spécialisées dans, entre autres, l'agriculture, la gouvernance, le développement économique, les marchés, la nutrition, la santé, la protection de l'environnement, participent activement aux efforts de réduction de l'insécurité alimentaire et de la dénutrition au Mali. Ces parties prenantes opèrent toutes dans un cadre institutionnel et politique complexe, leur mandat étant régi par un grand nombre de politiques, stratégies et lois. Certaines des politiques adoptées par le gouvernement du Mali (GdM) ces dernières années ont représenté des étapes importantes vers un cadre cohérent pour la stratégie de sécurité alimentaire, tandis que d'autres restent incohérentes dans leur contenu, leur mécanisme et leur mise en œuvre. De même, il existe un grand nombre de programmes de développement financés et mis en œuvre par des entités privées, publiques et internationales dans le centre du Mali. En théorie, ces programmes s'inscrivent dans le cadre général du GdM pour la stratégie de développement, mais, dans la pratique, la coordination et la mise en œuvre sont difficiles et sont encore affectées par la survenue de conflits et l'insécurité qui ont réduit la présence de ces acteurs dans de nombreux domaines et l'émergence d'autorités non étatiques dotées de leur propre programme. Ce rapport présente des éléments du contexte local à Gao, Mopti, Ségou et Tombouctou qui peuvent avoir un impact sur les programmes de sécurité alimentaire. Il donne également un aperçu des institutions et des dynamiques qui sont à la base de l'interaction entre les parties prenantes concernées.
Table des Matières Remerciements ................................................................................................................................................................................... 2 Research Technical Assistance Center......................................................................................................................................... 2 Citation suggérée ............................................................................................................................................................................... 2 Synthèse 3 Table des Matières 4 Table des Chiffres clés 6 Table des Graphiques 6 Liste d’acronymes 7 1. Introduction 8 Contexte .............................................................................................................................................................................................. 8 L'état de l'insécurité alimentaire et nutritionnelle ..................................................................................................................... 8 Approche méthodologique .............................................................................................................................................................. 9 2. Facteurs contextuels ayant une incidence sur les programmes de sécurité alimentaire 10 Économie basée sur l'agriculture ................................................................................................................................................. 10 Caractéristiques et normes culturelles de la population ....................................................................................................... 10 Accès à la terre et gestion des terres ........................................................................................................................................ 12 L'accès au crédit ............................................................................................................................................................................... 13 L'accès aux services sociaux de base .......................................................................................................................................... 14 Conflit and insécurité ...................................................................................................................................................................... 16 3. Règles formelles et informelles et dynamiques affectant la sécurité alimentaire 19 Paysage politique lié à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ........................................................................................... 19 Rôles des institutions liées à la politique et à la programmation de la sécurité alimentaire ........................................ 24 Décentralisation et processus de décision : acteurs locaux. ................................................................................................ 27 Coordination des actions entre les différents acteurs ........................................................................................................... 31
Limites des politiques existantes .................................................................................................................................................. 32 Références 35 Annexe 1. Politiques relatives à la sécurité alimentaire 39 Annexe 2. Activités de développement orientées vers les jeunes 45
Table des Chiffres clés Tableau 1. Insécurité alimentaire et malnutrition infantile par région, 2018 ........................................ 9 Tableau 2. Prévalence de la pauvreté dans les régions ciblées, 2018 - 2019 ......................................... 12 Tableau 3. Lois relatives au régime foncier. ............................................................................................ 21 Tableau 4. Acteurs du secteur public liés à la politique et à la programmation de la sécurité alimentaire ................................................................................................................................................. 24 Tableau 5. Responsabilités des gouvernements locaux .......................................................................... 25 Tableau 6. Non-governmental actors related to food security policy and programming ................... 26 Tableau 7. Politiques relatives à la sécurité alimentaire ........................................................................ 39 Tableau 8. Activités de développement orientées vers les jeunes ........................................................ 45 Table des Graphiques Graphique 1. Zones de conflit et d'insécurité et vue d'ensemble des principaux groupes ethniques 17
Liste d’acronymes AMO Assurance Maladie Obligatoire Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires de l'Organisation des BCAH Nations Unies CREDD Cadre stratégique pour la Relance et Développement Durable DCPND Document Cadre de Politique Nationale de Décentralisation EEI Engins Explosifs improvisés EHA Eau Hygiène et Assainissement ENP Etude Nationale Prospective FCFA Franc de la Communauté Financière Africaine FEFA Femmes Enceintes et Allaitantes GIE Groupements d’Intérêt Economiques LOA Loi d’Orientation Agricole MAM Malnutrition Aigüe Modérée MAS Malnutrition Aigüe Sévère OMS Organisation Mondiale de la Santé ONG Organisation Non Gouvernementale OP Organisations Paysannes PAM Programme Alimentaire Mondiale PBSG Planification et Budgétisation Sensible au Genre PDSEC Plan de Développement Economique et social PIB Produit Intérieur Brut PolSAN Politique Nationale de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle PRP Priorités Résilience du Mali RAMED Régime d'Assistance Médicale SOMAGEP Société Malienne de Gestion d’Eau Potable UNICEF Fond des Nations Unies pour l’Enfance USAID Agence Américaine pour le Développement Internationale Analyse de l'économie politique du Mali 7
1. Introduction Contexte Au Mali, la sécurité alimentaire et nutritionnelle reste un obstacle au développement. La situation dans les régions de Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao est particulièrement préoccupante, car elles figurent parmi les régions du pays où l'insécurité alimentaire et la malnutrition infantile sont les plus élevées. La forte dépendance de la population aux moyens de subsistance agricoles, les crises liées aux facteurs climatiques, à l'accès aux ressources naturelles (la terre en particulier), le conflit et l'insécurité constituent des menaces majeures pour la sécurité alimentaire. Dans ces zones, ces facteurs affectent la capacité de la population à produire et/ou à accéder aux aliments. En outre, les offres d’emploi et les opportunités sont limitées ce qui nuit au développement global dans ces quatre régions. Le Gouvernement du Mali (GdM) dispose d'un certain nombre de politiques, stratégies et plans visant à soutenir la production agricole (cultures, élevage, pêche), l'accès aux ressources naturelles (notamment la terre et l'eau), l'agroalimentaire et le commerce, la protection sociale, la promotion de la femme, la réduction de la pauvreté et la réalisation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ces politiques façonnent la manière dont les différents acteurs, des communautés aux bailleurs de fond et aux organisations internationales, interagissent ou participent au système alimentaire et, en général, au développement global. En dépit de cette abondance de directives décrivant les priorités de développement du pays, les faiblesses dans la mise en œuvre se traduisent par des progrès limités vers la réalisation des objectifs de développement, tels que la réduction de la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la malnutrition. La mauvaise gouvernance et la persistance des conflits et de l'insécurité limitent encore la capacité de l'État et des acteurs du développement à atteindre de nombreuses régions du pays. L'objectif de ce rapport est de documenter les éléments de l'économie politique liés à la sécurité alimentaire dans les régions de Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao. D'autres réflexions seront menées sur des questions liées au développement des jeunes, à l'accès aux services de base et à la gestion des ressources naturelles. Le rapport est structuré comme suit : le reste de ce chapitre donne un bref aperçu de l'état de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition dans les quatre régions ciblées et un aperçu méthodologique. Le chapitre 2 identifie les facteurs contextuels qui influencent l'espace de sécurité alimentaire. Le chapitre 3 présente les règles et dynamiques formelles et informelles qui façonnent les processus et les résultats liés à la sécurité alimentaire. Le chapitre 4 présente quelques recommandations fondées sur les informations recueillies et, enfin, le chapitre 5 présente les conclusions de l'analyse. L'état de l'insécurité alimentaire et nutritionnelle Fin 2018, les régions de Mopti, Tombouctou et Gao présentaient une proportion plus élevée de ménages connaissant une insécurité alimentaire modérée ou grave, par rapport au niveau national (Tableau 1). La région de Ségou enregistre le niveau le plus bas parmi les quatre régions, bien en dessous de la moyenne nationale (15,6 contre 19,1 %). Divers facteurs tels que la pauvreté, la hausse des prix Analyse de l'économie politique du Mali | Décembre 2019 8
des denrées alimentaires, l'insécurité, le Tableau 1. Insécurité alimentaire et malnutrition infantile pillage, les conflits intercommunautaires, les par région, 2018 effets du changement climatique, les mouvements de population et la diminution de l'aide humanitaire ont contribué à Région Insécurité Retard de augmenter fortement l'insécurité alimentaire. alimentaire (% croissance chez de ménages) les enfants de En ce qui concerne la malnutrition, la moins de 5 ans dernière enquête démographique et sanitaire (%) (2018) a révélé que dans ces régions, une plus grande proportion d'enfants de moins de Gao 28,4. 33,4. 5 ans souffre de retard de croissance ou de malnutrition chronique, alors que la moyenne Mopti 34,0. 30,4. nationale est de 27 %. Gao est la région où la prévalence de la malnutrition chronique est Ségou 15,6. 28,6. la plus élevée (33,4 %)(INSTAT, 2019). La malnutrition infantile a des impacts notables Tombouctou 24,7 29,5 sur la performance économique du Mali. Elle Mali 19,1 27,0 entraîne une perte annuelle d'environ 266 milliards de francs CFA, soit environ Source : ENSAN Mali 2018, DHS 2018 4,06 % du PIB (AUC, 2017). Une des causes de la malnutrition provient des choix alimentaires faits par les ménages. Les préférences culturelles pour certains produits alimentaires conduisent à une faible diversité alimentaire car les ménages choisissent de consommer ces produits et non d'autres qui sont également disponibles localement (Agent, Développement Social, Gao). Approche méthodologique Cette analyse est basée sur l'analyse des documents portant sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ainsi que sur les informations recueillies lors de la collecte de données primaires. Cela permettra d'identifier le problème principal sur la question de la sécurité alimentaire et d'identifier les facteurs qui favorisent ou entravent la sécurité alimentaire, afin de formuler des recommandations. L'analyse repose sur l'hypothèse que la sécurité alimentaire dépend de la pertinence des politiques économiques et de la capacité des acteurs à agir dans l'intérêt public. Elle mettra en évidence les facteurs susceptibles de promouvoir ou d'entraver la mise en œuvre des réformes en cours. En outre, elle fournira des réponses aux questions fondamentales suivantes : Quels facteurs contextuels influencent les processus et les résultats en matière de sécurité alimentaire ? Quelles sont les dynamiques de pouvoir sociopolitiques, culturelles et économiques associées à l'insécurité alimentaire et à la dénutrition dans les zones d'intervention ? Comment l'insécurité alimentaire affecte-t-elle les conflits et vice versa ? Analyse de l'économie politique du Mali 9
Quelles sont les approches de partenariat et de développement possibles qui pourraient permettre aux plus vulnérables d'accroître leurs capacités de résilience ? 2. Facteurs contextuels ayant une incidence sur les programmes de sécurité alimentaire Les sections suivantes présentent un aperçu des facteurs contextuels ayant une influence sur l'économie politique de la sécurité alimentaire dans le pays et les régions concernés. Économie basée sur l'agriculture L'économie du Mali repose principalement sur le secteur agricole, qui contribue à hauteur de 36 pour cent au produit intérieur brut. Environ 80 pour cent de la population dépend, directement ou non, des les activités agricoles. En conséquence, le secteur agricole apparaît comme le moteur de la croissance et de la sécurité alimentaire au Mali (ECDPM, 2017). Cependant, dans les régions de Mopti, Tombouctou et Gao, les perspectives de l'agriculture sont limitées en raison des rendements très faibles et de son caractère vivrier. Une grande partie de la production est vendue par les agriculteurs pendant la récolte pour répondre à d'autres besoins (habillement, éducation, santé, remboursement de la dette...), car elle est leur principale source de revenus. Selon les informateurs clés, l'élevage du bétail, la vente de fourrage pour le bétail, les cultures maraîchères et les activités non agricoles comme le petit commerce, la fabrication de briques, la maçonnerie, la réparation des motocyclettes et la menuiserie sont d'autres activités génératrices de revenus courantes dans les régions ciblées. Les événements climatiques défavorables affectent la production agricole. La sécheresse, les inondations ou l'instabilité des précipitations affectent le rendement des cultures et des pâturages ainsi que la disponibilité de l'eau pour les populations et les animaux. Des crues soudaines provoquent également l'isolement de certaines zones du delta central du Niger et des lacs de Mopti, Tombouctou et Gao, ce qui rend la production et l'accès aux denrées alimentaires difficiles pour la population. Selon le profil de risque climatique du Mali, l'augmentation de la température, la baisse des précipitations et l'augmentation des températures ont déjà limité les capacités des organismes gouvernementaux et des communautés à gérer efficacement leurs ressources naturelles (USAID, 2018b). Un cycle rapide de désertification a réduit la superficie déjà limitée des terres arables, contribuant ainsi à l'augmentation des migrations internes (Pearson et al, 2013). Caractéristiques et normes culturelles de la population Les jeunes Le Mali a l'une des populations les plus jeunes du monde avec un âge médian de 16,2 ans (USAID, 2018b). Environ 65 pour cent de la population totale a moins de 24 ans (USAID, 2018b). La population totale est estimée à 19 419 009 habitants et croît à un taux de 3,6 pour cent par an. L'accès à l'emploi et au revenu constitue un défi majeur pour les jeunes. Compte tenu des possibilités économiques limitées, Analyse de l'économie politique du Mali | Décembre 2019 10
en particulier dans les zones rurales, beaucoup émigrent vers d'autres régions du Mali ou participent au conflit armé. Le conflit a également alimenté d'importants flux migratoires vers l'Afrique du Nord et l'Europe. La grande majorité des jeunes ne sont pas autonomes car ils n'exercent aucune profession et n'ont aucune source de revenus pour subvenir à leurs besoins. Certains d'entre eux se considèrent comme totalement dépendants de leurs parents, comme l'indique la déclaration suivante : « Nous ne sommes pas autonomes, pour être autonomes, il faut être capable de prendre soin de soi, c’est mauvais à dire, mais nous sommes comme des parasites car jusqu'à l'âge de 37 ans, vous vivez avec les parents. Donc nous sommes loin d'être autonomes, pour être autonome il faut avoir une source de revenus, mais un jeune entre 35 et 37 ans n'a rien à faire. C’est la mère qui le nourrit. » (Groupe, Jeunes, Ansongo). Les mouvements de population sont un phénomène courant. Ces mouvements peuvent être traditionnels ou inhabituels (plus grand nombre de départs que d'habitude) selon le moment, la région et le type de population. La majorité des jeunes garçons dans 93,8 pour cent des communautés migrent de façon saisonnière, tandis que les jeunes filles constituent 56,2 pour cent des migrants. Les migrations saisonnières sont importantes, en particulier à Gao (80 pour cent) (ENSAN, 2018). A la fin de l'hiver, les jeunes partent en exode (migration en grand nombre) pour couvrir les besoins du reste de l'année. Les destinations sont les sites miniers d'extraction d'or au sud du pays. L'exode rural est souvent planifié par les chefs de famille. La migration non traditionnelle touche une grande partie des communautés de Tombouctou (66,7 pour cent) (ENSAN, 2018). Les femmes/Genre Les femmes représentent 51 pour cent de la population du pays. Les normes culturelles défavorisent les femmes dans de nombreux cas. Comparées aux hommes, les femmes reçoivent moins d'éducation formelle et ne peuvent hériter de terres. Par conséquent, leur sécurité alimentaire et leurs possibilités de développement général sont entravées par les pratiques traditionnelles qui prévalent de nos jours. Dans l'ensemble, les femmes ont peu d'influence sur la prise de décision, comme l'a signalé un informateur à Mopti : « Les femmes sont très peu impliquées dans les prises de décisions. Généralement, la décision appartient à l’homme. Par exemple si la femme veut fréquenter un centre de santé, il faut que l’homme donne son accord d’abord, et même pour aller au marché ou à une réunion quelconque. L’implication des femmes dans les prises de décisions est très faible à Djenné car, Djenné est une ville de traditions et de religion. La femme n’a pas droit à la parole, à certaines activités. Elle n’a pas droit à être contactée et elle n’a pas droit à certaines informations. » (Agent, Développement Social, Djenné). Dépendance à l'égard de l'aide humanitaire La dépendance de la population à l'égard de l'aide humanitaire influencerait les choix et les priorités de certains ménages. Par exemple, à Gao, un informateur clé a noté que certains ménages préfèrent attendre de recevoir de l'aide plutôt que de chercher eux-mêmes des alternatives pour améliorer leur nutrition (Agent, Développement Social, Gao). Analyse de l'économie politique du Mali 11
Prévalence de la pauvreté Entre 2018 et 2019, environ 43,8 pour cent de la Tableau 2. Prévalence de la pauvreté dans les population malienne était considérée comme pauvre régions ciblées, 2018 - 2019 d'après les estimations de consommation (dépenses). Dans les zones rurales, la pauvreté a atteint 54,1 pour cent (EMOP, 2019). Par régions, la pauvreté était plus Région Pauvre (%) répandue à Mopti, Ségou et Gao (Tableau 2). Malheureusement, la pauvreté n'a pas diminué considérablement au cours de la dernière décennie, bien Gao 46,5 que de légères améliorations aient été enregistrées par rapport aux niveaux de 2013-2015 (47,2 pour cent) Mopti 56,6 (EMOP, 2019). Le cercle vicieux de la pauvreté est cité comme la cause Ségou 49,6 principale d'insécurité alimentaire. Afin de répondre à leurs besoins, les ménages/familles procèdent à la décapitalisation, en vendant leurs biens. Cela constitue Tombouctou 21,1 un obstacle à la production qui est le principal moyen de subsistance et la principale source de revenus. Ces Source : EMOP 2018-2019. facteurs économiques, outre leurs effets sur la production, affectent également le marché par le déséquilibre qu'ils créent entre l'offre et la demande de biens et influencent à la fois la disponibilité et l'accès aux denrées alimentaires. Accès à la terre et gestion des terres En général, les agriculteurs sont propriétaires des terres sur lesquelles ils travaillent. Dans les régions de Mopti et de Tombouctou, l'agriculture est pratiquée en métayage par environ 32 pour cent des ménages, contrairement à d'autres localités où elle est pratiquée par seulement 4 pour cent (ENSAN, 2016). La location de terres, bien qu'interdite, n'est observée que dans les terrains aménagés. Dans les zones irriguées pour la production de riz (Ségou), les femmes disposent de parcelles de terre pour la culture maraîchère et gèrent de façon autonome les revenus qu'elles en tirent. Depuis la transition démocratique, les ressources naturelles sont gérées de manière décentralisée et conformément aux lois et décrets régissant la gestion des ressources naturelles. Cependant, il existe un fossé entre le régime coutumier et le régime juridique en termes de légitimité par la « tradition » et par la législation respectivement (Ba Boubacar et. al, 2017). Dans la région de Mopti, le régime de gestion des ressources a progressivement évolué afin d'être en phase avec les différents changements sociaux, culturels et économiques. Il fait partie d'un régime coutumier, fondé sur le droit des premiers occupants à un système codifié qui favorise la cohabitation entre les différentes communautés du Delta Intérieur (Dina) établi au XIXe siècle. Dans les localités de Bandiagara et Douentza, les règles de gestion des ressources sont principalement établies par les institutions coutumières locales. Le transfert des terres se fait de père en fils aîné, ou de fils aîné en fils cadet. Les terres sont généralement transférées à des hommes mariés. Les femmes ne Analyse de l'économie politique du Mali | Décembre 2019 12
peuvent accéder à de petites parcelles de terre pour le maraîchage ou l'agriculture qu'avec le consentement de leur mari. Les terres appartenant aux femmes ne peuvent pas être transférées (Ba Boubacar et. al, 2017). Cette pratique limite les perspectives des femmes dans les activités agricoles, ainsi que leur autonomisation. L'incertitude des droits fonciers et l'inégalité d'accès à la terre et aux ressources naturelles définissent la situation conflictuelle du régime foncier au Mali. Cette incertitude empêche les producteurs de s'approprier pleinement la gestion des terres dans les zones rurales. La gestion des terres est donc un goulot d'étranglement pour la production végétale, animale et halieutique. Au niveau de la production, les agriculteurs essaient de ne pas investir dans la restauration et la conservation des sols car les terres peuvent souvent leur être retirées à tout moment. L'accès à la terre soulève généralement moins de difficultés lorsque les conditions coutumières sont respectées. L'accès aux pâturages est gratuit quelle que soit l'origine de l'utilisateur. Pendant l'hivernage, les troupeaux ne sont pas autorisés à entrer dans les zones agricoles. Pendant ce temps, les troupeaux peuvent accéder à des points d'eau qui sont contrôlés par des associations locales axées sur la protection de l'environnement (Ba Boubacar et al, 2017). L'inadéquation des pâturages, l'extension des zones agricoles développées et le non-respect des dispositions des Chartes pastorales et des règles coutumières exacerbent les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. L'enquête qualitative révèle qu'à Douentza (Mopti), les pratiques ancestrales ne permettent pas d'exclure qui que ce soit de l'accès à la terre. Les pauvres peuvent en faire la demande en respectant les règles coutumières. La superficie des terres propres à l'agriculture et à l'élevage diminue en raison des conflits, des chocs climatiques et des méthodes informelles et formelles de répartition des terres. La coexistence de lois foncières modernes et de règles et pratiques traditionnelles, conduit à un débat sur le cadre juridique et institutionnel de la gestion des ressources naturelles. L'application du code de l'État conduit le législateur à reconnaître les droits et pratiques coutumiers et à rechercher la compatibilité entre les traditions et les coutumes et le droit foncier. Les règles et pratiques traditionnelles peuvent être utiles pour réglementer et gérer les conflits liés aux ressources naturelles au niveau du village. Ils sont inclus dans les plans de développement social et économique des villages (PDSEC), ce qui souligne leur pertinence pour le développement local. L'accès au crédit Le financement des activités agricoles est limité en raison de la faible rentabilité du secteur agricole et des risques élevés liés à la production agricole. Les résultats du travail sur le terrain indiquent que l'insuffisance des ressources et la faible couverture des prestataires de services financiers dans les zones les plus vulnérables, les taux d'intérêt élevés et le soutien et l'assistance limités aux organisations paysannes (OP) et aux coopératives limitent davantage l'accès au financement (c'est-à-dire aux crédits). En ce qui concerne la présence de services financiers dans les zones, les informateurs ont noté que les établissements de crédit finançaient auparavant les activités des jeunes et des femmes. Avec les conflits, ces établissements de crédit ont été contraints de quitter leurs locaux. Les institutions financières craignent le risque de non-remboursement des prêts parce que les activités économiques sont difficiles en raison de l'insécurité, comme le montre ce passage : « Nous ne savons pas quelles banques financent, nous devons donc créer des activités génératrices de revenus pour avoir accès au financement, ce qui est très Analyse de l'économie politique du Mali 13
difficile, les institutions financières ne prennent pas de risques avec l'insécurité dans la région » (Groupe, Jeunes, Gao). Un certain nombre d'ONG ont accordé des prêts remboursables avec des intérêts allant de 3 à 5 pour cent pour faciliter l'accès au financement. Cela a facilité l'autonomisation de certains groupes de femmes avant que la situation en matière de sécurité ne s'aggrave. NAIRA 9 dans la région de Douentza (Mopti) a accordé des crédits aux jeunes pour leur entreprise par le biais d'associations et de Groupements d'intérêt économique (GIE). Actuellement, il n'y a pas de services de crédit dans la région, car tous ces partenaires sont partis en raison de l'insécurité. L'accès aux services sociaux de base L'accès aux services de santé L'accès aux services de santé reste limité en raison de l'insécurité, de la faible disponibilité des ressources financières, matérielles et humaines qui permettraient aux établissements de fonctionner correctement et de la mauvaise répartition des installations dans le pays. En 2016, le secteur de la santé était encore dépendant du financement extérieur, qui représentait 56,9 pour cent des besoins des secteurs de la santé et du développement social. Entre 2015 et 2017, la part du budget alloué au secteur socio-sanitaire est passée de seulement 8,8 pour cent à 10 pour cent, contrairement à l'engagement d'Abuja (2001) qui prévoyait au moins 15 pour cent du budget national1. Du fait de la crise, les dépenses de santé auraient coûté à l'État près de 9 milliards de FCFA, soit 0,15 pour cent du PIB. La situation sanitaire dans les régions de Mopti, Tombouctou et Gao reste préoccupante en raison du manque de couverture des services pour nombre de personnes vulnérables ou de la réduction des services. L'accès aux soins de santé continue de décliner avec la crise dans les zones de conflit. Par exemple, à Douentza (Mopti), il a été signalé que les services peuvent être accessibles à moins de 10 km de la ville, mais ils deviennent inaccessibles au-delà de ce point (Agent, Développement Social, Douentza). À Gao, les services de santé sont limités en raison du manque de disponibilité de médicaments et de personnel qualifié (Agent, Développement Social, Gao). A Niono (Ségou), des établissements de soins sont disponibles dans toutes les communes (Agent, Développement Social, Niono ; Groupe, Femme, Niono). En outre, l'accès physique et financier des femmes et des enfants aux services de santé est compliqué par les normes culturelles selon lesquelles les chefs de famille déterminent si les membres de la famille peuvent demander des soins. Selon un informateur, « Si un enfant tombe malade, sa mère informe le père et il donne l’ordre de le conduire au centre de santé ; si les femmes ont juste décidé de prendre l'enfant là-bas sans l'autorisation de son mari et de son grand-père, cela posera un problème elles devront régler les frais elle- même, et si elles demandent à être remboursée, elles seront battues et cela pourrait conduire à un divorce. » (Harande, 2017). 1 Cadre stratégique pour la reprise économique et le développement durable (CREDD 2019 - 2023) Analyse de l'économie politique du Mali | Décembre 2019 14
Accès à l’éducation La situation de l'éducation dans les zones touchées par la crise sécuritaire reste une préoccupation majeure. En octobre 2019, près de 30 pour cent des écoles de Mopti, Tombouctou, Niono (Ségou) et Ansongo (Mopti) étaient fermées (Académie d’enseignement des zones 2019). L'insécurité et les catastrophes naturelles touchent environ 3 161 790 personnes, dont 300 000 enfants dans les municipalités où les écoles ne fonctionnent pas. Depuis le début de la crise, le Mali a dépensé environ 10,4 milliards de FCFA pour l'éducation, soit 0,16 pour cent du PIB. Au niveau du village, le manque d'accès à l'éducation s’explique par deux facteurs qui sont liés. Lorsque les écoles fonctionnent, les familles peuvent décider de ne pas envoyer leurs enfants à l'école par crainte de l'insécurité, ce qui réduit le nombre total d'inscriptions (Mopti, Gao). D’autre part, les enseignants ont quitté de nombreux villages suite aux demandes des groupes armés, comme le décrit le passage suivant : « Dans certaines localités, les enseignants ont reçu des instructions fermes de quitter le village par des individus armés non identifiés. Tout regroupement aujourd’hui constitue un danger. » (Agent, Développement Social, Ansongo). Par rapport aux autres régions, l'accès aux écoles est moins affecté à Niono (Ségou), les personnes interrogées notant que les écoles sont généralement fonctionnelles et que cette année une école supplémentaire a été construite dans la région (Groupe, Femme, Niono). Dans l'ensemble, les filles ont moins accès à l'éducation que les garçons et parmi celles qui sont inscrites, les filles sont plus susceptibles d'abandonner l’école en raison des mariages et de grossesses précoces (Banque Mondiale, 2018)5. Les préférences et les pratiques culturelles contribuent à perpétuer les disparités entre les sexes à cet égard. Assainissement de l’eau et Hygiène La crise sécuritaire a considérablement aggravé les conditions d'accès à l'eau, l'hygiène et à l'assainissement (EAH). Les inondations, les baisses saisonnières des niveaux des eaux souterraines et la pression du bétail sur les ressources en eau ont compromis l'accès à l’EHA dans les régions de Mopti et de Tombouctou. À Niono, l'accès à l'eau dans certains villages n'est pas possible, ce qui oblige la population à se rendre au village de Niono ou à d'autres endroits (Groupe, Femme, Niono). À Gao, l'accès à l'eau est également limité mais grâce au travail des organisations de développement, l'accès s'est amélioré (Agent, Développement Social, Gao). Le manque d'accès à l'eau, en plus d'être un facteur de risque pour les populations, est un obstacle aux pratiques d'hygiène essentielles. Cette situation est rendue encore plus compliquée en raison des déplacements internes de population. À Mopti, des épidémies de choléra ont été signalées. Cette situation constitue non seulement une menace pour la santé publique mais aussi pour la sécurité, en raison du risque potentiel de conflit entre les populations. Les problèmes d'eau lies aux villages et aux troupeaux et la faiblesse du système de gestion et d'entretien des infrastructures EAH restent le principal défi pour un accès adéquat aux ressources EAH. Il convient également de noter la faible capacité des services techniques de coordination, ainsi que l'absence presque totale d'acteurs du développement dans ce domaine en raison de l'insécurité dans certaines localités6. Néanmoins, le gouvernement du Mali s'efforce d'améliorer l'accès de la population à l'eau potable en étendant le réseau de distribution d'eau potable de la SOMAGEP, comme cela est le cas à Douentza (Mopti) et Gao. Analyse de l'économie politique du Mali 15
Protection Sociale Les actions de protection sociale se concentrent sur les efforts visant à fournir un meilleur accès aux services sociaux de base, à répondre à la crise alimentaire et à lutter contre l'extrême pauvreté. Elles donnent la priorité à l'accessibilité alimentaire pour les personnes vulnérables rendues vulnérables par les conflits de sécurité, grâce à des distributions de nourriture gratuites par le biais du Stock de Sécurité Nationale et des banques de céréales. Cet effort est soutenu par des partenaires, notamment l'USAID, le PAM, l'UNICEF, Christian Aid et Action Contre la Faim. La Banque Mondiale a financé le Programme des Filets Sociaux « Jigisemejiri » pour soutenir la résilience des ménages grâce à des interventions qui s'attaquent à la pauvreté et aux risques, et qui augmentent la productivité des ménages et les infrastructures communautaires. Le projet a démarré en 2013 et couvre les régions de Kaye, Sikasso, Koulikoro, Ségou, Mopti et Gao et le district de Bamako. Une extension en 2018 a inclus des zones à Tombouctou. En ce qui concerne les transferts monétaires, Jigisemejiri fournit des transferts monétaires aux ménages vulnérables, des sessions d'information sur la nutrition, la santé, l'éducation, des sessions communautaires, des suppléments nutritionnels pour les enfants et les femmes enceintes, soutient des activités de travaux publics qui demandent une main-d'œuvre importante et soutient es activités génératrices de revenus. Le projet facilite également l'accès aux soins grâce au programme d'assistance médicale (RAMED) proposé par l'Agence nationale d'assistance médicale. Jigisemejiri soutient également la mise en place d'un système de filet de sécurité sociale dans le pays, le renforcement institutionnel, la coordination et le renforcement des capacités (Banque Mondiale, 2018). RAMED est le seul mécanisme de protection sociale disponible du GdM dans la localité de Douentza (Mopti) pour venir en aide aux plus vulnérables. RAMED est également présent à Niono (Ségou). De plus, l'accès aux services de santé commence à devenir plus facile grâce au système d'assurance maladie AMO (Assurance Maladie Obligatoire), bien que ses services ne couvrent pas actuellement tous les domaines. Conflit and insécurité Les tensions intercommunautaires, notamment entre Daoussahak (Touareg) et Peuls, dans la région de Gao, entre les Dozo (Bambara) et les Peuls, ou les Dogons et les Peuls dans la région de Mopti, sont d'ordre historique et sont alimentées par l'accès et le contrôle des ressources naturelles. Les conflits causés par des groupes terroristes et des groupes armés se superposent souvent aux tensions ethniques, ce qui a entraîné une augmentation constante des conflits depuis 2018. Les rivalités ethniques historiques sont instrumentalisées par les groupes armés. Par exemple, des combattants liés à al-Qaïda et à l'état islamique provoquent des querelles entre des voisins, les Peuls et les Dogons et gagnent du terrain en proposant de protéger les victimes du conflit qu'ils attisent (FAO et al, 2019). Les questions relatives à la mauvaise gouvernance, à l'injustice sociale et au sentiment d'exclusion dans certaines classes sociales sont des éléments supplémentaires qui s’ajoutent aux raisons profondes des tensions et des conflits, comme le souligne le passage suivant : “… c’est l’absence de communication entre les gens qui a provoqué la crise et le désir de vengeance de certaines communautés. Il y a aussi la rancune. A l’arrivée des groupes armés dans la localité, les communautés les plus faibles les ont rejoints afin de se venger des communautés qui les persécutaient. » (Groupe, Jeunes, Douentza). Analyse de l'économie politique du Mali | Décembre 2019 16
Graphique 1. Zones de conflit et d'insécurité et vue d'ensemble des principaux groupes ethniques Source : Marin, 2019. Le contrôle des institutions locales ou du leadership communautaire ainsi que des routes commerciales et de contrebande sont devenus pour certains groupes armés les enjeux principaux des tensions internes et du conflit qui sévit au Nord (OCHA, 2019). Des observateurs clés, à Gao et Mopti, ont noté que les activités commerciales ont diminué, car certains acteurs du marché (notamment les transporteurs) ont réduit, ou complètement arrêté leurs activités, après des menaces et des attaques réelles, compromettant l'approvisionnement en nourriture et autres produits de première nécessité (Agent, Développement Social, Gao; Agent, Développement Social, Analyse de l'économie politique du Mali 17
Mopti). Les attaques et l'utilisation d'engins explosifs improvisés (EEI) font que certaines zones sont sous embargo. Depuis le début de la crise complexe qui a frappé le Mali en 2012, les groupes armés ont trouvé un terrain fertile pour le recrutement parmi les nombreux jeunes gens pauvres, mécontents et sans instruction, qui sont attirés à la fois par l'argent facile et les idéologies radicales. Dans la région de Mopti, certaines tensions sont liées à la gestion des ressources naturelles. Mais d’autres conflits intercommunautaires sont liés à des règlements de comptes contre les Peuls, soupçonnés d’appartenir aux groupes radicaux qui commettent régulièrement des exactions dans cette région. Les groupes armés se multiplient et les affrontements entre ces groupes ont généré une situation d'insécurité et un accès limité aux services sociaux de base. Cette situation a fragilisé le tissu socio- économique du pays et créé d'importants besoins en matière de protection. Au même moment, la mise en œuvre d'un certain nombre d'activités de développement a été interrompue, de nombreuses régions devenant inaccessibles. L'acheminement de l'aide dans les zones les plus touchées est limitée, les groupes armés bloquant délibérément les vivres d'urgence, détournant des camions et tuant des travailleurs humanitaires (FAO et al, 2017). Par exemple, la livraison de vivres dans le district de Mondoro (Mopti) était presque impossible en raison de l'insécurité sur les routes et des champs de mines (EEI). Pour l’instant, si l’on veut atteindre Mondoro, il faut passer par le Burkina Faso, puis par Koro. Les populations dépendantes de l'agriculture et de l'élevage ne sont plus en mesure de suivre les cycles agricoles et pastoraux, compte tenu de la précarité de l'environnement sécuritaire. En général, dans les zones touchées, l’insécurité est devenue un problème majeur pour la population et nuit aux activités de la vie quotidienne, comme l’indique le passage suivant : « J'ai vu des villages dans le cercle de Niono où personne ne peut se déplacer pour aller dans son champ, si tu sors on te prend pour te tuer. C’est la commune de Toridaga Ko dans le village de DabaKan. » (Groupe, Femme, Niono). Dans la région de Mopti, les conflits opposent traditionnellement les agriculteurs (Dogon), et les éleveurs (Peul). Ils sont relatifs à l'accès à la terre et au partage des ressources naturelles. Dans le passé, les tensions étaient de courte durée et trouvaient une solution grâce aux mécanismes traditionnels et à l'intervention des anciens et des chefs religieux dans les villages. Ces mécanismes traditionnels sont aujourd’hui renforcés par des commissions de gestion des conflits, dirigées par les autorités administratives. Lorsque les conflits ne peuvent pas être résolus par le chef du village, une plainte est déposée à la gendarmerie au niveau du village, puis au préfet, au niveau du district. Cependant, dans le contexte actuel d'instabilité, ce mécanisme ne fonctionne pas, comme le rapporte un groupe de Douentza (Mopti) : “Car, par peur de représailles, les autorités ne tranchent plus les conflits entre les habitants. Les gendarmes ne savent plus comment intervenir entre les gens. Donc, il faut que l’État s’assume afin qu’il y ait de la stabilité. » (Groupe, Jeunes, Douentza). Analyse de l'économie politique du Mali | Décembre 2019 18
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