APERÇU II SUR LES GROUPEMENTS: LA RÉACTION BOURSIÈRE - FSA ULaval

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APERÇU II SUR LES GROUPEMENTS: LA RÉACTION BOURSIÈRE

               APERÇU II SUR LES GROUPEMENTS:
                   LA RÉACTION BOURSIÈRE

       Marie-Hélène Kirouac, MBA, CFA (Banque Royale du Canada)
                  Inès Gargouri (Concordia University)
                    Guy Charest (U. Laval et UQAM)1
Résumé. Nous prolongeons l’aperçu I de Kirouac(2001b) en synthétisant diverses
études marquantes de la période 1980-2005 centrées sur les pertes ou gains bour-
siers des firmes visées par des annonces d’initiatives de groupement. Nous offrons
un tableau récapitulatif où ressortent la bonne fortune des cibles et la moins bonne
des initiatrices. Sont comprises aussi quelques études sur l’évolution boursière, à
moyen terme, subséquente aux annonces des groupements, les résultats s’avérant
équivoques, sinon peu fiables. Est ajoutée une section consacrée aux banques ini-
tiatrices de groupements. Tel qu’attendu, les cibles des banques en sortent ga-
gnantes en majorité. Toutefois, chez les initiatrices, seules celles qui absorbent des
entités bancaires apparentées semblent en profiter. Tout compte fait, il paraît clair
que les groupements enrichissent l’économie, tant par l’information qu’ils révèlent
que par les synergies qu’ils permettent d’exploiter.

1.      INTRODUCTION

       Dans notre aperçu I (Kirouac, 2001b), nous avons surtout traité du processus
et des motifs du groupement, ce phénomène d’expansion externe des firmes. Il nous
est apparu (p. 1) “que le motif dominant réside dans la recherche de gains sy-
nergiques possibles par des manageurs aptes à les réaliser, ou de gains imaginaires
par des manageurs surconfiants”. Il s’agit dans le présent aperçu II, qui en est la
suite promise, de recenser les écrits majeurs parus depuis 25 ans sur la rentabilité
boursière des groupements, tant pour l’initiatrice que pour la cible. Il en ressort

1    Mme Kirouac oeuvre chez RBC Services-Conseils Privés Inc. (marie-helene.kir-
     ouac@rbc.com). Les auteurs ont puisé abondamment dans Kirouac (2001a). Mme Gar-
     gouri, aide-éditoriale au sein de Finéco, est en rédaction doctorale à l’Université Concordia
     de Montréal (i_gargou@jmsb.concordia.ca). M. Charest (jag.charest@videotron.ca) dirige
     la revue Finéco de l’Université Laval tout en professant la finance à l’Université du Québec
     à Montréal. N.B.: La sortie retardée du volume 14 (2004) a permis d’y inclure le présent
     article finalisé en 2008.

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qu’une bonne partie du surgain boursier va à la firme ciblée. Nous verrons diverses
explications de ce partage inégal de richesse. Nous étendrons notre couverture aux
initiatives bancaires de groupement, sachant que, du moins au Canada, l’État les
empêche à toutes fins pratiques entre grandes banques. Outre la bonne fortune des
cibles, ce qui ressortira de notre relevé, c’est la minceur typique du gain boursier
pour l’initiatrice, du moins en période d’annonce initiale. Ce fait suggère la ques-
tion suivante: où est l’avantage de privilégier le groupement comme mode
d’expansion si la bourse, reconnue apte à actualiser des bienfaits futurs, corrige peu
en moyenne le cours de l’initiatrice en période d’annonce? Les facteurs explicatifs
possibles ne manquent pas dans les écrits, y compris une volonté d’acquisition
excessive chez les manageurs aux effets boursiers déprimants. Le simple bon sens
en suggère un en particulier: une concurrence accrue pour les mêmes cibles ne peut
qu’effacer l’avantage pour l’initiatrice. Toutefois, l’économie sort gagnante si l’on
totalise les effets boursiers sur les deux parties au groupement.

       Or, les écrits révèlent l’importance constante, au fil des décennies, des gains
anormaux significatifs (dits surgains) pour la cible, et leur amenuisement en
général pour l’initiatrice, du moins aux USA. D’aucuns, dont Jarrell et
Poulsen(1989), l’expliquent par l’instauration en 1968, et son renforcement sub-
séquent, de la Williams Act2, une loi qui oblige l’initiatrice à dévoiler ses plans au
bénéfice des concurrents sur le marché des firmes. D’autres facteurs reviennent
dans les écrits, dont le mode de paiement, la taille relative de la cible ou le caractère
(hostile ou amical) de la transaction. Le paiement comptant, parce que sans équi-
voque, est mieux apprécié du marché, alors que l’action offerte en échange serait
signe de sa surévaluation (Travlos, 1987). Le ratio des tailles des deux parties lais-
serait entrevoir l’importance du groupement visé dans le plan d’expansion de
l’initiatrice. En visant une cible plus importante, l’initiatrice refléterait tant son
pouvoir d’absorption que sa capacité à rayonner sur un plus vaste marché et à pro-
fiter d’économies d’échelle (Asquith et al., 1983). Le caractère souvent hostile du
projet de groupement s’atténuerait durant les négociations d’ordinaire bénéfiques à
la cible. Les tractations renseignent le marché sur la valeur intrinsèque des actifs
ciblés et amorcent la surenchère. Cette vision d’une hostilité ultimement bénéfique
à la cible ne signifie pas pour autant qu’un groupement hostile s’avère supérieur à

2   La Williams Act de 1968 constitue un ajout à la Securities Exchange Act de 1934. Elle exige
    que l’initiatrice détaille le mode de financement de son offre et la réorganisation qu’elle
    prévoit pour la cible. Elle spécifie une durée minimale de l’offre, de même qu’un délai mi-
    nimal avant de pouvoir acheter les actions ciblées. En cas de surenchère avant le délai mi-
    nimal, elle permet au déposant d’actions de les reprendre et à tout actionnaire ciblé de pro-
    fiter du meilleur prix. Ces dispositions avivent la concurrence entre initiatrices et favorisent
    les cibles.

2   FINÉCO, volume 14, année 2004
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un groupement amical dans leurs effets respectifs. Selon la vaste étude comparative
de Schwert(2000), le concept d’hostilité serait plutôt vide sur le plan économique:
il signalerait surtout de l’agitation médiatique.

        Par ailleurs, dans un vaste relevé de résultats boursiers comme le nôtre se
posent plusieurs problèmes de mesure et d’interprétation. D’une part, par exemple,
la méthode la plus répandue, dite résiduelle, établit le surgain ou la perte entourant
l’annonce de groupement en soustrayant le gain normal attendu (selon un modèle)
du gain observé. Mais cette méthode ne convient que pour des annonces impor-
tantes non éventées. Il s’ensuit que la réaction boursière ne sera fiable que si le
chercheur a bien identifié le jour d’annonce et s’il s’en tient à une fenêtre d’obser-
vation étroite. Devant la disparité des résultats concurrents rapportés, il importe de
déceler s’il y a convergence significative ou pas. Il vaut mieux se méfier dès qu’on
élargit les fenêtres d’observation car les résultats sont susceptibles de toutes les
dérives (Fama, 1998). D’autre part, Fuller et al. (2002) estiment que le gain pour
l’initiatrice s’avère problématique car il varie grandement selon qu’il s’agit, notam-
ment, d’une initiative isolée ou répétée, ou encore, d’un processus prévu court ou
long. En bref, il importe de garder à l’esprit ce genre de considérations au moment
d’interpréter la masse des résultats rapportés.

       Nos deux aperçus sur les groupements se justifient ne serait-ce que par
l’ampleur mondiale du phénomène d’expansion externe des firmes, donc via
groupement plutôt que par investissement interne classique. Au Canada même, les
groupements sont passés de 550 en 1992 à 1300 en 2000, puis après un creux en
2001 ont crû de plus belle pour atteindre 2020 transactions en 2006 totalisant 257
milliards $3. La justification réside aussi dans notre inventaire des recherches uni-
versitaires sur la rentabilité boursière des groupements, le vocabulaire utile, le
processus et les motifs dominants dans le domaine ayant fait l’objet de notre aperçu
I (Kirouac, 2001b). Ci-dessous, nous synthétisons d’abord (à la section II) de nom-
breuses études empiriques sur les effets boursiers subis par les parties au
groupement. Nous relevons ensuite divers facteurs explicatifs derrière le partage
fortement asymétrique des gains entre initiatrices et cibles (section III). Puis, nous
rapportons ce que les chercheurs estiment être les effets à moyen terme (section
IV), histoire d’établir si les gains antérieurs observés se dissipent, se maintiennent
ou préludent à d’autres gains. Enfin, nous traitons des absorptions bancaires (sec-
tion V) vu leur potentiel d’influence sur une immense clientèle, le tout avant de
conclure (section VI).

3   Pour des statistiques pancanadiennes, consulter www.crosbie.com/ma/index.html dont la
    source est Financial Post Crosbie: Mergers & Acquisitions in Canada.

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II.      INITIATIVES DE GROUPEMENT ET EFFETS BOURSIERS

a.       Gain pour la cible

        Parmi les écrits moins récents sur les groupements où ressortent les gains
boursiers, la synthèse de Jensen et Ruback (1983) s’impose par son envergure. Les
auteurs constatent que l’effet boursier total lié au groupement s’avère positif en
moyenne, mais qu’il l’est surtout pour les actionnaires de la cible. Ils caractérisent
l’offre publique directe de dépôt d’actions faite aux actionnaires de la cible. Ils la
distinguent de l’offre indirecte, dite hostile, faite via une guerre de procurations où
l’initiatrice incite les actionnaires ciblés à lui déléguer leurs droits de vote. Les
auteurs caractérisent aussi les groupements négociés entre manageurs des deux par-
ties avant que les actionnaires ciblés soient invités à trancher.

       En gros, ils montrent que la firme ciblée avec succès connaît un important
surgain boursier, soit un rendement anormal (RA) positif significatif de 30% en
moyenne pour une offre directe, de 8% lors d’une offre indirecte et de 20% pour le
groupement négocié à l’amiable. En cas d’insuccès, tant la cible que l’initiatrice y
perdent -3% chacune, sauf là où règne une guerre de procurations (+8%). Les
actionnaires de la cible seraient donc désavantagés lorsque leurs manageurs rejet-
tent l’offre de groupement ou l’entravent (Damodaran, 2001, chap. 3).

       Pour sa part, Asquith (1983) étudie les groupements de la période 1962-76
sur une fenêtre allant de 480 jours avant l’offre initiale à 240 jours après son
dénouement, ou issue. Il observe que le marché anticipe l’issue (succès ou échec)
longtemps d’avance. D’abord, il réagit pareillement dans les 2 jours englobant
l’annonce initiale des groupements projetés: 6% de surgain moyen pour les 211 cas
de succès éventuel, contre 7% pour les 91 cas d’échec à venir, les fractions respec-
tives de RA positifs étant de 84% et 89%, soit des résultats semblables à ceux de
Dodd (1980) et d’Eckbo (1983). Mais de là jusqu’à l’issue du projet, la bourse
accentue le surgain de 8% pour les cibles éventuellement atteintes tandis qu’elle le
corrige de -8% pour les cibles manquées. À l’issue de l’offre, 64% des cibles
atteintes présentent des RA accumulés positifs contre 22% pour l’ensemble des
cibles manquées. Il y a indication ici que l’échec d’une offre tend à effacer le sur-
gain initial.

       Notons qu’à l’issue d’une offre acceptée, la cible disparaît en tant qu’entité
distincte tandis qu’un rejet signifie l’abandon de l’offre pour au moins un an. Ainsi,
l’étude des RA subséquents à l’issue devient limitée aux cas d’échec. Selon Brad-
ley et al. (1983), une cible d’abord manquée mais destinée à recevoir une nouvelle
offre va connaître, en deuxième année après l’échec, un surgain moyen de 57% tan-

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dis que la cible sans deuxième offre à venir perd 4% en moyenne. On peut y voir
l’anticipation par le marché du potentiel des cibles en cause.

       Pour des groupements de la période 1963-1984, Bradley et al. (1988)
mesurent le surgain boursier moyen dans les 11 jours centrés sur les annonces
d’offres éventuellement acceptées, soit 1% pour l’initiatrice et 32% pour la cible.
Il s’agit de résultats typiques. L’interprétation suivante y trouve un soutien: le pro-
jet de groupement, en faisant ressortir les synergies possibles, augmente
sensiblement la valeur des actifs réunis, mais l’appropriation sous concurrence de
la cible typique (nettement plus petite que l’initiatrice) lui confère la belle part du
surgain boursier, d’où la forte asymétrie dans les pourcentages des surgains des
deux parties.

       Du côté britannique, Franks et Harris (1989) recensent 1800 groupements
potentiels de la période 1955-85 où 1058 initiatrices visent 1814 cibles. Ils trouvent
que le groupement résulte 91 fois sur 100 d’une offre directe aux actionnaires. Là-
bas, une offre gagnante exige le dépôt minimal de 90% des actions ciblées. On
procède aussi parfois via réunion des actionnaires supervisée par un tribunal où
l’offre gagnante nécessite 75% des votes au minimum. Au total, les auteurs obtien-
nent des résultats britanniques de type américain: le surgain boursier va surtout aux
actionnaires ciblés.

      Quant à Schwert (1996), il examine le surgain boursier des cibles autour de
1814 offres de groupement de la période 1975-91. Son hypothèse de substitution
veut que les deux parties détiennent seules l’information utile, ce qui implique un
surgain boursier total donné, tout surgain antérieur à l’offre venant réduire le sur-
gain postérieur. Son hypothèse de majoration veut que l’information pertinente
appartienne largement au marché et que l’initiatrice y réagit en majorant son offre
en conséquence. Schwert trouve que ses données soutiennent l’hypothèse de
majoration.

       Durant les années 90, les groupements seraient devenus moins hostiles, plus
amicaux, donc de plus en plus négociés entre manageurs plutôt qu’objets d’offres
publiques. Moeller (2005) fait un lien avec le niveau de contrôle de l’actionnariat
ciblé. Via 388 transactions abouties annoncées entre 1990 et 1999, il éprouve
l’hypothèse que les manageurs en meilleur contrôle des actionnaires ciblés vont
vouloir s’entendre à prix plus bas avec l’initiatrice en contrepartie d’avantages per-
sonnels ultérieurs. Amicaux dans 93% des cas, les groupements en cause résultent,
côté cible, en un surgain boursier moyen de 21% dans les 10 jours autour de
l’annonce, contre -3% côté initiatrice, l’effet global (net, pondéré) se situant à 2%
environ. Pour l’essentiel, Moeller trouve que le contrôle des actionnaires ciblés est

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un moyen efficace pour négocier des groupements sur une base d’intérêts plus
étroits, susceptibles de réduire la prime d’acquisition. Passons aux retombées pour
les initiatrices de groupement.

b.      Effets boursiers pour l’initiatrice
       Rappelons que les gains en cause ici se mesurent par les réactions boursières
à l’information liées aux groupements. Il ne serait pas étonnant que des bienfaits
pour l’initiatrice n’y soient pas reflétés, car la perspicacité du marché a ses limites.
        Selon Asquith (1983), la bourse n’attribue pas de gain significatif à l’initia-
trice de groupement dans les 2 jours entourant l’offre initiale. En effet, 58% des
initiatrices d’offres éventuellement acceptées affichent des RA positifs de 0,2% en
moyenne, les pourcentages correspondants étant de 49% et 0,5% pour les initiatri-
ces en voie d’échec. Jensen et Ruback (1983) obtiennent des résultats semblables.
En effet, si l’offre aboutit, l’initiatrice connaît un surgain de 4% s’il s’agit d’offres
publiques, le gain étant nul pour les offres négociées. L’échec d’une offre publique
entraîne pour l’initiatrice un RA de 1% contre -5% pour les offres négociées. Au
total, l’annonce d’une offre acceptée plus tard signifie un enrichissement modeste
pour l’initiatrice.
      Pour les décennies 60, 70 et 80, Bradley et al. (1988) estiment que les RA,
tous significatifs, des initiatrices autour de l’offre de groupement sont de 4,0%,
1,3% et -3,0%, dans l’ordre, avec un RA pondéré de 1,0%. Ils notent que les gains
combinés des deux parties se révèlent positifs à chaque décennie. L’évolution en
baisse des RA des initiatrices viendrait, selon Weston et al. (2001), des effets de la
Williams Act (adoptée en 1968 et révisée en 1970). Cette loi a rendu le processus
d’acquisition plus coûteux en exigeant, entre autres, que l’offre première soit
dévoilée à tous (Jarrell et Bradley, 1980). De plus, elle aurait grandement favorisé
les pratiques d’obstruction et fait pencher les décisions judiciaires du côté des
cibles.
       Jarrell et Poulsen (1989) y vont de leurs propres tests, faisant suite aux écrits
antérieurs ayant révélé un piètre gain moyen pour l’initiatrice du groupement. Ils
couvrent la période 1963-86 avec 770 offres publiques acceptées. Celles-ci impli-
quent 526 cibles et 462 initiatrices, toutes cotées en bourse, avec 19%, 27% et 54%
des offres tombant dans les années 60, 70 et 80 respectivement. Selon l’échantillon,
l’initiatrice typique aurait environ 4 fois la taille médiane de la cible. Les estima-
tions des auteurs donnent un surgain boursier significatif de l’ordre de 1% à 2%
pour l’initiatrice et les cinq fenêtres choisies, larges de 4 à 41 jours boursiers, cha-
cune englobant le jour de l’annonce initiale de l’offre. Les auteurs évaluent
l’influence possible du ratio des tailles, de l’hostilité de la cible et de l’évolution

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tant réglementaire qu’institutionnelle4,5. Pour l’essentiel, ils trouvent que la com-
pétition subséquente à un rejet de l’offre amenuise la rente potentielle attendue d’un
groupement, et favorise donc les cibles. De plus, l’effet de richesse globale serait
camouflé en partie dans les mouvements de prix avant l’annonce même, ou encore
dans les coûts de financement du groupement. Nous revenons à Jarrell et Poulsen
plus loin.

       Pour leur part, Loderer et Martin (1990) étudient 5172 groupements des
années 1966-84, selon le type du moyen choisi, dont 1135 absorptions, 274 dépôts
d’actions, 467 achats d’actifs et 3296 autres cas au type non spécifié ou ciblant des
sociétés privées. Comme chez Bradley et al. (1988), les initiatrices ne gagnent pas
plus de 1%, (0,69%) en moyenne, dans les six jours boursiers choisis (-5,0). Ils
constatent aussi, en invoquant le facteur règlementaire déjà mentionné, que le sur-
gain des cibles augmente aux dépens des initiatrices. Celles-ci voient leur surgain
passer de 1,72% avant 1970 à zéro (-0,07%) après 1980. En privilégiant l’absorp-
tion (ou fusion au sens américain large), elles en tirent un surgain d’environ 1% en
période d’offre.

       Loderer et Martin soutiennent l’explication répandue fondée sur les tailles
des parties: l’initiatrice profite davantage d’une plus grosse cible. Toutefois, ils ne
disent pas que l’initiatrice devrait convoiter de grosses cibles car elle a eu tendance
à les surpayer en y perdant -1,45% en moyenne. Il faudrait qu’elle réussisse à payer
relativement moins cher pour ses grosses cibles, ce qui se traduirait en surgain
boursier plutôt qu’en perte.

        Ce qui ressort des groupements américains des années 60, 70 et 80, c’est que
l’initiatrice typique en tire un modeste surgain boursier en période d’offre. Mais, il
décline dans le temps sous l’effet, semble-t-il, d’une règlementation qui évolue en
faveur de la cible. Bien sûr, la bourse pénalise l’initiatrice trop généreuse qui
manque de discernement. Ne pas oublier aussi un facteur clé: la compétition pour
la même cible peut effacer tout surgain, voire signifier des pertes là où l’initiatrice
se piège par une surenchère sur laquelle elle ne peut revenir (Singh, 1998).

       Andrade et al. (2001) s’interrogent sur la propension des manageurs à faire
croître leurs firmes via groupements, vu que ce type d’expansion ne s’avère pas

4   Une offre est considérée contestée si les manageurs de la cible s’opposent publiquement à
    l’offre.
5   Les années 80 ont été plus compétitives au niveau des offres. En effet, une attitude antitrust
    plus indulgente concernant les expansions horizontales et la croissance rapide des stratégies
    de financement et d’obstruction auraient moussé la compétition entre les initiatrices.

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lucratif. Il leur semble que les gains synergiques escomptés seraient payés trop
cher. Leur échantillon de 3688 annonces faites entre 1973 et 1998 ne révèle pour
les initiatrices qu’un RA moyen de -0,7% dans les 3 jours autour de l’offre, à com-
parer au surgain moyen de 16% pour les cibles, pour un effet global valopondéré
significatif de 1,8%. Devant ce constat d’un partage inégal très clair des gains d’un
groupement, l’impression s’ancre que l’initiatrice subventionne ces transactions.
Les auteurs ont voulu savoir si le mode de paiement et la taille relative seraient
explicatives en coupe transversale. Ils trouvent que l’échange d’actions occasionne
pour l’iniatrice un rendement anormal significatif de -1,5%, en moyenne dans les 3
jours autour de l’offre, contre un gain non significatif de 0,4% pour les offres
réglées en espèces. La cible affiche un fort surgain quel que soit le mode de paie-
ment. Il tourne autour de 20% avec un règlement en espèces.

       La réaction du marché pour les actions ciblées s’avère forte et plutôt stable
dans le temps, quelle que soit la concentration des offres par secteur. Elle est d’au
moins 15% en moyenne autour de l’offre initiale. Même dans les études récentes,
la cible “surgagne” tout autant. Par exemple, Luo (2005) trouve un surgain de
17,4% sur les 8 jours (-1; +6) entourant l’offre initiale, contre -1,6% pour l’initia-
trice. Selon Luo, presque la moitié des groupements réduisent la richesse des
actionnaires de l’initiatrice lors de l’annonce. Mais le gain global valopondéré des
deux parties est positif ou neutre dans 54% des cas. L’effet de l’annonce est bien
asymétrique, comme prévu. En effet, 42% des initiatrices enregistrent des résultats
positifs alors que 82% des cibles sortent gagnantes. La corrélation entre leurs ren-
dements tourne autour de 0,10.

       Luo trouve aussi que la réaction boursière à l’offre initiale comporte de
l’information qui donne le ton pour la suite et l’issue du processus de groupement.
Les parties subissent un apprentissage mutuel à mesure que l’information filtre du
marché vers les parties. Outre les manageurs, les analystes et les investisseurs insti-
tutionnels s’y engagent en analysant les volets sectoriel, macroéconomique, voire
international, en cause. L’information qu’ils détiennent ou en dégagent se répercute
dans une évolution boursière apte à signaler aux manageurs les probabilités de suc-
cès et d’échec du projet de groupement. En bref, le marché influe sur le
déroulement des négociations, notamment en permettant aux manageurs de boni-
fier leurs décisions par l’information qui y survient.

      Mentionnons qu’Eckbo et Thornburn (2000) étudient les gains des initiatri-
ces tant canadiennes qu’américaines dans 1846 groupements visant uniquement
des cibles canadiennes durant la période 1964-83. Les 1246 initiatrices canadiennes
en tirent un surgain moyen de 4,1% dans les 11 jours boursiers centrés sur
l’annonce, alors que les 390 américaines s’appauvrissent de -1,9%. En parallèle, les

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cibles “surgagnent” 11,3%, un résultat bien en-dessous des 20% à 25% qu’on a
observés aux USA6. Quant à l’écart Canada-USA chez les initiatrices, de 3,6% en
moyenne, les auteurs ne peuvent le relier qu’à un effet de taille: les initiatrices cana-
diennes serait de taille semblable à celle des cibles, contrairement à des américaines
8 fois plus grosses dans lesquelles le gain dû à la cible se trouve fort dilué. Hormis
Eckbo et Thornburn, il faut noter la rareté des chercheurs canadiens sur le sujet.
Mentionnons Calvet et Lefoll (1986) qui ont rapporté ce qui suit: (a) ils ont pu étu-
dier 59 groupements réalisés au Canada entre 1971 et 1980, dont 38 via offre et 21
par absorption; (b) dans les 2 mois (-1;0) englobant le mois d’annonce 0, l’initia-
trice d’absorption obtient en moyenne un surgain de 4,7% contre 6,4% pour celle
qui procède via offre; (c) les cibles correspondantes obtiennent 21,8% et 27,5%; (d)
les deux parties performent un peu mieux s’il s’agit d’un groupement via offre; (e)
ces résultats très inégaux entre cibles et initiatrices ressemblent aux résultats
américains (voir tableau 1), quoique les initiatrices canadiennes tendent à mieux
performer que les américaines.

       Plusieurs autres études empiriques sur les groupements révèlent des niveaux
de gains boursiers semblables aux précédents (Servaes, 1991; Kaplan et Weisbach,
1992; Mulherin et Boone, 2000; etc.). Qu’il nous suffise de les rapporter dans le
tableau 1 qui récapitule les résultats recensés par nous. Il en ressort assez claire-
ment, nous semble-t-il, que le marché boursier, depuis des décennies, récompense
largement en moyenne l’actionnariat de la cible en lui attribuant un surgain élevé,
donc une prime fort significative de l’ordre de 20% à 25% dans les jours entourant
l’offre initiale. Mais ce marché se montre plutôt chiche envers les initiatrices en
leur niant souvent une prime valable. Ce dernier résultat suggère que la compétition
sur le marché des firmes fait son oeuvre en effaçant les surgains des initiatrices.

c.     La valeur anormale créée

      Certains auteurs croient utiles de traduire en montants de valeur anormale
créée (VAC) les effets de richesse des groupements exprimés d’ordinaire en
pourcentages de surgain boursier. L’idée est de mieux relativiser les effets pour les
deux parties, car, par exemple, 20% de surgain pour la cible et 1% pour l’initiatrice
donnent la même VAC pour chacune si le ratio des tailles est 1/20.

      L’étude américaine de Bradley et al. (1988) montre l’ampleur des VAC en
bourse pour les groupements de la période 1963-84. En combinant les deux parties,

6    Cette infériorité de surgain par rapport aux cibles américaines (voir tableau 1) laisse
     soupçonner des différences méthodologiques ou, simplement, des différences dans la mi-
     crostructure du marché canadien en termes de profondeur.

                                                            FINÉCO, volume 14, année 2004      9
MARIE-HÉLÈNE KIROUAC, INÈS GARGOURI ET GUY CHAREST

ils trouvent une VAC moyenne de quelque 117M$ par groupement. Leur évalua-
tion englobe 221 offres acceptées et la fenêtre (-5, +5) en jours boursiers centrés sur
l’annonce, en sus de 15 offres subséquentes acceptées à fenêtre moyenne de (-5,
+37). Le surgain pondéré est d’environ 7,5% et l’opération s’avère synergique
(VAC>0) dans 75% des cas. Bien sûr, c’est surtout la cible qui en bénéficie. Sa
VAC est positive dans 95% des cas versus 47% pour l’initiatrice. Elle se chiffre à
107M$ en moyenne, contre 17M$ pour l’initiatrice. Les auteurs y voient une
meilleure allocation des ressources dans l’économie tout en notant l’avantage mar-
qué qu’y trouvent les actionnaires des cibles. Les cibles posséderaient donc des
ressources créatrices de synergie lorsque combinées avec celles de l’initiatrice. Le
groupement permettrait de mieux utiliser les actifs réunis.

       Quant à Bessière (1999, p. 23), d’une part, elle tabule les surgains (en %) rap-
portés dans 15 études, dont 3 européennes, de la période 1958-92, en plus des
estimations des VAC (en $) de Bradley et al. (1988), et celles de même teneur de
Berkovitz et Narayanan (1993). Elle trouve un faible surgain boursier moyen de
0,6% pour les initiatrices versus 31,7% pour les cibles. D’autre part, sa propre éva-
luation de 41 offres acceptées en France entre 1991 et 1997 donne un surgain de
1,6% au jour zéro d’annonce pour l’initiatrice versus 23,9% pour la cible, un résul-
tat qui change à peine si on élargit la fenêtre à 41 jours (-20;+20). Son calcul de
VAC moyenne pour l’initiatrice se chiffre par 241M de francs versus 445M pour
la cible, donc un ratio de VAC d’environ 2 pour 1 en faveur de la cible, plutôt que
de 15 (=23,9/1,6) si l’on compare les pourcentages des surgains boursiers. Mais
même avec un ratio de valeurs anormales créées de 2, la cible demeure la grande
gagnante d’un groupement, alors qu’avec le ratio des pourcentages de 15 elle sem-
blait l’être énormément plus. D’où la plus juste perspective obtenue avec les VAC.

      Le tableau 1 réunit l’essentiel des résultats rapportés et commentés ci-dessus.

III. FACTEURS D’EXPLICATION DU GAIN INITIAL

a.     Les trois principales hypothèses

      Jarrell et Poulsen (1989) éprouvent trois hypothèses classiques pour expli-
quer le rendement moyen faible, voire négatif, des initiatrices lors d’annonces
d’offres publiques (OP). L’effet de richesse se perd par dilution, la compétition
efface le surgain et les initiatrices investissent sans grand discernement.

(1) L’enrichissement dilué. Comme l’on absorbe d’ordinaire une cible relative-
    ment petite, la valeur créée se répercute à peine sur le cours de l’action de
    l’initiatrice. L’on sait d’Asquith et al. (1983, 1987) que le rendement anormal

10   FINÉCO, volume 14, année 2004
APERÇU II SUR LES GROUPEMENTS: LA RÉACTION BOURSIÈRE

                                          TABLEAU 1
                       Correction boursière anormale moyenne (CBAM)
                        autour de l’annonce d’initiatives de groupement
                        (offres publiques, absorptions, acquisitions, etc.)

                                                      Initiatrices             Cibles
       Étude et            Fenêtre englo-                                                                     Remarques
        période            bant le jour 0
       couverte              d’annonce            N            CBAM     N           CBAM

1. Asquith (1983)              (-9,0)            196            1,2%   211              10,9%   Il s’agit d’initiatives à succès éventuel.
   1962-76                                                                                      Les résultats pour les cas d’échec sont
                                                                                                semblables: (N=87; 1,2%) et (N=91;
                                                                                                11,7%).

2. Bradley et al.             (-5, +5)           236            1,0%   236              31,8%   Dans tous les cas en cause, l’initiatrice
  (1988)                                                                                        a réussi à acheter des actions de la
  1963-84                                                                                       cible.

3. Jarrell et                (-20, +10)          462            1,3%   526              29,0%   Il s’agit d’offres à succès éventuel.
   Poulsen (1989)
  1963-86

4. Servaes (1991)            (-1, issue)         384           -1,1%   704              23,6%   L’issue détermine le succès ou l’échec.
   1972-87                                                                                      On y arrive après bien des jours,
                                                                                                semaines ou mois, chaque cas étant
                                                                                                unique.

5. Kaplan et                  (-5, +5)           271           -1,5%   209              26,9%   Les auteurs s’intéressent surtout au
  Weisbach (1992)                                                                               sort des 271 acquisitions majeures
  1971-82                                                                                       (>100M$) en cause: 109 on été dé-
                                                                                                lestées après une détention médiane
                                                                                                de 7 ans.

6. Mulherin et                (-1, +1)           281           -0,4%   281              20,2%   Les auteurs se soucient surtout,
   Boone (2000)                                                                                 comme Kaplan et Weisbach (1992), de
   1990-2000                                                                                    caractériser le sort des firmes
                                                                                                acquises.

7. Andrade et al.             (-1, +1)          3 688          -0,7%   3 688            16,0%   Les auteurs constatent que le partage
   (2001)                                                                                       inégal des gains en faveur de la cible
   1973-98                                                                                      se maintient à travers les décennies.

8. Luo (2005)                 (-1, +7)          2 114          -1,6%   2 114            17,4%   Il relie les groupements amicaux
   1990-99                                                                                      (absorptions et acquisitions d’actifs) à
                                                                                                ce qu’en pensent les manageurs.

9. Moeller (2005)             (-5, +5)           388           -2,9%   388              21,3%   Il vise à relier le degré de contrôle
   1990-99                                                                                      préalable des cibles à la prime
                                                                                                d’acquisition. Il semble qu’avec plus
                                                                                                de contrôle la prime obtenue n’aug-
                                                                                                mente pas.

10. Bessière (1999)          (-20, +20)           41            1,7%    41              22,3%   Pour le jour 0 seulement, Bessière
  (1991-97, France)                                                                             obtient 1,6% et 23,9%, soit une indi-
                                                                                                cation que le groupement est le seul
                                                                                                événement d’importance sur la
                                                                                                fenêtre (-20, +20).

Moyenne des 10 CABM couvrant 1962-2000                         -0,3%                    21,9%   NB: Bessière (1999) accompagne son
Moyenne, études 1,2,3,4,5 couvrant 1962-87                      0,2%                    24,4%   étude de 41 groupements français
Moyenne, selon Bessière (1999), de 15 études, 1958-92           0,6%                    31,7%   d’un relevé de 15 études, dont seule-
Moyenne, études 6,8,9,10 couvrant 1990-99                      -0,8%                    20,3%   ment 3 communes au présent relevé et
                                                                                                la plupart antérieures. La largeur des
                                                                                                fenêtres va de 1 jour à 1 mois.

                                                                                  FINÉCO, volume 14, année 2004                         11
MARIE-HÉLÈNE KIROUAC, INÈS GARGOURI ET GUY CHAREST

     de l’initiatrice varie positivement avec la taille relative de la cible. De plus, l’on
     sait que le marché réagit moins positivement dans de nombreux cas où l’on
     offre de payer en actions. Il se peut aussi qu’une certaine anticipation ait
     diminué la réaction boursière à l’annonce d’OP.

(2) La compétition niveleuse. En l’absence de compétition pour la cible, l’initia-
    trice n’offrirait qu’un prix juste assez élevé pour obtenir le nombre voulu
    d’actions. Mais la compétition, ressentie ou effective, fait renchérir l’offre au
    bénéfice de la cible jusqu’au point parfois d’effacer tout surgain pour l’initia-
    trice, voire de la faire surpayer. La règlementation américaine favorise
    d’ailleurs cette compétition en lui donnant accès à l’information produite par
    l’initiatrice (Jarrell et Bradley, 1980).

(3) De piètres investisseurs. Les initiatrices seraient de piètres investisseurs, d’où
    leurs initiatives à médiocre rendement. Jarrell et Poulsen (1989) trouvent néan-
    moins qu’elles réalisent en moyenne un surgain de 1,3% dans les semaines
    entourant l’annonce de leur offre (contre 29% pour les cibles).

       Pour éprouver leurs hypothèses, les auteurs pratiquent des régressions où,
selon les attentes, le surgain boursier de l’initiatrice devrait augmenter avec la taille
relative de la cible et baisser avec des conditions plus propices à la surenchère, en
l’occurrence, l’opposition de la cible et la divulgation règlementaire croissante de
l’offre au fil des décennies. Or, selon leurs résultats, et tel qu’attendu, le surgain
boursier moyen de l’initiatrice dans les jours entourant l’offre, outre qu’il s’avère
modeste, soit environ 15 fois inférieur à celui de la cible, croît avec la taille relative
de celle-ci (4 à 5 fois plus petite selon la médiane) et diminue si la cible fait oppo-
sition ou si l’offre appartient à une décennie plus récente. Leurs régressions
affichent à peu près partout des coefficients significatifs de signes attendus. Par
exemple, leur estimation du surgain de l’initiatrice, de moyenne y = 1,96% sur la
fenêtre (-10; +20), s’exprime par ŷ = 9,1 +1,9x1 - 3,1x2 - 2,2x3 - 4,4x4 où x1 se
mesure par le log du ratio de tailles Cible/Initiatrice, x2 par 1 si la cible fait oppo-
sition, sinon 0, x3 par 1 pour l’offre tombant dans les années 70 plutôt que 60, sinon
0, et x4 par 1 pour une offre des années 80, sinon 0. Quant à la régression compa-
rable explicative du surgain des cibles de moyenne y = 29,0%, elle affiche les
coefficients de signes contraires qui indiquent, entre autres, que l’érosion graduelle
du surgain des initiatrices (quantifiée ci-dessous) profite aux cibles. De plus, avec
leurs régressions par décennie, où seules les variables de taille relative (x1) et
d’opposition des cibles (x2) s’appliquent, les auteurs trouvent encore des coeffi-
cients significatifs à signes attendus et des surgains moyens pour les initiatrices qui
(selon nos déductions) déclinent à peu près comme suit au fil des décennies, de
y = 4,8% à 2,6% à 0,5%, en même temps qu’augmentent à la fois la fréquence

12   FINÉCO, volume 14, année 2004
APERÇU II SUR LES GROUPEMENTS: LA RÉACTION BOURSIÈRE

d’opposition de la cible (de 32% à 35% à 39%) et plus fortement encore le nombre
des offres, en prélude à la croissance exponentielle (déjà mentionnée) des années
90.

       Au total, Jarrell et Poulsen (1989) présentent des résultats qui, s’ils datent un
peu, s’avèrent économes de variables et néanmoins éclairants sur la rentabilité des
groupements. Ils montrent, en particulier, le déclin jusqu’à l’insignifiance, au fil
des décennies, du surgain boursier revenant aux initiatrices, et cela, au bénéfice des
cibles toujours plus gagnantes. Les surgains en cause trouvent plus d’explication
dans de nombreuses études plus récentes en fonction d’autres variables parfois
moins évidentes mais tout aussi plausibles. Leur teneur se reflète notamment dans
les études de Bessière (1999) et de Maquieira et al. (1998). Résumons-les.

b.    Pouvoir de négociation et partage des synergies

       Outre son relevé de 15 études, surtout américaines mais aussi européennes,
sur les groupements de la période 1956-92, Véronique Bessière (1999) caractérise
et explique les groupements survenus en France entre 1991 et 1997. Son explica-
tion relie le pouvoir de négociation de l’initiatrice, et ses mesures complémentaires
ou concurrentes, au partage des synergies avec la cible. Elle compare les surgains
boursiers classiques (en %) des deux parties, de même que les montants des valeurs
anormales créées (VAC) de part et d’autre, compte tenu de leur taille respective.
Elle considère aussi l’influence sur ce partage des nombreux cas où l’initiatrice
possède déjà une fraction de la cible.

       Bessière s’inspire de la théorie des jeux en intégrant le pouvoir de négocia-
tion de l’initiatrice dans son modèle. Plus celle-ci a grand pouvoir, plus elle pourra
offrir moins pour la cible et moins elle craindra la compétition, donc la surenchère.
L’auteure envisage cinq influences sur le partage des synergies. L’initiatrice ga-
gnerait plus là où: (1) des minoritaires sont menacés de dilution de leur avoir dans
la cible; (2) son apport préalable au capital de la cible est plus significatif; (3) l’on
fait une offre ferme plutôt que conditionnelle; (4) la synergie totale attendue est
plus élevée; et (5) l’on offre de payer plus au comptant et moins en actions.

       Comme le tableau 1 l’indique pour ses résultats français liés à 41 groupe-
ments des années 90 et la fenêtre (-20; +20) centrée sur le jour zéro d’annonce de
l’offre, Bessière trouve des surgains boursiers de mêmes niveaux qu’aux USA, soit
1,7% pour l’initiatrice contre 22,3% pour la cible, des surgains d’ailleurs concen-
trés au jour zéro, soit 1,6% et 23,9%, respectivement. Visiblement, elle a su fort
bien identifier les jours d’annonce, et donc cerner l’information en cause. L’on voit
aussi qu’en France comme ailleurs la cible s’enrichit plus (en % boursier) que l’ini-

                                                      FINÉCO, volume 14, année 2004   13
MARIE-HÉLÈNE KIROUAC, INÈS GARGOURI ET GUY CHAREST

tiatrice de l’offre. Lorsque Bessière calcule les VAC, donc les gains respectifs en
montants, elle établit que, en moyenne, 60% de la VAC totale va à la cible et 40%
à l’initiatrice. Par contre, pour les offres à forte synergie, les taux passent à 29% et
71%, respectivement, comme la 4e influence attendue (précisée plus haut) le veut:
en cas de synergie totale élevée, l’initiatrice devrait en obtenir une plus grande part.

       Pour résumer, car il serait trop long de rendre pleine justice à Bessière
(1999), disons qu’elle offre, en français, une lecture à la fois accessible et plus
éclairante que d’ordinaire sur le partage des synergies de groupement. À son relevé
des études sur plusieurs décennies, elle ajoute et éprouve son explication, à base de
théorie des jeux, où le pouvoir de négociation d’une partie (l’initiatrice) sur l’autre
(la cible) détermine les attentes. En particulier, il s’avère que la part du surgain re-
venant à l’initiatrice s’améliore lorsque, notamment, les synergies en cause et la
fraction déjà détenue du capital de la cible sont plus importantes.

      Passons à une autre étude, celle de Maquieira et al. (1998), qui se distingue
par son originalité et qui, en même temps, s’avère fort complémentaire à l’explica-
tion déjà fournie ci-dessus quant aux gains des parties au groupement en période
d’annonce.

c.     Groupement congloméral ou unisectoriel? Des gains contrastés

       Maquieira et al. (1998) se distinguent en s’intéressant aux absorptions
réglées à 100% en actions, de sorte que la variable du mode de paiement ne joue
plus. Par ailleurs, ils les différencient selon leur type (congloméral ou unisectoriel).
Ils innovent dans la façon d’établir les effets de valeur en cause. Par exemple, plutôt
que de s’en tenir aux actions ordinaires, ils calculent les effets pour toutes les com-
posantes du capital des firmes, tout en adoptant une fenêtre d’évaluation élargie,
centrée sur le délai, variable selon le cas, entre l’annonce du projet d’absorption et
son acceptation. Surtout, au lieu de mesurer les pertes ou gains boursiers usuels, ils
leur substituent des écarts, ou éloignements, de valeurs prédites (EVP). Nous y
revenons plus loin, de même que dans le tableau 2 où nous condensons l’essentiel
de l’apport original de Maquieira et al. en matière de groupement.

      Dans la partie A du tableau 2, on y voit que leur échantillon comprend 260
absorptions pures (donc par échange d’actions à 100%) réalisées durant la période
1963-95. Également, que la fraction conglomérale des absorptions diminue au fil
des décennies (années 60: 59%; années 90: 23%) à mesure que monte la fraction
unisectorielle (44%; 77%). Le constat n’étonne pas au vu de la pénalité qu’impose
le marché aux initiatives conglomérales, selon de nombreux auteurs. Par exemple,
Comment et Jarrell (1995) aux USA et Stangeland et al. (1995, p. 193-194) au Ca-

14   FINÉCO, volume 14, année 2004
APERÇU II SUR LES GROUPEMENTS: LA RÉACTION BOURSIÈRE

nada, ont noté que depuis un quart de siècle la bourse escompte les actions des con-
glomérats, alors qu’elle les primait dans les années 60. Hypothétiquement, les coûts
de régie auraient dépassé les bienfaits financiers du conglomérat. D’ailleurs, les
résultats de Maquieira et al. (voir notre tableau 2, partie C) indiquent bien une
pénalité de l’ordre de -5% pour les initiatrices d’absorption conglomérale.

       À la partie B, l’on rapporte que la cible typique a 23% de la taille (de l’actif
comptable) de l’initiatrice, la taille relative étant plus faible en cas d’absorption
conglomérale (19% contre 27% si unisectorielle). On y note aussi que l’initiatrice
et la cible sont endettées pareillement (44% de l’actif contre 42%), la différence
n’étant marquée qu’entre cibles d’initiatives unisectorielles (47%) ou conglomé-
rales (42%).

       La partie C rapporte les effets de l’absorption, exprimés en écarts de valeurs
prédites (EVP), soit sur les composantes du capital de l’initiatrice et de la cible, soit
au niveau de l’entité résultante. La partie D donne une bonne idée des calculs en
cause. Précisons que la fenêtre d’estimation va de ta - 2 mois à te + 2 mois, où le
délai séparant les dates d’annonce (ta) et effective (te) peut varier entre 11 et 31
mois. Quant aux EVP de la partie C, ils indiquent notamment que l’absorption uni-
sectorielle via échange d’actions a généré en moyenne pour l’entité résultante sur
la période (1963-95) des effets d’enrichissement significatifs, qu’ils soient mesurés
au niveau des actions ordinaires (EVP = 8,58%), ou que l’on établisse le gain sy-
nergique net (6,91%) en faisant la somme valopondérée des EVP pour l’ensemble
des titres. En parallèle, l’absorption conglomérale affiche des effets positifs non
significatifs (3,28%; 3,91%). Pour la période plus courte (1977-95), l’initiatrice
d’une absorption unisectorielle (plutôt que conglomérale) voit ses actions ordi-
naires se valoriser significativement (6,14% plutôt que -4,79%), et l’avantage
apparaît aussi pour les actions privilégiées (convertibles ou non convertibles) et les
obligations non convertibles. S’agissant des actions ordinaires des cibles durant la
période 1963-95, leurs EVP très significatifs sont de l’ordre de 40% sans égard au
type d’absorption.

       On peut résumer les résultats principaux comme suit: (1) l’absorption unisec-
torielle pure, via échange d’actions, contrairement à la conglomérale, s’accom-
pagne de gains synergiques significatifs pour l’entité résultante; et, (2) la cible
s’avère toujours fortement gagnante alors que seule l’initiatrice d’absorption uni-
sectorielle y trouve son profit. Ces résultats s’accordent aux attentes théoriques
voulant qu’en unissant des actifs de nature apparentée l’entité résultante reste cen-
trée sur le même savoir-faire et, par là, sait tirer meilleur parti des synergies
possibles.

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MARIE-HÉLÈNE KIROUAC, INÈS GARGOURI ET GUY CHAREST

       Par ailleurs, Maquieira et al. ont obtenu des résultats secondaires intéres-
sants. Par exemple, contrairement à Bradley et al. (1988) dans leur étude des offres
publiques (OP), ils trouvent que la réglementation croissante au fil des décennies
n’a pas influé sur les corrections boursières liées aux absorptions pures. Au total, il
faut surtout retenir que les absorptions unisectorielles déclassent clairement les
conglomérales en termes de création de richesse.

IV. RENDEMENT À MOYEN TERME APRÈS LE GROUPEMENT

       Ici, nous puisons parmi les écrits visant à établir si la réaction boursière anor-
male observée en période initiale de groupement demeure acquise dans les années
à venir. Commençons par Rau et Vermaelen (1998) qui étudient 3517 groupements
réalisés durant la période 1980-91, dont 3169 via absorption et 348 via offre pu-
blique (OP). Ils estiment que l’initiatrice d’absorption subit une perte significative
(-4,0%) sur 3 ans, alors que l’initiatrice d’OP amplifie son surgain de 8,85%. À
première vue, l’initiatrice devrait procéder via OP plutôt que négocier une absorp-
tion. Pour expliquer la divergence en cause, les auteurs éprouvent trois pistes:
(1) l’extrapolation biaisée du marché; (2) un mode de paiement révélateur; et (3) un
bénéfice par action (BPA) séducteur.

(1)     Extrapolation biaisée du marché

       D’une part, le marché extrapolerait à outrance la performance passée d’une
firme renommée, donc à fort ratio marchand/comptable (M/C), lorsqu’elle prend
l’initiative d’un groupement. Il épouserait trop volontiers son discours enthousiaste
voulant que sa grande croissance et le succès de sa gestion persistent après le
groupement. Les actionnaires et le CA d’une firme renommée seraient d’ailleurs
plus faciles à convaincre du bien-fondé d’un groupement. D’autre part, s’agissant
d’une initiatrice mésestimée (donc à faible M/C), le marché tarderait à percevoir
son potentiel de création de valeur en contexte de groupement. Il en résulterait au
total une réaction doublement biaisée du marché à l’annonce d’une initiative de
groupement: l’initiatrice renommée voit son cours trop monter et la mésestimée pas
assez, ce qui entraîne ultérieurement des corrections en sens inverse.

(2)     Un mode de paiement révélateur

       L’on suppose ici une initiatrice plus apte que le marché à cerner son bénéfice
futur et donc la vraie valeur de ses actions. D’où son offre d’actions à la cible si le
marché les surévalue à ses yeux, ou du comptant en cas de sous-évaluation. Ainsi,
l’initiatrice ayant payé en actions (ou au comptant) connaîtrait subséquemment un

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