Armes nucléaires : vérifier pour lutter contre la prolifération - Association nationale des croix de guerre ...

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Armes nucléaires : vérifier pour lutter contre la prolifération - Association nationale des croix de guerre ...
Armes nucléaires : vérifier pour
lutter contre la prolifération
La vérification du non-détournement des usages pacifiques de l’énergie nucléaire
à des fins militaires repose sur la neutralité des experts inspecteurs.

Cette question a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 5 février 2020 à
Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, à l’occasion du
réexamen du Traité de non-prolifération nucléaire en 2020. Y sont intervenus :
Emmanuelle Maître, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche
stratégique ; Alexandre Quinet, chargé de la mission non-prolifération et
désarmement à la Direction générale des relations internationales et de la
stratégie du ministère des Armées.

Enjeux stratégiques. La vérification se trouve liée à la maîtrise des armements
nucléaires, explique Emmanuelle Maître. Aucun pays doté d’armes nucléaires ne
peut s’en défaire sans contrôler que les autres parties feront de même. Dès 1967,
les négociations entre les Etats-Unis et l’URSS portent sur l’expérimentation d’un
contrôle sur les armes en processus de démantèlement avec la certitude, par le
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partage d’informations, qu’il s’agit bien d’armes nucléaires sans avoir
directement accès à celles-ci. Les traités bilatéraux START I (1991), START II
(1993) et New START (2010), sur la réduction des armes stratégiques (missiles
balistiques intercontinentaux), ainsi que FNI, sur les forces nucléaires à portée
intermédiaire (500-5.500 km), concernent uniquement le démantèlement de
missiles, sans certitude sur celui des têtes nucléaires. L’Agence internationale de
l’énergie atomique doit s’assurer que le plutonium de qualité militaire ne puisse
plus produire d’arme, avec le risque de diffusion d’informations cruciales pour la
fabrication d’armes nucléaires à des pays tiers. Des explications ont été fournies
sur les procédures de transport et de manipulation d’armes nucléaires. Il s’agit de
faire partager une vision commune à 14 Etats et de s’assurer que les armes
déclarées n’ont pas été déplacées, en vérifiant si elles entrent et sortent du site
de démantèlement.

L’action de la France. En matière d’armement nucléaire, la France a rendu
public son arsenal en 2017 : moins de 300 têtes nucléaires ; 210 détonations
entre 1960 et 1996 ; 48 missiles balistiques M51 sur les sous-marins de la Force
océanique stratégique ; 54 missiles de croisière air-sol moyenne portée améliorés
(500 km, précision inférieure à 10 m). Selon Alexandre Quinet, ses priorités
portent sur le lancement des négociations pour un traité interdisant la production
de matières fissiles et la réduction des deux plus grands arsenaux, à savoir ceux
des Etats-Unis et de la Russie qui se sont retirés du traité FNI en 2019. La France
milite pour la participation de la Russie et de la Chine au processus de
vérification du désarmement nucléaire, qu’elles refusent comme étant une idée
des pays occidentaux. Depuis 2015, les experts d’une trentaine d’Etats, dotés ou
non de l’arme nucléaire, travaillent sur des procédures et des technologies dans
le cadre de l’IPNDV (partenariat international pour la vérification du désarment
nucléaire). Ainsi, la France et l’Allemagne ont procédé à l’exercice NuDiVe sur le
site allemand de recherche nucléaire de Jülich le 25 septembre 2019 et qui a
rassemblé 21 participants de 11 pays, dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
L’arsenal d’un Etat fictif, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU,
comptait 1.000 têtes dont 830 déployées : 140 sur missiles de croisière, 140 sur
sous-marins et 550 sur missiles balistiques sol-sol intercontinentaux. NuDiVe a
validé les hypothèses de l’IPNDV.

Loïc Salmon

Forces nucléaires : incertitude sur leur maîtrise à terme
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Stratégie : la dissuasion, nucléaire pour longtemps

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Résistance et dissuasion
Le refus de subir une défaite similaire à celle de 1940 se trouve à l’origine de la
dissuasion nucléaire, dont les capacités scientifiques et techniques résultent de
décisions politiques et militaires pour assurer l’indépendance de la France et son
autonomie stratégique.

Cette question avait fait l’objet d’un colloque organisé, le 5 octobre 2017 à Paris,
par la Fondation pour la recherche stratégique et le Commissariat à l’énergie
atomique (CEA). A la veille de la seconde guerre mondiale, les applications
militaires de l’énergie nucléaire font l’objet d’études en Grande-Bretagne, en
France et…en Allemagne ! Ces deux dernières commencent par engager la
bataille secrète de « l’eau lourde » (atome d’hydrogène remplacé par celui du
deutérium, deux fois plus lourd), produit qui ralentit la réaction en chaîne au sein
d’un réacteur nucléaire. En 1940, une mission française réussit à exfiltrer le stock
mondial d’eau lourde existant, soit 185 litres, de Norvège à l’Angleterre via le
port de Bordeaux. Le même bateau transporte aussi les 8 t d’oxyde d’uranium
dont dispose la France. En outre et sous les pressions françaises, l’Union minière
du Haut-Katanga (Congo, colonie belge), où se trouve la plus grande réserve
connue d’uranium, en livre un stock important aux Etats-Unis, lequel sera utilisé
lors de la mise au point du programme « Manhattan » pour bombarder le Japon
en 1945. Les principaux physiciens français de l’atome entrent tous dans la
Résistance : le prix Nobel Frédéric Joliot, en France pendant toute la guerre ;
Hans Halban, Lew Kowarski, Jules Guéron, Pierre Auger et Bertrand Goldschmidt,
au sein de la France libre. Halban et Kowarski, qui avaient acheminé les 26
bidons d’eau lourde, poursuivent leurs travaux aux Laboratoires de Cambridge
puis de Montréal, dans le cadre du programme « Tube Alloys ». Dès
décembre1940, ils démontrent la possibilité d’une réaction en chaîne par
neutrons lents, au moyen d’un mélange d’oxyde d’uranium et d’eau lourde,
expérience que les savants allemands ne réaliseront qu’en 1944. Seul Français
admis à travailler quelques mois aux Etats-Unis mais sans contact direct avec le
programme « Manhattan », Goldschmidt y acquiert l’expérience de la chimie du
plutonium, déterminante dans les débuts du futur CEA. En juillet 1944 et dans le
plus grand secret, les scientifiques français, présents à Ottawa, informent le
général de Gaulle, alors en voyage au Canada, de l’état d’avancement sur l’arme
nucléaire. Vu que celle-ci donnerait aux Etats-Unis un avantage considérable dans
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le monde après la guerre, ils recommandent de reprendre les recherches
correspondantes en France au plus vite et de lancer une prospection sur les
ressources d’uranium à Madagascar, colonie française. Le 20 août 1944, le chef
de la France libre nomme Joliot à la tête du Conseil national de la recherche
scientifique et, en octobre 1945, crée le CEA destiné à assurer l’indépendance
énergétique de la France. Les recherches sur le nucléaire militaire se développent
secrètement à partir de 1954, surtout après les menaces soviétiques et
américaines consécutives à l’opération militaire franco-britannique à Suez en
1956 pour reprendre le contrôle du canal, nationalisé par le gouvernement
égyptien. De retour au pouvoir, le général de Gaulle souligne, en 1959,
l’autonomie de la « force de frappe », reposant sur une capacité immédiate et
permanente et garantissant sécurité du territoire et initiative en matière de
politique étrangère. La dissuasion nucléaire perdure depuis 1964.

Loïc Salmon

« Résistance et dissuasion », ouvrage collectif. Editions Odile Jacob, 396
pages, 22€.

Dissuasion nucléaire : assurer à la France son indépendance

Stratégie : la dissuasion, nucléaire pour longtemps

Dissuasion nucléaire : pertinence pérenne et retombées pour les armées
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Dissuasion nucléaire : FAS, en
alerte permanente depuis 1964
Complémentaires de la Force océanique stratégique (FOST), les Forces aériennes
stratégiques (FAS) de l’armée de l’Air peuvent intervenir 15 minutes avant elle,
ou même moins en cas d’urgence.

Leur commandant, le général de corps aérien Bruno Maigret, a fait un point de
situation pour la presse, le 3 octobre 2019 à Paris, à l’occasion de la célébration
de leur 55ème anniversaire à la base aérienne de Saint-Dizier.

La crédibilité. Réduite à la stricte suffisance pour garantir l’indépendance
nationale, la dissuasion nucléaire dispose en permanence de la capacité d’infliger
des dommages inacceptables à tout ennemi menaçant les intérêts vitaux de la
France, rappelle le général. Sa crédibilité repose sur la détermination politique
du président de la République, la capacité opérationnelle de la FOST et des FAS,
avec suffisamment d’options possibles, et les avancées technologiques du ressort
de la Direction générale de l’armement, du Commissariat à l’énergie atomique et
des industriels concernés. Les FAS sont équipées, depuis 2011, de l’avion de
transport et de ravitaillement Phénix d’un rayon d’action de 14.800 km et, depuis
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2016, du missile air-air européen Meteor d’une portée supérieure à 150 km. A
l’horizon 2040, elles disposeront du SCAF (système de combat aérien futur),
successeur du Rafale, et du missile ASN4G (air-sol nucléaire de 4ème génération),
remplaçant de l’ASMP-A (air-sol moyenne portée amélioré) d’une portée d’environ
500 km sur une croisière à haute altitude.

L’organisation. L’état-major des FAS se trouve sur la base de Vélizy-
Villacoublay. Leur Centre d’opérations, installé à Taverny avec possibilité de
dévolution à Lyon Mont-Verdun, assure le suivi permanent des moyens, la
capacité de les monter immédiatement en puissance, la planification et la
conduite des missions. Les avions ravitailleurs C-135 et Phénix prennent l’alerte
sur les bases d’Istres, d’Avord, d’Evreux, de Mont-de-Marsan et de Solenzara,
équipées de moyens de transmissions protégés, durcis et redondants pour
l’acheminement des ordres opérationnels ou exceptionnels. Les trois bases à
vocation nucléaire de Saint-Dizier, d’Avord et d’Istres abritent chacune un dépôt
d’armes et une zone d’alerte au profit des Rafale. Celle d’Avord accueille l’unité
de transport d’éléments d’armes nucléaires. Celle d’Istres abrite l’Escadre de
transport et de ravitaillement stratégique, qui met en œuvre 14 C-135 et 2
Phénix. Celle de Saint-Dizier abrite les 2 escadrons de chasse dédiés à la mission
permanente de dissuasion nucléaire 1/4 « Gascogne », et 2/4 « La Fayette » et 2
autres escadrons. Le 1/4 « Gascogne » est également « référent », pour la flotte
Rafale, du missile de croisière Scalp d’une portée de 560 km à une altitude de 30
m. Le 2/4 « La Fayette » est référent pour la mission d’entrée en premier en suivi
de terrain sur un théâtre et contribue à toutes les missions des avions de chasse
de l’armée de l’Air. L’escadron de transformation Rafale 3/4 « Aquitaine »
entraîne les équipages (simulation et vol), standardise l’utilisation de l’avion,
étudie de nouvelles tactiques, analyse et valide concepts et programmes, assure
le soutien à l’export et la présentation technique dans les salons aéronautiques
internationaux. L’Escadron de soutien aéronautique « Haute-Marne » s’occupe de
la préparation et de la maintenance de la flotte Rafale. Enfin, la base de Saint-
Dizier assure aussi l’armement et les départs des missions d’intervention aérienne
immédiate et d’évacuations de ressortissants ou de blessés de l’armée de Terre en
opération extérieure.

Loïc Salmon

Dissuasion nucléaire : modernisation de la composante aéroportée
Aéronautique militaire : perspectives capacitaires

Marine nationale : le fait nucléaire, dissuasion politique et actions militaires

Forces nucléaires : incertitude sur
leur maîtrise à terme
Malgré leur retrait du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire
(FNI), Etats-Unis et Russie ont pour intérêt commun de rétablir un dialogue,
d’abord militaire puis politique, pour éviter la guerre. Un découplage entre les
Etats-Unis et l’Europe laisserait la place à une stratégie de riposte graduée.

Cette question a fait l’objet d’un colloque organisé, le 14 mai 2019 à Paris, par la
Fondation pour la recherche stratégique. Y sont notamment intervenus :
Dominique David, conseiller du président de l’Institut français des relations
internationales ; Emmanuel Puig, conseiller Asie à la Direction générale des
relations internationales et de la stratégie au ministère des Armées ; Zacharie
Gross, sous-directeur désarmement nucléaire au ministère de l’Europe et des
Affaires étrangères.

Ordre international en question. Le mode de production de la sécurité
internationale évolue avec des stratégies nationales plus affirmées qu’il y a vingt
ans, explique Dominique David. La guerre froide (1947-1991) a reposé sur la
stabilité et la transparence du danger nucléaire, mais avec une progression de
l’armement militaire. Grâce à sa procédure de vérification, le traité FNI de 1988
(voir encadré) a ouvert la voie au désarmement, inauguré par les Etats-Unis pour
créer une confiance politique. Mais, une autre logique prévaut depuis les années
2000. La hiérarchie des puissances bascule avec l’émergence des économies
asiatiques et des puissances moyennes régionales (Turquie et Arabie saoudite). La
Russie réapparaît par sa diplomatie, son influence et son efficacité militaire,
limitée mais réelle. La Chine conserve un profil moyen malgré les provocations
américaines, en raison de son niveau militaire encore peu préoccupant. Toutefois,
elle affirme une grande stratégie économique et une présence élargie au Golfe
arabo-persique, à la Méditerranée et à l’Europe. Malgré l’érosion de leur
efficacité politico-militaire, les Etats-Unis restent la puissance de référence avec
une stratégie simple, à savoir défendre leurs intérêts nationaux, passant de
l’affirmation de leur force à la menace, notamment face à la Chine. Ils voudraient
la forcer à négocier sur les FNI, qui constituent l’essentiel de son arsenal
nucléaire. Devant le raccourcissement du temps d’alerte des missiles
intercontinentaux chinois embarqués sur des sous-marins, les Etats-Unis
pourraient demander au Japon d’entreposer des armes nucléaires américaines. Le
déplacement de FNI à l’Est de l’Oural par la Russie entraînerait un risque
d’affrontement avec la Chine. Moscou veut inclure, dans ses négociations avec
Washington, la défense antimissile déployée par les Etats-Unis en Roumanie et en
Pologne. Quoique directement concernés, les pays européens n’y participent pas,
faute d’une position commune sur le sujet par suite de perceptions différentes de
la menace russe.

Inquiétude de la Chine. Depuis vingt ans, la Chine recherche un avantage
stratégique régional face aux Etats-Unis, et ses alliés (Japon, Corée du Sud et
Australie), pour pouvoir agir contre Taïwan et l’Inde, rappelle Emmanuel Puig.
Elle dispose d’un grand éventail d’armes conventionnelles en vue d’actions
différenciées d’intimidation et de contraintes avec des effets gradués. La Chine
possède 10 systèmes balistiques sol/sol, dont 3 emportent des charges nucléaires.
En outre, 70 % de ses missiles à charges conventionnelles et nucléaires sont à
portées intermédiaires. Elle peut ainsi créer une incertitude sur le seuil
d’escalade et de représailles pour affronter les menaces régionales qu’elle
perçoit. Cette capacité stratégique diminuera si, après leur retrait du traité FNI,
les Etats-Unis déploient des forces nucléaires intermédiaires dans la région, afin
de donner des garanties au Japon et à la Corée du Sud et rendre crédibles leur
posture vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Nord. Dans ce contexte, le
développement du programme nucléaire militaire de Pyongyang constitue un
avantage pour Pékin. Par ailleurs, les programmes américains sur le vol
hypersonique, la pénétration en profondeur et le brouillage des autodirecteurs de
missiles vont forcer la Chine à investir à son tour dans ces domaines. D’ici une
dizaine d’années, la puissance militaire de la Chine devrait dépasser sa dimension
régionale.

Pragmatisme de la France. La maîtrise des armements constitue l’élément
essentiel de la sécurité européenne, menacée par la prolifération de missiles
balistiques, souligne Zacharie Gross. La Russie en déploie à Kaliningrad, visant
l’Allemagne et les Etats baltes. La Chine accroît son armement conventionnel et
refuse de participer à des négociations post Traité FNI. Un moratoire des
systèmes sol/sol en Europe nécessiterait son acceptation par la Russie. Les
intérêts français portent sur l’identification des armes nucléaires préstratégiques
russes en développement et la vérification de la réduction des armements
stratégiques de la Russie et des Etats-Unis. Cela nécessite une adaptation de la
posture française de dissuasion et d’obtenir un accord à l’issue du traité New
START.

Loïc Salmon

Un premier traité de réduction des armes nucléaires stratégiques dénommé
START I, signé en 1991 entre les Etats-Unis et l’URSS, a été remplacé en 1993
par un second, dénommé START II, entre les Etats-Unis et la Russie. Il prévoyait
la réduction des arsenaux stratégiques à 3.500 têtes nucléaires stratégiques pour
chaque pays. Mais la Russie s’en est retirée en 2002. D’autres négociations ont
abouti en 2010 au traité New START, en vigueur jusqu’en 2021. Il prévoit des
limites : 1.550 têtes nucléaires déployées ; 800 lanceurs, dont 700 déployés, à
savoir missiles balistiques intercontinentaux, silos de lancement à bord d’un sous-
marin lance-engins et bombardiers lourds porteurs d’armes nucléaires. Le Traité
sur les forces nucléaires à portées intermédiaires (FNI), ratifié par les Etats-Unis
et l’Union soviétique et entré en vigueur en 1988 sans limitation de durée, porte
sur l’élimination de tous les missiles de croisière et missiles balistiques des deux
pays lancés depuis le sol, d’une portée entre 500 et 5.500 km et emportant des
charges nucléaires ou conventionnelles. Washington et Moscou ont décidé de se
retirer du traité FNI en février 2019, avec effet en août suivant. En 2002, les
Etats-Unis s’étaient déjà retirés du Traité ABM contre les missiles balistiques,
signé en 1972 avec l’URSS et complété en 1974 pour une durée illimitée. Ce
traité, encore respecté par la Russie, la Grande-Bretagne, la France et la Chine,
stipule que les signataires s’engagent à ne pas transférer de systèmes ABM ou
leurs composantes à d’autres Etats ni à en déployer hors de leur territoire. Depuis
1968, la ville de Moscou est protégée par un système ABM de 4 bases de
lancement et 100 missiles. Le Traité international sur la non-prolifération des
armes nucléaires (TNP), en vigueur depuis 1970 et dont la Corée du Nord s’est
retirée en 2003, favorise les usages pacifiques de l’atome. Toutefois, il établit une
discrimination entre les Etats ayant fait exploser un engin nucléaire avant le 1er
janvier 1967, et les autres. Les premiers, à savoir les Etats-Unis, l’URSS réduite à
la Russie en 1991, la Grande-Bretagne, la France et la Chine, s’engagent à ne pas
aider un autre pays à acquérir des armes nucléaires. Les seconds renoncent à en
fabriquer et à tenter d’essayer de s’en procurer.

Stratégie : la dissuasion, nucléaire pour longtemps

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations
Stratégie : la dissuasion, nucléaire
pour longtemps
Les espaces aérien et extra-atmosphérique, la haute mer, le cyber, l’émergence
d’acteurs non-étatiques et les violences terroristes constituent de nouvelles
dissuasions. Celle par l’arme nucléaire, quoique contestée, perdure.

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 décembre 2018 à Paris,
par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Y sont
notamment intervenus : le général d’armée François Lecointre, chef d’Etat-major
des armées ; l’ambassadeur Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

La dissuasion nucléaire française. Clé de voûte de la stratégie de la France
pour la protection de ses intérêts vitaux, la dissuasion nucléaire fonctionne en
permanence depuis 1964, rappelle le général Lecointre. Elle induit chez
l’adversaire la certitude que son action, au-delà d’une certaine limite, sera source
de dégâts inacceptables pour lui et que le courage de les lui infliger existe. Les
armes nucléaires peuvent être mises en œuvre à tout moment avec une palette
d’options entre missiles M51 des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (500
patrouilles à ce jour) et le missile air-sol moyenne portée amélioré des Forces
aériennes stratégiques (plus de 20.000 jours de vol). La dissuasion française
exclut l’arme nucléaire tactique, la riposte graduée et l’abaissement du seuil,
pour ne pas laisser à l’adversaire le temps de calculer les risques inhérents à une
agression. Le président de la République, chef des armées, décide en dernier
ressort et le chef d’état-major des armées prépare les plans de frappe nucléaire.
La crédibilité de la dissuasion dépend de l’architecture entre forces nucléaires et
forces conventionnelles. La situation géopolitique actuelle produit des ruptures
non encore explorées et prend en compte les visions des compétiteurs et des
adversaires. La menace évolue avec le perfectionnement des armes nucléaires et
leurs capacités. Sa fluidité varie de l’affrontement de nature physique sur terre,
sur mer et dans les airs, à la confrontation dans l’espace et le cyber. La
conflictualité se durcit avec le retour des Etats puissances, la remise en cause des
traités et les tensions à l’Est de l’Europe, aux Proche et Moyen-Orient et dans la
zone Asie-Pacifique. La frontière se brouille entre intimidation, chantage
nucléaire et agressions de type hybride. La loi de programmation militaire
2019-2025 prévoit 5 Md€/an pour la modernisation des armes nucléaires,
notamment la navigation inertielle, la discrétion acoustique et le ravitaillement en
vol. Elle ne se fera pas au détriment des forces conventionnelles, pour éviter tout
contournement de la dissuasion ou le dilemme ente escalade et renoncement.

Contestations récurrentes. La remise en cause de l’arme nucléaire, pour des
raisons diverses, remonte aux bombardements de 1945 et à la constitution des
arsenaux américain et soviétique, indique l’ambassadeur Danon. Le premier
argument, d’ordre humanitaire et environnemental, rappelle les accidents
techniques et les appréciations politiques contradictoires. Le deuxième en
souligne l’inutilité, puisqu’elle a quand même conduit à la guerre par procuration
en Afrique et en Asie du Sud-Est. Il repose sur la représentation de la
détermination de l’adversaire à l’utiliser, à savoir que personne n’osera « appuyer
sur le bouton » et assumer la responsabilité d’un suicide collectif. Selon le
troisième, l’arme nucléaire ne profite qu’aux neuf pays détenteurs : Etats-Unis,
Russie, Grande-Bretagne, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord.
Certains abusent de la situation pour agir sur des théâtres extérieurs en toute
impunité, comme la Russie en Crimée, la Chine en mer de Chine et l’OTAN en
Libye. Cette situation risquant de perdurer, les contestataires veulent forcer, par
traité, les pays nucléaires à désarmer. Or seul le contexte stratégique impose un
traité, souligne l’ambassadeur, d’autant plus que les accords de protection
mutuelle bénéficient à une trentaine de pays, soit 64 % de la population mondiale.
La dissuasion nucléaire, consistant à empêcher la guerre pour préserver la paix,
prend aussi une dimension morale. Celle-ci a d’abord reposé sur l’éthique de
« conviction » de Churchill, justifiant l’emploi de la bombe atomique en 1945 pour
éviter un nombre supérieur de morts dans une guerre conventionnelle.
Aujourd’hui, l’éthique de « responsabilité » préfère conserver le système de
sécurité collective existant pour éviter une guerre mondiale. Après trente ans de
mondialisation, le retour des rapports de puissance démontre que l’architecture
de défense et de sécurité établi après la seconde guerre mondiale ne fonctionne
plus. En outre, la pérennité des alliances est remise en question par
l’administration américaine depuis l’introduction du doute sur l’automaticité de
l’article V de l’OTAN. Cet article stipule : « Les parties conviennent qu’une
attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en
Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les
parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit,
chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou
collective, reconnu par l’article 51 de la charte des Nations unies, assistera la
partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et
d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris
l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de
l’Atlantique Nord. » Il s’ensuit un clivage entre les pays européens, certains (à
l’Est) souhaitant un rapprochement avec les Etats-Unis et les autres (à l’Ouest)
voulant une autonomie européenne. La prolifération représente un risque
considérable de déstabilisation mondiale car, si l’Iran décide de se doter
effectivement de l’arme nucléaire, d’autres pays seront tentés de l’imiter.
Nouveau champ d’affrontement, le cyber fait l’objet de réflexions comme autre
moyen de dissuasion. Sur le plan technologique, l’utilisation de l’intelligence
artificielle devrait permettre de contrer les cyberattaques. Elle existe déjà dans
l’armement nucléaire. Le contexte nucléaire évolue en permanence, sans
qu’apparaisse encore un autre système de sécurité collective, conclut
l’ambassadeur Danon.

Loïc Salmon
Lors du colloque du 6 décembre 2018, la Fondation suisse « the House of the
Rising Stars » a présenté un classement par pays en matière de sécurité globale.
Elle a analysé l’action des gouvernements dans le domaine de la protection de
l’intégrité du territoire et de la population, incluant la défense extérieure, la
sécurité intérieure, la liberté d’opinion et d’expression, la santé publique et le
développement durable. Voici les critères retenus : dépenses militaires (% du
produit intérieur brut) ; dépenses courantes de santé (idem) ; homicides
intentionnels pour 100.000 habitants ; espérance de vie à la naissance ; taux de
mortalité infantile pour 1.000 enfants de moins de cinq ans ; indice de liberté
d’opinion et d’expression ; indice de performance environnementale. Parmi les
127 pays étudiés, Israël arrive en tête des 10 premiers lauréats, devant les Etats-
Unis, la France, la Norvège, l’Australie, la Grande-Bretagne, la Suisse, la Suède,
l’Allemagne et le Japon.

Stratégie : contexte évolutif de la dissuasion nucléaire

Dissuasion nucléaire : modernisation de la composante aéroportée

Espace : dissuasion nucléaire et souveraineté européenne

Cyber : dilution des frontières territoriales et souveraineté
Stratégie : contexte évolutif de la
dissuasion nucléaire
Malgré les guerres civiles et conflits régionaux, la dissuasion nucléaire,
instrument de rapport de force entre puissances, connaît miniaturisation
technique et évolution doctrinale.

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 décembre 2018 à Paris,
par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Y sont
notamment intervenus : l’ambassadeur Philippe Errera, ministère de l’Europe et
des Affaires étrangères ; Benoît d’Aboville, ancien ambassadeur à l’OTAN et vice-
président de la Fondation pour la recherche stratégique ; le général de brigade
aérienne (2S) Jean-Vincent Brisset, Institut de relations internationales et
stratégiques.

La Russie. Depuis 2000, explique l’ambassadeur Errera, la Russie a entrepris de
moderniser les vecteurs de ses forces nucléaires sur les plans quantitatif et
qualitatif : missiles balistiques intercontinentaux, sous-marins nucléaires lanceurs
d’engins (SNLE) et composante aéroportée. Face à ce qu’elle considère comme
une menace euro-atlantique, elle développe le futur missile stratégique mobile
MX229 à propulsion nucléaire. Malgré le traité de 1990 conclu avec les Etats-
Unis sur la disparition des armes nucléaires tactiques, la Russie en a conservé et
a annoncé, en 2018, la mise au point de torpilles nucléaires. Parallèlement, elle a
poursuivi la modernisation de ses forces conventionnelles. En octobre dernier,
elle a démontré ses capacités de déploiement opérationnel de moyens terrestres,
de tir aérien et de lancement de missiles à longue portée à partir de sous-marins.
En outre, la doctrine de défense a évolué après les interventions occidentales au
Kosovo (1998-1999) et en Afghanistan (2001-2014), qui lui ont fait prendre
conscience de la faiblesse de sa capacité militaire conventionnelle. Dès 2000, la
doctrine officielle envisage la possibilité d’un conflit nucléaire et, pour les conflits
régionaux, celle d’une escalade nucléaire. En 1999, des manœuvres ont simulé un
conflit conventionnel de grande ampleur. En 2010, elles ont inclus un volet
nucléaire. En cas de conflit régional proche de ses frontières, indique
l’ambassadeur, la Russie pourrait utiliser une arme nucléaire de faible puissance
pour amener l’adversaire à renoncer à l’action militaire, puis manifester sa
volonté politique de recourir à l’arme stratégique contre les capitales
occidentales. En outre, sa puissance aérienne lui donne la capacité de déni
d’accès. L’intégration de la capacité nucléaire aux forces conventionnelles accroît
sa liberté d’action, tout en diminuant celles des pays occidentaux par des
manœuvres d’intimidation et de déstabilisation intérieure. Ainsi, en 2015, elle a
averti qu’elle reconfigurera ses lignes de défense si la Suède et la Finlande
rejoignent l’OTAN. De plus, elle attaquera les bâtiments militaires du Danemark
en cas de présence du bouclier américain anti-missiles sur son sol. Cette évolution
de la doctrine va de pair avec la remise en cause d’accords bilatéraux et
multilatéraux. Par exemple, souligne l’ambassadeur, l’annexion de la Crimée
constitue une violation de l’engagement des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et
de la Russie à garantir la sécurité de l’Ukraine.
Les Etats-Unis. Le débat sur le partage du fardeau financier de l’OTAN remonte
à l’administration Kennedy (1960-1963), rappelle l’ambassadeur d’Aboville.
L’administration Carter (1977-1981) a préconisé une participation des pays
membres égale à 3 % de leur produit intérieur brut. L’administration Trump veut
la porter à 4 %, alors que les Etats-Unis investissent déjà 1 % de leur part en
Europe même. Quoique ces derniers souhaitent une plus grande implication de
l’Europe dans l’OTAN, ils maintiennent des troupes chez elle. L’ordre européen,
instauré après la dislocation de l’URSS (1991), peut être remis en cause par la
Russie. Elle le démontre par son différend avec l’Ukraine et n’exclut pas un
chantage nucléaire, comme en 2014. La Pologne, inquiète, se dit prête à verser 2
Md$ pour l’accueil d’une brigade blindée américaine (3.000 personnels), alors
que 1.000 GI s’y trouvent déjà. Selon l’ambassadeur, l’OTAN se présente comme
un « mix » du bouclier antimissiles et de décisions en matière d’armement
nucléaire. L’administration Obama (2009-2017) a lancé des programmes de
modernisation des missiles stratégiques, que l’administration Trump veut élargir
aux armes de faible puissance. En octobre 2018, les Etats-Unis se sont retirés du
traité de 1981 sur les forces nucléaires intermédiaires (entre 500 et 1.000 km de
portée), l’estimant violé par la Russie depuis 2014 et qui n’inclut pas la Chine.

L’Asie. Après son essai nucléaire en 1964, la Chine a élaboré une doctrine de
frappe en second anti-cités. Depuis 1990, elle envisage un usage en premier en
cas de menace contre ses intérêts vitaux (villes, centres de décision politique et
installations nucléaires) et le déni d’accès en mer, notamment contre les porte-
avions américains (Livre blanc 2015). Elle dispose d’au moins 250 ogives
nucléaires, dont 200 pour les missiles balistiques sol-sol, 30 pour les SNLE et 20
pour le bombardement stratégique. Elle travaille sur le leurrage et les missiles
« « MIRV », équipés de plusieurs têtes nucléaires à trajectoires indépendantes
après leur rentrée dans l’atmosphère. La Corée du Nord, aidée dès 1952 par
l’URSS, a poursuivi seule son programme nucléaire et procédé à six essais entre
2006 et 2017. Pourtant, l’administration Obama a retiré la garantie du parapluie
nucléaire américain à la Corée du Sud et au Japon. Ce dernier pourrait
développer très rapidement une capacité nucléaire. Taïwan a renoncé à s’en
doter. L’Inde a lancé un programme nucléaire civil dès 1948, avec l’aide des
Etats-Unis et du Canada. Son programme militaire a été décidé après son conflit
contre la Chine en 1962 et l’explosion de la bombe atomique chinoise deux ans
plus tard. Son premier tir nucléaire, en 1974, a été suivi du lancement d’un
programme spatial. Après le succès de ses cinq essais en 1998, elle dispose
aujourd’hui d’une triade, terrestre, aérienne et sous-marine, dirigée contre la
Chine et le Pakistan. Ce dernier a bénéficié d’un soutien, matériel et non pas
militaire, de la Chine au cours de ses trois guerres contre l’Inde. Il a effectué
également cinq essais nucléaires en 1998, en réplique à ceux de l’Inde. Le
Pakistan envisage l’utilisation strictement tactique de l’arme nucléaire, qu’il peut
tirer à partir d’un sous-marin. Sa capacité technique nourrit la crainte d’une
« bombe atomique islamique », montée sur un missile balistique chinois.

Loïc Salmon

La Fondation pour la recherche stratégique a répertorié les « crises nucléaires »
depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le niveau d’alerte a été élevé lors de
six d’entre elles : Berlin, 1948 ; Asie du Sud, 1971 ; Kippour, 1973 aux Etats-Unis
et en Israël ; Able Archer, 1983 en URSS ; Cachemire, 1990 ; Kargil, 1999 en Inde
et au Pakistan. Trois autres crises ont donné lieu à une planification de
circonstance, sans emploi sérieusement envisagé : Dien Bien Phu, 1954 ; Viêt
Nam, 1969 ; Golfe arabo-persique, 1980 ; Golfe arabo-persique, 1991. L’emploi de
l’arme nucléaire a été sérieusement envisagé à quatre occasions : Corée,
1950-1953 ; Formose, 1954-1955 ; Formose, 1958 ; Cuba, 1962.

Chine et Russie : affirmations de puissance et difficultés internes

Baltique : Suède et Finlande, de la neutralité à l’engagement
Armée de l’Air : anticipation,
audace et créativité
Les capacités de décider et de gérer l’aléatoire entrent dans la formation des
cadres de l’armée de l’Air, qui devra créer compétences et scénarios pour les
missions du futur, plus complexes.

Ces questions ont fait l’objet du colloque qu’elle a organisé le 29 novembre 2018
à Paris. Y sont notamment intervenus : le chef d’état-major de l’armée de l’Air
(CEMAA), le général d’armée aérienne Philippe Lavigne ; Olivier Zadec, maître de
conférences, université Lyon 3 « Jean Moulin » ; le général de brigade aérienne
Frédéric Parisot, sous-chef d’état-major « préparation de l’avenir » ; le lieutenant-
colonel Anne-Laure Michel, directrice générale de la formation militaire à l’Ecole
de l’air de Salon-de-Provence (photo).

Projets structurants 2019-2025. Dans le document « Plan de vol » de l’armée
de l’Air présenté lors du colloque, le CEMAA avertit que l’emploi de la puissance
aérienne pourrait se trouver, à terme, entravée par la contestation croissante du
milieu aérien. Cela résulte du durcissement de la dynamique des Etats puissances
(Russie et Chine) et des organisations non étatiques ainsi que de la fragilisation
des mécanismes de régulation internationaux. Le « Plan de vol » s’inscrit dans la
remontée en puissance de l’armée de l’Air, initiée par la loi de programmation
militaire 2019-2025. Il doit lui permettre de garder un temps d’avance et de
conserver à la France une position forte sur la scène internationale. L’armée de
l’Air assure en permanence la maîtrise du domaine aérien et spatial ainsi que la
composante aérienne de la dissuasion nucléaire, avec la Marine nationale. Ses
modes d’action vont du recueil de renseignement au déploiement de forces
terrestres et de la destruction des moyens militaires adverses aux missions
humanitaires. La puissance permet de conserver l’avantage en opération,
souligne le CEMAA. Elle se combine avec une « agilité », accrue notamment par :
l’avion de ravitaillement en vol et de transport stratégique Phénix ; le
commandement des opérations aériennes « JFAC France » dans le cadre de
l’OTAN ; les opérations spatiales ; le Rafale au standard F3-R, équipé du missile
air-air longue portée Meteor, de la nacelle de désignation d’objectif Talios et de la
version à guidage terminal laser de l’armement air-sol modulaire, adapté aux
cibles mobiles ; le drone Reaper armé ; les capacités de lutte contre le déni
d’accès à un théâtre ; la modernisation de la composante nucléaire aéroportée ; le
système franco-allemand de combat aérien futur. Lors d’une rencontre avec la
presse, le CEMAA a indiqué que l’avion de transport tactique A400M est en train
d’acquérir les capacités d’atterrissage sur terrain sommaire et de largage de
parachutistes par la porte arrière (ouverture commandée) et par les portes
latérales (ouverture automatique). En outre, le ravitaillement en vol
d’hélicoptères, qui leur permettra d’aller plus loin dans la profondeur, évitera
d’installer des plots de ravitaillement au sol. Il réduira d’autant « l’empreinte au
sol » des forces spéciales, qui imaginent l’usage de certains équipements pour
répondre aux menaces existantes ou futures. Par ailleurs, « agilité » et « audace »
induisent le décloisonnement des organisations et le recours aux « Big data »
(mégadonnées), à l’intelligence artificielle (IA, transformation numérique) et à la
connectivité. Sont ainsi concernés : le combat aérien ; la capacité de l’hélicoptère
lourd ; l’action aérienne de l’Etat ; le Rafale au futur standard F4, successeur du
F3-R à partir de 2025, équipé d’un système de reconnaissance capable de trier en
direct les éléments d’intérêt militaire ; l’avion léger de surveillance et de
reconnaissance ; la capacité universelle de guerre électronique, à savoir trois
avions de renseignement stratégique livrables entre 2025 et 2027. Enfin, la
coopération en interalliés porte sur l’interopérabilité entre les armées de l’Air
française, américaine et britannique ainsi que sur l’installation d’un escadron de
transport franco-allemand de six Hercules C-130J à la base d’Evreux.

Complexité et accélération. La complexité politique d’un conflit, consécutive à
la culture et à l’Histoire, s’inscrit dans le temps long, explique Olivier Zadec. Elle
inclut le temps réel des opérations, avec des lignes de réaction politiques à
prévoir. Il s’agit de trouver l’équilibre entre le temps prévisible et le temps
imprévu. La transformation de très nombreuses données en connaissance entre
dans l’accélération de la boucle décisionnelle, en vue de réduire l’adversaire.
L’OTAN a fabriqué de l’interopérabilité mais laisse l’indispensable autonomie de
décision. Or la réactivité se vit au quotidien avec une action sur court préavis,
rappelle le général Parisot. Les frappes en coalition se décident en quelques
heures. Les avions peuvent décoller entre 2 et 7 minutes, avec la capacité de
rappel pour un raid limité au résultat le plus significatif. La réussite de la mission
rend impératif le recours à l’innovation technologique. L’IA prépare les
informations utiles, complétées par celles de l’état-major, et présente des options
au chef, qui décidera en toute connaissance de cause. Ainsi, au Levant, indique le
général Parisot, média et réseaux sociaux influencent le rythme des opérations.
En effet, une mission peut être interrompue à la suite d’une information, dont la
vérification fera perdre du temps. Seul un modèle d’armée complet permet de
trouver une place dans une coalition, mener une action autonome et disposer
d’une certaine masse pour rester longtemps sur plusieurs théâtres et affronter
une menace nouvelle, souligne le général. Enfin, le maintien de la supériorité
opérationnelle, par l’innovation technologique, répond à l’ambition de pouvoir, en
permanence, entrer en premier sur un théâtre, capacité des seules forces armées
américaine, britannique et française.

Loïc Salmon

Le taux de féminisation dépasse 20 % dans l’armée de l’Air et dans son Ecole de
Salon-de-Provence. Quoique toutes les spécialités soient ouvertes aux femmes,
faute de volontaires aux aptitudes suffisantes, elles ne sont que 12 pilotes de
chasse, dont le lieutenant-colonel Anne-Laure Michel. Selon elle, les élèves de
l’Ecole de l’air, âgés de 18 à 30 ans, ultra-connectés car nés à l’ère du numérique
et des réseaux sociaux, s’adaptent vite à la formation scientifique et technique
dispensée. Une « smart school » ou formation à la carte, via la communication par
internet, est en cours ainsi que des licences d’excellence sur le cyber, l’espace et
les drones. Tout au long de sa carrière, un officier pourra accéder à son
« passeport numérique de compétences ». La préparation au commandement
consiste à faire prendre conscience de l’engagement en alliant compétences et
qualités humaines pour obtenir l’adhésion des équipiers. Par exemple, lors de
l’opération « Pamir » en Afghanistan (2001-2014), une mission de 6 heures, avec
ravitaillements en vol dans un environnement hostile avec tirs possibles de
missiles sol-air, était toujours dirigée par un « leader » apportant précision et
audace. L’incertitude fait partie du métier de pilote de chasse, qui doit prendre la
bonne décision au bon moment pour remplir sa mission. Les exercices interalliés
permettent d’élaborer des méthodes communes par un travail « collaboratif », en
vue d’une opération ultérieure en coalition.

Armée de l’Air : l’humain, les opérations et la modernisation

Armée de l’Air : le combat numérique au cœur des opérations
Marine nationale : le fait
nucléaire, dissuasion politique et
actions militaires
Ogives nucléaires des missiles stratégiques et propulsion des sous-marins
nucléaires d’attaque (SNA), des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE)
et du porte-avions nucléaire (PAN) Charles-de-Gaulle donnent une liberté
d’action, avec des moyens militaires et techniques propres et leurs contraintes de
sécurité.

Ces particularités ont fait l’objet de deux présentations à Paris à l’occasion du
départ de la 500ème patrouille d’un SNLE le 11 octobre 2018. Le vice-amiral
d’escadre Bernard-Antoine Morio de l’Isle, commandant les forces sous-marines
et la Force océanique stratégique (FOST), et le commandant du SNLE Le-
Triomphant se sont exprimés devant la presse le 12 octobre. Le vice-amiral
Stanislas de la Motte, Autorité de coordination pour les affaires nucléaires, la
prévention et la protection de l’environnement de 2016 à 2018, a exposé la
situation au cours d’une conférence-débat organisée le 10 octobre par le Centre
d’études stratégiques de la marine.

La capacité permanente de rétorsion. Entre le 21 mars 1972 et le 11 octobre
2018, les SNLE de la FOST ont assuré 37.240 jours de patrouille sous la mer pour
dissuader toute agression d’origine étatique par la garantie de frappe en second.
Les SNLE en service emportent le missile balistique stratégique M51 d’une
portée supérieure à 6.000 km pour atteindre plus de 90 % des terres émergées
avec une grande précision. La version M51.3, plus performante, sera livrée à
partir de 2025. Le nombre de SNLE à la mer est passé de 3 en 1980, sur 5 en
service, à 1 ou 2 en 2018 (4). Le départ en patrouille, toutes les sept semaines
pour 70 jours, s’effectue en surface à partir de la rade de Brest, explique le vice-
amiral d’escadre Morio de l’Isle (photo). Le chenal a été « blanchi » par des
chasseurs de mines et un bateau remorqueur d’une antenne sonar de 1.000 m de
long. Le transit en surface, très vulnérable, est protégé par des commandos puis
par des patrouilleurs de haute mer. Pendant le trajet du SNLE en plongée jusqu’à
sa zone de patrouille, la surveillance par satellite, les frégates de lutte anti-sous-
marine et multi-missions ainsi qu’un SNA prennent la relève pour détecter tout
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