Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante

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Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante
Sur le climat,
                  la BNS égare la place
                      financière suisse
                La gestion des risques climatiques de la BNS
                                  est totalement défaillante

21 avril 2020
Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante
© Artisans de la transition, Fribourg, avril 2020
www.artisansdelatransition.org

Ce rapport repose en partie sur une recherche
menée par ISS-Ethix
www.issgovernance.com

Les versions en allemand et en anglais sont publiées
en collaboration avec l’Alliance climatique
www.alliance-climatique.ch
La version en français fait foi

Traductions en allemand et en anglais :
Alliance climatique

Correction :
Anne Florence Perrenoud

Graphisme : www.ventdouest.ch

Crédits photos :
Couverture : Phare de Felgueiras, Portugal
johnnorth/istock ;
p.6, Ennio-Leanza/Keystone ;
p.15, Pascal Städeli/Presse Klima-Demo ;
p.18, Branco de Lang/Keystone,
p.20. robh/istock
Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante
Messages clefs

  1) A
      près un long immobilisme sur le changement           4) L
                                                                a BNS est très en retard sur la réflexion au sein
     climatique, la Banque nationale suisse (BNS)              des banques centrales en Europe pour com-
     a rejoint, en avril 2019, le Réseau des banques           prendre et tenir compte de la gravité des risques
     centrales et de superviseurs pour le verdissement         climatiques. Réunis sous l’égide de la Banque
     du système financier. En novembre, elle a fait            des règlements internationaux basée à Bâle, un
     connaître sa vision des risques dus au change-            groupe d’éminents économistes explique très
     ment climatique.                                          bien pourquoi : « L’accumulation de CO2 atmos-
                                                               phérique au-delà de certains seuils peut conduire
                                                               à des impacts irréversibles, ce qui signifie que les
  2) La redondance des centres de calcul des banques,         causes biophysiques de la crise seront ensuite
     le filet de sécurité des assurances, la situation du      difficiles sinon impossibles à supprimer, écrivent-
     pays loin du littoral marin et une économie très          ils. Alors que, dans une crise ordinaire, il est pos-
     peu dotée en industrie lourde amènent la BNS              sible [aux banques centrales] de sortir d’affaire
     à juger modérés les risques liés au changement            les banques en détresse, cela sera beaucoup plus
     climatique pour l’économie et le secteur financier        difficile avec des économies rendues non viables
     suisses.                                                  à cause du changement climatique. »

  3) Cette évaluation profondément défaillante induit      5) L
                                                                es risques climatiques soumettent les démocra-
     la place financière suisse en erreur et l’expose          ties à un choix qui rappelle leur face à face avec la
     à de très graves conséquences. De 2016 à 2019,            pandémie de Covid-19 : réorienter leur économie
     Credit Suisse a prêté environ 25 milliards de             pour endiguer le plus vite possible les émissions
     dollars à la filière des énergies fossiles dans le        de CO2 en acceptant de mettre à mal des pans
     monde, soit l’équivalent de 56,8 % de ses fonds           entiers d’activités qui dépendent des énergies
     propres. UBS a multiplié par neuf ses investis-           fossiles ou laisser filer leur trajectoire actuelle et
     sements annuels dans le charbon en 2019. Trois            causer des dégâts physiques tellement énormes
     quart des soixante plus grandes caisses de pen-           qu’ils ne pourront que détruire l’économie ? Si
     sion suisses n’ont aucune politique climatique.           elle veut garder une chance de pouvoir gérer les
     Or, des politiques climatiques ambitieuses jointes        chocs à venir pour sauver l’économie, la BNS doit
     à l’évolution du marché vers des énergies moins           se joindre aux voix qui appellent en urgence à
     intensives en carbone pour atteindre les objectifs        « aplatir la courbe des risques climatiques » pour
     de l’accord de Paris sur le climat entraîneront une       éviter l’effondrement des économies.
     dépréciation massive de ces actifs.

ArtisansdelaTransition                                                                                                  3
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6) C
      ertaines banques centrales prennent ce chemin.       8) Ce rapport adresse en conséquence cinq recom-
     La Banque centrale européenne a lancé début               mandations à la BNS :
     2020 une révision stratégique afin d’inclure le
     changement climatique en tant qu’élément fon-           – Elaborer une vision et une stratégie de gestion
     dateur de la politique monétaire. La Banque cen-          des risques climatiques en accord avec l’état des
     trale néerlandaise réalise des stress tests clima-        connaissances sur le réchauffement climatique et
     tiques pour voir ce qu’il arriverait aux banques,         sur le rôle des banques centrales.
     assurances et fonds de pension si une vigoureuse
     taxe carbone – 100 dollars/tonne – était intro-         – Communiquer de manière claire et fondée sur la
     duite. Les Banques de France et d’Angleterre ont          gestion des risques climatiques.
     prévu de faire de tels tests respectivement en
     2020 et 2021.                                           – Gérer correctement les risques climatiques de
                                                               son portefeuille d’investissements.

  7) L
      a politique de placement de la BNS atteste de         – S’assurer que tous les acteurs financiers com-
     manière criante son manque de clairvoyance.               prennent les risques climatiques.
     L’association Arti­sansdelaTransition a analysé les
     investissements dans l’industrie des énergies           – Etudier la possibilité de participer à une coordi-
     fossiles d’un portefeuille de 101 milliards de            nation finance-climat au sein de la Confédération
     francs de la BNS, dans sa composition au 31               pour respecter l’accord de Paris.
     décembre 2019. Selon les calculs du prestataire
     ISS-Ethix, la BNS est désormais responsable de
     43,3 millions de tonnes d’émissions de CO2eq par
     an. Soit presque autant que la Suisse entière
     (47 millions de tonnes de CO2eq en 2017). Seuls
     20 % du portefeuille de la BNS sont investis dans
     des entreprises qui ont élaboré un plan pour
     s’adapter à l’objectif 2°C. Ce portefeuille favorise
     une trajectoire de réchauffement de 4 à 6°C d’ici
     2100, qui rendra la Terre largement inhabitable
     à l’horizon du siècle.

4 ArtisansdelaTransition
Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante
Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz*

                                   Sur le climat, la BNS
                                   égare la place financière suisse
                                   La gestion des risques climatiques de la BNS
                                   est totalement défaillante

                                   Résumé
* Susana Jourdan                   Ce rapport analyse la politique de       tière (47 millions de tonnes de CO2eq
  et Jacques Mirenowicz            gestion des risques climatiques de       en 2017) (Ofev, 2019).
  sont codirecteurs
                                   la Banque nationale suisse (BNS).
  de l’association
  Artisans de la transition        Le constat est clair : la BNS n’a pas    Alors que la BNS devrait être un
  www.artisansdelatransition.org   pris la mesure du risque systémique      phare pour tous les acteurs écono­mi­
                                   colossal et potentiellement irréver-     ques et financiers suisses, ce cons­tat
                                   sible que le changement climatique       est extrêmement préoccupant.
                                   pose au système financier et à l’en-     Les signaux qu’elle envoie contri-
                                   semble de l’économie suisses. Ce         buent à égarer la place financière
                                   manque patent de clairvoyance est        helvétique au lieu de l’éclairer sur
                                   notamment reflété dans ses choix         l’extrême gravité et urgence du
                                   d’investissements.                       danger climatique. En s’appuyant sur
                                                                            les avancées des banques centrales
                                   Pour la troisième fois, l’association    européennes pour prendre acte de
                                   ArtisansdelaTransition a analysé les     l’énormité des impacts économiques
                                   investissements dans l’industrie des     et financiers dus au réchauffement
                                   énergies fossiles d’un portefeuille      climatique qui ont commencé, ce
                                   de 101 milliards de francs de la BNS     rapport formule des recommanda-
                                   (environ 66 % de son portefeuille        tions pour que la BNS sorte de son
                                   d’actions), dans sa composition au       attentisme, rompe avec la gestion
                                   31 décembre 2019. Ces investisse-        passive de son portefeuille sur le
                                   ments restent globalement inchan-        climat et adopte le plus vite possible,
                                   gés depuis 2016. La stratégie d’inves-   en coordination avec le politique, une
                                   tissements passive de la BNS l’amène     gestion des risques climatiques des-
                                   à acheter un panier représentatif de     tinée à les atténuer le plus possible.
                                   l’état des Bourses internationales.      Ce faisant, elle pourra être ce phare
                                   Seule la taille de son portefeuille      dont le système économique suisse
                                   évolue. Selon les calculs du presta-     en général, et la place financière
                                   taire ISS-Ethix, la BNS est désor-       helvétique en particulier, ont besoin
                                   mais responsable de 43,3 millions de     pour éviter le naufrage. ●
                                   tonnes d’émissions de CO2eq par an.
                                   Soit presque autant que la Suisse en-

 ArtisansdelaTransition                                                                                             5
Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante
Une interprétation
                                     grossièrement erronée
                                     du changement climatique

Le premier secteur économique        Un risque jugé « modéré »                 lance des marchés financiers (Finma),
qui sera affecté par le chan-        La pression politique s’intensifie pour   en avril 2019. Elle évoque ainsi les
gement climatique est l’agri-
                                     que la BNS tienne mieux compte du         deux grands types de risques dus
culture. En 2018, de nombreux
puits d’alpage étaient asséchés.     réchauffement climatique, mais elle       au changement climatique pour ses
L’armée a dû les ravitailler par     s’exprime très peu sur ce phénomène.      missions essentielles : les risques
hélicoptère. Ici, sur l’alpage de    En novembre 2019, Andrea Maechler,        physiques et les risques liés à la
Oberbaetruns, près de Schänis,
                                     membre de sa direction générale, a        transition vers une économie à bas
dans le canton de Saint-Gall, un
paysan de montagne constate          cependant présenté la perspective         carbone.
la disparition de l’eau nécessaire   de la BNS sur les risques climatiques
à la survie de son troupeau.         à Genève, lors du Money Market            « Les risques physiques compren­
                                     Event (Maechler et Moser, 2019). Une      nent les impacts matériels directs du
                                     présentation fort instructive.            changement climatique sur les reve-
                                                                               nus et les capacités de production.
                                     Andrea Maechler y reprend le cadre        Par exemple, de fortes tempêtes
                                     d’analyse du Réseau des banques           peuvent endommager les usines et
                                     centrales et des superviseurs pour le     les infrastructures de transport et
                                     verdissement du système financier         interrompre les chaînes de valeur
                                     que la BNS a intégré en même temps        essentielles au commerce internatio-
                                     que l’Autorité fédérale de surveil-       nal », indique Andrea Maechler qui,

6   ArtisansdelaTransition
Sur le climat, la BNS égare la place financière suisse - La gestion des risques climatiques de la BNS est totalement défaillante
après avoir brossé un tableau de dif-     l’industrie automobile ou de l’indus-    auront des effets majeurs sur les
férents risques physiques possibles,      trie lourde, elle déclare :              deux missions centrales de la BNS
se veut rassurante : « En Suisse, les                                              qui sont d’assurer la stabilité des prix
redondances prescrites (par exemple       « Chaque banque centrale aborde ces      à moyen terme et de contribuer à la
plusieurs centres de calcul présen-       défis selon le profil de son économie    stabilité du système financier suisse
tant des profils de risque différents)    et le cadre institutionnel qui lui est   dans son ensemble.
assurent la continuité des activités      propre. Les pays sont affectés diffé-
en cas de catastrophes naturelles de      remment par les risques climatiques
grande ampleur. »                         suivant leur situation géographique      Risques physiques
                                          et la structure de leur économie.        Certes, la Suisse n’est pas en pre-
Ce qui conduit Andrea Maechler à          Je pense notamment aux pays qui          mière ligne face à la montée des
faire preuve d’un grand optimisme :       sont situés sous le niveau de la mer     eaux comme le Bangladesh ou les
« En raison du profil de risque clima­    (comme les Pays-Bas), à ceux qui         Pays-Bas. Néanmoins, le fait est que
tique de notre pays et comme une          sont fortement exposés à des phéno-      le pays compte parmi les plus mena-
grande partie de ces risques est as-      mènes climatiques extrêmes (tels que     cés au monde puisqu’il se réchauffe
surée, il paraît peu probable qu’une      sécheresses, tempêtes ou inonda-         deux fois plus vite que la moyenne
catastrophe naturelle d’origine           tions). Je pense également aux éco-      (NCCS, 2018). Le scénario sur les
climatique menace la stabilité de         nomies dans lesquelles les industries    changements climatiques en Suisse
l’ensemble du système bancaire en         émettant de grandes quantités de         paru fin 2018 présente les principaux
Suisse, même si certains établisse-       carbone (comme l’acier ou le ciment)     effets attendus : plus de chaleur,
ments pourraient être touchés. »          sont fortement représentées. »           moins de glaciers, moins de neige,
                                                                                   moins de précipitations. Le secteur
Andrea Maechler explique ensuite          Ce qui l’amène à affirmer : « Selon      le plus affecté sera l’agriculture. Puis
les risques liés à la transition. « Ils   notre évaluation, l’ensemble des         viendra le tourisme.
comprennent les coûts et les bé-          risques climatiques qui pourraient
néfices économiques découlant de          affecter la stabilité économique et      Il est très facile d’imaginer comment
l’ajustement aux règlements et aux        financière en Suisse paraissent, à       ces évolutions pourraient induire
politiques publiques nécessaires à        l’heure actuelle, modérés. » [C’est      de l’inflation, l’un des indicateurs de
la décarbonisation de l’économie. »       nous qui soulignons.]                    référence de la BNS : en cas d’été
Et alors qu’elle détaille les façons                                               sec et chaud – ce qui sera la norme
par lesquelles ces règlements et ces      Cette analyse et ses conclusions ré-     en 2060 si le monde se réchauffe
politiques, par exemple l’introduc-       vèlent une profonde incompréhen-         au-delà de 1,5°C (NCCS, 2018) –, la
tion d’une taxe carbone, pourraient       sion des impacts du changement           production agricole devrait forte-
affecter la valeur des actifs dans le     climatique sur la Suisse : les risques   ment chuter en Suisse et dans les
secteur des matières premières, de        physiques et ceux liés à la transition   pays voisins et les prix agricoles

ArtisansdelaTransition                                                                                                       7
croître. De même, les sécheresses de-      mondial durant l’automne 2018.               à charbon, fonderies ou aciéries en
vraient soumettre les barrages à des       « Une hypothèse est que l’été chaud          Suisse, ces industries font néan-
difficultés qui feront grimper les prix    [...] a fait baisser l’eau dans les riviè­   moins partie intégrante du système
de l’électricité.                          res allemandes à des niveaux qui             financier helvétique. Qu’arrivera-t-il
                                           ne permettaient plus aux péniches            aux 7000 milliards de francs d’actifs
Les scenarii envisageables qui affec­      de transporter que la moitié de              que la place financière suisse gère
tent le taux de change, autre variable     leur capa­cité normale, créant des           si le monde, pour appliquer l’accord
au cœur des missions de la BNS, sont       goulets d’étranglement dans l’appro-         de Paris, orchestre une authentique
eux aussi nombreux. En cas de catas-       visionnement. »                              transition vers des économies à bas
trophe naturelle, par exemple, une                                                      carbone ?
vague de panique sur les marchés en-       Benoît Cœuré cite d’autres exemples :
traînerait une forte appréciation du       aux Etats-Unis, la baisse passagère          En décembre 2019, sous le feu d’une
franc suisse.                              de l’activité économique constatée           intense campagne de « name and
                                           depuis plusieurs années durant le            shame » (LaRevueDurable, 2020b)
Mais en réalité, nul besoin de se pro-     premier trimestre pourrait résulter          dans un contexte où la pression est
jeter dans le futur pour entrevoir les     des hivers très enneigés, ou le ralen-       de plus en plus intense pour que
effets du changement climatique sur        tissement de l’économie allemande            toutes les banques, caisses et fonds
l’économie : ils sont déjà à l’œuvre.      au troisième trimestre 2018 découler         de pension, assureurs et réassureurs,
« L’horizon à partir duquel le change-     du déploiement des tests d’émissions         etc. rompent avec le charbon, Credit
ment climatique impacte l’économie         des voitures neuves conformes aux            Suisse a annoncé renoncer à inves-
s’est raccourci, ce qui justifie d’envi-   nouveaux standards internationaux.           tir dans ce combustible. Mais rien
sager la façon dont la politique mo-                                                    qu’entre 2016 et 2019, cette banque
nétaire est [d’ores et déjà] affectée »,   Benoît Cœuré estime que le change-           a prêté 6,3 milliards de dollars aux
souligne Benoît Cœuré, membre du           ment climatique affecte la capacité          entreprises qui exploitent des mines
directoire de la Banque centrale eu-       des banques centrales à mener leur           ou des centrales à charbon (RAN et
ropéenne (BCE) (Cœuré, 2018).              politique monétaire précisément              coll., 2020). Au fur et à mesure que
                                           parce qu’il n’est pas facile d’identi-       le charbon sera délaissé au profit
Selon cet éminent économiste, il re-       fier les phénomènes qui sont déjà en         d’énergies moins intensives en car-
lève du rôle des banques centrales de      train de l’affecter.                         bone, que vont devenir ces actifs ?
bien comprendre les effets du chan-
gement climatique sur l’économie et        Risques liés à la transition                 Au total, depuis quatre ans, Credit
d’adapter la politique monétaire en        La BNS juge les risques liés à la tran-      Suisse a financé la filière des énergies
conséquence. Par exemple, le prix          sition faibles en Suisse, car le pays        fossiles dans le monde à hauteur de
du pétrole est resté élevé en Allema­      n’a pas d’industrie lourde. Mais s’il        75 milliards de dollars, dont environ
gne alors qu’il baissait sur le marché     n’y a en effet pas de mines, centrales       un tiers de prêts. Ces prêts équiva-

8 ArtisansdelaTransition
lent à 56,8 % des fonds propres de        les marchés financiers et les analys­   Cette communication voudrait rassu-
la banque (44 milliards de francs         tes qui l’observent en tirent des       rer, mais elle induit en vérité la place
suisses fin 2019). Durant cette même      con­séquences pour orienter leurs       financière suisse en erreur, l’oriente
période, UBS a financé l’industrie des    actions et déplacer leurs                                vers les mauvais
énergies fossiles à hauteur de 35 mil-    fonds », observe Chris-      Un banquier cen- choix. Les deux
liards de dollars.                        tine Lagarde, présidente                                 grandes banques
                                          de la BCE (France 2,
                                                                       tral doit faire             suisses, Credit Suisse
Qu’arrivera-t-il à ces deux banques       2020). On peut même          attention aux               et UBS, figurent
si ces actifs sont dépréciés – ce qu’il   soutenir que sa parole                                   parmi les plus grands
                                                                       signaux
faut ardemment souhaiter – grâce à        publique est le principal                                fournisseurs de fonds
l’introduction de nouvelles normes,       outil d’une banque cen-      qu’il envoie                au monde de l’indus-
systèmes de bonus-malus, voire tout       trale. Dans la gestion de                                trie mondiale des
simplement sous l’effet des avancées      la pandémie de Covid-19,                                 énergies fossiles. La
technologiques attendues ? En 2019,       une phrase malheureuse                                   première est le plus
en dépit du soutien au charbon de         de Christine Lagarde a                                   grand pourvoyeur
l’Administration fédérale des Etats-      affolé les marchés et elle a dû ap-     de fonds à l’extraction de charbon
Unis, son utilisation a dévissé de 15 %   porter un correctif pour calmer les     après les banques chinoises. En 2019,
dans ce pays (Agence internationale       esprits (Albert, 2020).                 la seconde a multiplié par neuf ses
de l’énergie, 2020).                                                                investissements dans ce secteur par
                                          Sur le changement climatique, le          rapport à sa moyenne de 2016 à
Les risques de transition pèsent sur      message de la BNS est invariable :        2018 (RAN et coll., 2020).
d’autres secteurs majeurs, dont l’in-     rien à signaler, tout va bien. Son pré-
dustrie automobile : plusieurs pays       sident Thomas Jordan ne s’exprime         Le suivi des soixante plus grandes
vont bientôt interdire les ventes de      quasiment pas sur le sujet. Fritz         caisses de pension suisses montre
voitures à moteur à combustion neu-       Zurbrügg, son vice-président, a dé-       que 75 % d’entre elles n’ont aucune
ves : la Norvège en 2025, le Ro­yau­      claré le 12 décembre 2019 en confé-       politique climatique (Alliance clima-
me-Uni sans doute en 2035, les Pays-      rence de presse : « Selon [notre]         tique, 2020).
Bas, la France, la Suède, l’Irlan­de et   évaluation actuelle, la probabilité
même la Chine au plus tard en 2040.       que les risques liés au changement        Et bien sûr, cette interprétation er-
                                          climatique compromettent la stabi-        ronée de la situation sur le front du
Une communication qui oriente             lité du système bancaire dans son         climat induit la BNS elle-même en
les acteurs financiers vers les mau-      ensemble est faible [...] notamment       erreur, ce qu’atteste la troisième éva-
vais choix                                grâce à des directives visant à répar-    luation de son portefeuille en actions
« Un banquier central doit faire at-      tir les installations techniques entre    des ArtisansdelaTransition. ●
tention aux signaux qu’il envoie, car     différents sites. »

ArtisansdelaTransition                                                                                                      9
Le portefeuille en actions de la BNS
  est toujours sur la trajectoire
  d’un réchauffement de +4°C à +6°C

  Fin 2019, le bilan de la BNS totalisait 861 milliards de
                                                                                                    Dollars US
  francs. Ses placements en devises représentaient 794
  milliards, soit 92 % de ce bilan colossal. La BNS avait in-
                                                                                     86%
                                                                                                    Livres sterling
  vesti ces réserves selon la répartition suivante :                                      6%
                                                                                           3%       Dollars canadiens
                                      Obligations
                                      d’Etat
                                                                                          5%
                                                                                                    Autres monnaies
                      68%

                            12%       Obligations
                                      d’entreprises             Les Arti­sansdelaTransition ont ensuite demandé à l’en­
                                                                treprise ISS-Ethix d’analyser ce portefeuille. Cette étude
                     20%                                        révèle une baisse de 48,4 à 43,3 Mtonnes de CO2eq, soit
                                                                - 10,5 % des émissions de CO2eq générées par ce porte-
                                      Actions                   feuille par rapport à la précédente étude des Arti­sans­
                                                                delaTransition (2018). La raison principale de cette
  Le portefeuille en actions de la BNS s’élevait à 158 mil-     baisse est un recul du montant des placements dans l’in-
  liards de francs investis dans 6700 titres d’entrepri­ses     dustrie des énergies fossiles, dont la part dans le porte-
  de plus de quarante pays qui représentaient 95 % de la        feuille analysé est passée de 7,7 % à 5,7 %.
  capitalisa­tion boursière mondiale (Maechler et Moser,
  2019). Cependant, la plus grande partie de ses avoirs         A première vue, c’est un très bon bilan. La BNS serait-
  était placée en dollars à la Bourse de New York.              elle, malgré son appréciation défaillante des risques
                                                                climatiques, en train de désinvestir de l’industrie des
  La BNS étant très discrète sur ses placements, les Arti­      énergies fossiles ? L’analyse plus fine de ces données
  sansdelaTransition ont demandé au cabinet spécialisé          suggère que cela n’est pas le cas.
  Profundo, basé à Amsterdam, de reconstituer son por-
  tefeuille d’actions.
                                                                Recul des placements dans l’industrie
  Ces spécialistes ont identifié 104 milliards de dollars       des énergies fossiles
  d’investissements, soit environ 101 milliards de francs       Les placements connus de la BNS dans les entreprises
  au cours de la fin décembre 2019. Ce portefeuille repré-      qui extraient et vendent du charbon, du gaz et du pétro­
  sente environ 66 % du portefeuille total d’actions de la      le conventionnels ou non ont régressé de 1,4 milliard
  BNS. La composition du portefeuille fourni par Profun-        de dollars par rapport à l’analyse précédente (Arti­
  do est la suivante :                                          sansdelaTransition, 2018).

10 ArtisansdelaTransition
Les risques climatiques du portefeuille connu
   de la BNS au 31 décembre 2019                                                   30 septembre             31 décembre
                                                                                   2017                     2019

   Montant du portefeuille
   en milliards USD
                                                                                   95,6                     104
   Pourcentage investi dans les entreprises
   d’extraction et de vente de charbon, gaz et pétrole                             7,7 %                    5,7 %
   Investissements dans les entreprises d’extraction et
   de vente de charbon, gaz et pétrole, en milliards USD
                                                                                   7,3                      5,9
   Emissions de CO2eq
   en millions de tonnes*                                                          48,4                     43,3
  * Sont considérées les émissions sur la totalité du cycle de vie du bien ou du service                          Source : ISS-Ethix pour
    que l’entreprise fournit. Ce que les spécialistes appellent les Scope 1, 2 et 3.                   les Artisans de la transition, 2020.

  La BNS a notamment diminué ses placements de 400                             Début 2019, elle déposait son bilan après avoir estimé
  millions de dollars dans Exxon, de 100 millions dans Che-                    qu’elle faisait face à 30 milliards de dollars de dommages
  vron et Shell. Mais ces reculs semblent résulter de réallo-                  que lui réclamaient les victimes de feux qui ont ravagé
  cations de valeurs imposées par sa gestion indicielle plu-                   la Californie en 2017 et 2018. Ces feux ont été déclen-
  tôt que d’une stratégie proactive de gestion des risques                     chés par des chutes d’arbres sur les lignes électriques
  climatiques. La BNS a par exemple augmenté ses inves-                        de cette entreprise, qui ont fait jaillir des étincelles sur
  tissements dans le charbon. Les montants investis sont                       l’herbe environnante, qui s’est embrasée. Les incendies
  anecdotiques par rapport à la taille de son portefeuille,                    se sont propagés rapidement dans les forêts du fait de la
  passant de 3,2 millions de dollars à 4,7 millions de dol-                    sécheresse chronique qui frappe la Californie depuis de
  lars, mais ils montrent bien l’absence de stratégie pour                     longues années.
  atténuer les risques climatiques.
                                                                               Or, pour faire des économies, Pacific Gas & Electric n’a
  La BNS a aussi probablement perdu de l’argent dans                           pas entretenu les forêts autour de ses lignes électriques
  une entreprise emblématique. En 2017, elle détenait                          comme elle aurait dû le faire. A l’image de trop d’acteurs
  170 millions de dollars d’actions de Pacific Gas & Elec-                     économiques et financiers, cette entreprise a sous-esti-
  tric, propriétaire de la plus grande compagnie d’électri-                    mé les risques climatiques qui pesaient sur son modèle
  cité de Californie. Il s’agit désormais de la première en-                   d’affaires.
  treprise cotée en Bourse à avoir fait faillite à cause du
  changement climatique (Carney, 2019).

ArtisansdelaTransition                                                                                                                        11
L’analyse d’ISS-Ethix montre que seuls 20 % du porte-                              valeur du portefeuille de la BNS) ont la certitude de ne
  feuille sont investis dans des entreprises qui ont un plan                         pas y parvenir.
  pour s’aligner sur l’objectif 2°C (standard jusqu’en 2018,
  avant la parution du rapport du Giec sur l’objectif 1,5°C).                        Globalement, le portefeuille de la BNS soutient une tra-
  Cet engagement ne garantit pas que ces entreprises                                 jectoire de réchauffement 4 à 6°C d’ici 2100, ce qui ren-
  tiendront cet objectif, mais celles qui n’ont pas de stra-                         dra la Terre largement inhabitable à cet horizon.
  tégie ou qui ont une stratégie faible (40 %, au total, de la

                                        Parts du portefeuille investies selon les stratégies climatiques des entreprises

                                           Pas de stratégie        Stratégie modérée           Engagement à s’aligner
                                                                                               sur l’objectif 2°C
                                           Stratégie faible        Stratégie forte

                                             21               19      3              36                     20

                                       0            20 %           40 %              60 %          80 %          100 %       Source : ISS-Ethix
                                                                                                                         pour les Artisans de la
                                                                                                                               transition, 2020.

                                        Trajectoire d’émissions du portefeuille de la BNS comparé aux scenarii climatiques

                                  20
   Millions de tonnes de CO 2eq

                                  15

                                  10

                                   5

                                          9   1   3   5   7   9   1   3   5   7   9   1   3   5   7    1
                                       201 202 202 202 202 202 203 203 203 203 203 204 204 204 204 205
                                             Portefeuille de la BNS (Scope 1)    2° C       4° C     6° C

12 ArtisansdelaTransition
Un tragique manque de lucidité

                         Cygnes verts                               il peut encore paraître relativement
                         La pandémie de Covid-19 place              lointain. Le choix qui se présente
                         les démocraties devant des choix           aux démocraties est donc beaucoup
                         de vie et de mort : faut-il stopper        plus difficile pour le climat que pour
                         temporairement l’économie pour             le Covid-19.
                         enrayer la propagation du virus afin
                         de désengorger les hôpitaux même           Et cet horizon temporel des risques
                         si cela déstabilise gravement l’éco-       climatiques rend la tâche de les ap-
                         nomie ou laisser ce virus se propa-        précier à leur juste niveau d’autant
                         ger et provoquer des dizaines de           plus difficile aux banques centrales
                         milliers de morts ?                        qu’elles sont formatées pour scruter
                                                                    les moindres détails de la conjonc-
                         De manière comparable, les risques         ture et des perspectives de l’écono-
                         climatiques liés aux émissions de          mie à court terme (Carney, 2015).
                         gaz à effet de serre soumettent les
                         démocraties à des choix de vie et          Pour les aider à affronter les
                         de mort : doivent-elles réorienter         risques climatiques au mieux malgré
                         leur économie pour endiguer le plus        cette difficulté intrinsèque, l’analyse
                         vite possible les émissions de CO2         la plus approfondie parue à ce jour
                         et mettre à mal des pans entiers           sur la responsabilité spécifique des
                         d’activités qui dépendent des éner-        banques centrales provient d’un
                         gies fossiles ou laisser filer leur tra-   groupe de cinq économistes de haut
                         jectoire actuelle et causer des dé-        vol réunis sous l’égide de la Banque
                         gâts physiques tellement énormes           des règlements internationaux,
                         qu’ils finiront de toute façon par         basée à Bâle. Leur rapport évoque
                         détruire l’économie ?                      sans ambages la vraie nature des
                                                                    risques climatiques (Bolton et coll.,
                         Sauf que le virus responsable du           2020) :
                         Covid-19 se propage et tue dans
                         un horizon de temps extrêmement            « L’accumulation de CO2 atmos-
                         court alors que le changement cli-         phérique au-delà de certains seuils
                         matique met des décennies à dé-            peut conduire à des impacts irréver-
                         ployer ses effets délétères. Si bien       sibles, ce qui signifie que les causes
                         qu’en Suisse, malgré la montée des         biophysiques de la crise seront en-
                         températures année après année,            suite difficiles sinon impossibles à

ArtisansdelaTransition                                                                                   13
supprimer, écrivent-ils. Alors que,     Aplatir la courbe des risques          Pour reprendre l’analogie avec la
dans une crise ordinaire, il est pos-   Cette compréhension du change-         pandémie de Covid-19, les banques
sible de sortir d’affaire les banques   ment climatique en phase avec          centrales sont dans une situation
en détresse, cela sera beaucoup         la littérature scientifique la plus    qui ressemble à celle du système
plus difficile avec des économies       crédible (Giec, 2018 ; Masson-Del-     de santé au moment où certains
rendues non viables à cause du          motte et Moufouma-Okia 2019 ;          de ses représentants ont tiré la
changement climatique. »                Ripple, 2019) est déterminante pour sonnette d’alarme pour alerter le
                                        les banques centrales, estiment les    politique : « Il faut aplatir la courbe
Les milieux financiers appellent        cinq coauteurs, qui pensent que        de progression de la maladie, sans
cygne noir un événement inattendu       l’évolution du climat peut amener      quoi nous allons être submergés »,
aux impacts profonds sur l’écono-       ces banques à devoir                                    ont-ils prévenu. Si
mie. Pour décrire les risques clima-    faire « un saut dans                                    elles veulent garder
                                                                  Un bon système
tiques d’une ampleur et d’une com-      l’inconnu ». [...]                                      une chance de pou-
plexité inédites, ces cinq auteurs                                financier a besoin            voir gérer les chocs
parlent de cygne vert : « Ce nou-       « Si elles ne bougent d’écono­mistes                    à venir pour sau-
veau type de risque systémique im-      pas et attendent que                                    ver l’économie, les
plique des dynamiques écologiques,      d’autres agences
                                                                  et  de  financiers            banques centrales
géopolitiques, sociales et écono-       gouvernementales          lucides                       devraient appeler le
miques aux interactions fondamen-       agissent, relèvent-ils,                                 politique à prendre
talement impossibles à prédire que      elles s’exposent au                                     de toute urgence, en
la concentration croissante de gaz      risque réel de ne                                       concertation et en
à effet de serre dans l’atmosphère      pas être capables de remplir leurs     coordination avec lui, des mesures
transforme de manière irréversible.     mandats de stabilité financière et     économiques pour aplatir la courbe
[...]                                   monétaire. Les événements liés au      des risques climatiques.
                                        cygne vert pourraient les forcer à
» Aux réactions en chaîne com-          intervenir en tant que « sauveurs      Mais tout comme un bon système
plexes entre des conditions écolo-      de dernier recours » en achetant de de santé a besoin de médecins lu-
giques dégradées et des réponses        grandes quantités d’actifs dévalués    cides, capables de voir la menace
sociales, économiques et politiques     afin de sauver une fois de plus le     fondre sur eux pour anticiper et
imprévisibles s’ajoute le risque de     système financier. Les fondations      prendre à temps les mesures pro-
franchir des points de bascule-         biophysiques d’une telle crise et ses tectrices les plus judicieuses, un bon
ment : le changement climatique         impacts potentiellement irréver-       système financier a besoin d’écono-
représente un risque colossal po-       sibles révéleraient toutefois bien     mistes et de financiers lucides quant
tentiellement irréversible d’une        vite les limites de cette stratégie    à la rapidité avec laquelle les périls
énorme complexité. »                    attentiste. »                          climatiques de très grande ampleur

14 ArtisansdelaTransition
Une partie croissante de la population demande au politique des mesures fortes et significatives pour respecter l’accord de Paris.
Lors de la manifestation sur la place Fédérale du 28 septembre 2019, peu avant les élections fédérales, le nombre de manifestants
a été estimé à 100 000. La BNS apparaît en arrière-fond.

arrivent droit sur eux. A cette dif-          illustre l’extrême difficulté qu’é­           ment, mais c’est comme s’il n’y avait
férence près que les médecins sont            prouvent les économistes à com-               pas de récepteur ou de poste de
en principe compétents en matière             prendre la signification du change-           veille pour en tenir compte au sein
de santé, ce qui n’est a priori pas le        ment climatique (LaRevueDurable,              des institutions politiques et écono-
cas des économistes en matière de             2020a). Au lieu de concourir à l’an­          miques suisses. La BNS pourrait-elle
climat. Aussi le risque est-il parti-         ticipation collective des chocs à ve-         être cette institution pour l’heure
culièrement grand qu’ils se révèlent          nir, au lieu d’être un phare qui aide         manquante ? Les recommandations
incapables de voir le problème,               le pays et le monde à éviter une              suivantes sont destinées à faire ré-
aussi massif soit-il, et de l’apprécier       accumulation insupportable de                 fléchir à une telle avancée. ●
à sa juste mesure, ce qui est mani-           risques, la BNS ressemble plutôt
festement le cas de la direction ac-          à un veilleur qui ronfle au fond
tuelle de la BNS.                             de son lit pendant qu’une tempête
                                              potentiellement dévastatrice se
Juger modéré, comme elle le fait,             prépare sur la côte.
l’ensemble des risques climati­ques
qui menacent la stabilité éco­-               Les climatologues ne cessent d’aler-
no­mique et financière en Suisse              ter sur la gravité extrême du mo-

ArtisansdelaTransition                                                                                                               15
Recommandations

                            1) E
                                laborer une vision et               déterminer où, quand, comment et
                               une stratégie de gestion              dans quelle mesure la BCE peut le
                               des risques climatiques               prendre en considération. […] Il faut
                                                                     a minima [...] que les modèles macro­
                            La BNS devrait se doter d’une cellule    économiques [que la BCE utilise]
                            interne sur le climat chargée d’éla­     incorporent les risques climatiques
                            borer une stratégie et de proposer       dans leur évaluation des risques.
                            des outils pour mesurer et gérer
                            sérieusement les risques climatiques     » [...] Il faut que la BCE puisse
                            pour l’économie suisse et son sec-       également, grâce à des obligations
                            teur financier. En particulier, cette    de déclaration et de transparence,
                            cellule devrait compléter les modèles    déterminer si, oui ou non, les éta-
                            économiques traditionnels avec des       blissements bancaires prennent en
                            approches qui rendent mieux compte       compte le changement climatique
                            des caractéristiques incertaines et      quand ils évaluent les risques et
                            non linéaires des risques climatiques.   quand ils acceptent des produits
                                                                     financiers. […] Il serait aussi parfai-
                            Contrairement à la BNS, la BCE sem­      tement légitime et souhaitable que
                            ble prendre cette voie. Début 2020,      [...] la BCE se penche sur la manière
                            elle a lancé une révision stratégique    dont elle exerce l’ensemble de ces
                            interne afin de mieux comprendre         opérations, en prêtant une attention
                            comment de nouvelles considérations      particulière aux impératifs du chan-
                            telles que l’emploi et la durabilité     gement climatique. »
                            peuvent être pertinentes pour la
                            bonne poursuite de son mandat.           Voilà qui est clair. Il faut cependant
                                                                     attendre ce que préconiseront les con­
                            Ces derniers mois, sa nouvelle pré-      clusions de cette révision stratégique
                            sidente a multiplié les déclarations     de la BCE, prévues pour la fin 2020.
                            à propos de la place de la gestion
                            des risques climatiques dans l’ag-
                                                                     2) S
                                                                         ’assurer que tous les
                            giornamento de la BCE, notamment
                                                                        acteurs compren­n ent
                            à sa Commission des affaires écono-
                                                                        les risques climatiques
                            miques et monétaires (2019) : « [Nous
                            allons] inclure le changement clima-     La BNS devrait s’assurer que toutes
                            tique comme élément fondateur pour       les institutions financières et gestion-

16 ArtisansdelaTransition
naires d’actifs suisses mesurent cor-      Pays-Bas a ensuite estimé la vulnéra-         La BNS et la Finma devraient faire
rectement les risques climatiques.         bilité de chaque secteur à ces varia-         une proposition pour introduire ces
                                           tions. Bilan : les pertes vont jusqu’à        outils en Suisse et s’assurer que les
En coopération avec la Finma, la BNS       3 % des avoirs des banques, 10 % des          gestionnaires d’actifs les connaissent
doit contribuer à mesurer les risques      actifs financiers des fonds de pen-           et les utilisent. Et alors que cette
climatiques des acteurs financiers et      sion, 11 % des avoirs des assurances          législation ne s’applique pour l’ins-
rendre ces résultats publics. Cette        (Vermeulen et coll., 2018).                   tant qu’aux sociétés européennes, la
proposition figure dans la révision de                                                   BNS peut agir sur les sociétés cotées
la loi sur le CO2 et le Conseil national   La Banque de France prévoit de réa­-­         partout où elle investit. Elle peut uti-
doit en débattre durant la session         li­ser des stress tests climatiques en        liser son poids financier en décidant
d’été. Si le Conseil national l’accepte,   2020, la Banque d’Angleterre en 2021.         de systématiquement soutenir les
ces deux institutions devront se doter                                                   résolutions d’actionnaires – toujours
d’outils de mesure et de suivi de          Transparence des informations                 plus nombreuses – qui demandent
risques à la pointe. Plusieurs banques     Pour aider les acteurs financiers à           aux entreprises de publier leurs stra-
centrales utilisent ou prévoient no-       tenir compte des risques climatiques,         tégies climatiques. En 2015, la BNS
tamment d’utiliser des stress tests.       la Commission européenne prévoit              a décidé d’exercer ses droits de vote
                                           d’introduire d’ici 2022 quatre innova-        au sujet des aspects de bonne gou-
Stress tests climatiques                   tions pour orienter les flux financiers       vernance des entreprises. Elle peut
En 2018, la Banque des Pays-Bas            vers une économie à bas carbone.              très bien étendre cette démarche
a soumis les banques, assurances                                                         positive aux risques climatiques.
et fonds de pension du pays à des          (i) U  ne taxonomie des activités
stress tests climatiques. Elle a défini          économiques selon leur durabilité
                                                                                         3) G
                                                                                             érer les risques clima-
quatre scenarii possibles qui com-               écologique.
                                                                                            tiques de son portefeuille
mencent par un choc : mise en place        (ii)   Un standard de qualité pour
                                                                                            d’entreprises
d’une taxe carbone mondiale de                     les obligations vertes.
100 dollars/tonne, doublement de la        (iii) Des indices de référence à bas         La BNS devrait bien sûr commencer
part des énergies renouvelables dans              carbone pour aider les gestion-        par balayer devant sa porte et revoir
le mix énergétique, les deux à la fois,           naires d’actifs financiers à créer     ses choix d’investissements. Cepen-
et incertitude politique qui conduit              et à mesurer la performance            dant, pour gérer son portefeuille
les entreprises et les ménages                    de leurs portefeuilles.                de près de 800 milliards de francs
à décaler leurs investissements.           (iv) Des lignes directrices pour amé-        (794 milliards au 31 décembre 2019),
                                                  liorer la qualité et la quantité des   elle doit faire avec des contraintes
Ces chocs ont des impacts macroéco-               informations que les entreprises       qui, selon elle, l’obligent à se conten-
nomiques sur la croissance, l’inflation,          doivent communiquer sur l’impact       ter d’une politique d’investissements
les taux d’intérêt, etc. La Banque des            de leurs activités sur le climat.      passive.

ArtisansdelaTransition                                                                                                         17
Partout dans le monde, les tribunaux sont sollicités pour amener les juges à constater le caractère insatisfaisant
de la législation au regard du péril climatique. Le 20 décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé la décision
que l’Etat néerlandais a l’obligation de réduire rapidement et fortement les émissions de gaz à effet de serre du pays.

Tout d’abord, ses actifs doivent être         ligne la très forte exposition de son         4) Eclairer les acteurs financiers
extrêmement liquides pour lui per-            portefeuille d’actions à ces risques :
mettre d’intervenir très rapidement           40 % du portefeuille passé en re-             En fin de compte, la BNS se doit
au cas où le taux de change du franc          vue (page 10) sont placés dans des            d’être ce phare qui éclaire tous les
suisse serait trop élevé. Ils doivent         entreprises qui n’ont aucune straté-          acteurs financiers suisses sur la vé-
ensuite être « aussi neutres que              gie climatique ou qui ont une straté-         rité des risques climatiques. Pour
possible » : exclure certains titres          gie faible.                                   aider la place financière suisse à voir
reviendrait à poursuivre une poli-                                                          la lumière sur ces risques, à saisir
tique structurelle en faveur de sec-          Faire des stress tests sur son porte-         leur urgence et leur pleine gravité,
teurs plutôt que d’autres. Et des             feuille, utiliser ses droits de vote pour     il est urgent que la BNS cesse d’af-
considérations sur les risques de             exiger des conseils d’administration          firmer, en dépit des monceaux de
change l’empêchent en outre de se             des entreprises où elle investit qu’ils       données qui prouvent le contraire,
comporter comme un investisseur               élaborent des stratégies de transition        que les risques climatiques pour le
lambda (Maechler et Moser, 2019).             dignes de ce nom pour sortir de l’in-         système économique et financier
                                              dustrie des énergies fossiles, exiger         suisse sont modérés. La littérature
Bien entendu légitimes, ces consi-            de ces entreprises de la transparence         scientifique est sans ambiguïté : la
dérations ne peuvent néanmoins                sur leurs émissions : il existe déjà          situation est alarmante et le temps
pas avoir pour conséquence que la             des possibilités pour la BNS d’être           plus que compté pour y apporter des
BNS puisse se permettre d’igno-               proactive sur le climat sans empié-           réponses suffisantes.
rer les risques climatiques de son            ter sur les contraintes de sa gestion
portefeuille si stratégique (Monin,           de portefeuille, ce dont profiteraient
2020). Or, la présente analyse sou-           l’ensemble des acteurs financiers.

18 ArtisansdelaTransition
5) C réer une coordination                Dans son rapport sur la stabili-           question, la BNS doit de toute façon
   sur le climat et la finance             té financière, la BNS s’inquiète           être au centre de cette coordination.
                                           d’une possible bulle immobilière en
La place financière helvétique a les       Suisse. Alors que le pays vit dans un      Les ArtisansdelaTransition sont bien
moyens de contribuer à aplatir la          contexte de taux d’intérêt très bas,       conscients que la mise sur pied d’une
courbe globale des risques clima-          voire négatifs, les caisses de pension     telle coordination au sein de laquelle
tiques : 70e pays le plus émetteur par     se tournent vers l’immobilier pour as-     la BNS deviendrait un guide fiable
ses émissions directes de gaz à effet      surer le rendement de leurs capitaux.      sur les risques climatiques serait un
de serre, la Suisse se hisse au sep-       Or, la BNS constate qu’« une part          scénario extraordinaire alors que la
tième rang des pays les plus émet-         croissante des nouveaux prêts hypo-        position actuelle de la BNS révèle
teurs si l’on prend comme référence        thécaires dans le segment des objets       l’immense difficulté que représente,
sa place financière. Il est dès lors       résidentiels de rendement finance          pour de nombreux responsables
aisé de comprendre ceci : si les mil-      des objets immobiliers dans des ré-        économiques et politiques, le simple
liards d’actifs qu’elle totalise étaient   gions présentant un taux de vacance        fait de reconnaître la réalité des
gérés en tenant pleinement compte          important » (BNS, 2019).                   immenses périls que le changement
des risques climatiques, la place fi-                                                 climatique draine.
nancière suisse, de par sa taille, de-     Quel gâchis que de construire des
viendrait un formidable atout pour         immeubles inutiles alors que le sol        Néanmoins, le monde bouge, la pres-
infléchir la courbe mondiale des           a besoin de répit et que le contexte       sion monte et la réflexion au sein
émissions de CO2.                          des taux bas est idéal pour envisager      des banques centrales progresse.
                                           la rénovation thermique de l’im-           Les appels répétés des scientifiques
Il est donc crucial que la BNS rat-        portant parc immobilier des caisses        et la voix des jeunes qui demandent
trape rapidement son retard dans           de pension tout en bénéficiant des         aux populations et au politique d’en-
la compréhension et la gestion des         subventions du programme Bâti-             tendre ces appels laissent espérer
risques climatiques pour être ce pha­      ments de la Confédération ! Voilà un       qu’un tel scénario, aussi extraordi-
re qui éclaire et guide les acteurs        bel exemple d’opportunité qu’une           naire soit-il, pourra voir le jour. Tel
financiers suisses et au-delà. Une         bonne coordination des politiques          est l’espoir qui fonde ce rapport, car
meilleure coordination entre les poli­     publiques, fiscales et monétaires per-     les temps eux-mêmes sont extraor-
tiques fiscales, monétaires et de ré-      mettrait de saisir.                        dinaires. ●
gulation financière est en outre
essentielle pour que la Suisse réus-       Reste à savoir qui doit piloter la coor-
sisse une transition écologique opti-      dination entre ces politiques et la
male sur le plan économique, au plus       régulation financière en Suisse. Cette
faible coût humain.                        tâche pourrait-elle revenir à la BNS ?
                                           Quelle que soit la réponse à cette

ArtisansdelaTransition                                                                                                     19
La Californie (Etats-Unis), subit
depuis une dizaine d’années et de
manière exponentielle des incendies
de brousse et de fôrêts de plus en
plus dévastateurs et incontrôlables
(here the Tomas Fire taken from a
Santa Barbara beach )

En plus de trésors de biodiversité, les feux de forêt anéantissent d’immenses puits de carbone. Amazonie, Australie, Californie,
Canada, Scandinavie, Portugal, Ukraine et même Sibérie : des incendies dévastateurs et incontrôlables ravagent depuis quelques
années des superficies gigantesques partout dans le monde. Ici dans le Montana, aux Etats-Unis.

  Pourquoi un rapport sur la BNS
  au moment où la Suisse est confrontée
  à la pandémie de Covid-19

  Les ArtisansdelaTransition ont décidé de publier ce rap-           climatiques alors qu’il est impératif de l’aplatir. D’où l’in-
  port prévu de longue date en pleine pandémie de Co-                térêt éminent d’alerter, dans un langage accessible à
  vid-19 parce que la BNS tiendra son assemblée générale             tous, sur ce problème aigu en cette période cruciale.
  comme prévu le 24 avril. Et parce que la crise sanitaire
  aiguë actuelle ne doit pas masquer aux yeux des Suisses            Ce rapport montre le poids de la BNS au sein de la place
  la poursuite de la crise chronique bien plus grave qui af-         financière helvétique et mondiale, son retard marqué
  fecte le climat et bouleversera les conditions de vie des          dans la compréhension des risques climatiques sur les
  humains pendant les siècles à venir.                               autres banques centrales européennes, en particulier la
                                                                     BCE, le risque que cela représente pour l’économie suisse
  L’arrêt momentané forcé d’une partie importante de                 et l’influence positive et peut-être décisive que la BNS
  l’économie implique la mise sur pied prochaine de plans            pourrait avoir sur la dynamique économique helvétique
  de relance, qui devront absolument tenir compte de                 si elle changeait sa vision des risques climatiques. ●
  la donne climatique et écologique. Pour élaborer ces
  plans, la BNS sera mise à contribution. Or, il y a de fortes
  chances qu’elle n’aidera pas à en écarter les compo-
  santes de l’économie qui gonflent la courbe des risques

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