AUDIENCE SOLENNELLE DU 7 OCTOBRE 2021 - CURIA

 
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AUDIENCE SOLENNELLE DU 7 OCTOBRE 2021 - CURIA
AUDIENCE SOLENNELLE
DU 7 OCTOBRE 2021

                      curia.europa.eu
AUDIENCE SOLENNELLE DU 7 OCTOBRE 2021 - CURIA
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Audience solennelle
de la Cour de justice
du 7 octobre 2021
à l’occasion de la cessation des fonctions et du départ de :
Mme Rosario Silva de Lapuerta, vice-présidente
M. Michail Vilaras, président de la IVème chambre
M. Endre Juhász, juge
Mme Camelia Toader, juge
M. Daniel Šváby, juge
M. Henrik Saugmandsgaard Øe, avocat général
M. Michal Bobek, avocat général
M. Evgeni Tanchev, avocat général
M. Gerard Hogan, avocat général

ainsi que de la prestation de serment de :
M. Dimitrios Gratsias, en qualité de juge
Mme María Lourdes Arastey Sahún, en qualité de juge
M. Anthony Collins, en qualité d'avocat général
M. Miroslav Gavalec, en qualité de juge
M. Nicholas Emiliou, en qualité d'avocat général
M. Zoltán Csehi, en qualité de juge
Mme Octavia Spineanu-Matei, en qualité de juge
Mme Tamara Ćapeta en qualité d'avocate générale
Mme Laila Medina en qualité d'avocate générale

Déroulement
de la cérémonie
Ouverture par M. Koen Lenaerts, président de la Cour
Allocution en hommage aux Membres de la Cour cessant leurs fonctions,
par M. le président Lenaerts
Allocution de bienvenue aux nouveaux Membres de la Cour,
par M. le président Lenaerts
Prestation de serment des nouveaux Membres de la Cour

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Messages
de départ
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Rosario Silva de Lapuerta
Vice-présidente
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Après 18 ans comme juge à la Cour de justice, je quitte cette institution.

Je suis arrivée le 6 octobre 2003, et j’ai pris mes fonctions en même temps
que Koen Lenaerts, Juliane Kokott et Miguel Poiares Maduro.

La Cour n’était pas une inconnue pour moi, car pendant les 16 années
qui précédèrent mon entrée en fonction, j’avais été l’agent du Royaume
d’Espagne, et mes aller et retour entre Madrid et Luxembourg ont été
mon activité quotidienne durant cette période.

Je suis arrivée avec beaucoup d’énergie et d’enthousiasme ainsi qu’avec
la volonté de bien faire mon travail. Je pense que pendant toutes ces
années, j’ai donné le meilleur de moi-même dans le but de contribuer à ce
que la Cour accomplisse sa mission et je suis fière d’avoir fait partie d’une
institution clé dans le cadre de la construction européenne.

J’ai connu une Cour très différente de celle d’aujourd’hui, avec seulement
15 juges et 8 avocats généraux dont le cœur de leur travail était
essentiellement le marché intérieur avec ses 4 libertés.

J’ai participé pendant ces 18 dernières années à la transformation de la
Cour, tout d’abord quant au nombre de ses Membres, mais aussi pour ce
qui est des langues de procédure, du système de fonctionnement, de la
composition et des tâches des services et surtout des nouveaux domaines
du contentieux.

En effet, c’est pendant ces années que notre jurisprudence s’est développée
dans de nouvelles matières telles que l’asile et l’immigration, la coopération
judiciaire civile et pénale ainsi que les droits fondamentaux surtout à partir
de l’entrée en vigueur de la Charte.

Je voudrais profiter de cette opportunité pour simplement remercier tous
ceux qui m’ont aidée et soutenue tout au long de mon parcours à la Cour.

Tout d’abord, je voudrais remercier mes deux présidents : Vassilios Skouris
et Koen Lenaerts. Tous deux de grands présidents et surtout de bons amis.

Vassilios a eu le mérite de réussir le plus grand élargissement de la Cour,
d’une façon remarquable. Tout a fonctionné à la perfection, et nos nouveaux
collègues se sont rapidement intégrés dans les rouages de l’Institution.
En outre, Vassilios a rendu possible une réduction drastique des délais de
jugement, ce qui a permis par la suite que, même avec une augmentation
continue du nombre d’affaires, la durée moyenne est restée toujours

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la même. Enfin, Vassilios a su diriger la Cour dans un moment où des
    nouveaux domaines du droit de l’Union avaient commencé à se développer
    en établissant les fondements de cette nouvelle jurisprudence.

    Koen et moi, nous partageons la même année de naissance, et, comme je
    l’ai mentionné auparavant, nous sommes entrés en fonction à la Cour le
    même jour. Il est le collègue avec lequel j’ai le plus siégé, dans la mesure
    où, pendant 6 ans, j’ai fait partie de la chambre qu’il présidait, ensuite
    comme vice-président, il a été affecté à la chambre que je présidais et, en
    dernier lieu, nous avons été côte à côte dans la composition de la Grande
    chambre, surtout pendant les trois dernières années de ma vice-présidence.

    Koen est une personne unique avec un dévouement total à la Cour, au
    droit de l’Union et à la construction européenne. Je pense que nous avons
    travaillé ensemble d’une façon efficace et constructive, toujours avec la
    volonté de faire ce qui pouvait être le mieux pour la Cour.

    Je voudrais le remercier pour son soutien et pour son amitié pendant ces
    18 années.

    Ensuite, je veux remercier tous mes collègues, juges et avocats généraux,
    pour leur aide et pour tous les bons moments passés ensemble, mais je
    dois faire une référence spéciale aux membres de la première chambre
    pendant la période allant de 2015 à 2018.

    Merci Jean-Claude, Alexander, Carl Gustav, Siniša et Eugene. Je crois que
    nous avons réussi à avoir la meilleure formation de jugement possible,
    avec un esprit d’équipe, une volonté de collaboration et de compromis
    avec l’objectif d’arriver toujours à la meilleure solution. Je n’oublierai jamais
    notre voyage en Espagne ainsi que les bons moments partagés en dehors
    du cadre professionnel de la Cour.

    Je veux aussi remercier tous les services de la Cour qui m’ont aidée pendant
    ces 18 ans et sans lesquels notre travail juridictionnel n’aurait pu être
    possible. Très spécialement, je veux me référer à la direction générale
    du Multilinguisme et concrètement à l’unité de langue espagnole de la
    direction de Traduction dont le chef a été pendant presque tout mon
    parcours à la Cour, Adolfo Gutierrez, sans oublier la cabine espagnole de
    l’interprétation. J’ai toujours proclamé que la Cour dispose du meilleur
    service d’interprétation au monde et j’ai eu la chance de pouvoir bénéficier
    des compétences de professionnels d’un très haut niveau. Merci Marina,
    Javier, German et Beatriz, vous allez me manquer.

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Mes remerciements vont aussi à Alfredo Calot, notre greffier, sans qui
la Cour ne serait pas ce qu’elle est. Son effort inlassable pour que tout
fonctionne à la perfection nous a permis de continuer à travailler pendant
la pandémie, et ce avec une performance remarquable. Mais je voudrais
également remercier non seulement le professionnel, mais aussi l’ami.
À Madrid ou à Valencia, nous continuerons à nous voir, gracias.

Je remercie tous ceux qui m’ont aidée dans les centaines d’audiences
auxquelles j’ai participé, très spécialement Christine, son efficacité, sa
bonne disposition et son amabilité m’ont toujours touchée.

En dernier lieu, je veux remercier les membres de mon cabinet. J’ai eu la
chance d’avoir un cabinet très stable, ceux qui l’on quitté, c’était à cause
de leur départ à la retraite, ou pour des raisons familiales ou encore
professionnelles. Je pense que nous avons réussi à avoir une véritable
équipe où tout le monde se sentait intégré dans une bonne ambiance,
et un désir de toujours faire mieux. Merci Kurt, Bernard, Jorge, Miguel,
Patricia, Álvaro, André, Alessandro, Valéria, Tania, Martine et Patricia. Et
il me manque Ramón, mon chauffeur, une personne exceptionnelle qui
maintenant fait partie de notre famille et qui va réellement me manquer.

Je ne peux pas finir mes remerciements sans une référence à ma
famille, Julio mon mari, Santiago et Javier, mes fils, sans eux rien n’aurait
été possible. Ils m’ont soutenue dans mon parcours professionnel.
Ils m’ont suivie jusqu’au Luxembourg, et m’ont apportée l’équilibre
nécessaire pour accomplir ma tâche. Les avoir toujours à mes côtés
m’a donné une force et une stabilité qui m’ont permis de m’épanouir
dans mon travail.

Maintenant, une étape de ma vie se termine mais je suis sûre qu’une autre
s’ouvre. Le travail n’est pas tout, il est important d’avoir un peu de temps
à pouvoir partager avec sa famille et ses amis.

J’étais heureuse à la Cour, j’ai mené à bien un travail passionnant, et j’ai eu
la chance d’avoir fait partie d’une grande institution qui fêtera ses 70 ans
l’année prochaine.

La Cour est une institution unique que je ne peux me résoudre à qualifier
d’internationale. Le fait qu’elle applique un droit issu des traités mais
qui s’intègre dans les ordres juridiques des États membres, et surtout la
décentralisation du système juridictionnel de l’Union qui découle de la
reconnaissance des juges des États membres en tant que juges de droit

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commun de ce droit, fait de la Cour une création avec des caractéristiques
     très spécifiques.

     J’espère que, surtout à travers le renvoi préjudiciel, la Cour continuera à
     garantir la pleine application du droit de l’Union en donnant aux juridictions
     nationales des réponses qui leur seront utiles afin de pouvoir résoudre
     les litiges dont elles sont saisies. Sans une coopération directe entre la
     Cour et les juridictions nationales, dans le cadre de laquelle ces dernières
     participent de façon étroite à la bonne application et à l’interprétation
     uniforme du droit de l’Union ainsi qu’à la protection des droits conférés
     par cet ordre juridique aux particuliers, la communauté de droit qui est
     l’Union européenne n’existerait pas.

     Je souhaite à la Cour tout ce qu’il y a de meilleur pour les 70 prochaines
     années.

     Merci et au revoir.

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Michail Vilaras
Président de la IVème chambre
Monsieur le Président, Chers collègues, Mesdames et Messieurs.
En octobre 2010, j’avais prononcé depuis l’estrade de la salle où nous
sommes tous réunis aujourd’hui mon allocution de départ du Tribunal.
Plus d’une décennie plus tard, je reprends la plume pour mon allocution
de départ de la Cour mais cette fois-ci dans des circonstances à la fois
très différentes et très particulières. En effet, la cérémonie de ce jour sera
marquée pour toujours par les conditions exceptionnelles dans lesquelles
elle est organisée en raison de la pandémie. L’Europe et le monde entier
ne seront plus les mêmes post-Covid-19. La justice européenne ne le sera
pas non plus.
Mon mandat à la Cour s’achève, marquant la fin d’une très longue période
au service de la justice nationale, à savoir le Conseil d’État hellénique,
et de la justice européenne. La moitié d’une carrière de 40 ans a été en
effet dédiée au service de deux juridictions européennes ainsi que, plus
largement, des institutions européennes. Tout au long de ce parcours j’ai
vécu plusieurs stades de l’évolution du projet européen, les progrès, les
échecs, les nouveaux départs, les mises en cause, les défis. J’ai été témoin
de la dynamique de l’évolution du droit européen. La jurisprudence de
la Cour reflète également cette dynamique et demeure un moteur de
construction du projet européen. Beaucoup plus qu’un moteur d’intégration,
ces dernières années notre jurisprudence met en avant ce qui nous a unis,
l’Europe des valeurs. C’est ainsi que, dans les lignes qui suivent, je vais
esquisser mon vécu juridictionnel au sein de de la justice européenne en
pleine évolution et mutation.
Quand j’ai pris le chemin vers mon « Ithaque », pour faire référence au
célèbre poème de Constantinos Cavafis, en tant qu’expert national au
service juridique de la Commission à la fin des années 80 et au début
des années 90, l’Europe avançait à pleine vitesse vers l’achèvement du
marché intérieur. C’était l’époque de l’« objectif 1992 ». C’est pendant la
même période que le traité de Maastricht, qui a posé les bases de l’union
monétaire, a été signé. Sont venus ensuite, pendant mon mandat au
Tribunal, le traité d’Amsterdam et puis celui de Nice, qui a substantiellement
élargi les compétences du Tribunal et qui a permis l’élargissement. Le
1er mai 2004, l’Union à 15 devenait l’Union à 25. Mais l’euphorie n’a pas
duré trop longtemps. L’abandon du traité établissant une constitution pour
l’Europe, suite à son rejet par référendum en France et aux Pays Bas, a brisé
le rêve fédéraliste des « États-Unis d’Europe ». En effet, l’élargissement
en l’absence d’un édifice constitutionnel solide pour l’Union était, à mon
sens, une grande erreur dans l’histoire de la construction européenne

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dont nous continuons à payer les conséquences aujourd’hui. Le traité de
     Lisbonne, entré en vigueur peu de temps avant mon départ du Tribunal
     ainsi que les mesures adoptées pour faire face à la crise financière et de
     dette souveraine ont impliqué un approfondissement des compétences de
     l’Union dans des domaines constitutionnels sensibles, dont, notamment,
     l’espace de liberté, de sécurité et de justice ainsi que la politique économique
     et monétaire. En outre, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne,
     la charte de droits fondamentaux acquiert la même valeur juridique que
     les traités. Cette évolution a donné un nouvel élan à la Cour en tant que
     garant des droits fondamentaux des citoyens de l’Union lorsque le droit
     de l’Union est applicable. Il n’en reste pas moins que, pendant la durée de
     mon mandat à la Cour, nous avons vécu un événement moins heureux,
     à savoir le premier retrait de l’Union d’un État membre qui, entre autres,
     a conduit la Cour à plusieurs occasions à statuer rapidement sur des
     affaires sensibles.
     Pendant mon long parcours de juge européen, j’ai également vécu une
     évolution remarquable de l’organisation et du fonctionnement de la
     justice européenne. La juridiction de quinze membres que j’ai intégrée
     en 1998 en compte désormais 54 ! Une nouvelle juridiction a été créée
     pour prendre en charge les affaires de la fonction publique, avant d’être
     supprimée. Il est encore trop tôt pour dresser un bilan définitif, en termes
     d’augmentation de productivité, du doublement des juges du Tribunal,
     mais cette évolution a déjà impliqué une autre, moins visible mais non sans
     importance. Une procédure de filtrage de pourvois - dans la conception
     de laquelle j’espère avoir apporté moi-même une petite contribution - a
     été instaurée pour certaines catégories d’affaires. Il reste à étudier s’il
     sera nécessaire d’étendre son champ d’application à d’autres catégories
     d’affaires, voire à la généraliser. De même, le nombre sans cesse croissant
     des renvois préjudiciels, qui représentent maintenant trois quarts des
     affaires introduites devant la Cour, nécessitera, tôt ou tard, une nouvelle
     réflexion sur un éventuel transfert de certaines de ces affaires au Tribunal.
     Tout au long de mon parcours européen, j’ai été témoin de la dynamique de
     la jurisprudence. S’agissant, plus particulièrement, de mes années à la
     Cour, je pense que l’arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis (C-201/15,
     EU:C:2016:972), qui a repris et renforcé l’idée selon laquelle l’Union promeut
     la protection sociale, dès lors qu’elle n’établit pas seulement un marché
     intérieur, mais œuvre pour un développement fondé sur une économie
     sociale de marché, tendant au plein emploi et au progrès social, mérite
     d’être mentionné. Je suis heureux d’avoir pu jouer un certain rôle dans
     l’évolution de cette jurisprudence.

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La jurisprudence de la Cour pendant la dernière décennie s’inscrit, d’ailleurs,
dans le cadre des crises multiples dont l’Union a dû faire face : la crise
de dette souveraine, la crise migratoire et la crise de l’État de droit. Aux
fins de relever le défi presqu’existentiel que ces crises représentent, la
jurisprudence est guidée par les principes du droit de l’Union et ses valeurs.
Ainsi que notre jurisprudence récente le démontre, l’État de droit n’est
pas une notion abstraite mais une valeur dont la violation entraîne des
conséquences juridiques et dont les justiciables peuvent se prévaloir. En
effet, dans plusieurs arrêts prononcés tout au long de mon mandat, la Cour
a progressivement développé et concrétisé les exigences qui découlent
de l’obligation des États membres, consacrée à l’article 19, paragraphe 1,
TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection
juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.
Cela étant, il est regrettable que la Cour ait eu à traiter d’affaires, telles
que celles ayant donné lieu à cette jurisprudence et qui s’inscrivent dans
un cadre de crise de l’État de droit dans certains États membres.
Je quitte la Cour à un moment où celle-ci et, plus généralement, la justice
européenne doit faire face à plusieurs défis. Il y a, tout d’abord, la nécessité
d’approfondir la coopération avec les juridictions suprêmes des États
membres, laquelle a connu une évolution importante lors de mon mandat,
avec la création, à l’initiative du président de la Cour, du Réseau judiciaire
de l’Union européenne. En même temps, face à certaines frictions liées
au fonctionnement du dialogue judiciaire dans un environnement de
réserves constitutionnelles, la Cour devra continuer à défendre le principe
de primauté du droit de l’Union, tout en faisant preuve de compréhension
et d’un souci d’apaisement. Dans le cadre d’un dialogue constitutionnel
sincère et constructif, la Cour devra continuer à façonner les termes
de la coexistence entre la primauté du droit de l’Union et l’identité
constitutionnelle nationale pour surmonter une logique conflictuelle.
Enfin, ainsi que je l’ai évoqué au début de mon allocution, la pandémie
de Covid-19 représente un défi pour le modèle classique de la justice. La
Cour a fait preuve d’une résilience et d’une flexibilité remarquables qui
lui ont permis de continuer à fonctionner et de rendre la justice même
lors du confinement. Ainsi, il y a sans doute plusieurs leçons à tirer de
cette expérience qui pourraient aussi être utiles même en période de
fonctionnement « normal ». À titre d’exemple, nous pouvons, notamment,
mentionner la possibilité de plaider à distance, dans des conditions bien
définies, ainsi que la diffusion en direct des audiences.

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Je ne pourrais terminer cette brève allocution sans une série de
     remerciements. D’abord, à mon épouse Sofia, à mes enfants et aux autres
     membres de ma famille, dont le soutien tout au long de mon parcours
     juridictionnel a été constant et inconditionnel. Ensuite, à l’ensemble de mes
     différents collaborateurs au sein de mon cabinet, dont l’aide a toujours été
     précieuse. Je ne saurais certainement omettre de remercier mes collègues
     juges et avocats généraux à la Cour, qui m’ont tous réservé un accueil
     chaleureux, dès le premier jour de mon arrivée, et plus particulièrement
     tous les collègues de la quatrième chambre, que j’ai eu l’honneur de présider,
     pour leur coopération. J’ai eu également le plaisir d’y retrouver certains
     collègues, y compris le président de la Cour, avec lesquels nous avons
     aussi passé de longues et fructueuses années de coopération pendant
     mon parcours au Tribunal. Un grand remerciement est également dû aux
     autorités du Grand-Duché de Luxembourg, qui ont su créer pour nous
     tous un cadre d’accueil et de séjour agréable, nous permettant de vivre
     et de travailler sans souci majeur, malgré notre expatriation.
     Enfin, je suis heureux de pouvoir quasiment reprendre les termes que j’ai
     utilisés dans mon allocution à l’occasion de mon départ du Tribunal : je
     félicite donc encore une fois mon successeur, Dimitrios Gratsias, et je lui
     souhaite le plus grand succès dans l’exercice de ses nouvelles fonctions.
     Mes chers collègues, arrivé à la fin de cette allocution, c’est avec une
     grande émotion que je vois mon long périple vers « Ithaque » s’achever.
     Certes, le bilan de notre passage par la justice européenne sera dressé,
     en fin de compte, par les praticiens du droit, les universitaires et surtout
     par les justiciables. Toutefois, mon ressenti personnel est que nous avons
     œuvré à dresser un équilibre entre un marché économique et une Europe
     sociale, à faire avancer l’Europe des valeurs, de la démocratie, des droits
     fondamentaux et à défendre une vision humaniste du droit. Je veux croire,
     pour paraphraser Emmanuel Carrère dans son roman D’autres vies que
     la mienne, que « c’est assez pour se dire qu’on a servi à quelque chose, et
     même qu’on a été de grands juges ».

16
Endre Juhasz
Juge à la Cour de justice
Monsieur le président,
Madame la vice-présidente,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Le 6 mai 2004, par un vol Luxair en partance de Budapest, je suis arrivé
à Luxembourg pour ma prise de fonctions en tant que juge à la Cour de
justice de l’Union européenne. Ni la Cour ni la ville de Luxembourg ne
m’étaient inconnues. En tant qu’ambassadeur auprès de l’Union européenne
à Bruxelles (1995-2003), j’ai accompagné le président de la Cour suprême
de Hongrie et le procureur général de mon pays lors de visites à la Cour.
En outre, j’étais négociateur en chef des négociations d’adhésion de la
Hongrie à l’Union européenne (1998-2003) et, au cours de ces négociations,
j’avais déjà eu l’opportunité de commencer à me familiariser avec la
jurisprudence de la Cour, car certains arrêts faisaient partie de l’acquis
communautaire, dont l’incorporation dans le droit national était exigée.
Quant à la ville de Luxembourg, déjà pendant les négociations d’adhésion,
et surtout après leur achèvement, les représentants des pays candidats
étaient informellement invités à des réunions du Conseil, y compris celles
tenues à Luxembourg, auxquelles j’ai participé.
Néanmoins, il serait prétentieux de dire que je connaissais l’activité d’un
juge. Tout au contraire, c’était une nouvelle vie. Cette vie a duré dix-sept
ans et cinq mois, une longue période de ma vie professionnelle et de
ma vie tout court. Il est difficile de la décrire et de la caractériser même
brièvement.
Je commencerais comme de coutume par les remerciements.
Tout d’abord, je remercie le président de la Cour, M. Koen Lenaerts. Je
ne veux pas oublier son prédécesseur M. Vassilios Skouris, qui a eu le
grand mérite de bien préparer et d’organiser l’arrivée et l’intégration des
nouveaux juges en 2004. Notre actuel président, M. Koen Lenaerts, qui,
j’en suis sûr, sera renouvelé dans cette fonction demain, assume la fonction
de président depuis 2015. Il exerce cette fonction avec autorité, mais aussi
avec sérénité et même gentillesse. Dans les faits, cette fonction n’est pas
facile. Elle exige une capacité professionnelle et humaine extraordinaire
ainsi qu’un juste équilibre entre divers intérêts. J’ajoute que M. Lenaerts
était également mon président de chambre (de 2006 à 2012), après M. Peter
Jann (de 2004 à 2006). Par conséquent, j’ai pu travailler à ses côtés pendant
de longues années.

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Je remercie M. von Danwitz, qui était mon président de chambre entre
     2012 et 2018. Il a présidé la chambre également avec autorité, dans une
     bonne atmosphère et avec succès. À ce stade, je peux dire que sa vision
     de la Cour et, en général, sur beaucoup de questions européennes était
     très proche de la mienne.
     Je remercie M. Eugene Regan, qui est mon président de chambre le plus
     récent (de 2018 à 2021). Bien que son style ait été assez différent de celui
     de M. Lenaerts ou de M. von Danwitz, son approche pragmatique était
     efficace et a abouti à des résultats équilibrés après des débats parfois
     animés.
     Je tiens à remercier également mes proches collaborateurs.
     En premier lieu, Márton Szüts, qui est à mes côtés depuis le début. Cette
     longue période de plus de dix-sept ans est en soi un signe de reconnaissance
     de ses mérites dans un système où le juge dispose de la liberté de choisir
     ses collaborateurs. Il s’est acquitté de ses obligations soigneusement et
     efficacement. Je regrette que les circonstances ne lui permettent pas de
     continuer son travail dans le cabinet hongrois en tant que référendaire.
     J’ai eu également la chance de pouvoir travailler avec deux excellents
     collaborateurs, un Français, Pierre de Lapasse (2014-2021), et un Allemand,
     Dieter Kraus (2016-2021). Je suis content que M. Kraus puisse continuer
     en tant que référendaire dans le cabinet hongrois. Il serait injuste de ne
     pas mentionner le prédécesseur de M. Kraus, à savoir M. Athanassios
     Stathopoulos (2004 2016), qui faisait partie de la composition initiale
     de mon cabinet. Jonathan Tomkin (2004-2008), qui aujourd’hui est au
     Service juridique de la Commission, et M. Thierry de Bovis (2008-2014)
     ont également contribué efficacement au travail du cabinet.
     En ce qui concerne les assistantes, Franca Vaccaro a été à mes côtés depuis
     le début. Elle a constitué le véritable pilier du cabinet. Sur la base de nos
     dix-sept années de collaboration, je peux dire que je ne peux pas imaginer
     une meilleure assistante principale qu’elle. J’ai apprécié non seulement sa
     capacité organisationnelle, mais également sa compétence linguistique.
     Elle a été la garante de la qualité des textes qui sont sortis du cabinet. Je
     suis heureux qu’elle puisse continuer son travail de première assistante
     auprès de Mme la juge Prechal.
     Stéphanie Gardinetti était également à mes côtés depuis le début. Elle m’a
     servi avec une efficacité remarquable. Je ne pouvais pas lui demander une
     tâche qu’elle n’exécutait aussitôt. Je suis sûr qu’un juriste n’aurait pas pu
     mieux préparer les dossiers qu’elle ne l’a fait.

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Mme Katalin Horuczi (2006-2021), tout en contribuant au travail du cabinet,
était le point de contact important avec la Hongrie, donc avec les autorités,
les organismes, les entreprises et les citoyens de ce pays. Sa prédécesseure
était Mme Éva Neofitu.
Je remercie également l’État du Luxembourg et la ville de Luxembourg
d’avoir offert à la Cour et aux juges les meilleures conditions pour exercer
leur travail.
J’ai pu observer que les juges arrivent à la Cour avec des ambitions différentes,
parfois avec celle d’arriver au sommet de leur parcours professionnel.
J’avoue que je suis arrivé à la Cour à l’âge de 60 ans avec une ambition plus
modeste. En lisant ma biographie, on peut s’apercevoir que j’ai parcouru
pratiquement tous les échelons de la hiérarchie administrative de mon
pays, de stagiaire jusqu’à secrétaire d’État et ministre du gouvernement. De
plus, j’étais ambassadeur auprès de l’Union pendant huit ans et négociateur
en chef pendant cinq ans (1998-2003) des négociations pour l’adhésion de
la Hongrie. Ainsi, j’avais le sentiment, peut-être infondé, que j’avais déjà
accompli quelque chose pour mon pays et aussi peut-être pour l’Europe.
Je n’avais pas l’ambition de le surpasser. Ainsi, mon ambition n’était pas
de devenir un « grand juge », mais plutôt de m’acquitter correctement
de mes obligations, peut-être dans des conditions plus prévisibles et
régulières qu’auparavant. Cela ne signifie pas que j’ai renoncé à exercer
une influence sur la jurisprudence de la Cour. Je souhaitais quand même
laisser une empreinte. En fait, je peux constater que certaines formulations
de la législation de l’Union (dans le domaine des marchés publics, par
exemple) reprennent les idées et les termes des arrêts dans lesquels
j’étais juge rapporteur et que j’ai rédigés. Dans plusieurs procédures en
manquement, où j’étais juge rapporteur, l’idée a été réaffirmée que, tout en
reconnaissant l’obligation de l’État membre concerné de se défendre d’une
manière adéquate, la charge fondamentale de la preuve du manquement
pèse sur la Commission. Je constate également que, dans certains arrêts,
la Cour revient à des solutions que j’ai développées dans le cadre de mon
activité antérieure. Cela étant, je suis fermement convaincu que la fonction
de juge est l’interprétation du droit de l’Union et non sa « promotion » ni
son extension.
La Cour est appréciée et respectée dans toute l’Europe. Néanmoins, afin
que cette situation demeure, je crois qu’elle doit évoluer et s’adapter.
Tout d’abord, des mesures efficaces sont nécessaires pour réduire la
présente surcharge de travail résultant d’un nombre d’affaires trop élevé.
L’introduction de l’admission de certaines catégories de pourvois est

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un bon début, mais elle n’est pas suffisante. De plus, même les effets
     bénéfiques de cette modification ne peuvent se faire sentir si l’on continue
     d’examiner exhaustivement tous les arguments de la partie pour conclure
     que le pourvoi ne soulève aucune question importante pour l’unité, la
     cohérence ou le développement du droit de l’Union.
     Depuis mon arrivée à la Cour, j’ai, à plusieurs reprises, lancé l’idée
     d’introduire l’obligation, pour les parties, de payer des taxes dans certaines
     catégories d’affaires, bien entendu, déjà devant le Tribunal et, par la
     suite, en cas de pourvoi, devant la Cour. Cette obligation ne s’appliquerait
     évidemment pas aux procédures de renvoi préjudiciel ni aux procédures en
     manquement, et des exonérations appropriées pourraient être accordées.
     Je trouve illogique que les entreprises soient contraintes de payer des taxes
     importantes lorsqu’elles attaquent une décision nationale devant une
     juridiction nationale, mais que, pour la procédure devant les juridictions
     de l’Union, lorsque l’objet du recours est comparable, elles en soient
     exonérées. Ces taxes pourraient être imposées, en particulier, dans le
     domaine de la concurrence et des marchés publics.
     Selon l’article 272 TFUE, la Cour est compétente en vertu d’une clause
     compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit
     privé passé par l’Union ou pour son compte. En général, une clause
     compromissoire constitue le fondement d’une procédure d’arbitrage, qui
     est normalement d’un seul niveau. Je suis d’avis que de tels litiges devraient
     être définitivement tranchés par le Tribunal sans possibilité d’introduire
     un pourvoi. En outre, la Commission et les autres organismes de l’Union
     devraient être incités à n’introduire une telle clause compromissoire
     qu’exceptionnellement.
     Il existe un consensus parmi les juges selon lequel notre fonction est
     d’interpréter le droit de l’Union et non de l’appliquer à des situations
     concrètes. Dans la pratique, nous recevons de plus en plus de demandes
     de décision préjudicielle qui décrivent des situations factuelles complexes
     et spécifiques et qui nous demandent comment les apprécier à l’aune d’une
     disposition du droit de l’Union ou du droit de l’Union en général. Certes,
     il est difficile de faire la distinction entre l’interprétation et l’application,
     mais, si nous décidons toujours que de telles affaires sont recevables, la
     Cour risque d’être inutilement submergée. En fait, je ne peux me rappeler
     aucune affaire que nous avons déclarée irrecevable après avoir constaté
     qu’il s’agissait non pas d’interprétation, mais de pure application.

22
Personnellement, je serais enclin à déléguer certaines compétences au
Tribunal, sur la base de l’article 256, paragraphe 3, TFUE, en matière de
renvoi préjudiciel. Bien entendu, les matières spécifiques à transférer
devraient être déterminées avec précision. Dans un tel cas, je ne vois
pas le risque de mettre en danger la cohérence et l’homogénéité de la
jurisprudence. Les affaires à transférer pourraient être celles concernant la
TVA, les affaires douanières et certaines catégories relevant de la propriété
intellectuelle, surtout celles dont les marques font l’objet.
Je constate que, pendant les dix-sept années que j’ai passées ici, l’orientation
générale de la Cour a sensiblement évolué. Tandis qu’au début la Cour
accomplissait essentiellement sa fonction primordiale, notamment celle
de régler des conflits découlant du fonctionnement du marché unique, il
apparaît que le centre de gravité de la Cour s’est récemment déplacé vers la
résolution de conflits naissant de l’interprétation des droits fondamentaux
et des principes généraux de l’Union, voire même des valeurs de l’Union.
De plus en plus, seuls les arrêts concluant de telles affaires sont considérés
comme étant de « grands arrêts ». J’admets que la Cour doit trancher les
litiges qui lui sont présentés conformément aux traités. Néanmoins, il faut
être conscient que, par cette nouvelle tendance, surtout par l’interprétation
de l’article 19, paragraphe 1, TUE, sur la protection juridictionnelle effective,
la Cour se retrouve sur un terrain où elle entre en concurrence, voire
même en conflit, avec la Cour européenne des droits de l’homme et les
cours constitutionnelles des États membres.
Je suis content que la Cour, par son interprétation des relations sensibles
avec la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et avec la Cour EDH, ait réussi à préserver l’autonomie
du droit de l’Union et, ainsi, l’autonomie de notre Cour. J’espère que
cette appréciation prévaudra aussi à l’avenir. En revanche, je doute que
les États membres acceptent indéfiniment que deux cours établissent la
jurisprudence sur les mêmes sujets, jurisprudence qui quelquefois peut
s’avérer contradictoire.
Je pense que les cours constitutionnelles devraient être nos partenaires
et nos alliées et non nos adversaires. Cela exige une coopération qui
est parfois difficile, mais nécessaire et réalisable. Il est indéniable que
le droit de l’Union et les règles constitutionnelles des États membres se
chevauchent parfois. Je crois que notre Cour doit témoigner une certaine
réserve à cet égard et conserver une « coexistence pacifique ».

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Camelia Toader
Juge à la Cour de justice
Les tours dorées, la somptuosité de cette grande salle d’audience de
la Cour, avec les Membres en robes, l’esprit du beau et du juste des
œuvres d’art décorant les généreux espaces de cette institution que j’ai
eu l’honneur de servir jour après jour, depuis janvier 2007, en tant que
première juge roumaine à la Cour : voilà ce qui va le plus me manquer
à partir de demain. Et je commence par cette réflexion, car, comme
Bill Davies et Fernanda Nicola l’ont fait remarquer dans l’introduction de
EU Law Stories, la Cour se préoccupe à la fois de construire attentivement
sa jurisprudence et son esthétique.
En tant que citoyenne européenne, membre du public avide de la plus
haute source de sagesse qu’est la jurisprudence de la CJUE ici sur le
plateau du Kirchberg (ville de Luxembourg - capitale du Grand-Duché de
Luxembourg - Europe), je garderai, je l’espère, le droit de la regarder, de
près ou de loin, avec l’aide des nouvelles technologies, tant développées
ces dernières années.
Ce qui toutefois restera seulement dans ma mémoire seront les intenses
interactions intellectuelles, professionnelles et humaines avec les collègues
de trois (devenues deux) juridictions de notre institution, dont certains
nous ont quittés trop tôt, vers un autre monde, pendant leur mandat.
J’ai toujours beaucoup aimé le droit et les langues. Ici, dans cette prestigieuse
institution judiciaire internationale, que je quitte aujourd’hui, j’ai eu la
chance de les pratiquer tous deux au quotidien, comme une grande partie
du personnel de la Cour, ce qui m’a offert une immense satisfaction.
Le multilinguisme à la Cour est un acquis précieux et unique, dont la
préservation mérite d’être continuée, malgré les critiques qui se font de
temps en temps entendre. Symboliquement, pour les justiciables et les
citoyens européens, je suis d’avis que les prononcés des arrêts dans toutes
les langues de la procédure devraient être maintenus, dans la mesure des
ressources humaines à disposition. Si je peux exprimer un regret que j’ai
ressenti concernant les langues parlées entre nous, les Membres de la
Cour, est celui que dans presque 15 ans depuis l’adhésion de la Roumanie,
je suis restée la seule avec comme langue maternelle le roumain. C’est,
bien entendu, l’aléa du fonctionnement de l’Union et de ses institutions
diplomatiques.
Pendant les années de mon passage comme juge à la Cour, tant dans
mon pays d’origine qu’au niveau européen, des nombreuses et majeures
modifications ont eu lieu. Pour ne pas parler des crises qui, depuis 2008, ont
frappé parfois simultanément l’UE, avec le risque d’affecter les fondations
de son projet d’intégration.

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Parmi les modifications législatives avec un impact immédiat sur
     l’organisation et la charge de travail à la Cour, tant pour les services que
     pour les avocats généraux et les juges, y compris ces dernières vacances
     d’été, j’aimerais mentionner l’introduction en 2008 de la « PPU », la procédure
     préjudicielle d’urgence. J’ai eu la chance de faire partie, tant comme juge
     rapporteure que comme juge siégeante, de plusieurs chambres chargées
     du traitement des affaires où cette procédure d’urgence a été demandée
     par les juges nationaux. Leur traitement exige une implication immédiate
     de tous les acteurs à l’intérieur de la Cour, afin de résoudre des problèmes
     parfois délicats et compliqués de droit - évidemment - mais aussi de vie
     familiale ou de liberté des personnes. Je remercie sincèrement ceux et
     celles des référendaires chargés au sein de mon cabinet de telles affaires
     pour leur dévouement et la qualité du travail qu’ils ont fourni.
     J’aimerais également évoquer ici une autre modification majeure, cette
     fois des traités, et à laquelle j’ai assisté de l’intérieur pendant ces années.
     D’abord en 2013, j’ai eu la joie de connaître un élargissement de l’Union
     avec l’arrivé de la Croatie, pays qui à partir d’aujourd’hui et pour 6 ans
     aura deux Membres à la Cour, un juge et une avocate générale (à laquelle
     je souhaite de tout cœur la bienvenue). Mais j’ai aussi connu la grande
     tristesse de voir le retrait de l’Union européenne par l’un de ses États
     membres, le Royaume-Uni, et avec lui le départ récent de deux Membres
     importants, un juge et une avocate générale.
     Revenant à mon travail de juge à la Cour, c’est avec plaisir que je me
     souviens de la première chambre à cinq juges à laquelle j’ai appartenu,
     entre 2007 et 2010, présidée avec sagesse et esprit pratique par
     M. Christiaan Timmermans, à qui je tiens à témoigner mon plus grand
     respect. Ses qualités professionnelles, didactiques et humaines m’ont
     servi, dès mon arrivé à la Cour, de modèle, complémentaire de celui du
     président Skouris, qui, m’a accordé dès le début une grande confiance.
     Je mentionnerai encore MM. Jean-Claude Bonichot et Lars Bay Larsen,
     mes collègues de chambre tant au début de ma carrière de juge à la Cour
     que – quel hasard ! – à la fin, dans l’actuelle. À mes collègues de chambre,
     au président Lenaerts et aux autres chères et chers collègues qui m’ont
     gentiment soutenu, aussi pendant les périodes moins heureuses de ma
     vie, un sincère et grand MERCI.
     Je leur souhaite à tous et à toutes bonne continuation du travail à la Cour,
     en compagnie de la nouvelle juge roumaine, Mme O. Spineanu-Matei,
     ancienne et ambitieuse collègue de section à la Haute Cour de cassation
     et justice de notre pays natal, qui s’est entretemps bien familiarisée avec
     l’institution et son fonctionnement et à laquelle je souhaite une brillante
     carrière à la Cour.

26
Je tiens à rappeler que si le prestige de la Cour réside dans la qualité
et quantité des jugements rendus, issus de longs débats juridiques et
délibérés, le travail de différents services d’appui de l’institution, derrière
celui purement intellectuel des juges et avocats généraux, est indispensable
et parfois sous-estimé. Je remercie donc sincèrement les services, surtout
la Recherche et documentation, la bibliothèque, le greffe, le protocole,
notamment pour l’excellente collaboration avec le comité des œuvres
d’art que j’ai présidé, la presse et communication, l’informatique (surtout
pour l’effort soutenu depuis la pandémie de covid), le multilinguisme
(avec mention spéciale pour les unités roumaines de la traduction et de
l’interprétation).
Depuis janvier 2007, quand j’ai dû découvrir le fonctionnement interne
de la Cour et mettre les bases de mon cabinet, j’ai bénéficié de l’aide
précieuse de mes premiers collaborateurs, ayant une expérience plus longue
respectivement plus courte, au sein de la Cour ou d’autres institutions de
l’Union. Certains de la « maison » les avaient nommées des « Euro bébés ».
Je les remercie vivement pour l’excellent travail de pionniers qu’on a
réussi ensemble, travail dont le résultat, les arrêts et les ordonnances de
la Cour, resteront parmi les plus mémorables. J’adresse les mêmes mots
de gratitude à tous les collaborateurs, celles et ceux qui ont suivi, jusqu’à
ce jour. Je leur souhaite de rester curieux dans l’étude de la doctrine et
des dossiers et, évidemment, attentifs au respect des délais. La liste
des référendaires, assistants, magistrats stagiaires, stagiaires ou même
chauffeurs qui étaient à mes côtés pendant ces longues années étant
assez longue, je les remercie collectivement pour leur professionnalisme,
respectivement pour les diverses expressions en français, introuvables
dans les livres de droit que j’avais dans mon bagage à mon arrivée. Je
suis sûre que le travail dans une équipe multiculturelle nous a fait tous
beaucoup apprendre au niveau des langues, cultures et traditions, qu’on
s’est habitué à respecter, sans préjugés.
Et j’en finis en remerciant les autorités du Grand-Duché pour l’accueil
chaleureux qu’elles nous ont réservé, à ma chère famille et à moi, avec
comme point culminant l’introduction d’une ligne aérienne régulière entre
Luxembourg et Bucarest. Je vais continuer de profiter de cette facilité, pour
revenir voir la Cour et les anciens collègues, accomplir mes recherches
juridiques en toute tranquillité, faire du tourisme ou juste vivre dans ce
beau pays.
Villmools merci !

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Daniel Šváby
Juge à la Cour de justice
Je viens de souffler mes 70 bougies et, en tant que juge septuagénaire
souriant à la vie, je profite d’une belle pratique à la Cour pour dire mon
dernier mot. Un mot d’amitié.
La vie m’a permis de m’identifier à plusieurs personnages. Ainsi, presque
comme un acteur de théâtre, j’ai joué un fils, un frère, un élève, un gymnaste,
un mari, un père, un grand-père et un juge de profession. J’imagine que
je vais encore continuer à interpréter quelques-uns de ces grands rôles
de la vie, mais plus jamais celui de juge.
Le confinement de mars 2020 est survenu alors que je parvenais à une
sensibilité plus aiguë aux questions de l’âge et du passage du temps.
En effet, ce que je vivais dans l’atmosphère générale du Covid-19 et des
ravages sanitaires (« Les enfants, tenez vos grands parents à distance! »)
n’est pas très différent de ce que nous devons tous affronter un jour :
reconnaître qu’une activité de notre vie est terminée et trouver un moyen
de s’adapter à cet état de fait, de l’accepter.
Je vais essayer de redessiner mon expérience humaine extraordinaire
qu’ont été mes années passées au Tribunal et à la Cour.
Parmi mes meilleurs souvenirs figure mon tout premier délibéré juste après
mon arrivée au Tribunal. C’était une affaire de marque communautaire,
affaire banale, diriez-vous. Mais sur un élément litigieux, à savoir quel
était le public concerné par la marque tridimensionnelle en question, j’ai
rencontré, dans les notes en délibéré, des positions fortement controversées
entre mes deux collègues dans la chambre de juges à trois. Je n’avais pas
particulièrement confiance en moi dans le labyrinthe jurisprudentiel où
je venais de mettre les pieds et, sachant que c’était moi qui allais faire
la majorité dans cette affaire, j’ai réuni les trois jeunes référendaires qui
composaient mon cabinet d’alors : l’Espagnole Susana Moreno Sánchez, la
Française Magali Rousselot et le Slovaque Andrej Stec, pour en discuter. Ils
ont été, eux aussi, très partagés. Finalement, j’ai trouvé mon regard à moi
au problème soulevé, mais une question était restée : comment présenter
mon opinion lors du délibéré oral qui promettait d’être très passionnant.
Pour être convaincant j’ai décidé de faire un petit commentaire sur chacune
des positions contrastées de mes deux collègues, d’ailleurs les deux très
expérimentés en la matière. À la fin de celui-ci, j’ai remarqué le regard
qu’ils ont échangé et qui m’a toute de suite rappelé l’histoire amusante
d’un chauffeur de taxi new-yorkais qui s’est mêlé audacieusement lors du
trajet à la conversation de trois rabbins : « Le plus vieux dit son ignorance,
son éternelle humilité devant le texte, le deuxième en âge dit : “Mais non,

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