Aikaterini Grymaneli * - Peace Palace ...

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La compétence
                   des tribunaux internes
    5              en matière de piraterie

                   Aikaterini Grymaneli *

SeCtIOn 1          IntroductIon

                  Phénomène que l’on croyait obsolète et que l’on se
contentait d’aborder plutôt sous un angle littéraire et artistique non sans
un certain romantisme, la piraterie est depuis quelques années de retour.
Les incidents se multiplient malgré la réaction de la communauté inter-
nationale, notamment au large des côtes somaliennes et plus récemment
dans le golfe de Guinée. Selon le rapport annuel pour l’année 2011 de
l’Organisation maritime internationale (OMI), cinq cent quarante-quatre
(544) incidents de piraterie et de vols à main armée (y compris les simples
tentatives) lui ont été signalés, quatre cent quatre-vingt-cinq (485) actes
ayant été dénombrés en 2010, ce qui représentait une augmentation de
presque 20 % par rapport à 2009 1.
   L’une des raisons principales du relatif échec de la lutte contre la pira-
terie est sans doute le manque de volonté de la part des etats d’exercer
effectivement et pleinement leur pouvoir juridictionnel, c’est-à-dire au
degré le plus élevé qui leur est reconnu par le droit international, repré-
senté par la compétence universelle 2. en effet, par sa résolution 2077
adoptée le 21 novembre 2012, le Conseil de sécurité, après s’être déclaré
« une nouvelle fois inquiet que des personnes soupçonnées de piraterie
soient libérées sans avoir été jugées » et « résolu à faire en sorte que les
pirates soient amenés à répondre de leurs actes », a
      « [d]emand[é] à tous les etats d’ériger la piraterie en infraction
      dans leur droit interne et d’envisager favorablement de poursuivre

   * Master 2 recherche en droit international public, Université Paris II (Pan-
théon-Assas).
   1. Rapports annuels 2011, MSC.4/Circ.180, et 2010, MSC.4/Circ.169. Les
rapports peuvent être consultés sur le site internet de l’OMI : http://www.imo.
org/OurWork/Security/SecDocs/Pages/Maritime-Security.aspx.
   2. Pour la distinction entre les termes « pouvoir » et « compétence », voir l’ana-
lyse de J. Combacau, « Conclusions générales », dans SFDI, Les compétences de
l’Etat en droit international, Colloque de Rennes 2005, Paris, Pedone, 2006,
notamment pp. 304-309.
200                    PReMIèRe PARtIe      —   CHAPItRe 5

      les personnes soupçonnées de piraterie qui ont été appréhendées au
      large des côtes somaliennes ainsi que celles qui ont facilité ou
      financé leurs actes et d’incarcérer celles qui ont été reconnues cou-
      pables, dans le respect du droit international, y compris du droit
      international des droits de l’homme ».
Incitation réitérée dans maintes résolutions 3 depuis que le Conseil de
sécurité s’est saisi de la question de la piraterie au large des côtes soma-
liennes visant à mettre fin à la pratique dite de « catch and release » sui-
vie par les etats qui se sont lancés dans la lutte contre la piraterie dans
la région 4. L’Assemblée générale de son côté, dans sa résolution 66/231
Les océans et le droit de la mer et en dehors du contexte restreint de la
piraterie somalienne, a
      « [e]ngag[é] les etats à veiller à l’application effective du droit
      international applicable à la lutte contre la piraterie tel que le
      consacre la Convention, et les (a) invit(és) à prendre des mesures
      dans le cadre de leur législation interne pour faciliter, dans le respect
      du droit international, la capture et la poursuite des personnes
      soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie, ou d’avoir
      financé ou facilité de tels actes, en tenant compte des autres instru-
      ments pertinents compatibles avec la Convention… » 5.
   Cette faille relevée principalement à propos des incidents de piraterie

   3. S/ReS/1851 (2008) du 16 décembre 2008, S/ReS/1897 (2009) du
30 novembre 2009, S/ReS/1918 (2010) du 27 avril 2010, S/ReS/1976 (2011)
du 11 avril 2011, S/ReS/2015 (2011) du 24 octobre 2011 et S/ReS/2020 (2011)
du 22 novembre 2011.
   4. Dans sa dernière résolution S/ReS/2077 (2012), le Conseil de sécurité
     « not[ait] avec préoccupation que le manque de moyens et l’absence de
     législation interne permettant de détenir et poursuivre les pirates présumés
     après leur capture ont empêché de mener une action internationale plus
     vigoureuse contre les pirates agissant au large des côtes somaliennes et, trop
     souvent, contraint à libérer des pirates sans les avoir traduits en justice alors
     même que les éléments à charge étaient suffisants pour justifier des pour-
     suites ».
La résolution fut adoptée suite au rapport du Secrétaire général au Conseil de
sécurité (S/2012/783 du 22 octobre 2012), selon lequel 1186 personnes soupçon-
nées d’actes de piraterie avaient été traduites en justice ou étaient en attente
de jugement dans les vingt etats suivants : Allemagne, Belgique, Comores, emi-
rats arabes unis, espagne, etats-Unis, France, Inde, Japon, Kenya, Madagas-
car, Malaisie, Maldives, Oman, Pays-Bas, République de Corée, Seychelles,
Somalie (Puntland, Somaliland et Centre-Sud), République-Unie de tanzanie et
Yémen.
   Sur le tableau ci-contre figure l’état des poursuites, de 2006 jusqu’au 30 sep-
tembre 2012.
   5. A/ReS/66/231, Les océans et le droit de la mer, distribution générale du
5 avril 2012, par. 85.
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                     201

au large des côtes somaliennes vaut d’autant plus pour les autres régions
du monde qui ne sont pas couvertes par les résolutions du Conseil de
sécurité incitant les etats à contribuer à la répression de ladite infraction.
   La présente étude se propose de clarifier les contours du champ dans
lequel les etats peuvent exercer leur pouvoir juridictionnel en matière de
piraterie et d’examiner dans quelle mesure ce pouvoir est exercé dans la
pratique afin de démontrer pourquoi ce phénomène n’a toujours pas été
mis en échec — loin s’en faut.

  Pays                        Nombre de détenus        Notes
  Allemagne                   10
  Belgique                    2                        1 condamné
  Comores                     6
  emirats arabes unis         10
  espagne                     8                        2 condamnés
  etats-Unis d’Amérique       28                       17 condamnés
  France                      18                       5 condamnés
  Inde                        119
  Japon                       4
  Kenya                       137                      74 condamnés,
                                                       17 acquittés,
                                                       10 peines exécutées
  Madagascar                  12
  Malaisie                    7
  Maldives                    41                       en attente de
                                                       déportation en
                                                       l’absence de loi
                                                       permettant d’engager
                                                       des poursuites
  Oman                        32                       25 condamnés
  Pays-Bas                    29                       10 condamnés
  République de Corée         5                        5 condamnés
  République-Unie
   de tanzanie                12                       6 condamnés
  Seychelles                  105                      83 condamnés,
                                                       2 retournés
                                                       au Puntland
  Somalie
  « Puntland »               290                       environ
                                                       240 condamnés
  « Somaliland »             35                        35 condamnés
                                                       (76 ultérieurement
                                                       remis en liberté)
  « Centre-sud »              18                       L’état des poursuites
                                                       n’est pas clair
  Yémen                       123                      123 condamnés,
                                                       6 acquittés
202                   PReMIèRe PARtIe    —   CHAPItRe 5

   Si la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer est la source
principale du régime de la répression de la piraterie, elle n’est pas la
seule applicable en la matière : les etats peuvent (ou doivent) s’appuyer
sur d’autres conventions, comme celle pour la répression d’actes illicites
contre la sécurité de la navigation maritime de 1988 ou celle contre la
prise d’otages de 1979 (section 2). Certes les sources de droit interna-
tional prévoient jusqu’où peut aller l’action des etats dans la poursuite
des pirates présumés, mais il n’en reste pas moins que les etats les
traduisent en justice en vertu de leur droit interne. Il convient donc
d’étudier comment les etats ont incorporé le droit international dans leur
droit interne et comment ils l’interprètent (section 3).

SeCtIOn 2         Les sources du droIt InternatIonaL
                  appLIcabLe en matIère de pIraterIe

                  La Convention de Montego Bay de 1982, reflétant le
droit international général applicable en la matière, sert de point de réfé-
rence pour la définition de l’infraction et le régime de sa répression
(paragraphe 1). Une fois les éléments constitutifs de la piraterie précisés,
il convient d’étudier les autres conventions internationales qui lui sont
applicables (paragraphe 2).

Paragraphe 1      définition de la piraterie

                  A. La définition de la piraterie en vertu du droit inter-
                  national général

                  Diverses définitions de la piraterie — certaines étroites,
d’autres larges — ont été proposées par la doctrine avant l’apparition de
textes internationaux recueillant un certain consensus autour de la notion
et de ses éléments constitutifs 6.
   Il convient de s’entendre sur le concept actuel de piraterie et pour ce

  6. Pour une définition assez large, voir J. Basdevant, Dictionnaire de la ter-
minologie du droit international, Sirey, Paris, 1960, p. 452 :
        « Brigandage maritime. Fait de courir les mers sans commission d’aucun
     etat en commettant à des fins privées des actes de violence contre les per-
     sonnes et les biens, mettant en danger la sécurité générale, considéré, en
     conséquence, comme un crime du droit des gens dont la répression appar-
     tient à tout etat, quel que soit le pavillon arboré par le pirate. »
Pour un recueil de définitions doctrinales, voir Harvard Law School, Research in
International Law — Drafts of Conventions Prepared for the Codification of
International Law. IV. Piracy, Cambridge, Massachusetts, 1932, pp. 769-784.
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                           203

faire on va s’appuyer sur la définition contenue dans la Convention des
nations Unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre
1982 (ci-après CnUDM), qui reprend quasiment mot à mot celle de la
Convention de Genève de 1958 sur la haute mer 7 — elle-même appuyée
largement sur le Harvard Draft Convention on Piracy de 1932 8 — et qui
est largement admise comme codifiant des règles coutumières en la
matière 9.
   La CnUDM, dans ses articles 100 à 107, expose le cadre juridique de
la lutte contre la piraterie.
   Selon l’article 101,
      « on entend par piraterie l’un quelconque des actes suivants :
      a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute dépré-
      dation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire ou
      d’un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé :
         ii) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes
      ou des biens à leur bord, en haute mer ;
         ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens,
      dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun etat ;
      b) tout acte de participation volontaire à l’utilisation d’un navire
      ou d’un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il
      découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate ;
      c) tout acte ayant pour but d’inciter à commettre les actes définis
      aux lettres a) ou b), ou commis dans l’intention de les faciliter ».

   7. Convention sur la haute mer, conclue à Genève le 29 avril 1958. entrée en
vigueur le 30 septembre 1962, RTNU, vol. 450, p. 82, art. 15.
   8. Harvard Law School, Research in International Law — Drafts of Conven-
tions…, op. cit., pp. 739-1013.
   9. toutes les résolutions du Conseil de sécurité affirment que « le droit inter-
national, tel qu’édicté dans la Convention des nations Unies sur le droit de la
mer, en date du 10 décembre 1982, définit le cadre juridique de la lutte contre la
piraterie en mer ». Sur le plan doctrinal, voir D. Guilfoyle, « Prosecuting Somali
Pirates : A Critical evaluation of the Options », Journal of International Criminal
Justice (JICJ), no 10, 2012, p. 771 ; J. Combacau et S. Sur, Droit international
public, Montchrestien, Paris, 2010, p. 461 ; I. Shearer, « Piracy », Max Planck Ency-
clopedia of Public International Law, version électronique mise à jour en octobre
2010 ; t. treves, « Piracy, Law of the Sea, and Use of Force : Developments off
the Coast of Somalia », European Journal of International Law (EJIL), no 20,
2009, p. 401 ; M. H. nordquist (dir. publ.), United Nations Convention on the
Law of the Sea 1982 : A Commentary, vol. III, Martinus nijhoff Publishers, La
Haye/Londres/Boston, 1995, p. 197 ; R.-J. Dupuy et D. Vignes, Traité du nou-
veau droit de la mer, economica, Bruylant, 1985, pp. 368-369 ; voir néanmoins
l’aphorisme de Rubin qui affirme que les règles conventionnelles sur la piraterie
sont « incomprehensible and therefore codify nothing » (A. P. Rubin, The Law of
Piracy, new York, transnational Publishers, 1997, pp. 373 et 393) ; pour une
position plus nuancée, voir L. Lucchini et M. Voelckel, Droit de la mer, vol. 2,
Pédone, Paris, 1996, pp. 159-160.
204                   PReMIèRe PARtIe    —   CHAPItRe 5

   On ne va pas s’attarder sur tous les problèmes que posent les ambi-
guïtés des termes employés par cet article, qui ont fait d’ailleurs l’objet
de maintes analyses doctrinales 10. Une chose est certaine : les actes
commis peuvent présenter des caractères tellement singuliers que l’on ne
peut pas toujours les qualifier avec certitude d’actes de piraterie. Les
ambiguïtés se reflètent dans la transposition de la définition jure gentium
en droit interne : tous les etats n’entendent pas de la même manière le
terme piraterie, ce qui donne des jurisprudences divergentes 11 (section 3,
paragraphe 1).
   Pour résumer, on requiert un/des acte(s) de violence ou de détention
ou une déprédation commis en haute mer (ou dans un lieu ne relevant de
la juridiction d’aucun etat) à des fins privées par l’équipage ou des
passagers d’un navire privé et dirigés contre un autre navire ou contre
des personnes ou des biens à son bord.
   Sont ainsi exclus de la piraterie jure gentium les actes commis dans la
mer territoriale ou les eaux intérieures, même s’ils sont matériellement
identiques à ceux commis en haute mer. en matière de piraterie, la zone
économique exclusive est assimilée à la haute mer selon l’article 58
de la CnUDM et compte tenu de la raison d’être de la juridiction de
l’etat côtier sur cette zone qui se limite aux fins d’exploration, d’exploi-
tation, de conservation et de gestion des ressources naturelles. Qu’il soit
clair : il ne peut être question de piraterie que si les actes sont commis
dans un espace en dehors de la juridiction nationale d’un etat quel-
conque.
   La condition des « deux navires » ne demande pas plus de précisions.
L’adoption de la Convention pour la répression d’actes illicites contre la
sécurité de la sécurité maritime (SUA) de 1988 (paragraphe 2) s’ex-
plique, notamment, par le fait justement que la CnUDM ne couvrait pas
les cas de mutinerie ou de détournement de navire « de l’intérieur ».
   Quant à la condition relative à la commission d’actes « à des fins pri-
vées », la question de savoir si ceux commis dans un but politique ren-
trent dans la notion de piraterie fut longtemps très controversée et conti-
nue de l’être. Si la CnUDM exige que l’acte ait été commis à des fins
« privées » (et avant elle, la Convention de Genève pour des buts « per-
sonnels », or les deux instruments emploient l’expression « private ends »

  10. A titre indicatif, voir J. L. Jesus, « Protection of Foreign Ships against
Piracy and terrorism at Sea : Legal Aspects », International Journal of Marine
and Constal Law (IJMCL), 2003, vol. 18, no 3, pp. 375-381 ; L. Lucchini et
M. Voelckel, Droit de la mer, op. cit., pp. 153-174 ; M. Halberstam, « terrorism
on the High Seas : the Achille Lauro, Piracy and the IMO Convention on Mari-
time Safety », American Journal of International Law (AJIL), 1988, no 82,
pp. 276-290.
  11. Voir M. Gardner, « Piracy Prosecutions in national Courts », JICJ, no 10,
2012, p. 798.
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                       205

en version anglaise, ce qui nous conduit à tenir les termes pour inter-
changeables 12), cela ne veut pas dire qu’il doive nécessairement avoir
été commis animo furandi. Alors que, selon certains auteurs, l’expres-
sion exclut tout acte commis à des fins politiques, d’autres, trouvant
cette approche très extensive, soutiennent que ce n’est pas la motivation
qui compte mais l’endossement étatique du comportement 13. Ainsi ne
seraient commis à des fins privées que les actes qui ne recueillent pas
l’approbation étatique. Cette interprétation semble plus fidèle à l’histo-
rique de l’adoption de ladite disposition. Selon le commentaire du
Harvard Draft Convention, la condition des « fins privées » a été ajoutée
afin d’exclure les actes des belligérants contre le gouvernement qu’ils
cherchaient à renverser, le commentaire de la Convention de Genève ne
nous éclairant guère plus en la matière 14.

                  B. Des définitions extensives ?

i) OMI

   L’OMI, agence spécialisée des nations Unies, se contente de renvoyer
à la définition contenue dans la CnUDM et opère la distinction entre
la piraterie et les vols à main armée en mer, distinction officialisée dans
le Code de conduite adopté le 29 novembre 2001 par son assemblée et
intitulé Code of Practice for the Investigation of the Crimes of Piracy
and Armed Robbery against Ships 15. Le vol à main armée y est défini
comme « any unlawful act of violence or detention or any act of depre-
dation, or threat thereof, other than an act of piracy, directed against a

   12. Voir J. Verhoeven, Droit international public, Larcier, Bruxelles, 2000,
p. 568, qui cite la décision de la Cour de cassation belge du 19 décembre 1986
(Pas., 1987, 1, 497) relative aux actes de violence commis par Greenpeace pour
s’opposer à l’immersion de déchets en haute mer. Voir République des Sey-
chelles C. Dahir, SCSC 86, du 26 juillet 2010.
   13. en ce sens D. Guilfoyle, Treaty Jurisdiction over Pirates : A Compilation
of Legal Texts with Introductory Notes, par. 11, http://ucl.academia.edu/Douglas-
Guilfoyle/Papers/116803/treaty_Jurisdiction_over_Pirates_A_Compilation_of_
Legal_texts_with_Introductory_notes ; D. Guilfoyle, Shipping Interdiction and
the Law of the Sea, Cambridge University Press, 2009, p. 36 ; R. Geiss et
A. Petrig, Piracy and Armed Robbery at Sea : The Legal Framework for Coun-
ter-piracy Operations in Somalia and the Gulf of Aden, Oxford University Press,
2011, p. 61 ; la législation japonaise, voir A. Kanehara, « Japanese Legal Regime
Combating Piracy-Act on Punishment of and Measures against Acts of Piracy »,
Japanese Yearbook of International Law, 2010, no 53, p. 478.
   14. Harvard Law School, Research in International Law — Drafts of Conven-
tions…, op. cit., pp. 798 et 857 ; Annuaire de la Commission de droit interna-
tional, 1955, vol. 1, p. 40 ; R. Geiss et A. Petrig, Piracy and Armed Robbery at
Sea…, op. cit., p. 61.
   15. Résolution A.922(22), révoquée par la résolution A.1025(26) adoptée le
2 décembre 2009, qui maintient la distinction.
206                    PReMIèRe PARtIe       —   CHAPItRe 5

ship or against persons or property on board such a ship, within a State’s
jurisdiction over such offences » 16.
   La définition de la piraterie contenue dans la CnUDM n’est donc pas
remise en cause. Le vol à main armée est une infraction à part qui vient
combler certaines lacunes, puisque, avec son introduction, sont désor-
mais couverts les actes qui ont lieu dans un espace relevant de la juri-
diction d’un etat sans que la condition des deux navires ne soit requise.

ii) BMI
   Le Bureau maritime international (BMI), division interne de la Cham-
bre de commerce internationale, qui recense les incidents de piraterie et
de vol à main armée en mer, adopte lui aussi la définition de la piraterie
de la CnUDM ainsi que la définition du vol à main armée en mer donnée
par l’OMI dans sa résolution A.1025(26) 17. Il ne semble pas pour autant
tirer des conséquences de cette distinction, mélangeant dans ses rapports
les incidents ayant eu lieu dans des espaces internationaux et dans des
espaces sous juridiction nationale, ce qui paraît assez compréhensible vu
que son objectif est de dresser des statistiques afin de prévenir l’indus-
trie shipping sur les dangers que courent les navires 18.

iii) Conseil de sécurité
   Le Conseil de sécurité, dans ses résolutions relatives à la « piraterie »
somalienne, endosse quant à lui la distinction entre piraterie et vols à
main armée dans l’optique d’établir un cadre complet pour la lutte
contre des actes portant atteinte à la sécurité maritime dans la région. Il
ne ressort pas clairement des formules employées si la distinction tient
au lieu de commission de l’infraction. Il convient d’interpréter la phrase
« des actes de piraterie et des vols à main armée commis dans les eaux

  16. La résolution A.1025(26) remplace « within a State’s jurisdiction » par
« within a State’s internal waters, archipelagic waters and territorial sea » et
ajoute « any act of inciting or of intentionally facilitating an act described above ».
  17. Voir rapport annuel du BMI pour 2011.
  18. Voir D. Chang, « Piracy Laws and the effective Prosecution of Pirates »,
Boston College ILR, no 33, 2010, pp. 276-277 :
        « For statistical purposes, the IMB adopts a broad definition of piracy that
     includes actual and attempted attacks both when the ship is at anchor or at
     sea. thus, the IMB defines « piracy and armed robbery » as « an act of boar-
     ding or attempting to board any ship with the apparent intent to commit
     theft or any other crime and with the apparent intent or capability to use
     force in the furtherance of that act ». the IMB’s expansive definition affects
     the number of attacks that the IMB will track. Since this definition differs
     from the UnCLOS and SUA definitions of piracy, not every incident reported
     to IMB would be considered formal piracy under international law. »
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                         207

territoriales de la Somalie et en haute mer » 19, qui a été remplacée par la
suite par la phrase « piraterie et vols à main armée en mer au large des
côtes somaliennes » 20, conjointement avec celle répétée dans chaque
résolution et réaffirmant que le cadre juridique de la lutte contre ces
infractions est celui fixé par la Convention de Montego Bay. etant
donné que celle-ci donne une définition stricte de la piraterie la réser-
vant aux actes commis en haute mer, les vols à main armée, eux, doivent
avoir lieu dans les eaux territoriales de la Somalie. L’intérêt de la dis-
tinction réside dans les pouvoirs accordés aux etats. Ainsi, non seule-
ment les etats peuvent pénétrer dans la mer territoriale afin de continuer
la poursuite qui a commencé en haute mer (poursuite chaude inversée),
mais ils peuvent également réprimer en mer territoriale des actes de vol
à main armée commis en mer territoriale.

Paragraphe 2       autres conventions susceptibles d’application en
                   matière de piraterie

                   A. La Convention pour la répression d’actes illicites
                   contre la sécurité de la navigation maritime (SUA) 21
                   L’arsenal juridique traditionnellement axé sur la CnUDM
se voit enrichi par la convention connue sous le sigle SUA, conçue après
le détournement du paquebot italien Achille Lauro en 1985 par un groupe
« terroriste » palestinien, cas auquel les dispositions de la CnUDM rela-
tives à la piraterie n’étaient pas applicables étant donné que l’incident
n’impliquait pas deux navires 22. La convention vise sans distinction tous
les actes de violence envers les navires ayant lieu dans les espaces mari-
times au-delà de la juridiction nationale d’un etat sans tenir compte des
finalités poursuivies. Son article 3, paragraphe 1, établit que
      « commet une infraction pénale, toute personne qui, illicitement et

   19. S/ReS/1816 (2008), par. 3, et S/ReS/1846, par. 17.
   20. La phrase « piraterie et vols à main armée commis en mer » a été reprise
dans les récentes résolutions concernant le golfe de Guinée (S/ReS/2018 (2011),
S/ReS/2039 (2012)).
   21. Conclue à Rome le 10 mars 1988, RTNU, 1992, vol. 1678 ; cent soixante
etats parties à la Convention et vingt-deux au Protocole de 2005 selon l’OMI :
http://www.imo.org/About/Conventions/StatusOfConventions/Documents/Sta-
tus%20-%202012.pdf (version du 30 septembre 2012).
   22. L’incident a par ailleurs ranimé le débat autour de la notion des « fins
privées » de l’article 101 de la CnUDM puisque les auteurs des actes avaient
détourné le navire et pris les passagers en otages dans le but d’exercer une pres-
sion sur Israël afin d’obtenir la libération de cinquante Palestiniens prisonniers.
Voir J.-P. Pancracio, « L’affaire de l’Achille Lauro et le droit international »,
AFDI, no 31, 1985, pp. 221-236 ; M. Halberstam, « terrorism on the High
Seas… », op. cit., pp. 269-310.
208                   PReMIèRe PARtIe      —   CHAPItRe 5

      intentionnellement a) s’empare d’un navire ou en exerce le
      contrôle par violence ou menace de violence ; b) ou accomplit un
      acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord
      d’un navire, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de
      la navigation du navire ; c) ou détruit un navire ou cause à un
      navire ou à sa cargaison des dommages qui sont de nature à com-
      promettre la sécurité de la navigation du navire ; d) ou place ou fait
      placer sur un navire, par quelque moyen que ce soit, un dispositif
      ou une substance propre à détruire le navire ou à causer au navire
      ou à sa cargaison des dommages qui compromettent ou sont de
      nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire… ».
On constate que la convention ne fait pas référence à la piraterie expres-
sément, or certains actes peuvent constituer à la fois la piraterie et une
infraction sous la convention SUA. Ainsi en est-il d’un acte de violence
dans le but de s’emparer d’un navire et en exercer le contrôle, ou des
actes de violence à l’encontre des personnes à bord, lorsque ceux-ci
compromettent la sécurité de la navigation dudit navire et qu’ils impli-
quent deux navires.
   Ce champ d’application ratione materiae de la convention en fait un
outil supplémentaire dans la lutte contre la piraterie, ce que confirment
le Code de conduite de l’OMI 23 ainsi que les résolutions du Conseil de
sécurité sur la piraterie somalienne 24. Cela étant, la convention a été peu
utilisée dans la pratique en matière de piraterie. A notre connaissance,
seules les juridictions des etats-Unis et des Pays-Bas ont poursuivi et
condamné des pirates somaliens sur la base de la convention SUA. Cela
est peut-être dû au fait qu’après tout la SUA est un instrument simple-
ment complémentaire par rapport à la Convention de Montego Bay, qui,
malgré ses quelques ambiguïtés, fournit le cadre juridique principal et

   23. Voir l’article 3, paragraphe 2, du Code of Practice for the Investigation of
Crimes of Piracy and Armed Robbery against Ships, résolution A.1025 (26) :
« States are encouraged to implement the provisions of UnCLOS, the Conven-
tion for the Suppression of Unlawful Acts Against the Safety of navigation,
1988, and the Protocol for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety
of Fixed Platforms Located on the Continental Shelf, 1988. »
   24. Voir, par exemple, S/ReS/1846 (2008), par. 15 : « exhorte les etats parties
à ladite Convention à s’acquitter pleinement des obligations que celle-ci
leur impose » ; S/ReS/1851 (2008), par. 5 : « encourage également tous les
etats… qui luttent contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes
somaliennes … à appliquer la Convention pour la répression d’actes illicites
contre la sécurité de la navigation maritime » ; S/ReS/1897(2009), par 14,
S/ReS/1950 (2010), par. 19, et S/ReS/2020 (2011), par. 23 : « exhorte les etats
parties à la Convention (ndlr : « de Montego Bay ») et à la Convention pour la
répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime à s’ac-
quitter pleinement des obligations que leur imposent en la matière lesdites
conventions ».
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                        209

suffisant pour la lutte contre la piraterie. D’ailleurs, celle-ci confère aux
etats le maximum de compétences pour y faire face — dont la possi-
bilité de saisir en haute mer des navires battant pavillon étranger,
d’appréhender des pirates présumés qui ne sont pas leurs nationaux et
d’étendre leur pouvoir juridictionnel à leur égard (compétence univer-
selle, section 3, paragraphe 2) et cela sans les y obliger. en revanche,
la convention SUA énonce une obligation expresse d’ériger en infraction
dans leurs droits internes les actes prévus dans l’article 3 et prévoit
l’exercice du pouvoir juridictionnel sur la base des titres classiques,
grosso modo de type territorial ou personnel. S’y ajoute une obligation
d’exercer ce pouvoir dès que l’individu se trouve sur leur territoire à
défaut de l’extrader vers un autre etat partie qui le réclamerait (obli-
gation aut dedere aut judicare, section 3, paragraphe 2). Cette dernière
paraît assez contraignante aux etats qui préfèrent jouir d’une certaine
discrétion à propos des suites à donner à l’arrestation des auteurs présu-
més des actes en cause. Une autre explication pour la non-invocation de
la SUA pourrait être trouvée dans le fait que celle-ci exige que l’auteur
présumé des actes se trouve sur leur territoire, ce qui n’est pas d’habi-
tude le cas : les navires d’etat appréhendent des navires et arrêtent des
personnes en haute mer, loin du territoire de l’etat auquel ils appar-
tiennent, ce qui veut dire que l’auteur ne « se trouve pas sur le territoire »,
à moins que l’on considère que le navire capteur est une portion du
territoire de son etat, ce qui n’est plus soutenu aujourd’hui. D’aucuns
proposent, afin de sortir de cette impasse, une interprétation large de
cette condition qui consisterait à considérer qu’il suffit que la personne
arrêtée soit sous la juridiction de l’etat, ce qui sera le cas dès le moment
de l’arrestation 25 ; or on comprend bien que l’on se trouve ici devant
l’hypothèse très rare selon laquelle les etats témoigneraient d’une
volonté de poursuivre et chercheraient un fondement juridique à leur
action. Les etats-Unis ont surmonté cet obstacle dans l’arrêt Etats-Unis
c. Shi de 2008 avec une argumentation selon laquelle « later found » sur
le territoire ne veut pas forcément dire « volontairement » ; suivant cette
jurisprudence, on pourrait considérer qu’il suffirait que les navires de
guerre ayant effectué l’arrestation amènent le suspect sur le territoire de
leur etat 26.
   enfin, le fait que la convention a été conçue principalement comme

   25. Voir R. Geiss et A. Petrig, Piracy and Armed Robbery at Sea…, op. cit.,
p. 164.
   26. United States Court of Appeals for the ninth Circuit, United States c. Shi,
no 06-10389 D.C. et no CR-02-00116-1-HG, 24 avril 2008 : « [10] We are persuaded
by this analysis, and conclude that the requirement that a defendant be « later
found » does not contain the implicit requirement that the defendant’s arrival in
the United States be voluntary. »
210                   PReMIèRe PARtIe    —   CHAPItRe 5

un instrument de lutte contre le terrorisme joue un rôle dissuasif quant à
son invocation pour lutter contre la piraterie 27.

                  B. La Convention internationale contre la prise d’otages 28
                   La Convention internationale contre la prise d’otages
définit l’infraction de prise d’otages comme les actes commis par « qui-
conque s’empare d’une personne (ci-après dénommée « otage »), ou la
détient et menace de la tuer, de la blesser ou de continuer à la détenir
afin de contraindre une tierce partie, à savoir un etat, une organisation
internationale intergouvernementale, une personne physique ou morale
ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou à s’en
abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la libération de
l’otage » (art.1(1)). Constituent également des infractions aux fins de
cette convention la tentative de commission et la complicité à la com-
mission d’un acte de prise d’otages (art.1(2)). On y reconnait le modus
operandi des pirates somaliens qui s’emparent des navires, tiennent les
passagers ou l’équipage en otage et réclament des rançons contre leur
libération. La convention, ne contenant pas de limitations territoriales,
peut s’appliquer à des actes commis en haute mer. en effet, son article 5
prévoit que
      « tout etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa
      compétence aux fins de connaître des infractions prévues à l’article
      premier, qui sont commises : a) sur son territoire ou à bord d’un
      navire ou d’un aéronef immatriculé dans ledit etat ; b) par l’un
      quelconque de ses ressortissants, ou, si cet etat le juge approprié,
      par les apatrides qui ont leur résidence habituelle sur son territoire ;
      c) pour le contraindre à accomplir un acte quelconque ou à s’en
      abstenir ; ou d) à l’encontre d’un otage qui est ressortissant de cet
      etat lorsque ce dernier le juge approprié ».

   27. Voir J.-P. Pancracio, Droit international de la mer, Dalloz, Paris, 2010,
p. 447 :
     « du point de vue de la définition de la piraterie … elle apporte plus de
     confusion que d’éclaircissement … Au regard de la lutte contre la piraterie
     maritime, la convention de 1988 apparaît peu efficiente parce que trop
     marquée par le contexte de la lutte contre le terrorisme ».
Voir aussi M. Halberstam, « terrorist Acts against and on Board Ships », Israel
Yearbook on Human Rights, 1989, no 19, pp. 331-342 ; C. C. Joyner, « Suppres-
sion of terrorism on the High Seas : the 1988 IMO Convention on the Safety of
Maritime navigation », Israel Yearbook on Human Rights, 1989, no 19, pp. 343-
369.
   28. Adoptée par l’Assemblée générale des nations Unies le 17 décembre
1979, RTNU, 1983, vol. 1316, p. 205 ; http://treaties.un.org/pages/ViewDetails.
aspx?src=tReAtY&mtdsg_no=XVIII-5&chapter=18&lang=fr (cent soixante-dix
etats parties, dernière visite le 30 octobre 12).
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                          211

   La convention est intéressante, d’une part, par cette panoplie de bases
de compétence qu’elle offre — certaines obligatoires, d’autres facul-
tatives — d’autre part, par l’inclusion d’une obligation de poursuivre ou
d’extrader, tout comme la convention SUA. Il est étonnant, à cet égard,
que le Conseil de sécurité n’exhorte pas expressément les etats à l’utiliser,
bien qu’il condamne les prises d’otages et souligne la nécessité de pour-
suivre les pirates présumés pour prise d’otages 29. On pourrait supposer
que sa formulation qui la rapproche des conventions antiterroristes la
rend moins susceptible d’invocation dans le contexte de la piraterie
somalienne.

                   C. La Convention des Nations Unies contre la crimi-
                   nalité transnationale organisée 30

                   La convention couvre inter alia le blanchiment du pro-
duit du crime (art. 6), la corruption (art. 8), l’entrave au bon fonctionne-
ment de la justice (art. 23), ainsi que des infractions graves définies
comme des actes constituant des infractions passibles d’une peine priva-
tive de liberté dont le maximum ne doit pas être inférieur à quatre ans ou
d’une peine plus lourde (art. 2). Les etats parties sont là encore invités
à conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque commis intentionnel-
lement, i) au fait de s’entendre avec une ou plusieurs personnes en vue
de commettre une infraction grave à une fin liée directement ou indirec-
tement à l’obtention d’un avantage financier ou autre avantage matériel
et, lorsque le droit interne l’exige, impliquant un acte commis par un des
participants en vertu de cette entente ou impliquant un groupe criminel
organisé ; ii) à la participation active d’une personne ayant connaissance

  29. La résolution S/ReS/2020 (2011)
    « constat[e] que les pirates se tournent de plus en plus vers les enlèvements
    et la prise d’otages et que ces activités les aident à se procurer des fonds
    pour acheter des armes, attirer de nouvelles recrues et poursuivre leurs opé-
    rations, mettant ainsi en danger la sûreté et la sécurité de civils innocents et
    portant atteinte à la liberté du commerce ; réaffirm[e] la condamnation que
    suscitent dans la communauté internationale les enlèvements et les prises
    d’otages, y compris ceux qui sont réprimés par la Convention internationale
    contre la prise d’otages ; condamn[e] fermement la pratique persistante de la
    prise d’otages par des pirates présumés opérant au large des côtes soma-
    liennes ; se déclar[e] gravement préoccupé par les conditions inhumaines
    dans lesquelles les otages sont retenus en captivité ; conscient des répercus-
    sions sur la vie de leur famille ; demand[e] la libération immédiate de tous
    les otages et constat[e] l’importance de la coopération entre etats Membres
    concernant la question de la prise d’otages, ainsi que la nécessité de pour-
    suivre les pirates présumés pour prise d’otages… ».
  30. Adoptée par l’Assemblée générale des nations Unies, résolution 55/25,
du 15 novembre 2000.
212                  PReMIèRe PARtIe    —   CHAPItRe 5

soit du but et de l’activité criminelle générale d’un groupe criminel
organisé soit de son intention de commettre les infractions en question :
a. aux activités criminelles du groupe criminel organisé ; b. à d’autres
activités du groupe criminel organisé lorsque cette personne sait que sa
participation contribuera à la réalisation du but criminel susmentionné
(art. 5).
   La condition de transnationalité est satisfaite lorsque l’infraction est
commise : a) dans plus d’un etat ; b) dans un etat mais qu’une partie
substantielle de sa préparation, de sa planification, de sa conduite ou de
son contrôle a lieu dans un autre etat ; c) dans un etat mais implique un
groupe criminel organisé qui se livre à des activités criminelles dans
plus d’un etat ; d) dans un etat mais a des effets substantiels dans un
autre etat (art. 3). enfin, la condition du « groupe criminel organisé » est
remplie lorsqu’on est en présence d’un groupe structuré de trois per-
sonnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert
dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infrac-
tions établies conformément à la présente convention, pour en tirer,
directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avan-
tage matériel (art. 2).
   La convention peut s’appliquer dans le contexte de la piraterie dans la
mesure où les actes de piraterie — actes de violence, prises d’otages —
peuvent être considérés comme des « infractions graves ». Quant à l’élé-
ment transnational, le problème qui se pose est si la commission en
haute mer peut rentrer dans le champ d’application de la convention. Une
interprétation combinée des articles 15.1.b) qui prévoit que « chaque etat
Partie adopte les mesures nécessaires pour établir sa compétence à
l’égard des infractions établies conformément aux articles 5, 6, 8 et
23 … lorsque l’infraction est commise à bord d’un navire qui bat son
pavillon … au moment où ladite infraction est commise » et 3, ci-dessus
exposé, permet d’admettre l’application de la convention aux actes com-
mis à bord d’un navire d’un etat partie — celui-ci se trouvant dans un
espace ne relevant pas de la juridiction nationale d’un etat — et préparés
ou planifiés sur le territoire d’un autre etat.
   La convention s’inscrit dans le même cadre que celles précitées eu
égard aux bases de compétence qu’elle prévoit et de l’inclusion de la
clause aut dedere aut judicare.
   Si le Conseil de sécurité ne la mentionne pas expressis verbis dans ses
résolutions, il « considère qu’il faut prendre des mesures d’enquête et de
poursuite non seulement contre les pirates présumés capturés en mer,
mais aussi contre quiconque incite à la commission d’un acte de piraterie
ou la facilite intentionnellement, y compris les cerveaux des réseaux
criminels de piraterie qui planifient, organisent, facilitent ou financent
les attaques perpétrées par des pirates ou en tirent profit illicitement » ou
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                         213

« prie instamment tous les etats de prendre les mesures voulues dans le
cadre de leur droit interne en vigueur pour empêcher le financement
illicite d’actes de piraterie et le blanchiment des produits qui en sont
tirés » 31, ce qui renvoie implicitement aux infractions couvertes par cette
convention.

SeCtIOn 3          pouvoIr jurIdIctIonneL des États
                   en matIère de pIraterIe

                  Si le droit international général reconnaît aux etats la
compétence universelle en la matière, il n’en reste pas moins que cette
compétence a un caractère facultatif, lacune qui peut être comblée par
l’application d’autres conventions qui prévoient des obligations concrètes
pour les etats parties (paragraphe 2). Que la compétence soit facultative
ou obligatoire, le pouvoir juridictionnel des etats ne peut être exercé que
si ceux-ci ont préalablement incriminé la piraterie dans leur droit interne
(paragraphe 1).

Paragraphe 1       La piraterie, entre droit international et droit
                   interne

                   A. De la nécessité d’ériger la piraterie en crime dans
                   le droit interne
                 On a répété ad nauseam que la piraterie est le plus
ancien exemple d’application du principe de compétence universelle,
réservée normalement aux crimes internationaux les plus graves, tels
que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou le génocide.
La piraterie est-elle toutefois vraiment un crime international 32 ? Il est
utile de noter que la Commission du droit international ne l’a pas incluse
dans son projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’hu-
manité de 1954 33 et que, depuis, elle n’a jamais été inscrite dans la liste

   31. S/ReS/2020 (2011), par. 17.
   32. Voir définition dans J. Salmon, Dictionnaire de droit international public,
Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 289 : « crime ou délit du droit des gens », expres-
sion doctrinale vieillie couvrant des violations de normes fondamentales du droit
des gens.
   33. Annuaire de la Commission du droit international, 1951, vol. II, p. 134,
par. 52 a) :
       « the Commission first considered the meaning of the term « offences
     against the peace and security of mankind », contained in resolution 177 (II).
     the view of the Commission was that the meaning of this term should be
     limited to offences which contain a political element and which endanger
214                    PReMIèRe PARtIe      —   CHAPItRe 5

des crimes dont la poursuite a été prise en charge par la justice pénale
internationale 34.
   Selon les rédacteurs du Harvard Draft Convention on Piracy, la pira-
terie n’est pas un crime du droit des gens. elle est simplement
      « the basis of an extraordinary jurisdiction in every state to seize
      and to prosecute and punish persons, and to seize and dispose of
      property, for factual offences which are committed outside the
      territorial and other ordinary jurisdiction of the prosecuting state
      and which do not involve attacks on its peculiar interests » 35.
Ainsi le projet d’article 14, paragraphe 2, dispose-t-il que « subject to
the provisions of this convention, the law of the state which exercises
such jurisdiction defines the crime, governs the procedure and prescribes
the penalty » 36. Il est ainsi évident que cela revient aux etats souhaitant
réprimer des actes de piraterie au sens du droit international d’incor-
porer le crime dans leurs droits internes, de le définir, d’en prévoir la
procédure des poursuites et les peines à infliger 37.

      or disturb the maintenance of international peace and security. For these
      reasons, the draft code does not deal with questions concerning conflicts of
      legislation and jurisdiction in international criminal matters ; nor does it
      include such matters as piracy, traffic in dangerous drugs, traffic in women
      and children, slavery, counterfeiting currency, damage to submarine cables,
      etc. »
   34. Voir les crimes contenus dans le Statut de Rome de la Cour pénale inter-
nationale, adopté le 17 juillet 1998, RTNU, vol. 2187, no 38544, pp. 3 ss., art. 5-8.
   35. Harvard Law School, Research in International Law — Drafts of Conven-
tions…, op. cit., p. 760.
   36. en ce sens, R. Geiss et A. Petrig, Piracy and Armed Robbery at Sea…, op.
cit., pp. 139-143.
   37. Voir V. Pella, « La répression de la piraterie », RCADI, 1926, vol. 15,
p. 181 :
         « Il faut soigneusement séparer l’incrimination des actes de piraterie,
      considérée en elle-même, et l’universalité de la répression qui en est une
      conséquence. Quant à l’incrimination en elle-même, elle trouve son fonde-
      ment dans la législation des différents etats et non dans la coutume interna-
      tionale. en effet, la grande majorité des etats prévoient et punissent les
      actes de piraterie du droit commun, par leurs codes pénaux ou par des lois
      spéciales. »
en ce sens, voir aussi la décision In Re Piracy Jure Gentium, [1934] A.C. 586
(P.C. 1934) (UK) :
      « with regard to crimes as defined by international law, that law has no
      means of trying or punishing them. the recognition of international crimes
      as constituting domestic crimes, and the trial and punishment of criminals
      are left to the municipal courts of each country. »
Dans une opinion R v. Jones (Appellant), [2006] UKHL 16, le House of Lords a
dit que (par. 28)
      « when it is sought to give domestic effect to crimes established in custo-
      mary international law, the practice is to legislate. examples may be found
COMPétenCe en MAtIèRe De PIRAteRIe                           215

   Si la piraterie telle que conçue par la Convention de Montego Bay ne
s’apparente pas aux autres infractions qui constituent sans doute des
crimes internationaux 38, cela ne veut pas pour autant dire que ce n’est
pas un crime du droit des gens. Simplement, sans incrimination de ladite
activité dans les droits internes, la poursuite des auteurs est impossible.
Inversement, si elle n’avait pas été érigée en infraction par le droit inter-
national d’abord, les etats n’auraient pas pu étendre leur pouvoir juridic-
tionnel à des actes avec lesquels rien ne les lie. Incrimination par le droit
international et incrimination par le droit interne se trouvent ainsi étroi-
tement liées 39. Certes les législations nationales peuvent employer le
terme « piraterie » comme bon leur semble, c’est-à-dire pour des actes
qui ne correspondent pas à la notion de piraterie jure gentium, comme ils
l’ont déjà fait à propos d’actes de violence et de déprédations perpétrés
dans des espaces sous leur juridiction nationale 40, mais cela ne change

      in the Geneva Conventions Act 1957 and the Geneva Conventions (Amend-
      ment) Act 1995, dealing with breaches of the Geneva Conventions of 1949
      and the Additional Protocols of 1977 ; the Genocide Act 1969, giving effect
      to the Genocide Convention of 1948 ; the Criminal Justice Act 1988, s 134,
      giving effect to the torture Convention of 1984 ; the War Crimes Act 1991,
      giving jurisdiction to try war crimes committed abroad by foreign nationals ;
      the Merchant Shipping and Maritime Security Act 1997, s 26, giving effect
      to provisions of the United nations Convention on the Law of the Sea 1982
      relating to piracy… (par. 29) it is for those representing the people of the
      country in Parliament, not the executive and not the judges, to decide what
      conduct should be treated as lying so far outside the bounds of what is
      acceptable in our society as to attract criminal penalties. »
   38. Voir, par exemple, les formules différentes employées par la Conven-
tion sur la prévention et la répression du génocide ou les dispositions du Statut
de la Cour pénale internationale faisant référence aux crimes soumis à sa compé-
tence.
   39. On serait tenté d’affirmer avec P. Fauchille, Traité de droit international
public, vol. 1, Rousseau et Cie, Paris, 1922, p. 87 (no 483 (52)), que « la piraterie
est considérée comme un crime du droit des gens. Cela ne signifie pas que c’est
un crime qui n’est pas spécial à chaque pays et que répriment toutes les
nations… » ; voir opinion dissidente du juge Moore, jointe à l’arrêt de la CPJI
du 7 septembre 1927 en l’affaire Lotus, série A, no 10, p. 70 : « Bien qu’il y ait
des législations qui en prévoient la répression, elle est une infraction au droit des
gens. »
   40. Voir J. L. Brierly, The Law of Nations : An Introduction to the Interna-
tional Law of Peace, Oxford Clarendon Press, 1928, p. 154 :
         « Any state may bring in pirates for trial by its own courts, on the
      grounds that they are « hostes humani generis ». this applies only to per-
      sons who are pirates at international law, and acts may be piratical at muni-
      cipal law, which are not so at international law ; for example, in english
      criminal law, it is piracy to engage in slave trading. »
Voir les dispositions de la section 69 du code pénal de Kenya en vigueur de
1967 à 2009, lorsqu’elle a été remplacée par le Kenyan Merchant Shipping Act,
entré en vigueur le 1er septembre 2009, selon lesquelles « any person who, in
territorial waters or upon the high seas, commits any act of piracy jure gentium
is guilty of the offence of piracy » ; voir A. Kanehara, « Japanese Legal Regime
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