BALKANS OCCIDENTAUX : LA GUERRE MENÉE PAR LA RUSSIE CONTRE L'UKRAINE ET LES DÉFIS PERSISTANTS DANS LA RÉGION
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AVANT-PROJET DE RAPPORT BALKANS OCCIDENTAUX : LA GUERRE MENÉE PAR LA RUSSIE CONTRE L’UKRAINE ET LES DÉFIS PERSISTANTS DANS LA RÉGION Avant-projet de rapport Michal SZCZERBA (Pologne) Rapporteur 018 ESCTD 22 F – Original : anglais – 28 mars 2022 Fondée en 1955, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN est une organisation interparlementaire consultative, institutionnellement distincte de l’OTAN. Tant qu’il n’est pas adopté par les membres de la commission, le contenu de ce document de travail représente uniquement le point de vue du rapporteur. Il est basé sur des informations provenant de sources accessibles au public ou de réunions tenues dans le cadre de l’AP-OTAN, lesquelles sont toutes non classifiées.
Les pays des Balkans occidentaux ont progressé sur la voie de la transition économique et politique. Deux des pays de la région sont désormais membres de l’UE et quatre ont adhéré à l’OTAN. Mais la transition de la région reste incomplète et il y a des signes de régression, dont se sont alarmés les Alliés. La lassitude à l’égard de l’élargissement de l’Union européenne avait précédemment assombri les perspectives d’une intégration rapide de la région dans cette Union, de même qu’elle y avait affaibli la motivation à mener des réformes difficiles et à s’attaquer au problème des tensions sociétales toujours présentes dans plusieurs pays. Mais face à cette incapacité à aller de l’avant, la position de ceux qui voulaient engager la région sur des voies moins propices à la stabilité, à la transition démocratique et à la bonne gouvernance, s’est renforcée. Ce n’est pas un hasard si l’influence de la Russie et de la Chine a grandi dans la région. Cette situation est devenue à son tour une source de préoccupation croissante, en Europe comme aux États-Unis, et un changement d’approche est apparu ces deux dernières années, avec un recentrage de l’attention sur la région. Cela a induit une détermination nouvelle à aider la région à résoudre toute une série de problèmes urgents, responsables de l’instabilité et des tensions politiques actuelles. Mais certaines de ces fractures − ethnique, nationale, confessionnelle et politique − sont profondément enracinées et exploitées par des forces politiques qui ne partagent pas ces objectifs d’intégration et de démocratie. La guerre menée par la Russie en Ukraine vient s’ajouter à ces préoccupations. La Russie a longtemps considéré cette partie du monde comme le talon d’Achille de l’Occident et elle s’est mise à exploiter ces fragilités à son propre avantage. Et de fait, la manière dont certains pays des Balkans occidentaux considèrent la Russie expliquent certaines des fissures profondes qui fragilisent la région. La Russie est un important fournisseur d’énergie pour les Balkans occidentaux et Moscou n’a jamais hésité à exploiter cette dépendance à des fins politiques et diplomatiques. Désormais, une grande incertitude pèse sur le rôle que la Russie jouera dans la région compte tenu de la guerre brutale qu’elle mène contre les villes et les civils ukrainiens et des sévères sanctions internationales prononcées à son encontre. Certes, cette situation peut être l’occasion d’une clarification pour les Balkans occidentaux, mais c’est aussi une période de très grands risques et de regains de tension.
INTRODUCTION ..................................................................................................... 1 I- L’ÉCONOMIE RÉGIONALE ET L’IMPACT DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 ......... 1 II- LA GUERRE MENÉE PAR LA RUSSIE EN UKRAINE : LES CONSÉQUENCES POUR LES BALKANS OCCIDENTAUX ................................................................... 5 III- LA CHINE ET LES BALKANS OCCIDENTAUX ....................................................... 8 IV- L’UE ET LES BALKANS OCCIDENTAUX ...............................................................10 V- LES ATERMOIEMENTS LIÉS AU PROCESSUS D’ADHÉSION ET LA LASSITUDE À L’ÉGARD DE L’ÉLARGISSEMENT .................................................12 VI- OÙ EN SONT LES NÉGOCIATIONS D’ADHÉSION ? ............................................13 VII- L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE APPROCHE À BRUXELLES.........................14 VIII- L’ADMINISTRATION BIDEN RELANCE L’ENGAGEMENT DES ÉTATS-UNIS DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX ..................................................................16 IX- LE RÔLE DE L’OTAN DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX ...............................17 X- CONCLUSIONS......................................................................................................18 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................20
INTRODUCTION 1. Les pays des Balkans occidentaux ont progressé sur la voie de la transition économique et politique. Le fait que deux des pays qui faisaient autrefois partie de la République populaire fédérative de Yougoslavie sont maintenant membres de l’Union européenne et que quatre, plus l’Albanie, appartiennent désormais à l’OTAN, a contribué à stabiliser la région et est venu confirmer que la communauté euro-atlantique des nations représente l’avenir pour la plupart des pays de la région. Mais le degré de progression a considérablement varié d’un pays à l’autre et il subsiste dans la région des fractures inquiétantes, qui ont ralenti le processus de transformation et d'intégration, et qui l’ont même parfois fait régresser. 2. Par ailleurs, le problème a également une origine transatlantique. Peut-être les membres de l’UE et de l’OTAN ont-ils, dans une certaine mesure, considéré la transition de cette région comme acquise et délaissé la question au cours des dix dernières années, tout en y maintenant un engagement formel. La lassitude à l’égard de l’élargissement de l’Union européenne a assombri les perspectives d’une intégration rapide, de même qu’elle a affaibli la motivation à mener des réformes difficiles et à s’attaquer au problème des tensions sociétales toujours présentes dans plusieurs pays. Face à cette incapacité à aller de l’avant, la position de ceux qui voulaient engager la région sur des voies moins propices à la stabilité, à la transition démocratique et à la bonne gouvernance, s’est renforcée. L’influence de la Russie et de la Chine a alors pris de l’ampleur dans la région. Cette situation est devenue à son tour une source de préoccupation croissante, en Europe comme aux États-Unis, et un changement d’approche est apparu ces deux dernières années, avec un recentrage de l’attention sur la région. 3. La guerre féroce et non provoquée menée par la Russie contre l’Ukraine sera peut-être l’occasion d’une clarification pour les Balkans occidentaux. La voie différente que la Russie offrait autrefois à certains acteurs de la région ressemble davantage à une impasse aujourd’hui. C’est la vision d’un avenir nihiliste, ruiné et violent. La manière dont la région réagira sera très révélatrice de la direction qu’elle prendra. Pour sa part, la communauté transatlantique des nations devra ouvrir la porte à une intégration complète des pays prêts à s’engager à procéder aux changements qui jetteront, à terme, les bases de la paix, de la sécurité, de la démocratie et de la prospérité. I- L’ÉCONOMIE RÉGIONALE ET L’IMPACT DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 4. La pandémie de Covid-19 a frappé les Balkans occidentaux au moment où la croissance économique de la région commençait à s’accélérer. La région a connu une croissance de 2,5 % par an environ sur une bonne partie de la décennie qui a suivi 2010, mais en 2018, ce taux a bondi à 3,8 % et l’on s’attendait à un taux de 3,7 % pour les deux années suivantes (Banque mondiale, 2021). Au lieu de cela la croissance régionale s’est contractée à 3,1 % en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19. De fait, les résultats économiques positifs enregistrés dans les Balkans occidentaux entre 2010 et 2019 étaient venus infirmer la tendance longtemps dictée par un ensemble de faiblesses structurelles qui avait entravé le développement de la région. Les tensions politiques qui secouent ces sociétés, et notamment les tensions diplomatiques, ainsi que le rôle joué par la Russie, un acteur extérieur malveillant cherchant à semer le trouble dans cette région fragile, sont autant d’éléments qui constituent un obstacle majeur à une stabilisation à long terme et qui continuent d’affaiblir le potentiel économique de la région. La pandémie, les investissements chinois coûteux et problématiques sur le plan environnemental, et maintenant la guerre en Ukraine, ont mis en évidence et accentué ces vulnérabilités. 1 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
5. La détérioration substantielle de la demande intérieure et extérieure de biens et de services a contribué aux difficultés économiques de la région. La chute soudaine de la demande liée aux confinements décrétés partout dans le monde a provoqué de sérieux problèmes de trésorerie dans de nombreux pays des Balkans occidentaux. Par ailleurs, la région n’a guère été épargnée par la crise mondiale de l’approvisionnement. Les pénuries de biens et d’intrants ont eu un impact considérable sur les petites et moyennes entreprises (PME) essentielles pour la région. Les PME représentent 73 % des emplois du secteur privé dans les Balkans occidentaux (rapport de l’OCDE, n.d.). Mais une part importante de l’économie régionale n’est pas comptabilisée dans les chiffres officiels. Entre 2016 et 2020, les chiffres du marché caché de l’emploi ont augmenté dans la plupart des économies des Balkans occidentaux. La Serbie est le seul pays dans lequel ces chiffres ont baissé, alors que pas moins de 80 % des travailleurs du Kosovo opèrent dans le secteur de l’économie informelle (au noir/gris). Ces travailleurs ont beaucoup moins accès aux services de santé normaux et ils sont donc plus vulnérables dans les situations d’urgence de santé publique. Au Kosovo, on estime que 60 % des travailleurs ne sont pas couverts par une assurance maladie dans le cadre de leur travail. Il convient de noter qu’aux termes d'un des critères d’adhésion à l’UE, la région devra considérablement réduire la taille de son secteur informel (EWB, 2020). 6. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le soutien de la politique budgétaire a été essentiel pour aider le secteur privé à surmonter la choc de la Covid-19. Le manque de marge de manœuvre budgétaire des gouvernements nationaux a néanmoins représenté un défi majeur pour les Balkans occidentaux, les États n’ayant pas eu la capacité d’apporter un soutien budgétaire substantiel aux économies frappées par cet événement de santé publique (rapport de l’OCDE, n.d.). Avec un ratio de dette publique d’environ 72 % par rapport au PIB, le Monténégro affiche le taux d’endettement le plus élevé de la région. Celui du Kosovo est le plus bas avec un ratio se situant aux alentours de 17 %. Mais la crise a également porté un sérieux coup aux réserves de change. Les envois de fonds des travailleurs vivant en Europe occidentale ont longtemps représenté une source essentielle de rentrées en devises dans la région, mais les confinements successifs et le ralentissement de la croissance économique en Europe ont compromis cette importante source de revenus. Cette situation a entravé à son tour la demande des consommateurs, qui est une composante essentielle du PIB. La pandémie a également entravé l'augmentation de la productivité, notamment au Monténégro, en Albanie, au Kosovo ainsi qu’en Serbie (Djurovic, 2020). Les déficits commerciaux sont généralement financés par une combinaison de transferts de fonds et d’investissements directs étrangers, mais ces deux sources se sont considérablement taries durant la crise. Point positif : les systèmes financiers de la région sont devenus plus résilients grâce aux réformes entreprises après la crise financière de 2008. Les systèmes bancaires bénéficient à présent d'un certain coussin de fonds propres et de liquidité qui a permis de financer les déséquilibres extérieurs et de garantir les investissements. Malheureusement, ces systèmes financiers seront mis à mal par les conséquences économiques de la guerre menée par la Russie dans l’Ukraine voisine et par les migrations de masse déstabilisatrices que cette guerre a provoquées. 7. La pandémie a peut-être aussi exacerbé l’éternel problème de la corruption dans les Balkans occidentaux. La Commission européenne a explicitement fait le lien entre ce problème omniprésent et un certain recul de la démocratie dans la région (Commission européenne, 2019). La mise en quarantaine des parlements et l’affaiblissement de la vigilance des journalistes ont aggravé la situation. La corruption systémique représente depuis longtemps un défi majeur pour les démocraties naissantes des Balkans occidentaux et empêche les pays de la région de réaliser leur potentiel économique. Ce fléau est également considéré comme un moteur de conflit dans la mesure où certaines élites ont attisé les divisions ethniques et confessionnelles à la fois pour maintenir leur emprise sur le pouvoir et pour détourner l’attention des malversations internes. La corruption est un lourd fardeau qui pèse financièrement sur les sociétés de la région, qui affaiblit l’investissement public et qui fait augmenter les primes de risques tout en décourageant simultanément les investissements nationaux et étrangers. La corruption contribue à jeter le discrédit sur les institutions publiques et les gouvernements démocratiques, notamment parce qu’elle suscite l'impression que 2 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
la participation à la vie démocratique est moins efficace que les malversations internes pour parvenir à ses fins. L’État de droit et le bon fonctionnement des normes juridiques et démocratiques sont essentiels pour la gouvernance démocratique, surtout lorsqu’un pays a été frappé par une crise économique. Par exemple, l’instauration de l’état d’urgence en Serbie a davantage été perçu comme de la subversion à l’égard de la gouvernance démocratique et des libertés fondamentales que comme un moyen efficace de gérer la crise (Cavdarevic, 2020). 8. Le chômage reste un enjeu économique, social et politique majeur, à long terme, dans les Balkans occidentaux. Il a provoqué l’exode de travailleurs vers l’Europe, un exode qui a certes généré un certain volume de recettes en devises avec les envois de fonds des émigrés, mais qui entraîne également une importante fuite des cerveaux, ce qui fragilise le potentiel économique de la région, surtout lorsque les éléments les plus instruits et les plus qualifiés ne retournent jamais dans leur pays. En 2019, le taux de chômage des jeunes dans la région était de 32 % environ (Banque mondiale, 2020). Aujourd’hui, ce chiffre s’établit à 37 %. 9. La pandémie a eu d’énormes conséquences sur l’industrie du tourisme. Le tourisme représente 15 % du PIB de la région et il a permis la création de plus de 550 000 emplois en 2019 (RCC Int, 2020). Ce secteur contribue pour pratiquement un tiers du PIB au Monténégro et pour un quart en Albanie. Le secteur touristique a toutefois chuté de moitié en 2020 et ne devrait pas renouer avec ses niveaux record de 2019 avant 2026 au plus tôt (Comité européen des régions, 2021). D’après les estimations, le PIB par habitant du Monténégro s’est contracté de 15 % environ en 2020, tandis que les économies moins dépendantes du tourisme comme la Serbie ont été plus épargnées par ce recul du secteur, avec, contre toute attente, une baisse évaluée à seulement 1 % de son revenu par tête en 2020 (Banque de développement du Conseil de l’Europe, 2021). Le secteur du tourisme du Monténégro commençait à peine à sortir de la récession provoquée par la Covid lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine. Ce conflit pourrait avoir un impact extrêmement négatif sur cette économie dépendante du tourisme. Les touristes russes et ukrainiens représentent généralement entre 20 et 30 % des touristes étrangers dans ce pays et ils constituent aussi une composante essentielle du tourisme commercial en Albanie (BiEPAG, 2022). Par contre, les migrants affluent à présent au Monténégro en provenance de Russie et d’Ukraine, à cause de la guerre et des sanctions. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact économique que cela aura. Mais toute la région se prépare désormais à l’arrivée d’un flux massif de réfugiés ukrainiens et même russes, qui fuient un régime de plus en plus autoritaire (Balkan Insight, 2022). 10. Dans les Balkans occidentaux, la proportion des femmes actives sur le marché du travail est parmi les plus basses d’Europe. En 2017, environ deux tiers des femmes en âge de travailler étaient soit inactives soit au chômage. La situation est particulièrement dramatique pour les femmes n’ayant pas un haut niveau d’éducation. Mais d’autres facteurs s’ajoutent au problème, et notamment des politiques inadaptées en matière de garde d’enfants et de congé parental, des entraves fiscales et une politique de retraite anticipée défaillante. Pour résoudre le problème, il faudra : améliorer l’accès des femmes à l’enseignement supérieur en rupture avec les attitudes culturelles existantes ; promouvoir la migration de retour en améliorant le climat de politique économique ; développer des options abordables pour la garde d’enfants ; améliorer le congé parental ; introduire une taxation progressive du travail ; et revoir les conditions de l'assistance sociale et de la pension, afin d’inciter les femmes à travailler (Atoyan et Rahmen, 2017). Cette disparité entre les sexes a coûté cher à la région et compromet ses avancées en matière économique et de démocratie. Le FMI estime qu'il est indispensable d’améliorer l’accès à l’éducation, d’introduire des politiques de congé parental et d’encourager la participation des femmes au marché du travail. Mais la pandémie a malheureusement empiré la situation. Si l’inégalité professionnelle entre les sexes s’est réduite en 2019, la proportion des femmes actives sur le marché du travail a reculé pendant la pandémie. 11. La persistance d’une économie informelle continue de représenter un sérieux problème dans les Balkans occidentaux. Cela signifie qu’une part importante de la main-d’œuvre de la région ne 3 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
bénéficie pas des couvertures normalement offertes par le marché du travail officiel. Les personnes employées de manière informelle ont été plus exposées à l’exploitation durant la pandémie, nombre d’entre elles ne disposant pas de filets de sécurité. Ce phénomène prive également les gouvernements de la région de revenus essentiels tout en sapant l’État de droit. 12. Bien sûr, là où les marchés noirs et gris sont omniprésents, la criminalité organisée est très présente elle aussi, un problème systémique dans une grande partie des Balkans occidentaux. Cela représente un sérieux obstacle au processus d’adhésion à l’UE. Les problèmes de corruption dans le secteur de la défense en particulier ont été examinés dans le cadre de l’Initiative OTAN pour le développement de l’intégrité et ils ont été jugés représenter une menace pour la sécurité régionale, la gouvernance démocratique et le développement économique (Baldwin, 2022). Dans certains cas, il existe parfois des liens entre la criminalité transnationale organisée et les autorités gouvernementales, notamment celles qui supervisent la police, les finances publiques, les travaux publics et les réglementations. Ces liens fragilisent le potentiel économique national, le développement démocratique et la sécurité régionale. Transparency International fait observer que le problème s’est aggravé ces dernières années : les pays de la région figurent bien en deçà des pays membres de l’UE les moins bien classés dans son Indice de perception de la corruption (Cuckić, 2021). 13. Mais la pandémie de Covid-19 a également créé de nouvelles opportunités économiques dans la région. En 2019, des infrastructures relativement peu développées à l’appui d’une économie numérique, de faibles niveaux de connectivité et un manque d'investissement dans la transformation numérique ont constitué plusieurs facteurs limitant les perspectives économiques à long terme de la région (Civil Society Forum, 2019). Le télétravail et l’enseignement à distance, dictés par la nécessité de maintenir une distance sociale, conjugués au soutien financier fourni par l’UE en faveur de la transformation numérique, ont induit un important changement dans les Balkans occidentaux. La pandémie et la réponse apportée par les gouvernements ont permis à de nouvelles entreprises de répondre à l’évolution de la demande des consommateurs, en leur proposant des services peu développés jusqu’alors. Les changements de ces deux dernières années pourraient avoir des effets à long terme qui contribueront à transformer les économies de la région et à leur faire prendre la voie des changements technologiques, moteur du développement économique mondial (rapport de l’OCDE, n.d.). En effet, cette transformation a déjà commencé à modifier la structure des marchés du travail de la région en créant de nouvelles opportunités d’auto-entrepreneuriat et d’amélioration de la productivité. En 2020, lorsque les mesures d’endiguement de la pandémie ont contraint les employés à travailler à distance, le trafic internet a connu une croissance spectaculaire dans les Balkans occidentaux. Près de la moitié des ménages n’a pas accès à un ordinateur, mais la mise en place de politiques prévoyant notamment d’accéder à internet, gratuitement ou à un prix réduit, et de partenariats avec le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) y ont dynamisé le secteur numérique (WeBalkans, 2021). 14. Au cours de l’année 2021, les économies des Balkans occidentaux ont commencé à se redresser plus rapidement que prévu. La réouverture d’entreprises et l’augmentation de la demande extérieure avaient déjà dopé les exportations de la région et la croissance en 2020. Par exemple, la croissance de l’économie du Monténégro, qui était plongée dans la récession, était estimée à 10,8 % en 2021, soit le taux le plus élevé des six pays des Balkans occidentaux (Banque mondiale, 2021). Alors que les analystes pensaient que le tourisme atteindrait à peine 55 % de son niveau de 2019, il est reparti à la hausse en 2021. Malheureusement, l’effondrement attendu du tourisme russe et ukrainien constituera un coup dur. L’emploi demeure un sujet de préoccupation et le gouvernement devra trouver un juste équilibre entre une indispensable rigueur budgétaire et un redressement des niveaux de l’emploi au cours des prochains mois. 4 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
II- LA GUERRE MENÉE PAR LA RUSSIE EN UKRAINE : CONSÉQUENCES POUR LES BALKANS OCCIDENTAUX 15. Le Kremlin a cherché à combler les vides de pouvoir, réels ou imaginaires, lorsque cela semblait être dans l’intérêt du régime. La décision prise par Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine n’en est que le dernier exemple en date, et le plus lourd sur le plan des conséquences, mais la solide résistance de l’Ukraine et la réponse unie que lui a opposée la communauté internationale prouvent à quel point il a mal calculé. Les conséquences de l’invasion illégale par la Russie du très vaste pays qu’est l’Ukraine sont multiples, et comprennent notamment une possible montée des tensions dans certaines parties de l’Europe où la Russie a un certain degré d’influence. Cela pourrait malheureusement être le cas dans les Balkans occidentaux. En opposant une réponse unifiée et rapide à l’agression russe, en renforçant sa posture de dissuasion et en réaffirmant son engagement en faveur de la sécurité et de la stabilité du continent européen, la communauté internationale pourrait, au bout du compte, empêcher une recrudescence de la violence et des conflits dans les Balkans occidentaux. Le prix fort que la Russie va payer pour cette erreur de calcul pourrait avoir un puissant effet dissuasif sur ceux qui envisagent de suivre l’exemple de Poutine ou qui sont déjà sous son influence. 16. La Russie de Poutine cherche depuis longtemps à exploiter l’instabilité de la région pour renforcer son avantage géostratégique. Le régime a entretenu des liens particulièrement étroits avec la Serbie et les dirigeants séparatistes serbes de Bosnie-Herzégovine (BiH) et a joué sur leur sentiment commun d’injustice, qui a longtemps été la force motrice du nationalisme serbe. L’OTAN est dans le viseur des deux pays : dans celui de la Serbie, qui lui reproche son intervention pendant la guerre du Kosovo, et dans celui de la Russie, qui voit depuis longtemps son élargissement d'un mauvais œil et qui continue d’entretenir des réminiscences de la guerre froide. Le Kremlin a cultivé et exploité ce sentiment d'injustice, et se présente comme le seul vrai défenseur des intérêts serbes. En effet, dans les Balkans occidentaux, les ressentiments sont souvent de nature confessionnelle et nationaliste, et ont régulièrement mené par le passé à la violence et à la guerre. En exploitant ces sentiments, Poutine a parfaitement conscience de leur potentiel explosif. On peut légitimement craindre que l’invasion menée par la Russie n’encourage de nouvelles tentatives de redécoupage des frontières par les extrémistes de la région, des efforts qui pourraient amener violence et conflits armés dans cette zone fragile. 17. Le problème est particulièrement grave en Bosnie-Herzégovine où le gouvernement de l’entité à majorité serbe du pays, Republika Srpska, cherche désormais activement à s’affranchir des structures de l’État fédéral qui ont assuré la cohésion du pays depuis la signature de l’accord de paix de Dayton. Avant que la guerre n’éclate en Ukraine, le parlement de la Republika Srpska avait fait part de son intention de sortir des systèmes fiscaux, judiciaires et militaires fédéraux et de les remplacer par ses propres systèmes. Dragan Covic, le leader du parti nationaliste croato-bosniaque HDZ-BiH, a également mis à mal la loi électorale actuellement en vigueur en Bosnie-Herzégovine qui, selon certains analystes, aurait besoin d’être réformée. En décembre 2021, la Russie a mené des discussions avec le chef de la Republika Srpska, Milorad Dodik, en vue de la fourniture d’un soutien supplémentaire, mais la nature de ces entretiens n’a pas été entièrement révélée. Pour illustrer une autre manière dont la guerre en Ukraine modifie les calculs stratégiques dans la région, on peut citer le changement de tactique de Dodik, qui a depuis adopté un discours plus modéré (Szpala, 2022). 18. Il est intéressant de noter que si les représentants de la Fédération de Bosnie et Željko Komšić, membre de la présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine, ont condamné l’invasion de l’Ukraine, Milorad Dodik est apparu lors d'un événement public en compagnie de l’ambassadeur russe en BiH pour soutenir l’agression perpétrée par la Russie. Un député issu du parti SNSD (parti des sociaux-démocrates indépendants) de Dodik, Dušanka Majkić, a brandi la menace d’une 5 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
intervention militaire russe si la Bosnie-Herzégovine rejoignait l’OTAN. Milorad Dodik a par ailleurs essayé de bloquer aux Nations unies le vote de son pays sur la résolution condamnant l’action russe, sans toutefois y parvenir (BiEPAG, 2022). Si, dans un premier temps, Dodik et son parti ont peut-être vu dans la décision prise par Poutine d’envahir l’Ukraine une occasion d’avancer vers la réalisation de leur objectif de démantèlement de la Bosnie-Herzégovine (Krastev, 2022), ils utilisent maintenant les arguments visant à défendre l’ordre constitutionnel. Dodik tente de montrer qu'il adhère pleinement à l’accord de paix de Dayton, et de profiter de l’échec des négociations entre Bosniaques et Croates sur la réforme de la loi électorale. La décision concernant la force de l’Union européenne (EUFOR) a été annoncée un jour avant l’invasion. 19. L’isolement de la Russie sur la scène internationale et les sanctions sévères auxquelles le pays doit maintenant faire face pourraient accélérer un changement de point de vue à Banja Luka et à Belgrade, la pression de l’Europe et des États-Unis étant susceptible de s’intensifier au cours des prochains mois. Juste avant que la guerre n’éclate, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, avait annoncé que les effectifs de la mission de maintien de la paix de l’UE, EUFOR Althea, en Bosnie-Herzégovine seraient portés de 600 à 1 100 hommes et femmes. S’il s’agit d'une augmentation significative, elle reste néanmoins insuffisante pour contenir une éventuelle flambée de violence. L’EUFOR a qualifié le déploiement de ses forces de mesure de précaution pour renforcer la stabilité dans ce pays en y positionnant des forces performantes en nombre suffisant à l’appui des efforts déployés par le gouvernement pour maintenir un environnement sûr et sécuritaire. Leur mission consistera à prouver la détermination de l’UE à maintenir la stabilité en Bosnie-Herzégovine et à matérialiser l’engagement sans équivoque de celle-ci en faveur de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du pays (Shannon, 2022). La Serbie et le Bélarus (que son dirigeant illégitime Loukachenko a transformé en simple vassal de la Russie) comptent au nombre des pays européens qui n'ont pas imposé de sanctions à la Russie. La Serbie a même vu dans l’isolement de la Russie, une occasion de multiplier les vols Air Serbia vers la Russie. Les fractures qui divisent le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine ont jusqu’à présent empêché l’adoption de sanctions, contrairement à la Macédoine du Nord, au Kosovo et à l’Albanie qui ont emboîté le pas à l’UE et aux États-Unis dans ce sens (Kajosevic, 2022). Après le début de l’invasion russe, le président de la Serbie Aleksandar Vucic a déclaré que « porter atteinte à l’intégrité territoriale d'un pays est une très mauvaise chose », tout en ajoutant que la Serbie a « ses intérêts vitaux et ses amis traditionnels » et qu’elle n’imposerait donc pas de sanctions à Moscou (Vale, 2022). Belgrade a voté la résolution de l’ONU condamnant l’agression perpétrée par la Russie, mais sa réticence à participer aux sanctions contre la Russie a déçu les gouvernements de l’UE. La Russie soutient depuis longtemps la Serbie sur toute une série de questions, concernant notamment les relations que Belgrade entretient avec le Kosovo. Après des années de rhétorique pro-Poutine, il est très difficile pour le gouvernement serbe de revoir ses positions sur les relations avec la Russie. Il convient de noter que durant cette crise, Belgrade est la seule capitale européenne ayant organisé un important rassemblement pour exprimer son soutien à la guerre menée par Poutine. 20. Il ressort d’ailleurs de sondages menés récemment que deux tiers des Serbes considèrent la Russie comme leur partenaire international le plus fiable (Hajdari, 2022). Si un tel lien existe avec la Russie ce n’est pas parce que les Serbes entretiennent vraiment des sentiments positifs envers les Russes mais bien plutôt parce qu’ils nourrissent de véritables rancœurs vis-à-vis de l’Occident. Le Kremlin profite de cette situation et cherche à identifier des alliés potentiels au sein de certains groupuscules de la mouvance nationaliste serbe qui perçoivent leur propre pays/gouvernement comme corrompu et traitre. Cette vision que la Serbie a de la Russie va à l’encontre du point de vue consensuel européen, où même les hommes politiques qui se vantaient autrefois de leurs liens privilégiés avec le président russe se sont vu contraints de faire marche arrière et de le répudier. Dans une résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine, le Parlement européen a explicitement critiqué la Serbie pour son refus de soutenir les sanctions. Dans une résolution adoptée le 1er mars 2022, le Parlement européen « constate avec une vive inquiétude les efforts 6 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
continus déployés par la Fédération de Russie pour déstabiliser les pays des Balkans occidentaux et s’ingérer dans leurs processus démocratiques ; dénonce ceux qui ont exprimé leur soutien à la Fédération de Russie à la suite de son agression contre l’Ukraine et salue le soutien apporté par les pays des Balkans occidentaux qui sont des alliés euro-atlantiques ; regrette vivement que la Serbie ne se soit pas associée aux sanctions de l’Union contre la Russie, ce qui nuit à son processus d’adhésion à l’Union, et réaffirme qu’il attend des pays candidats à l’adhésion à l’Union qu’ils s’alignent sur l’acquis de l’Union, mais aussi sur la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union » (Parlement européen, 2022). 21. Certains signes indiquent que cette crise pourrait effectivement mettre un terme au processus d’adhésion de la Serbie, surtout si cette dernière continue de s’opposer au consensus européen sur les sanctions. La position de la Serbie devient de plus en plus intenable à mesure que les crimes de Poutine deviennent plus flagrants et plus horribles. Le risque est celui d'un isolement croissant du gouvernement serbe en Europe. Comme le laisse à penser la résolution du Parlement européen, la candidature de la Serbie, qui était déjà fragile, se trouve désormais encore davantage menacée. Des intérêts énergétiques sont également en jeu. La Serbie était déjà très dépendante de l’énergie russe lorsqu’elle a signé un important accord gazier avec la Russie à Sotchi en novembre 2021, qui permet de garantir d’importantes livraisons de gaz à des prix relativement bas. La Serbie et la Bosnie-Herzégovine avaient prévu d’importer du gaz russe via le gazoduc TurkStream (Vucsanovic, 2021). 22. Les sanctions européennes à l’encontre de la Russie risquent d’affecter grandement la situation de la Serbie sur le plan énergétique. L’interdiction de coopérer avec Gazprom Neft décidée par l’UE, par exemple, impactera la compagnie pétrolière serbe Naftna Industrija Srbije (NIS) qui est détenue majoritairement par l’entreprise russe. L’UE s’emploie à présent à adapter ses sanctions pour permettre aux Balkans occidentaux de continuer d’importer de Russie le carburant dont ils ont besoin. L’interdiction telle qu’elle est formulée signifierait que la NIS ne pourrait plus acheter de pétrole russe à des compagnies européennes comme les grands négociants que sont Glencore et Vitol. Les nouvelles sanctions n’empêchent toutefois pas les membres de l’UE d’importer du pétrole brut de Russie. La Serbie s’est plainte que de nouvelles restrictions précipiteraient le pays dans une crise énergétique (Spasić, 2022). 23. La sécurité énergétique continue manifestement de représenter un défi important pour une grande partie de la région. Plusieurs pays des Balkans occidentaux dépendent fortement des importations de pétrole et de gaz russes, ce qui les rend vulnérables à la pression politique de la Russie, un problème que la guerre en Ukraine a clairement amplifié. La région est par ailleurs dépendante de centrales électriques au charbon vieillissantes et inefficaces, et elle n’a pas suffisamment investi dans des solutions énergétiques plus durables. La qualité de l'air y est parmi les plus mauvaises d’Europe et les pannes d’électricité sont bien trop fréquentes, la demande dépassant souvent les capacités. L’UE a poussé en faveur d'une transition vers une énergie propre dans les Balkans occidentaux et d’une amélioration de l’efficience pour éviter le gaspillage d’énergie. L’Albanie fait ici figure d’exception dans la mesure où elle dispose d’importantes installations hydroélectriques. Le commerce transfrontalier de l’énergie est peu développé, et des réseaux plus intégrés sont nécessaires. Il faut multiplier les efforts visant à élargir le cadre de l’offre et de la demande d’électricité si l’on veut réaliser des économies d’échelle, faire baisser les coûts, réduire les émissions et renforcer la sécurité énergétique. Le soutien de l’UE est toutefois essentiel pour y parvenir et c’est d'ailleurs une priorité que s’est fixée la Commission. 24. Plus généralement, étant donné les intérêts économiques de la Russie dans la région, les sanctions internationales à son encontre et les implications de cette terrible guerre risquent d’avoir un impact économique négatif, quoiqu’inégal, sur les Balkans occidentaux, qui commençaient juste à sortir de la récession induite par la Covid lorsque la guerre a éclaté. Bien sûr, la guerre et les sanctions auront un impact économique mondial extrêmement négatif et affecteront le prix des 7 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
matières premières, du pétrole, du gaz, de l’électricité et des denrées alimentaires, tout en perturbant encore un peu plus les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les Balkans occidentaux risquent d’être particulièrement impactés par ces effets économiques négatifs. Le poids économique de la Russie dans cette région a souvent été surestimé. En effet, ces 25 dernières années, elle a fortement réorienté ses relations commerciales vers l’UE. Il n’en reste pas moins que le poids global de la Russie dans l’économie de la région varie considérablement. Même si la Serbie est le partenaire régional le plus proche de la Russie, le commerce avec la Russie et les investissements en provenance de ce pays ne représentent qu’une part relativement faible de son PNB. Par contre, les investissements directs de la Russie au Monténégro représentent environ 30 % du PNB de ce pays. Ce chiffre est beaucoup plus bas pour ce qui est des autres pays de la région (Vale, 2022). 25. La présence de la Russie se fait surtout sentir dans les secteurs de l’énergie et de la finance et a également joué un rôle sur les marchés immobiliers de plusieurs pays, dont le Monténégro. Si à peine 2 % des exportations de la majeure partie de la région vont vers la Russie, cette région est en revanche beaucoup plus dépendante du gaz russe que la plupart des pays d’Europe occidentale. La Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine sont totalement dépendantes du gaz russe. La Serbie importe 90 % de son gaz de Russie, qui fournit par ailleurs aussi deux tiers du gaz consommé en Croatie et la moitié du gaz consommé en Slovénie (Vale, 2022). Malgré cette dépendance, une grande partie de la région s’est clairement positionnée contre l’agression de l’Ukraine par la Russie. De ce point de vue, la Serbie fait une fois encore figure d’exception car elle entretient des liens de coopération militaire plus ou moins étroits, à la fois avec la Russie et avec l’OTAN. Le centre humanitaire de Nis sert de plaque tournante pour les espions russes qui peuvent ainsi accéder à l’infrastructure de défense civile locale et nationale ; il existe aussi toute une série de liens informels avec les églises nationales, les organisations caritatives et d’autres organisations des deux pays. Des liens de même nature ont également été tissés entre la Russie et la Republika Srpska (Miranova, 2018). III- LA CHINE ET LES BALKANS OCCIDENTAUX 26. La Chine a récemment émergé comme un acteur tiers dans les Balkans occidentaux et bien que ses intérêts dans la région semblaient au départ d’ordre essentiellement économique, cela pourrait bien changer. Pékin a compris qu’elle pourrait tirer parti de cette région en l’incluant dans son initiative de « diplomatie du masque » au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie de Covid-19. Cela s’est traduit plus tard par la fourniture de vaccins fabriqués en Chine (Vuksanovic, 2020). L’empreinte économique de la Chine dans les Balkans occidentaux reste néanmoins relativement faible et ce pays ne représente que 6 % des échanges commerciaux de la région (Zweers, 2020). Quoi qu’il en soit, Pékin considère que les Balkans occidentaux occupent une position stratégique le long de la route commerciale développée entre la Chine et l’Europe dans le cadre de son initiative « la ceinture et la route » (Belt and Road Initiative ou BRI). Le pays est également devenu un acteur de plus en plus important sur les marchés de développement des infrastructures, tant du point de vue de la construction que du financement. Mais les conditions des accords conclus dans ce cadre sont désormais scrutées de plus près. En effet, la relative absence de la due diligence financière telle qu'on la connaît en Occident a fait réagir certaines personnes qui ont porté un regard critique sur ces projets, les qualifiant de piège de la dette, où une poignée de personnalités ayant les bonnes relations s’enrichissent tandis que les gouvernements et les contribuables se retrouvent avec une dette sur le dos bien difficile à rembourser. Cette situation s’explique en partie par le fait que l’obtention de fonds européens pour le développement des infrastructures fait l’objet d’une rude concurrence régionale. La Serbie trouve difficile de rivaliser avec les pays de la région membres de l’UE qui ont accès à d’importants financements octroyés par Bruxelles, ce qui fait que Belgrade est tentée d'accepter les conditions de la Chine pour rester dans la course. Outre les relations économiques, il existe aussi d’autres sphères de coopération entre les 8 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
pays de la région et la Chine. Il s'agit notamment de la vente de systèmes de surveillance à la Republika Srpska et à la Serbie, qui sont ensuite utilisés contre les mouvements et les dirigeants politiques d’opposition, ainsi que dans le domaine de l’éducation puisqu’il y a des centres culturels en Republika Srpska comme en Serbie (Krivokapić, 2022). 27. L’acquisition par la Chine du port grec du Pirée, au sud-ouest d’Athènes, dans le sillage de la crise financière de 2008, a marqué une sorte de tournant dans les relations de la Chine avec l’Europe du Sud-Est (Shopov, 2021). Ce fut la première grande acquisition d’infrastructures par la Chine dans cette partie de l’Europe. Pékin a également acquis le port de Durres en Albanie et le port de Zadar en Croatie, ainsi que des infrastructures de soutien autour de chacune de ces installations. Pékin a accumulé un important pouvoir de négociation dans la région grâce aux prêts de financement de projets d’infrastructure, et les clauses de bon nombre de ces contrats favorisent largement la partie chinoise, surtout lorsque les gouvernements des pays des Balkans occidentaux ne sont pas en mesure de respecter leurs obligations financières. 28. Au cours des dix dernières années, les entreprises chinoises ont investi plus de 2,4 milliards USD en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, au Monténégro, en Macédoine du Nord et en Serbie, et ils ont accordé 6,8 milliards USD de prêts pour des projets d’infrastructure. La Chine est le troisième plus gros investisseur direct étranger en Serbie et représente 6,61 % de tous les investissements directs étrangers nets. Avec 72,27 %, la part représentée par l’Union européenne est beaucoup plus importante, tandis que celle de la Russie est de 11,21 %. La Chine détient environ 25 % de la dette publique du Monténégro. Sur le plan militaire, la Chine a vendu des drones à la Serbie et le ministre chinois de la défense, Wei Fenghe, s’est récemment rendu en Macédoine du Nord et en Serbie. Cela montre que les intérêts militaires chinois se développent dans la région, au moment où la Chine acquiert un certain pouvoir financier sur certains de ses gouvernements (Vuksanovic, 2021). 29. La principale initiative régionale du gouvernement chinois pour les Balkans occidentaux est la route express terre-mer entre la Chine et l’Europe (LSER). Il s'agit d’un corridor de transport essentiel pour la BRI, qui vise à faciliter le commerce entre la Chine et l’Europe. La Serbie et le Monténégro ont joué un rôle clé dans le soutien apporté à ce projet. La Serbie a été le partenaire privilégié de Pékin et le seul pays des Balkans occidentaux visité lors de la venue de Xi Jinping dans la région en juin 2016. Belgrade a approuvé le principe d’une seule Chine défendu par Pékin et, en retour, les dirigeants chinois soutiennent la position de Belgrade sur le Kosovo tout en approuvant la tenue de négociations entre Belgrade et Pristina. La Chine s’était opposée à l’intervention militaire de l’OTAN pendant la guerre de 1999 et le bombardement de son ambassade pas les États-Unis reste un sujet extrêmement sensible pour Pékin. Les représentants serbes ont ouvertement soutenu la position de la Chine sur Hong Kong, mais se sont abstenus de tout commentaire explicite sur la question de la mer de Chine méridionale, se contentant d’appeler à un règlement pacifique. Milorad Dodik, le leader des Serbes de Bosnie, a également exprimé son soutien à la Chine concernant Hong Kong (Zweers, 2020). D’une manière plus générale, les gouvernements des pays de la région sont largement restés muets sur la question des droits humains en Chine. 30. Les relations économiques influencent également les questions de sécurité. Là encore, cela est véritablement flagrant en Serbie, qui coopère avec la Chine dans toute une série de secteurs de la sécurité tels que la coopération policière, l’acquisition d’équipements militaires et certaines opérations de télécommunications. Les deux pays ont collaboré à un exercice antiterroriste et policier complexe en 2019, auquel ont participé près de 200 policiers chinois (Shopov, 2021). La Serbie a acheté à la Chine des missiles sol-air de moyenne portée à guidage radar ainsi que des drones armés. En dehors de la Serbie, l’envergure de la coopération de la Chine en matière de sécurité reste néanmoins limitée, d’autant plus que, dans ce domaine, l’OTAN demeure l’interlocuteur privilégié pour tous les autres Alliés et la plupart des pays partenaires de la région. Le gouvernement de la Republika Srpska a signé un contrat avec un investisseur chinois portant sur 9 AVANT-PROJET DE RAPPORT – 018 ESCTD 22 F
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