Vers un nouveau tourisme alpin, le cas de Champex - Joint ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Vers un nouveau tourisme alpin, le cas de Champex Comment favoriser l’émergence d’une nouvelle culture touristique alpine plus humble et responsable ? préparation au travail de master architecture JMA PTM janvier 2019 Nicolas Chalançon sous la direction de : prof. Hans Büri
« Les hommes s’en vont admirer les cimes des montagnes, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, les circuits de l’océan les révolu- tions des astres et ils se délaissent eux-mêmes. » Les confessions de Saint-Augustin, Livre X
AVANT PROPOS D’origine Genevoise, j’ai eu la chance depuis mon plus jeune age, de passer les vacances à la montagne. C’est à l’adoles- cence que mon regard rêveur s’est dirigé en direction des hautes cimes blanchies par la neige, comme attiré par cet environnement si proche et si sauvage. Dans le cadre de ce master en architecture, j’ai eu l’occasion de choisir des thématiques de recherche faisant le lien entre passion et formation professionnel. En première année, un travail initial portant sur les cabanes d’altitude m’a offert l’opportunité d’une réflexion sur l’évolution de l’alpinisme et des problématiques liées aux constructions en haute montagne. Par la suite, une seconde recherche passionnante sur le thème des auto-constructions m’a permis de réaliser le potentiel éducatif ainsi que les valeurs idéolo- giques portées par de tels actes autonomes. Ce présent travail établit un constat sur l’état actuel de notre re- lation avec la montagne ainsi que sur les enjeux de l’exploitation touristique en milieu alpin. Enfin, il suggère une solution œuvrant pour un nouveau tourisme alpin, humble et responsable.
TABLE DES MATIERES INTRODUCTION 8 Les alpes, une aubaine et une responsabilité 8 PARTIE 1 : L’HOMME ET LA MONTAGNE 12 Les premiers montagnards 12 Le culte de la nature 15 La montagne pour tous 20 Et aujourd’hui ? 24 Une transition nécessaire 30 PARTIE 2 : LE CAS DE CHAMPEX 34 Une station de moyenne montagne au potentiel fort 34 Formation géologique 36 Histoire de Champex 38 Un large choix d’activité 42 Une offre d’hébergement hétérogène 46
PARTIE 3 : LE VAL D’ARPETTE 52 Un lieu au caractère envoûtant 52 Morphologie et paysage 54 Une porte vers la haute montagne 57 PARTIE 4 : UNE CABANE AUTREMENT 60 Vers une nouvelle expérience de la montagne 60 La moraine sous la Barme 63 CONCLUSION 68 Vers un nouveau tourisme alpin 68 BIBLIOGRAPHIE 70 ICONOGRAPHIE 76 REMERCIEMENTS 81
INTRODUCTION Les alpes, une aubaine et une responsabilité Nous sommes les habitants d’une planète généreuse qui offre un environnement propice à l’épanouissement de la vie. Les multiples écosystèmes naturels qui la composent fonctionnent sur un principe d’équilibre. Chaque jour un peu plus nombreux, nous, homo sapiens, utilisons les ressources de la Terre pour subvenir à nos besoins. En revanche, ce qui nous différencie des autres espèces vivantes, c’est notre capacité à nous libérer de notre condition ani- mal pour penser et ainsi avoir la liberté de choisir. «La volonté parle encore quand la nature se tait.» Cette citation de Rousseau illustre notre faculté d’émancipation du réel, de nous poster en observa- teur du monde et donc de procéder à des jugements. A l’inverse des autres espèces qui peuplent notre planète, nos besoins ne se résument pas uniquement à se nourrir, respirer ou se reproduire. En effet, notre faculté de penser et notre penchant pour une certaine perfectibilité nous a apporté la notion de progrès.1 L’Homme pense et il désir le progrès. Ce progrès qui nous rap- proche de l’idée que nous nous faisons de la perfection. Malheu- 1 FERRY L., « La différence entre l’homme et l’animal », extrait du blog Les chemins de la culture, URL : http://philosophie.initiation.cours.over-blog.com/ conferences/philosophiques/la-difference-entre-l-homme-et-l-animal-entretien- de-luc-ferry-42192975.html 8
reusement, cette obsession pour le progrès nous a aussi conduit vers : «ce monde mo- derne, artificiel, ou l’Homme a été transfor- mé en machine à gagner de l’argent pour assouvir de faux besoins, de fausses joies.».2 Malgré tout, le progrès reste une compo- sante essentielle de notre nature humaine comme le démontre l’évolution des villes comparée à «l’immobilisme des sociétés animalières». Ce qui est fortement regrettable, c’est que ce monde Fig. 1. Étalement ur- que nous créons jour après jour, se désintéresse complètement de bain selon Ulrike Wissen Hayek la nature. Pire, il la consomme, la gaspille et participe à sa destruc- tion irrémédiable ! En l’espace de 50 ans, ce sont près de 60% des animaux sauvages qui ont disparu3 alors que notre population a doublé. Les pressions anthropiques que nous exerçons sur la na- ture (extraction de matières première, intensification des monocul- tures et de l’élevage, augmentation des échanges internationaux, de la consommation d’énergie etc.) participent aussi à la transfor- mation et parfois à la disparition des espaces sauvages de notre planète. Les glaces éternelles ne le sont plus, les forêts primaires sont en constante régression et les océans sont de plus en plus pollués. Pourtant, l’Homme a besoin de la nature pour survivre et d’espaces sauvages pour rêver. En Suisse, on assiste à une densification des zones urbaines exis- tantes ainsi qu’à un étalement urbain sur le plateau. La population de nos villes ne cesse d’augmenter. Ainsi, notre mode de vie urbain tend à se généraliser. Habitants des villes, nous vivons de manière déconnectée de la nature. Combler ce manque devient un besoin vitale que nous devons assouvir pendant nos périodes de temps libre. Pour cela, nous avons la chance d’avoir sur notre territoire, une multitude de forêts, de lacs, de montagnes et de glaciers. En effet, les alpes suisses ne représentent que 13,2 % de la surface totale des alpes, pourtant, elles couvrent 61% de notre territoire et abritent 48 des 82 sommets de plus de 4000m ainsi que 44 % de la surface glacière alpine.4 2 MOITESSIER B., «La longue route», éd. Arthaud, Paris, 1971 3 rapport biannuel «Planète vivante» du WWF, édition 2018 9
Fig. 2. vue satellite des alpes, source MODIS NASA La Suisse se caractérise donc par une tendance à l’étalement des villes ainsi qu’à une grande proximité avec un environnement sau- vage parfois extrême. Ce cadre naturel est nécessaire à l’épanouis- sement et à l’équilibre de l’Homme des villes. Il participe à notre émerveillement et devient un réservoir de grands espaces, d’air frais et de possibilité d’isolement. C’est aussi un milieu fragile, exposé aux changements climatiques et en constante évolution. La fonte du pergélisol, l’augmentation de l’intensité des précipitations, le retrait des surfaces glaciaires sont autant de facteurs qui déstabilisent l’équilibre des écosystèmes et modifient inéluctablement le paysage alpin. De plus, l’augmenta- tion de la fréquentation touristique ainsi que des infrastructures de transports et de productions d’énergies participent à la précarité du milieu. Une question se pose alors : comment faire pour conci- lier les besoins et attentes des habitants des villes tout en respec- tant la fragilité et le caractère sauvage de l’environnement alpin ? 4 wikipédia article sur les alpes suisses, URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/ Alpes_suisses (consulté le 05.11.18) 10
A travers une première partie consacrée à la relation entre l’Homme et la montagne, ce travail de recherche tente d’éclairer le lecteur sur l’évolution des usages que l’on fait du milieu alpin puis de le rendre attentif aux changements qui s’opèrent aujourd’hui ainsi qu’aux défis de demain. La seconde partie se concentre sur le cas de Champex-Lac qui est un exemple de station devant se réinven- ter pour continuer à vivre du tourisme malgré les changements actuels. Enfin, la dernière partie révèle une piste pertinente dans l’encouragement d’un nouveau tourisme alpin conscient de ses ca- pacités et respectueux de la montagne. Fig. 3. Lac du Plan des Aiguilles, Marcel Wibault, 1943 11
PARTIE 1: L’HOMME ET LA MONTAGNE Les premiers montagnards L’arc alpin se dresse comme une frontière naturelle entre le nord et le sud de l’Europe. Ses nombreux cols ont, depuis bien longtemps, été franchi par ceux qui désiraient se rendre d’un côté ou de l’autre de la chaîne montagneuse. De tels voyages étaient vécus comme de véritables expéditions et nombreux sont ceux qui y ont laissé leur vie. Par la rudesse de son climat, par les dangers naturels qui y surviennent, ainsi que par ses paysages apocalyp- tiques, les alpes ont depuis toujours été un lieu de crainte et de fascination. Ce n’est que vers la fin du premier millénaire après JC que les premiers hommes commencent à migrer vers les vallées al- pines, poussés par la raréfaction des terres cultivables.5 Génération après génération, ces premiers montagnards ont colonisé d’abord les vallées alpines puis les versants ensoleillés et enfin l’ensemble des terres cultivables jusqu’à l’étage nival. A cette époque, les ha- bitants des villes considéraient les montagnes comme des lieux ef- frayants habités par des barbares, ainsi, les interactions entre mon- tagnards et citadins étaient rare. 5 MORET J-P., «Quel avenir pour les friches alpines, désertification ou ur- banisation», énoncé théorique EPFL, sous la direction de GILLOT C., FRANCK F., 2013 12
«Ce fut tout; il s’était tu. Et à ce moment là, Séraphin s’étant tu éga- lement, on avait senti grandir autour de soi une chose tout à fait inhumaine et à la longue insupportable: le silence. Le silence de la haute montagne, le silence de ces déserts d’hommes, où l’homme n’apparaît que temporairement : alors, pour peu que par hasard il soit silencieux lui-même, on a beau prêter l’ oreille, on entend seulement qu’on n’entend rien. C’était comme si aucune chose n’existait plus nulle part, de nous à l’autre bout du monde, de nous jusqu’au fond du ciel. Rien, le néant, le vide, la perfection du vide; une cessation totale de l’être, comme si le monde n’était pas créé encore, ou ne l’ était plus, comme si on était avant le commence- ment du monde ou bien après la fin du monde.»6 6 RAMUZ C.-F., « Derborence », Editions Grasset, Paris, 1934 Fig. 4. représentation de l’étagement alpin 13
Jusqu’au 19ème siècle, les habitants des montagnes doivent main- tenir une population stable. Cet équilibre démographique vital est défini par la quantité de nourriture que l’on peut produire dans un espace limité : il faut suffisamment de monde pour entrete- nir les terres mais pas trop afin d’avoir assez à manger. Pour les premiers indigènes, les montagnes sont le lieu de résidence des dieux et des démons. Cette ambivalence du sublime et du mortel persiste encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif lorsque l’on parle d’expéditions extrêmes et des beautés et dangers qui en dé- coulent. Un autre élément récurent dans la relation Homme/mon- tagne est la notion de paysage. Pour les premiers montagnards, le fait de vivre dans un tel environnement nécessite inéluctablement une transformation importante du paysage alpin. Afin de rendre l’espace viable, il a fallu défricher les zones de pacage, franchir les torrents, canaliser les bisses, niveler les terres cultivées, abattre des arbres etc. Cette notion de transformation du territoire alpin reste- ra un point essentiel dans l’histoire de la présence anthropique en Fig. 5. carte du Valais, 1693 montagne. 14
Le culte de la nature Avec l’arrivée de la pensée humaniste, le 18ème siècle appa- rait comme un tournant dans la façon dont les hommes perçoivent les montagnes. L’invention de l’encyclopédie permet la diffusion d’une connaissance basée sur l’observation et la volonté de com- prendre le monde qui nous entoure. L’espace montagnard est alors perçu comme un lieu de curiosité et un terrain propice aux observa- tions scientifiques. Ce sont ces motivations scientifiques qui seront le moteur des premières expéditions alpines. En effet, dès le milieu du 18ème siècle, un homme de science genevois du nom de Horace Bénédict de Saussure projette de se rendre au sommet du Mont- Blanc afin d’y mener certaines observations. Il se rend à «Chamou- ny» et propose une récompense à celui qui trouvera la voie d’as- cension jusqu’au sommet. En 1786 a lieu la première ascension du Mont-Blanc par le cristallier Jacques Balmat et le docteur Michel Paccard. L’année suivante, Balmat emmène monsieur de Saussure accompagné de ses 18 guides chargés du matériel scientifique né- cessaire aux obser- vations. Il peut alors estimer l’altitude du toit de l’Europe à 4775m (altitude réel 4810m) ce qui est re- marquablement pré- cis pour l’époque.7 Fig. 6. descente de M. de Saussure de la cime du Mont Blanc dessiné par Volz 7 wikipedia article sur H.-B. de Saussure, URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/ Horace_Benedict_de_Saussure (consulté le 04.01.2019) 15
En parallèle à cette démarche scientifique, le courant intellectuel et artistique du romantisme qui émerge en Europe au même moment va entraîner une fascination pour les grands espaces sauvages dans les milieux bourgeois. Grâce aux écrits de Rousseau, notamment le roman «La nouvelle Eloïse», ainsi qu’à la diffusion des premières peintures paysagères alpines, les alpes deviennent peu à peu un lieu de rêverie et de contemplation. C’est en 1741 que William Windham et Richard Pocock, deux anglais curieux et téméraires, contemplent pour la première fois le paysage époustouflant de la mer de glace depuis le Montenvers à Chamonix.8 Dès lors, l’ère du tourisme alpin peut commencer. Charles Blair, un anglais vivant à Genève, construit au Montenvers un petit abri en 1776 puis ce sera la construction du «temple à la nature» de Marc Théodore Bourrit en 1798 qui est considéré comme le premier re- fuge alpin.9 Fig. 7. vue du Monten- vers et de hospital de Charles Blair, Jakob Phi- lipp Hackert, 1781 8 SCHOENLAUB J., «Petite anthologie de l’alpinisme», édition Guérin, Chamonix, 2018 9 GIBELLO Luca, «Construction de cabanes en haute altitude», éd. du CAS, Berne, 2013 16
Dans le seul but de contempler des paysages merveilleux, les premiers touristes arrivent chaque été à Chamonix. Motivés par l’exploit de monsieur de Saussure au Mont-Blanc, les bourgeois en quête d’aventure, accompagnés de leurs guides montagnards commencent à gravir les premiers sommets. On assiste alors à un changement dans le fonctionnement économique et culturel de la vallée. Les indigènes commencent à s’orienter vers des activités touristiques. Ainsi, pendant la saison estivale, les paysans et arti- sans deviennent progressivement guides, porteurs ou aubergistes. Le 19ème siècle est marqué par l’arrivée du chemin de fer ainsi que par la création des divers club alpin. D’abord anglais puis suisse, autrichien, français, italien, allemand... c’est l’ensemble des milieux aristocratique européen qui choisissent les alpes comme lieu de villégiature. Certains ont l’ambition de gravir les sommets, d’autre Fig. 8. affiche publici- se contentent de l’air frais et du soleil des paisibles vallées mais taire, Hans Eggimann, tous sont attirés par quelque chose d’impalpable, d’inexplicable, 1905 un sentiment d’apaisement et de sérénité lié à la contemplation d’une nature forte ainsi que de grands espaces. Le tourisme hivernal fait son apparition vers 1860 dans la station de Davos. Les touristes profitent du sanatorium et commence à pratiquer pour leur plaisir les premiers sports de glisses tels que la luge ou le patinage. Cette re- cherche de divertissement et de bien-être restera une composante essentielle du dé- veloppement du tourisme alpin jusqu’à au- jourd’hui. Parallèlement à cela, la conquête des alpes et de ces sommets bat son pleins. C’est la période de l’alpinisme héroïque. Motivés par la découverte de nouveaux es- paces ainsi que par les défis sportifs de tels ascensions, les alpinistes rivalisent de cou- rage et de persévérance dans leur quête de sommet vierge à gravir, à l’image d’Edward Whymper qui réalisa la première de la barre des Ecrins (1864), de l’aiguille verte (1865) ou encore du Cervin (1865). 17
A la fin du 19ème siècle, un certain Henri Duhamel transforme une paire de ski nordique et s’élance pour une première descente sur les pente de Chamrousse, c’est la naissance du ski alpin qui ne cessera d’être amélioré jusqu’à nos jours.10 Avant la première guerre mondiale, les stations de sports d’hiver sont en plein essor. On commence à modifier le paysage avec la construction des pre- mières infrastructures touristiques telles que pistes de luge et de bobsleigh, patinoires, pistes de ski de fond etc. La fréquentation des stations est croissante et ne sera jamais dépassée jusque dans les années 1950. En effet, la première guerre mondiale stoppe net le développement des stations de montagne. Cependant, la pé- riode de l’entre deux guerres verra le développement du ski en tant que discipline sportive. Sir Arnold Lunn, un anglais passionné de montagne piqueta en 1922 le premier slalom sur les pentes en- neigés de Mürren. En 1924 ont lieu les premiers jeux olympiques d’hiver à Chamonix puis en 1933 les premiers championnats du monde de ski alpin à Lauterbrunnen. En parallèle, on assiste à l’émergence des premières remontées mécaniques. Les câbles qui servaient a transporter le maté- riel, le fourrage ou le bois en montagnes sont adaptés au transport des touristes puis des skieurs. En 1908, le premier remonte pente mécanique est inauguré en Alle- magne près de la Forêt noire, la même an- née, est installé l’«ascenseur de montagne» au Wetterhorn en Suisse, c’est le premier véritable téléphérique de montagne pour voyageurs. Dès lors, à Davos, à Megève puis dans d’autre stations 11 Fig. 9. remonte-pente du Schneckenhof à sont installés des téléphériques pour la pratique du ski alpin. Enfin, Schollach, 1908 le premier télésiège pour skieur est construit en 1934 à Sun Valley aux Etats Unis. 10 CHALABI M., LYON-CAEN J-F., « Urbanisme et architecture des stations de sports d’hiver », éd. Lieux Dits, Lyon, 2014 11 site spécialisé dans les remontées mécaniques, URL : https://www. remontees-mecaniques.net/dossier/page-dossier-historique-accueil-50.html (consulté le 03.01.19) 18
Ces innovations vont marquer un tournant décisif dans le dévelop- pement des sports d’hiver ainsi que dans l’accessibilité à la mon- tagne. En effet, pour la première fois, les sommets qui étaient ré- servés à un public d’initié deviennent accessible à n’importe quel touriste aisé. Progressivement, l’utilisation des remontées méca- niques va se généraliser à l’ensemble des stations de montagnes ce qui va engendrer de nouvelles transformations aux paysages al- pin. En 1939, le second conflit mondial éclate et va entrainer un ar- rêt brutal du développement des stations ainsi que des innovations infra-structurelles jusqu’à la reprise dans les années 1950. Fig. 10. téléphérique de Rochebrune à Megève, 1935 19
La montagne pour tous Le retour des touristes dans les alpes a lieu dès la fin de la guerre. En France, la période de la reconstruction est accom- pagnée d’une politique de développement des stations de ski ainsi que du tourisme alpin. «Nous voulons ouvrir la montagne à la jeunesse française grâce à une exploitation à caractère social de son équipement et favoriser la pratique sportive du plus grand nombre».12 En Suisse et en Autriche, la proximité entre les villes et les stations de ski va permettre un essor populaire de ce sport avec plus de 50 % de la population qui le pratique vers 1960. Ainsi les stations existantes subissent des agrandissements conséquent avec l’arrivée de constructions toujours plus imposantes. Certaines stations voient leur capacité atteindre les 30’000 lits et deviennent de véritable villes à la mon- tagne avec une démographie qui fluctue d’un facteur 30 entre haute et basse saison. Souvent, l’absence de plan d’urbanisme est à l’origine du développement anarchique de certaines stations. Les infrastructures liées à la pratique du ski se multiplient et l’accessibilité aux stations est rendue plus aisé grâce à l’automobile. La période des 30 glorieuses se caractérise aussi par une dé- mocratisation des vacances à la montagne. En effet, l’arrivée des congés payés en Eu- rope va permettre au plus grand nombre, même si ils habitent loin des montagnes, de prendre une semaine Fig. 11. «Contribution à une architecture de mon- de vacances pour venir profiter des sports alpins et du grand air. En tagne», D. Pradelle, 1955 parallèle de ce développement sans précédent, un nouveau type de station de sports d’hiver voit le jours : les stations dites «ex-nihi- lo». Ce sont d’importants projets urbanistiques construits de toutes pièces autour de la pratique du ski. Elles se situent à des altitudes 12 Discours de Pierre Cot, conseiller général de Savoie, 1945 20
importantes afin de garantir un enneigement maximal durant la saison d’hiver. Le premier projet d’envergure de ce type est celui de Courchevel 1850, projeté dès 1945 par l’architecte D. Pradelle, le skieur L. Chappis et le président du conseil de Savoie P. de la Gontrie.13 Les éléments fondateurs du projet sont déterminés par les caractéristiques du lieu et permettent de répondre à des be- soins tels que : pratique des loisirs sportifs, ensoleillement optimal, importance des vues sur le paysage, habitat moderne, confortable et économique, et approprié aux rigueurs du climat hivernal. L’ac- cessibilité par l’automobile grâce à des routes déneigées est un élément récurent au développement urbanistique de tels projets. Fig. 12. p h o t o g r a p h i e aérienne de Courchevel, 1970 En France, la période des 30 glorieuses voit l’apparition d’autres stations ex-nihilo présentant certaines qualités. Des architectes de renom tels que Le Corbusier à Vars, Marcel Breuer à Flaine ou Char- lotte Perriand aux Arcs réfléchissent aux problématiques liées au tourisme de masse en montagne. Ils développent une architecture moderne, proche des utilisateurs et tentent d’intégrer au paysage alpin des programmes toujours plus ambitieux. 13 CHALABI M., LYON-CAEN J-F., « Urbanisme et architecture des stations de sports d’hiver », éd. Lieux Dits, Lyon, 2014 21
Fig. 13. hôtel de Marcel L’amélioration des infrastructures liés au ski est souvent assurée par Breuer à Flaine, 1972 d’anciens champions de ski alpin tels qu’Emile Alais ou Jean Blanc Fig. 14. m a q u e t t e qui tentent de proposer des pistes pour tout les niveaux et pro- d’étude pour les Arcs, pice à la progression de chacun. Ils développent aussi de nouvelles Charlotte Perriand, 1978 méthodes d’apprentissage ainsi que de maintenance des pistes. Pendant cette période, le matériel sportif connait aussi de nom- breuses améliorations rendant la pratique du ski toujours plus ac- cessible. Dans le milieu de l’alpinisme, les innovations matérielles ainsi que la diffusion des images des grands exploits entraînent une augmentation significative du nombre de pratiquants. Réservé à l’origine a un publique d’initié, ce sport connait un réel succès. Les refuges sont agrandis et, grâce à l’arrivée de l’hélicoptère, de nouvelles constructions en béton voient le jours en haute mon- tagne; parfois hors d’échelle à l’image du refuge Torino ou défiant Fig. 15. élévation du refuge Torino au col du Géant, 1952 22
la pesanteur avec le premier téléphérique de l’Aiguille du Midi. Comme pour fuir une sur-fréquentation généralisée, l’élite de l’al- pinisme délaisse peu à peu les alpes au pro- fit de l’Himalaya ou des Andes. En réalité, les grandes faces nord des alpes sont toutes vaincues alors qu’ailleurs, tout reste à faire. C’est l’époque de la conquête des 8000m en Himalaya. La période de l’après guerre jusqu’à la crise financière des années Fig. 16. téléphérique de 1980 connait un essor sans précédent du tourisme alpin. Les pro- l’Aiguille du Midi, 1955 grès infra-structurels, l’accès aux congés payés, l’agrandissement des stations existantes et la création de nouvelles stations ex-ni- hilo permet au plus grand nombre de venir profiter des bonheurs alpins. D’un autre côté, la montagne est perçue comme un bien de consommation. Les utilisateurs se mettent à consommer le pay- sage, le dénivelé et les sensations fortes comme une marchandise. En parallèle à ces changements, le secteur primaire qui était la base de l’économie des vallées alpines périclite et fait place à une éco- nomie basée exclusivement sur le tourisme. En Valais, entre 1940 et 1980, le secteur primaire accuse un recul net de 65%.14 Cette adap- tation du milieu pastoral à la nouvelle manne touristique a été pos- sible grâce aux facultés pluridisciplinaire des paysans de montagne. En effet, dès l’époque des premiers montagnards, ceux-ci ont du faire preuve d’une grande polyvalence pour survivre. Ils étaient éle- veur, cultivateur, chasseur, constructeur, boucher, boulanger parfois même inventeur. Leur grande connaissance du milieu alpin ainsi que leur résistance physique en ont fait de formidables guides et d’excellents professeurs de ski. Ils ont aussi grandement participé à la construction des stations en qualité d’ouvrier puis ont su exercer dans les métiers de la restauration et de l’hôtellerie grâce à leur sens de l’hospitalité. 14 KRAFT U., « Rester, partir, revenir », Canton du Valais, Département de l’économie, des institutions et de la sécurité, Sion, 2004 23
Et aujourd’hui ? A partir du milieu des années 1980, on constate une stagna- tion de la fréquentation des stations de sports d’hiver puis, depuis une vingtaine d’année, à une diminution du nombre de journée/ skieur. Ce premier jalon est, en partie, lié aux différents chocs pé- troliers et périodes d’inflations qui eurent un impact sur le pouvoir d’achat des européens ainsi que sur le prix du carburant nécessaire pour se rendre en station. On réalise alors que le marché du tou- risme alpin est un marché mature et que sa santé dépend de celle de l’économie mondiale.15 La tendance à la récession de l’écono- mie touristique alpine de ces 30 dernières années peut s’expliquer par l’arrivée d’une concurrence internationale forte encouragée notamment par l’arrivée des vols low-coast ainsi que par l’ouver- ture du marché par le biais d’internet. En Suisse, le francs fort a un impact important sur la compétitivité des stations sur le plan international. D’une manière générale, le vieillissement des infrastructures participe aussi à une image démodée de certaines stations qui ne peuvent ré-investir dans du matériel de dernière génération. Assuré- ment, le réchauffement climatique global termine de noircir le tableau avec une aug- mentation de la température en Suisse de l’ordre de +1,5°C depuis 1970.16 Ceci a un impact direct sur l’enneigement des do- maines skiables qui accuse un recul depuis 1980.17 Fig. 17. f ré q u e n t a t i o n Ces divers facteurs ont participé au changement de l’image du des stations de ski en Suisse (2007 - 2017) tourisme alpin. Rebutée par l’impression d’une consommation de masse de la montagne, l’opinion publique commence a réa- liser l’impact environnemental de l’exploitation touristique alpine et délaisse parfois le secteur au profit d’autres destinations. Les associations de défense pour l’environnement font leur apparition 15 VANAT L., «2018 International Report on Snow & Mountain Tourism» 16 OFEV, «Changements climatiques en Suisse», Berne, 2007 17 BALDY C., « L’avenir des stations de ski », énoncé théorique EPFL, sous la direction de FIVET C., BORGES T., 2018 24
et agissent pour limiter le développement ou la construction de nouveaux espaces touristiques. Pour palier à ces effets négatifs sur leur économie, certaines stations commencent à diversifier leurs offres afin d’attirer les touristes en saison estivale avec la mise en place d’activités telles que le VTT, la randonnée ou l’agrotourisme. Une autre tendance générale est le regroupement de nombreuses stations en entités plus grandes afin de réduire certains coûts et d’accroître leur rentabilité tout en augmentant significativement le nombre de km de pistes, argument marketing de premier ordre. C’est le cas de nombreux massifs tels que les 4 Vallées, le Grand Fig. 18. plan des pistes massif, les Portes du Soleil, le domaine Evasion Mont-Blanc etc. des 4 vallées On constate aussi une évolution dans l’offre d’hébergement ainsi que dans les attentes des touristes alpins. En effet, de nombreuses stations ont été confrontées à la construction effrénées de rési- dences secondaires dans un style «faux vernaculaire» ce qui a en- gendré une certaine confusion dans l’identité architecturale des vallées alpines ainsi qu’à une augmentation du nombre de «lits froids». En Suisse, la lutte contre ces «lits froids» a abouti à la mise en place de mesures légales comme la nouvelle Loi sur l’aména- gement du territoire ou encore la Lex Weber qui limite à 20 % le nombre de résidences secondaires sur chaque commune. 25
A Courchevel, on constate un autre effet de mode très discutable : la construction de chalets avec multiples sous-sols afin d’y loger piscine, salle de projection, salle de bowling, spa, parking etc.18 Cela illustre bien le changement de mentalité de cer- tains utilisateurs de la montagne. Enfin, certaines stations huppées tels que Verbier, Cran-Montana, St-Moritz, Gstaad, Zermatt, Megève ou Courchevel se sont spécialisées dans le tourisme de luxe et ont orienté leur offre vers les marchés asiatique, russe et nord américain en jouant la carte de l’excel- lence dans les domaines de l’hôtellerie et Fig. 19. coupe du chalet de la restauration. Dans ce cas, on assiste à une accélération de la Black Pearl à Courchevel perte d’identité d’une culture locale traditionnelle au détriment de la prolifération des boutiques de luxes et des bars branchés. Durant la même période, la fréquentation des refuges de haute-montagnes suit toujours une courbe ascendante. Certains sommets des alpes sont victimes de leur succès et accusent une sur-fréquentation les jours de beau temps. C’est le cas du Cervin et du Mont-Blanc où l’on doit parfois faire la queue derrière des dizaines de cordées sur certains passages clés.19 Un tel succès peut s’expliquer par les innovations constantes dans le matériel sportif, par l’évolution des standards de conforts dans les refuges ainsi que par la médiatisation des ascensions sur internet. Une autre raison compréhensible est le besoin grandissant pour l’habitant des villes de contre balancer les effets négatifs d’une vie urbaine trépidante par le calme et la radicalité offerte par la haute montagne. En ce qui concerne l’offre d’hébergement, les refuges alpins se sont adaptés aux exigences des nouveaux pratiquants pour qui, l’image du dortoir surchargé n’est plus acceptable. Les nouvelles cabanes de montagne proposent, dans une ambiance panoramique, tout 18 LELEU J., article du Dauphiné, «A Courchevel, la folie des profon- deurs», URL: https://www.ledauphine.com/savoie/2012/09/04/a-courchevel-la-fo- lie-des-profondeurs (consulté le 07.01.19) 19 LEPINE E., conférence «Les cabanes de montagnes», dans le cadre du cours de FRANCK F. sur l’architecture alpine, 20.12.18 26
Fig. 20. l’intérieur de la nouvelle cabane du Mt- Rose le confort hôtelier moderne comme des douches chaudes, une connexion à internet, des prises de courant, un restaurant avec une carte variée ainsi que des chambres quasi-individuelles. Cette tendance à l’augmentation du confort va parfois à l’encontre des valeurs traditionnelles de l’alpinisme. Gaston Rébuffat, héros de la conquête de l’Annapurna et homme de cœur définit l’esprit origi- nel de l’alpinisme en ces mots : «Pour faire de l’alpinisme, il faut deux choses : de l’enthousiasme et de la lucidité. Accepter de por- ter un sac, de dormir plus ou moins bien dans un refuge, parfois à un bivouac, d’avoir froid puis chaud, peut-être d’avoir faim, sans doute d’avoir soif, partir en sachant que l’on ne pourra pas arrêter le jeu, c’est à dire l’ascension, si tout à coup on en a assez, soit que l’on soit fatiguer, soit que le temps devienne mauvais, être tribu- taire d’un compagnon qui peut-être marchera moins bien, - bref, quitter un confort et des habitudes, c’est cela l’enthousiasme. C’est un beau sentiment, surtout à notre époque qui oublie de plus en plus que l’on a des muscles et une tête qui ne demande qu’à servir, et dont leur belle fatigue nous procure une paix et même une allé- gresse intérieures.»20 Fig. 21. Gaston Rébuffat au sommet des lames de Planpraz, 1976 20 REBUFFAT G., «Le massif du Mont Blanc - les 100 plus belles courses», Ed. Denoel, 1973 27
L’architecture des refuges moderne a donc évolué pour plaire à ce nouveau publique embourgeoisé. En s’adaptant aux nouveaux usagers, les cabanes de montagne oublient parfois leur vocations première : offrir un abri à l’Homme désirant explorer la haute-mon- tagne en toute simplicité. Les changements de comportements et l’augmentation des at- tentes des nouveaux touristes depuis ces 3 dernières décennies ont contribué à une certaine aseptisation de l’environnement al- pin. L’Homme d’aujourd’hui a des exigences de plus en plus aigues et souhaite retrouver tout le confort des villes lors de ces séjours en montagne. Il veut jouir des plus hauts panorama sans en subir leur ascensions fastidieuses. Tout cela a participé à la disneylandi- sation des alpes, terme adapté par le sociologue Bernard Crettaz pour qualifier la tendance à l’artificialité et à la marchandisation de l’espace alpin. Pourtant, la montagne reste un lieu naturel qui témoigne à travers ces paysages, des lentes modifications qui ont façonné notre planète à travers les millénaires. C’est une fenêtre vers une autre temporalité. Tout cela devrait imposer une certaine humilité ainsi que la responsabilité de préserver cet espace pour les générations futures. 28
Fig. 22. Alpine Coaster au Glacier 3000 29
Une transition nécessaire Il apparaît aujourd’hui comme une évidence pour notre civi- lisation moderne que le plus grand défi qui se dresse devant nous est de type environnemental. En effet, selon la majorité de la com- munauté scientifique internationale, les causes anthropiques du ré- chauffement climatiques ne sont plus à démontrer.21 Ces effets sur l’humanité se font d’ores et déjà ressentir un peu partout sur la pla- nète. Dès lors, la réduction des gaz à effet de serre ainsi que de la consommation énergétique, tout comme la production d’énergies renouvelables sont parmi les challenges auxquelles nous devons nous atteler au plus vite. Dans ce contexte alarmant, l’exploita- tion des stations de montagnes posent de nombreuses questions comme la pollution liée au transport et aux besoins de chauffage, la consommation énergétique des infrastructures de tourisme, l’im- pact de l’exploitation et de l’entretien des domaines skiables etc. Avec le réchauffement de notre climat, le maintien de la pratique du ski conduit à de nouveaux problèmes conséquent. Tout d’abord, l’augmentation de l’altitude de sécurité en neige naturelle22 pousse les exploitants à recourir à la production de neige de culture. Les techniques énergivores utilisées consomment une quantité impor- tante d’eau et néces- site souvent la création de lac de retenue qui assèchent les cours d’eau en montagne. Ensuite, la fonte du pergélisol a un impact direct sur la stabilité du terrain en haute-mon- tagne. Cela engendre des glissement de ter- Fig. 23. carte indicative du pergélisol en Suisse, 21 rapport du GIEC, « Climate Change 2001: Working Group I: The Scienti- OFEV, 2005 fic Basis », 2001 22 elle détermine l’altitude à laquelle un enneigement minimum de 30 cm durant 100 jours (du 01.12 au 15.04) a lieu au moins 7 hivers sur 10 30
rains, des chutes de pierre et participe à l’instabilité des fondations des infrastructures existantes telles que gares d’arrivées de remon- Fig. 24. E n d e t e m e n t tées mécaniques ou refuges alpins. Leur entretien devient plus des stations de ski Suisse, coûteux et leur démantèlement est parfois envisagé. Tout ces élé- Prof. Dr. Christoph Len- ments posent la question de la justification de telles exploitations gwiler, 2017 aujourd’hui ainsi que des investissements nécessaire à leur maintien. Néanmoins, en 2016, les recettes liées au tourisme dans l’économie Suisse s’élevait à 46,7 milliards de CHF avec 1,9 milliards de CHF rien que pour le tourisme hivernal en Valais.23 Ces chiffres montrent l’importance du secteur ainsi que du tourisme hivernal pour notre économie mais aussi pour notre image. Il est donc primordial d’agir dans l’objectif de rendre cette économie pérenne en prenant en compte les facteurs mentionnés précé- demment. La santé financière d’une station de ski est évaluée à travers l’indice de marge EBITDA24. Les cycles d’investissements des exploitants de domaines skiables se font sur des périodes de 30 ans. Afin de pouvoir emprunter aux banques et investir dans de nouvelles in- frastructures, les stations de ski doivent avoir une marge EBITDA d’au moins 35%.25 En 2017, en Suisse, seulement 1/3 des exploi- tants possèdent une telle marge ce qui oblige les autres à se tour- ner vers les aides étatiques à fond perdu afin de pouvoir survivre. Cet état de fait est difficilement soutenable dans une vision de développement durable. Pourtant, certaines stations apparaissent comme «too big to fail», et affichent clairement une politique de développement de leurs infrastructures. C’est notamment le cas de Zermatt qui a investit plus de 420 milions de CHF en 12 ans mais aussi de Aletsch Arena, Crans Montana, les 4 vallées ainsi que 23 rapport de la Fédération Suisse du Tourisme, «Le tourisme suisse en chiffre», 2017 24 EBITDA représente le bénéfice avant intérêts, impôt, dépréciations (sur immobilisations) et amortissements (sur biens immobiliers) 25 Loi sur l’encouragement des remontées mécaniques, Grand Conseil, canton du Valais, 10.2017 31
les Portes du Soleil. Pour toutes les autres stations, il devient né- cessaire de pouvoir se réinventer afin de maintenir leur attractivité touristique. Certaines ont d’ores et déjà développé des solutions innovantes afin de rester compétitive. C’est le cas du Moléson qui a diversifié son offre et propose des activités durant le printemps, l’été et l’automne comme du VTT, des randonnées thématiques, des brunchs au sommet, de la trottinette tout-terrain etc. La station tessinoise de Monte Tamaro qui fonctionnait à perte durant la sai- son hivernal a tout simplement décidé de n’ouvrir qu’en été afin de réduire ses coûts. Elle met en avant des activités estivale comme la luge d’été, des parcours dans les arbres, du VTT et du parapente. Fig. 25. information du Christophe Clivaz, professeur à l’Institut de géographie de l’UNIL site officiel de Monte Ta- maro explique : «Si on arrive à stabiliser le tourisme hivernal, c’est un miracle. Alors arrêtons de parler de croissance. Le potentiel de dé- veloppement se situe en été.».26 Même si certains domaines skiables de haute altitude ont encore de beaux jours devant eux, la plupart des stations doivent intégrer les changements climatiques à venir dans leur stratégie de ges- tion. La capacité d’innovation qui caractérise notre culture Suisse doit s’appliquer au secteur du tourisme alpin afin de préserver cet environnement fragile pour les générations futures tout en permet- tant à chacun de profiter des joies que procure la montagne. «The mountains needs the city and the city needs the mountains, it’s po- tential ans ressources.»27 26 VENDREDI, [464]., GIRARD B., « Le tourisme alpin face aux défis du chan- gement climatique », 03.2017 27 AICHER F., CAMINADA G. A., « On the path to building », éd. Birkhauser, Basel, 2018 32
33
PARTIE 2: LE CAS DE CHAMPEX-LAC Une station de moyenne montagne au potentiel fort La station de ski de Champex-Lac est située sur la com- mune d’Orsière à une altitude d’environ 1470 mètres. Son domaine skiable compris entre 1497m et 2197m possède deux télésièges biplaces et deux téléskis. De par sa taille modeste ainsi que par son altitude moyenne, Champex-Lac est un exemple de station de moyenne montagne dont l’économie est fortement liée au tou- risme et qui doit faire face à l’augmentation de l’altitude de sécurité en neige naturelle. En revanche, ce petit village de montagne a la chance de se situer en bordure nord-est du massif du Mont-Blanc. D’une surface de 400km2 et partagé entre la France, l’Italie et la Suisse, ce massif offre un immense espace préservé de haute mon- tagne avec une cinquantaine de glaciers et 24 sommets culminants à plus de 4000m d’altitude.28 Cette situation privilégiée permet a la station de bénéficier d’une certaine attractivité estivale grâce à des activités comme l’alpinisme, la randonnée ou l’escalade. En effet, le massif du Mont-Blanc jouit d’une solide réputation sur le plan international et attire chaque année des milliers de touristes aux motivations très diverses. 28 wikipédia article sur le massif du Mont-Blanc, URL : https://fr.wikipedia. org/wiki/Massif_du_Mont-Blanc (consulté le 12.12.18) 34
Certains viennent gravir de prestigieux sommets, d’autres se Fig. 26. carte de la ré- gion Mont-Blanc, Suisse contentent des points de vues accessibles en remontées méca- Topo, 1:100000 (réduc- niques tels que l’aiguille du Midi, le Montenvers ou la pointe Hel- tion) bronner, d’autres encore préfèrent la randonnée à la journée ou se lancent dans le classique tour du Mont-Blanc. Les options sont quasiment infinies et les adeptes du massif du Mont-Blanc sont chaque année plus nombreux à vouloir profiter de ce superbe ter- rain de jeu. C’est peut-être en jouant la carte d’une nouvelle porte d’entrée vers cet environnement unique et préservé que Cham- pex-Lac pourra assurer une transition responsable et durable vers un nouveau tourisme alpin. 35
Formation géologique Il y a environ 200 millions d’années, à l’époque secondaire, la mer de Téthys s’étendait au dessus de la Suisse actuelle. Pendant des millions d’années, des couches d’alluvions et de déchets orga- niques se sont déposées au fond de celle-ci et ont été comprimés par la pression de l’eau. En durcissant, ils devinrent solide et for- mèrent un socle sédimentaire de calcaire, d’ardoise et de molasse. Durant l’époque tertiaire, le socle de granite enfouie sous les sédi- ments se souleva lentement et immergea hors de la surface. C’est la formation du massif du Mont-Blanc. La suite n’est que le résultat du lent travail de l’érosion qui forgea l’ensemble du relief alpin. Le torrent de l’Entremont passait par le vallon de Champex et s’écou- lait directement à Martigny. Puis, le glacier de Saleina creusa le val Ferret jusqu’à Sembrancher et ferma le lac de Champex de sa mo- raine en rive gauche.29 Fig. 27. schémas de la formation géologique du massif du Mont-Blanc 29 BERTHOD R., «Orsières ma commune», éd. administration communale d’Orsières, 2009, p. 220-221 36
Ainsi, le vallon de Champex situé 500 mètres plus haut que le Val Ferret est une relique de ces périodes glaciaires. La particularité géologique du secteur réside dans la cohabitation de roches cris- tallines située entre le Mont-Dolent et le Catogne et de roche sé- dimentaire le long du Val Ferret. On peut ainsi observer à la Lis Blanche des formations calcaires qui cohabitent avec du gneiss cristallin. Les quatre périodes de glaciations qui eurent lieu dans le dernier million d’année déposèrent les moraines ainsi que de nombreux blocs erratiques un peu partout dans la région. Fig. 28. schéma de la structure géologique du massif du Mont-Blanc 37
Histoire de Champex L’origine du mot Champex provient du latin campis qui veut dire champs. Historiquement, ce nom était celui du vallon situé en amont et le village actuel n’était qu’un mayen de faible importance appelé le lac.30 C’est durant le 19ème siècle, lorsqu’il reçu ses pre- miers touristes, qu’il emprunta le nom du vallon et devint Cham- pex-Lac. Durant la période du moyen âge, la région d’Orsières faisait partie du duché de Sa- voie. Champex était considéré comme un haut lieu de la sidérurgie locale. Il y avait alors une mine de fer ainsi qu’un fourneau fonctionnant au charbon de bois. Cepen- dant, en 1344, à la demande des habitants d’Orsières, Amédée VI fit cesser cette in- dustrie afin de préserver les forêts locales qui étaient décimées par la fabrication du charbon. Pendant les siècles qui ont suivi, la région du lac n’était qu’un modeste mayen exploité en été par la bourgeoisie d’Or- sières. Les pâturages étaient répartis se- lon les différents «chalétaires» et les autres éleveurs non-propriétaire n’en avaient pas l’accès. C’est en 1854, avec l’apparition du système de consortage, qu’une exploitation plus équitable des terrains disponible est votée. L’alpage ainsi créé permet à tous les membre de la communauté d’en bénéficier. En revanche, il implique aussi le devoir de participer aux travaux communs ainsi que Fig. 29. schémas de la d’en assumer les charges.31 L’histoire de Champex commence réel- formation géologique du lement en 1850 lorsqu’un certain Emile Bégin, médecin et voya- massif du Mont-Blanc geur romantique français, explore le mayen et décrit dans son livre, 30 BERTHOD R., «Orsières ma commune», éd. administration communale d’Orsières, 2009, p. 268 31 site des traditions vivantes helvètes, article sur le consortage en Valais, URL : http://www.lebendigetraditionen.ch/traditionen/00128/index.html?lang=fr (consulté le 09.01.19) 38
Vous pouvez aussi lire