Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...

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Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
Agence FRONTEX :
                  quelles garanties
     pour les droits de l’Homme ?
Étude sur l’Agence européenne
aux frontières extérieures
en vue de la refonte de son mandat
Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
Étude réalisée par :
                                     Sara Casella Colombeau (politiste),
                                     Marie Charles (juriste),
                                     Olivier Clochard (géographe),
                                     Claire Rodier (juriste),
                                     sous la direction des eurodéputées
                                     Hélène Flautre, Franziska Keller
                                     et Barbara Lochbihler.
                                     Merci à Caroline Intrand
                                     (juriste / Migreurop) pour sa contribution.
                                     Merci à Sophie Chabridon
                                     pour son suivi méticuleux
                                     lors de la réalisation de ce document.
                                     Cartographie : Olivier Clochard.
                                     Photos : Sara Prestianni (Migreurop).
                                     Mise en pages : Martin Granger.

                                     Ce document a été édité en novembre 2010
                                     avec le soutien du groupe des Verts / ALE
                                     au Parlement européen.

Photo de couverture : frontière de Melilla, 2006 © Sara Prestianni (Migreurop)
Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
Agence FRONTEX :
             quelles garanties
pour les droits de l’Homme ?
              Étude sur l’Agence européenne
                  aux frontières extérieures
          en vue de la refonte de son mandat

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Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
SOMMAIRE
     INTRODUCTION . ............................................................................................................................. 5
           Les enjeux d’un amendement au règlement FRONTEX :
           une menace pour le respect des droits fondamentaux aux frontières ?............................. 6
           Un nouveau cadre institutionnel : le Traité de Lisbonne. ..................................................... 7
     I. QUELQUES EXEMPLES DE VIOLATIONS DES DROITS FONDAMENTAUX .............................. 8
              A. Non respect du droit d’asile ............................................................................................. 9
                         1. Lors d’interceptions aux frontières de l’Union européenne................................................ 9
                         2. Lors d’opérations d’identification. ................................................................................10
              B. Entraves au « droit de quitter tout pays ».......................................................................10
              C. Traitements inhumains et dégradants..............................................................................12
                         1. Dans les pays de renvoi...............................................................................................12
                         2. Au cours des opérations conduites par FRONTEX............................................................13
                            Actes de violence. ......................................................................................................13
                            Abus de confiance......................................................................................................15
                            Mauvais traitements...................................................................................................17
              D. Droit à la protection des données à caractère personnel...............................................17
                         Manque de transparence. ...............................................................................................18
            E. Discrimination....................................................................................................................19
     II. UN CADRE JURIDIQUE QUI FAVORISE LA DILUTION DES RESPONSABILITÉS ................... 20
              A. États membres, FRONTEX, Union européenne :
              qui est responsable des activités de l’agence FRONTEX ?................................................. 22
                         1. Des textes insuffisants pour déterminer la responsabilité des contrôles
                         mis en place par l’agence : d’une impasse juridique à une schizophrénie politique................ 22
                         2. L’extraterritorialité des dispositions communautaires..................................................... 23
                         3. Le droit international applicable aux opérations de FRONTEX en haute mer. .................... 25
              B. Les partenariats de l’agence FRONTEX : vers un report des responsabilités ?............. 27
                         1. Le partenariat avec le HCR et avec l’AEDF : alibis ou coopérations ?................................ 28
                         2. La coopération avec les États tiers :
                         des accords en marge du droit pour quelle responsabilité ? ............................................... 31
     III : INCIDENCES DU PROJET DE MODIFICATION DU RÈGLEMENT 2007/2004
     SUR LES DROITS FONDAMENTAUX ............................................................................................ 34
              A. Une « facilitation » à risques de la coopération avec les pays tiers ............................ 35
                         1. Objectifs poursuivis. .................................................................................................. 36
                         2. Faiblesse des garanties............................................................................................... 36
              B. Quel encadrement des opérations de retours conjointes ?. .......................................... 38
                         1. Code de bonne conduite et contrôle indépendant pour les vols groupés........................... 38
                         2. Des opérations à haut degré de dangerosité................................................................. 38
              C. Droits fondamentaux : un grand décalage entre le texte et l’effectivité....................... 40
                         1. Lacunes dans la gestion des opérations conjointes. ....................................................... 41
                         2. Quasi-absence de référence au droit d’asile.................................................................. 42
                         3. Défaut de transparence.............................................................................................. 42
    CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ..................................................................................... 43
    BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 44
    ANNEXES ........................................................................................................................................ 45

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Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
INTRODUCTION
Le renforcement des contrôles       à l’UE (Islande, Norvège, Suisse)   ➜➜ des opérations conjointes
aux frontières extérieures          sont mis à sa disposition en vue    établies pour des durées
est une priorité depuis qu’au       du déploiement des opérations       limitées et reconductibles, qui
sommet européen de Tampere          de surveillance qu’organise         sont organisées par un État
de 1999 les États membres de        l’Agence.                           membre et auxquelles plusieurs
l’Union européenne (UE) ont                                             pays participent,
décidé de mettre en place une       Le budget de l’Agence est
                                                                        ➜➜ des contrôles menés par
politique commune en matière        en constante augmentation :
                                                                        des policiers de plusieurs États
d’asile et d’immigration.           de 6,3 millions d’euros en
                                                                        membres au sein d’un ou de
Après plusieurs opérations          2005, il est passé à près de 42
                                                                        plusieurs passages frontaliers
conjointes menées dans              millions d’euros en 2007 pour
                                                                        (focal points) ; établis sur une
le cadre de la coopération          atteindre plus de 87 millions
                                                                        période relativement longue,
intergouvernementale, les           d’euros en 2010. Cette hausse
                                                                        ils permettent à chaque État
ministres de l’Intérieur des        permet le développement des
                                                                        membre de partager leurs
quinze premiers pays membres        opérations coordonnées par
                                                                        expériences en la matière.
réunis à Rome envisageaient         FRONTEX, de deux types : celles
en mai 2002 la création             qui visent à surveiller les zones
d’un corps spécial pour la          frontalières afin de renvoyer       Ces différentes coopérations
surveillance des frontières         les ressortissants de pays tiers    peuvent s’effectuer avec l’appui
extérieures de l’Union. Inscrit     hors du territoire de l’Union,      des gardes-frontières, des
dans la communication de la         et celles qui ont pour objectif     douanes et des autorités de
Commission du 7 mai 2002 «          le retour groupé des étrangers      police d’États non européens.
Vers une gestion intégrée des       en situation « irrégulière » de
frontières Union européenne »,      plusieurs États membres.            En cas de « pression
le projet est officialisé en juin                                       [migratoire] urgente et
2002 dans les conclusions du        Le premier groupe                   exceptionnelle »[1] sur les
Conseil européen de Séville         d’interventions qui s’opèrent       frontières d’un État membre ou
(Espagne).                          en mer, aux frontières terrestres   d’un État avec lequel FRONTEX
                                    et dans les grands aéroports        a signé un accord, l’Agence
L’agence européenne pour            européens, comprend :               peut aussi dépêcher depuis
la gestion de la coopération                                            2006 des équipes d’intervention
aux frontières extérieures des      ➜➜ des projets pilotes              rapide aux frontières (RApid
États membres de l’Union            qui sont des opérations             Border Intervention Teams /
européenne (FRONTEX)                expérimentales, visant à obtenir    RABITS). Ces groupes – dont
est créée en octobre 2004           des renseignements sur des          l’effectif total au début de
et devient opérationnelle           régions considérées comme           l’année 2010 avoisine les 700
en octobre 2005. Basée à            sensibles. L’un des objectifs de
Varsovie, FRONTEX a pour            ces missions est de convaincre      [1] Règlement (CE) no 863/2007 du
principal objectif d’améliorer la   les gouvernements européens         Parlement européen et du Conseil
                                    de mettre à disposition de          du 11 juillet 2007 instituant un
gestion intégrée des frontières
                                                                        mécanisme de création d’équipes
extérieures des États membres       l’Agence des moyens humains         d’intervention rapide aux fron-
de l’Union européenne. Des          et matériels supplémentaires,       tières et modifiant le règlement
                                    indispensables à l’organisation     (CE) no 2007/2004 du Conseil pour
gardes-frontières de chaque
                                                                        ce qui a trait à ce mécanisme et
État membre et d’États associés     d’actions plus ou moins
                                                                        définissant les taches et compé-
                                    pérennes,                           tences des agents invités.

                                                                                                       5
Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
gardes-frontières – visent à       l’Union s’apparentent bel et        en toute indépendance son rôle
apporter une « assistance          bien à une force militaire de       d’ordonnateur » (FRONTEX,
technique et opérationnelle        dissuasion. Pour exemple,           2006 : 22), en 2007, il affirmait
renforcée »[2] en coordination     l’opération Poséidon à laquelle     d’ailleurs : « nous sommes
avec les unités nationales.        21 États membres ont participé      fiers de ce que nous avons
À la demande de la Grèce, ces      en 2009 a mobilisé 23 navires       accompli, et nous sommes prêts
équipes d’interventions sont       (soit plus de 11 000 heures de      à faire plus encore » (FRONTEX,
intervenues pour la première       patrouille) ainsi que 6 avions et   2007 : 4).
fois en novembre 2010.             4 hélicoptères (802 heures de
                                   patrouille).                        Les enjeux d’un
Dans le second groupe, on
                                                                       amendement
trouve les « opérations de         En menant ce type
retours conjointes » qui ont       d’opérations, FRONTEX est           au règlement
considérablement augmenté          devenue « un acteur clé »           FRONTEX : une
(1 622 personnes en 2009           dans le déploiement des             menace pour le
contre 428 en 2007), le            politiques européennes d’asile
budget de l’Agence destiné         et d’immigration aux frontières
                                                                       respect des droits
à coordonner ces vols étant        extérieures de l’UE. Au regard      fondamentaux aux
d’ailleurs passé d’un demi-        de ses premières expériences,       frontières ?
million d’euros en 2005 à plus     l’Agence se définissait déjà en
de sept millions en 2010.          2006 comme « un coordinateur        Donner à FRONTEX l’occasion
                                   communautaire opérationnel          de « faire plus encore », tel
En février 2010, FRONTEX           fiable et un contributeur           est l’objectif de la révision du
déclarait disposer de 26           pleinement respecté et soutenu      règlement portant création
hélicoptères, 22 avions légers     par les États membres et les        de l’Agence proposée par la
et 113 navires. Selon l’Agence,    pays tiers » (FRONTEX, 2006 : 5),   Commission européenne en
la base de données CRATE           ce qui l’amène à envisager de       février 2010 pour renforcer son
(Centralised Record of Available   devenir « un puissant “centre”      action.
Technical Equipment) recense       opérationnel » (FRONTEX,
476 appareils techniques           2006 : 2). En 2008, « FRONTEX       Ce renforcement des
utilisés pour lutter contre        se donne pour but de devenir        compétences de l’Agence se lit
l’immigration « clandestine » :    l’acteur central dans la            à plusieurs niveaux : d’abord,
radars mobiles, caméras            promotion de l’harmonisation        par la « possibilité d’un soutien
thermiques, sondes mesurant        des doctrines, des besoins, des     financier accru »[3], ensuite
le taux de gaz carbonique émis,    procédures administratives et       par une autonomisation de
détecteurs de battements de        opérationnelles et des solutions    l’agence par rapport aux
cœur, radar PMMW (Passive          techniques qui soutiennent une      États membres. FRONTEX
Millimetric Wave Imager), etc.     gestion efficace des frontières     pourra en effet disposer de
Ces équipements, qui sont          extérieures de l’UE » (FRONTEX,
basés dans différents pays de      2008 : 9). Un an plus tard,         [3] COM (2010) 61 final, Proposi-
l’UE, sont mis à la disposition    l’Agence s’auto-désigne comme       tion de règlement du Parlement
de l’État membre qui en fait la    « la pierre angulaire du concept    européen et du Conseil modifiant
                                                                       le règlement (CE) no 2007/2004
demande. Au vu des moyens          européen de gestion intégrée
                                                                       portant création d’une Agence
employés, les opérations           des frontières » (FRONTEX,          européenne pour la gestion de la
de FRONTEX menées aux              2009 : 3). Pour arriver à ces       coopération opérationnelle aux
                                                                       frontières extérieures des États
frontières extérieures de          résultats, son directeur exécutif
                                                                       membres de l’Union européenne
                                   se félicite d’avoir « pu exercer    (FRONTEX), Bruxelles, 24 février
[2] Ibid.                                                              2010.

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Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
ses propres équipes de garde-       à des opérations concrètes.         statuer à titre préjudiciel pour
frontières dans les opérations      Cette préoccupation vient           les questions de visas, d’asile,
de surveillance. Elle pourra        s’ajouter aux nombreuses zones      d’immigration et questions liées
également « décider de              d’ombres qui entourent d’ores       à la circulation des personnes.
financer ou de cofinancer »[4]      et déjà le fonctionnement de
des opérations de retour            FRONTEX et la dilution des          Par ailleurs, le rôle du
conjointes, avec ses propres        responsabilités entre l’Agence      Parlement européen est
avions. Sur le plan interne,        et les États membres. Et ce,        renforcé, puisqu’avec
l’Agence pourra « elle-même         malgré le nouveau cadre             l’extension du système de
prendre l’initiative d’opérations   institutionnel instauré par le      codécision il sera plus présent
conjointes et de projets pilotes    Traité de Lisbonne.                 dans les domaines liés à la
à mener en coopération avec                                             gestion de l’immigration
les États membres »[5].             Un nouveau cadre                    ainsi qu’aux domaines
                                                                        justice, sécurité et libertés.
                                    institutionnel : le
Sur le plan externe, la                                                 Il faut cependant tempérer
proposition de règlement            Traité de Lisbonne                  ces changements car de
augmente également ses                                                  nombreuses dispositions
compétences en lui permettant       L’entrée en vigueur du traité       du Traité maintiennent
d’établir des coopérations avec     sur le fonctionnement de            encore la prééminence des
les pays tiers et d’y financer      l’Union européenne (Traité de       États membres. La logique
des projets, par exemple en         Lisbonne) en décembre 2009          intergouvernementale,
déployant des officiers de          et l’adoption du programme          toujours présente, permet aux
liaison « Immigration » pour        de Stockholm – adopté par           gouvernements européens de
lutter contre l’immigration «       le Conseil européen des 10          conserver des responsabilités
illégale » à la source.             et 11 décembre 2009 – qui           dans certains domaines clefs.
                                    demande « une clarification
Autant de prérogatives              et un renforcement du rôle          Dans ce contexte, on peut se
qui font peser de sérieuses         de FRONTEX dans la gestion          demander si ces exigences
inquiétudes quant à leur            des frontières extérieures de       nouvelles suffiront à encadrer
compatibilité avec le respect       l’Union européenne » auront-        l’activité de FRONTEX. De plus
des droits fondamentaux.            elles un impact sur la mission de   en plus, celle-ci joue le rôle de
D’ailleurs, dans son analyse        l’agence ?                          « parapluie » pour des États
d’impact[6], la Commission                                              membres qui ont tendance
européenne souligne le risque       Avec le Traité de Lisbonne,         à privilégier la fermeté de la
qu’un organisme de l’UE et          la Charte des droits                lutte contre l’immigration «
son personnel soient exposés        fondamentaux – conçue               clandestine » sur l’obligation
à des situations de violations      comme un des fondements de          qui incombe pourtant
des droits fondamentaux.            l’Union européenne – a acquis       aux membres des équipes
Si FRONTEX est dans un              valeur juridique contraignante.     coordonnées par l’agence,
rôle de codirection, ces            FRONTEX est désormais soumise       aux termes de son règlement,
difficultés pourraient en effet     à cette Charte et pourrait être     « de s’acquitter de leurs tâches
augmenter car ses agents            amenée à répondre de ses actes      dans le plein respect des droits
seraient davantage associés         devant la Cour de Justice de        fondamentaux et de la dignité
                                    l’Union européenne (CJUE),          humaine ».
                                    laquelle a vu son pouvoir de
[4] Ibid.
                                    contrôle étendu, puisqu’elle est
[5] Ibid.                           désormais compétente pour
[6] SEC(2010)150

                                                                                                       7
Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
I. QUELQUES EXEMPLES DE VIOLATIONS
 DES DROITS FONDAMENTAUX

Dans une résolution adoptée en
décembre 2008, le Parlement européen
demandait « que le mandat de FRONTEX
inclue l’obligation expresse de respecter
les normes internationales en matière
de droits de l’homme et un devoir
de sollicitude envers les demandeurs
d’asile lors d’opérations de sauvetage
en haute mer », et invitait à une révision
de ce mandat « afin de combler les vides
juridiques (…) notamment les conditions
juridiques précises des interventions de
sauvetage en mer »[7].
                                                                      Melilla (frontière hispano-marocaine), 2006
Une lecture optimiste de cette résolution
permet d’y voir un encouragement à améliorer          passent les opérations que l’Agence coordonne,
le fonctionnement de FRONTEX. Elle révèle             les rendent particulièrement hermétiques aux
cependant une réalité fort inquiétante : pour le      regards extérieurs. Des atteintes aux droits
Parlement européen, l’agence FRONTEX, qui se          fondamentaux ont en effet été mises en
targue dans ses rapports annuels, depuis quatre       évidence soit par des témoignages directs,
ans, de faire diminuer le nombre d’arrivées de        soit par des observations d’organisations
migrants « irréguliers » notamment grâce à ses        internationales ou d’ONG, soit par l’analyse a
opérations d’interceptions maritimes, n’offre         posteriori de certains événements relatés par
pas, à ce jour, suffisamment de garanties             la presse. On s’attache ici à reconstituer les
quant au respect des droits humains et du droit       principales violations identifiées, commises
d’asile, et les conditions de ses interventions       le plus souvent lors des deux activités de
ne sont pas clairement encadrées sur le plan          FRONTEX à l’occasion desquelles le respect
juridique.                                            des droits fondamentaux est le plus sujet
                                                      à caution : les opérations de contrôles qui
Ces graves carences ne sont pas pointées à la         s’opèrent aux frontières extérieures de l’Union
légère par le Parlement.                              avec pour objectif de refouler les migrants
                                                      vers les pays voisins, et les « opérations de
À plusieurs reprises depuis la création de            retours conjointes », euphémisme désignant
FRONTEX, les conditions dans lesquelles se            ce qui s’apparente souvent à des expulsions
                                                      collectives.

[7] Parlement européen, Résolution sur l’évaluation
et le développement futur de l’agence FRONTEX et
du système européen de surveillance des frontières
EUROSUR (2008/2157(INI), 18 décembre 2008.

 8
Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
A. Non respect du droit d’asile                      « faux demandeurs d’asile » qui tenteraient de
                                                     franchir les frontières de l’UE, sans se référer
  1. Aucun des États contractants n’expulsera        à une quelconque méthode lui permettant
  ou ne refoulera, de quelque manière que            de distinguer entre « faux » et « vrais »
  ce soit, un réfugié sur les frontières des         demandeurs d’asile.
  territoires où sa vie ou sa liberté serait
  menacée en raison de sa race, de sa religion,      Différents témoignages issus de la presse, de
  de sa nationalité, de son appartenance à           rapports d’Ong ou de migrants ayant été forcés
  un certain groupe social ou de ses opinions        à rejoindre le territoire qu’ils avaient quitté,
  politiques.                                        montrent que le principe de non refoulement
                                                     inscrit dans la convention de Genève a été mis
  2. Le bénéfice de la présente disposition
                                                     à mal à plusieurs occasions.
  ne pourra toutefois être invoqué par un
  réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de
                                                     L’exemple le plus caractéristique est la remise
  considérer comme un danger pour la sécurité
                                                     entre les mains d’une patrouille maritime
  du pays où il se trouve ou qui, ayant été
                                                     libyenne, en juin 2009, par des garde-côtes
  l’objet d’une condamnation définitive pour
                                                     italiens assistés par un hélicoptère allemand
  un crime ou délit particulièrement grave,
                                                     dans le cadre de l’opération Nautilus IV, de 75
  constitue une menace pour la communauté
                                                     boat people interceptés à proximité des côtes
  dudit pays.
                                                     de l’île italienne de Lampedusa. Cet événement
                       Article 33 de la Convention   a fait l’objet d’un rapport de l’organisation
                        de Genève sur les réfugiés   Human Rights Watch, qui dénonce clairement
                                                     la violation du principe de non refoulement :
1. Lors d’interceptions aux frontières de
l’Union européenne                                                 On June 18, 2009, for the first time in its
                                                                   history, a FRONTEX operation resulted in
Dans les rapports annuels de l’Agence, l’accent                    the interdiction and push back of
est volontiers mis sur les résultats chiffrés en       migrants in the central Mediterranean Sea to Libya.
matière d’interceptions, d’arrestations et de          A German Puma helicopter operating as part of
« refoulements d’immigrés clandestins » aux            Operation Nautilus IV coordinated Italian coast
principales frontières de l’Union (FRONTEX,            guard interception of a boat carrying about 75
2006 : 7, 12). Dans le rapport 2007, il est ainsi      migrants 29 miles south of Lampedusa. The Italian
indiqué que 130 000 ressortissants de pays             Coast Guard reportedly handed the migrants over
tiers ont été refoulés de l’Ue, tandis que le          to a Libyan patrol boat, which took them to Tripoli
rapport de l’année 2008 fait état de 140 000           where they were reported to have been “handed
refus d’entrée. Dans ces deux rapports, la             over to a Libyan military unit”.[8]
présence éventuelle, parmi ces refoulés, de
demandeurs d’asile potentiels ou les personnes       Sans reconnaître totalement les faits, FRONTEX
vulnérables (mineurs isolés, etc.) n’est jamais      a souligné la nécessité d’apporter assistance aux
évoquée. Les besoins spécifiques de protection       boat people, et a écarté toute responsabilité
des migrants ne semblent pas pris en compte,         au regard du risque, pour les personnes ainsi
et il n’est nullement fait référence au principe
de non refoulement tel qu’il est défini dans
                                                     [8] Human Rights Watch (2009) Pushed Back, Pus-
l’article 33 de la convention de Genève de           hed Around Italy’s Forced Return of Boat Migrants
1951. Ce silence est d’autant plus troublant         and Asylum Seekers, Libya’s Mistreatment of Mi-
                                                     grants and Asylum Seekers, 98 p. [disponible sur In-
que FRONTEX n’hésite pas par ailleurs à faire
                                                     ternet] ; Karl Stagno-Navarra, Handover of Migrants
des commentaires sur le nombre croissant de          to Italy Results in Forced Repatriation, Malta Today
                                                     (2009, June 21st).

                                                                                                             9
Agence FRONTEX : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? - Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de ...
refoulées, de ne pas voir leur éventuelle                traduction ou participation à la prise de décision
demande de protection internationale prise               sur la mesure de renvoi ?). La presse s’est fait
en considération. Pour Gil Arias Fernandez,              l’écho de protestations d’un fonctionnaire grec
directeur adjoint de FRONTEX, en effet :                 dénonçant l’absence de concertation entre les
                                                         autorités grecques et les agents de FRONTEX, qui
             Our agency does not have the ability to     auraient décidé seuls – sur la base des entretiens
             confirm if the right to request asylum as   qu’ils avaient conduits – de l’identification et du
             well as other human rights are being        transfert en vue de leur rapatriement de plusieurs
  respected in Libya”.[9]                                dizaines de migrants. Cet évènement fait craindre
                                                         à des ONG locales, pour certains d’entre eux, la
Une façon de confirmer que l’accord signé le 13          violation du principe de non refoulement[10].
juin 2008 entre FRONTEX et le Hcr – visant à que
les actions de l’agence ne portent pas atteinte          Le bureau du HCR en Grèce s’est d’ailleurs inquiété
aux droits des réfugiés « et des personnes               de cette confusion des rôles et a recommandé la
sollicitant une protection internationale,               mise en place d’un cadre clair de coopération
en particulier en ce qui concerne le non                 entre les autorités grecques et FRONTEX afin,
refoulement » (v. Partie II) – se limite à une           notamment, de permettre la contestation des
« sensibilisation » des policiers par les agents         décisions administratives prises à l’encontre de
onusiens. Cette déclaration ne souligne en               ressortissants étrangers[11].
aucun cas le respect effectif du droit d’asile lors
des opérations coordonnées par FRONTEX. On               B. Entraves au « droit de
notera qu’avant la conclusion de cet accord, les
                                                         quitter tout pays »
rapports d’activité de FRONTEX mentionnaient
de simples « contacts » avec le HCR, ce qui laisse         Toute personne a le droit de quitter tout
supposer que les situations relatives au droit             pays, y compris le sien, et de revenir dans
d’asile n’étaient nullement prises en compte.              son pays.
2. Lors d’opérations d’identification                       Article 13.2 de la Déclaration universelle des droits
                                                                      de l’Homme (Dudh) du 10 décembre 1948
Dans le cadre du projet-pilote « Attica », mis
en œuvre en 2009 en Grèce pour assister les                Toute personne est libre de quitter
autorités locales dans l’identification des migrants       n’importe quel pays, y compris le sien.
irréguliers et leur renvoi dans leur pays d’origine,
                                                                      Article 12.2 du Pacte international relatif
des représentants de FRONTEX et des experts                                        aux droits civils et politiques
mandatés par les États membres ont participé,
aux côtés de fonctionnaires grecs, à l’interview
de personnes qui avaient franchi illégalement la         La mise en place par FRONTEX d’opérations se
frontière et avaient été placés dans des camps de        déroulant dans les eaux territoriales de pays
détention. Dans son rapport 2009, FRONTEX se             tiers et avec l’aide de leurs forces de police ou de
félicite de ce déploiement d’interprètes parlant         sécurité fait peser de sérieux risques quant au
diverses langues. Ce dispositif avait permis             respect du principe posé par la DUDH et par le
d’identifier un nombre significatif de personnes         PIDCP. L’examen des conditions dans lesquelles
se faisant passer pour des ressortissants de pays        se sont déroulées les opérations HERA depuis
confrontés à la guerre civile ou a des violences         2006, avec pour objectif de protéger les
ethniques, sans que soient précisés ni le statut
ni la portée du rôle de ces interprètes (simple          [10] “Migration : Fortress europe starts With
                                                         Greece”, IPS, 31 January 2010.
[9] ibid.                                                [11] UNHCR, press release, 16 June 2010.

10
Après l’arraisonnement d’un bateau de migrants à Tenerife
  (îles Canaries), 2006                                       demandant combien, parmi ce « millier de
                                                              personnes » supposées avoir été empêchées
                                                              de quitter le Sénégal, auraient pu prétendre à
îles Canaries contre les arrivées de cayucos                  une protection internationale si elles avaient
chargés de migrants en provenance des côtes                   pu rejoindre l’Espagne ?
mauritaniennes et sénégalaises – et présentées
comme un grand succès par FRONTEX (2006),                     Accessoirement, on peut également se
puisqu’elles ont contribué à quasiment tarir                  demander, comme dans le cas grec évoqué
cette route migratoire vers l’Europe – est un                 plus haut, quelles techniques d’interrogatoire
bon terrain d’analyse à cet égard.                            ont été utilisées pour obtenir ce résultat
                                                              performant de « 100 % » de réussite…
Un volet de ces opérations concerne
l’identification des migrants arrivés par mer                 Trois ans plus tard, le même scénario, inscrit
aux Canaries, et placés dans des centres de                   dans le cadre de la mise en œuvre désormais
détention. Dans son rapport général 2006,                     permanente d’HERA, est mis en évidence
FRONTEX se félicite que ses experts, avec                     s’agissant des départs de migrants depuis la
les autorités espagnoles, aient pu identifier                 Mauritanie et le Sénégal. Ainsi FRONTEX (2009)
« 100 % des migrants clandestins » qu’ils                     se félicite-t-elle de la réduction du nombre de
avaient interviewés, et souligne : « grâce aux                migrants interceptés dans cette région, grâce
informations recueillies lors des entretiens, il              à « une surveillance aérienne et maritime
a été possible d’interpeller plusieurs passeurs,              optimisées » à proximité des territoires des deux
essentiellement au Sénégal, et d’éviter le                    pays, avant même, donc, que les candidats à la
départ de plus d’un millier de personnes ». Une               traversée ne quittent la côte africaine. Le réseau
affirmation qui fait s’interroger l’organisation              Migreurop, qui a pu consulter des documents
Amnesty International sur « les bases sur                     de la Sûreté nationale mauritanienne faisant
lesquelles [a] été calculé ce chiffre d’un                    état de personnes « interceptées suite à
millier de personnes dont le départ avait été
évité »[12]. On complètera la question en se
                                                              sonne ne veut de nous » ; arrestations et expulsions
                                                              collectives de migrants interdits d’Europe, juillet
[12]   Amnesty International, Mauritanie : « per-             2008, AFR 38/001/2008. [disponible sur Internet]

                                                                                                               11
une tentative d’un voyage clandestin vers                (cf. ci-dessus). On notera qu’il s’agit là d’une
l’Europe » (29 septembre 2009), confirme ces             position très inquiétante dès lors que l’Agence
entraves au droit de quitter le territoire d’un          est habilitée à passer des accords avec des pays
pays (en l’occurrence la Mauritanie)[13].                tiers qui ne sont pas liés, au même titre que les
                                                         États membres de l’UE, par des engagements
C’est ici la « déterritorialisation » des                contraignants dans le domaine des droits
opérations coordonnées par l’Agence qui                  fondamentaux, ou qui sont connus pour les
est en cause. Dans un contexte de dilution               enfreindre.
des responsabilités (v. Partie II), il est difficile
d’identifier qui, de FRONTEX, des autorités des          Sans nous étendre ici sur les risques évidents qui
États membres qui collaborent aux opérations,            sont encourus par les personnes renvoyés en
de celles des États tiers qui y sont impliqués sur       Libye, la situation des migrants et réfugiés dans
la base d’accords conclus avec l’agence ou dans          ce pays étant largement documentée par de
le cadre du partenariat bilatéral qui les lie avec       nombreuses études, analyses et enquêtes ainsi
un État membre, est appelé à répondre des                que par la presse[14], on mentionnera l’exemple
violations commises.                                     mauritanien, qui vient également conforter
                                                         ces inquiétudes. De façon récurrente, depuis
C. Traitements inhumains et                              plusieurs années, des observateurs attestent
                                                         des mauvais traitements qui sont infligés
dégradants
                                                         aux migrants en Mauritanie soit lorsqu’ils
  Nul ne peut être soumis à des traitements              sont interpellés parce qu’ils sont en situation
  inhumains ou dégradants                                irrégulière – et parfois même s’ils travaillent
                                                         légalement – soit lorsqu’ils sont internés
              Article 3 de la Convention européenne      dans le centre de détention de Nouadhibou
               de sauvegarde des droits de l’homme       (qualifié de Guantanamito par les migrants).
                        et des libertés fondamentales    Dans son rapport 2009-2010 sur les frontières
                                                         de l’Europe, le réseau Migreurop, s’appuyant
  Nul ne peut être soumis à la torture, ni à             sur ses propres enquêtes ainsi que sur les
  des peines ou traitements inhumains ou                 rapports d’autres organisations, notamment
  dégradants.                                            Amnesty International, le CEAR (Commission
                                Article 4 de la Charte   espagnole d’aide aux réfugiés) et l’Association
                    des droits fondamentaux de l’UE      mauritanienne des droits de l’homme, consacre
                                                         un long développement à ces violations
1. Dans les pays de renvoi                               répétées des droits humains en Mauritanie,
                                                         faites de violences, d’humiliations, de vols, de
On a déjà vu ci-dessus, à travers la déclaration         rackets et de comportements arbitraires de la
de son directeur adjoint dans l’affaire des              part des forces de l’ordre[15]. Cet état de fait
boat people remis aux mains des garde-côtes              bien connu n’empêche pas FRONTEX, dans
libyens en juin 2009, que FRONTEX ne se                  son rapport général 2009, de citer l’opération
considère pas comme responsable d’apprécier              HERA comme « la plus réussie » qu’ait menée
si les droits humains sont respectés ou non              l’agence, grâce à « la coopération étroite avec
dans le pays vers lequel sont refoulés des               les pays d’Afrique de l’Ouest » – parmi lesquels
migrants lors d’opérations qu’elle coordonne             la Mauritanie – et en particulier grâce aux

                                                         [14] Voir par exemple les nombreux articles consa-
[13] Migreurop, « Les pays sahélo-sahariens, nou-
                                                         crés aux non-respects des droits des migrants sur le
velles vigies de l’Europe » in Aux frontières de l’Eu-
                                                         site Fortress Europe
rope ; Contrôles, enfermements, expulsions, Rap-
port 2009-2010.                                          [15] Migreurop, op. cité

12
arrestations qui y sont effectuées, faisant ainsi       Jusqu’en 2009, les ressortissants du Nigeria
totale abstraction du traitement qu’y subissent         ont été les plus concernés par ces opérations :
les personnes arrêtées.                                 deux vols ont été organisés en 2007 pour une
                                                        centaine de personnes contre dix-sept vols en
2. Au cours des opérations                              2009 pour plus de huit cents personnes. En
conduites par FRONTEX                                   2009, les expulsions groupées vers ce pays ont
                                                        été organisées par l’Autriche (4)[16], l’Italie (3),
  Les expulsions collectives d’étrangers sont           l’Irlande (2), les Pays-Bas (2), le Royaume-Uni
  interdites.                                           (2) et la Suisse (1). La quasi-totalité des États
                                                        membres ont participé à ces opérations.
                          Article 4 du Protocole no4
           à la Convention de sauvegarde des droits
          de l’Homme et des libertés fondamentales      Actes de violence

  1. Les expulsions collectives sont interdites.        Ces opérations – visant à renvoyer dans leur
                                                        pays d’origine des personnes contre leur gré
  2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou               – sont souvent sources de violences. Il est
  extradé vers un État où il existe un risque           rare de pouvoir recouper des informations
  sérieux qu’il soit soumis à la peine de               sur leur déroulement, puisque les personnes
  mort, à la torture ou à d’autres peines ou            sont éloignées de force et qu’on ne connaît
  traitements inhumains ou dégradants.                  généralement pas le sort qui leur est réservé
                                                        à l’arrivée. Il est donc difficile d’établir ou de
                              Article 19 de la Charte   maintenir avec elles un contact. Cependant,
                   des droits fondamentaux de l’UE
                                                        régulièrement, certains témoignages d’expulsés
                                                        font état de violences se traduisant par des
L’idée de mettre en place des vols auxquels             humiliations, des insultes, de l’agressivité, des
plusieurs États membres participeraient pour            coups jusqu’au tabassage durant les tentatives
expulser un grand nombre de ressortissants              d’embarquement. Ces sévices mènent les
vers leur pays d’origine, a été lancée en juillet       étrangers rencontrés à vivre dans une profonde
2005 à Evian par les ministres de l’Intérieur           angoisse : jambes sanglés et poignets menottés,
de cinq pays de l’Ue (Allemagne, Espagne,               la bouche parfois recouverte pour empêcher
France, Grande-Bretagne et Italie). Ce projet           la personne de parler ou hurler, quand ce
s’appuyait notamment sur le règlement de                n’est pas l’usage de sprays paralysants qui
création de l’agence FRONTEX qui, dans son              empêche de crier. L’action des agents, souvent
article 9, prévoit l’organisation « d’opérations        en uniforme, chargés d’exécuter ces mesures
de retours conjointes ».                                coercitives marque autant leurs victimes que les
                                                        autres étrangers maintenus dans les centres de
Entre 2006 et 2009, FRONTEX a accéléré                  rétention ; ils deviennent des « transmetteurs
considérablement le rythme des expulsions               d’inhumanité »[17].
groupées, passant de 1 à 28 vols organisés
(soit près de 1 % de l’ensemble des expulsions
mises en oeuvre par les États membres de l’Ue,
au cours de la même période). Parallèlement
le nombre total d’étrangers expulsés est passé
entre 2008 et 2009 de 801 à 1 622 personnes.
Le budget est en constante augmentation et              [16] Entre parenthèses est indiqué le nombre
devrait avoisiner les 9,4 millions d’euros en           d’opérations que le pays a coordonné avec l’agence.
2010.                                                   [17] Agier Michel (2002) Aux bords du monde, les
                                                        réfugiés, Paris, Flammarion, 187 p.

                                                                                                         13
Année                                     2006          2007        2008            2009       2010*
 Retours conjoints                           1            15           15             32          32
 Nombre de personnes
                                              -          428          801            1 622         -
 concernées
Tableau 1 – Les opérations de retour conjointes sous l’égide de Frontex

Source : Frontex
(-) Information non disponible
* Pour l’année 2010, les statistiques concernent seulement les neuf premiers mois.

À chaque opération, plusieurs États membres              sécurité se sont aperçus que PBBB, qui a de
sont impliqués, en conséquence certains avions           graves problèmes de circulation, souffrait des
sont amenés à faire des arrêts dans plusieurs            jambes à la suite de sa longue immobilisation.
aéroports européens. Ces arrêts successifs               L’équipe médicale, appelée, a déclaré alors
engendrent une attente disproportionnée                  qu’il n’était pas en état d’être dans un vol
pour les étrangers qui sont parfois entravés,            d’expulsion. Les agents de sécurité ont alors
situations qui peuvent mettre en danger la               autorisé PBBB à marcher. «C’est en Espagne
santé des personnes.                                     que ça a été le plus affreux (…) beaucoup
                                                         de personnes ont été maltraitées, (…) les
Deux témoignages d’étrangers expulsés qui                détenus étaient insultés, la police les agressait
sont restés en contact avec des amis en Europe           verbalement et les battait » Lorsque PBBB a
font état de mauvais traitements subis lors de           demandé à des policiers espagnols la raison
vols groupés coordonnées par FRONTEX ont                 de ces mauvais traitements, ces derniers ont
été mis en ligne sur le site Mille Babords[18] :         commencé à le frapper jusqu’au moment où
                                                         les policiers anglais leur ont dit d’arrêter, à
➜➜ Expulsion dans un vol groupé le 3 février             cause de son état.
2010, depuis la Grande-Bretagne vers le
Nigéria. Le récit est celui de PBBB : transféré          ➜➜ Expulsion dans un vol groupé le 10 mars
en bus, avec d’autres personnes, depuis le               2010, vol Paris-Lagos (Nigeria) avec escale
centre de rétention de Tinsley House pour                à Madrid (Espagne), organisé par la France,
gagner l’aéroport, il y est resté de 11 heures           coordonné par FRONTEX. Le récit est rapporté
à 18 heures, sans pouvoir sortir du véhicule,            comme étant celui d’un des expulsés,
avec interdiction de se lever, chaque détenu             prénommé Ricky, embarqué à l’aéroport de
étant escorté par deux agents de sécurité,               Schiphol vers le transfert duquel les policiers
avant d’embarquer dans l’avion. Selon PBBB,              lui ont mis des menottes aux mains et l’ont
« des enfants pleuraient (…) en voyant la                entravé avec un « bodycuff » à la taille. À
façon dont leurs parents étaient traités. [Des]          l’aéroport, ils lui ont aussi attaché les pieds
mineurs séparés de leurs parents portaient la            et ensuite expulsé dans un avion privé pour
tristesse sur leurs visages ». Lors d’une escale         Paris, avec une escorte de trois policiers et
à Dublin, d’autres expulsés ont été amenés,              un médecin. Le voyage entre Amsterdam
les mains entravées par des menottes, se                 et Lagos a au total duré presque 24 heures.
plaignant d’avoir été battus. L’avion s’est              À Lagos, on l’a sorti de l’avion sans lui
ensuite arrêté à Madrid, où des agents de                remettre de certificat médical ni lui donner de
                                                         médicaments comme cela avait été promis à
[18] http://www.millebabords.org/spip.php?article13938

14
son avocat par le Department of Repatriation              qu’il ne soit expulsé vers le Nigeria dans un vol
and Departure. L’intéressé a reçu 50 euros                commun coordonné par l’Autriche et l’agence
pour payer les transports et survivre les                 FRONTEX.
premiers jours. Il raconte :
                                                                        I was deported on the 3rd March 2010
             Ont été embarqués dans un très vieil                       after spending two years and three
             avion de la compagnie Egyptair : 8                         months at immigration detention center
             Nigérians de Norvège, 5 Nigérians du           of Block 10, located in Nicosia. On the day of the
  Danemark, 8 à 10 Nigérians de France, 1 Nigérian          event, I was informed by the immigration officer
  des Pays-Bas. En Espagne ont été embarqués 20             that I was due for transfer to Vienna to meet the
  autres Nigérians. Parmi les passages, on comptait         new constituted European council responsible of
  10 à 15 femmes et 2 à 3 enfants. Chaque expulsé-e         asylum seekers. I accepted this move without
  était personnellement escorté-e par 3 policiers du        knowing that I was heading for deportation, this
  pays qui les expulse, et du personnel médical des         means that I made no previous plan. I requested to
  Pays-Bas et de France.                                    go with my valuable but this opportunity was
                                                            denied by the immigration who promised that I
  Tou-te-s les expulsé-e-s étaient menotté-e-s mains
                                                            must be back in Cyprus in two days time. We met a
  et pieds (avec une sangle qui attache les menottes
                                                            man in the Airport Mr. Androu Marous who
  des mains à celles des pieds) et entravé-e-s par un
                                                            confirmed that he worked in the Ministry of Finance,
  “bodycuff” (fixation de la taille et des mains). Ils
                                                            he also confirmed that we shall return after two
  ont juste été détaché-e-s avant d’arriver à Lagos.
                                                            days in Austria. An immigration officer forcefully
                                                            pulled the handcuff and inflicted wounds on my
  Il y a eu du retard à Madrid, causé par la résistance
                                                            wrist and it bleed.
  des quelques 20 expulsé-e-s à l’embarquement.
  Durant le vol, aucun repas chaud ne leur a été servi,
                                                            When we got to Vienna, a combined police team
  juste du pain et du fromage, ce qui n’a pas du tout
                                                            (Cyprus and Austrian Police) dehumanized me, tied
  suffi. Pas de télévision, ni de radio sur ce vol.
                                                            me up and threw me into the flight. This is one of the
                                                            worst things I have experienced so far. I requested
  Ils ont été relâché-e-s dans la partie réservée aux
                                                            to be deported with my family, I also asked for my
  cargos de l’aéroport de Lagos.“
                                                            valuables, money. They promised to give me when
                                                            we get to Nigeria but such never happened.
Abus de confiance
                                                            On 4th March, 2010, we got to Nigeria. The Nigerian
Migreurop a pour sa part recueilli le
                                                            immigration seized all traveling documents. I was
témoignage d’un ressortissant nigérian –
                                                            told to go to Alagbo Police station if I need the
Chigozie Emegoakor (l’identité est réelle car
                                                            documents. I refused to go with the immigration
l’intéressé veut faire connaître sa situation)[19] –
                                                            insisting that I must be given my money, they
qui a été conduit en Autriche par les autorités
                                                            brought Nigerian police in the flight who over
chypriotes sous un prétexte mensonger :
                                                            powered me. Finally, I was left stranded in the
les policiers chypriotes lui avaient promis
                                                            Airport.”
qu’il devait se rendre à Vienne pour que sa
demande d’asile soit à nouveau instruite[20].
En réalité, Vienne n’était qu’un transit avant            Cette situation n’est pas exceptionnelle. Les
                                                          conditions familiales de cet homme expulsé
                                                          n’ont nullement été prises en compte, seule
[19] Témoignage recueilli au mois de septembre
2010 par Olivier Clochard.                                semble importer la rentabilisation du vol
                                                          commun. Chigozie Emegoakor est père de
[20] Il n’a donc pris aucune de ses affaires person-
nelles, et n’a pu récupérer l’argent qu’il avait gagné    deux enfants nés et vivant à Chypre. Âgés
durant les années où il a vécu à Chypre.

                                                                                                                 15
de deux et sept ans, ils y sont restés avec son                                         mobilisées lors des « opérations de retours
épouse.                                                                                 conjointes ». Il n’existe aucune information sur
                                                                                        les règles applicables lors des renvois groupés
À la suite de plusieurs décès de personnes                                              impliquant plusieurs États membres, et
survenus lors d’expulsions organisées par des                                           l’Agence n’a jamais communiqué sur l’existence
États membres[21], certains gouvernements ont                                           de protocoles éventuellement mis en œuvre
élaboré des règles précisant les techniques                                             lors des retours qu’elle coordonne. Au vu du
d’immobilisation des personnes concernées                                               nombre important de personnes expulsées
et les matériels que les forces de l’ordre sont                                         dans le cadre d’opérations de JRO sous l’égide
habilitées à utiliser. Le manque de clarté dans                                         de FRONTEX, on peut légitimement s’inquiéter
la distribution des responsabilités entre les                                           quant aux risques de survenance de ce type de
États membres et l’agence FRONTEX (v. Partie                                            drame.
II) ne permet pas de savoir si ces règles sont

[21] Voir le site Internet de Statewatch qui men-
tionne les différentes situations.

                                              2007                                     2008                                      2009                                      Total
                                                     Nombre de vols

                                                                                              Nombre de vols

                                                                                                                                        Nombre de vols

                                                                                                                                                                                   Nombre de vols
                             Ressortissants

                                                                      Ressortissants

                                                                                                                Ressortissants

                                                                                                                                                          Ressortissants
     Destination(s)

 Albanie et Kosovo           36                       1                 -                      -               203                       4                239                       5
 Arménie et Géorgie           -                       -                 -                      -               56                        2                 56                       2
 Bangladesh                   -                       -                69                      1                -                        -                 69                       1
 Bénin et Togo               13                       1                 -                      -                -                        -                 13                       1
 Cameroun                    29                       2                 -                      -                -                        -                 29                       2
 Cameroun et Ghana           28                       1                 -                      -                -                        -                 28                       1
 Cameroun et Nigeria          -                       -                 -                      -               52                        1                 52                       1
 Cameroun et Togo            47                       2                 -                      -                                         -                 47                       2
 Colombie et Equateur       132                       2               293                      3               183                       2                608                       7
 Côte d’ivoire et Togo        -                       -                                        -                6                        1                  6                       1
 Gambie et Nigeria            -                       -               102                      2               30                        1                132                       3
 Ghana                        -                       -                 6                      1                                         -                  6                       1
 Géorgie                      -                       -                 -                      -                 89                      3                 89                       3
 Kosovo                      22                       1                17                      1                  -                      -                 39                       2
 Mongolie                     -                       -                44                      1                124                      2                168                       3
 Nigeria                    98                       2                164                     4                 767                     15               1 029                     21
 Pakistan                    23                       1               106                      2                  -                      -                129                       3
 Vietnam                      -                       -                 -                      -                112                      1                112                       1
 Totaux                     392                      12               801                     15               1 419                    28               2 612                     55
Tableau 2 – Ressortissants du Nigeria, Colombie et Equateur principalement concernés par les
« opérations de retours conjointes » (2007 - 2009)

Source : Frontex

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