Barack Obama et le mythe de l'éternel retour - Bastaine Yannick Moubamba
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Bastaine Yannick Moubamba Barack Obama et le mythe de l’éternel retour Publibook
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Introduction Qu’est ce qu’un mythe ? Question triviale pour les mo- dernes, qui le définissent comme une histoire fausse, une fable ou une invention ; ou toutes existences antérieures que les critiques de l’histoire ne sauraient situer dans l’espace et dans le temps. Pourtant le mythe n’est rien de cela. De manière générale, Paul Ricoeur définit le mythe comme toutes les formes d’action et de pensée par lesquel- les l’homme se comprend lui-même dans son monde. Un autre raisonnement consiste à affubler le mythe ainsi dé- mythologisé au contact de l’histoire scientifique d’une valeur symbolique1. Réduire le mythe à son intention étio- logique reviendrait à restreindre la portée mythique à sa dimension scientifique. Or, le mythe est, comme le définit Mircea Eliade, une réalité culturelle extrêmement com- plexe qui peut être abordée dans des perspectives multiples et complémentaires. Le mythe est donc considé- ré comme une histoire sacrée, et donc une histoire vraie parce qu’il se réfère toujours à des réalités.2 Connaître ses origines est une démarche récurrente chez les individus des sociétés archaïques ou traditionnel- les. C’est un effort par lequel le sujet singulier ou collectif abolit le cours du temps pour puiser l’explication d’un certain devenir dans les profondeurs d’une création. Une autre démarche est celle d’un retour systématique aux ori- gines par la pratique rituelle tantôt pour se délivrer d’un 1 Paul RICOEUR, « Finitude et culpabilité, la symbolique du mal », in Philosophie de la volonté, Paris, Aubier-Montaigne, 1960, p.12. 2 Mircea, Eliade, Aspects du mythe, Paris, Éditions Gallimard « es- sais », 1963, p. 16. 9
mauvais sort tantôt pour découvrir les vertus sotériologi- ques de plantes médicinales. Une tout autre démarche renvoie certains individus à s’émanciper de la domination du temps historique, ce qui les amène à demeurer dans un temps sacré où le vécu reflète les gestas d’ancêtres glo- rieux ou féériques, voire les actes paradigmatiques d’aïeux immémoriaux. Cette démarche s’effectue souvent de ma- nière spontanée ou provoquée, au moyen de substances hallucinogènes ou d’un maître initiateur. Ces procédés traduisent souvent le mythe de l’éternel retour, c’est-à-dire la récupération quasi-perpétuelle d’événements signifiants et homogènes ou la nostalgie des origines par la projection de l’officiant dans des univers cosmogoniques ou eschatologiques. Par cela, les hommes expliquent leurs existences, comme façonnées d’avance par un « modèle exemplaire », qui est l’image transcen- dante d’un savoir révélé ab origine par un texte, une parole ou des gestes ayant une dimension sacrée. L’éternel retour traduit également une récupération discursive ou métaphorique lorsque notre existence « réelle » ne s’explique plus à l’aune de la succession d’événements historiques mais se réfère plutôt à une symbolisation de l’intersubjectivité par le biais de la relation langagière comme aboutissement communicationnel. Par exemple, chez les peuples modernes, l’éternel re- tour se traduit souvent par un va-et-vient, systématique et récurrent, d’un soi extérieur ou transcendant à un soi per- sonnel. Dans cette perspective, notre existence « réelle » ne s’explique plus à l’aune de la somme de nos narrations individuelles, mais se réfère plutôt à la construction d’un espace relationnel signifiant, par lequel le sens linguistique émerge de la diversité des « formes de vie ». Cette démar- che est celle du constructionisme social, qui « a une fonction libératrice. Il ôte le pouvoir rhétorique à tous ceux, à tous les groupes, qui proclament une vérité, une sagesse, une éthique universelles, utiles à tous. Pour la 10
majorité des constructionnistes, toutes les voix peuvent contribuer avantageusement à des dialogues importants pour notre avenir »3. Cette approche, en vogue aux États- Unis, permet de « considérer les affirmations sur le savoir comme des constructions sociales [ce qui] ne veut pas dire qu’elles sont fausses ou insignifiantes, c’est reconnaître au contraire que chaque tradition, même limitée, nous offre des choix pour vivre en commun. Dans ce sens, le cons- tructionisme invite à une attitude d’infinie curiosité, à une ouverture constante sur ce que chaque tradition nous ap- porte de richesses et de combinaisons inattendues. »4 À l’aide de la critique constructionniste, nous établirons la relation du sens entre mythe, histoire, rhétorique politique et cinéma pour comprendre l’Amérique dans son indivi- dualité. En outre, pour mieux définir l’ampleur de la répétition et des archétypes dans l’existence des peuples archaïques, traditionnels et modernes, nous analyserons le mythe de l’éternel retour à partir de certains travaux de Mircea Eliade faisant autorité en matière d’anthropologie, de so- ciologie, d’histoire des religions… Ses deux ouvrages Le Mythe de l’Éternel Retour et Aspect du Mythe feront un éclairage sur les pratiques anthropologiques des civilisa- tions « froides » ou des cultures dites traditionnelles, et un dépassement en montrant la substitution de l’image du mythe chez les peuples archaïques ou traditionnels à l’emprise du mythe de l’image chez les peuples modernes (chapitre I). Ensuite, la présentation du concept de « Fron- tière » (chapitre II), comme mouvement anthropologique, illustrera les fondements mythico-religieux de la société américaine, et établira une liaison avec le discours politi- 3 Kenneth J. Gergen, Construire la réalité : Un nouvel avenir pour la psychothérapie, trad. de Alain Robiolio, Paris, Les Editions du Seuil, 2005, p. 50. 4 Ibid., 50-51 11
que comme construction des identités et son omniprésence dans le champ politique au regard de l’évocation des ori- gines mythiques de la nation américaine pendant les grandes messes électorales à l’exemple de certains dis- cours du président américain Barack Obama (chapitre III). La critique cinématographique du genre Western passera au crible de l’analyse hétérologique la récurrence des my- thèmes constitutifs de l’identité américaine dans deux productions filmiques à savoir La Rivière sans Retour d’Otto Preminger et Danse avec les loups de Kevin Cost- ner (Appendice). 12
Chapitre premier : Du mythe à l’image L’objet de cet essai ne saurait être une tribune d’expression identitaire mais plutôt une tentative de déce- ler dans le système conceptuel humain cette nostalgie des origines semblable à un processus de récupération ou de réactualisation d’une enfance perdue, d’une béatification des commencements, voire la valorisation de tout type d’être humain vis-à-vis de son être, de son histoire, de son rapport au monde… Aussi voudrions-nous interroger les causes et les fondements du discours mythique dans l’arène politique moderne, où l’on assiste souvent à la bri- sure des frontières de soi au profit d’une nouvelle construction identitaire singulier-collectif aux prises entre les pesanteurs de la tradition et de la modernité. Comment imaginer la survivance des mythes en Occident semblable à celle d’une société traditionnelle où le vécu des hommes s’émancipe de la tutelle du temps historique pour épouser celui d’un autre temps, celui d’un temps mythique ou li- turgique, qui se situe hors du temps profane ? Quels sont les principes constitutifs d’un tel raisonnement ? Quelle est la finalité d’un tel discours mythique à l’époque mo- derne lorsque l’explication de l’histoire exclut volontairement l’alternative d’un raisonnement spéculatif susceptible de clarifier les origines de l’humanité et porter les espoirs des multitudes vers d’autres horizons de la pen- sée humaine ? Comment ignorer l’ampleur de la pensée des peuples traditionnels dans la constitution de l’imaginaire culturel occidental au regard de la forte in- fluence du judéo-christianisme dans la conception des identités européennes et nord-américaines ? Faut-il établir 13
une rupture radicale entre le traditionnel et le moderne ou se libérer des mythes de l’objectivisme occidental pour penser les identités au-delà des doctrines post-hégéliennes d’historicisme, de marxisme ou d’existentialisme ? Quel- ques repérages philosophico-religieux s’imposent pour montrer les similitudes entre divers environnements socié- taux d’Afrique, d’Amérique, d’Orient et d’Occident. Eliade MIRCEA en dresse le portrait dans Le Mythe de l’Éternel Retour. D’entrée de jeu, l’auteur propose une nouvelle appro- che de l’histoire en invoquant l’étude de l’ontologie archaïque, c’est-à-dire l’étude de l’essence, voire de l’être dans les sociétés « pré-modernes » au travers d’un retour vers les environnements primitifs des anciennes cultures asiatiques, européennes et américaines. À la lumière du symbole, du rite et du mythe, on peut transposer la portée philosophique de la métaphysique occidentale à compren- dre la structure des cultures archaïques non pas pour lui substituer une nouvelle forme mais pour y apporter un renouveau sémantique dans l’explication du rapport de l’homme avec le monde. Cette démarche consiste égale- ment à placer les cultures universelles sur un même piédestal. Comme quoi, il n’y a pas de culture supérieure à une autre, mais il n’y a que divers raisonnements constitu- tifs de la pensée humaine, par lesquels les hommes arrivent à se comprendre, à expliquer le monde et à se construire un imaginaire culturel à partir de l’histoire et du rituel langagier du mythe. « Si on se donne la peine de pénétrer la signification authentique d’un mythe ou d’un symbole archaïque, on est obligé de constater que cette signification révèle la prise de conscience d’une certaine situation dans le Cosmos et qu’elle implique, par consé- quent, une position métaphysique. »5 5 Eliade Mircea, Le mythe de l’éternel retour, Paris, Gallimard « fo- lio », 1969, pp. 14-15. 14
L’objet de toute métaphysique devient tributaire de son rapport avec une réalité concrète, chose ou objet – par laquelle elle trouve son explication et son sens au travers d’un processus de substitution réciproque, le mythe se camoufle dans son objet pendant un rituel symbolique, et l’objet est une représentation du mythe par sa simple évo- cation transcendante. Dans ce rapport d’immanence- transcendance, il y a une tout autre relation par laquelle les valeurs de la chose et celles de l’être interagissent symé- triquement, en donnant lieu à un nouveau rapport d’existence qui illustre une certaine interdépendance. Au- tant l’être définit la chose ou l’objet par un référent immanent ou physique, autant la chose ou l’objet structure l’être intelligible par un rituel d’actions paradigmatiques, qui « corporéise » l’être dans son essence inintelligible. L’être n’existe que s’il s’établit une relation directe avec le réel par lequel l’objet ou la chose le replace dans son con- texte transcendant par une parole, un geste ou une médiation humaine. L’objet se libère du temps profane par identification à l’être transcendant qui le dématérialise en lui conférant une identité nouvelle dénuée de toute finitude par son élévation à l’être par la parole, les gestes ou une médiation humaine. Le point commun entre ces deux for- mes d’existence est mis en exergue par l’aptitude de l’officiant à opérer une médiation symbolique avec son objet-référent. Un objet ou une action acquiert une valeur, et, ce faisant, devient réel, parce qu’il participe, d’une ma- nière ou d’une autre à une réalité qui le transcende. Parmi tant d’autres pierres, une pierre devient sacrée et, par con- séquent, se trouve instantanément saturée d’être – parce qu’elle constitue une hiérophanie, ou qu’elle possède du mana, ou que sa forme accuse un certain symbolisme ou encore parce qu’elle commémore un acte mythique, etc. L’objet apparaît comme un réceptacle d’une force exté- rieure qui le différencie de son milieu et lui confère sens et 15
valeur.6 Par conséquent, l’homme des cultures archaïques se dépossède de sa responsabilité individuelle en tant qu’homme pour épouser ou se fondre en un autre, qui n’est pas lui, un homme ou plutôt un être imaginaire par la nature de son existence et la réactualisation du rituel my- thique comme objet de désir. Dès lors, l’individu se retrouve aux prises avec deux éléments constitutifs de sa personnalité à savoir intégrer la répétition du mythe dans sa réalité et se construire une pseudo-identité par une dépossession de son soi au moyen d’une imagination transcendante. L’abandon de l’officiant à sa nouvelle condition abolit l’impact du temps profane et de l’histoire en établissant un lien nouveau avec le réel, et se définit par une identité transcendante qui le désappro- prie de son corps mortel au profit d’une dimension immortelle. Nouvelle identité et nouvelle réalité plongent l’officiant dans un vécu transcendant, qui n’est pas his- toire, mais plutôt réitération systématique des gestes d’ancêtres ou de héros mythiques. La réalité de l’homme des sociétés archaïques se conçoit comme une nécessité sacrée pour redéfinir à l’aide du rituel de consécration une imitatio dei et conjure l’émiettement du sacré par l’influence malhabile du profane. À l’image des conquistadors espagnols et portugais pendant les grandes explorations du Nouveau Monde, la prise en possession du territoire s’effectuait par l’accomplissement d’un rituel par lequel le nom de Jésus- Christ opérait comme un droit souverain légitimant cette nouvelle possession territoriale7. L’installation de la croix sur le territoire conquis agissait comme une « renais- sance » après une propriété profanée par des païens. Cette action paradigmatique permettait également d’établir une « consécration » de la contrée à l’œuvre du Seigneur. De 6 Ibid., p. 15. 7 Ibid., p. 23. 16
même, les navigateurs britanniques s’emparaient des nou- veaux territoires conquis au nom du roi d’Angleterre. L’invocation du nom du souverain, qui selon les cas im- pliquait un être divin ou un substitut terrestre apportait plus de crédit à l’action comme si ce fût le souverain lui- même qui engageât cette démarche. Le rituel d’invocation du nom dans la prise en posses- sion d’un objet, d’un espace ou d’un malade s’est longtemps observé dans les pratiques magico-spirituelles de certaines sectes judéo-chrétiennes. Par exemple, pen- dant la guérison de maléfices, de mauvais sorts ou de possessions démoniaques, le guérisseur invoque le nom de Jésus-Christ, le Seigneur, ce qui lui donne le droit de dis- poser de l’être du patient, comme si cela fût accompli lors de la création. Le guérisseur se substitue au Christ, qui selon les Écritures est l’image visible du Dieu invisible. Il recrée l’univers cosmogonique par la parole qu’il diffuse lors d’une séance de « combat spirituel » contre les forces du mal. Dans le domaine pharmaceutique, de nombreuses pratiques magico-religieuses ont écumé le monde anglo- saxon du XVIe siècle. Cette pratique incantatoire christi- que définissait les vertus thérapeutiques d’une herbe ou d’une plante, car elles avaient poussé jadis sur le Cal- vaire : « Salut, O herbe sainte qui pousse sur la terre, tu te trouvas d’abord sur le mont du Calvaire, tu es bonne pour plaies de toute sorte ; au nom du doux Jésus, je te cueille »8. Mieux, « tu es sainte, Verveine, comme tu croîs sur terre, car d’abord sur le mont du Calvaire l’on te trouva. Tu guéris notre rédempteur Jésus-Christ et fermas ses plaies sanglantes ; au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je te cueille »9. La substance thérapeutique participe à régénérer le temps mythique en donnant à la plante ou à l’herbe des vertus médicinales non seulement 8 Ibid., p. 44. 9 Ibid., p. 44-45. 17
parce qu’elles ont poussé sur le Calvaire, c’est-à-dire la montagne sainte, mais aussi parce qu’elles ont guéri les plaies saignantes du Christ, elles ont de facto une valeur sacrée. La persistance des récits mythico-religieux dans la ré- génération d’un temps et d’un espace mythiques récuse l’importance du profane ou de l’historique au profit d’un environnement merveilleux révélé in illo tempore. Quels sont les facteurs explicatifs de l’emprise du temps mythi- que sur le temps profane ? Comment la perception du mythe construit-elle la distinction du naturel et du cultu- rel ? Faut-il anticiper la vision d’une nouvelle philosophie de l’histoire ou bien faut-il revisiter les fondements des systèmes de pensée modernes au moyen d’une déconstruc- tion positive de la réalité mythique occidentale ? Que dire du naturel lorsqu’il est à la base d’une forme de savoir spéculatif que le positivisme de la modernisation dévalo- rise ? L’homme naturel diffère-t-il de l’homme historique par l’image préconstruite d’une existence déjà vécue ? On peut comprendre le lien étroit des imaginaires culturels d’hommes des civilisations traditionnelles et de ceux des civilisations modernes en scrutant l’implication des indi- vidus dans la construction d’une forme de devenir, qui chez les hommes des cultures archaïques se subdivise en passé et en futur, comme le montrent les thèses cosmogo- niques et eschatologiques, contrairement aux cultures occidentales modernes qui font du présent le temps de l’action et de l’affirmation de soi. Un autre exemple d’imitatio dei se perçoit dans l’observance des modèles divins des rituels. Le repos du sabbat judéo-chrétien régénère le temps de la création, car il reproduit le « geste primordial » du Seigneur pendant la création du monde. Le repos intervient le septième jour dans les calendriers juif et chrétien car c’est le septième jour que le Seigneur se reposa. « Le septième jour, Dieu mit un terme à son travail de création. Il se reposa de toute 18
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