BIODIV'2050 Santé et Biodiversité : nécessité d'une approche commune - Mission Économie de la Biodiversité
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Nu m ér o 19 -D éc em br e 20 19 BIODIV’2050 Santé et Biodiversité : nécessité d’une approche commune
© Ansgar Scheffold de Pixabay ÉDITO L ’Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de l’IPBES est venue alerter sur l’état de se tarissent du fait de l’urbanisation et du développement de la technologie, Plus largement, nous souhaitons que cette publication contribue à une évolution elles sont pourtant essentielles au significative de notre rapport aux êtres la biodiversité au niveau international. développement de l’enfant, à la quiétude vivants. Assurons une véritable coexistence Ce constat scientifiquement établi est des adultes et au dynamisme des homme-nature en réapprenant à vivre avec également porteur d’espoirs quant à personnes âgées. la biodiversité, que ce soit en milieu urbain, la possibilité d’atteindre conjointement dans les océans et rivières, au cœur des Il est aussi nécessaire de faire prendre plusieurs objectifs sociétaux à l’échelle forêts ou au creux de nos intestins. conscience des impacts de notre mondiale (notamment pour l’alimentation, l’eau, l’énergie et l’adaptation aux système de santé sur la biodiversité, et changements climatiques), à travers une des répercussions occasionnées a fortiori action concertée et des changements à sur la santé humaine. Si l’élaboration de engager dès maintenant. médicaments a des impacts substantiels sur la biodiversité (surexploitation La santé fait évidemment partie des des essences, modification des aires enjeux cruciaux, tant pour les citoyens que géographiques), le rejet dans la nature pour les pouvoirs publics. Étant donné de résidus médicamenteux issus du les multiples interactions entre santé processus de fabrication des médicaments humaine et biodiversité, la dynamique ou de leur consommation altère plus d’effondrement de la biodiversité que largement l’ensemble des écosystèmes nous vivons aujourd’hui entraîne une (dérèglement du système métabolique recrudescence des risques pour la des êtres vivants, malformations, mortalité santé humaine. Il est nécessaire d’agir directe, antibiorésistance, etc.). Au regard urgemment pour préserver et restaurer les de ces impacts, les choix individuels et Philippe GARRIGUES écosystèmes, en mesure de prévenir de collectifs dans nos sociétés sont plus que Président de la Fondation Rovaltain nombreuses problématiques sanitaires. jamais cruciaux afin de s’engager dans une Ceux-ci s’observent notamment à consommation raisonnée de médicaments. travers la dilution des agents infectieux, la lutte contre les maladies chroniques, la La santé est un sujet qui nous touche fourniture de médicaments, la réduction de tous, de plus en plus approprié par les la pollution de l’air, la purification de l’eau, le citoyens. Elle trouve aussi sa place au © Jean-Marc PETTINA_Caisse des Depots 2015 soutien à l’alimentation saine… la liste des cœur des préoccupations des décideurs bénéfices est longue et sans équivoque. publics, au regard des budgets consacrés Au-delà de l’aspect sanitaire, la à la recherche, aux hôpitaux et plus biodiversité agit sur notre bien-être à globalement à la santé. CDC Biodiversité travers de nombreux canaux, qu’ils et la Fondation Rovaltain, à travers cette soient psychologiques, cognitifs, culturels publication et dans leurs travaux en ou encore sociaux. Qui ne s’est jamais général, œuvrent à apporter une réflexion retrouvé à contempler un paysage sur la mise en place d’une réponse splendide et ressentir un sentiment cohérente et l’élaboration de solutions Marc ABADIE immense d’apaisement et de bien-être ? pérennes pour répondre aux enjeux Président de CDC Biodiversité – Directeur Si aujourd’hui les expériences de la nature communs santé-biodiversité. de la Mission Économie de la Biodiversité
SOMMAIRE TRIBUNE Dr. Maria Neira, Directrice du Département Santé 4 publique, déterminants sociaux et environnementaux de la santé à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) COMPRENDRE 6 Préserver la biodiversité pour préserver la santé humaine Biodiversité et maladies : enjeux préventifs et curatifs de la biodiversité Biodiversité et bien-être physique : le rôle de la biodiversité dans la satisfaction des besoins Bien-être mental et bien-être social : l’amélioration de la qualité de vie par la biodiversité INVENTER 35 Les impacts du secteur de la santé sur la biodiversité et les solutions pour y remédier Exploitation de la biodiversité à des fins thérapeutiques Les résidus médicamenteux dans l’environnement Impacts des résidus médicamenteux dans l’environnement Les solutions pour limiter l’impact des résidus médicamenteux sur l’environnement INTERNATIONAL 44 Santé et biodiversité dans les pays du Sud : l’approche par les Objectifs de développement durable INITIATIVES 47 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : MARC ABADIE RÉDACTEUR EN CHEF : PHILIPPE THIÉVENT COORDINATION-CONCEPTION : THÉO MOUTON, SOPHIE MÉNARD, ANTOINE CADI ÉTUDE REALISÉE PAR : THÉO MOUTON ET SOPHIE MÉNARD (CDC BIODIVERSITÉ), ÉMILIE ÉGÉA (FONDATION ROVALTAIN) AVEC LE SOUTIEN DE : SALAMMBÔ HOTTE MERCI À : DELPHINE DELAUNAY (FONDATION ROVALTAIN), HERNANDO SALCEDO FIDALGO (EHESS) ET HÉLÈNE LERICHE (ASSOCIATION ORÉE), POUR LEUR CONTRIBUTION, LEUR RELECTURE ATTENTIVE ET LEURS SUGGESTIONS ÉDITION : MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ GRAPHISME : JOSEPH ISIRDI – www.lisajoseph.fr MAQUETTE : PLANET 7 PRODUCTION CONTACT : meb@cdc-biodiversite.fr PHOTO DE COUVERTURE : © Shutterstock AVERTISSEMENT : BIODIV’2050 PRÉSENTE LES TRAVAUX EN COURS ET LES AVANCÉES DE LA MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ. LA RUBRIQUE «TRIBUNE» ET LES DIFFÉRENTS ENCARTS PERMETTENT AUX ACTEURS CONCERNÉS DE DONNER LEUR POINT DE VUE SUR LES SUJETS TRAITÉS. LES PROPOS QUI Y FIGURENT N’ENGAGENT QUE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES INTERROGÉES. CITATION DE L’OUVRAGE : CDC Biodiversité et Fondation Rovaltain (2019). Santé et Biodiversité : nécessité d’une approche commune, Mission Économie de la Biodiversité, Paris, France, 52p.
TRIBUNE naturels et la santé humaine. Il appelle à ce que les considérations liées à la santé à une prise de conscience globale du soient bien intégrées dans le prochain secteur de la santé, non seulement pour cadre mondial pour la biodiversité post- guérir les maladies inhérentes à la dégra- 2020 qui sera adopté en Chine en 2020. dation de la biodiversité, mais aussi pour assurer les bienfaits qu’elle procure tant Comment les interrelations entre sur la santé physique que sur le bien-être santé et biodiversité sont-elles des populations. appréhendées par l’OMS ? Une autre étape importante a été franchie La santé humaine est déterminée par un en 2015, lorsque l’OMS a mené, en parte- ensemble de facteurs environnementaux, nariat avec la CDB, la réalisation d’un rap- sociaux, économiques et génétiques. port sur l’état des connaissances entre la Dans la vision de l’OMS, la biodiversité biodiversité et la santé (Connecting Global est un des déterminants majeurs et une Priorities: Biodiversity and Human Health). des clefs pour l’obtention d’un meilleur Il consolide les connaissances sur les liens niveau de santé. Toute personne peut Dr. Maria NEIRA faire le constat de cette interrelation forte entre biodiversité et santé, par le prisme Directrice du Département au quotidien. La biodiversité est en effet le de la qualité de l’air, de l’eau douce, de Santé publique, déterminants pilier de notre vie sur Terre : les dynamiques la sécurité alimentaire, de la nutrition, des sociaux et environnementaux de fonctionnement des écosystèmes maladies transmissibles, de la médecine de la santé à l’Organisation permettent par exemple de nous nourrir, traditionnelle, des savoirs autochtones, des mondiale de la Santé (OMS) avantages immuno-régulateurs potentiels de boire, de disposer des médicaments de l’exposition à la diversité microbienne dont nous avons besoin. La préservation dans l’environnement, etc. de la biodiversité est donc une condition Quelles actions l’OMS met-elle sine qua non de la protection de la en place pour développer l’étude À la 71e Assemblée mondiale de la Santé santé humaine. et la valorisation des liens entre en 2018, l’OMS a préparé, à la demande biodiversité et santé ? des pays membres, un état des lieux des Il est vrai que les liens entre pathogènes mesures prises concernant les liens entre infectieux et espèces hôtes sont com- L’OMS joue aujourd’hui un rôle prépon- plexes : la composition microbienne peut santé et biodiversité. Elle soutient que, dérant dans les décisions politiques jouer un rôle de régulation essentiel pour « conformément au principe de “la santé internationales en apportant sa contribution une espèce et avoir des effets totalement dans toutes les politiques“, les politiques et son expertise, mais également en nuisibles pour une autre. Néanmoins, ce de santé publique doivent chercher à renforçant l’alignement des différents sont tous les changements globaux causés garantir que les effets de la modification engagements mondiaux (CDB (1), ODD (2), par l’être humain, tels que la déforestation, de l’écosystème soient évalués et traduits Accord de Paris, etc.). À l’interface entre la surexploitation des ressources, la pol- dans les stratégies moyennant la partici- le monde scientifique, les organisations lution, l’introduction d’espèces exotiques pation de différents secteurs, disciplines et internationales et la société civile, l’OMS envahissantes et le développement urbain populations locales, comme une occasion est en capacité de travailler via de multiples qui entraînent la propagation des maladies de maximiser les bénéfices communs pour canaux sur les interrelations entre biodiver- et la perte de biodiversité. la santé et l’environnement […] ». sité et santé humaine. Par exemple, la substitution des forêts Dans le cadre de leur programme de travail En 2005, l’OMS a dirigé l’élaboration de primaires riches en biodiversité par des conjoint établi en 2012, le Département l’un des rapports du Millennium Ecosystem monocultures détruit les habitats et accroît PHE (3) de l’OMS co-préside avec la CDB Assessment (les écosystèmes et le les contacts entre humains et animaux, un groupe de liaison inter-institutionnel bien-être humain : synthèse sur la santé), ce qui favorise l’émergence des maladies. sur la biodiversité et la santé (Interagency aujourd’hui considéré comme un travail En outre, des facteurs tels que le tourisme Liaison group on biodiversity and health). pionnier visant à décrire les liens com- mondial, les changements climatiques et Parallèlement, l’OMS continue de travailler plexes entre la préservation d’écosystèmes l’utilisation d’agents antimicrobiens influent avec de nombreux partenaires pour veiller sur le mouvement des pathogènes, la (1) Convention sur la diversité biologique gamme d’hôtes, leur persistance et leur (3) Public Health, Environment and Social Determinants of (2) Objectifs du développement durable dans le cadre de l’Agenda 2030 Health Department virulence. En d’autres termes, par le biais 4 BIODIV’2050 - Numéro 19 - Décembre 2019
des activités humaines, nous créons les re, santé, environnement) et d’adopter des être complexes, un grand nombre de conditions favorables au développement démarches holistiques, telles que l’ap- messages peuvent être communiqués de des vecteurs et à l’émergence de maladies. proche « One Health (4) ». Celle-ci doit être façon simple et claire. Il s’agit par exemple appliquée de manière plus systématique de faire comprendre que la pollinisation est Toutefois, la charge mondiale de morbidité et inclusive, en tenant dûment compte des essentielle pour la production d’aliments imputable à l’environnement est désormais facteurs en amont de l’émergence de la riches en vitamines et minéraux, que les dominée par les maladies non transmis- maladie et en mettant davantage l’accent pesticides que nous utilisons se retrouvent sibles. Par exemple, on estime qu’environ deux milliards de personnes souffrent de sur la prévention et la surveillance. ultérieurement dans la chaîne alimentaire carence en nutriments. La consommation Il est ainsi possible de prévenir les maladies et que la perturbation des habitats a des de denrées alimentaires transformées de et de réduire la perte de biodiversité en conséquences probables sur l’émergence mauvaise qualité et le manque d’activité s’attaquant à leurs causes communes de nouveaux agents pathogènes. Ces physique ont contribué à une émergence (changement d’usage des sols, dérègle- messages et mesures doivent être bien marquante de l’obésité et des maladies ment climatique, introduction d’espèces cadrés, adaptables aux besoins des chroniques qui y sont associées. invasives), ainsi qu’en préservant et différentes populations, et mettre en avant Enfin, le bien-être mental est un axe de restaurant la diversité biologique. les co-bénéfices des mesures de préser- la santé qui doit également faire l’objet vation de la biodiversité, d’atténuation du Quels sont les grands enjeux à d’une attention particulière. La dynamique changement climatique et d’amélioration porter pour permettre une meilleure d’effondrement actuelle de la biodiversité de notre santé. appréhension des interdépendances peut avoir des impacts majeurs sur celui-ci. entre santé et biodiversité ? Au-delà de la sensibilisation, l’accent doit Par exemple, les désastres naturels qui être mis sur l’éducation pour changer se multiplient et l’exploitation de certaines La question de la recherche scientifique durablement notre perception des liens ressources entraînent des migrations est primordiale pour approfondir notre violentes et forcées, sources de stress entre biodiversité et santé. Il est par compréhension des dynamiques liant et de perte de bien-être. Chez certains biodiversité et santé. Cette recherche exemple essentiel de développer des peuples, le bien-être est aussi lié à des doit être interdisciplinaire pour identifier outils pour les jeunes médecins et autres valeurs culturelles que la destruction de des solutions intégrées et applicables. professionnels pour donner l’opportunité la biodiversité met en danger. En milieu Les résultats doivent être portés par les de s’engager dans la construction d’un urbain, le manque de nature et la décon- décideurs pour mettre en place un éventail avenir durable, tant pour la santé humaine nexion des hommes à leur environnement de mesures pour la préservation de la que pour la diversité biologique. conduit à une augmentation des maladies biodiversité et l’atténuation du changement Plus largement, l’enjeu est de réaliser chroniques et à des déséquilibres du climatique, tout en maximisant les une transition écologique qui soit saine : bien-être mental. Il est désormais urgent bénéfices pour la santé. autrement dit, une transition énergétique d’agir pour renaturer les villes et y améliorer Par exemple, la protection des forêts peut saine, une transition de la mobilité saine, notoirement la qualité de vie. contribuer simultanément à la préservation une transition de notre façon de produire Au siècle dernier, nous avons fait des écosystèmes, à la régulation du climat, et consommer saine. Saine, puisque le d’énormes progrès en matière de à la réduction de la pollution atmosphé- domaine de la santé est largement en santé, d’espérance de vie et de sécurité rique, à la qualité de l’eau et de l’air, mais capacité de stimuler la prise de conscience alimentaire. Mais ces gains importants se aussi à l’alimentation, à la fourniture de et de provoquer un déclic sociétal. sont réalisés au détriment de la santé des médicaments, au bien-être culturel et à la écosystèmes. Au regard de la dynamique santé mentale. Les citoyens et décideurs doivent d’effondrement de la biodiversité, nous ne comprendre que lorsque l’on parle de sommes pas à l’abri d’un déclin du niveau Outre la recherche scientifique, la préser- biodiversité, on parle aussi de leur santé et de santé. Quand les écosystèmes se vation de la biodiversité doit impliquer et de leur bien-être. Pas seulement pour les dégradent et que le changement climatique intégrer l’ensemble de la société civile, générations futures, mais aussi pour les s’intensifie, on ne peut qu’observer un notamment via des campagnes de générations présentes. Notre génération impact négatif sur la santé publique. sensibilisation. Si les dynamiques sous- est déjà en train de pâtir des effets de jacentes entre santé et biodiversité peuvent Afin de mieux comprendre ces dyna- la dynamique d’effondrement de la miques, il est nécessaire de développer biodiversité, c’est à nous de nous saisir de (4) Approche intégrée et systémique de la santé humaine, de la santé une collaboration inter-sectorielle (agricultu- environnementale et du bien-être animal ces enjeux dès à présent. MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 5
COMPRENDRE PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ POUR PRÉSERVER LA SANTÉ HUMAINE La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain » (OMS, 1946). Tel est l’un des principes cités dans la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui œuvre en faveur de la santé publique depuis 1948, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU). Aujourd’hui, les mutations rapides et les changements globaux qui se produisent à travers le monde fragilisent et perturbent le fonctionnement des écosystèmes, accroissant ainsi les risques sanitaires et montrant le caractère essentiel de l’environnement pour la santé humaine. La dynamique d’effondrement de la biodiversité joue un rôle prépondérant dans l’augmentation des risques liés à la santé humaine. L’OMS et la CDB mettent en garde contre cette érosion, expliquant que « biodiversité et santé humaine […] sont interconnectées de différentes manières » et que « les facteurs de perte de biodiversité affectent directement la santé humaine » (Romanelli et al., 2015). À Hyderabad (Inde), la COP11 de la CDB © Picography de Pixabay a souligné que « le rythme actuel de perte de biodiversité pourrait potentiellement Le phénomène est d’autant plus de la mobilité humaine intercontinentale avoir des conséquences graves et alarmant qu’il existe de multiples entretiennent la dynamique de transmission entraver les efforts pour atteindre de interrelations et rétroactions avec le et de propagation des épidémies à travers nombreux objectifs de développement, changement climatique, l’urbanisation le globe (CGEDD, 2013). particulièrement ceux liés à la pauvreté, la et la mondialisation des échanges, qui L’urbanisation est un enjeu croissant, les faim et la santé » (CBD, 2012). s’intensifient et entraînent une fragilisation populations se concentrant dans les villes L’exploitation de nouveaux milieux des écosystèmes et une recrudescence pour des raisons socio-économiques. naturels, les changements d’usage des des risques pour la santé humaine. Déjà les Au regard de l’ampleur du phénomène sols, la déforestation, la multiplication des Grandes découvertes soulevaient l’impact (55% de la population mondiale vivait monocultures extensives, la désertification conséquent des déplacements humains dans une zone urbanisée en 2018, et ce ou encore la dégradation de zones dans la diffusion des maladies (e.g. la chiffre s’élèvera à 68% en 2050) (United humides sont autant de vecteurs par propagation du choléra en Amérique par Nations, 2019), la question de la santé lesquels la dynamique d’effondrement de la les Européens). Désormais, les échanges en zone urbaine et péri-urbaine devient biodiversité impacte la santé humaine. mondiaux de biens et l’accroissement une préoccupation importante. Bien que 6 BIODIV’2050 - Numéro 19 - Décembre 2019
cette urbanisation puisse supposer un meilleur accès aux soins et au système Figure 1 : Évolution de la dépense courante de santé entre 2009 et 2019 de santé, elle pose de nombreuses en France, en milliards d’euros (adapté des données de la DREES, 2019) problématiques quant à la favorisation de la dissémination des maladies, la pollution 2009 2018 Évolution entre 2009 et 2018 (en %) de l’air, la sédentarisation des populations, la disparition des savoirs traditionnels Consommation de soins et 169,9 203,3 +19,7 de biens médicaux ruraux, le stress accru, l’augmentation des inégalités sociales, etc.). Soins de longue durée 16,6 22,8 +37,3 Le changement climatique lié aux Indemnités journalières 12,1 15,1 +24,8 activités anthropiques est aujourd’hui Autres dépenses en faveur avéré, et les bouleversements qu’il des malades 0,4 0,8 +100 entraîne sont d’ores et déjà perceptibles : succession de records de chaleur, Prévention institutionnelle 6,4 6,1 -4,7 fonte des glaces émergées et dilatation Dépenses en faveur du 11,9 12,1 +1,7 thermique, acidification des océans, système de soins intensification des phénomènes extrêmes, Coûts de gestion de la santé 13,6 15,7 +15,4 etc. (IPCC (1), 2018). Le changement climatique affecte directement la santé Total des dépenses 230,9 275,9 +19,5 courantes de santé humaine via de nombreux canaux : stress thermique, contamination des eaux, 1% malnutrition, risques sanitaires liés aux Figure 2 : Dépense courante de santé 5,2% catastrophes, risques épidémiques, qualité par type de financeur en 2018 de l’air, conséquences psychosociales 12,6% (adapté des données de la DREES, 2019) dues aux événements extrêmes, etc. 5% Sécurité sociale (IPCC, 2014). État et collectivité L’étude s’inscrit dans un contexte global 75% Mutuelles, sociétés d’assurance et institutions de prévoyance d’augmentation des dépenses courantes Ménages de santé, qui s’établissent en 2018 à 275,9 Autres milliards d’euros, soit 19,5% de plus qu’en 2009 (Cf. Figure 1). Ces dépenses courantes de santé sont assumées à 75% par la Sécurité Si une augmentation de la dépense totale Nous prenons comme point de départ sociale (DREES, 2019), et à 25% par les de soins est attribuée à l’accroissement la définition de la santé selon l’OMS : mutuelles, les sociétés d’assurance et les du nombre de personnes bénéficiant « un état de complet bien-être physique, institutions de prévoyance (34 790 milliards du régime général et au vieillissement mental et social, qui ne consiste pas d’euros, soit 12,6%), les ménages (14 430 de la population, il n’est nullement fait seulement en une absence de maladie ou milliards d’euros, soit 5,2%) et l’État et les état des causes des maladies et du d’infirmité » (2) (OMS, 1946) et parcourrons (i) collectivités (13 918 milliards d’euros, soit rôle des facteurs environnementaux les interdépendances entre la biodiversité 5%) (Cf. Figure 2). dans l’augmentation des dépenses et les maladies, qu’elles soient infectieuses L’Assurance maladie a publié en juillet d’assurance maladie. Pour Cicotella (2018), « il est nécessaire aujourd’hui de ou chroniques, et le rôle de la biodiversité 2019 un rapport intitulé « améliorer la comprendre que la solution passe par le dans la fourniture de médicaments. qualité du système de santé et maîtriser développement d’une politique ambitieuse L’étude se concentrera ensuite sur (ii) la les dépenses : propositions de l’Assurance maladie pour 2020 » (CNAM, 2019). Celui- de santé environnementale, c’est-à-dire participation de la biodiversité au bien-être ci met en avant certaines pathologies dont une politique qui s’attaque aux causes physique, en lien avec la satisfaction des le poids est particulièrement important des maladies ». besoins de l’être humain (qualité de l’air, dans les dépenses d’assurance maladie : eau et alimentation). Enfin (iii) les bienfaits L’objectif de ce chapitre est ainsi de la santé mentale (20,3 milliards d’euros), de la biodiversité sur le bien-être mental mettre en évidence les relations étroites les cancers (15,6 milliards d’euros) et (bénéfices psychologiques, cognitifs, et entre la biodiversité et la santé humaine, les maladies cardio-neurovasculaires afin d’éclairer les acteurs sur le rôle de culturels) et le bien-être social seront traités. (14 milliards d’euros). la biodiversité dans la diminution du recours aux soins et des coûts portés par (2) Si cette définition a pu être critiquée comme étant trop globale, (1) Intergovernmental Panel on Climate Change - Groupe d’experts trop idéaliste et non opérationnelle, elle permet de définir le cadre de intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en français la société. réflexion d’une analyse des liens entre santé et biodiversité MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 7
COMPRENDRE PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ POUR PRÉSERVER LA SANTÉ HUMAINE 1 - Biodiversité et contemporains (mucoviscidose, diabète, la suppression d’individus (ainsi que de hypothyroïdie, allergies, cancers, maladies leurs gènes) susceptibles de causer une maladies : enjeux cardiovasculaires, etc.). épidémie dans une population (Acevedo- préventifs et curatifs La répartition entre maladies infectieuses Whitehouse et al. 2003). et chroniques à l’échelle mondiale est très Dans ce contexte, c‘est plutôt la perte de la biodiversité hétérogène. Si 53% de la mortalité totale de biodiversité induite par les activités est due aux maladies infectieuses dans les humaines qui est à l’origine d’une Afin d’étudier les liens entre biodiversité pays du Sud, celles-ci ne représentent que progression des maladies infectieuses et maladies, nous distinguerons ici deux 2% de la mortalité dans les pays du Nord, à l’échelle mondiale (Morand, 2015). catégories de maladies pour lesquelles où les maladies chroniques prédominent En multipliant les actions qui contribuent les interactions avec la biodiversité (allant jusqu’à 88% de la mortalité totale) à l’érosion de la biodiversité et en divergent (sans entrer dans les détails (Cf. Figure 3). s’appropriant des territoires jusque-là de l’épidémiologie) : sauvages, l’être humain est davantage Les relations complexes en contact avec la faune (domestique ou Î Les maladies infectieuses, entre biodiversité et directement provoquées par des sauvage) et la flore (auxquelles il n’était maladies infectieuses auparavant pas confronté), perturbe organismes vecteurs, notamment des Dans un milieu naturel, la maladie les dynamiques des agents infectieux, micro-organismes (bactéries, virus, etc.). infectieuse est un processus écologique modifie la composition des communautés Les hépatites, la rougeole et la tuberculose qui s’inscrit dans la dynamique des de végétaux et d’animaux et fragmente font partie de ces maladies infectieuses. écosystèmes. Les micro-organismes considérablement les habitats (Morand et Î Les maladies non infectieuses ayant trouvé une niche écologique à Figuié, 2018). La détérioration des milieux (chroniques), causées par certains occuper, en provoquant des infections, naturels par les activités humaines et la facteurs allant des prédispositions peuvent contribuer à la sélection naturelle prédominance de l’être humain entraînent héréditaires aux modes de vie des êtres vivants les plus robustes et à un dérèglement des milieux et donc la recrudescence des maladies infectieuses. Figure 3 : Dépendance entre niveau de revenu des pays et Celles-ci sont un véritable fléau pour la mortalité estimée par type de cause (selon WHO, 2018a) santé humaine. En 2016, les infections respiratoires aiguës, les maladies diarrhéiques et la tuberculose étaient parmi les 10 causes majeures de mortalité dans le monde (WHO (3), 2018b). Sur l’ensemble des maladies infectieuses, 60 Pays à Pays à revenus Pays à revenus Pays à à 70% d’entre elles proviennent d’animaux faibles revenus intermédiaires intermédiaires revenus élevés sauvages ou domestiques (Jones, 2008). de la tranche inférieure de la tranche supérieure Parmi les maladies infectieuses, ces Maladies infectieuses Maladies non transmissibles Blessures zoonoses (4) sont responsables de 2,5 milliards de cas déclarés chaque année, Figure 4 : Nombre de maladies infectieuses émergentes et de 2,7 millions de décès (Grace et par type de facteur (adapté de Loh et al., 2015) al., 2012). 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Comme le souligne la figure 4, il est Changement d’usage des sols possible de mettre en évidence de Changements dans l’industrie agroalimentaire Commerce et voyages internationaux nombreux facteurs responsables de Changements dans l’industrie médicale l’émergence de maladies infectieuses à Famines et guerres travers le monde (Loh et al., 2015). Climat et météo Démographie et comportement humain Autres (3) World Health Organization - Organisation mondiale de la Santé (OMS) en français Dégradation de la santé publique Chasse et consommation de gibier (4) Maladies et infections dont les agents se transmettent des animaux vertébrés à l’être humain 8 BIODIV’2050 - Numéro 19 - Décembre 2019
POINT DE VUE Biodiversité, élevage et maladies infectieuses Serge Morand accompagnée de l’apparition de nou- rurales traditionnelles. Face à une biodi- Écologue de la santé, Directeur velles maladies infectieuses pour les hu- versité en crise et un élevage en expan- de Recherche au CNRS et mains comme la rougeole, les oreillons, sion, la transmission des zoonoses est au CIRAD, Professeur invité la variole, les grippes, etc. Le nombre favorisée à la fois par les pertes d’effet de à la Faculté de Médecine de maladies infectieuses et parasitaires dilution dépendant d’une faune sauvage Tropicale, Université Mahidol, partagées entre animaux domestiques de moins en moins diversifiée et par les Bangkok, Thaïlande et humains est directement proportionnel gains d’effet d’amplification d’un élevage au temps de domestication. Nous parta- de plus en plus important. La biodiversité, source des geons ainsi plus de maladies infectieuses maladies infectieuses avec le chien, la vache ou le cochon, do- Les pratiques agricoles industrielles mestiqués respectivement entre 17 000 concourent également à une diminution L’immense majorité des maladies infec- ans et 10 000 ans, qu’avec le lapin qui n’a spectaculaire des ressources génétiques, tieuses qui touchent les êtres humains été domestiqué que depuis 2 000 ans. liée à l’homogénéisation génétique mon- sont issues des animaux domestiques et Les humains et leurs animaux domes- diale des races animales et végétales sauvages. Ces dernières décennies ont tiques forment une communauté de par- (FAO (1), 2015). On sait pourtant qu’une di- été marquées par l’émergence de nou- tage de maladies infectieuses qui s’est versité génétique élevée protège contre velles maladies infectieuses associées établie sur le long terme, et qui continue la propagation des pathogènes. Une es- aux rongeurs (virus de la fièvre de Lassa, à s’enrichir en nouvelles infections. Notre pèce animale ou végétale caractérisée virus monkeypox), aux chauves-souris santé dépend alors de la bonne santé de par une faible diversité génétique est plus (virus Ebola, virus Hendra), aux oiseaux nos animaux domestiques (Morand et sensible aux épidémies de grande am- (virus H5N1) ou encore aux primates al., 2017). pleur. L’effet de dilution se retrouve donc non-humains (virus du sida, virus Zika) Ceux-ci sont également des passerelles aussi à l’échelle des populations. (Morand, 2016). pour les pathogènes et parasites héber- Les réponses actuelles aux crises Si la diversité des maladies infectieuses gés dans les animaux sauvages : c’est ce sanitaires préparent de nouvelles crises dépend de la diversité des animaux qu’on appelle « l’effet d’amplification ». (un pays riche en biodiversité est un De nombreuses maladies infectieuses Le monde va de crises sanitaires en pays riche en maladies infectieuses), émergentes, dont les agents infectieux crises sanitaires et les réponses appor- le nombre total d’épidémies de mala- sont issus de la faune sauvage, se pro- tées sont toujours les mêmes. L’éradi- dies infectieuses est au contraire corré- pagent d’abord chez les animaux domes- cation par l’abattage massif est présen- lé avec le nombre d’espèces d’oiseaux tiques qui agissent ensuite comme des tée comme l’unique mode de gestion et de mammifères en danger d’extinc- amplificateurs auprès des humains. Le en urgence de la crise et la biosécurité tion par pays. La biodiversité peut être virus Nipah (chauves-souris et cochons comme l’antidote aux nouvelles crises. source de maladies infectieuses, mais d’élevage en Malaisie), le virus Hendra Les mesures préconisées par les auto- toute perte de biodiversité augmente les (chauves-souris et chevaux en Australie) rités sanitaires vont de l’interdiction de risques épidémiques. Une explication est et le virus mers-cov (chauves-souris et reconstituer les élevages avec des races à rechercher dans les modifications des dromadaires dans la péninsule arabique) locales au re-stockage par des races gé- interfaces (usage des terres, intensifica- en sont des exemples. nétiquement homogènes sélectionnées tion agronomique, urbanisation) et des Des prévisions inquiétantes par la recherche agro-industrielle. L’im- contacts entre animaux domestiques, animaux sauvages et êtres humains. pact de la grippe aviaire en Thaïlande Les prévisions d’intensification de l’éle- s’est traduit par une baisse de la diversité Les études empiriques montrent que les vage ne sont pas une bonne nouvelle communautés animales riches en es- génétique des races locales de poulets pour la biodiversité. Davantage de terres consécutive à la gestion biosécuritaire de pèces contribuent à réduire la transmis- vont être converties pour nourrir ces ani- sion des maladies infectieuses zoono- la crise sanitaire (Duangjinda et al., 2012). maux, comme en Amazonie avec l’exten- Ce n’est pas le virus H5N1 qui a diminué tiques, un phénomène appelé « effet de sion des cultures de soja pour le marché dilution » et présenté comme un service la diversité génétique des poulets locaux, international. Plus de ressources en eau écosystémique de régulation des mala- mais bien l’application de certaines poli- mais aussi plus de pesticides vont être dies (Morand et Figuié, 2016 ; Morand et tiques de santé promues par les organi- utilisés pour accroître les rendements de Lajaunie, 2017). sations internationales. ces productions. De même, pour faire La domestication animale historiquement face aux risques sanitaires liés à l’aug- Une réflexion urgente doit être menée à l’origine de nos principales mentation des concentrations animales, pour mieux anticiper et éviter les crises maladies infectieuses plus d’antibiotiques vont être utilisés. sanitaires en promouvant des solutions Les animaux et les plantes ont été do- L’emprise mondiale de l’élevage et de bio-inspirées respectueuses de la biodi- mestiqués à grande échelle il y a en- l’agriculture augmente les contacts avec versité sauvage et domestiquée ainsi que viron 12 000 ans lors de la révolution une faune sauvage de plus en plus dé- de l’élevage traditionnel. néolithique. La domestication a entraîné possédée de ses habitats naturels et des changements importants dans la donc les risques infectieux zoonotiques, (1) Organisation des Nations unies pour l’alimentation nutrition et la santé humaine. Elle s’est en particulier pour les communautés et l’agriculture MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 9
COMPRENDRE PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ POUR PRÉSERVER LA SANTÉ HUMAINE Parmi les déterminants les plus significatifs, et réponde aux besoins nutritionnels des Un des exemples les plus significatifs deux d’entre eux entretiennent des populations (Cf. « L’agriculture au carrefour concerne la maladie de Lyme, dont la interactions directes avec la biodiversité : des enjeux biodiversité et santé »). prévalence augmente fortement dans les pays du Nord (20 000 cas aux États- Î Le changement d’usage des sols, Protéger et restaurer les fonctionnalités Unis chaque année). Cette zoonose est qui contribue à l’émergence de 43% des écologiques des écosystèmes peut être un due à une bactérie (Borrelia burgdorferi) maladies infectieuses notamment à moyen de prévenir et lutter efficacement transmise par des tiques à des vertébrés travers la déforestation, l’expansion contre l’émergence de ces maladies (souris à pattes blanches, êtres humains, de l’agriculture (5) et la dégradation des infectieuses, à travers l’effet de dilution cervidés, opossums, etc.). Une étude habitats (perturbation des dynamiques des (Cf. Figure 5). Une plus grande richesse (Keesing et al., 2010) a ainsi démontré écosystèmes) (Murray et al., 2013) ; spécifique à l’intérieur d’une population que les États américains où la diversité en serait ainsi à l’origine d’une diminution de petits mammifères est la plus importante Î Les changements de pratiques des la prévalence des maladies infectieuses en font l’objet d’une moindre prévalence de la secteurs agricole et agroalimentaire, qui son sein. Les études montrent plusieurs maladie de Lyme. Là où les écosystèmes sont responsables de la résurgence de mécanismes sous-jacents à cet effet de sont préservés ou restaurés, on observe 22% des maladies infectieuses. dilution (Morand et Figuié, 2018) : ainsi un nombre important de mammifères, La lutte contre le changement d’usage des dont certains sont des espèces Î L’effet de dilution direct, qui précise sols, contre l’artificialisation des espaces « cul-de-sac » ne transmettant pas la que dans un écosystème fonctionnel, maladie, permettant ainsi de « diluer » le naturels et plus largement contre les des espèces dites « cul-de-sac » peuvent risque d’infection. Dans un écosystème causes de perte de biodiversité peuvent capter le pathogène sans le transmettre dégradé ou fragmenté, la diversité en permettre la mise en œuvre d’actions ultérieurement, permettant ainsi d’annihiler petits mammifères diminue, laissant place favorables à la biodiversité et à la santé : la propagation de la maladie (Keesing et à la souris à pattes blanches, espèce al., 2006) ; généraliste capable de s’adapter à toutes Î La concentration de la population, les conditions sanitaires et l’homogénéisation Î L’effet de dilution indirect, lié à la sortes de milieux et espèce-réservoir de la microbienne (Loutan et al., 2008) entraînent diminution de l’abondance en espèces maladie de Lyme. une recrudescence des risques liés aux vectrices de l‘agent pathogène. Une Les avancées scientifiques concernant maladies infectieuses en milieu urbain ; diversité biologique plus grande étant liée les dynamiques fonctionnelles des à une augmentation quantitative de la écosystèmes offrent de nouvelles pistes de Î Le phénomène de déforestation dû diversité spécifique et à une diminution de réflexion. La maladie de Lyme coûterait en à l’expansion des activités humaines l‘abondance de ces espèces, elle entrave effet entre 712 millions et 1,3 milliards de déconstruit les barrières naturelles entre la transmission du pathogène (étant donné dollars chaque année au système de santé les réservoirs de maladies et les zones la rareté de l‘espèce potentiellement hôte). américain (Adrion et al., 2015). d’activité ou d’habitations. La protection des forêts et les actions de lutte contre Figure 5 : Illustration de l’effet de dilution (adapté de Wood et Lafferty, 2013) la déforestation sont ainsi en mesure de limiter voire annuler la recrudescence de certaines maladies comme la malaria en ÉCOSYSTÈME PRÉSERVÉ ÉCOSYSTÈME DÉGRADÉ Pathogène Afrique (Coluzzi, 1994) et en Amérique Latine (Tadei et al., 1998) ; Î Le modèle agricole actuel (majoritairement basé sur des monocultures intensives) participe au Vecteur changement d’usage des sols et donc à la progression des maladies infectieuses. L’objectif est alors de réaliser une transition Espèce Espèce Espèce Espèce Espèce Espèce Espèce Espèce agroécologique qui favorise les cultures cul-de-sac cul-de-sac cul-de-sac réservoir réservoir réservoir réservoir réservoir raisonnées, limite l’extension des terres (5) Ici, l’expansion de l’agriculture fait référence à la seule conversion en espace agricole, tandis que le deuxième point concerne les pratiques agricoles en elles-mêmes. 10 BIODIV’2050 - Numéro 19 - Décembre 2019
La forêt tropicale, à la fois source d’une diversité biologique foisonnante et de maladies infectieuses émergentes © Antonio Doumas de Pixabay La forêt tropicale, à la fois source d’une diversité biologique foisonnante et de maladies infectieuses émergentes © Antonio Doumas de Pixabay Bien que l’évaluation des coûts engendrés avancées de la recherche montrent que la biodiversité, une action collective et par une maladie infectieuse soit difficile lorsque la diversité spécifique augmente, cohérente doit être engagée pour lutter à réaliser, elle apparaît essentielle pour les dynamiques fonctionnelles tendent, efficacement contre la propagation de justifier les mesures de prévention. Les en moyenne, à diminuer la transmission ces maladies à l’échelle internationale. Il coûts de prévention sont la plupart du des maladies infectieuses (Roche et serait ainsi nécessaire d’agir sur les flux temps bien moindres que les coûts de Guégan, 2011). du commerce mondial et les voyages traitement d’une maladie une fois déclarée. Il est à noter que les causes de la internationaux. La demande en produits Au-delà des conséquences en termes dynamique d’effondrement de la issus de la mondialisation entraîne une de hausse de la mortalité, les maladies biodiversité et de la recrudescence des augmentation des terres cultivées (et infectieuses ont des impacts indirects maladies infectieuses sont similaires et donc une déforestation accrue), une non négligeables sur la société : perte majoritairement d’origine anthropique : perte de biodiversité importante ainsi d’autonomie progressive, isolement, changement climatique, déforestation, que le transport de marchandises parfois mal-être, prise en charge informelle, urbanisation, exploitation des ressources, contaminées. Limiter quantitativement absentéisme scolaire ou professionnel, etc. monocultures intensives, etc. Il est donc le commerce mondial et redynamiser (Keller, 2012). possible d’en appréhender les grands les cultures locales permettrait alors un Des travaux soulignent cependant enjeux à travers des réflexions communes ralentissement de la transmission des l’imprévisibilité des conséquences (Romanelli et al., 2015). On observe ainsi la maladies infectieuses. de l’introduction d’une espèce dans montée en puissance de l’approche « One un écosystème. À titre d’illustration, Health », qui vise la création d’une stratégie Si la lutte contre les maladies infectieuses mondiale de collaboration interdisciplinaire se poursuit et demande une réflexion l’introduction d’une espèce « cul-de-sac » entre les domaines de la santé humaine, autour de leurs facteurs d’émergence, la pourrait, par effet de causalité, augmenter santé animale et santé de l’environnement. question de la progression des maladies la transmission globale du pathogène en affectant durablement les fonctionnalités Au-delà des facteurs d’émergence chroniques préoccupe de plus en plus à d’un écosystème. Néanmoins, les des maladies infectieuses en lien avec l’échelle mondiale. MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 11
COMPRENDRE PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ POUR PRÉSERVER LA SANTÉ HUMAINE Biodiversité et prévention des maladies chroniques 20 millions de français sont aujourd’hui concernés par des maladies chroniques (CNAM, 2019), ce qui correspond à des dépenses annuelles de 84 milliards d’euros, soit 60% des dépenses totales de santé en France (CNAM, 2018). Le terme d’« épidémie » est désormais employé pour décrire la multiplication de ces maladie chroniques, alors qu’il concernait initialement les maladies infectieuses (Cicolella, 2018). Les maladies chroniques trouvent leur origine dans deux grandes catégories de facteurs : Î Les facteurs de base : âge, sexe, génétique ; Î Les facteurs comportementaux (de plus en plus homogènes en raison de la standardisation globale des modes de consommation) : tabagisme, alcool, fragilisation du système immunitaire (et du microbiote), malnutrition, surpoids et manque d’activité physique. La biodiversité peut prévenir l’apparition de maladies chroniques ou en réduire © Michael Baragwanath de Pixabay leurs effets, notamment à travers (i) le microbiote et le renforcement du système parle alors d’« holobionte » pour désigner cette population, on estime à environ un immunitaire, (ii) les pratiques alimentaires l’ensemble constitué par un organisme et millier le nombre d’espèces de bactéries et habitudes nutritionnelles et (iii) la lutte les micro-organismes présents en son sein (El Kaoutari et al., 2014). Cette diversité contre l’inactivité physique (6). (Selosse, 2016). illustre la capacité d’adaptation des micro- organismes, fruits de l’évolution depuis leur Le microbiote humain désigne, selon apparition sur Terre il y a près de 4 milliards Renforcer la diversité au sein de notre l’Inserm (7), l’ensemble des micro- d’années (David, 2012). corps : l’approche par le microbiote organismes (bactéries, virus, parasites, Selon la CDB, un écosystème est champignons non pathogènes) qui vivent Il est aujourd’hui démontré que le un « complexe dynamique formé de microbiote a un rôle prépondérant dans dans l’environnement spécifique qu’est le communautés de plantes, d’animaux les fonctions digestive, métabolique, corps humain. Dès notre naissance, nous et de micro-organismes (biocénose) immunitaire et neurologique. L’impact vivons en symbiose avec des centaines de et de leur environnement (biotope) qui, du microbiote sur le développement et milliards de micro-organismes. Nous les par leur interaction, forment une unité le façonnage des réponses immunitaires retrouvons jusqu’au plus profond de nos fonctionnelle ». L’être humain peut ainsi continue de faire l’objet de nombreux organes qu’ils colonisent (tube digestif, travaux visant à démontrer le caractère être assimilé à un écosystème, dont le peau, nez, oreille, vagin, bronches, etc.). Le dynamique du dialogue entre l’hôte et son corps humain (biotope) offre les conditions microbiote intestinal est le plus important microbiote (Gaboriau-Routhiau et Cerf- physico-chimiques nécessaires à la vie d’entre eux, rassemblant 1012 à 1014 micro- Bensussan, 2016). L’évolution combinée pour d’autres êtres vivants (biocénose). On organismes (Inserm, 2016). Au sein de de l’être humain et son microbiote a permis la création d’interactions essentielles pour (6) Le surpoids peut être étudié à la fois par le prisme de la malnutrition et du manque d’activité physique. (7) Institut national de la santé et de la recherche médicale ce dernier (Dethlefsen et al., 2007). 12 BIODIV’2050 - Numéro 19 - Décembre 2019
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