BRÉSIL DOCUMENT PUBLIC - Amnesty International
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Amnesty International DOCUMENT PUBLIC BRÉSIL ‘Déni d'humanité’ : Torture, surpeuplement et brutalités dans les postes de police de Minas Gerais Index AI : AMR 19/003/2002 SF 02 CO 249 -1-
AMNESTY INTERNATIONAL AMR 19/003/2002 SF 02 CO 249 DOCUMENT PUBLIC Londres, mars 2002 BRESIL ‘Déni d'humanité’ : Torture, surpeuplement et brutalités dans les postes de police de Minas Gerais RESUME 34 détenus entassés dans des cellules prévues pour en loger 4 ; cellules sans fenêtre d'où les prisonniers sont autorisés à sortir une heure seulement tous les quinze jours ; surpeuplement à 1000% ; individus suspects de torture agissant en toute impunité depuis plus de trente ans ... Bien que les horreurs décrites ci-dessus paraissent appartenir à une oeuvre de fiction située au Moyen Age, elles ont été constatées comme une réalité au vu des conditions effrayantes, du surpeuplement chronique, de la torture et de la corruption relevés par Amnesty International dans la Delegacia de Tóxicos et la Delegacia de Roubos e Furtos à Belo Horizonte, Etat de Minas Gerais, en octobre 2001. Le présent rapport n'est pas le premier à rendre publiques la torture et les conditions inhumaines et dégradantes supportées par les détenus dans les postes de police de Belo Horizonte. Au cours des dix dernières années, des commissions officielles de l'Etat, des organisations non gouvernementales et des organisations intergouvernementales telles que les Nations Unies ont condamné publiquement les conditions de détention et les pratiques rencontrées dans ces lieux. Le mépris total manifesté au long des années par les autorités de l'Etat et le pouvoir fédéral à l'égard de ceux qui sont détenus dans ces postes de police et dans d'autres au Brésil enlèvent toute crédibilité aux promesses constantes et déjà anciennes faites par les autorités brésiliennes selon lesquelles elles s'engagent à mettre fin aux violations des droits humains et à l'impunité de ceux qui s'en rendent coupables. Récemment, la couverture intense accordée par la presse brésilienne à des crimes violents très médiatisés a déclenché une condamnation massive de la violence dans la population, et de nouveaux appels demandant des méthodes policières plus sévères et des sentences plus répressives. Les statistiques officielles montrent que les habitants des villes principales du Brésil, et en particulier les pauvres, supportent quotidiennement un niveau incroyable de criminalité et de violence. Les protestations massives du public ont manifesté la peur profondément enracinée et les frustrations éprouvées en conséquence de la montée de la criminalité, particulièrement au sein des classes moyennes. Cependant, alors que la police et le système carcéral du Brésil continuent à user de méthodes violemment répressives dans la pratique quotidienne de leur métier, et que ceux qui se trouvent en détention sont -2-
systématiquement entassés dans des cellules déjà surpeuplées, les niveaux de criminalité continuent à monter. La condamnation au niveau national et international des méthodes policières brésiliennes a régulièrement dénoncé le fait que les autorités ne respectent pas les normes nationales et internationales relatives à la sécurité publique, qui visent à créer des forces de police qui, tout en combattant efficacement la criminalité, protègent les droits humains de tous les citoyens. À un moment où le Brésil a les yeux braqués sur les niveaux vertigineux de criminalité qui continuent à menacer la stabilité sociale, les problèmes à long terme qui affectent la Delegacia de Toxicos et la Delegacia de Roubos e Furtos peuvent être considérés comme représentatifs des violations des droits humains de nature endémique dans les postes de police de tout le pays. En mettant l' accent sur l' exemple de la Delegacia de Tóxicos et de la Delegacia de Roubos e Furtos , Amnesty International pose la question de savoir si de tels postes de police contribuent en fait au problème de la sécurité publique. L' organisation appelle l' Etat de Minas Gerais et les autorités fédérales à mettre en oeuvre des réformes structurées à long terme pour combattre les violations des droits humains et l'impunité qui sont devenues la marque infamante du “combat contre le crime” au Brésil. -3-
TABLE DES MATIERES 1. PREFACE 2. INTRODUCTION Delegacia de Roubos e Furtos Delegacia de Tóxicos 3. UN SYSTEME EN CRISE 4. CONSTATATIONS D'AMNESTY INTERNATIONAL, OCTOBRE 2001 Torture Surpeuplement et conditions de détention cruelles, inhumaines et dégradantes Situation Médicale Corruption 6. CONCLUSION 7. RECOMMANDATIONS 8. ANNEXES I - Texte, en version française, d'une lettre envoyée au gouverneur de Minas Gerais, Itamar Cauterio Franco, le 21 novembre 2001. II - Extrait du rapport du Rapporteur Spécial, Sir Nigel Rodley, rédigé conformément à la résolution 2000/3 de la Commission des Droits de l'Homme. Addendum. Visite au Brésil. Photo de couverture : Cellules de la Delegacia de Tóxicos -4-
BRESIL ‘Déni d'humanité’ : Torture, surpeuplement et brutalités dans les postes de police de Minas Gerais " La réhabilitation de la citoyenneté est un des principaux buts d'une société attachée au rétablissement d'un ordre social centré sur la dignité humaine ..."1 (Gouvernement de l’Etat de Minas Gerais, 2001) Détail de la photo de couverture : Cellules de la Delegacia de Tóxicos 1. PREFACE En novembre 1998, voici plus de trois ans, Amnesty International s’est rendue dans la Divisão de Crimes Contra o Patrimônio, plus connue sous le nom de Delegacia de Roubos e Furtos, commissariat spécialisé pour les vols (à main armée ou non), de Belo Horizonte, Etat de Minas Gerais. Au cours de cette visite, l'Organisation a recueilli de nombreux récits de torture et de mauvais traitements, tout en constatant également les conditions lamentables dans lesquelles vivaient les prisonniers. En octobre 2001, Amnesty International s'est rendu à nouveau en visite dans la Delegacia de Roubos e Furtos de Belo Horizonte, ainsi que dans un autre poste de la police civile de la ville, la Divisao de Tóxicos e Entorpecentes, généralement connue sous le nom de Delegacia de Tóxicos , Commissariat des substances réglementées. 1 Citation tirée d'un document en anglais pour PERSPECTIVA, Programme d' Etat pour la Réhabilitation Sociale, publié par le gouvernement de Minas Gerais en 2001. -5-
Durant la période qui s' est écoulée entre ces visites, la Delegacia de Roubos e Furtos a été inspectée par des procureurs, a fait l' objet d'une décision de justice2 et a été sévèrement critiquée par le Rapporteur Spécial sur la Torture après sa visite en août 2000. Trois années complètes après qu' Amnesty International eut pénétré pour la première fois dans cet établissement, les délégués n' ont rien trouvé qui indique que les autorités fédérales ou celles de l' Etat soient intervenues pour améliorer les conditions de détention, faire cesser la violence, les sévices et la torture utilisés par les policiers qui travaillent là, ni même pour restreindre l' usage de peines excessivement punitives qui a contribué au grave surpeuplement des postes de police de Minas Gerais. De même, les autorités n' ont pas pris de mesures pour fournir aux policiers les ressources et la formation dont ils ont besoin pour accomplir leur tâche de manière professionnelle et sans recourir à des violations des droits humains. Récemment, la couverture intense accordée par la presse brésilienne à des crimes violents très médiatisés a déclenché une condamnation massive de la violence dans la population, et de nouveaux appels demandant des méthodes policières plus sévères et des sentences plus répressives. Les statistiques officielles montrent que les habitants des villes principales du Brésil, et en particulier les pauvres, supportent quotidiennement un niveau incroyable de criminalité et de violence. Les protestations massives du public ont manifesté la peur profondément enracinée et les frustrations éprouvées en conséquence de la montée de la criminalité, particulièrement au sein des classes moyennes. Cependant, alors que la police et le système carcéral du Brésil continuent à user de méthodes violemment répressives dans la pratique quotidienne de leur métier, et que ceux qui se trouvent en détention sont systématiquement entassés dans des cellules déjà surpeuplées, les niveaux de criminalité continuent à monter. La condamnation, au niveau national et international, des méthodes policières brésiliennes a régulièrement dénoncé le fait que les autorités ne respectent pas les normes nationales et internationales relatives à la sécurité publique, qui visent à créer des forces de police qui , tout en combattant efficacement la criminalité, protègent les droits fondamentaux de tous les citoyens. En juin 1999, Amnesty International a lancé un rapport substantiel sur la crise au sein du système pénitentiaire brésilien. Le rapport "Ici quand on dort, on risque de ne pas se réveiller." Les prisonniers victimes d’homicides, de torture et de mauvais traitements (SF 99 HDH 39) décrivait en détail la violence, l'abandon, la crasse, les maladies et les sévices dont souffre quotidiennement la population carcérale du Brésil. Deux ans plus tard, en octobre 2001, le rapport Brazil: “They Treat us Like Animals”: Torture and ill-treatment in Brazil. Dehumanization and impunity within the criminal justice system (AMR 19/022/2001) est paru dans le cadre de la campagne mondiale d’Amnesty International contre la torture. Dans ce rapport, l' Organisation décrivait comment un grand nombre de ceux qui travaillent dans le système tant policier que carcéral continuent à user de violence, de terreur, de coercition et de menaces de manière systématique. La torture est devenue autant une méthode d' investigation policière qu'un moyen désespéré pour consolider un système pénal proche de l' effondrement. Dans leur ensemble, ces rapports visaient à identifier certains des problèmes fondamentaux qui ont entraîné la corrosion du système de sécurité publique au Brésil. 2 Arrêté pris le 12 novembre 1999 par le Tribunal Pénal de Belo Horizonte (Vara de Execuçoes Criminais de Belo Horizonte) ordonnant que ce commissariat ne détienne pas plus de 200 prisonniers. -6-
Au fil des ans, Amnesty International a reconnu les difficultés rencontrées par les autorités et les mesures importantes introduites par le gouvernement fédéral et par ceux des Etats pour s'attaquer à la crise des droits humains, comme par exemple la promulgation de la loi 9 455 en avril 1997, Loi sur la Torture. Le lancement, en 1995, du Programme National pour les droits de l’homme a démontré la volonté du gouvernement de recourir à un nouveau discours en matière de droits humains dans le pays. Amnesty International croit savoir qu' il existe un projet pour relancer ce programme dans un avenir proche. En novembre 2001, suite à la condamnation émanant du Rapporteur Spécial des Nations-Unies sur la Torture, du Comité de l' ONU contre la Torture et d' Amnesty International, le gouvernement fédéral a lancé une campagne nationale contre la torture. Cette campagne comprenait parmi ses premières propositions la création d' un numéro spécial permettant de signaler des cas de torture par téléphone. Amnesty International a salué cette initiative comme un désaveu officiel de l'usage de la torture par des représentants de l' Etat au Brésil. Cependant, l' Organisation n' a pas cessé d' exprimer sa préoccupation devant le fait que beaucoup des mesures adoptées par les autorités ne peuvent influer sur les causes fondamentales des violations des droits humains ni sur l' impunité dont jouissent leurs auteurs. Les premiers rapports des organisations non gouvernementales qui oeuvrent pour mettre fin à la torture au Brésil reflètent ces préoccupations, suggérant que la campagne nationale contre la torture a été affaiblie par un financement et une formation insuffisants, trop peu de publicité, et l' absence d'une stratégie cohérente pour donner suite aux signalements de cas de torture. Cette crise de la sécurité à laquelle sont confrontés les gouvernements des Etats et le gouvernement fédéral du Brésil ne doit pas être sous-estimée. Les solutions concernant les niveaux croissants de violence urbaine devront prendre en compte les problèmes complexes dans le domaine social et économique qui sous-tendent cette violence et prévoir aussi des méthodes policières modernes, efficaces et non répressives. Cependant, il apparaît qu' après sept ans de mandat, le gouvernement fédéral dirigé par le président Fernando Henrique Cardoso continue à recourir principalement à des solutions de fortune pour les activités de police, et à des campagnes réactives dans le domaine des droits humains sous forme de projets, de propositions et de promesses, répondant souvent à des reportages privilégiant le sensationnel dans la presse. Amnesty International a reconnu que beaucoup de ces projets montrent de bonnes intentions et que s' ils étaient soutenus par la volonté politique et le financement nécessaires, ils pourraient offrir des solutions potentielles à certains des problèmes des droits humains dont souffre le pays. Mais au fil du temps il est apparu que de telles mesures ont été systématiquement à court terme et rarement entièrement appliquées. Les autorités n' ont pas avancé de stratégie structurée et efficace pour la réforme de la sécurité publique ce qui a eu pour conséquence de sacrifier les droits humains d' un pourcentage important de la population brésilienne à des méthodes violentes, répressives et corrompues de la police. Au mieux, ces méthodes se sont révélées inefficaces face à la criminalité ; au pire elles ont alimenté la spirale de la criminalité et de la violence qui représente actuellement une menace majeure pour la stabilité sociale du Brésil. À la fois pour les détenus et pour les policiers des deux commissariats de Belo Horizonte dans lesquels s'est rendue Amnesty International en octobre 2001, les promesses du gouvernement au cours des deux dernières années n' ont eu que peu d' impact. -7-
2. INTRODUCTION Le 10 octobre 2001, une délégation commune de représentants d' Amnesty International et de la Pastoral Carcerária, aumônerie des prisons de l' Eglise catholique, s'est rendue à la Delegacia de Roubos e Furtos et à la Delegacia de Tóxicos. Cette visite a eu lieu dans le cadre d’une mission de recherche d' Amnesty International au Brésil, au cours de laquelle l' Organisation a rencontré les autorités fédérales et celles des Etats, des représentants des associations des droits humains, des membres des forces de police, ainsi que des victimes de violations des droits humains et leurs familles. La Delegacia de Roubos e Furtos et la Delegacia de Tóxicos sont des postes de la police civile, qui sont chargés des enquêtes sur les crimes3. Amnesty International a rencontré les chefs de la police responsables de ces commissariats, des policiers et des détenus et visité bureaux et cellules. Dans les cellules de ces deux commissariats, l' Organisation a constaté des conditions de surpeuplement extrême et recueilli des récits concordants de torture et de mauvais traitements. Le surpeuplement était un des facteurs des conditions de détention les plus choquantes constatées par Amnesty International au Brésil ces dernières années. La plupart des postes de la police civile du Brésil contiennent des cellules pour enfermer les prévenus pendant de courtes périodes. Ces locaux n' offrent pas les conditions ni les équipements nécessaires exigés par les normes minima pour la détention à long terme. Cependant, aussi bien dans la Delegacia de Roubos e Furtos et la Delegacia de Tóxicos que dans les postes de police de tout le pays, les prévenus sont détenus bien au delà de la période stipulée par la loi4 à l' expiration de laquelle ils devraient être transférés dans un centre de détention préventive. Pour contribuer à la campagne mondiale d' Amnesty International contre la torture, ce rapport soulève les questions de la torture, de l' impunité, des insuffisances du système judiciaire et de renoncement de l' Etat, en mettant l' accent sur des problèmes décrits depuis longtemps dans les postes de police de Minas Gerais. Il souligne non seulement les brutalités, l' humiliation et la corruption que les détenus sont forcés de supporter dans ces locaux, mais aussi la pratique systématique, bien établie et incontrôlée de la torture par des représentants de l' Etat, qui se poursuit depuis tant d' années. Delegacia de Roubos e Furtos 3 Il existe quatre principales forces de police au Brésil, une force fédérale, la police fédérale, qui est responsable devant le Ministre fédéral de la Justice , et trois forces au niveau des Etats, la police militaire, la police civile, et la police de la circulation, qui sont sous le contrôle du gouvernement de l' Etat. La police civile entreprend des activités d' enquête, tandis que la police militaire est chargée de faire régner l'ordre dans la rue. 4 L'interprétation de la loi brésilienne sur cette question varie, voir le rapport du Rapporteur Spécial Sir Nigel Rodley, déposé conformément à la résolution 2000/3 de la Commission des Droits de l' Homme. Addendum. Visite au Brésil. 30 mars 2001 E/CN.4/2001/66/Add.2. par. 108-110. -8-
La Delegacia de Roubos e Furtos est chargée des enquêtes sur les atteintes à la propriété dans tout l' Etat de Minas Gerais. Amnesty International a été informée que les officiers de la police civile qui travaillaient dans ce commissariat n'avaient reçu aucune formation officielle pour la surveillance des prisonniers. Malgré cela, à tout moment, 60% des policiers de service sont occupés à surveiller les détenus. Le personnel a aussi déclaré qu'en plus de la surveillance, les policiers de ce poste sont souvent appelés à donner des conseils juridiques et une assistance médicale à titre officieux à leurs prisonniers. Dans la Delegacia de Roubos e Furtos, les détenus ont montré à AI des fragments de balles tirées selon eux par les gardiens dans les cellules pour terroriser les prisonniers. En dépit des niveaux vertigineux de criminalité et de l' augmentation du temps et du personnel consacrés à la surveillance de ceux qui sont en garde à vue, le chef de la police responsable du commissariat a informé Amnesty International que le nombre des policiers employés dans ce poste n'avait pas augmenté en vingt ans. Le personnel estimait que le coût du maintien d' un prisonnier dans les cellules de détention était de 1 200 R$5 par mois, et que pas un sou de cette somme n' était dépensé pour l' entretien ou l' amélioration du poste de police lui -même. La sécurité à la Delegacia de Roubos e Furtos est problématique, et les tentatives d' évasion et de rébellion sont courantes. En mars 2001 une tentative d' évasion a fait cinq blessés, quatre détenus et un policier. En 1997 une commission des prisons de l' assemblée législative de l'Etat s'est rendue dans ce commissariat et a conclu que " ...des mesures urgentes doivent être prises en faveur de la dignité Etat, vivent comme des bêtes"6. de ces êtres humains qui, sous la responsabilité de l' Delegacia de Tóxicos 5 Approximativement 500 US$ 6 ‘… que devem ser tomadas urgentes medidas em favor da dignidade de seres humanos que, sob a guarda do Estado, vivem como animais’. Relatório da Comissão Parlamentaria de Inquérito do Sistema Carcerário da ALEMG, 1997. -9-
La Delegacia de Tóxicos enquête sur les questions liées au trafic de drogues illicites et à leur consommation dans l' Etat de Minas Gerais. La majorité des hommes détenus dans ce commissariat sont jeunes ; dans une cellule qui contenait 34 prisonniers, 75% d'entre eux avaient moins de 24 ans. Les tentatives de rébellion et d'évasion sont courantes et Amnesty International a appris que tous les barreaux des cellules avaient été récemment resoudés pour accroître la sécurité. Dans ce poste les prisonniers ne reçoivent aucune assistance officielle sur les plans social, psychologique, médical ou juridique. Selon le personnel, les policiers eux-mêmes sont souvent la seule source de conseil juridique pour les prisonniers. 3. UN SYSTEME EN CRISE Le Rapporteur Spécial de l' ONU sur la Torture a déclaré dans le rapport publié à la suite de sa visite au Brésil : "... les conditions de détention en bien des endroits sont, comme les autorités elles-mêmes le reconnaissent franchement, indignes d' êtres humains. Les pires conditions que le Rapporteur Spécial ait rencontrées avaient tendance à être les cellules des postes de police . .. le fait que les autorités en aient souvent conscience et l' aient averti des conditions qu' il allait 7 trouver ne changeait rien au problème. " Les principales préoccupations identifiées par Amnesty International dans la Delegacia de Roubos e Furtos et la Delegacia de Tóxicos sont présentées dans ce rapport ainsi que les conditions de détention et le surpeuplement chronique “indignes d' êtres humains”. On y décrit aussi la torture systématique des détenus et l' impunité dont jouissent les policiers qui les torturent, l' absence totale de tous soins médicaux, ainsi que les allégations de corruption découlant de signalements concordants caractérisant la manière dont certains fonctionnaires exigent d'être payés pour faciliter des transferts. Dans l'Etat de Minas Gerais, la responsabilité des commissariats est assumée par le Secrétariat à la Sécurité Publique, tandis que celle des prisons revient au Secrétariat à la Justice et aux Droits de l' Homme. Selon des informations reçues par Amnesty International, de meilleures conditions sont maintenues dans les prisons de Minas Gerais mais le prix à payer en est un extrême surpeuplement dans les postes de la police civile tels que la Delegacia de Roubos e Furtos et la Delegacia de Tóxicos . 7 Rapport du Rapporteur Spécial Sir Nigel Rodley, déposé conformément à la résolution 2000/3 de la Commission des Droits de l' Homme. Addendum. Visite au Brésil. 30 mars 2001 E/CN.4/2001/66/Add.2. par. 167. - 10 -
Au cours de plusieurs entretiens avec la police, des ONG et des détenus, Amnesty International a appris que le Secrétariat à la Justice et aux Droits de l' Homme de l' Etat refuse constamment d'accepter le transfert de détenus condamnés depuis les postes de police qui sont sous contrôle du Secrétariat à la Sécurité Publique. Bien que les lois internationales8 et celles du Brésil9 exigent la séparation des prévenus et des condamnés , le Secrétariat à la Justice et aux Droits de l' Homme de l' Etat refuserait d'accepter de nouveaux prisonniers condamnés dans le système pénitentiaire de l' état. Ce refus serait basé sur l' allégation selon laquelle cela conduirait au surpeuplement et ainsi à violer la Lei de Execução Penal, Loi sur l' Exécution des Sentences, qui stipule que les prisonniers condamnés doivent bénéficier d' un espace d' au moins 6 mètres carrés chacun10. Amnesty International a écrit aux autorités de l' Etat pour demander des éclaircissements sur ce point, mais quatre mois après, aucune réponse ne nous est parvenue (voir la lettre à l' Annexe I). Des chiffres officiels du Secrétariat à la Sécurité Publique montrés à Amnesty International en octobre 2001 par un membre du Conselho da Comunidade, Conseil de Communauté, conseil communautaire de surveillance des prisons, montre que la population des prisons de Minas Gerais se situait aux environs de 4 400, tandis que les détenus des postes de police étaient au nombre d' environ 14 772.11 Parmi ces derniers, environ 9 000 étaient des condamnés. Le jour de la visite de l' Organisation, Amnesty International a appris que plus de 200 des 437 détenus de la Delegacia de Roubos e Furtos et environ 70% de la Delegacia de Tóxicos avaient déjà été condamnés. Ces chiffres semblent montrer, comme Amnesty International en a été informé, qu'on protège le système des prisons du surpeuplement en sacrifiant les droits humains de milliers de personnes détenues dans les postes de police dans des conditions effrayantes d'abandon et de violence. Amnesty International a été informée que dans l' Etat de Minas Gerais, il n' existe pas de dispositions permettant de détenir les prévenus dans les conditions prévues par la Lei de Execução Penal. Cela signifie que les prévenus sont détenus dans les postes de police, sous le contrôle du Secrétariat à la Sécurité Publique, au-delà des vingt-quatre heures stipulées par la loi. Les chefs de la police se sont également plaints à Amnesty International qu' en raison des retards judiciaires, des prévenus pouvaient y être maintenus pour des durées beaucoup plus longues que les 81 jours de détention préventive stipulés par la loi. 8 L'Article 10 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques stipule : 2(a) Les prévenus sont, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées. 9 Lei de Execução Penal (Lei N° 7.210 de 11 de Julho de 1984) Art.84; ‘O preso provisório ficará separado do condenado por sentença transitada em julgado.’ Loi sur l' Exécution des Sentences Art. 84 Le prévenu sera séparé du détenu dont l' inculpation a été confirmée par une condamnation au cours d' une procédure judiciaire complète (Trad. non officielle) 10 Lei de Execução Penal Art. 88 – O condenado será alojado em cela individual… área mínima de seis metros quadrados Loi sur l' Exécution des Sentences Art. 88 - Les prisonniers condamnés doivent être détenus dans des cellules individuelles ...[d' ]une surface minimum de 6 mètres carrés (Trad. non officielle) 11 En 1998 Human Rights Watch a signalé que 82% des prisonniers de Minas Gerais étaient détenus dans des postes de police. Human Rights Watch : Behind Bars in Brazil ( ISBN:1-56432-195-9), décembre 1998. - 11 -
Le nombre élevé de détenus présents dans le système pénal n' est pas dû uniquement aux autorités de l'Etat. Dans les deux commissariats, et en particulier à la Delegacia de Tóxicos, la police a insisté sur le fait que l' usage de sentences de plus en plus sévères pour des délits insignifiants, souvent pour usage de drogue, avait directement contribué au nombre excessif de personnes en détention. L' insistance, de la part du bureau du procureur, à poursuivre les petits délinquants, et la réticence de l'appareil judiciaire à recourir à des peines de substitution, a sans aucun doute placé un fardeau insupportable sur le système pénal.12 Ce point de vue est confirmé par les commentaires faits par le Rapporteur Spécial des Nations Unies contre la Torture, qui a conclu après sa visite au Brésil, qu' il n' était pas nécessaire de maintenir en détention de nombreux prévenus et condamnés et qu' ils étaient souvent victimes de chefs d' inculpation exagérés : "...la police, les procureurs, ou même les juges transforment, semble-t-il, librement, des inculpations de vol simple en vol à main armée pour placer de petits délinquants, qui dans de nombreux pays ne seraient même pas condamnés à la prison, en détention pour de longues périodes. De plus, il existe des allégations selon lesquelles la police contraint fréquemment les prévenus à avouer un délit plus grave, même lorsqu' un suspect est prêt à reconnaître une infraction plus légère. La loi semble inciter la police a extorquer des aveux pour des crimes potentiellement plus graves que ceux qui ont été effectivement commis. Cette tendance semble aussi renforcée par des appels constants de la part du public et des politiciens en faveur de mesures plus strictes à l'encontre des criminels. Cette politique n' a pas seulement pour résultat un niveau considérable de privation de liberté sans aucune nécessité, mais contribue aussi au problème du surpeuplement..."13 Les détenus enfermés à l' extérieur à la Delegacia de Tóxicos n' ont aucune protection contre les éléments. 12 Il est à remarquer que le Ministre de la Justice, Aloysio Nunes Ferreira, a récemment annoncé le lancement d' un programme national permettant de progresser dans la mise en oeuvre des peines de substitution. Dans un discours sur les peines de substitution, le ministre a déclaré qu' il était nécessaire de " secouer les conservateurs " qui n' adoptent pas ces mesures contre les petits délinquants. ('O Globo’ 27 février 2002) 13 Rapport du Rapporteur Spécial Sir Nigel Rodley, déposé conformément à la résolution 2000/3 de la Commission des Droits de l' Homme. Addendum. Visite au Brésil. 30 mars 2001 E/CN.4/2001/66/Add.2. par.100. - 12 -
La situation dans la Delegacia de Roubos e Furtos a continué à se détériorer en dépit d' un arrêt pris le 12 novembre 1999 par un juge du tribunal pénal de Belo Horizonte (Vara de Execuções Criminais de Belo Horizonte) qui a limité l' effectif du commissariat à 200 prisonniers au maximum. Suite à la visite, l' année dernière, d' Amnesty International, un nouvel arrêt a été prononcé le 7 novembre 2001 concernant la Delegacia de Tóxicos, qui fixait la capacité maximum de ce local à 80 prisonniers tout au plus. Malgré ces décisions, on n' a pas signalé de réduction notable du surpeuplement. L' Organisation a également reçu des plaintes selon lesquelles les juges et procureurs ne respectaient pas leur obligation légale14 de faire des inspections régulières des cellules où ces prisonniers étaient envoyés. Amnesty International a récemment été informé d' un progrès dans ce sens, puisque les procureurs effectuent maintenant ces visites depuis novembre dernier. Le chef de la police responsable de la Delegacia de Tóxicos a estimé à 80% le nombre des détenus sur place le jour de la visite d' Amnesty International qui n' étaient pas des trafiquants de drogue, mais des usagers ou des petits revendeurs qui avaient été arrêtés en possession de petites quantités de drogue, souvent limitées à leur consommation personnelle. Ce point de vue est confirmé par une opinion exprimée par le Rapporteur Spécial des Nations Unies contre la torture: " selon le Gouverneur de l' Etat de Minas Gerais, plus de 40% des détenus de cet Etat ont été condamnés pour trafic de drogue alors que les ONG et les membres des professions juridiques indiquent que la plupart s' étaient fait prendre avec de très petites quantités de drogue (principalement de la marijuana) considérées comme étant pour leur propre consommation. "15 A la Delegacia de Tóxicos, Amnesty International a rencontré M.F.S., paraplégique, qui a déclaré avoir été condamné à 4 ans et 8 mois pour possession de 50g de marijuana. En 1998, l' ancien chef de la police à la Delegacia de Roubos e Furtos a informé Amnesty International que c'était son intention de maintenir les conditions les plus mauvaises possibles pour forcer les autorités à transférer les prisonniers dans le système des prisons.16 Il semble que cette politique informelle est toujours en vigueur, étant donné que les conditions ont empiré et que les chefs des deux commissariats, qui étaient très désireux de rendre publique la situation, ont insisté à plusieurs reprises sur leur incapacité à améliorer cette situation en raison du refus du Secrétariat à la Justice et aux Droits de l' Homme de prendre en charge les prisonniers condamnés. 14 Lei de Execução Penal Art. 66 (VII) [Compete ao Juiz da Execução:] – inspecionar, mensalmente os estabelecimentos penais, tomando providências para o adequado funcionamento e promovendo, quando for o caso, a apuração de responsabilidade. Loi sur l' Exécution des Sentences Art. 66 [Il appartient au Juge de] - procéder à des inspections mensuelles des établissements carcéraux, et de prendre des mesures pour faire en sorte qu' ils fonctionnent de manière appropriée, et si nécessaire de lancer des enquêtes ( traduction non officielle ). 15 Rapport du Rapporteur Spécial Sir Nigel Rodley, déposé conformément à la résolution 2000/3 de la Commission des Droits de l' Homme. Addendum. Visite au Brésil. 30 mars 2001 E/CN.4/2001/66/Add.2. par.100. 16 "Ici quand on dort, on risque de ne pas se réveiller." Les prisonniers victimes d’homicides, de torture et de mauvais traitement (SF 99 HDH 39), juin 1999, p.29. - 13 -
La surveillance des prisonniers gêne considérablement le travail d' enquête des officiers de la police civile. Les chefs de la police interrogés par Amnesty International l' ont informé qu'entre 60 et 80% des policiers en service à un moment quelconque peuvent être pris par le travail auprès des détenus. Malgré cela, ces policiers ne reçoivent aucune formation officielle pour la surveillance des prisonniers ou le travail dans un centre de détention. Ce grave manque de formation et de ressources, exacerbé par la pression du public sur la police lui demandant de prouver son efficacité dans la lutte contre la criminalité, a créé un climat dans lequel la corruption, les fautes professionnelles et la torture ont pu librement prospérer. Cet état de fait n'a rien de nouveau. En 1996, la Commission Municipale de Belo Horizonte pour les Droits Humains et la Citoyenneté signalait : "La police [de Belo Horizonte] travaille presque exclusivement en dehors du cadre “formel” pour ne pas dire “légal”. Les pratiques arbitraires ...[comprennent] l' usage de la brutalité et la violence physique, le recours aux mauvais traitements et à la torture comme méthodes d' investigation. "17 4. UN PASSÉ DE VIOLATIONS Amnesty International a visité de nombreux commissariats à Belo Horizonte. En 1998, l' Organisation s' est rendue à la Delegacia de Roubos e Furtos et à la Delegacia de Repressão a Furtos e Roubos de Veículos, commissariat spécialisé pour le vol de véhicules. Amnesty International, des représentants de l' ONU, des organisations de défense des droits humains, des commissions municipales et de l' Etat ainsi que des membres de la profession juridique ont relevé des signalements de torture, de mauvais traitements et même de "disparitions" de la Delegacia de Roubos e Furtos depuis de nombreuses années. En 1992 trois prisonniers argentins ont été torturés en garde à vue. L' un d'entre eux, Carlos Fontecillo Bustos, est mort des suites de torture. Le 8 juin 1998, George de Assis et Guillerme Henrique ont été conduits au commissariat pour être interrogés, et des témoins ont certifié qu' ils avaient été torturés. Aucun des deux n' aurait été revu depuis lors. Les autorités de l'Etat ont déclaré qu' ils avaient été transférés dans une prison puis remis en liberté. Le 25 novembre 1998, Wellington da Silva a été arrêté pour interrogatoire et n'a jamais été revu depuis. Deux amis arrêtés avec lui et libérés par la suite déclarent qu'ils ont entendu ses cris, suivis du silence. Sa mère et sa sœur ont attendu toute la nuit devant le commissariat et on les a informées le matin qu' il s' était “ échappé” . 17 Coordenadoria de Direitos Humanos e Cidadania da Prefeitura de Belo Horizonte: “A polícia da capital mineira trabalha quase exclusivamente fora do ‘formalismo’, para não dizer da ‘legalidade’. Procedimientos arbitrários…[incluindo] a prática de brutalidade e violência fisica; maus tratos e tortura aplicados de forma sistemática como instrumento de investigação”. Décrit dans le rapport de Human Rights Watch : Behind Bars in Brazil ( ISBN:1-56432-195-9), décembre 1998. - 14 -
En 1999, des procureurs (du tribunal qui supervise les condamnations à la prison et qui a pour obligation légale de contrôler la police) qui se sont rendus à la Delegacia de Roubos e Furtos ont été agressés lorsqu' ils ont surpris la police en train de torturer des prisonniers confiés à sa garde. Les procureurs ont découvert de nombreux instruments de torture, et notamment des fils électriques utilisés pour administrer des chocs ainsi qu' une barre de métal qui sert de pau de arara, perchoir à perroquet18. Ils ont trouvé un prisonnier, dont la séance de torture avait de toute évidence été interrompue par leur arrivée, portant des marques récentes sur le corps et dix- huit autres prisonniers sur lesquels des signes de torture étaient visibles. Lorsque les procureurs ont commencé à prendre des noms et des notes, les policiers auraient tenté d' inciter les prisonniers à se révolter pour forcer les procureurs a quitter le secteur des cellules. Lorsque les procureurs ont quitté le poste de police, ils ont affronté une volée d' insultes et ils ont été menacés avec des armes à feu. Leur voiture était couverte de graffitis insultants et ses pneus lacérés. Suite à ces faits,le chef de la police de l' époque et 9 policiers ont été suspendus. Dans Behind Bars in Brazil 19, rapport publié en 1998, Human Rights Watch décrit de nombreux cas de torture à la Delegacia de Roubos e Furtos entre 1992 et 1998. Ce commissariat figurait aussi dans le rapport d' Amnesty International sur les prisons du Brésil de 1999, "Ici quand on dort, on risque de ne pas se réveiller." Les prisonniers victimes d’ homicides, de torture et de mauvais traitements (SF 99 HDH 39), qui faisait suite à des dénonciations reçues par des délégués qui s' étaient rendus dans ce commissariat en 1998. Cette année là, Amnesty International a été informée par des détenus qu' ils étaient régulièrement soumis à des séances de torture comprenant des passages à tabac et des chocs électriques, parfois alors qu'ils étaient suspendus au pau de arara . Des détenus ont signalé que les séances de torture se déroulaient dans une pièce carrelée au rez-de-chaussée du commissariat. Le Rapporteur Spécial des Nations Unies contre la Torture qui s' est rendu à la Delegacia de Roubos e Furtos en septembre 2000 a dressé une liste de 43 cas individuels de torture de détenus dans ce commissariat dans un rapport publié après sa visite au Brésil. Amnesty International a cité trois cas individuels de torture et d' extorsion dans ces locaux dans le rapport Brazil: “They Treat us Like Animals”: Torture and ill-treatment in Brazil. Dehumanization and impunity within the criminal justice system (AMR 19/022/2001) publié l' an dernier. 5. CONSTATATIONS D’AMNESTY INTERNATIONAL, Octobre 2001 Torture En octobre 2001, Amnesty International a découvert avec accablement que, à la Delegacia de Roubos e Furtos , les cas signalés de séances de torture et de passage à tabac étaient encore nombreux et concordants. Et ce, en dépit des assurances données par le chef de la police selon lesquelles la torture et les mauvais traitements des détenus dans ce poste appartenaient au passé. Il a rajouté que les cas de blessure occasionnellement signalés dans ces locaux étaient causés 18 La torture au moyen du perchoir de perroquet, dont l' usage a été adopté au Brésil depuis la dictature militaire, consiste à suspendre le prisonnier la tête en bas à un barreau auquel il est attaché par les mains et les chevilles. Dans cette position, le prisonnier est généralement battu ou soumis à des chocs électriques. 19 Human Rights Watch : Behind Bars in Brazil ( ISBN:1-56432-195-9), décembre 1998. - 15 -
par des prisonniers qui se blessaient eux -mêmes dans le but d' être transférés dans un lieu de détention plus supportable. En 1998, les prisonniers avaient indiqué que les séances de torture et les passages à tabac avaient lieu dans une pièce carrelée située au rez-de-chaussée du commissariat. Ces séances de torture comprenaient, selon eux, passage à tabac et chocs électriques. Ils signalaient aussi que les passages à tabac avaient souvent lieu lors de l' arrivée dans le commissariat dans le but apparent de soumettre et d' humilier les nouveaux arrivants. En plus des signalements de torture, les détenus indiquaient que les policiers tiraient régulièrement des coups de feu ou dirigeaient des tuyaux d' arrosage vers l' intérieur des cellules pour punir et terroriser les occupants. Ils ont montré à Amnesty International de nombreux fragments de balles qui selon eux provenaient de celles qui avaient été tirées dans les cellules de cette manière. Selon les détenus, les séances de torture ont lieu dans cette pièce carrelée à la Delegacia de Roubos e Furtos. Amnesty International s' est alarmée d'entendre des allégations selon lesquelles un membre du personnel présent depuis longtemps au commissariat était impliqué dans des séances de torture qui remontaient à 1969. Ce personnage, qui aurait été présent le jour de la visite de la délégation, est cité dans le Projeto Brasil Nunca Mais, Projet Brésil Jamais Plus, comme “ l' une 20 des personnes directement impliquées dans la torture” . Le même membre du personnel a également été cité dans les médias comme ayant participé à des séances de torture dans ce commissariat en 1996 21 et tout récemment en 2001 22. Selon un article publié dans le Jorrnal do Brasil23, cette personne est également le président régional, reconnu officiellement, d' une organisation de volontaires de la police, Escuderie Detetive le Cocq, qui depuis des dizaines d'années est liée à des allégations de participation à des escadrons de la mort et au crime organisé dans plusieurs Etats du Brésil. 20 “ As Torturas” Tomo V, Volume 2 p. 309-311. Projeto Brasil Nunca Mais (www.torturanuncamais-rj.org.br). Ce projet a été lancé en 1985 pour étudier les cas de tortures et établir l' identité des coupables supposés ayant agi sous le régime militaire du Brésil de 1964 à 1985. - 16 -
Dans le contexte de ces allégations, Amnesty International est préoccupée de constater que les méthodes de torture utilisées dans ce commissariat dans les années soixante y seraient encore régulièrement en usage à ce jour. Extrait du ' Rap do Furto'écrit par un détenu à la Delegacia de Roubos e Furtos et remis à Amnesty International : "Boum, boum, ça n' arrête pas, c' est le rap des Furtos et ce qui se passe là. En prison on m' a tant trompé, en plus d' être en prison, on est si humiliés. Voici venir XXXX (il cite un policier), haut comme un cerf-volant, et il fait du mal parce qu'il a perdu la tête. Et voilà XXXX (il cite un policier), qui essaie de se faire respecter, nous amène au perchoir (de perroquet), en croyant qu' il a le droit. Le jour de l' inspection, c'est la terreur totale, une bande d'hommes nus, courant le long du couloir..." “Bumba, bumba sem parar, este é o rap do furto, sobre o que rola lá. Che ganho na cadeia a maior decepção, além de estarmos presos passamos humilhação…La vem XXXX, cheirado e voiado, tirando a maior onda so porque está ferrado. La vem o XXXX querendo impor respeito, tirando nos pro pau, pensando que tem direito. No dia da geral e o maior terror, un monte de homen pelado, correndo no corredor…” A la Delegacia de Tóxicos, Amnesty International a recueilli des dénonciations détaillées et concordantes de torture et de mauvais traitements aux mains d' une minorité de policiers nommément cités qui travaillent dans ce commissariat. De nombreux détenus ont décrit comment ils avaient été passés à tabac dans une pièce appelée ’sala de reconhecimento’, salle d'identification, souvent avec un gourdin enveloppé de caoutchouc qu' ils appelaient la ' cocotada’. Ils ont décrit à plusieurs reprises l' usage de cette arme pour les frapper sur les articulations des bras et des jambes, le dessous du pied et la paume de la main. Certains prisonniers ont aussi informé la délégation qu' en plus d' être battus avec la ' cocotada’, ils avaient été soumis à des séances de torture comprenant l' application de chocs électriques et la semi- asphyxie avec des sacs de plastique. Un autre élément récurrent dans les récits de torture ou de mauvais traitements à la Delegacia de Tóxicos reçus par Amnesty International était le fait que de nombreux détenus parlaient d'enfermement dans des cellules sans fenêtre dans un autre secteur du commissariat qu' ils appelaient ’escuro’, le trou. Ils disaient qu' après les séances de torture et de tabassage, il était courant de conduire les victimes nues dans ces cellules sans aucun meuble et de les laisser là à l' isolement pendant plusieurs jours. Au cours de cette période les détenus se verraient refuser toute nourriture. Lorsqu' Amnesty International a demandé à visiter cet ’escuro’, on lui a montré deux cellules fermées hermétiquement par de lourdes portes de fonte qui ne laissent passer ni la lumière ni l' air, et qui correspondaient à la description donnée par la plupart des détenus. Cependant, lorsque la délégation a demandé aux policiers d' ouvrir ces cellules, elles se sont révélées pleines 21 ‘Policial se considera injustiçado’; Jornal do Brasil 14 octobre 2001 22 ‘Novas denúncias de torturas na Furtos e Roubos’; Estado de Minas 23 mars 2001 23 ‘Policial se considera injustiçado’; Jornal do Brasil 14 octobre 2001 - 17 -
de matériels tels que télévisions, lits, vélos et meubles de classement. Les gardiens ont informé Amnesty International que ces cellules servaient à ranger en sécurité les affaires confisquées sur le lieu des crimes. Les mesures de sécurité en place pour la protection de ces biens, qui sont de faible valeur, dépassaient de loin le niveau de sécurité retenu pour les deux tonnes de drogues interdites stockées dans les locaux. Ces narcotiques étaient enfermés à clé à l' intérieur d' une pièce ordinaire, à porte de bois, à l' intérieur du commissariat, malgré les plaintes de membres du personnel disant que la présence d' une quantité de drogues illégales d'une telle valeur pourrait faire du commissariat une cible vulnérable aux attaques. A la suite de conversations avec des détenus, des ONG et le bureau du procureur, Amnesty International était préoccupée de voir que les prisonniers étaient régulièrement dans l' impossibilité de signaler des cas de torture sans crainte de représailles. Ceux qui le faisaient ne pouvaient que rarement bénéficier d' un examen médical indépendant et privé pour constater leurs blessures. Cependant, Amnesty International a noté et salué la création d' une section spéciale pour les poursuites en matière de droits humains à l' intérieur du bureau du procureur. Malgré une terrible insuffisance en personnel, les membres de la Promotoria de Defesa dos Direitos Humanos, division des droits humains du bureau du procureur, ont lancé de nombreuses poursuites contre la police pour violations des droits humains. Le plus remarquable, selon les chiffres officiels24, est que l' Etat de Minas Gerais a jugé plus d' affaires et prononcé plus de condamnations en vertu de la Loi sur la Torture que n'importe quel autre Etat du Brésil grâce aux efforts des deux procureurs qui travaillent dans ce bureau. Néanmoins, des informations reçues par Amnesty International indiquent que de nombreux cas de torture dans l' Etat de Minas Gerais continuent à passer inaperçus et à ne pas faire l' objet d' une enquête de la police. L'impunité des auteurs est toujours un problème extrêmement aigu, ainsi que les procureurs eux-mêmes l' ont indiqué à Amnesty International. Surpeuplement et conditions de détention cruelles, inhumaines et dégradantes Les Règles Minima des Nations Unies pour le Traitement des Détenus25 exigent : 10. Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent répondre aux exigences de l' hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d' air, la surface minimum, l' éclairage, le chauffage et la ventilation . Le jour de la visite d'Amnesty International à la Delegacia de Roubos e Furtos, 437 détenus étaient présents au commissariat, qui a une capacité officielle de 67 personnes. Le personnel a indiqué que cela signifiait qu' en moyenne, chaque prisonnier disposait d' un espace personnel limité à 60 centimètres carrés. 24 Chiffres du Conseil National des Procureurs de l’Etat [Procuradores-Gerais de Justiça] Zero Hora 19/12/2001. 25 Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Adopté par le Premier Comité des Nations Unies pour la prévention du crime et la lutte contre la délinquance, réuni à Genève en 1955, et approuvé par le Conseil Economique et Social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977. - 18 -
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