BRIEFING Pourquoi les Ministres de la pêche ne doivent pas dépasser les avis scientifiques en matière de quotas - Seas at Risk
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BRIEFING Pourquoi les Ministres de la pêche ne doivent pas dépasser les avis scientifiques en matière de quotas Griffin Carpenter New Economics Foundation En résumé En 2013, il y a eu un grand changement dans les pêcheries européennes ; des centaines d’organisations représentant des millions de citoyens·nnes européens·ennes ont demandé aux décideurs de l’Union européenne d’élaborer une réforme de la Politique Commune de la Pêche (PCP) qui se donne les moyens de garantir sur le long terme la prospérité des océans. La réforme de la PCP, même si elle reste imparfaite aux yeux de certains, a toutefois été accueillie favorable- ment car elle affichait l’ambition de mettre un terme à la surpêche dès 2015 là où c’était faisable et au plus tard en 2020 partout ailleurs. Malheureusement, la mise en œuvre n’a pas suivi, de telle sorte que la plupart des stocks européens sont toujours surpêchés. À quelques semaines de l’échéance de 2020, il faut que les ministres sautent le pas, et il est grand, pour tenir l’échéance. L’inaction passée des ministres de la Pêche a un prix et ce dernier est élevé. À force de retards et de reports, nos minis- tres ont fortement réduit les bénéfices environnementaux et socio-économiques de l’éradication de la surpêche. Si nous avions plus de poisson dans nos eaux, moins de sorties en mer seraient nécessaires pour des volumes de capture identiques, d’où une baisse globale des coûts qui s’intensifierait au fur et à mesure que les stocks se restaureraient et deviendraient ainsi plus facilement accessibles. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, des stocks durables fourniraient également des captures plus abondantes qu’actuellement, ce qui induirait une hausse des revenus de la filière, à l’instar d’intérêts que l’on percevrait sur un compte mieux garni ! Il ne faut pas non plus négliger le fait que mettre un terme à la surpêche et permettre aux populations de poissons de gagner en abondance n’est pas qu’une manière intelligente de gérer une ressource renouvelable ; c’est également un des fonde- ments de la gestion écosystémique. Des populations de poissons florissantes participent à la bonne santé des écosystèmes qui deviennent alors plus résilients aux changements climatiques et à d’autres facteurs de stress comme la pollution. Tout comme le corps humain, un écosystème sain est mieux armé pour faire face aux menaces. En dépit de ces réalités purement factuelles, l’inertie politique a généré une situation dans laquelle de fortes réductions de quotas sont devenues nécessaires pour les stocks qui non seulement ne se sont pas restaurés, mais dont certains se sont dégradés au cours des dernières années. En matière de pêche comme dans d’autres, l’absence de volonté politique et d’action ruine les initiatives de l’UE, notamment les échéances qu’elle fixe pour stimuler l’action. Alors que la PCP stipule 1
que les quotas DEVRONT être durables en 2020, la filière et les ministres des États membres entendent qu’ils DEVRAIENT l’être. Il est particulièrement préoccupant de constater que les quotas en mer Baltique pour 2020 ayant été fixés au-delà des avis scientifiques, des appels à agir de même en Atlantique Nord-Est et en mer du Nord se font entendre. Cette note explique pourquoi ces appels ne doivent en aucun cas être entendus. Un grand changement dans la politique, mais qu’en est-il de la mise en œuvre ? IEn 2013, la PCP a fait l’objet d’une réforme majeure. Après des décennies de surpêche et de gestion chaotique, la nouvelle PCP a été saluée pour sa double ambition : des océans sains pour un secteur d’activité sain. L’engagement de mettre un terme à la surpêche « si cela est possible, en 2015 et pour tous les stocks, progressivement et par paliers, en 2020 au plus tard1 » constitue le cœur de cette réforme. Nous sommes à la veille de 2020, nous avons atteint l’échéance. Avec 40 % des stocks d’Atlantique Nord-Est et 90 % de ceux de Méditerranée et de mer Noire encore en situation de surpêche2, il semble que la célébration était quelque peu prématurée… La plupart des stocks d’espèces commerciales de l’UE sont gérés à l’aide de quotas, des limites maximales de capture. Ces quotas sont répartis entre les États membres sur la base de parts fixes en pourcentage et ces derniers les redistribuent aux organisations professionnelles en vertu des réglementations nationales. Tous les ans, le Ciem (Conseil International pour l’Exploration des Mers) est mandaté pour établir des avis scientifiques sur les volumes de capture compatibles avec la PCP, stock par stock.3 Malheureusement, le Conseil des ministres en charge de la pêche, qui a le dernier mot en matière de fixation des quotas, est allé au-delà des recommandations scientifiques à six reprises depuis la réforme de la PCP alors qu’il ne s’est réuni que dix fois. Alors que se prépare la réunion du Conseil à la mi-décembre, cette pratique, qui confine à l’habitude, doit cesser pour que les objectifs de la PCP soient atteints. Une hausse de l’abondance de vie marine dans des écosystèmes plus résilients : les bénéfices environnementaux de l’éradication de la surpêche En limitant les volumes de capture, les quotas permettent aux populations de poissons de se reproduire et de prospérer. À l’heure où un nombre important de stocks ne se situent plus qu’à une fraction de leur niveau historique, ce système de limitation revêt toute son importance. En effet, la recherche a montré que lorsque les quotas sont fixés en cohérence avec les avis scientifiques, les indices d’abondance suivent.4 ; 5 Un consensus s’est également imposé progressivement autour du constat qu’il est difficile, voire illusoire et impossible, de gérer des populations de poissons indépendamment les unes des autres et qu’il fallait adopter une approche multi-espèce et écosystémique pour bien intégrer les dynamiques des écosystèmes au premier rang desquelles les relations proie/préda- teur. Les études montrent que si on veut capturer certaines espèces à leur RMD, d’autres devront être pêchées en dessous de leur RMD6 ; 7 ; 8, c’est-à-dire en dessous de l’avis scientifique qui constitue alors la limite supérieure à ne pas dépasser pour chacune des espèces considérée individuellement. Mettre un terme à la surpêche et reconstituer les stocks signifierait aussi en finir avec les à-coups incessants de la gestion actuellement en vigueur. Plusieurs d’entre eux étant dans un état de fragilité chronique, pêcher exactement à la limite des avis scientifiques peut comporter un risque de surpêche. C’est ce qui est arrivé récemment à certains stocks importants, à l’instar du cabillaud de mer du Nord9 qui a été certifié avant de se voir retirer sa certification peu de temps après. La pêcherie de hareng en Mer celtique a été fermée en septembre pour cause de captures trop importantes de juvéniles, alors que le quota avait été aligné strictement sur l’avis scientifique.10 Ce problème de hausses suivies de baisses souligne le fait qu’il ne suffit pas de pêcher « à la limite ». Il faudrait faire preuve de plus de discernement (de précaution) quand il s’agit de fixer des quotas, ce qui constituerait une véritable rupture avec l’attitude des ministres en charge de la pêche qui persistent à fixer des limites supérieures aux avis scientifiques. Troisième point essentiel : l’objectif de résilience des écosystèmes. La pêche n’est pas le seul facteur de stress que subissent les océans ; les changements climatiques sont de plus en plus souvent cités alors que les populations de poissons se dépla- cent vers le pôle Nord. Mettre un terme à la surpêche peut contribuer à atténuer ce phénomène en augmentant la résilience globale des milieux marins en les enrichissant, tant en termes de quantité de biomasse que de diversité. Dans un récent article sur les changements climatiques et la pêche11, les auteurs notent que « les poissons ne diffèrent pas tant que cela des hommes; une personne en bonne santé a plus de chances de survivre à une épidémie qu’une autre déjà affaiblie ». 2
Plus de captures et moins de temps passé en mer : les bénéfices socio-économiques de l’éradication de la surpêche Aux politiques de protection de l’environnement, on oppose souvent leur coût. Ce n’est pas le cas ici, puisque les pêcheries européennes opèrent trop souvent sur des ressources renouvelables surexploitées, ce qui constitue une classification unique pour les économistes qui travaillent sur les ressources naturelles. Rendre possible le rétablissement des populations de poissons, c’est augmenter l’abondance et par là même les volumes de capture sur la durée (mieux vaut ne capturer que 10 % d’un stock évalué à 100 000 tonnes que 20 % d’un stock de 20 000 tonnes). Même si cela peut paraître, et à juste titre, contre intuitif, prendre les décisions appropriées au niveau environnemental en protégeant les populations de poissons revient, in fine, à garantir pour le futur des volumes de captures plus conséquents et donc des revenus plus importants pour les pêcheurs et les communautés côtières. Pêcher sur des stocks plus fournis ce n’est pas seulement augmenter les revenus ; c’est aussi diminuer les coûts, car il est plus facile de capturer un même volume sur des stocks abondants et dynamiques en termes de répartition : zones de pêche restreintes et moins de temps passé en mer, ce qui implique moins de consommation de carburant, un poste majeur dans les coûts d’exploitation d’un bateau. Pour cette raison, si on veut maximiser les profits (revenus – coûts), il faut fixer des quotas en dessous des avis scientifiques, ces derniers étant élaborés dans une perspective de maximisation des revenus (indépen- damment des coûts) et non de celle des bénéfices. C’est ainsi qu’en Australie, les pêcheries sont gérées sur la base du « rendement économique maximal », avec des pressions de pêche inférieures au « Rendement Maximal Durable » qui est l’objectif de la PCP.12 Dans un article collectif publié en 201613, les chercheurs montrent que, si elle exploitait des stocks en bon état, la pêche européenne rapporterait 4,6 milliards d’euros au lieu de 0,1 milliard (en 2016). 63 % de cette somme proviendrait de la valeur intrinsèque des captures en volume plus abondant et 37 % de la baisse des coûts d’exploitation. Ce surcroît de bénéfice pourrait être affecté aux profits, aux salaires sur les emplois existants ou à la création de nouveaux emplois en fonction de la structure des pêcheries et des choix en matière de politique sociale. D’autres études ont estimé qu’à l’échelle européenne, en pêchant au RMD (et pas au-dessus), le gain en emplois nets s’élèverait à 20 000.14 Quelle que soit l’affectation de ces gains futurs, ils ne seront possibles que si les populations de poissons sont gérées de manière durable. Dans leur article, les auteurs transcrivent ce potentiel économique en scénarios de fixation des quotas. Ils concluent qu’« en retardant la mise en œuvre du RMD de 2016 à 2020, on a perdu 31 % du bénéfice potentiel du RMD » comme l’illustre la figure 1. Figure 1: bénéfices cumulés de trois scénarios d’atteinte du RMD intégrant trois hypothèses liées aux coûts (2016-2035) 120 108,9 100 93,5 77,2 Bénéfices cumulés € 80 60 40 20 0 Source : Calculs réalisés à partir des hypothèses de coûts proportionnels issues de l’article cité en note 13. Une autre étude situe cette transition des pêcheries européennes en termes d’investissements ; elle établit que les ministres européens de la pêche, en fixant les quotas comme ils le font actuellement, font réaliser à l’ensemble de la société un manque à gagner compris entre 10 % et 200 % (suivant les espèces) par rapport à ce que la pêche pourrait devenir dans le futur. Il est à noter que cette conclusion selon laquelle plus la transition est rapide, plus les bénéfices induits sont importants, converge avec celles d’autres travaux menés sur des pêcheries non-européennes.15 Paradoxalement, alors qu’il a été montré que l’exploitation durable des ressources halieutiques avait pour conséquence l’augmentation des revenus et la diminution des coûts, les ministres évoquent systématiquement « l’impact socio-économique » comme raison pour dépasser les avis scientifiques. Malheureusement, ces déclarations ne sont que rarement argumentées et documentées et quand, par chance, une évaluation est fournie, elle se résume à une « étude d’impact » simpliste qui se 3
contente de multiplier la baisse de quota proposée dans les avis scientifiques par le prix des débarquements. Le ou la ministre peut alors tranquillement tourner le dos à la science… Cette approche est, en fait, sérieusement erronée. Dans le cas le plus fréquent, la baisse de quota se traduit par une diminution des captures mais aussi par celle des coûts induits. A minima, une étude d’impacts devrait porter à la fois sur les effets négatifs ET positifs d’une décision, et non pas simplement sur les premiers. En économie, quand on veut évaluer une décision, on s’attache à estimer les coûts et les bénéfices à moyen terme, a fortiori quand il s’agit d’examiner un changement d’orientation progressif. Le raisonnement tenu par les ministres confine à l’absurde : si, pour évaluer les impacts socio-économiques de la fixation des quotas, on se limitait à multiplier des volumes de capture par des prix en criée, les quotas devraient augmenter à l’infini, de manière à « maximiser » la valeur… La figure 2 montre en parallèle les changements de quotas proposés par la Commission pour la mer du Nord et l’Atlantique Nord-Est et les potentialités du RMD. Il apparaît clairement que, dans la majorité des cas, la valeur en régime RMD est plusieurs fois supérieure au nombre de cas dans lesquels une baisse des quotas est proposée (10,3 fois en moyenne). Ces valeurs sous RMD sont reprises en annexe A. Figure 2 : Propositions de changement de TAC (Total autorisé de capture) et potentialités du RMD 1500% 1300% 1100% 900% 700% 500% 300% 100% -100% 0) a) ) k) c) ) 0) ) ) 4) ) 0) 4) ) 2) k) 0) 0) ) ) ) c) ) ) ) a) ) ) 0) 4) 4) ) ) 0) a) ) a) 0) (9 -14 (7 ,4 ,4 14 5b ,7 de 8 de de ,7 ab (7 de fg (8 7b hj hj (7 (7 (7 (7 -3 1 1 ,1 1 ,1 1 1 1 a, a, a, a, 7, (7 ,6 6 e e 3a 2a d (8 ab (7 ab ab 2, (2 9, 9, 9, 9, 9, 9, (7 (7 (9 ,9 a, 22 ud ie g (2 (2 (2 (2 d un fin in ar 6, S, b, ie ,1 (5 en ar t( ie (6 le (8 (8 (8 8, e, c, c, c, d 8, le ie Pl rd a, (8 e ch r( le (5 lla e lu le e Pl ja ,7 ar b a Pl bo So (8 (8 (8 ch cd tin So Pl (2 e ol in ar Ca ud lu e k, k, ie Ég (6 er su So in ie e bi eu 6 ch in e in rd -s in - lu ie e H er r (8 b- us un gl ud eu M Ch Pl ,e lla Tu Ca nt g b, in rd a, in de Li Ch er ro Ca (7 M an en go bc le ja lla (5 ge bi rd bl (3 Ch Ca M ud an So fin -s Ca ar (7 eu n Ca bi lu ue ar lu on La Ba m le H Ca er ud er Li ng e Li Ég ss M nd M lla Li i Po ra bi Ca G Variation 2020 Variation du RMD Sources : European Commission. (2019). Commission proposes fishing opportunities in the Atlantic and North Sea for 2020. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_19_6151 and Froese, R. et al. (2016). Exploitation and status of European stocks. Madrid: Oceana. https://eu.oceana.org/en/our-work/froese-report/overview Note: Pour les stocks correspondant à plusieurs TAC, les conversions ont été faites par rapport aux TAC courants à partir d’une péréquation entre TAC, comme dans l’article de Guillen et al paru en 2016 (cf. note 13). Une étude d’impacts ne devrait jamais se contenter de mesurer les bénéfices et les coûts et de proposer des échéances et un calendrier ; elle devrait également prendre en compte les variations de prix (par exemple si la baisse de quotas se traduit par une hausse des prix en raison de la rareté de l’espèce concernée), celle des coûts variables (résultant par exemple de la baisse du nombre des jours de mer) et la situation économique de la flotte (avec un taux de marge de 26 %, la pêche européenne est bien mieux lotie que d’autres secteurs d’activité).16 Assez de « devrait », venons-en au « doit » : l’obligation de mettre un terme à la surpêche Les arguments environnementaux et socio-économiques indiquent clairement que plus tôt on agit, mieux c’est et qu’on est vite rattrapé par le temps au point qu’il devient trop tard pour agir efficacement. Malheureusement, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. À quelques semaines de l’échéance de 2020, il n’y a plus d’autre option (si toutefois il en a jamais 4
existé une) que de suivre les avis scientifiques. L’échéance de la PCP n’est pas une recommandation ; c’est une obligation qui l’emporte sur toute autre considération. Organiser des élections est également une obligation, même si, pour diverses raisons, le contexte peut ne pas faire les affaires de ceux qui sont chargés de les organiser. Dans le même ordre d’idée, une étude d’impact, si elle est bien réalisée, peut aider un décideur à comprendre l’intérêt qu’il y a à fixer des quotas inférieurs à ceux qui correspondraient au RMD et surtout pourquoi il serait totalement irresponsable de les fixer au-delà de la limite légale. Pour un ministre, le simple fait de s’interroger, ne fût-ce que sur l’éventualité de fixer des quotas supérieurs aux avis scienti- fiques, signifie qu’en fait il choisit délibérément d’ignorer la réglementation. En soi, le fait d’envisager de reporter les échéances constitue déjà un curieux message ; mais se mettre en situation de décider de tourner le dos à la réglementation revient à se situer à un haut niveau d’irresponsabilité, ce qui est autrement plus grave. Reporter en permanence l’action à plus tard, c’est -à-dire à une échéance où il devient « trop coûteux » d’agir, génère un risque moral en ce sens que des risques excessifs peuvent être pris (par exemple en fixant des quotas irréalistes) en sachant pertinemment que les coûts seront supportés par d’autres. Si l’échéance de 2020 n’est pas respectée, pourquoi les autres piliers de la PCP (contrôle, mesures techniques, marchés…) le seraient ils? Et qu’en est-il des autres politiques intégrées de l’UE ? Il y a fort à parier que d’autres secteurs d’activité fortement impactés par les politiques européennes observent avec attention les péripéties de la PCP, dont les implications dépassent très largement les questions de pêche et de quotas. Pour le calcul des quotas, ce n’est pas juste une question de taille de la part de gâteau : ce que la transition va changer dans les États membres En fixant des quotas supérieurs aux avis scientifiques, les ministres de l’UE en charge des pêches permettent à la surpêche de se perpétuer. Ils n’ont pas seulement retardé la restauration des stocks et mis en danger les écosystèmes marins ; ils ont aussi fait perdre aux pêcheurs et à l’ensemble des citoyens·ennes européens·ennes, ceux et celles-là même qui avaient soutenu les ambitions de la réforme de 2013, les bénéfices en termes d’emploi et de revenus liés à des pêcheries saines. En cela, ils ont failli à leur mandat. Retarder les baisses de quotas jusqu’à la fin du processus de transition est aussi irresponsable que de les décréter sans en analyser les conséquences. La pêche, c’est aussi et surtout la source de revenus de communautés côtières qui en sont forte- ment dépendantes. Les gouvernements des États membres doivent donc prévoir les dispositions pour que la transition soit juste. Premier point : l’accès à la ressource. Trop souvent noyée dans la discussion sur la taille du gâteau (les quotas), la question de la répartition de ces quotas reste la grande oubliée de la PCP. C’est aux États membres de partager ces tonnages, qui acquièrent dès lors le statut de ressource publique, entre leurs pêcheries. Ainsi, à l’instar de la Norvège17, ils pourraient, lors de la phase de baisse des TAC, llouer une large part des quotas à la petite pêche côtière pour éviter l’effondrement de ce segment de flotte, avant de procéder ultérieurement au rééquilibrage entre flottilles quand les stocks se seront redressés. Deuxième axe : le revenu des marins. Dans la pêche, la vulnérabilité n’est pas un ressenti qui ne serait que global à l’échelle des pêcheries ; il fait aussi partie du quotidien des marins. Ces derniers sont rémunérés sous la forme d’une part des bénéfices du bateau, ce qui signifie que les revenus augmentent avec les capture, mais aussi qu’une mauvaise journée peut leur rapporter une somme dérisoire, voire aucun salaire. Ce système est un choix et non une fatalité ; la Belgique a adopté une loi garantissant un salaire minimum aux marins, quel que soit le volume de captures et les marins belges gagnent environ le double de ce que gagnent leurs homo- logues européens18. Les autres États membres feraient bien de s’inspirer de cet exemple pour garantir les revenus des marins, a minima pendant la période de transition. Troisième piste à explorer : le rôle des États en matière d’investissement dans la durabilité du secteur. Leur intervention est particulièrement nécessaire pendant le début de la période de transition, quand les quotas seront à la baisse. À cette fin, il est utile de rappeler que plusieurs milliards d’euros sont disponibles dans le Feamp (Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche). Pour orienter leurs investissements, les États membres devraient recourir à l’expé- rience des pêcheurs ; leur connaissance de la mer est trop peu utilisée pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes marins ; des programmes d’investissement réellement structurants devraient émerger du partage de connaissances et de visions et des regards croisés des différentes parties prenantes. 5
Que peut-on attendre de la réunion du Conseil de la mi-décembre ? Les 16 et 17 décembre, les ministres en charge de la pêche de tous les États membres de l’UE vont fixer les quotas pour 2020 en Atlantique Nord-Est et en mer du Nord. De cette réunion, ainsi que des négociations sur les stocks partagés avec la Norvège et d’autres pays tiers qui l’ont précédée, dépend la réussite ou l’échec de la réforme de la PCP quant à son objectif de mettre un terme à la surpêche dans les eaux de l’UE. Ne pas atteindre cet objectif constituerait une déception et une frustration pour les millions de citoyens·nnes qui se sont mobilisés·ées sur la réforme. Et n’oublions pas qu’en mer, ce sont les pêcheurs qui dépendent de la durabilité de leur activité, et donc de celle des quotas qui seront fixés. Étant donné que dans la plupart des pays qui pratiquent la gestion par quotas, les pêcheurs perdent leur part du « gâteau » national s’ils ne le consomment pas totalement, il est d’autant plus impératif que les ministres s’alignent sur les avis scientifiques. Dans le cas inverse, et pour ne pas la perdre, les pêcheurs captureraient la totalité de leur part, même si le quota était trop élevé pour la capacité des écosystèmes à produire la biomasse correspondante. Ils seraient ainsi contraints de participer à l’intensification de la surpêche sur des stocks déjà fragilisés. Dans cette dernière ligne droite avant l’échéance de 2020, les ministres sont dans une position difficile. Ils ne peuvent plus corriger les errements du passé et sont obligés à ne penser qu’à l’avenir. Leur héritage ne dépend plus que de ce sprint final avant la ligne d’arrivée et nous serons nombreux·ses à observer la course avec le plus grand intérêt, en espérant que nos attentes ne seront pas, une fois de plus, déçues. 6
Annexe A Tableau 1 : Propositions de changement de TAC et potentialités du RMD Proposition Variation Variation TAC 2019 pour 2020 RMD à Stock (tonnes) (tonnes) long terme 2020 du RMD Cabillaud (7bc,e-k, 8, 9, 10) 1,610 189 8,546 -88% 431% Cabillaud (7a) 807 257 9,706 -68% 1103% Chinchard (9) 94,017 46,659 30,710 -50% -67% Sole (7hjk) 382 213 548 -44% 43% Sprat (7de) 2,637 1,506 4,577 -43% 74% Chinchard (8c) 18,858 11,179 42,005 -41% 123% Chinchard (2-14) 119,118 70,617 255,964 -41% 115% Sole (8cde, 9, 10) 1,072 643 1,131 -40% 6% Lieu jaune (7) 12,163 7,298 7,294 -40% -40% Cabillaud (2a, 3a, 4) 24,433 17,103 275,129 -30% 1026% Limande-sole (2a, 4) 7,874 5,580 6,773 -29% -14% Turbot (2a, 4) 8,122 5,876 4,376 -28% -46% Langoustine (9, 10) 401 309 1,412 -23% 252% Merlu (2a, 4) 4,994 3,940 2,938 -21% -41% Merlu (5b, 6, 7, 12, 14) 79,762 63,325 47,094 -21% -41% Merlu (3a, sub 22-32) 4,286 3,403 2,518 -21% -41% Plie (7hjk) 109 87 288 -20% 164% Merlu (8c, 9, 10) 9,258 7,406 20,974 -20% 127% Plie (8, 9, 10) 395 316 1,590 -20% 303% Cabillaud (6a, 5b) 1,735 1,388 17,055 -20% 883% Grande argentine (5, 6, 7) 4,661 3,729 15,790 -20% 239% Merlu (8abde) 52,118 42,235 31,396 -19% -40% Hareng (6a S, 7bc) 1,630 1,360 23,754 -17% 1357% Églefin (7a) 3,739 3,156 3,856 -16% 3% Poisson-sanglier (6, 7, 8) 3,739 19,152 89,359 -12% 309% Plie (7de) 21,830 9,114 12,417 -12% 20% Lieu jaune (8abde) 10.354 1,334 1,983 -10% 34% Plie (7a) 1,482 2,790 2,646 -9% -14% Lingue bleue (5b, 6, 7) 3,075 11,150 11,417 -5% -3% Sole (8ab) 11,778 3,666 5,220 -5% 35% Baudroie (8c, 9, 10) 3,872 4,023 4,844 -3% 16% Sole (2a, 4) 4,166 12,317 26,788 -2% 113% Cardine (2a, 4) 12,555 2,922 5,542 1% 92% Cardine (7) 2,887 18,732 17,324 3% -4% Cardine (8abde) 18,132 1,794 1,714 5% 1% Cardine (8c, 9, 10) 1,872 2,089 2,652 12% 42% 7
Hareng (7a) 6,896 8,064 12,512 17% 81% Sole (7e) 1,242 1,478 9,706 -68% 1103% Plie (7fg) 1,662 7,003 3,145 19% 153% Églefin (7b-k, 8, 9, 10) 8,329 10,859 1,147 -30% -83% Sole (7fg)) 1,009 1,528 1,012 51% 0% Langoustine (2a, 4) 22,103 22,077 NA 0% NA Chinchard (4b, 4c, 7d) 15,179 13,763 NA -9% NA Lieu jaune (9, 10) 282 254 NA -10% NA Lieu jaune (8c) 231 208 NA -10% NA Merlan (8) 2,540 2,203 NA -13% NA Hareng (5b, 6a N, 6b) 4,170 3,480 NA -17% NA Plie (Kattegat) 1,705 1,141 NA -33% NA Lingue bleue (3a) 8 5 NA -38% NA Lingue bleue (2, 4) 53 32 NA -40% NA Lieu jaune (5b, 6, 12, 14) 397 238 NA -40% NA Lingue bleue (12) 229 137 NA -40% NA Baudroie (7) 32,999 35,299 NA 7% NA Baudroie (8abde) 8,371 9,008 NA 8% NA Sole (3a, sub 22-24) 502 533 NA 6% NA Sole (7a) 414 457 NA 10% NA Sources : European Commission. (2019). Commission proposes fishing opportunities in the Atlantic and North Sea for 2020. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_19_6151 and Froese, R. et al. (2016).Exploitation and status of European stocks. Madrid: Oceana. https://eu.oceana.org/en/our-work/froese-report/overview Note : Pour les stocks correspondant à plusieurs TAC, les conversions ont été faites par rapport aux TAC courants à partir d’une péréquation entre TAC, comme dans l’article de Guillen et al paru en 2016 (cf. note 13). References 1. Le point de référence de la PCP, qui est aussi celui du Ciem (Conseil International pour l’Exploration des Mers), est le suivant : la mortalité par pêche doit être inférieure à celle permettant d’atteindre le Rendement Maximal Durable (RMD), le plus important volume de capture pouvant être capturé sur la durée sans que la capacité du stock à se régénérer soit impactée. 2. Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (2019). Monitoring the performance of the Common Fisheries Policy (STECF-Adhoc-19-01). Luxembourg : Publications Office of the European Union.https://stecf.jrc.ec.europa.eu/reports/cfp-monitoring 3. Carpenter, G., Heisse, C. (2019). Landing the blame: Overfishing in the Northeast Atlantic 2019. London : New Economics Foundation. https://neweconomics.org/2019/02/landing-the-blame-overfishing-in-the-north-atlantic-2019 4. Nimmo, F., Cappell, R., & Lowe, A. (2016). Management works : The benefits of ending overfishing. Report produced by Poseidon Aquatic Resource Management Ltd for The Pew Charitable Trusts. https://consult-poseidon.com/fishery-reports/Poseidon_Management%20Works%20Nov_2016.pdf 5. Zimmerman, F. & Michael Werner, K. (2019). Improved management is the main driver behind recovery of Northeast Atlantic fish stocks. Frontiers in Ecology and the Environment 17 (2): 93-99. https://consult-poseidon.com/fishery-reports/Poseidon_Management%20Works%20Nov_2016.pdf 6. Thorpe, R.B., Jennings, S., and Dolder, P.J. (2017). Risks and benefits of catching pretty good yield in multispecies mixed fisheries. ICES Journal of Marine Science, 74(8), pp. 2097 –2106. https://academic.oup.com/icesjms/article/74/8/2097/3787892 7. Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (STECF). (2015). Evaluation of multiannual plan for the North Sea demersal stocks. Luxembourg : Publications Office of the European Union. https://stecf.jrc.ec.europa.eu/documents/43805/969556/2015-05_STECF+1504+-+NSMAP_JRCxxx.pdf 8. ICES. (2015). EU request to ICES to provide FMSY ranges for selected North Sea and Baltic Sea stocks. ICES. https://www.ices.dk/sites/pub/Publication%20Reports/Advice/2015/Special_Requests/EU_FMSY_ranges_for_selected_NS_and_BS_stocks.pdf 9. Smithers, S. (2019). North Sea cod to lose sustainability 'blue tick' as fish population falls. The Guardian. https://www.theguardian.com/food/2019/sep/25/uk-supermarket-sales-of-north-sea-cod-may-stop-next-year 10. Siggins, L. (2019). Minister Creed closes Celtic Sea herring fishery. Irish Examiner. https://www.irishexaminer.com/breakingnews/ireland/minister-creed-closes-celtic-sea-herring-fishery-951882.html 11. Sumaila, U.R., Tai, T.C. (2019). Ending overfishing can mitigate impacts of climate change. Vancouver: Institute for the Oceans and Fisheries. https://consult-poseidon.com/fishery-reports/Poseidon_Management%20Works%20Nov_2016.pdf 12. Dichmont, C. M. et al. (2010). On implementing maximum economic yield in commercial fisheries. PNAS 107(1): 16-21. https://www.pnas.org/content/pnas/107/1/16.full.pdf 13.Guillen, J. et al. (2016). Sustainability now or later? Estimating the benefits of pathways to maximum sustainable yield for EU northeast Atlantic fisheries. Marine Policy 72: 40-47. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/s0308597x1630149x 14.Carpenter, G. & Esteban, A. (2015). Managing EU Fisheries in the Public Interest. London: New Economics Foundation. http://www.neweconomics.org/publications/entry/managingeu-fisheries-in-the-public-interest 15.Benson, A. et al. (2016). An evaluation of rebuilding policies for US fisheries. PLOS ONE 11(1). https://doi.org/10.1371/journal.pone.0146278 16.Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (2019). The 2019 Annual Economic Report on the EU Fishing Fleet (STECF 19-06). Luxembourg: Publications Office of the European Union. https://ec.europa.eu/jrc/en/publication/scientific-technical-and-economic-committee-fisheries-stecf-2019-annual-economic-report-eu-fishing 17.Carpenter, G. (2019). Fishing quotas: it’s not just the size of the pie. London: New Economics Foundation. https://neweconomics.org/2019/09/fishing-quotas-its-not-just-the-size-of-the-pie 18. Ibid. 8
Annexe B Figure 3 : Subdivisions des zones 27 et 37 de la FAO Source: European Commission. (2019). Retrieved from: https://ec.europa.eu/fisheries/sites/fisheries/files/docs/body/fishing_areas_en.pdf Dénomination des sub divisions des zones 27 et 37 ATLANTIQUE NORD-EST Subarea I Barents Sea Subarea II Norwegian Sea, Spitzbergen, and Bear Island Division II a Norwegian Sea Division II b Spitzbergen and Bear Island Subarea III Skagerrak, Kattegat, Sound, Belt Sea, and Baltic Sea; the Sound and Belt together known also as the Transition Area Division III a Skagerrak and Kattegat Division III b,c Sound and Belt Sea or Transition Area Division III b (23) Sound Division III c (22) Belt Sea Division III d (24-32) Baltic Sea Subarea IV North Sea Division IV a Northern North Sea Division IV b Central North Sea Division IV c Southern North Sea Subarea V Iceland and Faroes Grounds Division V a Iceland Grounds Division V b Faroes Grounds Subarea VI Rockall, Northwest Coast of Scotland and North Ireland, the Northwest Coast of Scotland and North Ireland also known as the West of Scotland Division VI a Northwest Coast of Scotland and North Ireland or West of Scotland Division VI b Rockall Subarea VII Irish Sea, West of Ireland, Porcupine Bank, Eastern and Western English Channel, Bristol Channel, Celtic Sea North and South, and Southwest of Ireland - East and West 9
Division VII a Irish Sea Division VII b West of Ireland Division VII c Porcupine Bank Division VII d Eastern English Channel Division VII e Western English Channel Division VII f Bristol Channel Division VII g Celtic Sea North Division VII h Celtic Sea South Division VII j South-West of Ireland - East Division VII k South-West of Ireland - West Subarea VIII Bay of Biscay Division VIII a Bay of Biscay - North Division VIII b Bay of Biscay - Central Division VIII c Bay of Biscay - South Division VIII d Bay of Biscay - Offshore Division VIII e West of Bay of Biscay Subarea IX Portuguese Waters Division IX a Portuguese Waters - East Division IX b Portuguese Waters - West Subarea X Azores Grounds Subarea XII North of Azores Subarea XIV East Greenland Division XIV a North-East Greenland Division XIV b South-East Greenland 10
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