Cahiers et classeurs d'élèves : traces de construction de savoirs enseignants
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Actes du Colloque international francophone « Expérience 2012 » Expérience et Professionnalisation dans les champs de la formation, de l’éducation et du travail ; état des lieux et nouveaux enjeux – Lille (France) 26, 27, 28 septembre 2012 Cahiers et classeurs d’élèves : traces de construction de savoirs enseignants Aurore PROMONET-THERESE, laboratoire CEREP EA 4692, Université de Reims-Champagne-Ardenne Résumé Cahiers et classeurs de français sont à la fois objets didactiques, pédagogiques et professionnels. L’enseignant en choisit a priori le contenu, la forme et les modalités de mise en œuvre, et en adapte le schéma prédéfini au fil des interactions dans sa classe. Nous avons exploré ces choix dont nous savons qu’ils ne sont pas orientés par les instructions officielles. Afin d’élucider ce qui oriente l’activité effective de l’enseignant de français lorsqu’il conduit la construction de la trace écrite du travail de la classe, nous avons mené une recherche compréhensive alliant d’une part des concepts liés à la didactique du français : interaction langagière à fonction didactique (Halté, 1992) et communauté discursive(Bernié, 2002) et d’autre part les concepts de genre et de style en analyse de l’activité (Clot et Faïta, 2000) mais aussi ceux de modèle cognitif et de modèle opératif du métier en didactique professionnelle (Pastré, 2006). Nous avons procédé à l’enregistrement vidéoscopique de quatre séances, plus précisément de séances de lecture en classes de sixième, en début de troisième trimestre, de façon à assurer un corpus homogène. La méthodologie choisie a permis de privilégier le point de vue intrinsèque. En effet, chaque enseignant a été remis en situation par confrontation à l’enregistrement vidéoscopique de son activité et s’est prêté à un entretien d’auto-confrontation simple. Les séances observées et filmées et les entretiens ont fait l’objet d’une transcription systématique et chronologique. Enfin, chaque script d’entretien d’auto- confrontation a été associé au script de la séance correspondante. Les données ainsi organisées ont mis en relief les correspondances entre pratique observable et observée de chaque enseignant et discours sur cette pratique. L’ensemble a fait l’objet d’une analyse de contenu. Il apparait dans les résultats de notre recherche que l’enseignant construit sa pratique professionnelle en la jalonnant à l’aide de ses connaissances de la didactique de sa discipline (connaissances théoriques issues essentiellement de sa formation initiale), mais aussi de la connaissance de ses élèves et du versant pragmatique de son métier (connaissances acquises au fil son expérience). Ainsi avons-nous constaté que notre corpus manifeste des régularités dans les pratiques enseignantes mais aussi des différences selon les enseignants. Fort de ses connaissances initialement acquises, de ses connaissances théoriques et de ses savoirs d’expérience, l’enseignant construit sa pratique professionnelle en classe. Mots clés : activité - pratique enseignante - trace écrite – modèles – expérience
Les cahiers et les classeurs sont des supports des activités réalisées en classe et ils témoignent du travail effectué. L’enseignant est responsable des écrits qui y figurent : il en dirige la composition et en garantit la pertinence. La présente communication vise à comprendre l’activité de l’enseignant lorsqu’il dirige la rédaction de cet écrit à partir de l’observation et de l’enregistrement vidéoscopique de quatre classes de sixième (première année d’enseignement secondaire), en séance de français et d’entretiens d’auto- confrontation simples. Après une présentation du contexte de notre recherche, nous exposerons notre problématique, notre cadre conceptuel puis notre méthode de recueil de données. Nous évoquerons enfin les résultats qui permettent une meilleure compréhension de l’activité enseignante à travers le prisme de la trace écrite. Contexte de notre recherche La trace écrite scolaire dans trois disciplines scolaires Dans le cadre d’un groupe de recherche formation (GRF « Traces écrites », 2009-2011, IUFM de Reims Champagne-Ardenne, laboratoire CEREP composé d’enseignants de collège de trois disciplines scolaires : français, Sciences de la Vie et de la Terre et histoire-géographie), ayant pour objectif de comprendre la nature du travail des enseignants, nous avons étudié les programmes les plus récents concernant ces trois disciplines et nous avons analysé des traces écrites réalisées en classe. En outre, nous avons enrichi notre corpus du recueil des conceptions qu’ont 123 enseignants de la trace écrite. Nous avons alors constaté que les enseignants disent accorder une grande importance à la trace écrite, importance qui contraste avec la place qui lui est diversement accordée dans les textes institutionnels. Notre travail d’équipe nous a conduits à conclure que les enseignants attribuent de nombreuses fonctions à la trace écrite. Le contraste entre d’un côté la multitude des fonctions (diversement représentées d’une discipline à l’autre et même d’un enseignant à un autre) et, d’un autre côté, la diversité des prescriptions disciplinaires oblige l’enseignant à procéder à des arbitrages et, par voie de conséquence, est source de tensions et de conflits professionnels (Niclot, Philippot, 2011). Le travail que nous présentons a été mené en parallèle avec ce projet d’équipe encore en cours. La trace écrite scolaire en didactique La littérature scientifique se consacre peu à la trace écrite scolaire. Cette
faible prise en considération peut s’expliquer par l’ambiguïté de son statut. En effet, elle est à la fois texte, production cognitive et langagière, moment de classe et pratique professionnelle. Elle est liée à la fois au travail de l’élève et à celui de l’enseignant, si bien qu’elle semble considérée comme un sous-produit de l’activité enseignante : elle peut apparaître comme un document de travail, sans grand intérêt, difficile à collecter et à analyser en raison de la variété des angles d’approche possibles. En 2000, Chartier et Nonnon, déploraient que des supports didactiques tels que le tableau noir, le cahier ou le classeur ne soient pas traités comme objets de recherche légitimes alors qu’ils ont une présence forte dans le quotidien du travail de l’enseignant et qu’ils peuvent recouvrir des enjeux pragmatiques, pédagogiques et cognitifs. Toutes deux ont recouru au cadre conceptuel de l’analyse du travail pour appréhender leur objet. Dans l’ensemble, cahiers et classeurs ont davantage fait l’objet d’études centrées sur les apprentissages des élèves que sur les pratiques enseignantes. En outre si certaines analyses se sont penchées sur le lycée, le plus grand nombre s’est intéressé à l’école primaire. Ainsi, par exemple, Dancel (2000) a procédé à une présentation diachronique du cahier de l’élève, à l’école primaire, tandis que Rouxel et Pottier (2005) ont étudié la trace écrite sous l’angle de la didactique de la littérature, en référence à la génétique textuelle, notamment dans l’enseignement secondaire. Chartier étudie ces supports en lien avec les pratiques enseignantes. En 2000, dans un article « Cahiers et classeurs : les supports ordinaires du travail scolaire », elle montre qu’à l’école primaire, ces supports didactiques servent l’organisation pratique et chronologique du travail de l’élève mais qu’ils soulèvent aussi les problèmes professionnels auxquels l’enseignant doit faire face. Elle montre qu’il doit arbitrer en tenant compte de l’hétérogénéité de ses élèves, afin d’équilibrer travail oral et écrit, rythmes individuels et avancée collective du travail scolaire. Elle précise enfin : « Vitrines du travail de la classe, les supports d’écriture témoignent « publiquement » du travail de l’élève (les exercices achevés ou inachevés, bien ou mal réussis) autant que de celui du maitre (quantité des exercices écrits en classe, choix des activités, exigences de la présentation, annotations et corrections). » (Chartier, 2000, p. 137) En 1999, dans un article intitulé « Un dispositif sans auteurs, cahiers et classeurs à l’école primaire », elle définit les cahiers et classeurs en référence aux pratiques enseignantes puisqu’elle les désigne comme des « dispositifs », concept emprunté à Pierre Bourdieu (Chartier, 1999, p. 209).
Nonnon (2000) étudiant l’utilisation du tableau noir (support intermédiaire entre interactions orales et écrits consignés dans les cahiers) aborde « la double logique temporelle, de planification et d’improvisation » de l’activité enseignante. Elle précise que l’enseignant « s’appuie sur une planification d’ensemble et des routines qui sous-tendent la cohérence de ses interventions dans des scénarios prévus, mais aussi sur une activité d’interprétation de ce que proposent les élèves, et sur des prises de décision dans l’instant, toujours risquées, même si elles sont microscopiques. » (Nonnon, 2000, p. 85) Problématique Objet de recherche Notre recherche vise donc la compréhension de ce qui oriente l’activité effective de l’enseignant de français au collège, lorsqu’il conduit la construction de la trace écrite du travail de la classe. Dans cette situation, l’activité enseignante se situe entre didactique (choix des contenus), pédagogie (gestion des relations maitre-élèves) et contraintes professionnelles (dilemmes à résoudre face à des contraintes d’ordre matériel, temporel et humain). Tout élève a son classeur ou son cahier de français et pourtant, les instructions officielles ne mettent guère cette forme scolaire d’écriture en avant. Elles n’évoquent l’expression « trace écrite » que tardivement pour le collège (Bulletin officiel spécial N°6 du 28 août 2008) et uniquement à propos des classes de sixième et de troisième. Aucune autre expression ne désigne ces écrits dans les textes ministériels. La trace écrite y est associée à l’enseignement de l’expression écrite et y est évoquée comme un écrit de « synthèse ». Les prescriptions font peu cas de l’interaction en classe. Pourtant, une grande part de l’activité de l’enseignant consiste spécifiquement à construire cet écrit, d’une part en fonction des programmes scolaires, d’autre part à partir d’une lecture interprétative des évènements survenus en classe. L’enseignant choisit de faire figurer dans les classeurs ce qu’il a considéré comme important ; il n’y consigne pas la totalité de ce qui a eu lieu en classe. Il est seul pour arrêter ses choix et il le fait en cours de séance. La trace écrite est donc un témoignage de l’activité réelle de l’enseignant et cela fait d’elle un outil privilégié d’analyse de cette activité. Il semble donc que la réalisation de la trace écrite constitue une part essentielle de l’activité didactique du professeur de français.
Cadre conceptuel Puisque la trace écrite se construit dans l’interaction, en classe, sans indications officielles de mise en œuvre, elle impose à l’enseignant d’assumer une responsabilité multiple : conduire des interactions langagières à fonction didactique, permettre la construction d’un discours commun dans la classe, garantir la pertinence scientifique de ce discours, mettre ce discours en forme dans la trace écrite et assurer, par là, l’étayage d’une double construction cognitive et langagière chez l’élève. Le terme d’ « étayage » est à prendre ici au sens de Bruner (1983), repris par Chabanne et Bucheton (2002, page 19) ; il s’agit de la prise en charge, par l’enseignant, des éléments initialement situés hors de portée des élèves pour leur permettre de se concentrer sur ceux qui leur sont accessibles et de mener à bien leur activité d’apprentissage. Matrice disciplinaire du français (Develay 1992 ; Halté 2008) Notre objet d’analyse est ancré dans la matrice disciplinaire du français (Develay, 1992 ; Halté, 2008). Cette matrice, en français, d’abord centrée sur la littérature s’est tournée vers la compréhension et se définit à l’heure actuelle comme « réception et production des discours oraux et écrits » (Halté, 2008, p. 70). Cette matrice place l’interaction au cœur de l’activité du professeur de français. Elle place l’élaboration de la trace écrite d’une séance de lecture au cœur de la discipline. En effet, cette trace écrite particulière conjugue réception d’un texte littéraire et production d’un écrit scolaire. Elle conjugue discours oraux et discours écrits au fil d’une alternance (propre à ce type de séance) entre lecture, écriture et échanges oraux. Concept de performance didactique des élèves (Halté, 2011 ; Zaid, Boyer, Cohen-Azria, Egginger, 2012) La trace écrite scolaire de réception d’un texte littéraire suppose la prise en compte des comportements, des réactions et des réponses des élèves aux sollicitations de l’enseignant. Elle demande une évaluation, par l’enseignant, des capacités et des besoins des élèves. Cela nous renvoie au concept de performance didactique : « Le faire de sujet(s) en tant qu’il est (re)construit par des acteurs déterminés en fonction de leurs questions dans une perspective évaluative » (Halté, 2011, p. 134). Ce concept a été repris en termes de performance didactique des élèves (Zaid, Boyer, Cohen-Azria, Egginger, 2012) pour analyser des écrits scientifiques destinés à laisser une trace d’observations scientifiques en
« Découverte du monde » à l’école primaire (M.E.N., 2008). Les auteurs de ce texte émettent le postulat suivant : la conceptualisation chez les élèves est liée à la conscience disciplinaire des enseignants (Reuter 2011), c’est-à-dire « la manière dont les enseignants construisent la discipline et ce qu’ils associent en termes de réussite ou d’échec disciplinaire à l’action de l’élève » (Zaid, Boyer, Cohen-Azria, Egginger, 2012). Ils ont porté le regard, au sein du système d’interactions élèves, enseignant et discipline sur « l’évolution de l’action didactique de l’enseignant suscitée par différentes actions des élèves, gestes, paroles, production écrites, etc. » (Zaid, Boyer, Cohen-Azria, Egginger, 2012, p. 88). Ce concept nous aidera à comprendre l’activité de l’enseignant lorsqu’il choisit le contenu de la trace écrite du travail de la classe. Concept de communauté discursive – Bernié (2002, 2005) Le concept de communauté discursive (Bernié, 2002) prend en compte le rôle du langage dans la construction de connaissances. La communauté discursive relève du partage de significations. Selon Jean-Paul Bernié, il y a communauté discursive dans une classe, lorsque les élèves ont intériorisé « des savoirs et outils élaborés hors de lui dans l’histoire et placés dans la culture. » Cela suppose la construction d’un espace de communication dans lequel l’élève se voit attribuer un rôle énonciatif. Par exemple, des situations de controverse rendent possible la co- construction de savoirs et d’une « manière d’agir-penser-parler » (Bernié, 2002, p. 82). Le concept de communauté discursive n’est pas éloigné de « l’histoire interactionnelle» dans laquelle Halté situe « l’interaction langagière à fonction didactique » (2008, p. 62). Il prolonge la thèse d’une co-construction langagière en vue de l’appropriation de connaissances par les élèves. La trace écrite est le texte par lequel l’élève pourra s’approprier le savoir enseigné lorsqu’il sera hors du temps et de l’espace de la classe. Cet écrit témoigne donc de la manière dont l’enseignant s’y prend pour rapprocher les univers de références représentés par les individualités qui composent la classe et les savoirs qu’il a à enseigner. L’utilisation du concept de communauté discursive oriente le regard du chercheur vers les aspects duels de l’activité enseignante liée à la trace écrite. Face aux dilemmes auxquels il doit faire face dans cette situation, l’enseignant doit trouver un juste équilibre entre le prévu et l’imprévu, entre le prescrit et le réalisé, entre l’enseignement et l’apprentissage, entre le collectif et l’individuel. Par « juste équilibre » on entend : celui que l’enseignant estime le plus pertinent, par rapport à ses propres représentations de sa discipline et à sa perception des
connaissances et des capacités de ses élèves. Concepts de genre et de style - Clot et Faïta (2000) Puisque la trace écrite est, par nature, un lieu de conflits auxquels l’enseignant doit faire face, notre recherche recourt à l’analyse de l’activité. Les concepts de genre et de style (Clot et Faïta, 2000) offrent un outil d’analyse de la construction des savoirs issus de l’expérience enseignante. On peut en effet affirmer qu’il existe un genre professionnel de la « trace écrite », c’est-à-dire un ensemble de présupposés communs aux enseignants de français. A l’intérieur de ce genre se développe un style propre à chaque enseignant, une déclinaison du genre face au réel de l’activité, à son contexte singulier de mise en œuvre. Le style est une adaptation du genre à chaque classe face aux inévitables imprévus de l’interaction. L’enseignant construit sa pratique professionnelle en conjuguant trois domaines de connaissances issues de sa formation (initiale ou continue) ou de son expérience : - des connaissances théoriques, concernant la didactique de sa discipline - des connaissances d’ordre pédagogique et psychologique, concernant les capacités de ses élèves - des connaissances professionnelles, concernant le versant pragmatique de son métier. En classe, avec ses élèves, l’enseignant adapte ses manières de faire aux réalités du terrain. Il fait ainsi évoluer sa pratique et construit des savoirs qui peuvent ensuite nourrir le collectif de travail, contribuant ainsi à une forme remontante de prescription du travail. Concept de modèle opératif – Pastré (2006) Dans un texte intitulé « Apprendre à faire », Pastré (2006) aborde le métier dans la perspective de la didactique professionnelle, en référence à la théorie de la conceptualisation dans l’action. Il rappelle, dans cet article, la distinction opérée par les Compagnons du devoir entre « apprendre le métier », qu’il associe à la formation initiale et «apprendre par le métier», qu’il associe à la formation professionnelle continuée au fil de la carrière professionnelle. Pastré estime que « l’action efficace combine invariance et adaptation aux situations ». Il appelle invariance, l’organisation de l’activité, sa dimension conceptuelle, laquelle ne dicte pas la pratique mais se combine avec elle dans « un registre pragmatique de conceptualisation qui a pour objectif d’orienter et de guider l’action ». Dans ce contexte, il explore les rapports entre activité et apprentissage et dégage deux types de connaissances développées dans le cadre de la formation professionnelle. Il
distingue en effet des connaissances langagières, discursives et épistémiques (qui rappellent les « genres langagiers» présentés dans les recherches de Clot et Faïta) et des connaissances en actes, opératoires et pragmatiques (que nous rapprochons des « genres techniques », qui, articulés par Clot et Faïta avec les genres langagiers, constituent les genres d’activités). D’après Pastré, ces connaissances donnent lieu à une conceptualisation prenant, pour chacune, une forme particulière. Les premières donnent lieu à une image cognitive du métier tandis que la seconde fait émerger une image opérative du métier. Pastré démontre que chacune de ces images cognitives engendre des modèles spécifiques qui guident et orientent l’activité professionnelle. Se font ainsi face et se complètent deux modèles : le modèle cognitif et le modèle opératif. Le recours aux concepts de genre, de style et de modèles cognitifs et opératifs nous conforte dans l’idée que la trace écrite est l’occasion d’une construction du métier en acte et qu’elle constitue une situation de travail propice à la construction d’un modèle opératif (Pastré, 2006). Méthodologie de recueil de données Nous avons procédé à l’enregistrement vidéoscopique de quatre séances de lecture dans des classes de sixième, en début de troisième trimestre. La méthodologie choisie a permis de privilégier le point de vue intrinsèque : chaque enseignante a été remise en situation par confrontation à l’enregistrement de son activité et s’est prêtée à un entretien d’auto-confrontation simple. Ainsi, chacune a disposé du film de sa séance pendant quelques jours puis a été confrontée à ces traces vidéoscopiques de son activité, en présence du chercheur. Cet entretien lui a donné l’occasion de commenter et d’expliciter ses démarches et, ce faisant, de révéler les processus cognitifs qui sous-tendent la description de sa propre activité professionnelle. Les séances observées et filmées et les entretiens ont fait l’objet d’une transcription systématique et chronologique. Enfin, chaque script d’entretien d’auto-confrontation a été associé au script de la séance correspondante. Les données ainsi organisées ont mis en relief les correspondances entre pratique observable et observée de chaque enseignante et discours sur cette pratique. La partie du corpus réuni la plus utilisée pour mettre en évidence les résultats obtenus se constitue du discours sur la pratique. Elle est extraite des entretiens post- séances. La transcription des séances de classes est, quant à elle, moins citée dans nos résultats, donnant davantage accès à l’activité observée qu’aux raisonnements qui l’orientent. Pour garantir leur anonymat, les enseignantes interrogées sont désignées par
leurs initiales et pour faciliter le traitement de ces données, les interventions des enseignantes ont été numérotées, dans leur ordre d’apparition. L’ensemble des transcriptions a fait l’objet d’une analyse de contenu. Ces séances de lecture portent, pour l’une, sur un passage d’un texte de littérature de jeunesse et pour les autres, sur des extraits d’œuvres inscrites au programme scolaire en vigueur ou permettant d’en traiter un élément. Le tableau qui suit récapitule les informations nécessaires à la bonne compréhension de nos résultats. Enseignante1 Texte d’étude Manuel de référence Ovide, Les CF Bertagna, C., Carrier, F., (2009). Métamorphoses, extrait Fleurs d’encre, Français 6è, Manuel traduit par Chantal 4 ans unique, Paris, Hachette éducation, p. BERTAGNA, « Apollon d’ancienneté 116. et Daphnée » Manuel de référence pour le texte d’étude : Ovide, Les Potelet, H. (2009), Rives Bleues, LB Métamorphoses, extrait Français 6ème, livre unique. Paris : traduit par Anne Hatier, p. 136. 5 ans VIDEAU, « Latone et les Manuel de la classe : d’ancienneté paysans lyciens » Bertagna, C., Carrier, F. (2009), Fleurs d’encre, Français 6ème, manuel unique. Paris : Hachette éducation. Virgile, L’Eneide, extrait EF du chant IV traduit par Potelet, H., (2009). Rives bleues, Annie DUBOURDIEU, Français 6è, Livre unique, Paris, 18 ans « Je n’ai pas choisi de Hatier, p. 114. d’ancienneté devoir gagner l’Italie » Ulrich HUB, L’Arche part à huit IP heures, édition Alice Jeunesse, 2008. Ulrich HUB, L’Arche Jean-Claude Grumberg, Marie des part à huit heures, 19 ans Grenouilles, Actes Sud Junior, 2003. extrait. d’ancienneté Aucune référence au manuel de la classe. Présentation des résultats Un genre et des styles La séance est la première échelle temporelle permettant d’étudier la construction de la trace écrite. Nous avons observé qu’une séance de lecture présente des invariants conformes à la matrice disciplinaire. Elle s’organise en trois 1 L’échantillon ici présenté est un échantillon d’opportunité sans représentativité particulière. Pour préserver l’anonymat des enseignantes, nous les désignons par leurs initiales.
phases : lecture du texte (réception d’un discours écrit), compréhension orale du texte (réception et production orale), passage à l’écrit (production écrite). Dans ce modèle de séance se concentrent tous les aspects de la matrice disciplinaire. Dans ces conditions, tous les enseignants pourraient procéder de la même manière et aboutir à des traces écrites présentant d’étroites ressemblances. Tel n’est pas le cas. D’abord, les étapes peuvent varier en termes de durée : certains enseignants optent pour une alternance rapprochée entre compréhension orale et production écrite, d’autres réservent l’écriture de la trace écrite pour fin de la séance. Ensuite, la mise en œuvre de la trace écrite de chaque séance met en relief des styles professionnels différents. Chez CF, la trace écrite est un écrit normé sur le modèle du manuel scolaire (avec une organisation en chapitres, parties et sous- parties, avec une mise en page recourant à des codes couleurs signalant ici une leçon ou une règle à retenir, là une méthode à appliquer, ailleurs une consigne d’exercice) et atteste du travail mené en classe tandis que chez EF, la trace écrite constitue principalement une occasion de travailler les compétences d’expression écrite des élèves. L’articulation entre lecture et expression écrite est très présente chez IP et LB. Cependant, IP donne priorité à la structure de la trace écrite (formellement, pour qu’elle soit facilement réutilisée par les élèves et cognitivement, pour qu’elle soit transposable de façon autonome par les élèves). LB, quant à elle, vise l’investissement de chaque élève pour asseoir la construction de ses connaissances et de ses compétences, tant en réception qu’en production. Chez elle, la trace écrite met en lumière le maillage entre travail individuel et travail collectif. Chacune procède donc à sa manière. Chacune construit sa propre mise en œuvre. Nos observations nous ont permis d’identifier différents facteurs orientant les pratiques enseignantes. Une forte influence des interactions sur la trace écrite, cause de dilemmes Les enseignantes interrogées opposent la trace écrite au manuel scolaire dans la mesure où ce dernier est totalement extérieur aux discours reçus et produits oralement en classe. Elles soulignent donc le fort lien entre ce qui se dit en classe et ce qui s’inscrit dans le cahier. « […] j’ai l’idée que quand ils sont à la maison, ils peuvent peut-être plus facilement reconstituer le cours et se dire : Ah oui, on a noté ça comme ça parce que, ouais, ouais, ben tiens il y avait Célie qui avait dit cette bêtise à ce moment-là. » (IP 77) C’est l’interaction et la lecture qu’en fait l’enseignante qui déterminent le
contenu de la trace écrite. Les citations qui suivent le montrent clairement. Confrontée par vidéo à la séance qu’elle a conduite, CF présente son dispositif habituel (qui allie sa connaissance académique du commentaire littéraire et son expérience professionnelle) : « Plutôt avec les 4èmes, je note leurs remarques sur un texte et ensuite, je leur fais trouver les points communs pour aboutir à un plan, un peu comme […] le commentaire composé. » (CF 61) Cependant, dans l’interaction, les intentions de l’enseignante se heurtent aux aléas de l’interaction : « En fait c’était ça que je voulais faire et puis je sais pas, enfin, ça s’est passé autrement. Finalement, ils ont participé, ils ont réussi à me résumer l’histoire rien qu’avec les questions de compréhension. Donc, après, je me suis dit : « c’est pas la peine, de ».» (CF62) « Ben, oui, finalement. Ben oui parce qu’en fait, bon, du fait qu’il faut gérer les réponses, c’est vrai que j’aurais eu le temps, je pense que j’aurais eu le temps de noter les hypothèses, mais, il y a eu une ou deux hypothèses qui étaient erronées, on pourrait dire. » (CF 63) On peut lire dans ses propos la tension dans laquelle la situation la place. Elle conclut d’ailleurs en présentant l’imprévu comme partie prenante de son activité : « C’est l’impro, ben c’est un cours. » (CF 65) Ce n’est donc pas l’imprévu qui fait obstacle au projet didactique mais la vitesse de son surgissement. Le contenu de la trace écrite peut faire faux bond à l’enseignante, du fait de la fulgurance des échanges verbaux qui lui demande une extrême rapidité d’analyse, dans l’immédiateté-même de l’interaction. IP, lors du visionnage de la séance de 6ème, évoque des choix déterminés par l’analyse de son expérience. Elle expose le dilemme auquel elle est confrontée dans cette classe de façon permanente : « Le jour où la trace écrite est importante, j’ai un choix à faire. Soit je laisse écrire, je laisse tout le temps nécessaire pour que chacun puisse écrire tranquillement. […] Soit, je maintiens, comme ce matin, une sorte d’échange avec les plus rapides. Mais ce qui est dommage c’est que du coup les plus lents, ils ratent l’échange qui permettrait une meilleure compréhension, une meilleure assimilation. […] Certains jours, c’est pas évident de se dire : je fais quel choix ? » (IP 32) On remarque dans son discours un présent de l’indicatif à valeur itérative qui met en relief une manière de faire stabilisée, révélatrice d’un dispositif. Y succède un indicatif passé composé, narrant une occurrence singulière dans
laquelle elle a dû mettre en place ce dispositif. Par ailleurs, on sent dans ce discours l’expression d’un regret : celui d’avoir à déconnecter partiellement la trace écrite de l’échange oral. La part absente de la trace écrite reflète dans sa pratique l’écart entre les élèves les plus rapides et ceux les plus lents. Sa lecture des évènements survenus dans la classe lui impose des compromis qui, s’ils s’accompagnent de regrets, sont cependant encouragés, justifiés et enfin formalisés grâce à son analyse réflexive. Elle se dote d’un dispositif pour pouvoir anticiper instantanément mais en toute conscience les imprévus qui, dans ces conditions, perdent de leur force de déstabilisation. « Après, des temps un peu blancs par rapport à l’écriture, dans cette classe j’en ménage plus que dans l’autre sixième que j’ai, par exemple ou des sixièmes que j’ai pu avoir les années précédentes. » (IP 24) C’est l’expérience analysée qui permet à cette enseignante de cadrer a priori les interactions entre elle et ses élèves, de façon à articuler échanges oraux et trace écrite au cœur de son activité didactique. « Après, la lecture, pour moi, elle mettait en perspective la trace écrite, parce que l’objectif était d’adapter pour le théâtre un texte romanesque et selon la qualité de la lecture, je pouvais enchaîner plus vite ou au contraire j’aurais été obligée de reprendre. » (IP 31) Elle précise : « Donc je suis déjà quand même assez loin dans, comment dire ? Oui, dans les objectifs, par rapport aux objectifs que je me suis fixés. » (IP 34) Prévoir une trace écrite de lecture consiste donc à concevoir d’avance un dispositif didactique, de façon à se donner toute latitude pour exploiter les interactions verbales en conformité avec les objectifs de la séance. Mettre en œuvre cette trace écrite demande une haute capacité d’analyse des interactions pour prendre des décisions, dans la fulgurance des échanges, en cours d’action, de façon à faire face aux nombreux dilemmes auxquels l’enseignant se heurte sans cesse. Concevoir et mettre en œuvre une trace écrite impose donc à l’enseignant de chercher le juste équilibre entre détermination didactique et souplesse pédagogique. Interactions et contenus de la trace écrite sont interdépendants Pour piloter efficacement la trace écrite du travail de la classe, les enseignantes interrogées puisent des indices au fil des interactions verbales dans la classe. Puisqu’il est impossible de noter tout ce qui se dit et se fait en classe, il faut procéder à des sélections. Puisque l’interaction est rapide, il faut faire des choix a priori.
Une première règle ressort de nos observations : on ne note pas ce que les élèves savent déjà. « […] là je leur fais dire parce que j’ai pas envie de leur faire noter une fois de plus ce qui a été noté mille fois sur les caractéristiques du texte de théâtre. » (IP142) « […] je ne peux pas toujours leur redonner les définitions. Ils doivent faire fonctionner leur mémoire et savoir ce qu’on a déjà fait ensemble. » (LB121) Deuxième règle : on note ce que les élèves n’ont pas compris. La trace écrite comble des manques, participe à l’étayage. C’est la mesure de la performance didactique des élèves (Halté, 1992, 2011 ; Zaid, Boyer, Cohen-Azria, Egginger, 2012) qui joue ici. « Parfois je leur impose de rajouter une correction si vraiment ils ont, si la majorité n’a pas compris ou que je pense à autre chose qui peut leur apporter quelque chose. » (CF 136) À l’inverse, la trace écrite peut devenir un outil pour sonder les performances didactiques des élèves. « Alors sur la trace écrite je me voyais souligner. Une chose que je prends très souvent le temps de faire. A chaque séance. On note, on note. Bon, alors, j’encadre le titre en rouge, je souligne les grand un, grand deux en rouge, mais par contre, sur ce qu’on note, qu’il va falloir assimiler, je ne touche à rien et quand c’est noté, régulièrement, au fur et à mesure que ça se déroule : « vous me dites ce qu’il faut souligner en rouge ». […] C’est eux qui relisent.» (IP 53 – 55) Au cœur de l’activité didactique de l’enseignant, l’élaboration de la trace écrite est sous la double influence des performances des élèves (identifiées par l’enseignant) et des objectifs didactiques (définis par l’enseignant). Par exemple, on peut observer que la composition de la trace écrite contribue à l’organisation des échanges oraux dans la classe. L’extrait du script de la séance pilotée par IP en donne une illustration : Elève : On dirait en fait que c’est deux adultes pingouins et puis un bébé pingouin. IP29 : Ouais. Le petit pingouin il paraît un peu plus puéril, un peu plus immature, un peu plus capricieux. Elève : Il découvre le monde. IP31 : Il découvre le monde. Ah ouais, ce serait bien, ça. (Se dirige vers le tableau) Alors, au nom de Dieu qu’est-ce qui nous prouve que ça se fait au nom de Dieu ? Et puis on va revenir à ce que tu as dit après, Célie. Déjà
qu’on complète ça. […] A propos de cet échange, l’enseignante précise en entretien : « […] j’ai dit à une gamine « on y reviendra après ». Parce qu’on avait démarré quelque chose. Sa remarque mettait en place une autre piste qui est pas exploitée mais il ne faut pas mélanger les deux. Il faut quand même que la trace elle soit structurée. » (IP 48) Réciproquement, les performances des élèves peuvent imposer, une structuration, une mise en forme, à la trace écrite, dans la même séance : Chercheur : Et tu te souviens ce qui t’a, ce qui t’a conduite à cette mise en forme un peu tabulaire ? IP59 : Ben tout simplement le fait que depuis le début, en fait, les gamins étaient branchés sur deux choses. Tantôt, ils parlaient de la dispute, tantôt ils parlaient du fait que c’est au nom de Dieu, sentant bien que c’était étroitement lié mais ayant du mal à en parler de façon dissociée. Donc, moi je l’ai disposé de façon dissociée. Mais en même temps, ça reste en parallèle, ça reste en face à face. Donc on montre que, il y a une interaction entre les deux. L’interdépendance entre trace écrite et interactions orales est ici clairement perceptible dans les propos des enseignantes. On voit comment l’activité enseignante prend appui sur les performances didactiques des élèves pour élaborer la trace écrite du travail de la classe. On voit comment ce discours co-construit contribue à la construction, au fil du temps, de séance en séance, de la communauté discursive du groupe classe. Une interdépendance motivée par la quête d’une communauté discursive (bernié, 2002, 2005) Des références communes Enseignants et élèves cheminent de concert. Dans ce système reposant sur l’échange verbal, si les interactions sont empreintes de réciprocité, peuvent émerger des manières de penser, d’agir et de penser partagées par l’enseignante et ses élèves. C’est bien la recherche du partage qui s’exprime dans les commentaires des enseignantes à propos du choix de contenus de la trace écrite. Une enseignante souligne par exemple qu’elle ne distingue pas le cahier et le brouillon parce que, précise-t-elle, son cours et les productions des élèves « vont ensemble ».
Le statut énonciatif de l’élève (Bernié, Rebière, Jaubert, 2005) Cette quête de références communes prend appui sur une prise en compte valorisée des énoncés de l’élève. Elle correspond à un processus d’institutionnalisation (Reuter 2010) des apprentissages réalisés par les élèves ou estimés tels par l’enseignant dans le déroulement de la séance. Cela consiste en une « mise en évidence et une légitimation collective des savoirs appris » (Reuter, 2010, page 123). Fixée à l’écrit cette institutionnalisation donne un caractère permanent aux interventions didactiques des élèves dont on conserve donc une trace qui perdurera au-delà du cadre temporel de la séance. La parole de l’élève s’inscrit dans les tablettes. Lui est ainsi attribuée la pérennité traditionnellement réservée aux savoirs. Continuité discursive dans le temps LB explique que la trace écrite se construit dans le cadre temporel de la séance mais qu’elle est également un maillon dans la longue chaîne des traces écrites de l’année. Face à ses élèves, elle souligne cette continuité oralement en début et fin de séance. En entretien, elle signale qu’elle cherche également par là à mettre ses élèves en confiance : « j’aime bien leur dire ce qu’on fera demain, de même que j’aime bien leur répéter ce qu’on a fait la veille. « Aujourd’hui on va faire ça, demain on fera ça ». Comme ça, voilà, le cours, il les prend jamais par surprise, ils voient qu’il y a une continuité, ils voient qu’il y a un fil directeur, que moi je sais où on va et que voilà ils me font confiance sur la suite. On y va ensemble. » (LB126) L’écrit construit sous contrôle enseignant est fragmenté du fait des conditions de son élaboration (découpage de la séance en étapes, découpage de l’enseignement en séances). L’enseignant cherche donc à relier les traces entre elles, à réactiver les connaissances antérieures pour éviter le morcellement des connaissances des élèves. Nous abordons là la trace écrite en référence à une échelle temporelle qui dépasse le cadre de la séance. Les enseignantes interrogées expriment en outre la quête d’une culture commune comme moyen de rendre explicite une continuité entre les différents temps d’enseignement-apprentissage. Par exemple, une enseignante fait référence, avec ses élèves, à un texte étudié plus tôt dans l’année. Interrogée sur cette référence extérieure à la présente séance, elle déclare : « Pour moi elle est extrêmement importante parce que je ne veux pas qu’un texte soit lettre morte, une fois qu’il a été exploité. […]. Je souhaite qu’ils se
rendent compte que toutes ces choses qu’on découvre en classe, ils peuvent s’en nourrir. Pour découvrir d’autres choses toujours dans le cadre scolaire, mais pas nécessairement en français et puis pas nécessairement qu’à l’école. […] Donc leur montrer que quelque chose qui a été fait, c’est pas fait une fois pour toutes pour tomber aux oubliettes, que c’est toujours là quelque part et que, tiens, ça pourrait bien être utile à certaines occasions. Que, c’est comme une fourmilière, quoi. Il t a toujours quelque chose qui pourrait bien jouer un rôle et il faut pas le laisser passer. » (IP90) La métaphore de la fourmilière montre comment l’enseignante cherche à construire un système dans lequel chaque élément, chaque texte et chaque acteur contribuent à l’objectif. On peut y lire cette volonté de faire contrepoids au morcellement initial de l’enseignement. Continuité discursive entre différentes sphères d’échanges verbaux Les connaissances construites en commun peuvent aussi être légitimées, aux yeux des élèves, par leur référence à l’extérieur du monde scolaire. Pour LB, la construction d’une culture commune, dont atteste la trace écrite, contribue à la culture générale des élèves. Les élèves peuvent en prendre conscience, lorsqu’ils constatent que ce qui est dit à l’école n’est pas totalement déconnecté de la vie ordinaire. « […] on avait vu le texte de Narcisse […] et on avait vu l’adjectif narcissique. Et le soir même il y a une série qui était passée sur la un et ils ont qualifié le meurtrier de narcissique. […] Et le lendemain, un élève […] m’a dit : « Madame, hier, j’ai vu une série et ils ont dit le mot narcissique ». Je sais que c’est des choses qu’ils vont peut-être entendre à la télé, à la radio, par leurs parents, des expressions, et ça va faire un peu comme la madeleine de Proust, quoi. Ils vont repenser à ce qu’on a fait en cours […] Donc, bon, c’est de la culture générale. » (LB135) Un arrière-plan pour de nouveaux enseignements-apprentissages La communauté discursive est aussi un moyen d’optimiser l’activité didactique en lui permettant une économie de moyens. Par exemple, la référence à une leçon antérieure, à une connaissance solidement ancrée dans les références du groupe peut éviter des rappels fastidieux. IP présente ainsi ses pratiques : « Ça peut être de débloquer le moment présent si celui-ci n’avance pas. Aller se chercher un outil qu’on a déjà exploité et qui va débloquer une situation qui a l’air de devenir difficile. […] J’aime bien leur faire dire, on voit encore
maintenant sur ce qu’on a fait en début d’année, Jean de la Fontaine, oh ben tout de suite, c’est parti, ça fuse, hein. […] Donc l’idée, ben, d’une culture commune qui va permettre d’échanger.» (IP147) Pour conclure partiellement notre exposé, la trace écrite fixe donc les interactions verbales à fonction didactique. Sa visée rayonne dans le cadre de la classe et en dehors. On part des références communes au groupe de travail, déjà archivées, pour relancer l’interaction du moment et pour consolider des apprentissages d’une séance à une autre. Au-delà, c’est la culture générale des élèves qui doit se construire, en reliant les connaissances partagées dans la classe aux savoirs qui font références dans d’autres sphères d’échanges verbaux. Traces écrites et « savoir-enseigner » Les enseignantes interrogées déclarent qu’elles voient leurs pratiques évoluer, au fil des années d’exercice de leur profession. La trace écrite du travail de la classe ne subit sans doute pas de révolution. Cependant, sa mise en œuvre évoluerait, à l’échelle de la carrière d’un enseignant. Elle semble le fruit d’apprentissages de la part de l’enseignant. Une mise en œuvre de la trace écrite inspirée des expériences Chaque enseignante interrogée fait état de ce qu’elle sait, de ce qu’elle a appris dans sa classe et qui oriente sa pratique pour la mise en œuvre de la trace écrite. Une expérience heureuse renseigne l’enseignante sur les pratiques « qui marchent » et qu’il est intéressant de reproduire. L’enseignant apprend à adapter la trace écrite au profil singulier de chaque classe et à tenir compte de l’hétérogénéité des rythmes de travail de chaque élève dans chaque classe (vitesse de compréhension et vitesse d’écriture). « […] il y a des séances où on écrit plus à la fois suite à des moments d’échanges plus longs mais souvent je le fais au fur et à mesure suite à une réflexion que m’ont faite à plusieurs reprises, quand j’ai débuté, des élèves, qui disaient : « madame, quand on en a à écrire, on en écrit trop long. ». Donc je me suis dit : « il faudrait écrire au fur et à mesure que les idées apparaissent ». Et je me rends compte que ça marche mieux […] » (IP76) Ce constat d’un lien étroit entre trace écrite et interaction est bien ressenti par l’enseignante comme le fruit d’un apprentissage issu de son expérience. Les propos d’une enseignante débutante (CF) confirment cette analyse. Elle a en tête de ne pas trop faire écrire ses élèves et elle le leur dit au moment de commencer la rédaction de la trace écrite de la lecture littéraire. Elle s’en explique
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