Comment l'entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l'effectuation How Can Entrepreneurs Overcome Their Doubts? ...
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Document generated on 10/22/2021 12:23 a.m. Management international International Management Gestiòn Internacional Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation How Can Entrepreneurs Overcome Their Doubts? Effectuation Theory’s Contribution ¿Cómo puede el empresario superar la duda? Aportes de la teoría de «la efectuación»? Amélie Jacquemin and Xavier Lesage Entrepreneuriat et société : de nouveaux enjeux Article abstract Entrepreneurship and society: new issues The aim of this article is to investigate the journey of an entrepreneur viewed Espíritu empresarial y sociedad: nuevas cuestiones as an experiential process, and to explain the logics behind her/his actions to Volume 20, Number 2, Winter 2016 overcome periods of doubts that she/he can face. Drawing on two longitudinal case studies, the prevalence of the effectual logic of action over causation can URI: https://id.erudit.org/iderudit/1046560ar be observed when novice entrepreneurs get through these periods of doubts. This research also contributes to a better understanding of the concept of DOI: https://doi.org/10.7202/1046560ar entrepreneurial doubt by providing a definition that complements and extends initial attempts of definition. See table of contents Publisher(s) HEC Montréal Université Paris Dauphine ISSN 1206-1697 (print) 1918-9222 (digital) Explore this journal Cite this article Jacquemin, A. & Lesage, X. (2016). Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation. Management international / International Management / Gestiòn Internacional, 20(2), 29–41. https://doi.org/10.7202/1046560ar Tous droits réservés © Management international / International Management This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit / Gestión Internacional, 2016 (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation1 How Can Entrepreneurs Overcome Their Doubts? Effectuation Theory’s Contribution ¿Cómo puede el empresario superar la duda? Aportes de la teoría de « la efectuación »? AMÉLIE JACQUEMIN* XAVIER LESAGE Louvain School of Management ESSCA – Ecole de Management Université catholique de Louvain RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN L’objectif de cet article est de mieux com- The aim of this article is to investigate the El objetivo de este artículo consiste en com- prendre le parcours d’un entrepreneur, journey of an entrepreneur viewed as an prender con mayor claridad la trayectoria de analysé comme un processus expérientiel, experiential process, and to explain the un empresario analizada como un proceso et de saisir les logiques d’action que l’en- logics behind her/his actions to overcome experiencial. En dicho proceso se intro- trepreneur met en œuvre pour surmon- periods of doubts that she/he can face. ducen las lógicas de acción que el empresario ter les périodes de doute auxquelles il est Drawing on two longitudinal case stu- pone en práctica para superar los periodos confronté. A travers deux études de cas dies, the prevalence of the effectual logic de duda a los cuales se enfrenta. Por inter- longitudinales, nous avons observé la pré- of action over causation can be observed medio de dos estudios de caso longitudi- gnance de la logique effectuale d’action, à when novice entrepreneurs get through nales, hemos observado que si el empresario travers l’ensemble de ses principes, lorsque these periods of doubts. This research also novicio se enfrenta a un periodo de duda, l’entrepreneur novice connait une période contributes to a better understanding of él impone una lógica de “efectuación” de la de doute. Notre recherche permet par ail- the concept of entrepreneurial doubt by acción que incluye el conjunto de principios leurs de mieux cerner le concept de doute providing a definition that complements de la misma. Nuestra investigación permite entrepreneurial en proposant une défini- and extends initial attempts of definition. mejorar la comprensión del concepto de tion qui prolonge et complète les tentatives Keywords: Entrepreneurial doubt – effectua- «duda empresarial» proponiendo una defi- de définitions préexistantes. tion – causation – support nición que prolonga y completa las tentati- Mots clés : Doute entrepreneurial – effectua- vas de definición anteriores. tion – causation – accompagnement Palabras Claves: Duda empresarial – efec- tuación – causación - acompañamiento L a recherche présentée dans cet article trouve son fondement dans l’approche plaidant pour que l’entrepreneuriat soit davantage considéré et étudié comme un processus expérientiel Pour citer cet article : Jacquemin, A.; Lesage, X. (2016). Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation. Management international, 20(2), 29-41. (Schindehutte et al., 2006). Les auteurs qui s’intéressent à cette expérience entrepreneuriale avancent qu’il s’agit d’un processus La littérature tend à relier ces émotions négatives à l’échec traversé par « des sommets et des vallées » d’émotions (Byrne entrepreneurial. A cet égard, Smida et Khelil (2010) ont mis en et Shepherd, 2015). Ce processus d’ascenseur émotionnel est évidence que les déterminants de l’échec peuvent être de trois de plus en plus étudié. Il est ainsi aujourd’hui démontré que ordres : (i) des facteurs environnementaux, (ii) des carences l’entrepreneur expérimente d’intenses périodes d’émotions en termes de ressources, ou encore (iii) des facteurs de démo- négatives telles que la peur (Welpe et al., 2012), l’incertitude tivation et d’insatisfaction de l’entrepreneur. Ce troisième (Bird, 1989; Stevenson, 1985), l’ambiguïté (Shane et al., 2003), groupe de déterminants provient de la théorie dite de la brèche la solitude (Boyd et Gumpert, 1983; Doern et Goss, 2014), aspirations-réalisations (en anglais Goal Achievement Gap une surcharge de travail et du stress (Ahmad et Salim, 2009; Theory). Sous ce prisme théorique, l’échec se définit comme Akande, 1994; Buttner, 1992; Grant, 2011). étant une situation dans laquelle l’entrepreneur expérimente 1. Une version préliminaire de ce manuscrit a été présentée en 2014 aux 5èmes Journées Georges Doriot, Rabat (Maroc), 15-16 mai, et a reçu le Prix HEC Paris – Bruno Roux de Bezieux. *Auteur référent
30 Management international / International Management / Gestión Internacional une déception personnelle du fait de la non-concrétisation de poursuivons ce double objectif. Pour y parvenir, nous avons ses attentes initiales. L’écart entre l’expérience entrepreneu- étudié deux cas de projet entrepreneurial accompagnés dans riale effectivement vécue par l’entrepreneur et la représenta- le cadre d’un incubateur d’entreprises adossé à une école tion qu’il en avait au départ et qui avait forgé sa motivation et de commerce dans laquelle les auteurs enseignent. Nous ses attentes peut mener à l’échec (Cooper et Artz, 1995; Smida nous sommes demandés comment ces entrepreneurs parve- et Khelil, 2010). Toutefois, ce phénomène de gap émotionnel naient à surmonter les phases de doutes auxquelles ils étaient et son impact sur l’engagement de l’entrepreneur envers son confrontés. Pour répondre à cette question de recherche, projet, ainsi que sur sa motivation à le poursuivre, demeurent nous avons analysé les domaines de décision impactés par le aujourd’hui insuffisamment compris (Byrne et Shepherd, doute ainsi que les approches décisionnelles mobilisées par 2015; Doern et Goss, 2014). ces entrepreneurs pour surmonter leurs doutes. Nos résul- tats indiquent que les approches mobilisées pour surmonter A cet égard, McMullen et Shepherd (2006) ont développé le doute sont de type plutôt effectual. Par ailleurs, nous pro- un modèle de l’action entrepreneuriale qui souligne combien posons une définition du concept de doute entrepreneurial les croyances de l’entrepreneur sur l’existence d’opportuni- qui prolonge celle de Valéau (2006, 2007). tés influencent ses actions. Les croyances étudiées portent sur le doute que peut avoir l’entrepreneur sur la faisabilité Le présent article est structuré autour de quatre sec- et la désirabilité de son action, ainsi que sur l’évaluation des tions. Dans une première section, nous présentons l’ancrage degrés de risque, d’incertitude et d’ambigüité de l’oppor- théorique de notre recherche. La deuxième section décrit la tunité identifiée en relation avec ses connaissances et ses méthodologie de collecte et d’analyse des données récoltées motivations. Avec d’autres collègues, Shepherd a poursuivi à travers ces cas. La troisième section présente nos observa- ses travaux pour mieux comprendre les processus cogni- tions pour ensuite les discuter. Une dernière section dresse tifs de formation des croyances relatives aux opportunités nos conclusions et recommandations. (Shepherd et al., 2007). S’ils reviennent sur le doute en indi- quant que « le doute est créé par le risque entrepreneurial, Ancrage théorique l’incertitude et l’ambiguité », ils ne prennent pas véritable- Dans cette section, nous commençons par définir la notion ment la peine de définir la notion de doute à la différence des de doute entrepreneurial et par référencer les théories qui notions auxquelles elle est associée. Shepherd et ses collègues permettraient de déterminer les mécanismes à adopter pour (2007) concluent par ailleurs leur étude en soulignant que surmonter le doute. Ce second point est ensuite enrichi au de futures recherches demeurent nécessaires pour examiner regard des notions d’environnement de la décision et de les processus permettant de diminuer le doute et de dépas- paradigme de la décision. ser l’ignorance afin de mieux comprendre la formation des croyances de l’entrepreneur en l’existence d’opportunités. Doute entrepreneurial et mécanismes Certains chercheurs se sont intéressés aux pics d’émo- de résolution du doute tions négatives vécus par l’entrepreneur en utilisant le terme de doute entrepreneurial (Valéau, 2006, 2007; St-Jean et Le doute semble être un phénomène hétéroclite pouvant Jacquemin, 2012). La théorie de la brèche aspirations-réalisa- s’expliquer par différents facteurs et se manifester de diverses tions les a probablement inspirés dans la mesure où le doute manières. Tous les professionnels qui accompagnent des entrepreneurial y est défini comme une remise en cause plus entrepreneurs les ont vus douter pour des raisons pouvant existentielle que le simple stress qui se produit « lorsque l’en- être notamment financières, personnelles, familiales, tech- niques, ou encore logistiques. Ce doute peut par ailleurs trepreneur expérimente des réalités qui ne sont pas conformes s’exprimer tant à travers des comportements de découra- à ses attentes, à ses idéaux de départ ou lorsque l’entrepreneur gement, de dépit, de colère ou encore de tristesse. Valéau est inquiet quant à ses capacités à réussir dans ses affaires » (2006) montre que le doute entrepreneurial est lié à des (Valéau, 2006, 2007). Ces premières recherches sur le doute états psychologiques complexes variant d’un entrepreneur entrepreneurial mettent en évidence la nécessité pour l’entre- à l’autre. Tenter de définir le doute en appréhendant toutes preneur de reconstruire son projet, et partant de réduire le ses possibles causes et conséquences parait donc ardu. Un fossé qui s’est installé entre les attentes fantasmées et la réalité élément semble toutefois différenciant car commun à tous expérimentée, afin d’être en mesure de surmonter son doute ces cas de figure. Il s’agit du caractère existentiel d’une telle et de poursuivre l’aventure entrepreneuriale (Valéau, 2006, remise en cause du projet. Pour Valéau (2007), l’engagement 2007). L’accompagnement, notamment à travers la formule dit « de départ » est profondément remis en question lors de du mentorat et grâce à la posture herméneutique du mentor phases de doutes et de confusions « aigües ». Une telle dévia- (attitude d’écoute et de protection davantage orientée vers tion par rapport aux attentes initiales de l’entrepreneur est la quête de sens plutôt que l’acquisition de techniques, voir de nature à affecter la motivation de celui-ci. S’il ne réussit Paul, 2004), contribuerait à améliorer la réduction du doute pas à faire disparaitre cette déviation, l’entrepreneur man- de l’entrepreneur (St-Jean et Jacquemin, 2012). quera de motivation et de détermination à la réussite, ces Il ressort de ces éléments que, d’une part, la notion de éléments pouvant mener à l’échec entrepreneurial. Comme doute entrepreneurial reste floue, et, d’autre part, qu’il nous l’avons déjà évoqué en introduction, le doute est dès convient d’examiner ce processus, notamment les logiques lors plus profond qu’une simple situation de stress et c’est ce d’action qui permettent de surmonter le doute. Nous qui en fait sa singularité.
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation 31 Les réponses que l’entrepreneur peut apporter à cette exercer un impact sur la santé des dirigeants de PME, insiste profonde insatisfaction pour tenter de la surmonter sont sur les doutes et la souffrance que peut engendrer l’isole- diverses. Il s’agira en toutes hypothèses pour l’entrepreneur ment du dirigeant de PME. C’est ce qui expliquerait selon de « réajuster » son engagement, c›est-à-dire de revoir sa cet auteur que le dirigeant de PME se tourne vers des réseaux manière d’être entrepreneur et son projet d’affaire. Ce réa- patronaux ou des associations de pairs. justement passe selon Valéau (2007) par la prise de décisions Que l’individu souhaite agir sur les facteurs causant le importantes comme, par exemple, l’abandon d’un marché ou stress et/ou sur les pensées indésirables et émotions suscitées la séparation d’avec un associé. L’accompagnement semble par ces facteurs, la solution résiderait donc dans l’enchâs- par ailleurs important pour la résolution de ce problème. A sement de l’entrepreneur dans des réseaux et serait surtout cet égard, St-Jean et Jacquemin (2012) ont mis en évidence le sociale. C’est cet élément qui nous a conduit à faire un lien rôle positif joué par un mentor, qu’il ait été lui-même ou non entre le doute entrepreneurial et la théorie de l’effectuation entrepreneur, pour aider l’entrepreneur novice à réduire son (Sarasvathy, 2001, 2008). niveau de doute. Ces études empiriques sur le doute entrepreneurial nous Théorie de l’effectuation et principes permettent de mieux appréhender le phénomène, mais elles comportementaux pour surmonter le doute demeurent encore trop peu éclairantes sur les mécanismes de résolution du doute. La théorie du stress nous semble La théorie de l’effectuation (Sarasvathy, 2001, 2008) a permis pouvoir utilement compléter ces éléments. Cette théorie de dresser un portrait de l’entrepreneuriat tel qu’il se fait. Il s’est construite autour de l’étude des situations de stress s’agit en effet de comprendre comment les entrepreneurs dits vécues au travail. Elle a mis à jour deux types de mécanismes « experts » pensent et agissent. La notion d’expertise se rap- d’adaptation permettant de prévenir et de réduire le stress : porte principalement au nombre d’entreprises déjà créées par l’adaptation centrée sur les émotions et l’adaptation centrée l’entrepreneur et permet dès lors d’investiguer le processus sur le problème (Bond et Bunce, 2000; Lazarus et Folkman, entrepreneurial à travers le parcours de ceux qui réussissent. 1984). L’adaptation centrée sur les émotions agit sur les pen- Sarasvathy (2001, 2008) distingue l’approche « effectuale » sées indésirables et les émotions suscitées par les facteurs d’une autre approche dite « causale ». L’entrepreneur « effec- de stress (Bond et Bunce, 2000; Lazarus et Folkman, 1984). tual » agit au départ des moyens dont il dispose et co- L’adaptation centrée sur le problème vise quant à elle à iden- construit chemin faisant un projet grâce à l’engagement des tifier et atténuer les facteurs de stress qui ont donné lieu aux personnes rencontrées (les parties prenantes) avec comme tensions vécues par l’individu. Quel que soit le mécanisme balise la notion de perte acceptable (ce qu’il est prêt à perdre utilisé, il a été démontré que la recherche d’un soutien auprès ou non dans son projet). L’entrepreneur « causal » cherche à des autres individus (soutien social) est une stratégie utili- collecter les moyens lui permettant de réaliser un objectif sée pour faire face au stress (Carver et al., 1989) qui influe à prédéterminé (sa vision), ce qui l’amène à davantage plani- la fois directement sur la santé générale et en particulier la fier ses actions au départ de prédictions faites sur la base de santé mentale de l’individu en jouant un rôle de « tampon » ce qu’il connait du passé et ce qu’il expérimente au présent, au stress (Kirkcaldy et Furnham, 1995; Patterson, 2003; avec comme leitmotiv la notion de profit attendu. Thoits, 1995). Torrès (2009) qui a développé une « équation Plus spécifiquement, la théorie de l’effectuation met en fondamentale de la santé patronale » dans laquelle il met exergue cinq principes de prise de décision caractérisant l’ap- en balance les facteurs pathogènes et salutogènes pouvant proche qu’adoptent les entrepreneurs experts (cf. Tableau 1). TABLEAU 1 Les principes de l’effectuation vs. la causation CAUSATION EFFECTUATION Collecter les moyens utiles après avoir déterminer un objectif Principe 1 : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » Démarrer avec les moyens dont on dispose (qui on est, qui on connait et ce que l’on connait) Commencer par déterminer le profit attendu, Principe 2 : Raisonner en perte acceptable puis travailler pour minimiser les risques associés Limiter les risques en déterminant à chaque étape du projet ce que l’on à cette recherche de profit est prêt à perdre Considérer les autres acteurs comme des concurrents Principe 3 : Patchwork fou auxquels il faut faire face Co-construire le projet en suscitant l’engagement de parties prenantes Tenter de minimiser les surprises en effectuant Principe 4 : Limonade des scénarios pessimistes (« et si … ») Regarder et utiliser les surprises comme autant de nouvelles ressources Considérer l’environnement comme une force exogène que je Principe 5 : Pilote dans l’avion ne peux pas maîtriser, mais que je peux comprendre Regarder son environnement non pas comme il est ou a été, mais et prédire sur la base des tendances passées et actuelles comme je voudrais qu’il soit, et prendre conscience que je peux le faire évoluer dans le sens désiré de par mes actions Source : Silberzhan (2014) adapté de Sarasvathy (2001, 2008)
32 Management international / International Management / Gestión Internacional Plusieurs de ces principes font ressortir l’enchâssement social produit ou service, expérimenter diverses façons de vendre qui permettrait, à notre sens, de surmonter le doute. Le pre- ou de délivrer un produit ou service, etc.), de délimitation mier principe intitulé « Un tiens vaut mieux que deux tu l’au- des pertes acceptables (limiter les ressources engagées dans ras » souligne en effet que l’entrepreneur agit en partant des le projet), de flexibilité (éviter les actions qui restreignent la moyens dont il dispose, un de ces moyens étant les personnes flexibilité et l’adaptabilité du projet à son environnement et à que l’entrepreneur connait et dont il pourrait obtenir l’aide, ses pilotes) et de pré-engagement de parties prenantes (négo- voire l’engagement. Le troisième principe effectual nommé ciations d’accord avec des parties prenantes). Le Tableau 2 « Patchwork fou » met également en évidence le processus de résume l’ensemble des comportements qui relèvent de la co-construction du projet entrepreneurial à travers la direc- causation ou de l’effectuation. tion que des parties prenantes peuvent donner au projet et, Forts de ces éléments, nous nous interrogeons sur le surtout, l’engagement de celles-ci par rapport au projet (enga- type de comportement à adopter par l’entrepreneur pour gement à apporter un savoir, à devenir le premier client, à réussir à surmonter son doute. Les comportements de type développer les améliorations du produit, etc.). « effectual » seraient-ils plus efficaces que les comportements En s’appuyant sur les travaux de Chandler et al. (2011) de type « causal » en raison de l’enchâssement social des et de Senyard et al. (2009), Fisher (2012) a en quelque sorte premiers ? opérationnalisé ces principes de décisions en identifiant les comportements pouvant être considérés comme tradui- Environnement et paradigmes de décision sant une approche effectuale ou une approche causale. Les pour surmonter le doute entrepreneurial comportements dits « causaux » relèvent de l’identification d’opportunités à travers la récolte d’informations, des activi- Dans son récent ouvrage sur les principes de l’effectuation, tés d’estimation des retours associés aux opportunités ainsi ouvrage qui s’appuie sur les travaux fondateurs en la matière identifiées, des démarches de planification à travers le déve- (Sarasvathy, 2001, 2008; Sarasvathy et Dew, 2005; Wiltbank loppement d’un business plan ainsi qu’au travers d’études et al., 2006), Silberzahn (2014) s’intéresse à la manière dont de la concurrence et du marché, et enfin de l’articulation l’entrepreneur pilote son projet entrepreneurial. Il rappelle d’une vision claire et/ou d’objectifs à atteindre. La démarche tout d’abord qu’un projet doit se décomposer en un ensemble effectuale se traduit quant à elle par des comportements de différents domaines de décisions : décisions concernant le d’expérimentation (expérimenter diverses versions d’un développement du produit/service, concernant le marché, le TABLEAU 2 Les comportements que sous-tendent les théories du processus entrepreneurial CAUSATION EFFECTUATION Avant toute chose, identifier une opportunité Expérimenter : - Plusieurs offres commerciales - Plusieurs canaux de distribution - Plusieurs types de produits/services au fur et à mesure du développement de l’entreprise Identifier et évaluer des opportunités sur le long terme Raisonner par perte acceptable : tout en développant son entreprise - Limiter les moyens financiers investis dans le projet - Limiter les ressources associées au projet à ce qui peut être perdu Calculer les retours que permettent différentes Flexibilité : opportunités - Répondre aux opportunités imprévues qui se manifestent en cours de route - Adapter ce qui est en train d’être fait aux ressources que l’on a sous la main - Eviter les actions qui restreignent la flexibilité/l’adaptabilité Développer un plan d’affaires Pré-engagements avec : - Des clients Organiser et mettre en œuvre des processus de contrôle - Des fournisseurs Collecter et analyser des informations concernant la - D’autres organisations taille et la croissance du marché Collecter des informations sur les concurrents et analyser leur offre Exprimer une vision et/ou les objectifs poursuivis à travers le projet Développer un plan de développement des produits/ services Développer un plan marketing Source: Fisher (2012)
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation 33 marketing, la gestion financière de l’activité, la gestion juri- entrepreneurial. On peut ainsi imaginer que dans certains dique, la logistique, etc. cas (contexte de risque), l’entrepreneur vit une période de Ensuite, il rappelle que dans chacun de ces domaines, doute similaire à d’autres expériences antérieures de stress les décisions prises ont pour but de créer un futur souhai- ou de doutes et qu’il peut se référer à ces évènements passés table pour l’entrepreneur et que ce futur peut être perçu pour déterminer comment surmonter son doute actuel. La comme revêtant différentes natures. Mobilisant les travaux stratégie de l’adaptation ou de l’essai-erreur préconisée dans de Knight (1957), Silberzahn (2014) distingue ainsi les cas de ce cas de figure (approche causale) fait d’ailleurs penser à la prédiction, de risque et d’incertitude. Dans le premier cas, notion de « réajustement » du projet que nous avions évo- la nature et la distribution des évènements sont connues à quée au sujet des mécanismes de résolution du doute. Il nous l’avance. Dans le second cas, la nature et la distribution des parait raisonnable de penser que dans d’autres cas (contexte évènements sont déterminées grâce à une observation his- d’incertitude), l’entrepreneur expérimente une période de torique. Cette détermination n’est en revanche pas possible doute et qu’il ne lui est pas possible de rattacher cet évène- dans le troisième cas. Dans ce dernier cas, l’entrepreneur ment à des informations dont il dispose ou pourrait disposer ne dispose pas d’informations historiques lui permettant de par son passé. Les décisions à prendre pour surmonter le de calculer des probabilités sur ce qui pourrait se passer. doute seraient alors par nature « isotropes » et l’aide de par- Les décisions qu’il prendra seront dès lors caractérisées par ties prenantes tierces serait au cœur du processus de résolu- l’incertitude. tion du doute (approche effectuale). Silberzahn (2014) suggère enfin que pour chaque domaine Un cadre théorique étant délimité et des interrogations de décision, l’entrepreneur doit prendre des décisions en étant posées, nous nous tournons à présent vers la présenta- tenant compte du contexte dans lequel s’inscrit la décision tion de notre approche méthodologique et de notre terrain (concept d’environnement de la décision) et de la façon de de recherche. décider (concept de paradigme de la décision) qui sera la plus adaptée audit contexte. Cela permet de dessiner les trois cas de figure suivants : Cadre Méthodologique et présentation Dans un environnement de prédiction où l’information du terrain de recherche n’existe pas mais où elle peut être créée par la prédiction, une Deux études de cas longitudinales démarche décisionnelle délibérée, ciblée sur des buts et arti- culée autour d’un plan, sera la plus pertinente. Notre recherche est avant tout de nature exploratoire. Il ne s’agit pas de généraliser des résultats mais d’appréhender et Dans un environnement de risque où l’information existe de mettre en évidence un phénomène complexe (Yin, 2014). et peut être acquise, l’entrepreneur devra, avant de se fixer La méthode de l’étude de cas permet de tester les théories un objectif et d’agir, étudier les évènements passés pour col- lecter l’information utile. Il pourra soit attendre que cette existantes et éventuellement d’étendre leur portée théorique. information devienne disponible puis s’y adapter (attitude Dans ce cadre, nous avons choisi d’étudier les trajectoires passive) soit procéder par essai-erreur pour identifier l’infor- singulières de deux start-ups dont les porteurs de projet ont mation nécessaire (démarche active). été confrontés à de profondes périodes de doute. L’étude de ces périodes de doute nécessite d’ancrer notre analyse dans Dans un environnement incertain, l’information est soit une temporalité (Pettigrew, 1990). L’approche longitudi- inexistante, soit « isotrope », c’est à-dire que l’entrepreneur nale s’est ainsi révélée pertinente pour analyser le compor- n’a aucun critère pour décider si une information est ou non tement des entrepreneurs dans ces contextes d’incertitude. pertinente. Puisque l’entrepreneur ne peut pas définir des Sur la période d’observation d’octobre 2012 à janvier 2014, buts, ni acquérir de l’information sur laquelle faire reposer sa décision, il devra s’accorder avec les autres parties pre- nous avons ainsi développé une compréhension à la fois de nantes pour co-construire un système de jugement des élé- contenu – pour appréhender les caractéristiques du doute – ments qui sont ou non pertinents pour prendre une décision. et processuelle pour saisir les logiques d’actions des entre- preneurs pour surmonter les périodes de doutes auxquelles Les deux premières approches (planification, adaptation, ils faisaient face (Yin, 2014). essai-erreur) sont de type causal, tandis que la troisième est de type effectual. Collecte et analyse de données Ces éléments nous semblent pouvoir enrichir le cadre théorique d’étude du doute entrepreneurial esquissé pré- Depuis octobre 2012, nous avons pu observer la trajectoire de cédemment. En effet, il convient de se demander si une chacun des projets en qualité de coach au sein d’un incubateur situation de doute entrepreneurial peut être assimilée à une académique. Nous avons pu ainsi organiser dans une logique situation de risque ou d’incertitude. Répondre à cette ques- d’observation participante des rencontres régulières : des tion permettrait de déterminer si la logique d’action à adop- rendez-vous plus ou moins formels (une fois par mois) d’une ter pour surmonter le doute devrait davantage s’apparenter durée de 30 à 45 minutes et des bilans d’étape plus longs et à la causation ou à l’effectuation. Cette question est difficile plus formels (1 fois par trimestre) de plus d’une heure, impo- dans la mesure où chacun de ces contextes nous semble pou- sés dans le cadre du dispositif d’incubation. Ces rencontres voir être relié à des éléments constitutifs de la notion de doute ont fait systématiquement l’objet d’enregistrements et/ou de
34 Management international / International Management / Gestión Internacional TABLEAU 3 Synthèse des données collectées PÉRIODE DE COLLECTE GARÇONNE & CHÉRUBIN WIITHAA Octobre 2012- Observation participante Observation participante Janvier 2014 11 RDV (incubation et en dehors) d’environ 30 min 13 RDV mensuels 30 min 1h (CR et prise de notes) (CR et prise de notes) 4 entretiens enregistrés (4 bilans d’étape >1h) 4 entretiens enregistrés (2 bilans d’étapes + 2 bilans hors incubateur) Documents internes (business plans, rapports d’étape, documents préparatoires, supports pitch, Documents internes (BP, Rapport d’étape, documents etc.) préparatoires, supports pitch, etc.) Février/Mars 2014 2 entretiens semi-directifs centrés sur la période de 2 entretiens semi-directifs centrés sur la période de doute d’1h30 au total doute d’1h30 au total prise de notes complétés par les compte-rendu réalisés par l’entrepreneur a ressenti un décalage important entre ce à les porteurs de projets eux-mêmes. quoi il ambitionnait et ce qu’il expérimentait concrètement Le mode opératoire de la collecte des données a été toute- (lien avec la théorie de la brèche aspirations-réalisations) fois quelque peu différent entre les deux projets en raison de et/ou lorsque l’entrepreneur était fortement inquiet pour la leur trajectoire singulière. Si le projet Garçonne et Chérubin continuité même de ses affaires (lien avec la définition de a intégré l’incubateur dès octobre 2012 et y est resté pendant Valéau qui distingue ainsi un doute existentiel d’une simple toute la période d’observation, le projet Wiithaa n’a inté- situation de stress). Nous avons ensuite effectué un codage gré l’incubateur que 3 mois après – décembre 2012 – suite axial pour croiser ces situations de doute avec les actions à un premier rejet, et n’y est resté que 6 mois – départ en entreprises pour surmonter le doute. A cet égard, les caté- juin 2013. Afin d’obtenir un volume comparable de données, gories de codages utilisées pour caractériser une logique nous avons tâché pour le projet Wiithaa d’avoir la même fré- d’action effectuale ainsi qu’une logique d’action causale sont celles décrites ci-dessus dans le Tableau 2. quence d’interactions avec les porteurs de projet et ce, même s’ils n’étaient pas encore ou plus incubés – soit au moins un Nous n’avons pas utilisé un logiciel spécifique mais nous entretien par mois le plus souvent téléphonique d’une durée nous sommes inscrits dans une logique de double codage des moyenne de 30 minutes. Le tableau ci-dessous recense la col- auteurs et de comparaison systématique de leur codage. La lecte de données. confrontation des analyses de l’auteur tuteur des deux pro- jets avec celle de l’autre auteur, également coach au sein de l’incubateur, a permis le déploiement d’une approche insi- Méthode d’analyse des données der/outsider favorisant l’émergence et la vérification des Nous avons procédé à une analyse intra et inter-cas en uti- interprétations (Gioia et al., 2010; Langley et Abdallah, 2011). lisant comme unité d’analyse l’entrepreneur et plus précisé- ment l’évolution de son comportement comme recommandé par Perry et al. (2012). Nous avons limité le biais de remé- Observations et discussion moration rétrospective des événements dans la mesure où Présentation des deux cas et de nos observations nous avons interviewé et observé les entrepreneurs de façon Garçonne et Chérubin (ci-après « GC ») longitudinale (Eisenhower et al., 2004). Par ailleurs, bien que notre étude soit qualitative et ne puisse pas conduire à Leur histoire des résultats généralisables comme le permettent les études Edward et François, fraichement diplômés d’Ecole de com- quantitatives, nous avons veillé à mobiliser plusieurs tech- merce et fondateurs du groupe de musique Astraz, ont niques afin d’augmenter la qualité de notre recherche qua- rejoint l’incubateur dès octobre 2012 pour lancer « Garçonne litative (Bluhm et al., 2011; Brush, 2007; Neergaard, 2007). et Chérubin », une nouvelle marque de chaussures, élégantes En effet, outre l’utilisation de différentes sources de données et casuelles, style Belle Epoque. Alors qu’ils pensent pou- primaires et secondaires permettant la triangulation des voir lancer leur première collection en moins d’un an, ils données, le choix des cas étudiés et des données à collecter constatent amèrement que l’idée de proposer des chaussures ainsi que le codage de ces données reposent sur de solides dotées de « languettes de couleurs interchangeables » ne fondements théoriques tels que développés dans notre pre- s’avère être qu’un gadget dans un secteur très concurrentiel mière section. et exigeant. Notre analyse de données s’est faite en deux temps. La Plongés dans le doute, les deux entrepreneurs vont trou- notion de doute entrepreneurial étant encore peu claire, nous ver les ressources nécessaires pour poursuivre leur projet en avons d’abord réalisé un codage thématique pour identifier s’extrayant du dispositif d’incubation, en prenant des initia- et qualifier les différentes périodes de doutes auxquelles ont tives et en répondant à diverses sollicitations externes. Le pu faire face les entrepreneurs. Ainsi, nous avons considéré concours de pitch auquel ils furent contraints de participer en comme situations de doute les périodes durant lesquelles juin 2013 marqua un moment charnière de « basculement »
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation 35 entre une vision fantasmée et la mise en œuvre réaliste du sur le métier, ce qui correspond à une démarche effectuale projet. d’expérimentation. La deuxième période d’incubation fut ainsi une période A la période de doute ponctuée par le pitch a succédé une de « mise en cohérence » de l’idée au projet durant laquelle ils période de concrétisation du projet où les porteurs de projet ont cherché et réussi à donner du sens à leurs actes entrepre- ont pu bénéficier pleinement des ressources de l’incubateur neuriaux, à développer une véritable identité de marque et à et en particulier de l’encadrement. Cela a coïncidé avec la créer quelques opérations évènementielles liées à leur groupe fin de leur période d’incubation « gracieuse » et leur entrée de musique Astraz. Période jugée plutôt « heureuse », le duo en « pépinière » où ils ont pu obtenir, moyennant le paie- entrepreneurial a pu se « mettre en tension » pour faire avan- ment d’un loyer, des bureaux plus grands à même de leur cer le projet et mobiliser toutes les ressources offertes par la permettre d’assurer leur développement. L’adoption d’une structure d’incubation pour revoir et valider la conception démarche plutôt causale dans cette nouvelle période avec des modèles, choisir leurs fournisseurs, convaincre leur par- la fixation d’objectifs, la mobilisation de moyens pour les tenaire financier, lancer la production de leur première col- atteindre, la mise en place d’un plan d’action et de tableaux lection et préparer l’évènement promotionnel qu’ils avaient de bord pour en assurer le suivi, ainsi que l’organisation d’un planifié fin mars 2014, soit 18 mois après leur entrée dans contrôle systématique, parait rassurante et conforte les por- l’incubateur. teurs de projet dans leur détermination. Périodes de doute Ces éléments sont repris de façon synthétique ci-dessous Pour GC, le doute a émergé très rapidement et s’est cristallisé dans la Figure 1. peu après leur entrée dans l’incubateur. Elle s’est traduite par Wiithaa (ci-après « W ») une vision confuse (« nous n’avions pas pris conscience de notre vraie force ») et par une très forte gesticulation (« on Leur histoire partait dans tous les sens »). Ce fut une période relativement Le second cas s’inscrit dans l’économie circulaire et propose longue et difficile marquée par une forte incertitude : « La une plate-forme de services permettant de redonner vie aux plupart du temps pendant cette période, on ne savait pas où objets déjà utilisés en les recyclant grâce à la mise en relation on allait ». Ils rapportent avoir vécu une période de doute, de tout un réseau d’acteurs : designers, producteurs, consom- mais de « doute positif », ressentie rétrospectivement davan- mateurs et fournisseurs locaux, qu’il s’agisse de particuliers, tage comme un « challenge » dans la mesure où elle leur a d’entreprises ou d’administrations. Agissant comme une permis au final de se « reconstruire ». plate-forme, Wiithaa décline son concept en trois princi- Logiques d’action pales offres : la vente de produits, l’animation d’ateliers et Chez GC, le doute n’est au départ pas vraiment conscient. l’organisation d’événements pour promouvoir l’upcycling et C’est un concours de pitch qui les a amenés à réaliser que l’économie circulaire. L’équipe de W est composée de quatre leur projet était en danger et qu’ils devaient le « redéfinir ». membres : Brieuc et Nicolas qui, à plein temps dans le projet, L’exercice les a contraints après plusieurs mois de tergiver- en sont les véritables porteurs; ils sont accompagnés de deux sations à proposer une première vision cohérente du pro- entrepreneurs qui gèrent parallèlement leur propre activité. jet qu’ils arrivent à articuler et décliner dans une offre qui Ce projet a connu un parcours d’intégration plus com- semble enfin pertinente : « c’est le moment où on a compris pliqué que le premier projet étudié avec une première phase où on allait, tout est devenu un peu une évidence : on a de rejet de leur demande d’incubation et ce malgré la pré- compris qu’on voulait tel produit, telle marque, tel univers paration d’un des membres expérimentés du projet. Ce fut visuel. Il n’y avait plus qu’à le réaliser ». Dans cette période, d’autant plus ressenti comme un échec que le lancement de le soutien et les encouragements des proches ont été fonda- la boutique en ligne ne rencontrait pas le succès escompté. mentaux. Ils ont d’abord partagé leur envie d’entreprendre. Dans la période de doute qu’ils traversent à ce moment-là, ils Ils ont également apporté du « bon sens » et de « la cohé- décident de réorienter leur projet vers davantage d’accompa- rence » pour permettre aux porteurs d’avancer plus sereine- gnement et de prestations tournées vers l’évènementiel. La ment. Mais ce qu’il leur a permis de sortir de cette période signature d’un premier contrat régional – Lille 3000 – et la de doute, ce sont véritablement des événements externes et concrétisation d’autres projets de taille toutefois plus réduite des rencontres qui se sont produites en marge du dispositif les confortent dans leur réorientation stratégique qui leur d’incubation. Par exemple, c’est la rencontre avec la créatrice permette d’intégrer l’incubateur en décembre 2012. Marion Vidal, pourtant anodine au départ, qui semble les avoir sortis du projet « conceptuel » entrepreneurial pour les Périodes de doute plonger dans la réalité du marché de la mode. C’est égale- Le projet W s’inscrit à l’intersection de plusieurs domaines ment le partenariat signé avec le groupe Jacadi pour animer d’activité ce qui rend d’emblée sa compréhension difficile et des points de vente qui leur ont permis de « retrouver l’ins- sa mise en œuvre risquée d’autant que les secteurs d’activi- piration » : « les showcases Jacadi dans d’autres pays nous tés auxquels il s’adresse sont par essence cloisonnés. C’est ont vraiment éveillé, nous ont donné des idées, nous ont mis ce qui explique en grande partie le rejet du projet par le dans une dynamique créative, et c’est cela qui fait renaître comité de sélection de l’incubateur, d’autant qu’un seul de l’envie ». En d’autres termes, le doute les a poussés à inves- ses quatre représentants était présent ce jour-là. Ce fut pour tiguer d’autres modèles d’affaires et à remettre leur projet eux une « vraie désillusion » d’autant qu’ils pensaient avoir
36 Management international / International Management / Gestión Internacional FIGURE 1 Trajectoire du projet Garçonne et Chérubin GC : Doute et inspiration Marion VIDAL Soutiens divers CONTRAT JACADI Choix date Dispersion Accord Choix d'une Financement d'entreprendre idée par intuition PITCH Période Lancement Envie de doute commercial Confusion INCUBATION 1 INCUBATION 2 PEPINIERE 1 Sept 12 Mars 13 Juin 13 Sept 13 Mars 14 Logique Logique Logique causale Logique Effectuale causale Logique causale Effectuale effectuale bien préparé leur dossier et réunir toutes les compétences Logiques d’action nécessaires. Le projet construit autour de l’upcycling était Brieuc et Nicolas ont tout fait pour intégrer l’incuba- conceptuellement très intéressant mais il était difficile de teur en vue d’y trouver un cadre et une méthode de travail voir concrètement ce que pouvait proposer l’entreprise et à qu’ils n’avaient pas, un lieu d’échanges et un accompagne- quels types de clients et/ou partenaires. Collés à leur vision ment dont ils avaient a priori besoin pour développer leur malgré les avertissements des experts, ils créent la société projet. Le rejet de leur dossier a manifestement accéléré leur et développent ce qui était alors pour eux l’épine dorsale de apprentissage et leur confrontation à la réalité d’un marché leur projet : la boutique en ligne. Les difficultés rencontrées lui-aussi difficile d’accès, tout en bénéficiant des conseils dans sa mise en place et l’échec associé à son lancement ont de coaches de l’incubateur présents pour leur permettre de plongé les porteurs de projet dans une phase de doute : « c’est réussir le deuxième examen de passage. Une fois entrés, ils un événement négatif parce que c’est l’essence même du pro- ont pu s’enorgueillir de quelques contrats passés et ils ont pu jet qui tombe à l’eau. ». ainsi constater rapidement les limites d’un dispositif d’abord W connaît une nouvelle période de doute importante dédié à l’émergence et aux premiers développements d’un seulement quelques mois après être entré dans l’incubateur. projet. Ils ont surtout pris conscience des limites de com- Si les porteurs du projet se sentent a priori bien, profitent pétences sectorielles disponibles et dont ils avaient cruelle- des infrastructures et pleinement du dispositif d’accompa- ment besoin pour lever les doutes qu’ils rencontraient dans gnement, ils ont « du mal à enchaîner ». Ils prennent surtout le développement concret de leur projet. conscience que l’incubateur ne pourra pas leur apporter les Coïncidence ou pas, quelques semaines après avoir quitté connaissances sectorielles dont ils ont besoin pour progresser l’incubateur, une sortie mouvementée car mal comprise par dans leur projet et générer du chiffre d’affaires. Au contraire, les dirigeants de l’incubateur, le projet W décrochait des « nous avons pris conscience que nous devions sortir du contrats de prestations aussi valorisantes que juteuses pour le cocon si nous voulions vraiment réussir à nous développer groupe Peugeot et le groupe Mattel (Barbie). Ils n’étaient plus (…) Nous devons davantage nous confronter au marché… vraiment incubés mais hébergés au plus près de clients et de être dans LE marché ». L’évènement déclencheur est le crash partenaires auxquels ils pouvaient désormais répondre : « on test organisé par le groupe de réflexion « Business Without passait plutôt de squat en squat en ayant le sentiment qu’on Model » au cours duquel ils doivent être capable de présenter était dans le vrai, le marché ». L’obtention d’un plus gros leur projet en moins de 5 minutes. L’épreuve est dure et vécue contrat de prestation pour un grand centre commercial leur de manière « catastrophique » par Brieuc et Nicolas. L’un des a permis d’investir dans du matériel, de louer un bureau/ate- coaches, responsable du réseau entreprendre, leur suggère lier en propre et de recruter quelques stagiaires pour pour- d’abandonner le projet. suivre leur développement. Tous ces partenariats ont permis
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