Comment l'entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l'effectuation How Can Entrepreneurs Overcome Their Doubts? ...

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Management international
International Management
Gestiòn Internacional

Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport
de la théorie de l’effectuation
How Can Entrepreneurs Overcome Their Doubts? Effectuation
Theory’s Contribution
¿Cómo puede el empresario superar la duda? Aportes de la
teoría de «la efectuación»?
Amélie Jacquemin and Xavier Lesage

Entrepreneuriat et société : de nouveaux enjeux                                  Article abstract
Entrepreneurship and society: new issues                                         The aim of this article is to investigate the journey of an entrepreneur viewed
Espíritu empresarial y sociedad: nuevas cuestiones                               as an experiential process, and to explain the logics behind her/his actions to
Volume 20, Number 2, Winter 2016                                                 overcome periods of doubts that she/he can face. Drawing on two longitudinal
                                                                                 case studies, the prevalence of the effectual logic of action over causation can
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1046560ar                                    be observed when novice entrepreneurs get through these periods of doubts.
                                                                                 This research also contributes to a better understanding of the concept of
DOI: https://doi.org/10.7202/1046560ar
                                                                                 entrepreneurial doubt by providing a definition that complements and extends
                                                                                 initial attempts of definition.
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Publisher(s)
HEC Montréal
Université Paris Dauphine

ISSN
1206-1697 (print)
1918-9222 (digital)

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Cite this article
Jacquemin, A. & Lesage, X. (2016). Comment l’entrepreneur peut-il surmonter
le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation. Management international /
International Management / Gestiòn Internacional, 20(2), 29–41.
https://doi.org/10.7202/1046560ar

Tous droits réservés © Management international / International Management      This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
/ Gestión Internacional, 2016                                                   (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
                                                                                viewed online.
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                                                                                This article is disseminated and preserved by Érudit.
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                                                                                Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
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                                                                                https://www.erudit.org/en/
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ?
Apport de la théorie de l’effectuation1
How Can Entrepreneurs Overcome Their Doubts?
Effectuation Theory’s Contribution
¿Cómo puede el empresario superar la duda?
Aportes de la teoría de « la efectuación »?
AMÉLIE JACQUEMIN*                                    XAVIER LESAGE
Louvain School of Management                         ESSCA – Ecole de Management
Université catholique de Louvain

 RÉSUMÉ                                                ABSTRACT                                              RESUMEN
L’objectif de cet article est de mieux com-          The aim of this article is to investigate the         El objetivo de este artículo consiste en com-
prendre le parcours d’un entrepreneur,               journey of an entrepreneur viewed as an               prender con mayor claridad la trayectoria de
analysé comme un processus expérientiel,             experiential process, and to explain the              un empresario analizada como un proceso
et de saisir les logiques d’action que l’en-         logics behind her/his actions to overcome             experiencial. En dicho proceso se intro-
trepreneur met en œuvre pour surmon-                 periods of doubts that she/he can face.               ducen las lógicas de acción que el empresario
ter les périodes de doute auxquelles il est          Drawing on two longitudinal case stu-                 pone en práctica para superar los periodos
confronté. A travers deux études de cas              dies, the prevalence of the effectual logic           de duda a los cuales se enfrenta. Por inter-
longitudinales, nous avons observé la pré-           of action over causation can be observed              medio de dos estudios de caso longitudi-
gnance de la logique effectuale d’action, à          when novice entrepreneurs get through                 nales, hemos observado que si el empresario
travers l’ensemble de ses principes, lorsque         these periods of doubts. This research also           novicio se enfrenta a un periodo de duda,
l’entrepreneur novice connait une période            contributes to a better understanding of              él impone una lógica de “efectuación” de la
de doute. Notre recherche permet par ail-            the concept of entrepreneurial doubt by               acción que incluye el conjunto de principios
leurs de mieux cerner le concept de doute            providing a definition that complements               de la misma. Nuestra investigación permite
entrepreneurial en proposant une défini-             and extends initial attempts of definition.           mejorar la comprensión del concepto de
tion qui prolonge et complète les tentatives         Keywords: Entrepreneurial doubt – effectua-           «duda empresarial» proponiendo una defi-
de définitions préexistantes.                        tion – causation – support                            nición que prolonga y completa las tentati-
Mots clés : Doute entrepreneurial – effectua-                                                              vas de definición anteriores.
tion – causation – accompagnement                                                                          Palabras Claves: Duda empresarial – efec-
                                                                                                           tuación – causación - acompañamiento

L   a recherche présentée dans cet article trouve son fondement
    dans l’approche plaidant pour que l’entrepreneuriat soit
davantage considéré et étudié comme un processus expérientiel
                                                                                   Pour citer cet article : Jacquemin, A.; Lesage, X. (2016). Comment
                                                                                   l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de
                                                                                   l’effectuation. Management international, 20(2), 29-41.
(Schindehutte et al., 2006). Les auteurs qui s’intéressent à cette
expérience entrepreneuriale avancent qu’il s’agit d’un processus                    La littérature tend à relier ces émotions négatives à l’échec
traversé par « des sommets et des vallées » d’émotions (Byrne                    entrepreneurial. A cet égard, Smida et Khelil (2010) ont mis en
et Shepherd, 2015). Ce processus d’ascenseur émotionnel est                      évidence que les déterminants de l’échec peuvent être de trois
de plus en plus étudié. Il est ainsi aujourd’hui démontré que                    ordres : (i) des facteurs environnementaux, (ii) des carences
l’entrepreneur expérimente d’intenses périodes d’émotions                        en termes de ressources, ou encore (iii) des facteurs de démo-
négatives telles que la peur (Welpe et al., 2012), l’incertitude                 tivation et d’insatisfaction de l’entrepreneur. Ce troisième
(Bird, 1989; Stevenson, 1985), l’ambiguïté (Shane et al., 2003),                 groupe de déterminants provient de la théorie dite de la brèche
la solitude (Boyd et Gumpert, 1983; Doern et Goss, 2014),                        aspirations-réalisations (en anglais Goal Achievement Gap
une surcharge de travail et du stress (Ahmad et Salim, 2009;                     Theory). Sous ce prisme théorique, l’échec se définit comme
Akande, 1994; Buttner, 1992; Grant, 2011).                                       étant une situation dans laquelle l’entrepreneur expérimente

1.	Une version préliminaire de ce manuscrit a été présentée en 2014 aux 5èmes Journées Georges Doriot, Rabat (Maroc), 15-16 mai, et a reçu le Prix HEC Paris
    – Bruno Roux de Bezieux.
*Auteur référent
30                                                                 Management international / International Management / Gestión Internacional

une déception personnelle du fait de la non-concrétisation de            poursuivons ce double objectif. Pour y parvenir, nous avons
ses attentes initiales. L’écart entre l’expérience entrepreneu-          étudié deux cas de projet entrepreneurial accompagnés dans
riale effectivement vécue par l’entrepreneur et la représenta-           le cadre d’un incubateur d’entreprises adossé à une école
tion qu’il en avait au départ et qui avait forgé sa motivation et        de commerce dans laquelle les auteurs enseignent. Nous
ses attentes peut mener à l’échec (Cooper et Artz, 1995; Smida           nous sommes demandés comment ces entrepreneurs parve-
et Khelil, 2010). Toutefois, ce phénomène de gap émotionnel              naient à surmonter les phases de doutes auxquelles ils étaient
et son impact sur l’engagement de l’entrepreneur envers son              confrontés. Pour répondre à cette question de recherche,
projet, ainsi que sur sa motivation à le poursuivre, demeurent           nous avons analysé les domaines de décision impactés par le
aujourd’hui insuffisamment compris (Byrne et Shepherd,                   doute ainsi que les approches décisionnelles mobilisées par
2015; Doern et Goss, 2014).                                              ces entrepreneurs pour surmonter leurs doutes. Nos résul-
                                                                         tats indiquent que les approches mobilisées pour surmonter
    A cet égard, McMullen et Shepherd (2006) ont développé
                                                                         le doute sont de type plutôt effectual. Par ailleurs, nous pro-
un modèle de l’action entrepreneuriale qui souligne combien
                                                                         posons une définition du concept de doute entrepreneurial
les croyances de l’entrepreneur sur l’existence d’opportuni-
                                                                         qui prolonge celle de Valéau (2006, 2007).
tés influencent ses actions. Les croyances étudiées portent
sur le doute que peut avoir l’entrepreneur sur la faisabilité                Le présent article est structuré autour de quatre sec-
et la désirabilité de son action, ainsi que sur l’évaluation des         tions. Dans une première section, nous présentons l’ancrage
degrés de risque, d’incertitude et d’ambigüité de l’oppor-               théorique de notre recherche. La deuxième section décrit la
tunité identifiée en relation avec ses connaissances et ses              méthodologie de collecte et d’analyse des données récoltées
motivations. Avec d’autres collègues, Shepherd a poursuivi               à travers ces cas. La troisième section présente nos observa-
ses travaux pour mieux comprendre les processus cogni-                   tions pour ensuite les discuter. Une dernière section dresse
tifs de formation des croyances relatives aux opportunités               nos conclusions et recommandations.
(Shepherd et al., 2007). S’ils reviennent sur le doute en indi-
quant que « le doute est créé par le risque entrepreneurial,                                  Ancrage théorique
l’incertitude et l’ambiguité », ils ne prennent pas véritable-
                                                                         Dans cette section, nous commençons par définir la notion
ment la peine de définir la notion de doute à la différence des
                                                                         de doute entrepreneurial et par référencer les théories qui
notions auxquelles elle est associée. Shepherd et ses collègues
                                                                         permettraient de déterminer les mécanismes à adopter pour
(2007) concluent par ailleurs leur étude en soulignant que
                                                                         surmonter le doute. Ce second point est ensuite enrichi au
de futures recherches demeurent nécessaires pour examiner
                                                                         regard des notions d’environnement de la décision et de
les processus permettant de diminuer le doute et de dépas-
                                                                         paradigme de la décision.
ser l’ignorance afin de mieux comprendre la formation des
croyances de l’entrepreneur en l’existence d’opportunités.
                                                                         Doute entrepreneurial et mécanismes
    Certains chercheurs se sont intéressés aux pics d’émo-               de résolution du doute
tions négatives vécus par l’entrepreneur en utilisant le terme
de doute entrepreneurial (Valéau, 2006, 2007; St-Jean et                 Le doute semble être un phénomène hétéroclite pouvant
Jacquemin, 2012). La théorie de la brèche aspirations-réalisa-           s’expliquer par différents facteurs et se manifester de diverses
tions les a probablement inspirés dans la mesure où le doute             manières. Tous les professionnels qui accompagnent des
entrepreneurial y est défini comme une remise en cause plus              entrepreneurs les ont vus douter pour des raisons pouvant
existentielle que le simple stress qui se produit « lorsque l’en-        être notamment financières, personnelles, familiales, tech-
                                                                         niques, ou encore logistiques. Ce doute peut par ailleurs
trepreneur expérimente des réalités qui ne sont pas conformes
                                                                         s’exprimer tant à travers des comportements de découra-
à ses attentes, à ses idéaux de départ ou lorsque l’entrepreneur
                                                                         gement, de dépit, de colère ou encore de tristesse. Valéau
est inquiet quant à ses capacités à réussir dans ses affaires »
                                                                         (2006) montre que le doute entrepreneurial est lié à des
(Valéau, 2006, 2007). Ces premières recherches sur le doute
                                                                         états psychologiques complexes variant d’un entrepreneur
entrepreneurial mettent en évidence la nécessité pour l’entre-
                                                                         à l’autre. Tenter de définir le doute en appréhendant toutes
preneur de reconstruire son projet, et partant de réduire le
                                                                         ses possibles causes et conséquences parait donc ardu. Un
fossé qui s’est installé entre les attentes fantasmées et la réalité
                                                                         élément semble toutefois différenciant car commun à tous
expérimentée, afin d’être en mesure de surmonter son doute
                                                                         ces cas de figure. Il s’agit du caractère existentiel d’une telle
et de poursuivre l’aventure entrepreneuriale (Valéau, 2006,
                                                                         remise en cause du projet. Pour Valéau (2007), l’engagement
2007). L’accompagnement, notamment à travers la formule
                                                                         dit « de départ » est profondément remis en question lors de
du mentorat et grâce à la posture herméneutique du mentor
                                                                         phases de doutes et de confusions « aigües ». Une telle dévia-
(attitude d’écoute et de protection davantage orientée vers
                                                                         tion par rapport aux attentes initiales de l’entrepreneur est
la quête de sens plutôt que l’acquisition de techniques, voir
                                                                         de nature à affecter la motivation de celui-ci. S’il ne réussit
Paul, 2004), contribuerait à améliorer la réduction du doute             pas à faire disparaitre cette déviation, l’entrepreneur man-
de l’entrepreneur (St-Jean et Jacquemin, 2012).                          quera de motivation et de détermination à la réussite, ces
   Il ressort de ces éléments que, d’une part, la notion de              éléments pouvant mener à l’échec entrepreneurial. Comme
doute entrepreneurial reste floue, et, d’autre part, qu’il               nous l’avons déjà évoqué en introduction, le doute est dès
convient d’examiner ce processus, notamment les logiques                 lors plus profond qu’une simple situation de stress et c’est ce
d’action qui permettent de surmonter le doute. Nous                      qui en fait sa singularité.
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation                                                        31

   Les réponses que l’entrepreneur peut apporter à cette                       exercer un impact sur la santé des dirigeants de PME, insiste
profonde insatisfaction pour tenter de la surmonter sont                       sur les doutes et la souffrance que peut engendrer l’isole-
diverses. Il s’agira en toutes hypothèses pour l’entrepreneur                  ment du dirigeant de PME. C’est ce qui expliquerait selon
de « réajuster » son engagement, c›est-à-dire de revoir sa                     cet auteur que le dirigeant de PME se tourne vers des réseaux
manière d’être entrepreneur et son projet d’affaire. Ce réa-                   patronaux ou des associations de pairs.
justement passe selon Valéau (2007) par la prise de décisions                     Que l’individu souhaite agir sur les facteurs causant le
importantes comme, par exemple, l’abandon d’un marché ou                       stress et/ou sur les pensées indésirables et émotions suscitées
la séparation d’avec un associé. L’accompagnement semble                       par ces facteurs, la solution résiderait donc dans l’enchâs-
par ailleurs important pour la résolution de ce problème. A                    sement de l’entrepreneur dans des réseaux et serait surtout
cet égard, St-Jean et Jacquemin (2012) ont mis en évidence le                  sociale. C’est cet élément qui nous a conduit à faire un lien
rôle positif joué par un mentor, qu’il ait été lui-même ou non                 entre le doute entrepreneurial et la théorie de l’effectuation
entrepreneur, pour aider l’entrepreneur novice à réduire son                   (Sarasvathy, 2001, 2008).
niveau de doute.
    Ces études empiriques sur le doute entrepreneurial nous                    Théorie de l’effectuation et principes
permettent de mieux appréhender le phénomène, mais elles                       comportementaux pour surmonter le doute
demeurent encore trop peu éclairantes sur les mécanismes
de résolution du doute. La théorie du stress nous semble                       La théorie de l’effectuation (Sarasvathy, 2001, 2008) a permis
pouvoir utilement compléter ces éléments. Cette théorie                        de dresser un portrait de l’entrepreneuriat tel qu’il se fait. Il
s’est construite autour de l’étude des situations de stress                    s’agit en effet de comprendre comment les entrepreneurs dits
vécues au travail. Elle a mis à jour deux types de mécanismes                  « experts » pensent et agissent. La notion d’expertise se rap-
d’adaptation permettant de prévenir et de réduire le stress :                  porte principalement au nombre d’entreprises déjà créées par
l’adaptation centrée sur les émotions et l’adaptation centrée                  l’entrepreneur et permet dès lors d’investiguer le processus
sur le problème (Bond et Bunce, 2000; Lazarus et Folkman,                      entrepreneurial à travers le parcours de ceux qui réussissent.
1984). L’adaptation centrée sur les émotions agit sur les pen-                 Sarasvathy (2001, 2008) distingue l’approche « effectuale »
sées indésirables et les émotions suscitées par les facteurs                   d’une autre approche dite « causale ». L’entrepreneur « effec-
de stress (Bond et Bunce, 2000; Lazarus et Folkman, 1984).                     tual » agit au départ des moyens dont il dispose et co-
L’adaptation centrée sur le problème vise quant à elle à iden-                 construit chemin faisant un projet grâce à l’engagement des
tifier et atténuer les facteurs de stress qui ont donné lieu aux               personnes rencontrées (les parties prenantes) avec comme
tensions vécues par l’individu. Quel que soit le mécanisme                     balise la notion de perte acceptable (ce qu’il est prêt à perdre
utilisé, il a été démontré que la recherche d’un soutien auprès                ou non dans son projet). L’entrepreneur « causal » cherche à
des autres individus (soutien social) est une stratégie utili-                 collecter les moyens lui permettant de réaliser un objectif
sée pour faire face au stress (Carver et al., 1989) qui influe à               prédéterminé (sa vision), ce qui l’amène à davantage plani-
la fois directement sur la santé générale et en particulier la                 fier ses actions au départ de prédictions faites sur la base de
santé mentale de l’individu en jouant un rôle de « tampon »                    ce qu’il connait du passé et ce qu’il expérimente au présent,
au stress (Kirkcaldy et Furnham, 1995; Patterson, 2003;                        avec comme leitmotiv la notion de profit attendu.
Thoits, 1995). Torrès (2009) qui a développé une « équation                       Plus spécifiquement, la théorie de l’effectuation met en
fondamentale de la santé patronale » dans laquelle il met                      exergue cinq principes de prise de décision caractérisant l’ap-
en balance les facteurs pathogènes et salutogènes pouvant                      proche qu’adoptent les entrepreneurs experts (cf. Tableau 1).

                                                                   TABLEAU 1
                                             Les principes de l’effectuation vs. la causation
                             CAUSATION                                                             EFFECTUATION
 Collecter les moyens utiles après avoir déterminer un objectif                   Principe 1 : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »
                                                                       Démarrer avec les moyens dont on dispose (qui on est, qui on connait et
                                                                       ce que l’on connait)
         Commencer par déterminer le profit attendu,                                    Principe 2 : Raisonner en perte acceptable
       puis travailler pour minimiser les risques associés             Limiter les risques en déterminant à chaque étape du projet ce que l’on
                    à cette recherche de profit                        est prêt à perdre
     Considérer les autres acteurs comme des concurrents                                        Principe 3 : Patchwork fou
                   auxquels il faut faire face                         Co-construire le projet en suscitant l’engagement de parties prenantes
         Tenter de minimiser les surprises en effectuant                                          Principe 4 : Limonade
              des scénarios pessimistes (« et si … »)                  Regarder et utiliser les surprises comme autant de nouvelles ressources
 Considérer l’environnement comme une force exogène que je                                   Principe 5 : Pilote dans l’avion
     ne peux pas maîtriser, mais que je peux comprendre                Regarder son environnement non pas comme il est ou a été, mais
  et prédire sur la base des tendances passées et actuelles            comme je voudrais qu’il soit, et prendre conscience que je peux le faire
                                                                       évoluer dans le sens désiré de par mes actions
Source : Silberzhan (2014) adapté de Sarasvathy (2001, 2008)
32                                                               Management international / International Management / Gestión Internacional

Plusieurs de ces principes font ressortir l’enchâssement social        produit ou service, expérimenter diverses façons de vendre
qui permettrait, à notre sens, de surmonter le doute. Le pre-          ou de délivrer un produit ou service, etc.), de délimitation
mier principe intitulé « Un tiens vaut mieux que deux tu l’au-         des pertes acceptables (limiter les ressources engagées dans
ras » souligne en effet que l’entrepreneur agit en partant des         le projet), de flexibilité (éviter les actions qui restreignent la
moyens dont il dispose, un de ces moyens étant les personnes           flexibilité et l’adaptabilité du projet à son environnement et à
que l’entrepreneur connait et dont il pourrait obtenir l’aide,         ses pilotes) et de pré-engagement de parties prenantes (négo-
voire l’engagement. Le troisième principe effectual nommé              ciations d’accord avec des parties prenantes). Le Tableau 2
« Patchwork fou » met également en évidence le processus de            résume l’ensemble des comportements qui relèvent de la
co-construction du projet entrepreneurial à travers la direc-          causation ou de l’effectuation.
tion que des parties prenantes peuvent donner au projet et,
                                                                           Forts de ces éléments, nous nous interrogeons sur le
surtout, l’engagement de celles-ci par rapport au projet (enga-
                                                                       type de comportement à adopter par l’entrepreneur pour
gement à apporter un savoir, à devenir le premier client, à
                                                                       réussir à surmonter son doute. Les comportements de type
développer les améliorations du produit, etc.).
                                                                       « effectual » seraient-ils plus efficaces que les comportements
    En s’appuyant sur les travaux de Chandler et al. (2011)            de type « causal » en raison de l’enchâssement social des
et de Senyard et al. (2009), Fisher (2012) a en quelque sorte          premiers ?
opérationnalisé ces principes de décisions en identifiant
les comportements pouvant être considérés comme tradui-
                                                                       Environnement et paradigmes de décision
sant une approche effectuale ou une approche causale. Les
                                                                       pour surmonter le doute entrepreneurial
comportements dits « causaux » relèvent de l’identification
d’opportunités à travers la récolte d’informations, des activi-        Dans son récent ouvrage sur les principes de l’effectuation,
tés d’estimation des retours associés aux opportunités ainsi           ouvrage qui s’appuie sur les travaux fondateurs en la matière
identifiées, des démarches de planification à travers le déve-         (Sarasvathy, 2001, 2008; Sarasvathy et Dew, 2005; Wiltbank
loppement d’un business plan ainsi qu’au travers d’études              et al., 2006), Silberzahn (2014) s’intéresse à la manière dont
de la concurrence et du marché, et enfin de l’articulation             l’entrepreneur pilote son projet entrepreneurial. Il rappelle
d’une vision claire et/ou d’objectifs à atteindre. La démarche         tout d’abord qu’un projet doit se décomposer en un ensemble
effectuale se traduit quant à elle par des comportements               de différents domaines de décisions : décisions concernant le
d’expérimentation (expérimenter diverses versions d’un                 développement du produit/service, concernant le marché, le

                                                            TABLEAU 2
                    Les comportements que sous-tendent les théories du processus entrepreneurial
                        CAUSATION                                                         EFFECTUATION
 Avant toute chose, identifier une opportunité              Expérimenter :
                                                                -   Plusieurs offres commerciales
                                                                -   Plusieurs canaux de distribution
                                                                -   Plusieurs types de produits/services au fur et à mesure
                                                                    du développement de l’entreprise
 Identifier et évaluer des opportunités sur le long terme   Raisonner par perte acceptable :
 tout en développant son entreprise                              -   Limiter les moyens financiers investis dans le projet
                                                                 -   Limiter les ressources associées au projet à ce qui peut être perdu
 Calculer les retours que permettent différentes            Flexibilité :
 opportunités                                                    -      Répondre aux opportunités imprévues qui se manifestent en cours
                                                                        de route
                                                                 -      Adapter ce qui est en train d’être fait aux ressources que l’on a
                                                                        sous la main
                                                                 -      Eviter les actions qui restreignent la flexibilité/l’adaptabilité
 Développer un plan d’affaires                              Pré-engagements avec :
                                                                 -   Des clients
 Organiser et mettre en œuvre des processus de contrôle
                                                                 -   Des fournisseurs
 Collecter et analyser des informations concernant la            -   D’autres organisations
 taille et la croissance du marché
 Collecter des informations sur les concurrents
 et analyser leur offre
 Exprimer une vision et/ou les objectifs poursuivis
 à travers le projet
 Développer un plan de développement des produits/
 services
 Développer un plan marketing
Source: Fisher (2012)
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation                                                 33

marketing, la gestion financière de l’activité, la gestion juri-               entrepreneurial. On peut ainsi imaginer que dans certains
dique, la logistique, etc.                                                     cas (contexte de risque), l’entrepreneur vit une période de
    Ensuite, il rappelle que dans chacun de ces domaines,                      doute similaire à d’autres expériences antérieures de stress
les décisions prises ont pour but de créer un futur souhai-                    ou de doutes et qu’il peut se référer à ces évènements passés
table pour l’entrepreneur et que ce futur peut être perçu                      pour déterminer comment surmonter son doute actuel. La
comme revêtant différentes natures. Mobilisant les travaux                     stratégie de l’adaptation ou de l’essai-erreur préconisée dans
de Knight (1957), Silberzahn (2014) distingue ainsi les cas de                 ce cas de figure (approche causale) fait d’ailleurs penser à la
prédiction, de risque et d’incertitude. Dans le premier cas,                   notion de « réajustement » du projet que nous avions évo-
la nature et la distribution des évènements sont connues à                     quée au sujet des mécanismes de résolution du doute. Il nous
l’avance. Dans le second cas, la nature et la distribution des                 parait raisonnable de penser que dans d’autres cas (contexte
évènements sont déterminées grâce à une observation his-                       d’incertitude), l’entrepreneur expérimente une période de
torique. Cette détermination n’est en revanche pas possible                    doute et qu’il ne lui est pas possible de rattacher cet évène-
dans le troisième cas. Dans ce dernier cas, l’entrepreneur                     ment à des informations dont il dispose ou pourrait disposer
ne dispose pas d’informations historiques lui permettant                       de par son passé. Les décisions à prendre pour surmonter le
de calculer des probabilités sur ce qui pourrait se passer.                    doute seraient alors par nature « isotropes » et l’aide de par-
Les décisions qu’il prendra seront dès lors caractérisées par                  ties prenantes tierces serait au cœur du processus de résolu-
l’incertitude.                                                                 tion du doute (approche effectuale).
   Silberzahn (2014) suggère enfin que pour chaque domaine                        Un cadre théorique étant délimité et des interrogations
de décision, l’entrepreneur doit prendre des décisions en                      étant posées, nous nous tournons à présent vers la présenta-
tenant compte du contexte dans lequel s’inscrit la décision                    tion de notre approche méthodologique et de notre terrain
(concept d’environnement de la décision) et de la façon de                     de recherche.
décider (concept de paradigme de la décision) qui sera la plus
adaptée audit contexte. Cela permet de dessiner les trois cas
de figure suivants :                                                                    Cadre Méthodologique et présentation
   Dans un environnement de prédiction où l’information                                        du terrain de recherche
n’existe pas mais où elle peut être créée par la prédiction, une
                                                                               Deux études de cas longitudinales
démarche décisionnelle délibérée, ciblée sur des buts et arti-
culée autour d’un plan, sera la plus pertinente.                               Notre recherche est avant tout de nature exploratoire. Il ne
                                                                               s’agit pas de généraliser des résultats mais d’appréhender et
   Dans un environnement de risque où l’information existe
                                                                               de mettre en évidence un phénomène complexe (Yin, 2014).
et peut être acquise, l’entrepreneur devra, avant de se fixer
                                                                               La méthode de l’étude de cas permet de tester les théories
un objectif et d’agir, étudier les évènements passés pour col-
lecter l’information utile. Il pourra soit attendre que cette                  existantes et éventuellement d’étendre leur portée théorique.
information devienne disponible puis s’y adapter (attitude                     Dans ce cadre, nous avons choisi d’étudier les trajectoires
passive) soit procéder par essai-erreur pour identifier l’infor-               singulières de deux start-ups dont les porteurs de projet ont
mation nécessaire (démarche active).                                           été confrontés à de profondes périodes de doute. L’étude de
                                                                               ces périodes de doute nécessite d’ancrer notre analyse dans
   Dans un environnement incertain, l’information est soit
                                                                               une temporalité (Pettigrew, 1990). L’approche longitudi-
inexistante, soit « isotrope », c’est à-dire que l’entrepreneur
                                                                               nale s’est ainsi révélée pertinente pour analyser le compor-
n’a aucun critère pour décider si une information est ou non
                                                                               tement des entrepreneurs dans ces contextes d’incertitude.
pertinente. Puisque l’entrepreneur ne peut pas définir des
                                                                               Sur la période d’observation d’octobre 2012 à janvier 2014,
buts, ni acquérir de l’information sur laquelle faire reposer
sa décision, il devra s’accorder avec les autres parties pre-                  nous avons ainsi développé une compréhension à la fois de
nantes pour co-construire un système de jugement des élé-                      contenu – pour appréhender les caractéristiques du doute –
ments qui sont ou non pertinents pour prendre une décision.                    et processuelle pour saisir les logiques d’actions des entre-
                                                                               preneurs pour surmonter les périodes de doutes auxquelles
   Les deux premières approches (planification, adaptation,                    ils faisaient face (Yin, 2014).
essai-erreur) sont de type causal, tandis que la troisième est
de type effectual.
                                                                               Collecte et analyse de données
    Ces éléments nous semblent pouvoir enrichir le cadre
théorique d’étude du doute entrepreneurial esquissé pré-                       Depuis octobre 2012, nous avons pu observer la trajectoire de
cédemment. En effet, il convient de se demander si une                         chacun des projets en qualité de coach au sein d’un incubateur
situation de doute entrepreneurial peut être assimilée à une                   académique. Nous avons pu ainsi organiser dans une logique
situation de risque ou d’incertitude. Répondre à cette ques-                   d’observation participante des rencontres régulières : des
tion permettrait de déterminer si la logique d’action à adop-                  rendez-vous plus ou moins formels (une fois par mois) d’une
ter pour surmonter le doute devrait davantage s’apparenter                     durée de 30 à 45 minutes et des bilans d’étape plus longs et
à la causation ou à l’effectuation. Cette question est difficile               plus formels (1 fois par trimestre) de plus d’une heure, impo-
dans la mesure où chacun de ces contextes nous semble pou-                     sés dans le cadre du dispositif d’incubation. Ces rencontres
voir être relié à des éléments constitutifs de la notion de doute              ont fait systématiquement l’objet d’enregistrements et/ou de
34                                                               Management international / International Management / Gestión Internacional

                                                            TABLEAU 3
                                              Synthèse des données collectées
 PÉRIODE DE COLLECTE                    GARÇONNE & CHÉRUBIN                                               WIITHAA
 Octobre 2012-             Observation participante                                Observation participante
 Janvier 2014                                                                      11 RDV (incubation et en dehors) d’environ 30 min
                           13 RDV mensuels 30 min  1h (CR et prise de
                           notes)                                                  (CR et prise de notes)
                           4 entretiens enregistrés (4 bilans d’étape >1h)         4 entretiens enregistrés (2 bilans d’étapes + 2 bilans
                                                                                   hors incubateur)
                           Documents internes (business plans, rapports
                           d’étape, documents préparatoires, supports pitch,       Documents internes (BP, Rapport d’étape, documents
                           etc.)                                                   préparatoires, supports pitch, etc.)
 Février/Mars 2014         2 entretiens semi-directifs centrés sur la période de   2 entretiens semi-directifs centrés sur la période de
                           doute d’1h30 au total                                   doute d’1h30 au total

prise de notes complétés par les compte-rendu réalisés par             l’entrepreneur a ressenti un décalage important entre ce à
les porteurs de projets eux-mêmes.                                     quoi il ambitionnait et ce qu’il expérimentait concrètement
    Le mode opératoire de la collecte des données a été toute-         (lien avec la théorie de la brèche aspirations-réalisations)
fois quelque peu différent entre les deux projets en raison de         et/ou lorsque l’entrepreneur était fortement inquiet pour la
leur trajectoire singulière. Si le projet Garçonne et Chérubin         continuité même de ses affaires (lien avec la définition de
a intégré l’incubateur dès octobre 2012 et y est resté pendant         Valéau qui distingue ainsi un doute existentiel d’une simple
toute la période d’observation, le projet Wiithaa n’a inté-            situation de stress). Nous avons ensuite effectué un codage
gré l’incubateur que 3 mois après – décembre 2012 – suite              axial pour croiser ces situations de doute avec les actions
à un premier rejet, et n’y est resté que 6 mois – départ en            entreprises pour surmonter le doute. A cet égard, les caté-
juin 2013. Afin d’obtenir un volume comparable de données,             gories de codages utilisées pour caractériser une logique
nous avons tâché pour le projet Wiithaa d’avoir la même fré-           d’action effectuale ainsi qu’une logique d’action causale sont
                                                                       celles décrites ci-dessus dans le Tableau 2.
quence d’interactions avec les porteurs de projet et ce, même
s’ils n’étaient pas encore ou plus incubés – soit au moins un              Nous n’avons pas utilisé un logiciel spécifique mais nous
entretien par mois le plus souvent téléphonique d’une durée            nous sommes inscrits dans une logique de double codage des
moyenne de 30 minutes. Le tableau ci-dessous recense la col-           auteurs et de comparaison systématique de leur codage. La
lecte de données.                                                      confrontation des analyses de l’auteur tuteur des deux pro-
                                                                       jets avec celle de l’autre auteur, également coach au sein de
                                                                       l’incubateur, a permis le déploiement d’une approche insi-
Méthode d’analyse des données
                                                                       der/outsider favorisant l’émergence et la vérification des
Nous avons procédé à une analyse intra et inter-cas en uti-            interprétations (Gioia et al., 2010; Langley et Abdallah, 2011).
lisant comme unité d’analyse l’entrepreneur et plus précisé-
ment l’évolution de son comportement comme recommandé
par Perry et al. (2012). Nous avons limité le biais de remé-           Observations et discussion
moration rétrospective des événements dans la mesure où                Présentation des deux cas et de nos observations
nous avons interviewé et observé les entrepreneurs de façon            Garçonne et Chérubin (ci-après « GC »)
longitudinale (Eisenhower et al., 2004). Par ailleurs, bien
que notre étude soit qualitative et ne puisse pas conduire à           Leur histoire
des résultats généralisables comme le permettent les études            Edward et François, fraichement diplômés d’Ecole de com-
quantitatives, nous avons veillé à mobiliser plusieurs tech-           merce et fondateurs du groupe de musique Astraz, ont
niques afin d’augmenter la qualité de notre recherche qua-             rejoint l’incubateur dès octobre 2012 pour lancer « Garçonne
litative (Bluhm et al., 2011; Brush, 2007; Neergaard, 2007).           et Chérubin », une nouvelle marque de chaussures, élégantes
En effet, outre l’utilisation de différentes sources de données        et casuelles, style Belle Epoque. Alors qu’ils pensent pou-
primaires et secondaires permettant la triangulation des               voir lancer leur première collection en moins d’un an, ils
données, le choix des cas étudiés et des données à collecter           constatent amèrement que l’idée de proposer des chaussures
ainsi que le codage de ces données reposent sur de solides             dotées de « languettes de couleurs interchangeables » ne
fondements théoriques tels que développés dans notre pre-              s’avère être qu’un gadget dans un secteur très concurrentiel
mière section.                                                         et exigeant.
   Notre analyse de données s’est faite en deux temps. La                  Plongés dans le doute, les deux entrepreneurs vont trou-
notion de doute entrepreneurial étant encore peu claire, nous          ver les ressources nécessaires pour poursuivre leur projet en
avons d’abord réalisé un codage thématique pour identifier             s’extrayant du dispositif d’incubation, en prenant des initia-
et qualifier les différentes périodes de doutes auxquelles ont         tives et en répondant à diverses sollicitations externes. Le
pu faire face les entrepreneurs. Ainsi, nous avons considéré           concours de pitch auquel ils furent contraints de participer en
comme situations de doute les périodes durant lesquelles               juin 2013 marqua un moment charnière de « basculement »
Comment l’entrepreneur peut-il surmonter le doute ? Apport de la théorie de l’effectuation                                                   35

entre une vision fantasmée et la mise en œuvre réaliste du                     sur le métier, ce qui correspond à une démarche effectuale
projet.                                                                        d’expérimentation.
    La deuxième période d’incubation fut ainsi une période                         A la période de doute ponctuée par le pitch a succédé une
de « mise en cohérence » de l’idée au projet durant laquelle ils               période de concrétisation du projet où les porteurs de projet
ont cherché et réussi à donner du sens à leurs actes entrepre-                 ont pu bénéficier pleinement des ressources de l’incubateur
neuriaux, à développer une véritable identité de marque et à                   et en particulier de l’encadrement. Cela a coïncidé avec la
créer quelques opérations évènementielles liées à leur groupe                  fin de leur période d’incubation « gracieuse » et leur entrée
de musique Astraz. Période jugée plutôt « heureuse », le duo                   en « pépinière » où ils ont pu obtenir, moyennant le paie-
entrepreneurial a pu se « mettre en tension » pour faire avan-                 ment d’un loyer, des bureaux plus grands à même de leur
cer le projet et mobiliser toutes les ressources offertes par la               permettre d’assurer leur développement. L’adoption d’une
structure d’incubation pour revoir et valider la conception                    démarche plutôt causale dans cette nouvelle période avec
des modèles, choisir leurs fournisseurs, convaincre leur par-                  la fixation d’objectifs, la mobilisation de moyens pour les
tenaire financier, lancer la production de leur première col-                  atteindre, la mise en place d’un plan d’action et de tableaux
lection et préparer l’évènement promotionnel qu’ils avaient                    de bord pour en assurer le suivi, ainsi que l’organisation d’un
planifié fin mars 2014, soit 18 mois après leur entrée dans                    contrôle systématique, parait rassurante et conforte les por-
l’incubateur.                                                                  teurs de projet dans leur détermination.
Périodes de doute                                                                Ces éléments sont repris de façon synthétique ci-dessous
Pour GC, le doute a émergé très rapidement et s’est cristallisé                dans la Figure 1.
peu après leur entrée dans l’incubateur. Elle s’est traduite par
                                                                               Wiithaa (ci-après « W »)
une vision confuse (« nous n’avions pas pris conscience de
notre vraie force ») et par une très forte gesticulation (« on                 Leur histoire
partait dans tous les sens »). Ce fut une période relativement
                                                                               Le second cas s’inscrit dans l’économie circulaire et propose
longue et difficile marquée par une forte incertitude : « La
                                                                               une plate-forme de services permettant de redonner vie aux
plupart du temps pendant cette période, on ne savait pas où
                                                                               objets déjà utilisés en les recyclant grâce à la mise en relation
on allait ». Ils rapportent avoir vécu une période de doute,
                                                                               de tout un réseau d’acteurs : designers, producteurs, consom-
mais de « doute positif », ressentie rétrospectivement davan-
                                                                               mateurs et fournisseurs locaux, qu’il s’agisse de particuliers,
tage comme un « challenge » dans la mesure où elle leur a
                                                                               d’entreprises ou d’administrations. Agissant comme une
permis au final de se « reconstruire ».
                                                                               plate-forme, Wiithaa décline son concept en trois princi-
Logiques d’action                                                              pales offres : la vente de produits, l’animation d’ateliers et
Chez GC, le doute n’est au départ pas vraiment conscient.                      l’organisation d’événements pour promouvoir l’upcycling et
C’est un concours de pitch qui les a amenés à réaliser que                     l’économie circulaire. L’équipe de W est composée de quatre
leur projet était en danger et qu’ils devaient le « redéfinir ».               membres : Brieuc et Nicolas qui, à plein temps dans le projet,
L’exercice les a contraints après plusieurs mois de tergiver-                  en sont les véritables porteurs; ils sont accompagnés de deux
sations à proposer une première vision cohérente du pro-                       entrepreneurs qui gèrent parallèlement leur propre activité.
jet qu’ils arrivent à articuler et décliner dans une offre qui                    Ce projet a connu un parcours d’intégration plus com-
semble enfin pertinente : « c’est le moment où on a compris                    pliqué que le premier projet étudié avec une première phase
où on allait, tout est devenu un peu une évidence : on a                       de rejet de leur demande d’incubation et ce malgré la pré-
compris qu’on voulait tel produit, telle marque, tel univers                   paration d’un des membres expérimentés du projet. Ce fut
visuel. Il n’y avait plus qu’à le réaliser ». Dans cette période,              d’autant plus ressenti comme un échec que le lancement de
le soutien et les encouragements des proches ont été fonda-                    la boutique en ligne ne rencontrait pas le succès escompté.
mentaux. Ils ont d’abord partagé leur envie d’entreprendre.                    Dans la période de doute qu’ils traversent à ce moment-là, ils
Ils ont également apporté du « bon sens » et de « la cohé-                     décident de réorienter leur projet vers davantage d’accompa-
rence » pour permettre aux porteurs d’avancer plus sereine-                    gnement et de prestations tournées vers l’évènementiel. La
ment. Mais ce qu’il leur a permis de sortir de cette période                   signature d’un premier contrat régional – Lille 3000 – et la
de doute, ce sont véritablement des événements externes et                     concrétisation d’autres projets de taille toutefois plus réduite
des rencontres qui se sont produites en marge du dispositif                    les confortent dans leur réorientation stratégique qui leur
d’incubation. Par exemple, c’est la rencontre avec la créatrice                permette d’intégrer l’incubateur en décembre 2012.
Marion Vidal, pourtant anodine au départ, qui semble les
avoir sortis du projet « conceptuel » entrepreneurial pour les                 Périodes de doute
plonger dans la réalité du marché de la mode. C’est égale-                     Le projet W s’inscrit à l’intersection de plusieurs domaines
ment le partenariat signé avec le groupe Jacadi pour animer                    d’activité ce qui rend d’emblée sa compréhension difficile et
des points de vente qui leur ont permis de « retrouver l’ins-                  sa mise en œuvre risquée d’autant que les secteurs d’activi-
piration » : « les showcases Jacadi dans d’autres pays nous                    tés auxquels il s’adresse sont par essence cloisonnés. C’est
ont vraiment éveillé, nous ont donné des idées, nous ont mis                   ce qui explique en grande partie le rejet du projet par le
dans une dynamique créative, et c’est cela qui fait renaître                   comité de sélection de l’incubateur, d’autant qu’un seul de
l’envie ». En d’autres termes, le doute les a poussés à inves-                 ses quatre représentants était présent ce jour-là. Ce fut pour
tiguer d’autres modèles d’affaires et à remettre leur projet                   eux une « vraie désillusion » d’autant qu’ils pensaient avoir
36                                                                      Management international / International Management / Gestión Internacional

                                                                   FIGURE 1
                                                Trajectoire du projet Garçonne et Chérubin

                                                             GC : Doute et inspiration

                                                       Marion
                                                       VIDAL        Soutiens divers

                                                             CONTRAT JACADI
                                                                                                  Choix date
                                                Dispersion                                          Accord
                                  Choix d'une                                                    Financement
                 d'entreprendre

                                   idée par
                                   intuition

                                                                            PITCH
                                                       Période                                            Lancement
                      Envie

                                                       de doute                                           commercial

                                                Confusion
                                       INCUBATION 1               INCUBATION 2                   PEPINIERE 1
                       Sept 12                         Mars 13        Juin 13          Sept 13                     Mars 14

                                   Logique                                    Logique                                     Logique
                                   causale         Logique Effectuale         causale            Logique causale         Effectuale
                                                                                                   effectuale

bien préparé leur dossier et réunir toutes les compétences                          Logiques d’action
nécessaires. Le projet construit autour de l’upcycling était                      Brieuc et Nicolas ont tout fait pour intégrer l’incuba-
conceptuellement très intéressant mais il était difficile de                  teur en vue d’y trouver un cadre et une méthode de travail
voir concrètement ce que pouvait proposer l’entreprise et à                   qu’ils n’avaient pas, un lieu d’échanges et un accompagne-
quels types de clients et/ou partenaires. Collés à leur vision                ment dont ils avaient a priori besoin pour développer leur
malgré les avertissements des experts, ils créent la société                  projet. Le rejet de leur dossier a manifestement accéléré leur
et développent ce qui était alors pour eux l’épine dorsale de                 apprentissage et leur confrontation à la réalité d’un marché
leur projet : la boutique en ligne. Les difficultés rencontrées               lui-aussi difficile d’accès, tout en bénéficiant des conseils
dans sa mise en place et l’échec associé à son lancement ont                  de coaches de l’incubateur présents pour leur permettre de
plongé les porteurs de projet dans une phase de doute : « c’est               réussir le deuxième examen de passage. Une fois entrés, ils
un événement négatif parce que c’est l’essence même du pro-                   ont pu s’enorgueillir de quelques contrats passés et ils ont pu
jet qui tombe à l’eau. ».                                                     ainsi constater rapidement les limites d’un dispositif d’abord
    W connaît une nouvelle période de doute importante                        dédié à l’émergence et aux premiers développements d’un
seulement quelques mois après être entré dans l’incubateur.                   projet. Ils ont surtout pris conscience des limites de com-
Si les porteurs du projet se sentent a priori bien, profitent                 pétences sectorielles disponibles et dont ils avaient cruelle-
des infrastructures et pleinement du dispositif d’accompa-                    ment besoin pour lever les doutes qu’ils rencontraient dans
gnement, ils ont « du mal à enchaîner ». Ils prennent surtout                 le développement concret de leur projet.
conscience que l’incubateur ne pourra pas leur apporter les                       Coïncidence ou pas, quelques semaines après avoir quitté
connaissances sectorielles dont ils ont besoin pour progresser                l’incubateur, une sortie mouvementée car mal comprise par
dans leur projet et générer du chiffre d’affaires. Au contraire,              les dirigeants de l’incubateur, le projet W décrochait des
« nous avons pris conscience que nous devions sortir du                       contrats de prestations aussi valorisantes que juteuses pour le
cocon si nous voulions vraiment réussir à nous développer                     groupe Peugeot et le groupe Mattel (Barbie). Ils n’étaient plus
(…) Nous devons davantage nous confronter au marché…                          vraiment incubés mais hébergés au plus près de clients et de
être dans LE marché ». L’évènement déclencheur est le crash                   partenaires auxquels ils pouvaient désormais répondre : « on
test organisé par le groupe de réflexion « Business Without                   passait plutôt de squat en squat en ayant le sentiment qu’on
Model » au cours duquel ils doivent être capable de présenter                 était dans le vrai, le marché ». L’obtention d’un plus gros
leur projet en moins de 5 minutes. L’épreuve est dure et vécue                contrat de prestation pour un grand centre commercial leur
de manière « catastrophique » par Brieuc et Nicolas. L’un des                 a permis d’investir dans du matériel, de louer un bureau/ate-
coaches, responsable du réseau entreprendre, leur suggère                     lier en propre et de recruter quelques stagiaires pour pour-
d’abandonner le projet.                                                       suivre leur développement. Tous ces partenariats ont permis
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