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[ DÉCRYPTAGE ]
L’instrumentalisation des migrants par le régime
biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser l’Union
européenne
1
LES PUBLICATIONS
Par Klementyna ANTCZAK[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
À PROPOS DE L’ARTICLE
Analysée sous le prisme des récentes tensions en Europe orientale, l’instrumentalisation
des migrants par le régime biélorusse à l’automne 2021 apparait comme un énième outil
de désintégration utilisé par la Russie à l’encontre de l’Union européenne. Cependant, la
Biélorussie, État ayant à sa tête un autocrate assumé, tire également profit de la position
pivot de son pays, affirmant sa posture sur l’échiquier international et servant ses propres
intérêts au moyen de cette véritable « attaque hybride ».
À PROPOS DE L’AUTEUR
Klementyna ANTCZAK Étudiante franco-polonaise en master Stratégie,
intelligence économique et gestion des risques à Sciences Po Lille, elle est
actuellement en échange à l’université de Salamanque en Espagne. 2
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l’Union européenne
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur. Les idées ou opinions émises ne
peuvent en aucun cas être considérées comme l’expression d’une position officielle de
l’association Les Jeunes IHEDN.
Cet article a été rédigé au mois de janvier 2022
3
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l’Union européenne
L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une
attaque hybride pour déstabiliser l’Union européenne
« C’est une attaque hybride, pas une crise migratoire. »1 Tels sont les mots employés par
Ursula VON DER LEYEN, présidente de la Commission européenne, le 10 novembre 2021,
pour faire référence à l’instrumentalisation de migrants déplacés vers les frontières de
l’Union européenne par le président biélorusse, Alexandre LOUKACHENKO. Si la
thématique des nouvelles formes de conflictualité occupe la sphère des débats
stratégiques depuis plus de vingt ans, c’est qu’elle révèle un problème non-résolu jusqu’à
aujourd’hui, à savoir l’inadaptation des outils de défense occidentaux aux formes de
guerre non-conventionnelles. La notion de « guerre hybride » fait ainsi irruption en France
dans le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2013 2 et est très vite
récupérée par le Secrétaire général de l’Otan en 2014, Anders RASMUSSEN, pour désigner
la stratégie russe en Ukraine. Elle a depuis été réutilisée à de nombreuses reprises, si bien
4
que du fait de ses divers cas d’usage, elle ne possède pas de définition universelle. Afin
d’encadrer la notion, la Revue Défense Nationale de 2016 définit la guerre hybride comme
étant « la combinaison en une seule stratégie, voire en une seule manœuvre des modes
de guerre régulier et irrégulier »3. C’est-à-dire, la capacité pour un État doté d’une armée,
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d’un territoire et d’une population qu’il contrôle, de défendre une ligne de front en alliant
les techniques de guerre conventionnelle, armé de matériel de haute intensité, et de
nouveaux outils et techniques offensives s’émancipant du modèle de guerre
traditionnelle.
1 France Info, « Pourquoi la Biélorussie est accusée de mener une "attaque migratoire" contre l'Europe depuis
la frontière polonaise ». France Info [en ligne], 12 novembre 2021 [consulté le 08/09/2021]. Disponible sur :
https://www.francetvinfo.fr/monde/bielorussie/pourquoi-la-bielorussie-est-accusee-de-mener-une-attaque-
migratoire-contre-l-europe-depuis-la-frontiere-polonaise_4840991.html
2 SERVICE DE PRESSE DE L’ORGANISATION DU TRAÎTÉ DE L’ATLANTIQUE NORD - NATO/OTAN. Le secrétaire
général de l’OTAN, le Premier ministre britannique et le SACEUR débattent de la crise en Ukraine. NATO. 2014.
[consulté le 12/12/2021]. Disponible sur : https://www.nato.int/cps/fr/natolive/news_111946.htm
3 TENENBAUM, Élie, « Guerre hybride : concept stratégique ou confusion sémantique ? » et PARLANTI Jean-
François, « Le retour de l’hybridité au cœur des nouvelles conflictualités », Revue Défense Nationale, 2016,
n°788, p.7 à 36.[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
Si aucune déclaration officielle ne permet de qualifier le conflit opposant la Biélorussie à
l’Union européenne de guerre hybride, il s’agit bel et bien d’une « attaque hybride » menée
par la Biélorussie. L’instrumentalisation des migrants est caractérisée par la facilitation de
l’obtention de titres de séjour et l’orchestration de leurs déplacements par des passeurs
en lien avec le régime biélorusse. Une fois arrivés en Biélorussie, ces mêmes migrants
sont encouragés à traverser le pays afin d’arriver aux frontières de l’Union européenne,
en Pologne et Lituanie. Ils espèrent y déposer une demande d’asile afin de pouvoir résider
de manière régulière au sein de l’Union. En faisant planer la menace d’une « crise
migratoire » sur le continent européen, la Biélorussie se sert des migrants qui deviennent
un outil diplomatique et lui permettent d’exercer une pression sur l’Union, afin de l’inciter
à lever les sanctions. Responsable du désastre et de la crise humanitaire qui découle de
cette manœuvre, le président Alexandre LOUKACHENKO risque gros. De nouvelles
sanctions de l’Union européenne viennent à nouveau d’être annoncées en réponse à
l’attaque et le pays est au bord de l’étouffement économique.
Les enjeux liés à cette stratégie sont donc multiples pour la Biélorussie, et les 5
conséquences de l’instrumentalisation des migrants importantes. Au-delà du pari propre
au pays, l’instrumentalisation des migrants et la crise dont il est à l’origine frappent de
plein fouet l’Union européenne, sa politique extérieure et migratoire. Déstabilisant les
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pays frontaliers, elle fragilise les équilibres régionaux et creuse le fossé entre l’Occident,
la Biélorussie et la Russie. Il est donc intéressant de repérer et tenter d’analyser les enjeux
et conséquences de l’instrumentalisation des migrants par le pouvoir biélorusse à l’aide
d’une approche plus englobante du conflit.
L’affirmation d’un rejet total des valeurs occidentales et du droit
international
Contrairement à la majorité des anciens États membre de l’URSS, la Biélorussie n’a pas
bénéficié d’une transition démocratique à la chute du bloc communiste en 1991. La
faiblesse des mouvements pro-démocratiques biélorusses et le manque de structuration[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
de l’opposition politique au régime en place a provoqué l’immutabilité des élites
politiques, militaires, économiques et intellectuelles à la tête du pays. Ainsi, Alexandre
LOUKACHENKO, président élu en 1994, est un pur produit de l’ère soviétique. Privilégiant
stabilité et prospérité économique à la démocratie et aux libertés, le dirigeant rejette les
valeurs occidentales afin de rester au pouvoir. Son administration étouffe toute
opposition politique par la censure et la répression, allant jusqu’à l’emprisonnement de
ses opposants politiques.
La dernière élection d’août 2020, semble cependant avoir d’avantage mobilisé et structuré
l’opposition populaire biélorusse. L‘exaspération des citoyens s’est exprimée par de
nombreuses manifestations dans la capitale, réclamant le départ du président
LOUKACHENKO et l’instauration d’une Biélorussie démocratique. Renforçant la
répression en conséquence, l’armée biélorusse a été déployée dans la capitale et n’a pas
hésité à tirer sur la foule avec des balles en caoutchouc, en faisant un usage
disproportionné de la force contre plusieurs manifestants. Les opposants les plus sérieux,
à l’image du blogueur Sergueï TIKHANOVSKI, ont été emprisonnés. Sorti vainqueur d’une
6
élection jugée frauduleuse par les représentants de l’Union européenne et l’opposition
interne, le président LOUKACHENKO affirme son pouvoir par la répression. Cette dernière
atteint son paroxysme en juin 2021 avec le détournement d’un avion de ligne souhaitant
arrêter Roman PROTASSEVITCH, figure de l’opposition politique biélorusse. Le président
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Alexandre LOUKACHENKO affiche en cela le caractère dictatorial de son régime,
désormais assumé à l’international.
En organisant les déplacements de milliers de migrants depuis leurs pays d’origine, la
Biélorussie se rend coupable de véritable trafic d’êtres humains. Son président démontre
une nouvelle fois, non seulement à la communauté internationale, mais également à
l’opposition interne, qu’il ne craint guère les sanctions infligées à son régime, ni la peur
d’être isolé. Cette manœuvre politique renforce le climat de terreur et de menace qui
plane au-dessus du régime et dissuade les opposants au régime. L’instrumentalisation
des migrants constitue en cela une nouvelle entrave du président Alexandre
LOUKACHENKO au droit international et une affirmation du rejet total des valeurs
occidentales.[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
Une opportunité d’alignement sur la politique étrangère de l’allié
russe ?
Depuis le début de l’ère post-soviétique, la structure politico-militaire de la Biélorussie
demeure profondément liée à la Russie et continue de s’appuyer sur le pays, par souci de
commodité. En effet, la Biélorussie est un véritable atout pour la Russie. Elle constitue,
depuis la guerre froide, une véritable barrière à l’expansion de l’Otan. Endiguant
l’expansion de l’alliance, le président LOUKACHENKO s’est engagé publiquement à ne
jamais laisser passer de chars en route pour Moscou par son territoire, et a reçu en
coulisses des financements supplémentaires du Kremlin. En effet, la Russie a octroyé déjà
huit prêts à la Biélorussie, depuis 2008, qui lui doit désormais 50 % de sa dette publique
étrangère4. De plus, les méthodes frauduleuses du président biélorusse ont été pendant
longtemps, et demeurent aujourd’hui encore, camouflées et encouragées par la Russie
qui souhaite maintenir la stabilité politique du pays. Si l’implication russe dans
l’instrumentalisation des migrants reste à prouver, son soutien au régime biélorusse ne
fait quant à lui aucun doute. Le porte-parole du Kremlin condamne ainsi l’Europe en jurant 7
s’inquiéter d’une « catastrophe humanitaire qui se prépare, à cause de la réticence de
l’Europe à faire la démonstration de leur engagement en faveur des valeurs
européennes »5 .
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« Il est évident que si la Russie n’est pas une part du problème, elle est au moins une
partie de la solution »6, soutient Clément BEAUNE, secrétaire d’État français aux Affaires
européennes. En effet, le régime biélorusse est enhardi par le soutien tacite de Moscou
4 QUENELLE, Benjamin. « Crise en Biélorussie : le Kremlin de plus en plus au cœur du jeu ». Les Échos, 3
septembre 2020 [consulté le 11/12/2021]. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/monde/europe/crise-en-
bielorussie-le-kremlin-de-plus-en-plus-au-coeur-du-jeu-1239169.
5 DEPREZ, Fabrice. « Crise frontalière en Biélorussie : à quoi joue la Russie ? » La Croix [en ligne], 12 novembre
2021 [consulté le 11/01/2022]. Disponible sur : https://www.la-croix.com/Monde/Crise-frontaliere-
Bielorussie-quoi-joue-Russie-2021-11-12-1201184782.
6 Rédaction de BFM TV. « Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, à BFM
TV le 11 novembre 2021, sur la tension migratoire à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, la relance
économique européenne et l’Europe de la défense. » Vie publique.fr, 11 novembre 2021 [consulté le
11/01/2021]. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/discours/282456-clement-beaune-11112021-
union-europeenne-tension-migratoire-peche.[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
et se comporte de manière beaucoup plus agressive vis-à-vis de l’UE lorsqu’il est soutenu
par la Russie, notamment du fait de l’état de l’Union, projet d’intégration entre les deux
pays prévoyant une doctrine militaire commune 7 . Cette opposition à l’Europe favorise
donc un rapprochement avec la Russie qui permet à la Biélorussie de s’affirmer comme
un allié crédible tout en confortant sa position d’État-vassal.
Un levier de chantage efficace en réponse aux sanctions de l’Union
européenne ?
« Ces sanctions ciblées visent seulement ceux qui ont mis en cause les valeurs
démocratiques », a estimé Jerzy BUZEK, président polonais du Parlement européen en
2011. Depuis 2011, l’UE impose des sanctions en réponse à l’arrestation d’opposants
politiques. Celles-ci se manifestent par une interdiction de visa dans l’Union européenne
et des gels d’avoir concernant 158 personnes, dont le président LOUKACHENKO8. Face au
manque de réactions, elle a également interrompu tout dialogue diplomatique avec la
Biélorussie. De plus l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a 8
quitté le pays le 31 mars 2011 en signe de protestation.
Si la quasi-totalité des sanctions a été levée en 2016 et que les relations du pays avec
l’Union européenne semblent s’améliorer, les élections biélorusses de 2020 marquent
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une nouvelle rupture. À l’annonce de la victoire du président LOUKACHENKO, le Conseil
de l’Union européenne a condamné, après analyse, les élections. Les résultats
communiqués par la commission électorale centrale s’élevant à 79 % des suffrages en
faveur du président sortant, ces derniers ont été jugés irréguliers et la légitimité de
7
ENGOIAN, Alda. « Sommet. La Russie et la Biélorussie approfondissent leur union ». Courrier international,
5 novembre 2021 [consulté le 12/12/2021]. Disponible sur :
https://www.courrierinternational.com/article/sommet-la-russie-et-la-bielorussie-approfondissent-leur-
union.
8
Rédaction Le Monde avec AFP. « Europe et États-Unis annoncent des sanctions contre la Biélorussie ». Le
Monde.fr, 31 janvier 2011 [consulté le 11/12/2021]. Disponible sur :
https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/01/31/europe-et-etats-unis-annoncent-des-sanctions-contre-
la-bielorussie_1473318_3214.html.[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
l’élection n’a pu être reconnue 9 . Des sanctions à l’encontre du pays sont de nouveau
adoptées contre les personnes identifiées comme responsables d’actes de répression et
d’intimidation de l’opposition, ainsi que de fautes commises au cours du processus
électoral. Parmi eux se trouvent plusieurs proches du président, dont son fils et conseiller
à la sécurité nationale, Viktor LOUKACHENKO. En 2021, ces sanctions sont renforcées
après l’atterrissage forcé du vol Ryanair à Minsk, au préjudice de la sécurité aérienne, avec
une interdiction de survol de l’espace aérien de l’Union et d’accès à ses aéroports pour
tous les types de transporteurs biélorusses. Les mesures restrictives à l’encontre de la
Biélorussie s’appliquent désormais à 166 personnes et à 15 entités au total. Celles-ci sont
soumises à un gel des avoirs, et les citoyens et les entreprises de l’Union européenne ont
l’interdiction de mettre des fonds à leur disposition 10 . Aussi, l’embargo sur les armes
appliqué au pays par l’Union depuis 2011 reste en vigueur, ainsi que la vente de biens à
double usage, du matériel de surveillance, et tout nouveau prêt bancaire au régime
Biélorusse11.
9
Face à la multiplication de sanctions, le pays se sent menacé et recourt au seul levier de
pression dont elle dispose : l’instrumentalisation d’une nouvelle crise migratoire aux
frontières de l’Union européenne. En cela, il s’inspire d’un procédé déjà utilisé au
préalable, notamment en 2015 par la Turquie. Le président turc Recep Tayyip ERDOGAN
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s’est servi des migrants venus de Syrie traversant la Méditerranée pour rejoindre l’UE
comme arme de chantage 12 . Promettant de mettre fin à l’immobilisme des gardes-
9 MENDRAS, Marie. « Biélorussie : une élection présidentielle aux résultats polémiques », 10 août 2020.
https://www.francetvinfo.fr/monde/elections-en-bielorussie/bielorussie-une-election-presidentielle-aux-
resultats-polemiques_4071499.html.
10
Service de communication du Conseil européen. « Mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie », 17
décembre 2021 [consulté le 11/01/2022]. Disponible sur :
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-belarus/.
11
Rédaction Le Monde avec AFP. « La Biélorussie dénonce des sanctions occidentales « destructrices » et
renvoie l’Allemagne à son passé nazi ». Le Monde.fr, 22 juin 2021 [consulté le 12/12/2021]. Disponible sur :
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/22/la-bielorussie-denonce-des-sanctions-
occidentales-destructrices-et-renvoie-l-allemagne-a-son-passe-nazi_6085262_3210.html.
12 Rédaction de L’Express avec AFP. « L’Union européenne accuse la Turquie de chantage aux migrants »,
L’Express [en ligne], 5 mars 2020 [consulté le 12/01/2021. Disponible sur :[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
frontières turcs, la Turquie a proposé à l’Union européenne de renforcer ses frontières
afin de bloquer le passage de migrants, en échanges de concessions jusqu’alors refusées.
Grâce à cette instrumentalisation, la Turquie a reçu une aide de 6 milliards d’euros de la
part de l’Union européenne 13 , qui a promis, en plus de cela, d’accélérer le processus
d’attribution des visas pour les citoyens turcs et de considérer l’adhésion de la Turquie à
l’Union européenne. Si l’instrumentalisation des migrants syriens par le président
ERDOGAN ne pouvait être qualifiée d’attaque, du fait de l’autonomie des migrants et de
l’absence de renfort venant du la part du gouvernement, l’épisode a exposé l’impuissance
de l’Union face à l’afflux massifs de migrants et a servi d’inspiration pour la Biélorussie.
D’une atteinte à la politique migratoire de l’Union européenne à sa
désintégration ?
« Nous n’avons rien à leur expliquer, car ils savent parfaitement ce qu’ils font. Ils utilisent
les migrants comme un instrument, aidés par une campagne de désinformation totale,
pour accroître la pression sur nos frontières et créer une crise humanitaire »14, déclarait 10
Josep BORELL, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de
sécurité.
La crise humanitaire, migratoire et politique s’étendant des frontières lituaniennes aux
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frontières polonaises est totale. Entre 3 000 et 4 000 migrants sont massés à la frontière
entre la Pologne et la Biélorussie, aux portes de l’Union européenne. Cette attaque
déstabilise les pays frontaliers, allant jusqu’à déclencher un état d’urgence en Pologne,
qui mobilise ses forces armées à ses frontières. Le pays a ainsi envoyé environ 15 000
soldats à la frontière, en y construisant une clôture de fil de fer barbelé rasoir et en
https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/l-union-europeenne-accuse-la-turquie-de-chantage-aux-
migrants_2120101.html.
13 Service de communication du Conseil européen. « Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016 », 18 mars 2016
[consulté le 22/12/2021]. Disponible sur : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-
releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/.
14 REY, Tanya. « L’instrumentalisation de la migration : arme politique et cause des crises humanitaires ».
Atalayar [en ligne], 11 novembre 2021 [consulté le 22/12/2021]. Disponible sur :
https://atalayar.com/fr/content/linstrumentalisation-de-la-migration-arme-politique-et-cause-des-crises-
humanitaires.[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
mettant en place une zone tampon interdite à la presse et aux Organisations non
gouvernementales (ONG)15. La zone frontalière de 400 km est ainsi devenue une zone de
non-droit, et le pays souffre de désinformation totale. Ces manœuvres renforcent la peur
d’une éventuelle crise migratoire et donc le soutien aux politiques anti-migratoire du
gouvernement polonais, en accentuant les distensions en matière de politique migratoire
entre les pays membres de l’Union européenne. « En durcissant sa politique hostile aux
migrants, la Pologne utilise les divisions internes en Europe sur la question migratoire
pour servir ses intérêts nationaux », constate le politologue et historien Jean-Yves POTEL16
. En cela, la crise renforce les divisions entre états-membres de l’Union européenne sur
des sujets déjà sensibles auparavant.
En effet, si l’Union européenne soutient de manière incontestable la Pologne, elle reste
néanmoins gênée par l’attitude hostile du pays. Celle-ci rejette notamment l’aide de
l’agence européenne migratoire Frontex, le comble étant que le siège de cette agence
européenne se trouve à Varsovie. L’attaque menée par le président LOUKACHENKO
dévoile au grand jour le manque de cohérence et d’efficacité de la politique migratoire de
11
l’Union. Le règlement de Berlin, régissant le droit d’asile européen, énonce en effet que
lorsqu’un migrant demande l’asile dans un pays de l’UE, c’est au premier pays européen
qu’il a traversé de traiter cette demande.
En cela, le règlement fait reposer l’essentiel de la pression migratoire sur certains pays :
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Malte, l’Italie, la Grèce ou l’Espagne en 2015, la Pologne et la Lituanie en 2021. En
conséquence, la Commission européenne propose depuis 2015 d’abolir le règlement de
Dublin, sans résultats notoires jusqu’à aujourd’hui. Plus que les fragilités de la politique
migratoire de l’Union, cette attaque révèle finalement certains manques de cohérence du
projet européen, marquée par l’absence de valeurs et d’orientation politique commune
aux pays, rendant impossible plus d’intégration politique.
15 Service de presse du gouvernement polonais. « Wniosek o stan wyjątkowy przy granicy z Białorusią - Służby
specjalne ». Służby specjalne, 31 août 2021 [22/12/2021]. Disponible sur: https://www.gov.pl/web/sluzby-
specjalne/Stan-wyjatkowy-przy-granicy-z-bialorusia.
16 FILLON, Tiffany. « La Pologne utilise la crise migratoire avec la Biélorussie comme une aubaine ». France 24,
15 novembre 2021 [consulté le 22/12/2012]. Disponible sur : https://www.france24.com/fr/europe/20211115-
la-pologne-utilise-la-crise-migratoire-avec-la-bi%C3%A9lorussie-comme-une-aubaine.[DÉCRYPTAGE] L’instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse : une attaque hybride pour déstabiliser
l’Union européenne
Vers une guerre hybride ?
Cette tendance périphérique alarmante pour l’Union européenne est considérée comme
extrêmement importante pour l’environnement sécuritaire de l’Europe et pour la défense
de ses frontières. La concentration importante de migrants aux frontières peut ainsi
constituer une menace de type hybride. En effet, elles sont considérées, selon l’Otan,
comme des activités « menées ouvertement ou non et mêlant des moyens militaires et
non militaires : désinformation, cyberattaques, pression économique, déploiement de
groupes armés irréguliers ou emploi de forces régulières. Les menaces hybrides visent à
déstabiliser et à miner la société ». Ainsi, l’instrumentalisation des migrants représente un
outil de type non-conventionnel visant à la déstabilisation et désintégration interne de
l’Union européenne. N’étant pas reconnue ouvertement par le régime biélorusse ni par la
Russie, elle sème le doute et complique l’établissement d’une réponse réellement efficace.
L’instrumentalisation de la migration ou l’utilisation d’êtres humains par certains pays
dans le but de faire pression ou de déstabiliser certains États est une stratégie assez
récurrente, car il ne s’agit pas d’une menace ou d’une déclaration de guerre ouverte. Elle 12
est donc utilisée dans le but d’éviter les conséquences à grande échelle telles que les
conflits ou la guerre pure et simple. Ainsi, si du fait du conflit asymétrique qui en
résulterait et des conséquences désastreuses pour l’Union européenne, l’attaque n’est
pas vouée à se transformer en guerre ; elle constitue son alternative, moins directe mais
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tout autant meurtrière. Si aujourd’hui le rapatriement de 4 000 migrants irakiens 17
bloqués aux frontières de la Biélorussie avec la Pologne, la Lituanie et la Lettonie a été
annoncé, un nombre important de migrants non comptabilisés restent coincés à la
frontière. Cependant, ceux-ci ne se porte que très peu candidats aux vols et la crispation
entre la Biélorussie et l’Union européenne est loin de s’être détendue.
17Rédaction de France Info et AFP. « Biélorussie : près de 4 000 migrants irakiens rapatriés en deux mois,
annonce Bagdad », 16 janvier 2022 [consulté le 20/01/2022]. Disponible sur :
https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-des-migrants-a-la-frontiere-pologne-
bielorussie/bielorussie-pres-de-4000-migrants-irakiens-rapatries-en-deux-mois-annonce-
bagdad_4918977.html.publication@jeunes-ihedn.org
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