DESIRA : L'INDÉSIRABLE ? - QUAND DES FINANCEMENTS PUBLICS SE METTENT AU SERVICE D'INITIATIVES AGRICOLES OPAQUES - CCFD-TERRE SOLIDAIRE
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DeSIRA : l’indésirable ? Quand des financements publics se mettent au service d’initiatives agricoles opaques Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire
Introduction L’initiative DeSIRA Les initiatives et coalitions multi-acteurs se multiplient depuis quelques années, particulièrement Les informations disponibles concernant l’initia- - La « Plateforme » regroupant les Etats depuis la COP 21. Ces alliances, qui mêlent secteur public (Etats, collectivités, etc.) et privé (fonda- tive DeSIRA sont plutôt éparses et limitées. Voici une membres de l’Union Européenne et des « parte- présentation des principaux éléments publiquement naires clés » de l’initiative destinée à « partager des tions, multinationales), secteur de la recherche et/ou société civile, semblent être devenues la accessibles, qui s’appuie sur les critères d’analyse informations et orienter DeSIRA » qui se réunit deux panacée de l’action climatique. La France en a fait une priorité de son engagement et de sa vision1 développés par le Réseau Action Climat, dans le cadre fois par an comme en témoigne la mise en place du « One Planet Summit » (OPS) depuis 2017. de ses travaux sur les coalitions multi-acteurs4. - Un « comité consultatif technique» (technical advisory board ) en charge du suivi-évaluation ; Parmi les nombreux secteurs couverts, on retrouve en particulier des initiatives destinées à traiter a) Présentation de l’initiative - Des « concertations régulières » avec les des enjeux agriculture et climat, dont DeSIRA (Développement intelligent pour l’innovation par la z Présentation et objectifs : partenaires soutenus par DeSIRA. recherche en agriculture)), une des dernières en date lancée à l’occasion d’un OPS. Elle se place Au-delà de ces éléments succincts, aucune informa- DeSIRA, pour « Développement intelligent pour l’inno- dans la droite ligne d’autres alliances co-financées et co-pilotées par les institutions publiques et vation par la recherche en agriculture », est une initia- tion n’est disponible concernant la composition de ces le secteur privé, comme la NASAN (Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition), tive multi-acteurs lancée à l’occasion du One Planet espaces, leurs rôles, leurs mécanismes de responsa- la GACSA (Alliance pour l’agriculture intelligente face au climat) ou AGRA (Alliance pour la révolu- Summit, en décembre 2017 à Paris. Elle se donne bilité et de fonctionnement. Aucun compte rendu de tion verte en Afrique) dont les impacts négatifs sont documentés et dénoncés depuis plusieurs pour objectif de financer une transition durable des réunion n’est disponible. années par de multiples acteurs. systèmes agricoles et alimentaires et compatible avec Concernant les financements, ils sont présentés le climat en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Les comme suit : « dans le cadre de DeSIRA, des programmes projets soutenus sont sélectionnés sur appel d’intérêt seront lancés à hauteur de 650 millions de dollars sur L’agriculture est un secteur clé clef pour l’action climatique, car à la fois victime et parmi les et l’initiative s’organise autour de trois « piliers » : 2018-2020 ». Cette enveloppe se divise entre l’Union premiers contributeurs des dérèglements actuels. Cela alors que, par ailleurs, la faim augmente - Soutenir les projets de recherche innovation européenne et ses États membres (environ 300 pour la 5e année consécutive, touchant 690 millions de personnes en 2019, en particulier les millions d’euros) et la Fondation Bill et Melinda Gates en se basant sur les principes de l’agroécologie ; communautés rurales qui dépendent de l’agriculture comme moyen de subsistance et repré- (315 millions de dollars). Le Président Emmanuel - Renforcer la gouvernance de la recherche, en sentent 48% du continent Africain (70% en Afrique de l’est)2. La pandémie de la COVID-19 n’a lien avec d’autres programmes multi-acteurs ; Macron annonçait même dans son discours de clôture été qu’un révélateur supplémentaire de l’extrême fragilité des systèmes alimentaires mondiaux. du premier One Planet Summit13 la volonté de complé- - Produire de la connaissance pour orienter les ter ces financements afin de les porter à 1 milliard avec Elle a accrue les inégalités sociales, et une crise alimentaire mondiale se profile3, amenant le politiques en matière de recherche et d’innovation. un engagement particulier de la France. Programme Alimentaire Mondiale à craindre une « pandémie de la faim ». z Membres et partenaires : Pour l’année 2018, un premier volet d’action a été Si la transition vers des systèmes agroécologiques et résilients est cruciale, il y a un enjeu DeSIRA a été initiée5 par ses principaux membres mis en place avec un investissement inaugural de 94 que sont la Commission européenne, la France et la millions d’euros par la Commission européenne et de majeur à s’assurer que les programmes multi-acteurs, financés par l’argent public, répondent Fondation Bill et Melinda Gates6. Mais difficile d’en 6 millions par les pays membres (dont 5 millions de la effectivement à cet objectif. France14, via l’AFD15), un soutien spécifique à la réforme savoir plus. Les pages relatives à l’initiative DeSIRA font mention d’« autres Etats » sans qu’aucune liste précise du CGIAR et à la FAO, à hauteur de 40 millions d’euros, et Alors que DeSIRA, initialement prévue sur 2018-2020, entre dans sa 3e année de mise en n’existe à ce jour. une contribution de la FBMG à hauteur de 50 millions16. œuvre, et que des évènements majeurs en 2021 feront une place importante à l’action clima- Le site de DeSIRA évoque par ailleurs la nécessité de Enfin, trois projets conjoints entre l’Union européenne, tique par le biais des coalitions multi-acteurs, cette note vise à faire un état des lieux de cette ses États membres et la FBMG ont été annoncés.17 s’associer à d’autres acteurs : agriculteurs, organisa- initiative, notamment en termes de gouvernance et de redevabilité. Elle questionnera par ail- tions paysannes, communautés locales, ONG, secteur b) Les zones d’ombre : leurs la vision du développement agricole qu’elle souhaite impulser, notamment au regard des privé et secteur public, sans toujours préciser quels projets et parties prenantes, dont la Fondation Bill & Melinda Gates (FBMG). acteurs sont partenaires de l’initiative et à quel niveau. gouvernance, redevabilité et On peut citer toutefois : financements - les acteurs « clés » consultés tout au long du Avant la sortie du site internet dédié à l’initiative DeSIRA processus, notamment pour l’identification des en mai 2020, très peu d’informations étaient dispo- projets : délégations européennes, Etats Membres, nibles. Si le site fournit désormais quelques données, CAADP7, GFAR8 et TAP9, le FIDA10, la FAO11, et la notamment des fiches projets, les informations dispo- Fondation Bill et Melinda Gates (FBMG). nibles sont largement insuffisantes pour assurer la - Et que d’autres collaborations et concertations transparence de l’initiative et savoir ce qu’elle finance multi-acteurs sont également prévues12 précisément. z Gouvernance, financement et redevabilité : z Qui sont les acteurs impliqués ? Rédaction : Maureen Jorand, Manon Castagné, Lorine Azoulai La gouvernance de DeSIRA est présentée comme À son lancement en décembre 2017, DeSIRA est Création graphique : Michaël Bouffard / CCFD-Terre Solidaire structurée autour de trois mécanismes : présentée comme une initiative initiée par la FBMG, Contact : Maureen Jorand / jm.jorand@ccfd-terresolidaire.org la Commission Européenne et d’autres pays dont la Date de publication : janvier 2021 France18. L’implication « d’acteurs clés », sans propo- 3
DeSIRA : l’indésirable ? ser de liste des acteurs en question ni préciser leur rôle, questionne quant aux membres effectifs de l’ini- - « L’initiative DeSIRA financée par l’Union Européenne (UE), en contrepartie de financements UNE INITIATIVE AGRICULTURE c) Partenaires et collabora- tiative. L’implication dans la gouvernance d’Etats ou de la Fondation Bill & Melinda Gates23 » ET RECHERCHE DU NORD tions : la nébuleuse d’acteurs venant d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie qui sont justement les continents ciblés par l’initiative La FBMG étant à l’origine de l’initiative et considé- POUR LES PAYS DU SUD De nombreux partenaires et alliances multi-acteurs rée comme un partenaire clé, elle serait membre de S’il y a effectivement un enjeu à soutenir la recherche sont cités, de façon non exhaustive et sans que leur n’est même pas vérifiable. Enfin, la société civile et les la Plateforme et ainsi consultée au même titre que la dans les pays du Sud, et notamment dans le domaine implication et leur rôle ne soient clairement définis. organisations paysannes semblent être totalement Commission et les Etats membres, notamment sur les de l’agriculture, ce soutien doit répondre à certaines absentes. Plusieurs coalitions multi-acteurs dont la vision et les orientations de l’initiative. Elle participerait ainsi à la exigences : activités ne semblent pas cohérents avec un change- L’Agence Française de Développement (AFD) soutient ce gouvernance de l’initiative. z Un ancrage fort dans les savoirs locaux, plutôt ment de paradigme vers des systèmes agroécolo- programme à hauteur de 5 millions d’euros19. Pourtant, Sur les projets portés par la FBMG dans le cadre de qu’un soutien top-down du Nord. giques, éthiques et résilients, interpellent, notamment : cet investissement n’apparait pas sur la page dédiée DeSIRA, difficile d’en savoir plus. Le site dédié à l’ini- sur son site à son investissement dans les initiatives La Commission européenne présente DeSIRA comme z Le GFAR28 : tiative mentionne uniquement les financements lancées par le One Planet Summit20. une initiative de promotion de la recherche et de l’inno- européens, via les instruments de la coopération au Le Forum mondial pour la recherche agricole est une vation dans les pays du Sud, en insistant sur l’impor- z Comment et par qui sont sélectionnés les développement, pour un montant de 300 millions. Les initiative multi-acteurs qui regroupe 600 partenaires au tance de la formation des chercheurs. Son narratif projets ? projets financés par la FBMG ne sont-ils pas labellisés sein de réseaux d’actions dans la recherche et l’inno- évoque la nécessité d’une recherche « down-to-top » DeSIRA ? Rien non plus sur les projets conjoints entre vation agri-alim, dont CropLife et Euroseeds (organe D’après le site internet, l’identification des projets plutôt qu’un transfert de technologies et de savoirs la Commission et la fondation, pourtant annoncés à de représentation des semenciers européens, dont les revient aux délégations européennes ou aux Etats « top-down ». plusieurs reprises24. acteurs des biotechnologies). Membres, via un mécanisme d’appel à expression Pourtant, les projets de recherche semblent émaner de d’intérêt. Il n’est toutefois pas précisé quels sont les Pourquoi créer une initiative multi-acteurs si ses z Le CGIAR29 : l’UE, de ses États membres et de la FBMG, plutôt que critères de sélection des projets, ni si les principaux membres n’assument pas l’ensemble des projets Le CGIAR est un réseau de 15 centres de recherches sur des principaux concernés : les agriculteurs et chercheurs concernés, à savoir les acteurs africains, latino-amé- soutenus ? D’autant plus quand cela concerne un le développement adossé à un réseau de 3000 parte- d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. La conception, ricains et asiatiques, peuvent également proposer des acteur amenant tout de même la moitié de l’enveloppe naires (gouvernements, institutions académiques, le financement et la co-conduite des projets par des projets. globale. Finalement, DeSIRA financerait une multiplicité organes politiques internationaux, secteur privé et acteurs issus majoritairement du Nord pose la question de projets, sur fonds européens et/ou de la Fondation, ONGs). La FBMG est le 2e contributeur financier du z Quels sont les mécanismes de suivi-évalua- de leur légitimité à orienter la recherche et influencer sans reporting précis. Le statut informel d’initiative, CGIAR, à hauteur de 793 millions de dollar (soit 16% tion mis en place ? les politiques dans les pays du Sud. Le risque d’appro- plutôt que la création d’un fond fiduciaire, permet de du budget total du fond d’investissement)30 et dispose priation de savoirs locaux, ou d’imposition d’une vision La plateforme, qui ne se réunit que deux fois par an, conserver ce flou. du « progrès » émanant des acteurs des pays du Nord ainsi d’une place de choix au sein du « CGIAR System est le seul organe de gouvernance mis en place à ce et déconnectée des enjeux locaux n’est pas négligeable. Council », un organe stratégique de prise de décision. jour. Elle consiste à orienter DeSIRA et échanger de l’information plutôt qu’à assurer le suivi et l’évaluation z Une recherche publique, plutôt que la capta- z AIRCA31 des projets financés. Ce travail reviendrait au comité tion par le secteur privé L’Association des centres internationaux de recherche consultatif technique qui, selon le site de l’initiative, et développement pour l’agriculture qui a un budget De nombreux acteurs privés sont associés à DeSIRA, via reste « à mettre en place »21 … sans plus de détail ! de 200 millions de dollars, comprend 7 membres, dont les coalitions et programmes de recherche multi-ac- Sachant que l’initiative est prévue sur 2018/2020, le centre international de développement des fertili- teurs financés et des consultations régulières organi- que plusieurs centaines de millions d’euros ont d’ores sants32 (IFDC). Ce dernier est un partenaire de l’associa- sées (voir 1. c). On peut légitimement se demander quels et déjà été décaissés et que certains projets arrivent tion internationale et ouest-africaine des producteurs sont leurs intérêts à participer, d’autant plus que l’on à terme, il est interpellant de voir que ce mécanisme d’engrais (IFA et WAFA), de l’AFAP (African Fertiliers and observe depuis plusieurs années une pression crois- de redevabilité n’existe toujours pas. Comment les Business Partnership), et d’AGRA. sante de ces acteurs pour capter de nouveaux marchés, membres de l’initiative peuvent-ils alors s’assurer en particulier pour les semences et la recherche en z CORAF33 que les financements sont correctement alloués, ainsi Afrique25. qu’évaluer leurs impacts ? La conférence des responsables africains et français de z Programme One Planet Fellowship26 : la recherche agronomique a pour objectif de « contri- z Quelles sont les informations disponibles concernant l’implication de la FBMG et les projets La formation des chercheurs des pays du Sud fait l’objet buer à la transformation de l’industrie agricole grâce qu’elle finance ? d’un programme à part entière : le One Planet Fellows- à l’utilisation acharnée de la science, des technologies hip. Ce programme de formation scientifique des et des innovations »34 parmi lesquelles on retrouve Aucune information sur l’implication et l’investisse- notamment des programmes d’hybridation du riz35. jeunes chercheurs africains par des mentors européens ment de la Fondation Bill et Melinda Gates n’est dispo- est financé à hauteur de 20 millions de dollars par la Finalement, lorsque l’on analyse la gouvernance de nible sur le site de DeSIRA, ni sur le site de la fondation FBMG, la Fondation BNP Paribas et Agropolis, avec un DeSIRA, ses mécanismes de redevabilité, ses membres, elle-même : difficile d’être moins transparent ! financement complémentaire de 3 millions d’euros de ses partenaires et ses financements, le manque On trouve des traces de la participation de la FBMG sur la DG DEVCO27. Selon que la formation des chercheurs d’information et de transparence est récurrent. Cette d’autres sites, avec des formulations plus ou moins et le conseil aux agriculteurs soient assurés par des nébuleuse illustre un phénomène observé plus globa- floues : organismes de recherche publique ou par le secteur lement dans les coalitions multi-acteurs. Sur les 321 privé, qui ne peut défendre qu’un modèle dont il bénéfi- coalitions étudiées par le RAC dans son état des lieux, - DeSIRA est portée par la DG Devco de l’Union cie, les prestations ne seront pas les mêmes. 46 % des coalitions communiquent une gouvernance européenne et s’articule avec la Fondation Bill & Melinda Gates22 » insuffisante, 19 % n’en mentionnent aucune. 68 % ne donnent aucune information sur leur potentiel système de suivi ou d’évaluation36. 4 5
DeSIRA : l’indésirable ? Quelle vision des enjeux B. Côté FBMG, l’agriculture ciplinaire42 et à l’identification des « conditions néces- saires pour une adoption accrue de la technologie ». Les technologies comprennent des innovations « déjà industrielle et la technologie à agriculture & climat soutient tout prix disponibles au Malawi » ou qui se sont « avérées efficaces en station expérimentale ou dans d’autres pays », sans qu’aucun exemple ne soit donné. a) Transparence et redevabilité : DeSIRA ? Le demandeur et le principal responsable de la mise en œuvre est le CIP (Centre international de la pomme de terre43), un acteur privé dont l’activité principale est la FBMG ne rend de comptes qu’à elle-même La FBMG co-finance à hauteur de 300 millions d’euros l’amélioration génétique des semences de pommes de A. Côté Union Européenne, - D’un côté l’agroécologie, l’agroforesterie, des systèmes de cultures diversifiés et une gestion terre pour créer des variétés à maturité rapide, bioforti- fiées et « préférées sur les marchés ». Le CIP développe l’initiative DeSIRA, et s’investit dans plusieurs projets, dont : pas de vision commune du durable des ressources (y compris l’eau, l’énergie et notamment des variétés de pommes de terre OGM - « Phyto-surveillance » en Afrique de l’ouest : modèle agricole à promouvoir la forêt) ; résistantes à certaines maladies44. développement de technologies de détection des bio-agresseurs et pesticides - De l’autre, le travail sur la génétique, les z Projet biorisque45 - Afrique de l’Ouest a) Des termes flous et l’absence de maladies et les ravageurs (qui peut, faute de préci- Ce projet vise l’augmentation de la production, la stabi- - « Modernisation des systèmes semenciers » garde-fous sion, recouvrir notamment les OGM et les pesti- lité des rendements et des revenus des principales au Sahel : privatisation renforcée de la production cides de synthèse) et l’intensification durable de semences L’absence d’une définition claire de la transition agricole cultures vivrières et fruitières grâce à une meilleure (qui consiste à maximiser les rendements sur les souhaitée amène différentes visions des systèmes gestion des risques biologiques. Des activités de - Le « One Planet Fellowship », un projet de terres déjà cultivées en recourant aux engrais, agricoles à cohabiter au sein de DeSIRA, celles-ci plaidoyer « pour l’élaboration de politiques adaptées à formation des chercheurs africains qui risque d’être pesticides et biotechnologies40). Des orientations n’étant pas nécessairement compatibles entre-elles, la gestion des biorisques et de réglementations harmo- largement orienté vers les recherches en biotech- qui s’attachent à l’augmentation des rendements ou avec les enjeux climatiques et de souveraineté nisées applicables à tous les pays d’Afrique de l’Ouest » nologies, pesticides et engrais chimiques, plutôt sans tenir compte d’une cause majeure de l’insécu- alimentaire. sont prévues, mais les organisations paysannes que vers l’agroécologie. rité alimentaire : la pauvreté. Or le maintien d’une semblent absentes. Étrange constat : au-delà de ces quelques lignes, on ne Plusieurs termes sont évoqués pêle-mêle : l’agroécol- dépendance aux fabricants de pesticides, d’engrais ogie, mentionnée dans le premier pilier de l’initiative, et de biotechnologies ne fait que renforcer l’endet- Là aussi, pas de précision quant aux « expérimenta- trouve aucune information concernant la participation « l’agriculture durable et la sécurité alimentaire et tement des agriculteurs, tout en aggravant de tions et évaluations de technologies et innovations et le co-financement de la FBMG sur le site officiel de nutritionnelle (FNSSA) », le soutien à des systèmes nombreux problèmes environnementaux (épuise- menées », mais la présence d’un partenaire orienté DeSIRA, ni sur celui de la FBMG elle-même ! Alors que « productifs, inclusifs et sensibles au climat », l’agricul- ment des sols, émissions de gaz à effet de serre, vers les biotechnologies, le Programme Epidémio- la fondation est présentée comme à l’initiative, membre ture de précision37 ou encore les « innovations intelli- érosion de la biodiversité, etc.) logie virale Ouest Africaine (WAVE)46, laisse imagi- et partenaire clé dès le lancement, impossible de savoir gente face au climat »38 (une déclinaison de l’agriculture ner que les alternatives agroécologiques comme les quels projets sont financés et valorisés dans le cadre de Le site du One Plannet Summit mêle pour sa part intelligente face au climat ou « Climate-Smart Agricul- semences paysannes reproductibles ou les prépara- DeSIRA, ce qui représente près de 300 millions d’euros « agroécologie, amélioration génétique et bioénergie » ture » promue par les acteurs de l’agrobusiness). tions naturelles de protection des plantes ne seront pas d’après son engagement ! Face à l’absence de définition commune des systèmes explorées en priorité. Le terme « innovation » est quant à lui évoqué à 21 Ce manque criant de transparence dans le cadre d’une agricoles et alimentaires encouragés et sans critères reprises sur la page de présentation, sans qu’une z Projet manioc - Afrique de l’Ouest47 : initiative multi-acteurs de cette ampleur, reposant à d’inclusion ou d’exclusion, le risque de financer des définition ou des exemples ne soient proposés. moitié sur des financements publics et à moitié sur projets incompatibles avec l’agroécologie41 et les Le projet, qui consiste à favoriser les réseaux ouest-afri- Certains éléments de langage, comme mettre « plus de ceux d’une fondation, pose question. D’abord, parce enjeux climatiques est important. DeSIRA pourrait ainsi cains de sélection de semences, est appuyé par l’IBP science » dans le développement, rappellent le recours qu’il invisibilise l’influence de la FBMG dans l’orienta- concourir à renforcer un système agricole qui favorise (Plateforme d’hybridation intégrée) sur trois volets : aux termes « science-based » et « sound science » tion des systèmes agricoles promus, ensuite parce que la dépendance des agriculteurs envers des firmes déploiement de son produit phare, BMS Pro, un logiciel du secteur privé pour décrédibiliser les alternatives et la FBMG n’est redevable que d’elle-même en l’absence d’intrants (aux semences « améliorées », engrais, de gestion de données sur les process d’amélioration les autres formes de savoirs : empiriques, indigènes, d’un cadre de redevabilité clair imposé par DeSIRA. pesticides, technologies et numérique). des plantes, la modernisation des programmes de traditionnels, etc.39 La science institutionnelle est ainsi sélection et l’élaboration d’une base de connaissances b) La vision du développement agri- érigée comme référence et l’innovation comme unique b) Exemples de projets qui laissent en ligne pour connecter les sélectionneurs aux autres solution, au détriment d’autres modes de pensée et de planer le doute acteurs de la chaîne (semenciers et communautés cole soutenue par la Fondation Bill et la richesse des pratiques agronomiques existantes. agricoles). Autrement dit, l’IBP profite des finance- Melinda Gates : Les technologies et innovations promues par DeSIRA ments DeSIRA pour promouvoir son logiciel et mettre Sans cadre clair pour définir les types de systèmes sont rarement définies ou accompagnées d’exemples. À l’inverse des éléments de langage de DeSIRA, la rhéto- agricoles à encourager, ni critères d’exclusion, on en place des liens de plus en plus directs entre secteur rique de la Fondation Bill et Melinda Gates concernant Plusieurs projets laissent planer le doute quant aux privé (ici, les semenciers) et agriculteurs. retrouve dans DeSIRA une multiplicité de thématiques innovations et aux technologies encouragées, et inter- l’agriculture et le développement laisse peu de place et de projets sans qu’une cohérence entre eux puisse rogent notamment sur la place des OGM dans cette On retrouve aussi des projets mentionnant l’adoption au doute. L’innovation technologique est invoquée être assurée. initiative : de « breeding climate-smart varieties » au Burkina, ou comme unique solution face à la crise climatique et à Ce flou dans l’approche se retrouve également dans qui visent à « permettre au cacao de rester compétitif celle de la faim. z Innovations intelligentes face au climat - sur le marché européen » sans qu’il soit précisé de quel la communication de l’initiative. Par exemple, la 1ère Malawi Selon la FBMG, seules les biotechnologies, les OGM newsletter DeSIRA mentionne une série de théma- type de semence (paysannes, hybrides, OGM) il s’agit. et les technologies numériques associées au big data tiques contradictoires : Ce projet consiste à améliorer de la productivité, la peuvent permettre aux « petits agriculteurs » d’Afrique, rentabilité, et durabilité de l’agriculture et des systèmes d’Asie et d’Amérique latine d’augmenter leurs rende- alimentaires au Malawi grâce à la recherche multidis- ments et d’améliorer la résilience de leurs systèmes. 6 7
DeSIRA : l’indésirable ? Pourtant, le modèle encouragé n’est qu’un prolon- dations du Parlement européen58. En s’associant à cet gement de la « révolution verte » comme la si bien acteur et en déclarant le lancement de projets conjoints, nommée « alliance pour la révolution verte en Afrique » sans mise en place de garde-fous et de mécanismes de (AGRA) initiée par la Fondation en 2008 : maintien voire suivi, il y a de forts risques que les projets en question aggravation d’une dépendance aux intrants, techno- alimentent la vision soutenue par la FBMG. logies et services proposés par l’agrobusiness, avec La mariage d’une initiative qui manque d’un cadre de pour conséquence l’endettement des agriculteurs, la définition robuste, avec la FBMG dont la vision pour les réduction de la biodiversité cultivée et le renforcement systèmes agricoles de demain est claire, risque de se de process industriels polluants (agro-alimentaire, agro-carburant, alimentation animale, etc.). solder par une orientation de DeSIRA vers l’agenda de la Fondation, avec un développement massif de biotech- AU-DELA DU MODÈLE AGRICOLE, LA FBMG EN QUESTION L’absence de prise en compte des enjeux sociaux, des nologies coûteuses au détriment des agriculteurs et de dimensions agronomiques et écologiques pourrait la société, qui supporteront les externalités négatives La Fondation Bill & Melinda Gates en chiffres expliquer, en partie, pourquoi la FBMG ne saisit pas la de ces technologies, de l’environnement et du climat. complexité des problématiques en lien avec l’agricul- ture et le changement climatique. Elle considère, à tort, 100 milliards de dollars c’est plus que ce que la richesse de 45 des 48 pays d’Afrique sub-saharienne, et c’est la fortune de Bill Gates, l’un que la technologie et l’augmentation des rendements des plus gros philanthropes de l’Histoire qui crée la FBMG en 2000 pour lutter contre la pauvreté et renforcer la sont une réponse au problème de la faim, en faisant santé et l’éducation. complètement l’impasse sur le coût économique, mais aussi social et environnemental, de ces technologies. 50 milliards de dollars L’orientation de la FBMG vers l’ouverture des marchés c’est le budget de la FBMG, soit 10 fois plus que celui de l’OMS. au secteur des biotechnologies pourrait également s’expliquer par les intérêts privés que Bill Gates soutien en parallèle, via la Fondation, principal bailleur de fonds 5% c’est la part de ce budget qui est allouée aux dons. Le reste est investi dans un trust59, dont les dividendes dans le soutien de la recherche OGM48 et via son Trust. alimentent la fondation. Ce trust investit dans 35 des 200 multinationales les plus émettrices de GES (dont Total), On trouve entre autres49 : dans les OGM (Monsanto) et dans l’agroalimentaire (Coca-Cola, Mc Donald’s). - 7 millions de dollars + 20 millions de dollars pour AgBiome, une start-up qui développe des OGM 4,5 milliards de dollars par an et des pesticides en Afrique, dans laquelle inves- c’est le budget de la FBMG, qui en fait un des plus gros bailleurs dans les pays en développement, lui permet de tissent également Monsanto et Syngenta50, privatiser l’aide au développement et de l’aligner avec ses intérêts privés. - 70 millions de dollars pour Pivot Bio, une start-up qui développe des biotechnologies à Le modus operandi partir de micro-organismes capteurs d’azote, dans La FBMG fonctionne selon le schéma suivant : 1) proposer une solution technologique à un problème, 2) financer le laquelle Monsanto Growth Ventures investit égale- développement de cette technologie via des start-up ou des organismes de recherche et 3) commercialiser cette ment51, technologie pour en tirer des profits60. Le conflit d’intérêt est poussé à son paroxysme lorsqu’une multinationale est - 14 millions de dollars pour Renmatix, une bénéficiaire à la fois de la Fondation et du Trust61. compagnie qui fabrique des agro-carburants à partir de biomasse, au détriment de cultures La stratégie de communication alimentaires52, Les mots « inclusion » ou « démocratisation » renvoient plutôt à une forme « d’imposition » d’un modèle qui présente les innovations technologiques comme inévitables, et invisibilise les alternatives dans l’imaginaire collectif - Un investissement annuel d’environ 23 et le débat public. Cette « colonisation par les idées » cache un décalage entre l’image que se donne la Fondation et millions de dollars en parts chez Monsanto en 2010. la réalité, par exemple : La FBMG facilite ainsi l’ouverture de marchés difficiles - La FBMG prétend soutenir l’Afrique, mais aide majoritairement les ONG dont le siège est aux Etats-Unis, d’accès au secteur privé, dans lequel elle investit pour seuls 5% de l’argent donné arrive sur place62 réaliser un profit considérable en retour53. Pour soute- nir ces investissements, la FBMG effectue un lobbying - La FBMG dit cibler les personnes les plus démunies, comme les petits agriculteurs, mais finance la création intense auprès des gouvernements afin qu’ils encou- de nouveaux marchés pour les multinationales qui les maintiennent dans la pauvreté ragent ce modèle, le subventionnent massivement, et durcissent les réglementations pour permettre le développement des biotechnologies et des OGM, et marginaliser les alternatives54,55. Les orientations de la FBMG sont incompatibles avec les engagements de la France et de l’UE en matière d’agroécologie et de développement, en particu- lier avec la loi française pour le Développement et la Solidarité Internationale56 de 2014 (LOP-DSI), la straté- gie sécurité alimentaire, nutrition et agriculture durable France adoptée en 201957, ou encore les recomman- 8 9
DeSIRA : l’indésirable ? Les coalitions multi-acteurs : Au mieux, ce décalage se traduit par la transformation Cela a conduit à la perte de biodiversité cultivée, de des coalitions en outils de communication massif, au résilience des systèmes et de qualité nutritionnelle profit de ses membres, sans qu’aucun engagement ne de la nourriture. un frein majeur au change- soit respecté. Le temps du programme (3 ans seule- - Plutôt qu’augmenter les revenus des agricul- ment pour DeSIRA) est souvent trop court pour assurer teurs et réduire les problèmes de faim, il y a eu une qu’il permette vraiment l’impulsion de nouveaux projets ment de paradigme augmentation de 30% de la population en grave et de changement. A l’inverse, les acteurs arrivent avec insécurité alimentaire sur la durée du programme des projets déjà prévus, auquel on accolera simplement au sein des 13 pays ciblés. le tampon de l’initiative. - Des abus ont été constatés, comme par En soutenant le greenwashing de l’agrobusiness, ces exemple au Rwanda où les agriculteurs écopaient DeSIRA s’insère dans la continuité d’une série d’ini- de nouvelles technologies, comme des « semences coalitions financent le renforcement d’un modèle à l’ori- d’une amende s’ils refusaient de planter les tiatives multi-acteurs sur l’agriculture et le climat qui résilientes et à hauts rendements », via des investisse- gine des problèmes qu’elles prétendent combattre67. semences promues par AGRA, et étaient contraints présentent les mêmes caractéristiques : Ag One, AGRA ments dans les partenariats public-privé. On retrouve Au lieu de bénéficier aux pays du Sud, les finance- d’utiliser des engrais chimiques lourdement (Afrique), NASAN, GACSA… Souvent basées sur des à cet effet de nombreuses alliances avec le secteur ments alimentent les intérêts des acteurs privés. Dans subventionnés. appels à participation, ces coalitions multi-acteurs de l’agro-chimie, comme pour Ag Tech (la version le secteur des biotechnologies et du numérique, ces - Bien qu’AGRA cible l’Afrique, près de la moitié offrent un espace supplémentaire au secteur privé latino-américaine de Ag One), dont Bayer, Corteva et derniers souhaitent imposer l’agriculture de préci- du budget finance des organisations basées aux pour promouvoir ses intérêts, tout en bénéficiant de Syngenta (trois des cinq plus grosses multinationales sion, ou encore l’agriculture intelligente face au climat Etats-Unis. Les gouvernements africains ont quant la caution et des soutiens politiques et financiers du des semences et des pesticides). comme voie privilégiée du changement. Ils mettent en à eux contribué à hauteur d’un milliard de dollars secteur public. avant une image de « sauveur » des petits agriculteurs par an. On finit par retrouver les mêmes acteurs dans les mêmes alors qu’il n’en est rien! Ces approches sont en totale Pire, la faiblesse de la gouvernance, les lacunes en espaces politiques, les liens entre gouvernements contradiction avec les engagements avancés (comme Dix ans après son lancement, l’agriculture indus- termes de suivi et de redevabilité, l’absence de critères et représentants de l’agrobusiness sont très étroits, l’Accord de Paris) et avec les enjeux de protection de trielle s’est diffusée à 10 nouveaux pays d’Afrique, d’exclusion (de pratiques, d’acteurs) ne peuvent pas renforçant la capacité d’influence de ces derniers, en l’environnement et de respect des droits humains. sans augmentation des rendements ni résolution des faire de ces coalitions multi-acteurs des espaces l’absence de dispositifs de transparence suffisamment problèmes de faim et de pauvreté, toujours d’actualité, d’impulsion de projets réellement alignés avec un robustes. Cela leur permet ainsi de pousser à la mise b) Renforcement du modèle voire renforcés. L’approche top-down et technocra- objectif de changement de paradigme. Pour certains, en place d’« environnement favorable » c’est-à-dire la tique et les rapports de forces extrêmement déséqui- elles permettent de valoriser des projets d’ores et déjà mise en place de régulations destinées à faciliter les agro-industriel et invisibilisation des librés avec les agriculteurs s’est soldée par un échec prévus, pour d’autres, elles sont un réel cheval de Troie investissements des grands acteurs privés impliqués64. alternatives cuisant. pour influencer le développement rural des pays en Les coalitions multi-acteurs sur agriculture et climat La Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et Dans la pratique, comme l’ont illustré les cas d’AGRA développement, s’ouvrir des marchés et imposer leurs ont déjà montré leurs limites à encourager un change- la nutrition, lancée en 2012 par le G8 en a été un bon ou de la NASAN, l’influence des acteurs privés contri- « solutions ». ment de paradigme vers des systèmes agroécologiques exemple65. Réunissant les Etats membres du G8, 10 bue à renforcer un système agro-industriel qui a déjà et équitables, sans que les leçons n’aient été tirées des a) L’influence du secteur privé au Etats africains et une centaine d’acteurs privés, cette échecs passés. montré ses limites. Non seulement ces coalitions initiative se destinait à sortir 50 millions d’africains de renforcent la dépendance des pays du Sud aux multi- sein des alliances multi-acteurs la pauvreté. Mais c’est aux multinationales – comme nationales occidentales, ce qui pose une vraie question L’initiative « Alliance pour la révolution verte en z Lobbying et manque de transparence… Monsanto ou Cargill - qu’elle a offert un plateau Afrique » (AGRA) est un cas d’école quand il s’agit de éthique, mais elles contribuent par ailleurs à invisibili- d’argent, les Etats africains s’engageant à la mise en rendre compte des impacts dévastateurs de certaines ser les alternatives dans le débat public et l’imaginaire Les initiatives et coalitions multi-acteurs regroupent place d’un environnement favorable dans 3 secteurs coalitions multi-acteurs, et de la vision du dévelop- collectif, et ne contribuent pas à leur financement, les de nombreuses associations parapluie qui regroupent clés : foncier, fiscalité et semences. Dans les années qui pement agricole qu’elles imposent. Elle est d’autant empêchant de se développer. On assiste ainsi à un à leur tour les représentants de l’agrobusiness, en ont suivi le lancement, plusieurs pays ont ainsi passé plus éclairante, à l’heure d’étudier l’initiative DeSIRA, glissement, où le digital et les biotechnologies sont particulier le secteur des engrais, des pesticides et des législations assurant une défiscalisation totale, qu’elle émane d’un de ses initiateurs : la fondation Bill synonymes de progrès et d’efficacité, tandis que les des semences, avec une arrivée massive des biotech- facilitant l’accès à des terres ou encore des mesures et Melinda Gates. alternatives agroécologiques sont considérées comme nologies et technologies numériques. La multiplica- permettant l’introduction des cultures OGM. Les entre- des pratiques hasardeuses ou rétrogrades. tion des espaces multi-acteurs et des partenariats prises impliquées ont donc alors pleinement profité Créé en 2008, ce programme financé aux 2/3 par la qui regroupent in fine les mêmes acteurs rend le tout FBMG avait pour objectif de relancer la révolution verte Freiner les alternatives et renforcer les systèmes de ces dispositions, ainsi que des financements lourds particulièrement opaque et limite les possibilités de en Afrique. Il a principalement consisté à promouvoir le agricoles et alimentaires inefficaces (sauf du point sur des infrastructures pris en charge par les Etats du suivi pour le secteur public et la société civile, d’autant package « semences hybrides, engrais et pesticides » de vue des intérêts économiques privés), telle est la G8…. Et sans avoir à rendre de compte sur leurs propres plus lorsque les acteurs du secteur privé se fondent pour augmenter les rendements des cultures. En face cachée de nombreuses coalitions multi-acteurs projets, la redevabilité du secteur privé se faisant sur dans la masse et se regroupent sous des étiquettes l’absence de reporting public et d’évaluation, malgré un agriculture et climat. base volontaire et en auto déclaration ! Face à ces trompeuses telle que « association », « non-profit nombreuses limites et aux conséquences désastreuses financement considérable, l’IATP a conduit son propre organization » ou encore « institut »63. de l’initiative pour les populations locales, la France a bilan68 : Ainsi, par exemple, la Fondation Bill et Melinda Gates fait le choix de quitter la NASAN en février 201866. - Plutôt que toucher les petits agriculteurs, AGRA a créé en janvier 2020 la « Gates Ag one », présen- z … Avec pour conséquence un greenwashing a ciblé les élites politiques locales et les agriculteurs tée comme une organisation à but non lucratif. Cette plutôt qu’un changement de modèle : « moyens » : principalement des hommes possé- initiative s’appuie sur la même rhétorique que DeSIRA dants de grandes exploitations. : apporter des innovations scientifiques et technolo- L’influence des acteurs du secteur privé, l’absence d’orientations claires et de garde-fous et la diffi- - Plutôt qu’augmenter les rendements dans giques aux petits agriculteurs, dont les rendements les pays ciblés, ce sont les surfaces cultivées qui culté d’accéder à des rapports d’évaluation (quand ils sont menacés par les effets du changement climatique. ont augmenté, au détriment d’autres cultures. existent), engendrent un décalage entre les objectifs L’objectif est clairement défini : accélérer l’introduction communiqués et ce qui est mis en œuvre en réalité. 10 11
DeSIRA : l’indésirable ? L’AGROÉCOLOGIE COMME ALTERNATIVE POUR UN RÉEL CHANGEMENT DE PARADIGME Recommandations L’Agroécologie paysanne et solidaire est une approche globale de l’agriculture qui vise à favoriser l’émergence de systèmes agricoles et alimentaires équitables, et à gérer de façon juste et responsable les biens communs. Elle Loin d’impulser un réel changement de paradigme comme le préconisent les experts75, l’initiative DeSIRA pose promeut des agricultures diversifiées sans intrants de synthèse, des systèmes alimentaires diversifiés dans une aujourd’hui de nombreuses questions compte tenu des défaillances notées sur sa gouvernance, son manque de perspective de souveraineté alimentaire, des politiques publiques et une régulation de l’économie mondiale69. transparence et l’absence de vision claire et définie des objectifs poursuivis contribuant à se questionner sur les L’agroécologie est citée par le GIEC dans son rapport Climate change and Land70, et par l’IPBES dans son rapport projets soutenus. DeSIRA semble ainsi être un espace de mise en avant et de communication de certains acteurs sur Evaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques71comme une solution incontournable pour la scène internationale – comme en témoigne son lancement en décembre 2017 – et dont les retombées concrètes atténuer le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. vont avant tout servir les intérêts des pays du Nord et de la Fondation Bill et Melinda Gates et visent à exporter leur Un rapport récent du Panel d’Experts de Haut Niveau du Comité sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA) évoque vision techniciste du progrès agricole. Trois ans après son lancement, impossible en tout cas d’évaluer dans quelle l’urgence de sortie du modèle de la révolution verte, au profit d’une transformation profonde des systèmes agricoles mesure elle a pu contribuer à améliorer la sécurité alimentaire et lutter contre les dérèglements climatiques en et alimentaires. Il soutient notamment l’importance de l’agroécologie, comme un soutien à la diversification et la Afrique, Asie et en Amérique Latine. résilience des systèmes de production, incluant la polyculture-élevage, les cultures et l’agroforesterie qui préservent et améliorent la biodiversité, ainsi que les ressources naturelles72. Face à ce constat, il est déterminant que la France agisse à plusieurs niveaux: z Concernant l’initiative DeSIRA: c) Déni de démocratie, inégalités Dans les coalitions multi-acteurs, le principe du « qui Une définition claire de la transition des systèmes agricoles et alimentaires visée doit être adoptée, assortie veut vient » se transforme en « qui peut vient » : les - renforcées premiers concernés n’ont souvent pas les moyens de de critères d’inclusion et d’exclusion pour les projets. Notamment, en cohérence avec sa politique nationale, la z Sur-représentations des puissants et justice s’y investir, ou risquent de le faire au détriment des France doit s’assurer que DeSIRA ne contribue pas au développement des semences génétiquement modifiées ; sociale : espaces onusiens. - La transparence des différents organes de gouvernance doit être assurée avec la publication des rapports et notes sur les décisions prises et la communication d’un plan d’action. En particulier, le comité consultatif La participation des fondations et du secteur privé z Accaparement de l’argent public : technique doit être mis en place avant tout nouvel appel à projet ; aux coalitions multi-acteurs, en les plaçant sur un Le secteur public contribue largement au finance- - le rôle de l’ensemble des membres, et de la Fondation Bill et Melinda Gates en particulier, doit être clarifié pied d’égalité avec d’autres membres (institutionnels, ment des coalitions multi-acteurs : la France et l’UE afin de rendre compte de leur place dans la gouvernance de l’initiative, des projets auxquels ils participent ou société civile lorsque qu’elle y trouve une place), masque contribuant parfois jusqu’à 90% du budget total74 (300 valorisent dans le cadre de l’initiative, ainsi que de leurs impacts ; un rapport de force inégal entre l’ensemble des parties millions d’euros dans le cas de DeSIRA). Sans que la prenantes : on ne peut prétendre sérieusement que la - L’ensemble des projets relevant de DeSIRA – c’est-à-dire au-delà de ceux bénéficiant de financements société civile ne dispose de voix dans ce processus, ni FBMG et une organisation paysanne africaine auront européens - doivent être listés sur le site de l’initiative en précisant les outils et objectifs fixés. d’information sur les résultats de l’initiative, ce soutien la même influence au sein des instances de gouver- public considérable profite notamment au secteur privé. nance (lorsque celles-ci existent). Il est également facile z Concernant plus largement les coalitions multi-acteurs auxquelles participe la France: d’imaginer l’influence qu’un acteur comme la FBMG peut avoir vis-à-vis des Etats compte tenu de son poids - chaque coalition doit rendre compte de mécanismes de gouvernance transparents, robustes et aux rôles financier qui représente bien plus que le budget agricole et responsabilités clairement définis. L’ensemble des membres d’une coalition doit par ailleurs être rendu public. de nombreux pays ! - la mise en place de mécanismes de suivi-évaluation doit être un critère déterminant pour l’implication de la France. Ces mécanismes doivent par ailleurs rendre compte de l’action portée par l’ensemble des membres Les mécanismes de philanthropie et de co-finan- de l’initiative, et non uniquement celle des acteurs publics. Ce reporting et l’évaluation devraient être assurés et cements amplifient les capacités d’influence des consolidés par les espaces onusiens concernés. puissances économiques sur le débat public et l’action publique, en court-circuitant le chaînon démocra- tique. A l’inverse, la sous-représentation de la société z Concernant la gouvernance mondiale des enjeux agricoles et alimentaires civile, des communautés locales et des agriculteurs73 - compte tenu de la multiplication de coalitions multi-acteurs sur le sujet ayant par ailleurs montré leur limites pose question. À quoi est dû ce manque d’inclusion ? voire leurs impacts extrêmement négatifs, les Etats doivent cesser de créer de nouvelles initiatives dont la robus- Ces acteurs sont-ils invités à participer ? Comment tesse n’est pas suffisante76. La France doit prioriser son engagement dans les espaces onusiens les plus perti- répondre aux besoins des populations si elles ne sont nents (comme le CSA ou les COPs) pour limiter le risque de substitution des coalitions multi-acteurs aux États pas invitées à s’exprimer ? et à leurs obligations en matière de climat. Les espaces onusiens sont plus légitimes et représentatifs, car dotés de cadres démocratiques assurant la participation de toutes les parties prenantes, contrairement aux coalitions z Accaparement de l’espace politique : ad-hoc créées sur la base d’un appel d’intérêt. Le temps et les moyens (humains, financiers) des acteurs (en particulier les Etats et la société civile) sont des ressources limitées : la multiplication des coalitions multi-acteurs peut ainsi affaiblir les espaces interna- tionaux qui traitent déjà ces questions. Les ministres de l’agriculture pourront par exemple être amenés à choisir entre un déplacement au One Planet Summit ou un dépla- cement au Comité sur la Sécurité Alimentaire mondiale ou aux négociations organisées dans le cadre de la Conven- tion des Nations Unies sur le changement climatique. 12 13
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