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Student Honors Theses By Year                                                          Student Honors Theses

Spring 5-23-2021

Les femmes folles : Representations of female madness in 19th
century French literature
Freya Whittaker
Dickinson College

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Recommended Citation
Whittaker, Freya, "Les femmes folles : Representations of female madness in 19th century French
literature" (2021). Dickinson College Honors Theses. Paper 398.

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Les femmes folles : Representations of female madness
          in 19th century French literature

                                     By
                               Freya Whittaker

        Submitted in partial fulfillment of Honors Requirements for the
               Department of French and Francophone Studies

                       Dr. Adeline Soldin, Supervisor
                       Dr. Dominique Laurent, Reader
                         Dr. Hanna Roman, Reader

                                May 14, 2021
The Department of French and Francophone Studies at Dickinson College hereby accepts this
senior honors thesis by Freya Whittaker and awards departmental honors in French and
Francophone Studies.

Adeline Soldin (Advisor)                                Date:          5/14/2021

Dominique Laurent (Committee Member)                    Date:          5/17/2021

__________________________________________
Hanna Roman (Committee Member)                          Date:          5/17/2021

Lucile Duperron (Department Chair)                      Date:          5/17/2021
Les femmes folles : Representations of female madness in 19th century French literature

        L’art est fortement associé à son contexte historique et sociopolitique, et peut être

analysé comme un reflet de l’époque qu’il représente. Étant donné que les arts sont souvent

des véhicules pour l’expression des attitudes sociales, les représentations artistiques offrent

des aperçus des perspectives historiques de certains groupes, problèmes, ou changements

sociaux. D’une manière similaire, la psychiatrie et les idées de la maladie mentale sont liées

aux moments historiques, parce qu’elles changent et reflètent les normes sociales. En

analysant les représentations artistiques des conditions psychologiques, il est possible de

révéler des attitudes envers les victimes affligées par ces maladies. En particulier, pendant le

XIXe siècle, des représentations littéraires des femmes affligées par les pathologies mentales

révèlent plus largement la condition des femmes parce que les développements sociaux ont

introduit des nouvelles attentes et possibilités pour elles. Globalement, la représentation des

maladies mentales des femmes dans la littérature française de cette époque indique la

situation des femmes à des moments divers du XIXe siècle.

        Afin de mieux comprendre la représentation littéraire de la maladie mentale, il faut

d’abord comprendre sa définition littérale et celles des concepts associés. Spécifier une

définition singulière de la maladie psychologique est une tâche ardue à cause de sa nature

élastique. Même dans le domaine de la science psychologique, les définitions formelles de la

maladie mentale varient beaucoup ; mais au niveau le plus élémentaire, nous comprenons ce

concept en tant qu’un label qui désigne un comportement, un sentiment, ou un manque de

certaines capacités chez un individu qui lui cause de souffrir (Macklin 342, Ussher 28). Il

faut noter ici que la définition de la maladie mentale repose intrinsèquement sur un standard

relatif de la normalité, sans lequel on ne pourrait désigner personne comme anormale et donc

malade. Nous pouvons donc dire que ce concept représente vraiment une déviance des

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normes d’une société. En d’autres mots, “l’usage de la phrase ‘maladie mentale’ masque

effectivement les normes appliquées actuellement” par la société aux gens déviants (ma

traduction de Livermore et al. 78).

        Il existe une distinction subtile entre l’idée de la maladie mentale et celle de la folie.

La première est considérée comme un diagnostic formel, définit par la littérature scientifique,

alors que la dernière est un label plus familier qui impose par essence une marque d’infamie

aux individus qui le portent. La folie est conceptualisée comme un manque de capacité de

fonctionner normalement ou de participer normalement dans la société (Macklin 352). Le

terme de la folie est donc un moyen de déshumaniser ceux qui en ont été marqués, parce qu’il

implique une incapacité de se comporter comme humain avec les compétences les plus

fondamentales. Dans ce sens, c’est un label pour rendre ceux qui vivent avec les maladies

mentales comme “d’autres” en les réduisant à leurs diagnostics.

        Une notion liée à la folie est l'hystérie, qui fonctionne similairement comme

réducteur, mais qui est historiquement associée à la féminité. Le diagnostic de l’hystérie

représente un mouvement dans le domaine de la psychologie dans lequel des médecins et des

psychiatres, typiquement des hommes, ont imposé des pathologies aux femmes pour décrire

des comportements et des problèmes dits féminins (Fauvel 71). L’hystérie représente, plus

explicitement que l’idée de la maladie mentale, une imposition de la pathologie sur des

expériences qui semblent anormales ou qui ne correspondent pas aux normes de la société.

C’était souvent le cas que les femmes déclarées hystériques n’étaient pas vraiment malades

du tout, mais elles étaient jugées trop nerveuses ou timides, ou bien trop sentimentales, ou

quelquefois trop masculines. Le diagnostic de l’hystérie était donc utilisé pour décrire leur

pathologie présumée (Fauvel 67, Goldstein 134). Bien sûr, la timidité et la sentimentalité sont

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les expériences normales pour tous les êtres-humains, donc ce diagnostic était un exemple

très fort d’une pathologie construite et inventée plutôt que réelle et objective. L’idée de

l’hystérie est basée sur une incohérence avec les normes et les attentes sociales, comme

toutes les autres maladies mentales, mais elle a uniquement été appliquée aux femmes pour la

plupart de son histoire. En fait, le mot hystérie dérive du mot grec hystera, qui signifie

l’utérus (Goldstein 134, Tasca 110). Le premier dossier d’un cas hystérique date de l’Égypte

antique où l’anormalité comportementale a été attribuée aux problèmes d'utérus (Tasca 110).

Donc, l’hystérie est essentiellement liée à la féminité, et elle est vraiment une représentation

de l’imposition de pathologie aux femmes qui ne correspondent pas aux normes sociales.

        Il faut noter ici que les normes sociales sont instables, surtout pour les femmes dont le

statut sociopolitique a beaucoup évolué à travers les siècles. Le XIXe siècle était une période

dynamique, marquée par des changements dans le statut et des rôles des femmes dans la

société française. La fin du XIIIe siècle a vu la Révolution, qui a introduit de grands

bouleversements sociaux, y compris l'abandon de la monarchie en faveur d’un système

politique démocratique. Paradoxalement, bien que la France soit la première nation au monde

à introduire le suffrage universel, il n’a pas inclus les femmes (Moses 176, Scott 1). La

politique des lumières semblait accueillir un discours de l’égalité entre les genres, donc en

1791 Olympe de Gouges a publié sa Déclaration des droits de femme et de la citoyenne

féminine (Scott 7). Inspirée par ses contemporains masculins, de Gouges a étendu les idéaux

des lumières sur des libertés et des droits individuels aux femmes qui ont été largement

exclues des discours politiques de l'époque. Cela a marqué une étape importante pour établir

les forums politiques concernant l’égalité des femmes en France, mais le tournant du siècle a

retardé le dynamisme de ce mouvement.

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        Le Code Napoléon de 1804 a renforcé le statut des femmes comme citoyennes d’une

classe secondaire (Moses 22). En même temps que le Code a réintroduit l’esclavage aux

colonies françaises, il a aussi insisté sur le statut inférieur des femmes. Le Code a affirmé le

statut existant des femmes épousées comme essentiellement les servants ou la propriété de

leurs maris, selon l’Article 213 qui dit, “le mari doit la protection à sa femme, la femme doit

obéissance à son mari” (Gerhard et al. 263, Margadant 126, Moses 20). Les femmes

n’avaient pas le pouvoir de contrôler leurs propres corps, leurs vies publique ou privée, ou

leurs enfants, et le rôle typique d’une femme à cette époque était d’être femme au foyer.

Même les penseurs “progressistes” ont montré un manque d’estime pour la situation et les

droits des femmes, comme l’anarchiste-socialiste Pierre-Joseph Proudhon par exemple, qui a

insisté que les femmes ne convenaient d'être ou “femme au foyer ou putain” (Spear 298).

Donc, les normes de domesticité ont été perpétuées parce que la définition de la condition

féminine repose sur une dépendance des hommes, ou repose sur une vie au service des

hommes.

        La Restauration Bourbon (1815-1830), dirigée par la monarchie conservatrice

catholique, et le Second Empire de Napoléon III (1852-1870) étaient hésitants à l’égard de

l’innovation sociale et l’extension des droits civiques, donc peu a changé pour améliorer

considérablement la condition féminine en France (Moses 152, Pilbeam 364). Même après la

création de la Troisième République en 1871, les hommes politiques étaient encore réticents

à changer pour égaliser les droits des femmes (Smith 26). Les modifications du code civil

pendant le XIXe siècle étaient irrégulières et quelquefois contradictoires, donc des petits

signes d’avancement dans le statut des femmes étaient faibles et souvent suivis par des

retours en arrières. Par exemple, en 1842 une loi a été introduite permettant aux femmes de

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devenir médecins et dentistes ; mais six années plus tard, une autre modification du code civil

a interdit aux femmes d’assister aux assemblées politiques, effectivement les excluant de la

vie politique (Lewis 181, Margadant 74). La deuxième moitié de XIXe siècle a vu

l’expansion des possibilités d'éducation pour les femmes, ce qui a augmenté le taux

d'alphabétisation et a contribué à l’augmentation du nombre d'écrivaines (Mesch 3, Moses

79). Notamment, une loi en 1881 a donné aux femmes mariées plus de liberté financière en

les autorisant à ouvrir des comptes d’épargne sans permission de leurs maris ; la même loi a

donné des droits financiers aux veuves de contrôler les finances et la propriété de leurs maris

décédés (Lewis 182, Margadant 152). Malgré ces avancements légaux de la condition sociale

des femmes, elles sont restées considérées comme inférieures aux leurs contreparties

masculines et leurs rôles sociaux sont restés définis par les hommes.

        Bien que les femmes aient gagné plusieurs petites victoires dans le combat pour

l’égalité des genres pendant le XIXe siècle, le mouvement féministe n’a pas vraiment créé un

élan jusqu’au début de la belle époque à la fin du siècle. Les femmes de cette époque ont

largement rejeté des attentes traditionnelles pour les femmes, mais cela ne veut pas dire

qu’elles ont bouleversé tout : les femmes n’ont pas gagné l’égalité des droits jusqu’à plus

tard en 1944 avec le droit de vote (Smith 145). De plus, le mouvement féministe n’était pas

homogène parce que des bénéfices de la belle époque ont été modérées par la classe, la race,

l’âge et d’autres facteurs. Toutes les femmes ne partageaient pas les mêmes possibilités de

libération des normes sociales typiques. D’ailleurs, les attentes sociales ont persisté alors que

le public français était scandalisé par la “femme moderne” de la belle époque (Mesch 196).

Donc, malgré les avancements significatifs des femmes de la belle époque, les normes

sociales n’ont pas changé facilement ou universellement.

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        Cela dit, l’histoire des droits et des libertés des femmes en France pendant le XIXe et

le début du XXe siècle montre la nature dynamique des normes sociales féminines. Quand le

statut social des femmes change au fil du temps, les attentes de leur comportement évoluent

également ; et en même temps que les attentes et les normes sociales évoluent, les standards

sur lesquels repose la construction de la maladie mentale se modifient. Cela veut dire que

l’idée de la maladie mentale, qui repose sur les standards d’anormalité, a changé en fonction

des changements des attentes sociales pour les femmes en France à travers le XIXe siècle.

Pour cette raison, les définitions de la maladie mentale, ou bien de l’hystérie, qui ont affligé

les femmes aux moments divers ne peuvent pas être interprétées sans leurs contextes sociaux

et historiques correspondants. Plus important encore, les représentations de la maladie

mentale chez les femmes dans les publications littéraires ou les œuvres d’art peuvent refléter

les attitudes et les normes sociales courantes à cette époque-là.

        Ce travail se concentre sur quatre textes publiés aux moments divers du XIXe siècle.

Ourika, écrit par Claire de Duras et publié en 1823 au milieu de l’époque du romantisme,

présente le personnage titulaire Ourika, une femme noire qui doit concilier son identité

raciale dans le contexte de la haute société française. Adoptée comme nourrisson et sauvée

d’une vie d’esclavage par une femme affluente, Ourika vit sans connaissance de sa race ou le

statut inférieure qu’elle lui impose jusqu’à l’âge de 15 ans. Après avoir découvert sa vraie

condition, Ourika est plongée dans la mélancolie alors qu’elle est forcée de reconsidérer son

identité et la trajectoire de sa vie. Sept ans après la publication d’Ourika, Honoré de Balzac a

écrit Adieu, une nouvelle réaliste, qui raconte les efforts d’un ancien soldat de restaurer la

raison à son amante, qui a été traumatisée par la guerre dans laquelle il a combattu. Une autre

œuvre du mouvement réaliste, Madame Bovary, écrite par Gustave Flaubert et publiée en

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1856, détaille la vie torturée d’Emma Bovary, qui est illusionnée par des arts et leurs

représentations de l’amour et de la vie. En conséquence, elle ne peut pas être satisfaite par la

vie réelle. Finalement, à la fin du siècle ou bien le début du prochain, Rachilde a publié La

jongleuse comme partie du mouvement décadent. La jongleuse (1900) présente le personnage

d'Eliante Donalger, une veuve élevée au Caraïbe et rendue riche à cause de la mort de son

mari. Elle est fondamentalement une énigme pour la haute société parisienne, y compris

Léon, le jeune homme qui essaie de la courtiser. Chacune des œuvres présente des femmes

affligées apparemment par une maladie mentale cependant les textes représentent des

mouvements littéraires et des moments historiques divers. De plus, les personnages

principaux féminins représentent des classes, des races, et des statuts différents. Somme

toute, ces textes illustrent la tendance de caractérisation des femmes déviantes comme

malades ou folles pendant le XIXe siècle. Dans cette étude, nous analyserons ces textes pour

examiner comment les images de la maladie féminine, ou bien de l'hystérie, peuvent refléter

le statut et les attentes des femmes aux moments divers de cette période. Nous examinerons

la mesure dans laquelle les représentations de la maladie féminine dans ces œuvres ont des

implications importantes concernant la condition féminine à cette époque.

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                            Maladie à la suite d’exclusion dans Ourika

        Ourika présente une image profonde de souffrance individuelle à cause des attentes

des femmes dans la société française au début du XIXe siècle. Inspirée d’une histoire vraie,

Ourika illustre la vie d’une jeune fille d’origine sénégalaise qui est élevée dans la société

aristocratique au moment de la Révolution Française. Ourika est noire, mais elle vit sans

connaissance des implications de la couleur de sa peau, c'est-à-dire de sa condition inférieure,

jusqu'à l'âge de 15 ans. Elle apprend la réalité de son statut social en entendant par hasard une

conversation entre sa bienfaitrice, Madame de B., et une de ses amies anonyme, la Marquise

de. . . . Ourika a entendu Mme de . . . a exprimé qu’elle est destinée à être toute seule dans sa

vie parce qu’elle est noire. La Marquise demande à Madame de B., “qui voudra jamais

épouser une négresse ?” indiquant que la race d’Ourika pose le problème de trouver un mari

de la haute classe (Duras 28). L’importance de la cour dans la société d’Ourika ne peut pas

être surestimée, donc la difficulté de trouver un compagnon à cause de sa race devient une

forte source de souffrance pour Ourika. En effet, la société aristocratique dans laquelle

Ourika a été élevée ne l’acceptera pas, même si elle est éduquée et elle a plusieurs talents que

la haute société valorise, parce qu’elle a perturbé “l’ordre de la nature,” c’est à dire la

hiérarchie raciale (Duras 29). La réalisation soudaine de sa différence raciale plonge Ourika

dans une sorte de détresse émotionnelle, aggravée par son amour pour Charles, le petit-fils de

sa bienfaitrice. La jeune fille essaie de cacher sa peau, portant les gants et les voiles, et ôtant

tous les miroirs de sa chambre pour nier sa race. Ses peines se manifestent par le

dépérissement de sa santé physique et aussi une souffrance interne. Elle décide finalement de

devenir une religieuse, vivant au couvent pour le reste de sa vie, où elle raconte son histoire

au médecin dont la perspective narre la nouvelle. La représentation de la souffrance

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psychologique et physique d’Ourika permet de mieux comprendre les normes sociales

contemporaines imposées aux femmes et aux personnes de couleur, ainsi que l’évolution du

rôle des médecins et l’approche thérapeutique au moment de la publication du roman.

        En vivant comme une aristocrate française, Ourika a essentiellement éludé son statut

inférieur de femme noire, particulièrement une femme sénégalaise. Elle a été élevée dans une

famille riche et aristocratique, donc elle a cultivé un sentiment de soi comme membre de

cette communauté. Quand Ourika apprend de Mme de… qu'elle n'est en fait pas membre de

la société aristocratique blanche française en raison de sa race, elle est forcée de reconsidérer

sa perception de soi en affrontant la notion que son identité est différente du reste de sa

communauté. Cette reconnaissance forcée de ce que Carol Sherman appelle son état d'altérité

- le fait qu'elle soit une étrangère dans sa propre communauté - et l'intériorisation de cette

aliénation se manifestent par une détresse psychologique (Sherman 89). Le moment où

Ourika se rend compte que sa noirceur l'exclut de la société aristocratique, elle commence à

couvrir sa peau et d'autres traits qui la rendent différente de ceux qui l'entourent. “J’avais ôté

de ma chambre tous les miroirs, je portais toujours les gants ; mes vêtements cachaient mon

cou et mes bras… comme les enfants, je fermais les yeux, et je croyais qu’on ne me voyait

pas” (Duras 63). Ce comportement indique un sentiment de honte à propos des

caractéristiques qui contribuent à l’état d’altérité de l’Ourika, de sorte qu’elle veut les cacher

et éviter de les voir et de les reconnaître. C’est aussi la preuve qu’Ourika a intériorisé les

attitudes négatives envers sa propre race, imposées par sa société et exprimées par Mme

de…, intériorisant ainsi son état d’altérité, comme le décrit Sherman. Ourika éprouve

également des sentiments de mélancolie et de désespoir à la suite de sa crise d'identité : “je

ne sais pas si j'aurais osé admettre à quel point cette maladie irrémédiable de ma couleur me

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rendait malheureuse. Il y a quelque chose d'humiliant à ne pas savoir se soumettre à la

nécessité : aussi, ces douleurs, lorsqu'elles maîtrisent l'âme, ont toutes les caractéristiques du

désespoir” (Duras, 62). Pour être clair, cette détresse sentimentale n'est pas nécessairement le

résultat de la découverte de la race d’Ourika, mais plutôt en réaction à son apparente

exclusion de la société aristocratique en raison de sa race. Cela est cohérent avec l’analyse de

Sherman selon laquelle la détresse d’Ourika est enracinée dans une internalisation de

l’aliénation de sa société à son égard à cause de sa race.

        À cause de l’éducation aristocratique d’Ourika, elle a cultivé tous les rêves et toutes

les attentes pour la vie d’une femme blanche de la haute classe en France, mais ces rêves et

attentes lui seront impossibles à poursuivre à cause de sa race. En particulier, participer aux

processus typiques de la cour avec un autre aristocrate est rendu impossible, car comme Mme

de… l'a souligné, aucun homme blanc de la haute classe ne voudrait épouser une femme

noire. Chez Earl Ingersoll, la question du mariage est vraiment la source du problème de la

race d’Ourika : il n’y avait pas de plusieurs choix pour les femmes, au moins celles de

l’aristocratie, à cette époque en dehors du mariage, parce que leurs droits et statuts étaient

tous liés au fait d’avoir un mari (Ingersoll 4). En tant que femme à cette époque, le seul

devoir d’Ourika est de se marier, mais comme indiqué par Mme de… , ça semble impossible

pour elle. Bien qu'il soit possible pour Ourika d'épouser un homme noir, il n'y avait pas

d'hommes noirs éligibles élevés dans la même classe aristocratique qu’Ourika, parce que les

hommes noirs étaient plus souvent des serviteurs ou des esclaves en France à cette époque.

Au-delà de ses sentiments de détresse causés par l’intériorisation de son état d’altérité,

l’agonie centrale de Ourika est le fait qu’elle ne trouverait jamais de compagnon, qui

correspond à son idéal, donc elle doit vivre toute seule. Si les femmes célibataires avaient eu

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plus de choix et d'opportunités à cette époque, peut-être que la race d'Ourika (et ses

implications pour son incapacité à trouver un mari) n'aurait pas posé un tel problème ; mais

sa société a imposé les limitations sur les femmes non mariées, donc la découverte que la

race d'Ourika l'empêcherait de trouver un compagnon est naturellement assez pénible

(Ingersoll 4). Sans l’option de mariage, il ne reste que le choix de devenir religieuse, ce qui

explique la décision d'Ourika de vivre le reste de sa vie au couvent où elle raconte son

histoire au médecin. Sa société a décidé le cours de sa vie basé sur sa race mais aussi sur les

limites imposées sur les femmes ; autrement dit les attentes sociales pour une femme noire

ont été imposées sur Ourika, et elles constituent les limites de possibilités de sa vie. Pourtant,

elle ne correspond pas aux attentes d’une femme noire, parce qu’elle a été éduquée pour

vivre comme membre de la haute classe. Essentiellement, les espoirs d’Ourika pour sa propre

vie, particulièrement l’espoir de trouver l'amour et se marier avec quelqu’un, ne sont pas

possibles à cause de sa race et de sa condition sociale, une condition imposée par sa société.

        Sa souffrance est un résultat des normes sociales qui limitent les possibilités de sa vie,

et ce point est reflété par une citation de Mme de . . . , qui dit à Ourika, “si vous n’étiez pas

folle d’amour pour Charles, vous prendriez for bien votre parti d’être négresse” (Duras 98).

Mme de . . . représente la perspective de la société française envers Ourika, et elle indique

que la source de la souffrance d’Ourika est le fait qu’elle ose, en tant que femme noire, avoir

un désir pour les relations intimes avec un noble — un homme blanc de l’aristocratie. Mme

de … attribue la souffrance d'Ourika à un engouement pour Charles spécifiquement, mais ce

n’est pas très clair si Ourika est vraiment amoureuse de Charles. Cela dit, ses peines et ses

sentiments d’isolation résultant de l’impossibilité de trouver un compagnon, n’importe quel

compagnon, sont évidentes. Ourika exprime le sérieux de sa situation, “Qu’ai-je fait pour être

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condamnée à n'éprouver jamais les affections pour lesquelles seules mon cœur est créé ! O

mon Dieu ! ôtez-moi de ce monde ; je sens que je ne puis plus supporter la vie” (Duras 91).

Alors, c’est clair que l’interdiction implicite d’une relation intime avec un homme

aristocratique, si Charles lui-même est l’objet de son amour ou pas, cause vraiment Ourika à

souffrir psychologiquement, de manière que c’est difficile pour elle de supporter la vie. C’est

un exemple clair de comment l’imposition des attentes irréalistes, dans ce cas l’attente qu’un

individu ne doit pas naturellement vouloir les relations intimes, peut se manifester en détresse

pour un individu. Ourika n’est pas représentée comme incapacitée, mais c’est évident que ses

peines sont fortes, de telle sorte qu’elle n’est pas certaine qu’elle puisse continuer de vivre,

donc nous pouvons interpréter sa souffrance comme un type de maladie.

        La réalisation de la condition unique de femme noire dans la haute société en France

la rend isolée, provoquant une isolation existentielle. “Qui m’aurait entendue, qui m’aurait

comprise ! Hélas ! je n’appartenais plus à personne ; j’étais étrangère à la race humaine toute

entière ! ” exprime Ourika après avoir découvert la réalité de sa condition (Duras 34). Cette

citation indique qu'elle se sent non seulement isolée de sa famille et de sa communauté

intime, mais elle souffre aussi de la sensation qu’elle est toute seule dans le monde entier,

sans personne pour la comprendre. La futilité de ses espoirs pour sa vie et le sentiment

qu’elle est toute seule dans le monde rendent Ourika déprimée et angoissée. Elle est

consommée par ses sentiments d'isolement, et elle n’en discute avec personne, même

Charles, son confident. Dans cet esprit, il est plus compréhensible qu'Ourika ait décidé de

devenir religieuse, rejetant effectivement la communauté qui l'avait rejetée et la faisait se

sentir si complètement seule. Sa souffrance interne devient néfaste pour sa santé, comme

Ourika le précise : “je ne lui parlais pas de mes peines. Elles altéraient sensiblement ma

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santé, mais chose étrange ! elles perfectionnaient mon esprit” (Duras 36). Elle reconnaît

comment son malheur représente une nouvelle perspective parce qu’elle est devenue

consciente de sa réalité sociale grâce à la réalisation qui l’a plongée dans une crise

sentimentale.

        Les peines d'Ourika se manifestent psychologiquement mais aussi physiquement,

dégradant sa santé physique de sorte que les médecins doivent souvent être consultés pour

l’assister. Son manque total d’espoir pour sa vie, et aussi sa honte de son corps physique, la

rend malade physiquement, en plus d'être tourmentée par ses sentiments malheureux. En

d’autres mots, sa souffrance psychologique génère une maladie physique en plus de sa

détresse sentimentale. Ses symptômes comme la mélancolie, le sens d'être totalement isolée

et sa fragilité physique tous indiquent des troubles psychologiques. Mais dans le cas

d’Ourika, sa maladie psychologique et physique est causée directement par l’imposition des

normes sociales. Elle est présentée comme victime de ses sentiments, consumée par la

mélancolie et un sens de l’isolation, mais en fait, ses sentiments sont seulement des réponses

à sa position injuste définie par sa société. Nous pouvons dire que sa pathologie est

simplement une réponse à son traitement par ses pairs et la société ; ce n’est pas quelque

chose qui l’afflige indépendamment de son contexte. Donc, même si ses symptômes sont

réels et ils semblent consistants avec ceux d’un désordre psychologique, ils sont aussi les

résultats de l’imposition des attentes sociales, donc ce n’est pas juste de conclure qu’Ourika

est malade psychologiquement sans considérer ses circonstances.

        La vie d’Ourika sert bien d’illustrer le lien entre la maladie mentale et l’hystérie. Les

symptômes d’Ourika sont évidents. Puisqu’ils sont construits en raison du contexte sociétal

d'Ourika, il se peut que sa pathologie elle-même soit construite, un peu comme l'hystérie.

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Les femmes folles : Representations of female madness in 19th century French literature

L’aliénation d’Ourika à cause de sa race, imposée par la société aristocratique et internalisée

par la jeune fille, la cause de sentir isolée, honteuse, et déprimée. De plus, tout comme de

nombreuses femmes à travers l'histoire ont été jugées hystériques pour des tendances ou des

conditions naturelles, Ourika a développé des symptômes pathologiques en apprenant que

son propre désir naturel de compagnie était jugé impossible par les normes sociales en raison

de sa race. De cette manière, nous pouvons dire qu'Ourika a développé une sorte d'hystérie,

une maladie construite, résultant de son incohérence avec les attentes sociales d'elle et

l’imposition de son état d’altérité, compte tenu de sa position sociale de femme noire dans la

haute société française.

        La mort d'Ourika contribue à donner au lecteur l'image de sa vie en tant que victime

de son temps et de ses circonstances. Bien qu’elle ait prié pour sa mort quand elle était jeune,

Ourika attend sa mort naturelle, qui se passe lentement quand elle est une vieille religieuse au

couvent. Sa mort n'a été provoquée par aucun événement ou maladie apparentée en dehors de

la vieillesse ; en d'autres termes, c'était simplement son heure de mourir. De cette façon, on

peut lire la vie d’Ourika ainsi que sa mort en fonction de son temps, de telle sorte que sa vie

était limitée par sa condition sociale - qui contribuait à sa détresse psychologique - et sa mort

était déterminée par le destin lui-même. Dans la forme fidèle pour tout auteur participant au

mouvement romantique, Claire de Duras met l’accent sur l’acceptation par Ourika de sa

réalité, un fort thème dans ce mouvement littéraire. Elle insiste plusieurs fois sur ses

conversations avec le médecin sur le fait qu'elle ne souffre plus, ayant trouvé une dévotion à

Dieu et ayant apparemment passé de la douleur de son passé à une tranquillité d’esprit. Les

lecteurs peuvent débattre de la mesure dans laquelle Ourika a vraiment guéri de ses douleurs,

mais il est clair qu'elle tente au moins d'accepter la triste réalité de sa vie. L'acceptation

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rétrospective de sa réalité ainsi que la nature passive de sa mort renforcent le fait qu'Ourika

était rarement un agent actif dans sa propre histoire ; au contraire, sa vie et sa mort étaient

toutes deux déterminées par des forces extérieures, créant l'image d'une femme victime de

l'histoire plutôt que d'une participante active à celle-ci.

        L’histoire d’Ourika se passe pendant la Révolution française, un moment qui a

présenté une richesse de possibilités pour l’avancement sociale et la liberté augmentée pour

plusieurs groupes, y compris les femmes et les noirs. En même temps que les défenseurs

précoces comme Olympe de Gouges ont introduit le discours des droits des femmes, le débat

sur la liberté des noirs a aussi commencé pendant cette période (Scott 9). La nouvelle

République a aboli l’esclavage dans les colonies françaises, symbolisant quelque petit

progrès vers l’égalité entre les noirs et les blancs (Quinney 125). Le contexte fictif du roman

implique la possibilité que les hiérarchies traditionnelles peuvent changer, mais comme le

roman illustre, cela n’arrive pas. Peu de temps après la Révolution, beaucoup de

changements sociaux sont revenus à l'ordre normal. En fait, dans le contexte réel de la

publication d’Ourika, le Code Napoléon avait rétablit l’esclavage aux colonies et diminué les

droits de femmes (Moses 20). En particulier, le Code a privé les femmes non mariées des

droits individuels, renforçant l’importance du mariage et donc les limitations imposées aux

femmes comme Ourika, qui ne pouvaient pas trouver de mari (Lewis 180, Margadant 75).

Nous pouvons lire le roman comme un commentaire sur les inégalités courantes à ce moment

en 1823, alors que la souffrance d’Ourika représentait une conséquence des inégalités qui

existaient au passé, en fait il y avait les inégalités plus fortes au moment où le roman a été

publié. Claire de Duras indique comment les impositions des frontières sociales peuvent être

préjudiciables, utilisant Ourika comme victime pour illustrer comment les inégalités se

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manifestent et causent la souffrance individuelle. Dans cette perspective, Ourika et sa

représentation de la maladie mentale du personnage titulaire indiquent les inégalités sociales

au début du XIXe siècle, perpétuées par le Code Napoléon. La souffrance individuelle

d’Ourika, maladie causée par l’imposition des normes sociales injustes, indique vraiment la

souffrance plus générale des groupes marginalisés dans la société française à cette époque.

En d’autres mots, la maladie d’Ourika est une représentation de la condition de détresse des

tous les victimes de marginalisation sociale au début du XIXe siècle.

        Outre l’importance symbolique de la maladie d’Ourika, le traitement de sa maladie et

le rôle du médecin dans l’histoire sont également symboliques et méritent d’être commentés.

Bien que l'histoire se concentre sur le personnage titulaire, Ourika, et semble souvent

racontée à la première personne, elle est en fait narrée par le médecin qui soigne Ourika sur

son lit de mort. Ceci est pertinent parce que la narration du médecin confère essentiellement

sa perspective à l’histoire, servant de liaison entre la propre narration d’Ourika et le lecteur.

Chantal Bertrand-Jennings soutient que l'utilisation du médecin comme narrateur a été faite

intentionnellement par l'auteur, Claire de Duras, afin d'offrir la crédibilité et la légitimité à

l'histoire. Selon Bertrand-Jennings, l’identité du médecin en tant qu’homme blanc et instruit

est utilisée pour valider une histoire sur un personnage marginalisé, une femme noire

(Bertrand-Jennings 44). Plus largement, le médecin semble être une sorte de personnage

paternel et protecteur dans l'histoire, offrant à Ourika du réconfort et du répit de son chagrin

et de ses maux. Ce rôle peut être lu comme une indication du rôle symbolique de “sauveur”

masculin dans la société française de l'époque, sans qui les femmes n'avaient ni droits ni

statut individuel étant donné des limitations imposées aux femmes célibataires par le Code

Napoléon. Le rôle du médecin en tant que gardien empathique reflète également un

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changement radical des pratiques médicales et psychiatriques au XIXe siècle. Comme noté

par Carol Sherman, la concentration du médecin sur le confort de son patient et une sorte de

traitement thérapeutique rappelle le mouvement contemporain de Philippe Pinel à propos des

pratiques empathiques dans les asiles et les hôpitaux français (Sherman 92). Pinel (1745-

1826) était un médecin éminent qui a pratiqué dans les premières années du XIXe siècle, et il

a introduit l'idée d'un traitement humain des malades mentaux et a été le premier à suggérer

d'utiliser une sorte de “thérapie par la parole” compatissante pour promouvoir le réconfort et

la guérison des malades et des mourants, tout comme le médecin pratiquait avec Ourika

(Scull 152, Sherman 92). En bref, le rôle du médecin peut être lu comme un symbole global

de la dépendance presque paternaliste des femmes vis-à-vis les hommes dans la société

française à l'époque où le livre a été écrit, mais aussi comme le reflet du passage vers une

médecine plus empathique et des techniques psychiatriques à l'époque.

        La caractérisation d’Ourika comme malade démontre la structure de pouvoir sous-

jacente de sa société, qui était telle qu'être autre ou ne pas adhérer aux normes et attentes

sociales au début du XIXe siècle pourrait être perçu comme la base d'une maladie mentale,

ou du moins d 'une maladie construite. L’histoire illustre que la santé mentale d’une femme

peut être essentiellement fonction de ses conditions sociales, dans la mesure où les désirs

naturels de relations humaines intimes peuvent mener à la pathologisation d’une femme qui

n’a pas un statut social particulier. Compte tenu de cette représentation réaliste de la façon

dont l'imposition de normes sociales peut générer des symptômes de maladie mentale, le

texte révèle également une représentation fidèle d'un domaine médical soucieux de

réconforter les patients et d'atténuer les souffrances suscitées par leur société. Bien que cette

approche de la psychiatrie et de la médecine soit apparemment compatissante, elle renforce la

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dynamique de pouvoir implicite en ce que ceux du groupe social dominant qui ont le pouvoir

de réconforter les victimes de maux construits sont le même groupe qui impose leur inconfort

en dictant des normes sociales qui contribuent à la construction de leurs maladies. En résumé,

les représentations de la souffrance d’Ourika et de la manière dont elle a été traitée reflètent

une structure de pouvoir sous-jacente qui désavantageait et imposait la maladie à ceux qui

s'écartaient des attentes sociales.

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                          La maladie et le contrôle masculin dans Adieu

        Pour continuer à développer les relations entre la caractérisation de la maladie

mentale et les dynamiques de pouvoir, la nouvelle Adieu sert de bon exemple. Cette œuvre a

été écrite par Honoré de Balzac et publiée en 1830 dans la publication La Mode (Shuh 39).

Cette histoire d’amour se concentre sur la perspective d’un ancien soldat, Colonel Philippe de

Suzy, qui retrouve la femme dont il est tombé amoureux et qu’il a ensuite perdue pendant la

bataille de la Bérézina plusieurs années plus tôt. Au cours de la campagne de Russie,

Philippe et l’objet de ses affections, Stéphanie, ont été séparés, et tous deux ont subi des

traumatismes significatifs, rendant Stéphanie sans aucune raison. Le récit d’Adieu commence

avec Philippe découvrant son amante perdue dans les bois où il chassait avec un camarade,

mais elle ne le reconnait pas. Son comportement d’animal et son incapacité de communiquer

verbalement—sauf avec le mot adieu—bouleversent Philippe, alors il retourne au village et

consulte un médecin, qui est par coïncidence l’oncle de Stéphanie, pour essayer de restaurer

la raison de son amante. Philippe rend souvent visite aux bois pour rencontrer Stéphanie dans

l'espoir de lui rendre ses souvenirs, mais la détresse de la voir réduite à un état animal devient

accablante pour lui, et il tente de les tuer tous les deux. Éventuellement, Philippe et le

médecin mènent une forme élaborée de thérapie recréant les événements traumatisants de la

guerre et l'esprit de Stéphanie est récupéré pendant un moment avant qu’elle meure. Plusieurs

mois plus tard, Philippe, apparemment content, se suicide.

        Le comportement de Stéphanie est évidemment en contradiction avec des attentes

sociales, pas seulement celles imposées aux femmes mais celles plus généralement

appliquées à tous membres de la société. Ses tendances naturelles, par exemple sautant des

branches des arbres comme un oiseau, ne portant pas de vêtements, ou plus simplement

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préférant la nature à sa maison, rendent Stéphanie, une comtesse, similaire aux bêtes

sauvages. La comparaison entre l’ancienne comtesse et les animaux auxquels elle ressemble

est fait explicitement par Philippe, qui distingue entre la femme Stéphanie du passé et la

version d’elle qui existe au présent. En utilisant les morceaux de sucre pour essayer

d’“apprivoiser” son amante, il remarque, “quand elle était femme, elle n’avait aucun goût

pour les mets sucres” (Balzac 62). La caractérisation de Stéphanie comme plus semblable à

un animal qu’à une femme implique qu’elle ne correspond fondamentalement pas aux

attentes de la société envers les êtres humains. Par conséquent, à un niveau très fondamental,

le comportement de Stéphanie est incompatible avec les normes qui régissent la société

humaine. Balzac indique très clairement une relation entre l'incohérence de Stéphanie avec

les attentes sociétales et une sorte de manque de raison : “l'abandon du corps et la

nonchalance animale qui trahissait chez la comtesse une complète absence de l'âme” (Balzac

61). Cela indique explicitement que ses tendances et ses comportements qui ne sont pas

consistants avec ceux dits normaux pour les humains constituent une sorte de maladie

mentale.

        Pour un autre exemple dans Adieu de la façon dont l'incohérence avec les normes

sociales peut qualifier quelconque maladie mentale ou un manque de raison, nous pouvons

citer le cas de Geneviève. C’est une paysanne stupide qui est devenue une sorte de camarade

pour Stéphanie dans les bois. Le médecin, l’oncle de Stéphanie, a caractérisé Geneviève

comme ceci : “cette pauvre créature a perdu le peu d’intelligence que l’amour avait

développé en elle, et ne sait plus que garder les vaches ou faire de l’herbe. Ma nièce et cette

pauvre fille sont en quelque sorte amies par la chaîne invisible de leur commune destinée, et

par le sentiment qui cause leur folie.” (Balzac 61). Selon le médecin, la différence sociale de

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Geneviève—sa stupidité exceptionnelle—constitue une folie qui établit un lien spécial entre

la paysanne et Stéphanie. La paysanne ne joue pas un très grand rôle dans l’intrigue mais elle

est un outil pour accentuer la division entre les hommes rationaux et les femmes folles dans

le texte. En d'autres termes, Stéphanie n'est pas le seul personnage souffrant de maladie

mentale, loin s’en faut, chaque personnage féminin du texte est représenté comme fou. La

caractérisation de Geneviève contribue ainsi à une image plus généralisée de la dynamique

entre hommes et femmes présentée par le texte, étant donné que la condition de Stéphanie

n'est pas isolée : c’est une caractéristique commune de chaque femme dans l'histoire.

        La folie alléguée des femmes d'Adieu a de fortes implications sur les attitudes de la

société envers les femmes du XIXe siècle. L’incapacité totale de Stéphanie à communiquer

ou à fonctionner normalement comme les humains sont censés le faire, ainsi que sa mort

soudaine après avoir retrouvé sa mémoire, impliquent que ses sentiments et ses souvenirs du

traumatisme étaient plus forts que sa capacité mentale de les gérer. Il est certain qu'elle a subi

un traumatisme important tout au long de la guerre, tout comme Philippe ; mais la capacité

de ce dernier à fonctionner normalement malgré son traumatisme, en contraste avec la façon

dont les traumatismes de Stéphanie l'ont réduite à un état animal, implique une différence

dans leur force et leur capacité à faire face aux difficultés. Nous pouvons interpréter la

différence dans les manifestations des traumatismes partagés comme une illustration des

attitudes qui considèrent les femmes comme intrinsèquement plus faibles et fragiles que les

hommes. Il est clair que Philippe souffre aussi. C’est évident par le fait qu’il se tue à la fin de

l’histoire, mais il masque effectivement sa souffrance de manière que ses voisins pensent

qu’il semble content : “le général Philippe de Sucy passant dans le monde pour un homme

très aimable et surtout très gai” (Balzac 63), même les jours précédents son suicide. Balzac

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fait référence aux “désordres cachés [qui] expliqueraient cette catastrophe,” c’est-à-dire la

mort de Philippe, renforçant le fait qu’il a pu cacher et gérer sa maladie psychologique, mais

celle de Stéphanie la consommait entièrement et la réduisait à une condition sauvage. En fait,

la capacité de Philippe à fonctionner normalement malgré son traumatisme ajoute à son

image de masculinité par excellence en raison de ses antécédents militaires, affirme Miranda

Gill, tandis que le traumatisme de Stéphanie la réduit au contraire au stéréotype de la femme

faible et dépendante (Gill 1027). En d’autres termes, la différence de la caractérisation des

manifestations de traumatisme chez Stéphanie et chez Philippe illustre une dynamique d’un

homme qui est plus fort ou capable de gérer les difficultés qu’une femme. Les symptômes de

la maladie mentale sont utilisés dans Adieu pour souligner la faiblesse de la condition

féminine tout en soulignant paradoxalement la force d'un personnage masculin.

         Par ailleurs, les expériences de guerre des personnages impliquent en outre des

différences fondamentales dans les rôles et les identités des hommes et des femmes. L'accent

disproportionné du roman sur la perspective de Philippe en tant que soldat pendant la guerre

suggère une certaine négligence pour l'expérience féminine tout en privilégiant les

expériences masculines (Felman 5). Alors que le lecteur a droit à un récit graphique de

première main des aventures de Philippe lors de la retraite de l’armée française de Napoléon

après son occupation de Moscou en 1812, le seul récit des expériences de Stéphanie pendant

et après la guerre provient de la mémoire de Philippe et du médecin. Le traumatisme de

Stéphanie se résume brièvement en quelques phrases courtes selon son oncle le Dr Fanjat

(Balzac 61), tandis que de nombreuses pages sont consacrées à l’expérience de guerre de

Philippe sous la forme d’un long flash-back. Hormis l’attention inégale accordée à chacune

des expériences des personnages, la représentation des personnages en relation avec la guerre

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