Digital exploration - estonie se reconstruire par le numérique - Renaissance Numérique
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digital exploration estonie se reconstruire par le numérique février 2015 1 estonie : se reconstruire par le numérique
ÉDITO Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui. MONTAIGNE Renaissance Numérique est un lieu d’échange, de dialogue et d’ouverture. Il était tout à fait na- turel qu’il mette en place un groupe de travail « international », chargé de réfléchir aux pratiques numériques des pays qui nous sont voisins ou qui, au contraire, sont à l’autre bout du globe. L’objectif de ce groupe de travail est double : - identifier les activités et politiques numériques qui peuvent inspirer la France, - nouer des relations avec les structures qui, à l’étranger, pensent également la transformation numérique de notre monde. Au cours de cette série de cahiers, Digital Exploration, que nous lançons aujourd’hui, nous souhaitons fournir aux acteurs publics comme privés, ainsi qu’à tous les citoyens, une matière nouvelle pour nourrir nos pistes de réflexions sur les enjeux numériques actuels, à la lumière des bonnes pratiques observées dans les États étudiés. Olivier FÉCHEROLLE Julien NOCETTI Directeur Général Stra- Chercheur à l’Institut tégie & Développement français des relations Viadéo internationales Godefroy JORDAN Philippe RÉGNARD Président & Directeur des relations co-fondateur institutionnelles Starting Dot «branche numérique» Groupe La Poste 2 digital exploration
TABLE DES MATIÈRES CHIFFRES CLÉS — 5 Le numérique : l’opportunité de repartir de zéro — 6 Un système bancaire en ligne pour mieux repartir de zéro — 6 - France / Estonie ——•— 6 Equiper le pays et former au numérique — 7 Acte 1 de la numérisation du pays : l’école — 7 L’enjeu du haut-débit dans une économie connectée — 8 E-administration : clé de voûte de la numérisation du pays — 9 Le pays n°1 sur la citoyenneté numérique — 9 La e-administration permet la numérisation d’autres politiques publiques comme la santé — 11 La confiance : la clé pour la réalisation d’un État numérique — 11 La confiance grâce à l’architecture juridique renforcée — 12 La confiance grâce à un médiateur indépendant — 12 Voter en ligne — 14 Un dispositif sécurisé — 14 Un Internet estonien particulièrement ouvert — 15 Régulation du réseau — 15 La loi sur l’accès à l’information – l’open data comme norme — 15 Des données ouvertes décentralisées — 16 Un Internet ouvert — 16 L’écosystème numérique en Estonie — 17 Une startup nation ? — 17 L’économie sociale et solidaire décolle avec quelques exemples qui rayonnent à l’international — 18 Favoriser la venue des investisseurs étrangers grâce à la e-résidence — 18 Quand le numérique influe sur la politique extérieure — 19 3 estonie : se reconstruire par le numérique
Capitale : Tallinn Monnaire : Euro Population : 1,325 million Indépendance depuis 1991 Langue : estonien Membre de l’UE depuis Superficie : 45 227 m2 2004 PIB : 18 478,27 USD 4 digital exploration
CHIFFRES CLÉS 100 % Petit État balte de 43 000 km² et 1,3 million d’habitants, l’Estonie est un des pays les plus des médecins recourent à avancés dans la transition numérique, par- l’ordonnance en ligne pour leur prescription mi les premiers des classements mondiaux qui évaluent le développement du très haut-débit ou le nombre de startups par habitants. Inter- net y est devenu indispensable aussi bien pour les échanges financiers que pour voter, se soi- 95 % gner, effectuer ses démarches administratives. Il tient une place toute aussi prépondérante des Estoniens payent leurs dans l’éducation des jeunes Estoniens, dès impôts en ligne leur plus jeune âge. La numérisation est à ce point poussée que le taux de pénétration des terminaux mobiles connectés est de 144 %. Alors qu’il y a 20 ans à peine, le pays se re- levait de l’effondrement de l’URSS, comment 30 % expliquer que l’Estonie fasse désormais figure de référence dans le développement numé- des électeurs votent en ligne, rique ? Quels leviers lui ont permis de proposer dont 11 % depuis leurs terminaux mobiles aujourd’hui l’administration la plus dématé- rialisée au monde ? Depuis son programme de numérisation des écoles en 1997 jusqu’à son récent plan de cyberdéfense par le cloud computing, en passant par la reconnaissance d’une citoyenneté électronique en 2000 et l’ins- 18 tauration du vote en ligne en 2005, l’Estonie a minutes su construire une société numérique particu- c’est le temps nécessaire lièrement avancée grâce à un écosystème pour créer et enregistrer dynamique reliant secteurs public et privé. une société en ligne 5 estonie : se reconstruire par le numérique
Le numérique : de développement économique à une époque où seule la moitié de la population possède l’opportunité de repartir de une ligne téléphonique. Le pays refuse l’aide zéro de la Finlande prête à lui fournir son matériel de télécommunications datant des années Après la restauration de leur indépendance, 1970 et se lance dans le développement de en 1991, les pouvoirs publics estoniens en ses propres infrastructures. L’adaptation à place étaient en quête de légitimité : comment un régime libéral, au sortir du communisme, réaffirmer l’identité nationale de l’Estonie ? permet une explosion de l’offre bancaire com- Comment transformer le fonctionnement de son administration ? Les Estoniens ayant PARALLÈLE encore à l’esprit le poids d’une administration Cash vs. NFC - France / Estonie particulièrement lourde et omniprésente sous l’ère soviétique, le pays se lance le défi de En Estonie, la totalité (99.8 %) des l’administration numérique. transactions sont électroniques1. Le NFC (near field communication ou communica- Le gouvernement saisit l’opportunité offerte tion en champ proche) est en plein essor. par le besoin de renouvellement des passe- Cette technologie est utilisée notamment ports et cartes d’identité octroyés dix ans au- pour le paiement sans contact. Ces deux paravant à son million de citoyens pour voter éléments conduisent l’Estonie, mais aussi et instaurer une nouvelle forme de citoyenneté la Suède2, à s’interroger sur la suppression alors unique au monde : la citoyenneté élec- définitive des règlements liquides à l’ho- tronique. Membre du Parlement à l’époque et rizon de 2020. La suppression des reçus rapporteur de la loi sur la citoyenneté électro- papier est quant à elle prévue pour 2017. nique, Ivar Tallo, fondateur de l’ONG e-Gover- nance Academy, plateforme de promotion de Mais si l’Estonie semble plébisciter les l’e-administration à l’estonienne, considère technologies NFC, les Français sont plus que « le développement numérique n’est pas réticents. D’une part, le paiement par l’apanage des pays les plus riches, l’Estonie carte bancaire est très courant et relati- a servi d’exemple en montrant qu’un pays n’a vement rapide en France, d’autre part, pas tellement besoin d’argent pour cela mais le gain de temps, environ une dizaine simplement d’une volonté de changer les de secondes, ne paraît pas un argument choses et de prendre des initiatives ». suffisant3. Par ailleurs, les Français ne font pas confiance au paiement sans contact : seulement 22 % se décla- Un système bancaire en ligne pour raient à l’aise avec cette technologie4. mieux repartir de zéro 1. « Estonia, the most digital country of the world», http://www.cristinaribas.net/2014/08/04/estonia-the- Pour comprendre le choix de l’Estonie vers le most-digital-country-in-europe/ tout numérique, il faut revenir une quinzaine 2 http://www.lefigaro.fr/argent/2014/01/12/05010- 20140112ARTFIG00103-une-societe-sans-cash-est- d’années en arrière au moment où le pays est elle-possible.php en pleine reconstruction économique. Accé- 3. http://pro.clubic.com/e-commerce/paiement-en-ligne/ dant à l’indépendance en 1991 à la suite de la article-728209-1-pourquoi-paiement-contact-nfc-de- chute de l’URSS, l’Estonie cherche une voie colle-france.html 4. Ibid. 6 digital exploration
merciale, jusqu’ici inexistante. Dès leur créa- tion, celles-ci font alors le choix des services Au milieu des années 1990, les premières en ligne innovants. initiatives du gouvernement en matière de numérique se centrent à la fois sur l’équi- « Les banques qui ont été créées n’ont ja- pement et l’éducation. À travers son pro- mais introduit le chèque ; elles se sont limi- gramme nommé Tiigrihüpe (le « saut du tigre tées aux cartes et aux services bancaires en » en français), le gouvernement a levé des ligne » explique Anne Sulling, Ministre du fonds publics pour financer le développe- Commerce extérieur et de l’Entrepreneuriat ment d’infrastructures réseaux et l’expansion de l’Estonie1. Pour mettre en oeuvre cette du parc d’ordinateurs du pays. Proposé dès adaptation, les banques estoniennes ont tra- 1996 par Toomas Hendrik Ilves, alors am- vaillé de concert avec les autorités publiques bassadeur estonien aux Etats-Unis avant et les opérateurs téléphoniques. C’est d’ail- de devenir l’actuel Président de l’Estonie en leurs en 1996, soit un an après le lancement place depuis 2006, et le ministre de l’Educa- du premier site gouvernelental, qu’ouvre la tion de l’époque Jaak Aaviksoo, la partie cen- première banque en ligne qui en moins de trale du projet a consisté à fournir à chaque six mois séduit plus de 20 000 clients2. école estonienne un accès à Internet. En 1999, l’objectif est déjà atteint et l’Estonie Afin d’éviter les risques de fraude et d’usur- démontre alors au reste du monde sa volon- pation d’identité, les deux principales ban- té de ne pas rater le train du développement ques du pays, la Hansabank Eesti Ühispank numérique, alors que son voisin russe n’a et la Eesti Ühispank travaillent avec les opé- atteint de pareils résultats qu’en 2007. En rateurs téléphoniques pour développer un France, en 2014, presque 30 % des écoles centre d’authentification pensé pour le paie- et établissements du second degré, publics ment en ligne. La technologie développée a ou privés, répartis sur l’ensemble du territoire été par la suite reprise pour les démarches national, n’ont pas accès au haut débit3 ; un administratives. Pour cela, il était nécessaire accès qui permettrait pourtant de répondre de résoudre les problèmes d’interopérabilité. au développement des usages numériques Une première plateforme centralisée voit le éducatifs, selon les chiffres de l’Education jour en 2000 pour être remplacé par X-road nationale. en 2001. Au-delà des infrastructures, l’Etat estonien Equiper le pays et former au reste très sensible aux enjeux de formation et d’éducation à l’environnement numérique numérique pour ses citoyens. En 2012, le gouvernement a lancé le programme ProgeTiiger destiné Acte 1 de la numérisation du pays à l’apprentissage du codage informatique : l’école auprès de ses élèves âgés de 7 à 19 ans. Issu d’un partenariat public-privé entre La 1. Les Affaires, «Tallinn : le gouvernement en ligne», http://www.lesaffaires.com/dossier/villes-intelligentes/ Fondation Tiigrihüpe, organisme public, et tallinn--le-gouvernement-en-ligne/572972 la société informatique finlandaise Tieto, le 2. Observatoire du marché unique, « Digital Estonia : 3« France Très Haut Débit – Écoles connectées », 2014, benchmarking good practices », http://www.eesc.europa. http://www.datar.gouv.fr/sites/default/files/aap_ecoles_ eu/resources/docs/proceedings_fr--4.pdf connectees.pdf 7 estonie : se reconstruire par le numérique
programme propose des cours de codage Le gouvernement estonien concentre main- aux élèves et des ateliers de formation des tenant ses efforts sur le développement de enseignants. L’objet de ProgeTiiger n’est pas la fibre optique. Le programme EstWin, lancé tant l’apprentissage strict de langages de en 2010, vise à développer le très haut débit programmations tels que Java ou C++ mais sur le territoire et se fixe comme objectif un plutôt l’initiation aux logiques du code et à accès 100 Mbit/s pour chaque foyer estonien l’algorithmique, dont la portée ne se limite urbain ou rural, d’ici 2015. Pour cela, l’Esto- pas au développement informatique mais nie débourse 384 millions d’euros, entraînant peut être également utile aux élèves pour la le plus important partenariat public-privé de compréhension des mathématiques. L’esprit l’histoire du pays. L’économie toute entière du programme est bien de former et d’édu- du pays est à ce point connectée que le très quer les Estoniens à leur nouvel environne- haut-débit devrait avoir un impact direct sur ment numérique à une époque où ils sont la compétitivité du pays et de ses régions : tous, ou presque, des utilisateurs réguliers selon Karol Kallas, une augmentation de 10 du web et des supports connectés. % de la vitesse de connexion du réseau per- mettrait une augmentation de 50 % de la pro- L’enjeu du haut-débit dans une éco- ductivité nationale ainsi qu’une augmentation nomie connectée de 1,2 à 1,5 points de PIB4. Le programme montre déjà des résultats : en 2013 l’OCDE Outre les écoles, d’autres programmes ont plaçait l’Estonie en quatrième position dans eu pour objet d’équiper les institutions gou- son classement de l’accès au très haut-débit, vernementales, les librairies publiques et les avec un taux de pénétration de près de 34 %. municipalités sur l’ensemble du territoire. Le premier réseau Wi Fi gratuit a été inauguré Les partenariats public-privé : moteur en 2001. Aujourd’hui, le pays propose plus du développement numérique esto- de 2400 spots Wi Fi gratuit dans ses hôpi- nien taux, écoles, stations essences, cafés et hôtels. 4. KALLAS Karol, « EstWin: The Information Highway of 21st Century Estonia Will Reach All Households », 2010, http://archive.today/VSYTi#selection-159.1-159.82 PARALLÈLE Les chiffres de l’accès Internet : France / Estonie Abonnés à Internet Abonnés à Internet Pourcentage de fixe (pour 100 per- mobile (pour 100 connexion via la fibre sonnes) personnes) France 37,6 (4e rang) 55,9 (22e rang) 2,25 (27e rang) Estonie 25,5 (22e rang) 90,8 (8e rang) 33,8 (4e rang) Moyenne 27 72,37 16,65 OCDE Source : OCDE, Décembre 2013 : « OECD Broadband Portal » 8 digital exploration
Les initiatives nationales numériques s’ins- ligne. S’ajoute une équipe d’urgence, mise en crivent dans le cadre de partenariats pu- place en 2006, afin de détecter les failles de blic-privé ambitieux. Il advient tout d’abord au sécurité des réseaux informatiques du pays ministère de l’Economie et des Communica- et de répondre aux éventuelles menaces re- tions de prendre en charge toutes les ques- pérées par des citoyens ou les autorités pu- tions informatiques, des données publiques, bliques. de la recherche, du développement et de l’innovation. Plus particulièrement, son dé- E-administration : clé de voûte partement des systèmes d’informations d’Etat (RISO) gère les modalités de gestion et de de la numérisation du pays coordination des technologies de l’information au sein de l’Etat et participe à la préparation Le pays n°1 sur la citoyenneté des législations numériques. numérique Aux côtés du gouvernement, l’Association L’originalité de l’Estonie réside dans le dé- estonienne des technologies de l’information ploiement d’une infrastructure administrative et des télécommunications (ITL) regroupe les en ligne bâtie à partir de principes de trans- entreprises du secteur et travaille en coopé- parence, de sécurité et de garantie de la vie ration avec l’Etat pour le développement nu- privée. Son point de départ a été la loi sur mérique, notamment à travers des « Conseils la signature électronique de 2000 qui a ins- informatiques » gouvernementaux regroupant tauré pour la première fois au monde une des experts du domaine privé. Par ailleurs citoyenneté électronique. Cette citoyenneté une Autorité des systèmes d’informations a numérique repose sur un identifiant unique été créée en 2011 pour coordonner et assu- fonctionnant pour tous types de démarches rer la sécurité des plateformes numériques administratives et de services divers, tous dis- publiques, notamment le portail du gouverne- ponibles en ligne, depuis son passeport aux ment ou les divers systèmes administratifs en comptes bancaires, en passant par celle du PARALLÈLE Les plans nationaux de développement du très haut débit Le gouvernement a défini en février 2013 le plan France Très Haut Débit qui succède au pro- gramme national très haut débit lancé en 2010. Pour déployer le très haut débit sur l’ensemble du territoire d’ici 2022, les opérateurs privés et les collectivités territoriales ont prévu d’investir 20 milliards d’euros en dix ans. Investissement très PIB du pays Investissement sur le très haut débit (par année) (selon les chiffres haut débit (en point de PIB de la Banque de par rapport au PIB total) France) France € 2 mds (sur 10 ans) € 1 879,9 mds 0,1 Estonie € 77 mns (sur 5 ans) € 25,4 mds 0,3 9 estonie : se reconstruire par le numérique
numéro de sécurité sociale et des services de santé. Toutes les données de santé des A ce titre, le Premier ministre estonien, An- citoyens sont ainsi accessibles depuis un drus Ansip, a procédé en décembre 2013 à support connecté. La dématérialisation des la première signature électronique d’un trai- services administratifs est à ce point poussée té international dans le cadre d’accords de que le paiement des impôts s’effectue désor- coopération avec son homologue finlandais mais entièrement en ligne pour 95 % des Es- Jyrki Katainen dans le domaine des services toniens. Pour la symbolique, le Conseil des électroniques. ministres s’attache, quant à lui, lors de ses réunions à une politique du zéro papier et se La e-administration permet la revendique fièrement comme le premier gou- numérisation d’autres politiques vernement au monde « paperless ». publiques comme la santé La citoyenneté électronique fonctionne par le biais d’une carte d’identité électronique La e-administration dépasse de loin la simple qui consiste en une carte physique munie mise en ligne de services administratifs. Très d’une puce permettant par ailleurs de régler présente au quotidien, elle permet une plus divers services et abonnements, notamment grande simplification de la vie des citoyens et les transports en commun. La fiabilité de la la baisse des dépenses publiques. La e-ad- citoyenneté numérique repose sur la mise ministration est aussi la condition nécessaire en place par l’Etat d’infrastructures à clés au déploiement d’autres politiques publiques, publiques qui permettent l’identification et comme la e-santé. Parce que l’architecture l’authentification d’une personne physique REPÈRES grâce à un certificat électronique chargé Quelques chiffres sur la signature dans la carte à puce. Encadrées par des électronique procédures sécurisées et cryptées, l’Etat reconnait ainsi officiellement les signatures numériques au même titre que les signatu- • Octobre 2013 : plus de 130 million de si- res manuscrites et celles-ci peuvent servir à gnatures électroniques ont été émises et la signature de n’importe quels documents distribuées en Estonie1 en ligne, dans tous les actes de la vie quo- tidienne. • « Pour mesurer le succès, il suffit de considérer que chaque signature électro- « En Estonie, il n’y a que deux choses que nique équivaut à une heure libre dégagée l’on ne peut pas faire en ligne, raconte Tiit par rapport à un processus papier (ré- Anmann, PDG d’une société qui a développé ception, compréhension, lecture, écriture, la signature électronique, le mariage, ou le consentement, renvoi, timbrage…).2» divorce, et l’emprunt immobilier. A part ça, on Jaan Priisalu, Directeur de l’autorité des peut tout faire en ligne et utiliser la signature systèmes d’information d’Estonie. digitale, qui est aussi fiable qu’une signature au bas d’une feuille de papier.5 » 1. http://www.id.ee/index.php?id=30467 2.Intervention de Jaan Priisalu au colloque « L’identité 5. http://www.rtbf.be/info/dossier/c-est-ca-l-europe/de- numérique au cœur des stratégies économiques » tail_l-estonie-pays-connecte?id=8281056 téléchargeable sur http://www.forumatena.org 10 digital exploration
ÉCLAIRAGE Design’s first : le design comme réponse à une fracture numérique importante Paradoxalement à son développement rapide, Internet n’est pas accessible par tous les Estoniens : en 2013, 300 000 personnes en Estonie n’utilisent pas régulièrement Internet, avec un taux qui grimpe à 70 % chez les 65-74 ans1. Les principales barrières à cette fracture numérique sont le manque de motivation, le budget et le manque de compétences. Pour le gouvernement, un moyen de répondre à cette fracture d’autant plus importante qu’Internet est devenu un vecteur d’information et simplification des démarches quoti- diennes, est de miser sur le design thinking pour que, dans le domaine public comme le privé, les services disponibles en ligne soient plus accessibles et compréhensibles. En 2013, le gouvernement conclut un partenariat avec le Centre de design estonien (EDC) pour qu’il développe une série d’ateliers afin de former quelques hauts fonctionnaires aux principes du design et design thinking dans le but de repenser les interfaces des services publics en ligne, l’exploitation de leurs informations et les inadéquations entre les atten- tes des usagers et l’existant. Les équipes de l’EDC apprennent aux hauts-fonctionnaires à repartir des attentes des usagers en les laissant remettre en question tout l’existant. Appliquées au sein du Ministère des Finances, ces méthodes ont permis d’aboutir à une nouvelle plateforme d’informations pour les entreprises. 1. European Commission, “Broadband Coverage in Europe in 2011.” sécurisée du réseau est déjà effective, l’État de ces dispositifs en ligne et permet de dé- a pu lancé une politique ambitieuse dans le livrer et consulter des ordonnances, d’accé- domaine de la santé. der à son dossier médical, de consulter ses rendez-vous et de payer les frais de consul- Aujourd’hui, l’Estonie fait partie du top 3 des tation. Le développement de la e-administra- pays les plus actifs dans la pratique de la tion est donc la clé de voûte du déploiement santé en ligne en hôpital, selon le classe- de la e-santé. ment de l’OCDE et de l’Union européenne 6. Autre chiffre marquant : en Estonie, 100 % La confiance : la clé pour la réalisa- des médecins recourent à l’ordonnance en ligne. Concernant le dossier médical person- tion d’un État numérique nel, si plus de la moitié des Estoniens l’uti- lisent, 95% des médecins, quant à eux, les « Globalement, et c’était là l’objectif recher- consultent pour leurs pratiques. ché, notre écosystème numérique est bien mieux sécurisé que les fonctionnements du La carte d’identité numérique est au centre passé à base de papiers administratifs. » Jaan Priisalu, Directeur de l’autorité des sys- 6. Commission européenne, «La santé en ligne dans tèmes d’information d’Estonie7. l’UE: quel est le diagnostic?» http://europa.eu/rapid/ press-release_IP-14-302_fr.htm?&locale=FR 7. Intervention de Jaan Priisalu au colloque « L’identité 11 estonie : se reconstruire par le numérique
La confiance grâce à l’architecture juri- torité des systèmes d’informations d’Estonie dique renforcée et ceux-ci ne peuvent retenir les données personnelles des utilisateurs pour une durée Pour assurer la dématérialisation administra- excédant une année, conformément à la di- tive, d’immenses bases de données ont été rective européenne sur la conservation des constituées et captent toutes les informations données de 2006. Les autorités publiques ne laissées en ligne par les citoyens estoniens, peuvent avoir accès aux données de leurs une architecture qui interroge sur les risques citoyens que par l’intermédiaire d’une déci- en termes de protection de la vie privée. Ainsi, sion du juge. Enfin, la loi estonienne établie le gouvernement a dû promouvoir des outils une distinction entre données personnelles de confiance solides via l’instauration d’un et « données personnelles sensibles », ces cadre strict de gestion des données. dernières étant plus strictement régulées. Les informations personnelles considérées En premier lieu, la Constitution estonienne de comme sensibles de type opinions politiques, 1992 reconnait les droits à la vie privée, au religieuses ou philosophiques, origine eth- secret des communications et à la protection nique, orientation sexuelle ou le passé ju- des données. Le pays est par ailleurs signa- diciaire (hors registre criminel), ne peuvent taire de la Convention de sauvegarde des être collectées et publiées sans l’accord des droits de l’homme et des libertés fondamen- individus. tales (CEDH) dont l’article 8 garantit le droit à la vie privée notamment de ses correspon- La confiance grâce à un médiateur indé- dances, et a ratifié en 2001 la Convention pendant pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à carac- Pour prévenir d’une éventuelle violation de tère personnel (Convention 108) qui protège leur vie privée par les services de police, les personnes contre les abus susceptibles chaque citoyen dispose d’un registre détail- de se produire lors de la collecte et du traite- lant date et heure des consultations de ses ment de données. données. Si une intrusion des services de police ne peut se justifier par aucune raison En parallèle, une loi sur la protection des légale, la victime peut poursuivre l’agent fau- données personnelles de 1996, revisitée à tif et obtenir son licenciement. « En cas de deux reprises en 2003 et 2007 afin de s’ali- doute ou en cas de plainte, comme les ac- gner avec le cadre de l’Union européenne, cès sont tracés et historisés, nous sommes renforce les droits à la protection de la vie capables de vérifier ce qui s’est passé car privée. Les citoyens restent avant tout les dé- les logs ne peuvent être changés. Ainsi, nous tenteurs de leurs données et ont un droit de avons quelques policiers ou agent de l’Etat, contrôle sur l’accès à celles-ci. Ce sont les in- qui chaque année se font prendre en utili- dividus eux-mêmes qui décident par exemple sation abusive des données d’autrui, ce qui d’accorder ou non l’accès à leurs données de peut conduire jusqu’en prison » explique Jaan santé à des médecins praticiens ou spéciali- Priisalu. sés de leur choix. Par ailleurs tous les FAI ont L’Inspection de la protection des données l’obligation de s’enregistrer auprès de l’Au- créée en 1999 est une agence indépendante numérique au cœur des stratégies économiques » placée sous l’autorité du ministère de la Jus- téléchargeable sur http://www.forumatena.org 12 digital exploration
Graphiques et données chiffrées sur le vote en ligne Vote en ligne par classe d’âge Progression du vote en ligne de 2005 à 2014 13 estonie : se reconstruire par le numérique
tice qui se charge de veiller au respect de la élections européennes, 4,69 % des e-votes légalité du traitement des bases de données ont été enregistrés depuis 98 pays étrangers. dans le pays et de la vie privée des citoyens. Elle est composée entre autres d’un ombuds- Un dispositif adopté par les Estoniens man (médiateur) qui reçoit les plaintes et ses pouvoirs lui permettent de mener ses en- L’autre grand versant de l’e-citoyenneté ré- quêtes, saisir des documents, et imposer des side dans la reconnaissance et la promotion amendes et sanctions administratives. Ces du vote en ligne. Initié à partir des élections garanties de sécurité et de protection de la locales de 2005 durant lesquelles seulement vie privée ont su convaincre les Estoniens de 1 % des votants avait eu recourt à la procé- passer l’étape numérique, puisqu’en dix ans, dure en ligne, ce sont désormais 30 % des 90 % des Estoniens se sont équipés d’une votants qui ont décidé d’utiliser le vote par carte d’identité électronique. Internet pour les dernières élections euro- péennes en 2014. Voter en ligne L’avantage d’un tel dispositif électoral est Le code électoral estonien prévoit la possi- d’être particulièrement économe : les cinq bilité de voter de manière anticipée durant la premiers scrutins organisés en ligne n’ont semaine précédant le jour du scrutin. Durant coûté que 600 000 € à l’Etat. Depuis les élec- cette période, l’électeur en ligne a la possi- tions législatives de 2011, le vote en ligne a bilité de voter et modifier son vote en ligne également été étendu aux smartphones et autant de fois qu’il le désire, ce qui assure à tablettes : ils étaient ainsi 11 % d’e-électeurs l’e-électeur la possibilité de s’émanciper d’une à voter depuis leurs terminaux mobiles aux quelconque pression de son entourage. S’il le élections européennes de 2014. souhaite, son vote en ligne ne l’empêche nul- lement de se rendre physiquement aux urnes L’Estonie est à ce jour, avec la Suisse, le lors des élections et de voter de manière tradi- seul pays européen à avoir expérimenté le tionnelle, ce qui annulera de fait son vote par dispositif du vote en ligne à large échelle. La Internet. Contrairement à ce que l’on pourrait France a également introduit le principe dans imaginer a priori, le vote en ligne n’est pas son droit depuis 2003 et permet aux Français l’apanage des jeunes générations puisque la résidant à l’étranger de voter par Internet de- répartition des e-électeurs par âges est plutôt puis les législatives de 2012, mais le dernier équilibrée comme le montre le graphique ci- rapport d’information sénatorial sur le vote contre. « Lorsque j’ai demandé à mon père électronique montre combien le mécanisme âgé tout de même de 80 ans s’il s’était allé suscite des réticences. voter pour les élections européennes, celui-ci m’a répondu par la négative. Il ne s’était pas Un dispositif sécurisé déplacé, il avait tout simplement voté en ligne ! » explique Ivar Tallo avec amusement. L’e-ci- Pour le vote en ligne également, la confiance toyenneté a le mérite selon lui de maintenir un est la clé de la réussite. Le vote par Internet lien entre les Estoniens expatriés à l’étranger suit plusieurs étapes particulièrement sécu- et la communauté nationale, ils étaient ainsi risées. Tout l’enjeu du processus est d’être 90 à avoir voté en 2009 depuis la Chine. Aux capable d’identifier et d’authentifier l’électeur 14 digital exploration
votant depuis son ordinateur à défaut de REPÈRES pouvoir certifier de sa présence physique Le succès de X-road en chiffres dans les bureaux de vote. Durant le vote, l’identification de l’électeur et l’émission • Plus de 170 bases de données disponi- du vote constituent deux processus diffé- bles rents sécurisés de manière distincte afin de • Plus de 900 organisations utilisent dé-corréler la donnée de l’identité du votant X-Road quotidiennement de la donnée du vote. Premièrement, l’élec- • Plus de 287 millions de recherches ont teur doit se rendre sur le site web officiel de été effectuées sur X-Road la commission électorale, la plateforme , sur lequel il doit s’authentifier X-Road grâce au portail eesti.ee grâce au branchement de sa carte d’identité virtuelle munie d’une puce à un lecteur péri- Source : https://e-estonia.com/component/x-road/ phérique officiel relié à l’ordinateur. L’électeur lant entre 9 et 13 sur une échelle de 0 à 100 s’identifie ensuite en ligne grâce à un premier (100 étant la valeur la plus négative)8. Les code PIN, et c’est au cours de cette phase restrictions vis-à-vis des communications et identification que la plateforme vérifie dans des contenus sur le net sont parmi les plus ses données issues du registre électoral si souples au monde. Néanmoins l’Internet es- l’électeur est bien inscrit sur les listes. Les tonien reste soumis à certaines restrictions. différents candidats sont ensuite présentés En 2010 le pays a commencé à procéder à l’e-citoyen, conformément aux listes en jeu au filtrage de certains sites de paris en ligne dans la circonscription à laquelle l’électeur considérés comme illégaux et que les FAI est rattaché. Ce dernier n’a plus qu’à voter sont contraints de bloquer. En 2013 la liste pour son candidat par un clic, procédure bien des contenus bloqués s’élevait à 800 sites. évidemment encryptée. L’électeur n’a plus De même, le pays devra harmoniser sa lé- qu’à confirmer son choix grâce à un second gislation interne avec le droit de l’Union eu- code PIN qui fait office de signature électro- ropéenne en ce qui concerne la lutte contre nique, avant de recevoir une confirmation à toutes formes d’expression raciste et xéno- l’écran assurant que son vote a bien été pris phobe, y compris sur Internet. en compte. La loi sur l’accès à l’information – l’open Un Internet estonien particu- data comme norme lièrement ouvert Le 1er janvier 2001, la loi sur l’accès à l’infor- mation entre en vigueur. Ce texte inscrit dans Régulation du réseau le droit la volonté du gouvernement de faire d’Internet le principal moyen d’information du En Estonie, l’accès à Internet est considéré pays. Cette loi fait de la diffusion des don- comme un droit fondamental depuis 2000. nées publiques une obligation légale. L’Etat Dans son classement Libertés sur Internet, doit publier ses documents budgétaires, ses l’ONG américaine Freedom House classe depuis 2009 l’Estonie parmi les pays où l’In- 8Freedom House, “Freedoms on the net 2013”: http:// ternet est le plus libre avec un score oscil- freedomhouse.org/report/freedom-net-2013-global- scores 15 estonie : se reconstruire par le numérique
rapports d’audit, la liste de ses fonctionnaires l’Autorité des Systèmes d’Information d’Es- et des salaires correspondant, ainsi que divers tonie10. autres jeux de données publiques. L’obliga- tion est tout autant quantitative que qualitative Un Internet ouvert Les agences gouvernementales nationales et locales sont tenues de rendre publiques des Le gouvernement estonien poursuit sa poli- données actualisées et claires. L’information tique ambitieuse en matière d’open data à tra- ne peut être redondante ou confuse. vers d’autres initiatives. En 2013, il publie le code source de son système de vote électro- Afin d’assurer le respect de ces critères, la loi nique sur le service d’hébergement GitHub. sur l’information du public institue une nou- Un moyen pour lee gouvernement de rassu- velle structure, l’Inspection de la protection rer ses citoyens à propos de la sécurité du des données. Cette autorité a pour mission vote en ligne. Pour Tarvi Martens, directeur d’assurer le respect des impératifs préci- du développement du Centre de Certification tés. Dans le cadre de sa mission, elle peut d’Estonie c’est « l’étape suivante vers un sys- contraindre tout détenteur d’information de se tème transparent […] l’idée, qui a été le résul- soumettre à la loi sur l’accès à l’information9. tat d’une discussion réunissant de nombreux experts informatiques et le comité, a été mise Des données ouvertes décentralisées en pratique aujourd’hui. Nous apprécions le fait que des experts représentant la société L’Estonie ne rassemble pas toutes les don- civile veuillent contribuer au développement nées publiées sur une plateforme unique et et à la sécurité des e-élections11». gouvernementale, comme c’est le cas en Cette volonté politique d’ouverture et de France avec le site Etalab. Selon les expli- transparence a été saluée. Dans son dernier cations d’Ivar Tallo : « c’est parce que l’Es- classement international Open Data et Open tonie est un petit pays qu’elle n’a pas besoin Government datant de 2011, la fondation de mettre en place une même plateforme en IFRAP classait l’Estonie en quatrième place ligne d’accès aux données publiques mais des gouvernements les plus en avance dans peut répondre au cas par cas aux demandes l’ouverture des données12. des citoyens ». Les données publiques peuvent être obtenues directement auprès du gouvernement par les entreprises et les par- L’écosystème numérique en ticuliers par le biais de requêtes individuelles. Estonie La structure X-Road mise en place par Si l’Estonie est imprégnée d’une idéologie l’Estonie en 2001, permet une navigation capitaliste, où l’État est peu interventionniste, décentralisée entre les différents jeux de celui-ci est tout de même présent via des données, facile et fluide pour les usagers. Cette architecture a été reprise par l’Union 10. https://www.ria.ee/x-road-europe-en/ 11. http://www.developpez.net/forums/d1365224/ européenne pour son projet d’échange de systemes/reseaux/l-estonie-publie-code-source-syste- données entre les Etats membres, X-Road me-vote-electronique-github/ EU. Cette initiative est d’ailleurs conduite par 12. IFRAP, « Open Data et Open Government », 2011 http://www.ifrap.org/Classement-internatio- 9. http://merlin.obs.coe.int/iris/2001/8/article31.fr.html nal-2011-Open-Data-et-Open-Government,12204.html 16 digital exploration
fonds publics-privés pour accompagner les startups, depuis leur amorçage jusqu’à leur Du fait de l’étroitesse du marché estonien, le ouverture à l’international. Deux exemples : secteur est particulièrement ouvert à l’interna- - Wise Guys aide les startups early-stage à tional à l’image de TransferWise, qui a lancé développer leur connaissance et leur réseau en 2011 son application de transfert moné- et qui reçoit des aides européennes. taire en peer-to-peer désormais installée à - Pour accompagner les levées de fonds, les Londres. « De plus en plus de nos start-ups sentrepreneurs peuvent compter sur le ré- partent s’installer en Angleterre, mais elles seau des business angels estoniens, financé continuent de maintenir des unités chez nous là encore par des fonds européens et le fonds en Estonie » explique Martin Laän, ancien estonien de développement. diplomate et expert digital. Outre Transfer- Wise, d’autres start-ups estoniennes font Une startup nation ? parler d’elles. GrabCad est un service gratuit de partage de plus de 400 000 fichiers 3D à La Commission européenne a publié en jan- destination des ingénieurs et des détenteurs vier 2013 un rapport sur l’entreprenariat dans d’imprimantes 3D tandis que Lingvist est l’Union européenne et en particulier sur la un outil d’apprentissage prometteur de lan- vision qu’ont les Européens de ce statut pro- gues étrangères qui propose d’optimiser son fessionnel particulier. À la question « préfé- temps d’apprentissage par des micro-leçons reriez-vous être entrepreneur ? », 35 % des personnalisées grâce à des analyses mathé- Estoniens répondent par l’affirmative. Ils sont matiques et statistiques. Enfin Voog est une 40 % en France et 29 % en Allemagne. plateforme de création de sites web clefs en mains accessible sans requérir au préalable L’Estonie est aujourd’hui le pays qui a le plus de compétences en programmation. de startups par habitant. Plusieurs raisons expliquent cet engouement : la simplicité ad- L’économie sociale et solidaire ministrative, la grande vague de numérisation décolle avec quelques exemples qui du pays et de l’administration qui fluidifie for- rayonnent à l’international tement les démarches, l’accès au très haut débit, et l’exemple de Skype qui a marqué L’économie sociale et solidaire a connu un toute une génération d’entrepreneurs. bond important grâce aux outils numériques qui facilitent l’échange entre les personnes. La sucess story de Skype, startup esto- Alors que parmi les nouveaux États membres nienne avant son rachat par Microsoft en de l’Union européenne le poids de ce secteur 2011, a également joué le rôle de moteur et économique demeure faible, ce n’est pas le d’exemple pour toutes les startups du pays. cas de l’Estonie dont le pourcentage d’em- Aujourd’hui encore, le plus gros bureau de plois dans l’économie sociale est légèrement développeur de Skype est basé à Tallinn. supérieur à la moyenne européenne : 6,63 % Au cœur de la capitale se trouve également et 6,53 % . le Today Technopol, un hub de commerce et d’affaires accueillant environ 150 entreprises Trois structures soutiennent les entrepreneurs et start-ups du numérique pour un secteur qui sociaux dont une publique, la National Foun- pèse environ 15 % du PIB estonien. dation of Civil Society, créée en février 2008, 17 estonie : se reconstruire par le numérique
rattachée au ministère de l’Intérieur et avec possibilité aux non-résidents d’acquérir une un budget annuel de 1,28 million d’euros. e-citoyenneté estonienne. Sans donner les droits d’une citoyenneté pleine et entière (le Deux exemples de réussite de l’économie vote par exemple), la e-citoyenneté permet solidaire et sociale qui ont inspiré plu- de créer une entreprise, d’obtenir un compte sieurs pays dans le monde en banque, etc. L’objectif est d’attirer des investisseurs et des talents du monde entier. - Le Clean Up Day est une initiative esto- Le premier jour de la période de pré-enregis- nienne maintenant répliquée dans le monde trement, 5 600 personnes se sont inscrites entier. Née en 2008 avec l’entrepreneur Rai- à la e-citoyenneté estonienne, dont un tiers ner Novlak, elle consiste à l’origine à nettoyer d’Américains. Si 1,3 millions d’Estoniens l’Estonie en une journée. Pour y parvenir il dé- bénéficient déjà de ces services en ligne, veloppe son propre logiciel en open source, cette politique pourrait étendre le nombre permettant de géolocaliser les décharges d’e-citoyens jusqu’à 10 millions ce qui pose sauvages. Après 8 mois de géolocalisation, de nombreux défis en termes d’équipements 50 000 volontaires se sont mobilisés et en 5 et d’infrastructures pour le pays balte et de heures, toutes les décharges signalées ont préparation face aux inévitables vulnérabilités été nettoyées. que celle-ci pose. - La banque de l’altruisme : En 2009, un modèle inédit de banque voit le jour avec Pour obtenir sa e-identité quand on est Õnnepank. L’originalité du projet repose sur non-résident, les démarches administratives le fait que la valeur moneyable d’Õnnepank sont extrêmement simples afin de rebuter n’est pas l’argent mais l’altruisme. Pour de- aucun potentiel investisseur : pré-inscription venir client de la banque, il suffit de s’inscrire, sur le site et enregistrement à l’ambassade. gratuitement, et lister les différentes actions Le gouvernement se charge ensuite de trans- que l’on est prêt à réaliser : garde d’enfants, mettre une carte de e-citoyenneté à puce, bricolage, cours de langue… Les clients se permettant de certifier les futures identifica- contactent alors entre eux en fonction de leur tions et signatures qui, elles, se font grâce à besoin. Chaque action réalisée donne droit à un code PIN de 4 à 12 chiffres. une « étoile de gratitude ». Cette récompense n’est pas utilisée pour « payer » un service Jusqu’ici, la règle appliquée par les autori- comme dans les SEL (systèmes d’échange tés estoniennes favorisait déjà l’implantation local), elle a simplement un pouvoir symbo- d’investisseurs étrangers, puisqu’un principe lique mais qui peut devenir un atout pour la constitutionnel garantit un traitement iden- recherche d’un emploi par exemple. Néan- tique pour tous les entrepreneurs et les inves- moins, les concepteurs de la banque envi- tisseurs, indépendamment de leur origine, et sagent de la transformer prochainement en ce à tous les niveaux. Indépendamment de unité d’échange. cette e-nationalité, l’Estonie comptait donc déjà, en 2013, 1,2 milliard d’euros d’inves- Favoriser la venue des investisseurs tissements directs étrangers. Les IDE, prin- étrangers grâce à la e-résidence cipalement suédois (plus de 28% du total en En avril 2014, le gouvernement estonien a 2013) et finlandais (plus de 23%) représen- annoncé son intention de donner, fin 2014, la taient près de 80 % du PIB en 201313. 13. Ordre des experts comptables - http://www. 18 digital exploration
vasion/incursion militaire, le gouvernement Quand le numérique influe sur cherche à assurer la continuité de l’Etat et de ses services par le recourt au cloud compu- la politique extérieure ting (ou informatique en nuage), technologie qui permettrait de déplacer le cœur de l’e-ad- Le transfert en ligne des activités du pays ne ministration du pays vers des serveurs situés va pas sans créer de nouveaux risques pour dans ses ambassades à l’étranger. L’Estonie celui-ci. L’Estonie en a fait les frais lorsqu’elle est ainsi en train de négocier avec ses alliés a été victime en 2007 d’une cyberattaque comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie vraisemblablement en provenance de la ou le Canada pour un hébergement en ur- Russie après que des soulèvements dans le gence de ses données en cas d’un tel scé- pays se sont attaqués à des symboles de l’an- nario. Même si l’hypothèse parait particulière- cienne présence soviétique. En représailles, ment faible, un tel dispositif présente un atout le pays a subi des attaques massives en déni stratégique puisqu’il permettrait au gouverne- de services (DDoS) lancées notamment via ment de se maintenir ou de se réorganiser des réseaux de PC zombies (botnets) qui rapidement, de protéger ses données les plus ont paralysé les sites du gouvernement, des sensibles, de mettre en place des élections principaux médias et des services bancaires dans les plus brefs délais ou de tenir à jour un provoquant la déconnection du pays pendant recensement de ses pertes humaines. plusieurs heures. Alors paralysé, le gouver- nement estonien avait trouvé la parade en remplaçant ses sites à l’identique via les sites d’hébergement Blogger de Google. La numérisation poussée du pays a montré lors de cet épisode qu’elle pouvait égale- ment être une source de fragilité pour la sé- curité nationale. En réponse directe à ces évènements, Tallinn a rapidement organisé sa cyberdéfense en accueillant un an plus tard l’installation du Centre d’Excellence de Cyber-défense de l’OTAN, un centre de re- cherche et d’entrainement aux attaques en ligne chargé des questions d’interopérabilité et de sécurisation des infrastructures numéri- ques des membres de l’Alliance. Dans le contexte de la crise ukrainienne, la dernière initiative en date du gouvernement a pour objectif de garantir la pérennité des in- frastructures numériques dont le pays dépend tant. Face à une hypothétique menace d’in- expert-comptable-international.info/fr/fiches-pays/estonie/ investir2 19 estonie : se reconstruire par le numérique
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