DOCUMENT DE TRAVAIL WORKING PAPER - N 11-14.RS RESEARCH SERIES
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DOCUMENT DE TRAVAIL WORKING PAPER N°11-14.RS RESEARCH SERIES LE CHÔMAGE À BRUXELLES : QUELLES SPÉCIFICITÉS PAR RAPPORT AU CHÔMAGE URBAIN EN EUROPE ? Marion ENGLERT Robert PLASMAN DULBEA l Université Libre de Bruxelles Avenue F.D. Roosevelt, 50 - CP-140 l B-1050 Brussels l Belgium
Le chômage à Bruxelles : Quelles spécificités par rapport au chômage urbain en Europe ? Unemployment in Brussels: which specificities compared to urban unemployment in Europe? Marion Englert et Robert Plasman (DULBEA, Université Libre de Bruxelles) Décembre 2011 1
Résumé : De nombreux facteurs influencent le chômage urbain en général et à Bruxelles en particulier. Ce papier se focalise sur deux grands courants de pensée: l’inadéquation des qualifications (perspective d’offre) et la perspective de demande, au sein de laquelle les facteurs de demande « qualitatifs » (ex. discrimination) et « quantitatifs » (niveau structurellement insuffisant des offres d’emploi, susceptible d’entraîner une déqualification en cascade) sont distingués. Les résultats des analyses empiriques suggèrent la pertinence de l’approche de demande par rapport à l’approche d’offre pour expliquer les différences de taux de chômage entre villes et, en particulier, le « surplus » de chômage bruxellois : l’étude « macroéconométrique » (au niveau des zones urbaines européennes) révèle notamment l’absence de lien entre niveau de diplôme de la population d’une zone et taux de chômage. L’approche microéconométrique indique que, pour un individu de caractéristiques données, la probabilité de chômage est plus élevée en Région de Bruxelles-Capitale que dans toutes les autres provinces belges et dans la grande majorité des autres villes-régions européennes étudiées. De surcroît, il s’avère que le fait d’être résident bruxellois accroît de façon relativement équivalente les probabilités de chômage des diplômés du supérieur et des non diplômés du supérieur. Cette spécificité bruxelloise pourrait résulter de la présence de particularités au niveau de la demande de travail dans la Région. Mots clés : offre et demande de travail, chômage urbain, inadéquation des qualifications, Région de Bruxelles-Capitale, modèle logit Abstract: Numerous factors influence urban unemployment in general, and in Brussels in particular. This paper focuses on two important ways of thinking: skill mismatch (supply perspective) and demand perspective, in which “qualitative” (e.g. discrimination) and “quantitative” demand factors (structurally insufficient levels of job offers, which could result in job competition and chain de-skilling) are distinguished. Empirical results suggest that demand perspective is more relevant than supply perspective to explain the difference of unemployment rates between cities and, in particular, the “surplus” of Brussels unemployment: the “macroeconometric” study (at the larger urban zone level) reveals, among other findings, the absence of a correlation between the level of education of a zone and the unemployment rate. The microeconometric approach indicates that, for an individual of given characteristics, the probability of unemployment is higher in the Brussels Region than in the other Belgian provinces and than in the majority of other European city-regions considered. Moreover, it appears that the increase of unemployment probability resulting from the fact of living in Brussels is relatively equivalent for highly educated workers and those with a low level of education. This specificity may be the consequence of special features of labor demand in the Brussels Region. Key words: demand and supply of labour, urban unemployment, skill mismatch, Brussels- Capital Region, logit model JEL codes: J2, C35, R23 2
Nous tenons à remercier chaleureusement l’IGEAT, tout particulièrement Gilles Van Hamme et Christian Vandermotten, et l’Observatoire Bruxellois de l’Emploi, tout particulièrement Mourad De Villers et Stéphane Thys, pour leur précieuse collaboration. Un grand merci également à Bruno Vinikas, Anissa Benchekroun, Stephan Kampelmann, Ilan Tojerow et Souhail Chichah pour leurs précieux conseils. Merci enfin à Amélie Goossens et Sarah Flament pour la relecture de forme. 3
Table des matières INTRODUCTION .................................................................................................................. 8 1. CADRE THEORIQUE : PERSPECTIVE D’OFFRE VERSUS PERSPECTIVE DE DEMANDE POUR EXPLIQUER LE CHOMAGE URBAIN .................................................................................... 10 2. APPROCHE « MACROECONOMETRIQUE » : L’ABSENCE DE RELATION ENTRE TAUX DE CHOMAGE D’UNE VILLE ET NIVEAU DE DIPLOME DE SA POPULATION .............................. 14 2.1. QUELQUES CONSTATS : LA PERTINENCE DE L’ÉTUDE DU CHÔMAGE AU NIVEAU URBAIN ET LA VARIABILITÉ DES ÉCARTS ENTRE TAUX DE CHÔMAGE PAR NIVEAU DE DIPLÔME ......................................................... 15 2.2. DES CORRÉLATIONS EN FAVEUR DE LA PERSPECTIVE DE DEMANDE POUR EXPLIQUER LES DIFFÉRENCES DE TAUX DE CHÔMAGE ENTRE LES VILLES ............................................................................................. 18 3. APPROCHE MICROECONOMETRIQUE : LES DETERMINANTS INDIVIDUELS ET SPECIFIQUES DU CHOMAGE A BRUXELLES ............................................................................................. 20 3.1. DESCRIPTION DE LA BASE DE DONNÉES, DU MODÈLE ET DE SES VARIABLES ....................................... 20 3.2. RESULTATS......................................................................................................................... 27 3.2.1 Quelques statistiques descriptives ........................................................................... 28 3.2.2. Comparaison de l’effet des variables sur les probabilités de chômage à Bruxelles et ailleurs : résultats des régressions séparées ..................................................................... 29 3.2.3. L’impact du fait d’être résident bruxellois sur la probabilité de chômage ............. 40 4. DISCUSSION ET INTERPRETATION DES RESULTATS ........................................................ 46 CONCLUSIONS................................................................................................................... 53 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 59 ANNEXE ............................................................................................................................ 63 Annexe 1 : Nombre de LUZ par pays pour l’étude macroéconomique ......................................................... 63 Annexe 2 : Critères de classement des taux de chômage par niveau de diplôme utilisés pour établir la typologie ....................................................................................................................................................... 64 Annexe 3: Corrélations entre le taux de chômage total et certaines variables socio‐économiques de base (régression)................................................................................................................................................... 65 Annexe 4 : Corrélations entre le taux de chômage des peu qualifiés, les taux de chômage des autres catégories d’actifs et certaines variables socio‐économiques de base (régression)..................................... 67 Annexe 5 : La décomposition d’Oaxaca‐Blinder ........................................................................................... 69 Annexe 6 : Significativité des différences de coefficients entre Bruxelles et le reste de la Belgique, et Bruxelles et les autres « villes‐régions » européennes ................................................................................. 72 Annexe 7 : L’impact du fait d’être ressortissant d’un Etat européen sur le risque de chômage à Bruxelles selon le niveau de diplôme ........................................................................................................................... 73 Annexe 8 : L’impact de l’absence de diplôme du supérieur sur le risque de chômage à Bruxelles et ailleurs en Belgique ................................................................................................................................................... 74 Annexe 9 : L’impact sur le risque de chômage du fait d’être résident dans les autres provinces de Belgique (plutôt qu’à Bruxelles) selon le niveau de diplôme ....................................................................................... 75 Annexe 10 : L’impact sur le risque de chômage du fait d’être résident dans les autres « villes‐régions » européennes (plutôt qu’à Bruxelles) selon le niveau de diplôme ................................................................. 76 Annexe 11 : Déséquilibre entre la proportion de demandeurs d’emplois bilingues et la part des offres d’emploi d’actiris exigeant le bilinguisme par fonction critique ................................................................... 77 4
Liste des graphiques, tableaux et annexes Graphique 1 : Taux de chômage des LUZ par pays en comparaison avec les taux de chômage nationaux (2007), % ................................................................................................................. 16 Graphique 2 : Déséquilibre entre la proportion des demandeurs d’emplois qui ont une connaissance moyenne de la deuxième langue nationale et la part des offres d’emploi exigeant le bilinguisme par fonction critique ......................................................................................... 77 Graphique 3 : Déséquilibre entre la proportion des demandeurs d’emplois qui ont une bonne connaissance de la deuxième langue nationale et la part des offres d’emploi exigeant le bilinguisme par fonction critique ............................................................................................. 78 Tableau 1 : Population et taux de chômage à Bruxelles selon deux délimitations territoriales possibles (2007)........................................................................................................................ 15 Tableau 2 : Echantillon de régions éligibles pour l’étude microéconométrique avec certaines de leurs caractéristiques ........................................................................................................... 22 Tableau 3 : Comparaison de l’impact des variables du modèle sur la probabilité de chômage des résidents bruxellois, des résidents du reste de la Belgique et des résidents des autres « villes-régions » de l’échantillon (régressions logit) .............................................................. 30 Tableau 4 : Statistiques descriptives des probabilités estimées de chômage des résidents bruxellois, des résidents du reste de la Belgique et des résidents des autres « villes-régions » européennes .............................................................................................................................. 31 Tableau 5 : Effet du terme d’interaction relatif au fait de ne pas posséder un diplôme du supérieur et de résider à Bruxelles sur la probabilité de chômage en Belgique (régression logit) ......................................................................................................................................... 37 Tableau 6 : Statistiques descriptives du terme d’interaction relatif au fait de ne pas posséder un diplôme du supérieur et de résider à Bruxelles et de la statistique Z associée .................... 37 Tableau 7 : Statistique Z du terme d’interaction en fonction des probabilités estimées de chômage par individu ............................................................................................................... 38 Tableau 8 : Termes d’interaction en fonction des probabilités estimées de chômage par individu..................................................................................................................................... 39 Tableau 9 : L’impact sur la probabilité de chômage du fait d’être résident bruxellois par rapport au fait de résider ailleurs en Belgique ou dans les autres « villes-régions » de l’échantillon (régressions logit) ................................................................................................ 41 Tableau 10 : L’impact sur la probabilité de chômage du fait d’être résident bruxellois par rapport au fait de résider dans le reste de la Belgique selon le niveau de diplôme (régressions logit) ......................................................................................................................................... 42 Tableau 11 : Accroissement de probabilité de chômage en points de pourcentage résultant du fait d’être résident bruxellois pour un individu de caractéristiques données (sexe, âge, nationalité, situation familiale, situation sur le marché du travail un an avant l’enquête) ....... 43 5
Tableau 12 : L’impact sur la probabilité de chômage du fait d’être résident bruxellois par rapport au fait de résider dans les autres « villes régions » européennes de l’échantillon selon le niveau de diplôme (régressions logit) .................................................................................. 44 Tableau 13 : Nombre d’observations (LUZ) par pays de la base de données .......................... 63 Tableau 14 : Critères de classement des taux de chômage par niveau de diplôme utilisés pour établir la typologie .................................................................................................................... 64 Tableau 15 : Régression linéaire multiple avec le taux de chômage total comme variable dépendante ................................................................................................................................ 66 Tableau 16 : Régression linéaire multiple avec le taux de chômage des diplômés du (pré)primaire/secondaire inférieur comme variable dépendante .............................................. 68 Tableau 17 : Résultat de la décomposition d’Oaxaca-Blinder concernant la différence de probabilité prédite moyenne de chômage pour les résidents bruxellois et les résidents du reste de la Belgique (régressions incluant toutes les variables explicatives) .................................... 70 Tableau 18 : Résultat de la décomposition d’Oaxaca-Blinder concernant la différence de probabilité prédite moyenne de chômage pour les résidents bruxellois et les résidents du reste de la Belgique (régressions sans les variables relatives à la situation des individus sur le marché du travail un an avant l’enquête) ................................................................................. 70 Tableau 19 : Résultat de la décomposition d’Oaxaca-Blinder concernant la différence de probabilité prédite moyenne de chômage pour les résidents bruxellois et les résidents des autres « villes-régions » européennes (régressions incluant toutes les variables explicatives) 71 Tableau 20 : Résultat de la décomposition d’Oaxaca-Blinder concernant la différence de probabilité prédite moyenne de chômage pour les résidents bruxellois et les résidents des autres « villes-régions » européennes (régressions sans les variables relatives à la situation des individus sur le marché du travail un an avant l’enquête)........................................................ 71 Tableau 21 : Significativité des différences de coefficients entre Bruxelles et le reste de la Belgique, et Bruxelles et les autres « villes-régions » européennes : p-valeurs associées au test de Student ................................................................................................................................. 72 Tableau 22 : Impact du fait d’être ressortissant d’un Etat européen sur la probabilité de chômage à Bruxelles selon le niveau de diplôme .................................................................... 73 Tableau 23 : L’impact d’être non-diplômé du supérieur (plutôt que diplômé du supérieur) sur la probabilité de chômage à Bruxelles et ailleurs en Belgique ................................................ 74 Tableau 24 : Comparaison de l’effet d’habiter dans les autres provinces de Belgique (plutôt qu’à Bruxelles) sur la probabilité de chômage des non-diplômés du supérieur et des diplômés du supérieur .............................................................................................................................. 75 Tableau 25 : Comparaison de l’effet d’habiter dans les autres « villes-régions » européennes (plutôt qu’à Bruxelles) sur la probabilité de chômage des non-diplômés du supérieur et des diplômés du supérieur .............................................................................................................. 76 6
Liste des acronymes et abréviations ACTIRIS Office régional bruxellois de l’emploi BFP Bureau Fédéral du Plan BIT Bureau International du Travail BNB Banque Nationale de Belgique DE Demandeurs d’emploi EFT Enquêtes sur les Forces de Travail IGEAT Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire IPP Impôt des personnes physiques LUZ Larger Urban Zone NUTS Nomenclature d'Unités Territoriales Statistiques PIB/ha Produit Intérieur Brut par habitant RDA République démocratique allemande RFA République fédérale d’Allemagne UE Union Européenne 7
Introduction Bruxelles est une ville économiquement riche, avec un produit intérieur brut par habitant tout particulièrement élevé par rapport à la majorité des autres régions européennes. Pourtant, force est de constater que cette richesse ne profite pas à bon nombre de ses habitants. En effet, près de 30% des ménages vivent sous le seuil du risque de pauvreté à Bruxelles et le taux de chômage y atteint 17,4%1 en 2010. Ce taux de chômage se situe parmi les plus élevés des régions européennes. L’objectif de ce papier est de mettre en avant les causes générales et spécifiques du chômage bruxellois. Deux approches « macroéconomiques » s’opposent communément dans la littérature pour expliquer le chômage en général et dans les villes en particulier : l’approche du « skills mismatch » ou inadéquation des qualifications, qui s’inscrit dans une perspective d’offre (« supply-side perspective »), et l’approche de demande (« demand-side perspective »). L’objectif plus spécifique de ce papier est d’identifier laquelle de ces deux approches prédomine pour caractériser la particularité ou le « surplus » du chômage bruxellois. Les déterminants du chômage urbain en général seront brièvement mentionnés (sur base d’une revue de la littérature) et le cadre théorique du présent papier sera posé dans une première section. Une analyse empirique préliminaire comparative, sur base de données « macroéconomiques » (agrégées au niveau des zones urbaines élargies européennes), sera menée dans une deuxième section. Cette analyse visera à situer la zone urbaine élargie de Bruxelles dans une perspective internationale et à mettre en avant certaines de ses spécificités relatives au marché du travail et aux caractéristiques globales de la population. L’étude du lien statistique entre différentes variables fournira également certains éléments permettant de discuter la pertinence respective de l’approche d’offre et de l’approche de demande pour expliquer les différences de taux de chômage entre zones urbaines européennes. Après cette étude comparative préliminaire, une étude microéconométrique sera effectuée dans une troisième section ; celle-ci visera, outre la mise en avant des déterminants individuels du chômage à Bruxelles, en Belgique, et en moyenne dans un échantillon de villes européennes, à dégager les éventuelles spécificités bruxelloises relatives à l’effet sur les probabilités de chômage de certaines caractéristiques individuelles. Par exemple, cela permettra d’identifier si une personne peu qualifiée présente une probabilité plus importante d’être au chômage à Bruxelles qu’ailleurs. De même, cela permettra d’identifier si le fait d’habiter à Bruxelles exerce un impact sur la probabilité de chômage quelles que soient les caractéristiques de l’individu, ou si au contraire le problème du chômage bruxellois est uniquement lié aux caractéristiques de la population, comme par exemple les niveaux de diplôme (approche d’offre). Dans le cas de la première hypothèse, cela pourrait indiquer que le chômage à Bruxelles serait aussi à attribuer à certaines spécificités de la demande de travail (approche de demande), comme par exemple une insuffisance de postes de travail ou des exigences particulières des employeurs. L’interprétation des résultats sera discutée dans une quatrième section et les conclusions seront dressées dans la dernière section. 1 Sur base de la définition européenne du chômage (Enquête Force de Travail). 8
Le contenu de cet article est le fruit d’une recherche2 qui s’inscrit dans le cadre du programme « Prospective Research For Brussels », financé par Innoviris (Institut Bruxellois pour la Recherche et l’Innovation). 2 Englert M. et Plasman R. (2010). Rapport complet disponible sur demande auprès de Marion Englert : marion.englert@ulb.ac.be 9
1. Cadre théorique : perspective d’offre versus perspective de demande pour expliquer le chômage urbain La littérature spécialisée évoque une grande variété de déterminants sur les causes structurelles du chômage urbain3. Certaines théories sont spécifiques au chômage urbain, alors que d’autres constituent des théories plus générales sur le chômage, dont les mécanismes sont éventuellement accentués au niveau urbain. Ces déterminants peuvent être classés en différents courants de pensée théoriques, impliquant le recours à des mesures politiques et économiques différentes. Quatre courants principaux peuvent être mentionnés. Selon le premier courant, le chômage urbain est dû à une inadéquation des qualifications demandées et offertes (« skills mismatch») : les caractéristiques de l’offre de travail seraient inadaptées aux exigences de la demande de travail, par manque de formation adéquate ou d’ajustements salariaux (« supply-side perspective »), cf. infra. Le deuxième courant, qualifié de courant géographique, explique le chômage par des phénomènes spatiaux typiquement urbains : l’inadéquation spatiale entre lieux d’emploi et lieux de résidence et les effets de la ségrégation résidentielle/socio-spatiale (Houston, 2005 ; Morisson, 2005 ; Gobillon et Selod, 2007 ; Duguet et al. 2008 ; Dujardin et al. 20034 ; Vandermotten, 20085). Le troisième courant, défini comme l’approche socio-économique, historique et institutionnelle, lie l’augmentation du chômage et/ou des inégalités dans les villes à la mondialisation, la remétropolisation, la tertiarisation et la flexibilisation de l’économie urbaine (Sassen, 2006 ; Hamnett, 1994, 1996 ; Burgers, 1996 ; Vaattova et Kortteinen, 2003 ; Walks, 2001)6. Enfin, le quatrième courant regroupe les facteurs liés directement aux caractéristiques de la demande de travail (« demand-side perspective ») pour expliquer le chômage, cf. infra. Ces différentes approches, généralement non exclusives, révèlent la complexité et le caractère multidimensionnel du phénomène ainsi que l'existence de différents éléments d'influence qui interviennent dans l’explication du chômage urbain en général et à Bruxelles. Bien qu’il soit essentiel de garder à l’esprit cette complexité et cette multiplicité de facteurs d’influence, étudier empiriquement l’ensemble de ceux-ci se révèlerait impraticable dans le cadre de cet article. La présente analyse empirique se limitera donc à deux courants importants de la littérature économique : l’inadéquation des qualifications (« skills mismatch »), qui s’inscrit dans une perspective d’offre, et la perspective de demande. À noter que si ces deux approches ne sont pas spécifiquement urbaines, elles font cependant souvent l’objet d’analyses centrées sur le niveau soit urbain soit régional. De plus, elles représentent une catégorie de facteurs dont les effets peuvent être particulièrement importants au niveau urbain. Ces deux courants sont détaillés ci-après. La première perspective est celle du « skill mismatch » ou de l’"inadéquation des qualifications" (Devillé, 2008 ; Van Haeperen, 2005 ; Dejemeppe et al. 2002, Manacorda et Petrongolo, 1998 ; etc.). Selon cette thèse, le progrès technique - entre autre - génèrerait une demande de travail très qualifié, au détriment des travailleurs peu qualifiés qui, notamment du 3 Pour une revue et une analyse détaillées de la littérature relative à cette question, se référer à Englert M. et Plasman R. (2010). 4 Pour le cas de Bruxelles. 5 Idem. Voir en général les travaux de l’IGEAT sur ce sujet. 6 Voir également la thèse proposée par Van Hamme G., Wertz I. et Biot V. (2011) sur « la transition du capitalisme fordiste au capitalisme flexible » comme explication au phénomène de rétablissement de la situation économique des villes accompagné d’un accroissement des inégalités sociales. 10
fait de rigidités salariales, se retrouveraient au chômage. Le chômage serait donc le fait d’un déséquilibre entre les compétences requises par les employeurs (demande de travail) et celles offertes par les travailleurs/demandeurs d’emploi (offre de travail). Plus précisément, la cause du chômage résiderait dans l’inadaptation des caractéristiques de l’offre de travail aux exigences de la demande de travail, par manque de formation adéquate ou d’ajustements salariaux. Cette théorie se concentre donc généralement sur les caractéristiques de l’offre de travail pour expliquer le chômage (Houston, 2005) ; la solution au chômage se trouverait alors principalement dans l’adaptation des caractéristiques de l’offre de travail aux exigences de la demande, par le biais de la formation et l’amélioration (ou l’adaptation) des qualifications7. La théorie du « skills mismatch » sera donc considérée dans le présent papier sous un angle d’inadéquation « verticale », c’est-à-dire une inadéquation relative aux niveaux de qualification. Il faut souligner que les qualifications désignent à la fois les connaissances liées au diplôme et celles acquises par l’expérience professionnelle et l’apprentissage non certifié8. Cependant, les qualifications seront approchées dans cet article par les niveaux de diplôme ; ainsi, il est important de garder à l’esprit que les niveaux de qualification réels sont sous- estimés, en particulier pour les travailleurs manuels ne possédant pas un niveau de diplôme élevé9. A noter également que nous utiliserons parfois, par simplification de langage, le terme de qualification pour désigner les niveaux de diplôme. Bien que l’inadéquation verticale peut impliquer un niveau de diplôme soit trop élevé soit trop faible par rapport au niveau requis, il est plus communément admis que le chômage est dû à un manque de qualification plutôt que l’inverse : la plupart des études concluent à un déficit de qualification, conclusion sur laquelle se basent en grande partie les recommandations politiques10. Il faut toutefois noter que l’inadéquation des qualifications pourrait aussi résulter d’une inadéquation « horizontale », dans le cas où le domaine couvert par le diplôme (ou les compétences) serait inadapté plutôt que le niveau du diplôme. Dans l’approche menée ici, nous avons cependant étudié la validité empirique de la théorie du « skills mismatch » sous l’angle de l’inadéquation verticale, compte tenu entre autre des données disponibles. L’idée d’inadéquation des qualifications peut être replacée dans le concept plus général et plus englobant d’employabilité. Ce concept peut revêtir différentes définitions en fonction d'objectifs politiques ou d'inclinaisons idéologiques (Gore T., 2004). Toutefois, la notion d'employabilité se réfère toujours à la « capacité » des personnes à obtenir et conserver un emploi. Cette capacité est généralement définie suivant certains facteurs individuels (niveau de formation, situation antérieure - en emploi ou au chômage,…). La perspective du « skills mismatch » s’inscrit implicitement dans l’idée des économistes classiques selon laquelle les marchés tendent spontanément vers l’équilibre en l’absence d’obstacles qui seraient par nature dommageables (manque de formation, rigidités salariales, etc.). 7 A noter que l’on parle parfois également d’inadéquation des compétences plutôt que d’inadéquation des qualifications. Or, bien qu’ils soient souvent confondus et utilisés indifféremment, ces deux concepts (qualification et compétence) ont à l’heure actuelle, et dans une certaine mesure, un sens différent. Le sens de ces deux concepts, leur évolution et leur utilisation font d’ailleurs l’objet d’une littérature propre (Deprez, 2002 ; Le Boterf, 2000 ; …). Cf. Englert M. et Plasman R. (2010). 8 Vinikas B. (2009) 9 Idem. 10 Cf. Englert M. et Plasman R. (2010). 11
La deuxième perspective regroupe plusieurs phénomènes liés directement aux caractéristiques de la demande de travail (« demand-side perspective ») pouvant expliquer le chômage urbain (ex. Adams et al, 2002). Deux types de facteurs de demande sont distingués: - des facteurs « qualitatifs », qui tiennent aux caractéristiques des emplois et des critères de recrutement des employeurs11. - un facteur « quantitatif », selon lequel le chômage s’expliquerait par un niveau structurellement insuffisant d’offres d’emploi, susceptible d’entraîner une déqualification en cascade. Dans le groupe des facteurs « qualitatifs », le premier problème a trait à la qualité des conditions de travail ou de rémunérations jugées insuffisantes, impliquant une réticence des travailleurs à postuler ou à rester dans certains secteurs ou certains postes de travail, et donc des difficultés de recrutement (Mansour et al, 2006). Le deuxième problème tient aux critères de recrutement des employeurs : les employeurs peuvent surévaluer leurs critères de recrutement (Van Haeperen, 2005), pratiquer la discrimination à l’embauche (Chichah S, 2007, Arrijn et al, 1997), etc. Au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, Martens et Ouali (2005) ont mis en évidence la présence importante de discriminations sur le marché du travail bruxellois, tant à l’embauche qu’au niveau des carrières (« ethnostratification » du marché du travail)12. L’autre type de facteur repris dans ce courant (facteur « quantitatif ») explique le chômage urbain par une insuffisance généralisée de la demande de travail, c’est-à-dire un niveau structurellement insuffisant d’offres d’emploi. Ce déficit d’emplois peut alors entraîner une déqualification en cascade (les travailleurs occupent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés), ce qui exclut in fine les travailleurs peu qualifiés du marché du travail (Devillé, 2008). Cette vision est tout à fait distincte des autres théories et déterminants du chômage; en effet, lorsqu’elle vise à expliquer le chômage structurel (pas conjoncturel), cette vision postule implicitement une situation d’équilibre de sous-emploi keynésien, tandis que les autres théories s’inscrivent plutôt, tout aussi implicitement, dans un modèle d’équilibre walrasien (selon lequel le marché du travail devrait être à l’équilibre en l’absence de rigidité salariale, de problèmes de mobilité et de formation, etc.). Cependant, ces modèles ne sont implicitement walrasiens que s’ils prétendent expliquer le chômage de façon intégrale, ce qui n’est pas forcément le cas. A noter que le manque d’emplois contribue à renforcer les phénomènes de surévaluation des critères de recrutement et éventuellement de discrimination. De même, un manque d’emplois peut générer une pression à la baisse sur les conditions de travail et de rémunération. 11 Ces facteurs pourraient, tout comme la théorie du « skills mismatch », expliquer la présence simultanée de chômage et d’offres d’emplois non satisfaites. 12 Cette étude comporte plusieurs volets méthodologiques, exploitant différents types de données : une analyse quantitative des données de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS), une analyse qualitative et quantitative des parcours (démarches de sollicitations et trajectoires/stratégies d’insertion) de travailleurs et chômeurs étrangers, de Belges d’origine étrangère et de Belges « autochtones », et enfin une consultation des principaux acteurs du marché du travail (employeurs, syndicats…) sur leur perception de la discrimination à l’embauche et l’évaluation des mesures. 12
Concernant la situation en Région de Bruxelles-Capitale, Devillé (2008) a étudié de façon théorique et empirique l'impact simultané de l'inadéquation des qualifications (demandées et offertes) et de la déqualification en cascade sur la probabilité de sortie du chômage pour tous les niveaux d'éducation. A noter que ces deux mécanismes fournissent deux explications différentes - mais qui peuvent être cumulées - sur les écarts de taux de chômage entre les niveaux d'éducation et le taux de chômage plus important des moins qualifiés. L’auteur se base sur un modèle théorique d’appariement prenant en compte les différents segments de qualification approchés par les niveaux de diplôme. L’estimation du modèle amène l’auteur à conclure que le phénomène d'inadéquation des qualifications intervient à tous les niveaux d'éducation et explique en majorité la probabilité de sortie du chômage. En effet, le coefficient de tension13 s’accroît avec le niveau d’éducation, excepté pour le niveau de secondaire inférieur (le coefficient correspondant à ce niveau étant encore plus bas que celui du niveau primaire)14. Ses résultats indiquent également - mais dans une moindre mesure - un effet de la déqualification en cascade qui croît avec le niveau d’éducation15. L’objectif de Devillé (2008) était d’identifier dans quelle mesure les écarts entre taux de chômage par niveau de diplôme à Bruxelles s’expliquent respectivement par l’inadéquation des qualifications et la déqualification en cascade. Le présent papier s’intéresse à cette question mais de façon plus générale, en se demandant laquelle des deux approches, d’offre ou de demande (selon une définition plus large), est la plus pertinente pour caractériser le surcroît de chômage des Bruxellois. De même, l’approche utilisée dans le présent papier est tout à fait différente de celle de Devillé, dans le sens où nous proposons une étude comparative inter-ville afin de mettre en évidence les spécificités du chômage à Bruxelles. En effet, la première étape se base sur une analyse comparative et de corrélation portant sur des données agrégées au niveau des villes (zones urbaines élargies) européennes ; la deuxième étape fera usage de données individuelles (portant sur les provinces de Belgique et un échantillon de villes européennes) pour estimer l’effet sur la probabilité de chômage des individus de différentes caractéristiques, notamment le fait d’habiter à Bruxelles (pour un individu de caractéristiques données). 13 Coefficient de tension = offres d’emploi/demandeurs d’emploi. 14 Ce dernier constat peut s’expliquer par le fait qu’au sein des travailleurs peu qualifiés, les employeurs préfèrent engager le plus bas niveau de qualification (primaire) plutôt que l’avant dernier (secondaire inférieur) à cause des rémunérations - encore - moins élevées attribuées aux travailleurs possédant un diplôme de l’enseignement primaire. 15 La « concurrence » des travailleurs de niveau élevé est bien présente et diminue avec le niveau de diplôme, tandis que « la déqualification des demandeurs d’emploi du secondaire inférieur ne semble pas concurrencer significativement les demandeurs d’emploi du niveau primaire ». Devillé (2008), page 8. 13
2. Approche « macroéconométrique » : l’absence de relation entre taux de chômage d’une ville et niveau de diplôme de sa population Préalablement à l’analyse empirique, la question de la délimitation du territoire urbain se pose. En effet, le bassin d’emploi ne correspond généralement pas à la ville telle que délimitée par ses frontières administratives (du fait de l’existence de navetteurs). De même, les chômeurs peuvent résider, selon le cas, à l’intérieur ou en dehors de la ville dans sa définition administrative. Il est donc préférable de ne pas se limiter à l’étude de données sur les villes telles que définies administrativement. Cependant, ces données s’avèrent également importantes dans la mesure où les autorités ou administrations locales sont responsables d’une part importante des politiques de l’emploi, de la gestion urbaine (au niveau de certains services, de la gestion des infrastructures, ...)16, etc. Il est donc utile de disposer de deux types de données correspondant à des niveaux territoriaux différents dans l’étude du chômage urbain : des données au niveau des villes « centrales » (unités administratives) et au niveau d’entités urbaines plus larges. Dans cette première analyse macroéconomique, ce sont les entités urbaines plus larges qui sont considérées. Celles-ci sont en effet plus adéquates pour les comparaisons internationales « macroéconomiques » relatives au marché du travail. La zone de Bruxelles considérée dans cette section s’étend donc au-delà des frontières de la Région de Bruxelles-Capitale (correspondant aux 19 communes). Par contre, dans la section suivante (étude microéconométrique), c’est bien la Région de Bruxelles-Capitale dans ses limites administratives qui sera considérée. La base de données utilisée pour l’approche « macroéconomique » a été construite par l’IGEAT. Celle-ci comprend une approximation des zones urbaines élargies (« Larger Urban Zones » ou LUZ)17 par les régions NUTS 2. Elle comprend une approximation de 103 LUZ de plus de 250.000 habitants. Le nombre de LUZ par pays de la base de données est fourni en annexe18. Cette base de données a été sélectionnée sur base de critères de comparabilité internationale et du nombre d’indicateurs disponibles19. Le principal désavantage concerne la qualité variable de l’approximation des LUZ par les régions NUTS 2. Ainsi, si l’on considère l’entièreté de la base de données, celle-ci comprend des entités à caractère plutôt régional 16 Eurostat (2008). 17 La LUZ de Bruxelles telle que définie dans l’Audit Urbain correspond dans l’étude de Van der Haegen et al (1998) à ce qu’ils appellent la Région Urbaine. La définition des « Régions Urbaines » de Belgique est établie suivant des critères de croissance démographique, de revenus, de la part de la surface bâtie et du pourcentage de navetteurs vers l’agglomération, sur base des données du recensement de 1991; pour Bruxelles, la LUZ ou Région Urbaine se compose d’une population totale de 1.695.870 et s’étend sur une superficie de 1613,9 km2. Il s’agit approximativement de l’arrondissement de Bruxelles Halle Vilvoorde, d’un certain nombre de communes du Brabant wallon et de 3 communes de l’arrondissement de Leuven. A noter que dans l’étude de Van der Haegen et al, une définition plus large, basée exclusivement sur la part des navetteurs vers l’agglomération par rapport à la population active occupée et habitant la commune (dont le seuil est fixé à 15%), est aussi proposée : il s’agit du complexe résidentiel urbain qui inclut donc la zone résidentielle des migrants alternants. Cette zone inclut une population totale de pas moins de 2.550.497 et s’étend sur 4414,4 km2. 18 Annexe 1. 19 Pour une description de différentes bases de données disponibles au niveau urbain, voir Englert M. et Plasman R. (2010). 14
comme des entités à caractère plutôt urbain (zones urbaines élargies). Il importe également de souligner que la LUZ de Bruxelles y est approchée à partir de l’ensemble formé par la Région de Bruxelles-Capitale et la Province du Brabant flamand. Il faut toutefois garder à l’esprit que, selon l’étude de Van der Haegen et al (1998), la LUZ de Bruxelles est en réalité constituée de l’arrondissement de Bruxelles Halle Vilvoorde, d’un certain nombre de communes du Brabant wallon, et de seulement 3 communes de l’arrondissement de Leuven. Il faut donc tenir compte de ces approximations utilisées (pour raison de disponibilité de données) lors de l’interprétation des différents résultats. Le tableau ci-dessous présente la population et le taux de chômage20 à Bruxelles selon les deux délimitations territoriales utilisées dans le présent papier, en précisant la section dans laquelle celles-ci sont considérées. Tableau 1 : Population et taux de chômage à Bruxelles selon deux délimitations territoriales possibles (2007) Population Taux de Section totale chômage Région de Bruxelles‐Capitale 1.031.215 17% 3 Approximation de la LUZ par données NUTS 2 (Région de Bruxelles‐Capitale et Brabant 2.083.682 10% 2 flamand) Source : IGEAT et Eurostat Notons que les données utilisées dans ce papier sont généralement celles de l’année 2007 (ou 2006 voire 200521 pour certaines variables de l’approche macro), par souci de se baser à la fois sur une année relativement récente mais non influencée par un contexte conjoncturel tout à fait particulier22 – puisque l’objectif ici est d’identifier les causes du chômage structurel. 2.1. Quelques constats : la pertinence de l’étude du chômage au niveau urbain et la variabilité des écarts entre taux de chômage par niveau de diplôme Cette sous-section a tout d’abord pour objectif de souligner la relative indépendance des taux de chômage urbain par rapport aux taux de chômage nationaux correspondants. Ensuite, certains constats relatifs à l’examen descriptif de la base de données seront mis en avant et permettront notamment de situer certaines caractéristiques du marché du travail de Bruxelles par rapport à celui d’autres villes de l’échantillon. Avant tout, il est en effet utile de montrer dans quelle mesure les taux de chômage urbain sont indépendants des taux de chômage nationaux correspondants, afin de s’assurer de la pertinence d’étudier leurs causes particulières. Le graphique suivant met en relation le taux de chômage des LUZ (carrés noirs) avec les taux de chômage nationaux (tiret rouge). 20 Définition européenne du chômage (Enquête Force de Travail). 21 Pour des raisons de disponibilité dans la base de données utilisée. 22 En effet, lors du deuxième semestre de 2008, les effets de la crise - ralentissement économique - commencent à se répercuter sur le nombre de demandeurs d’emplois (source : Observatoire bruxellois de l’emploi, analyse des fonctions critiques en 2008). 15
Graphique 1 : Taux de chômage des LUZ par pays en comparaison avec les taux de chômage nationaux (2007), % Source des données : IGEAT et EUROSTAT Ce graphique révèle bien une logique particulière du chômage urbain et régional, en partie indépendante du chômage moyen national. Celui-ci indique une variabilité plus ou moins importante des taux de chômage des LUZ selon les pays. La variabilité des taux de chômage au sein d’un même pays apparaît tout particulièrement importante en Allemagne, en Belgique, en Italie et en Espagne. Dans ces pays (à l’exception du cas de l’Espagne où cela est moins évident), des facteurs supra-urbains mais infranationaux liés aux contextes historique et socio- économique semblent jouer un rôle majeur dans l’explication de cette variabilité : en Allemagne, la dispersion importante des taux de chômage s’explique en partie par les différences entre l’Est (ex-RDA) et l’Ouest (ex-RFA). En Belgique, cette variabilité est en partie le reflet des différences de taux de chômage entre la Flandre d’une part et Bruxelles et la Wallonie d’autre part. De même, en Italie, la dispersion s’explique aussi en grande partie par la différence entre le Nord et le Sud du pays, qui constituent des réalités économiques très éloignées. Les taux de chômage les plus élevés se retrouvent donc dans les LUZ de l’Allemagne de l’Est (ex-RDA) mais aussi à Bruxelles, à Liège et à Charleroi (Wallonie) et dans certaines LUZ d’Italie du Sud et d’Espagne (comme Séville). Par ailleurs, certains constats et résultats issus de l’analyse comparative des LUZ européennes sont mentionnés ci-dessous. Ceux-ci fournissent des éléments préliminaires intéressants concernant les déterminants du chômage urbain. Par souci de concision, les détails et tableaux dont découlent ces résultats ne sont pas fournis ici. Le lecteur intéressé pourra se référer à l’étude complète de Englert M. et Plasman R. (2010). 16
Tout d’abord, une typologie des LUZ a été établie suivant le classement des taux de chômage par niveau de diplôme23. Trois grandes catégories de LUZ ressortent de cette typologie : - les LUZ présentant des taux de chômage par niveau de diplôme relativement homogènes, dans certains cas faibles (ex. plusieurs villes autrichiennes ou hollandaises), moyens (plusieurs villes anglaises et plusieurs capitales comme Madrid, Vienne, Stockholm), dans d’autres élevés (Bruxelles, Liège, Charleroi, Paris, villes de l’ex-RDA…) - les LUZ dont le classement en termes de taux de chômage est plus défavorable pour les diplômés de niveau élevé que pour les diplômés de niveau moins élevé (la majorité des villes du Sud) - les LUZ dont le classement en termes de taux de chômage est plus défavorable pour les diplômés de niveau « faible » que pour les diplômés de niveau plus élevé (villes du Nord uniquement, principalement allemandes et anglaises ainsi que Helsinki, Graz, Rotterdam, Dijon et Tampere) Ainsi, les écarts de taux de chômage entre les diplômés du (pré)primaire/secondaire inférieur et les diplômés de l’enseignement supérieur sont bien plus importants dans la plupart des LUZ du Nord de l’Europe que dans les LUZ du Sud (et plusieurs LUZ de France) qui présentent des écarts relativement moins élevés. Il est à noter que les taux de chômage sont généralement plus importants pour les diplômés du primaire/secondaire inférieur que pour les autres, mais certaines LUZ du Sud de l’Europe (Pamplona, Vigo, Pescara) font singulièrement exception. Ensuite, il ressort assez clairement que le classement des LUZ en termes de niveau d’éducation de la population est relativement semblable à celui basé sur les niveaux d’éducation dans l’emploi, impliquant globalement un « matching » entre les qualifications offertes et demandées relativement bon. Enfin, au niveau de la LUZ de Bruxelles en particulier (approximée donc ici par la Région Bruxelloise et la province du Brabant flamand), les spécificités suivantes, qui se dégagent de cette première analyse monographique des données, peuvent être soulignées24 : premièrement, les taux de chômage sont relativement élevés pour toutes les catégories de travailleurs, quelque soit leur niveau de diplôme (cf. typologie). Deuxièmement, la part des diplômés de l’enseignement supérieur/universitaire parmi les travailleurs (en emploi) est la plus élevée de l’échantillon. Troisièmement, il apparaît que la part de la population née à l’étranger est également la plus élevée de l’échantillon. A noter qu’en considérant uniquement la Région de Bruxelles-Capitale, ces caractéristiques sont encore plus exacerbées (cf. section 3.2.1). 23 Cf. Englert M. et Plasman R. (2010). Les taux de chômage total et par niveau de diplôme ont été classés en trois catégories selon leur importance. Les seuils utilisés pour catégoriser les taux de chômage diffèrent selon les catégories de diplôme étant donné que, par exemple, les taux de chômage des diplômés du (pré)primaire/secondaire inférieur sont généralement beaucoup plus élevés que ceux des diplômés du supérieur/universitaire. Ainsi, les trois catégories qui ont été définies doivent être considérées comme « relatives». Les seuils utilisés pour classer les taux de chômage par niveau relatif (faible, intermédiaire, élevé) sont repris en annexe 2. 24 Englert M. et Plasman R. (2010) 17
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