Dyscalculie et difficultés d'apprentissage en mathématiques - Guide pratique de prise en charge
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Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques Guide pratique de prise en charge Marie-Pascale Noël et Giannis Karagiannakis
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques Guide pratique de prise en charge Sous la direction de Marie-Pascale Noël et Giannis Karagiannakis
Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com © De Boeck Supérieur SA, 2020 Rue du Bosquet, 7 - B-1348 Louvain-la-Neuve Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit. Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique : 2020/13647/087 Bibliothèque nationale de France : juillet 2020 ISBN : 978-2-8073-1899-1
Sommaire Les auteurs ................................................................................................... 7 Introduction générale................................................................................. 9 Chapitre 1 Les bases d’une intervention cognitive pour les problèmes d’apprentissage en mathématiques et les dyscalculies........................... 11 Chapitre 2 Les capacités numériques de base................................. 49 Chapitre 3 La représentation en base 10.......................................... 87 Chapitre 4 L’arithmétique..................................................................... 125 Chapitre 5 La résolution de problèmes............................................. 215 Chapitre 6 Les nombres rationnels.................................................... 257 Table des matières........................................................................................ 315 5
Les auteurs Marie-Pascale Noël est professeure de psychologie à l’université catholique de Louvain (UCLouvain), en Belgique, et maître de recherche au Fonds national de la recherche scientifique de Belgique. Elle s’intéresse à la dyscalculie et aux difficultés d’apprentissage en mathématiques depuis près de 20 ans. Elle est titulaire de cours en neuropsychologie de l’enfant et en cognition numérique de l’enfant, et est régulière- ment invitée en France, en Suisse et au Vietnam pour intervenir sur ces sujets. Elle a publié de nombreux écrits (livres, chapitres de livres, articles scientifiques) dans le domaine du développement numérique de l’enfant et des difficultés à ce niveau, ainsi que deux batteries d’évaluation des troubles du calcul chez l’enfant (le Tedi-Math et le Tedi-Math Grand). Elle est également responsable, au sein de l’UCLouvain, d’un centre clinique : les consultations psychologiques spécialisées en neuropsychologie et logopédie de l’enfant. Giannis Karagiannakis est maître de conférences et chercheur associé au labora- toire de psychologie expérimentale de l’université d’Athènes. Il a dispensé des pro- grammes de formation sur la gestion des difficultés d’apprentissage en mathématiques à plusieurs milliers de personnes dans le monde entier. Ses recherches portent sur la cognition numérique, soit l’étude des fonctions cognitives (spécifiques et générales) qui peuvent être liées aux forces et aux faiblesses en mathématiques, ainsi que sur le développement de programmes d’instructions différenciées en mathématiques pour les élèves de 8 à 18 ans. Depuis deux ans, il est collaborateur scientifique à l’Institut de recherche en psychologie à l’UCLouvain, en Belgique, et collabore avec le profes- seur Marie-Pascale Noël. L’objectif principal de ce projet est le développement et la standardisation d’un outil d’évaluation des compétences numériques de l’enfant : le « Mathematical Profile & Dyscalculia Test » (test de dyscalculie et de profil mathématique). 7
Introduction générale Cet ouvrage est né de la collaboration de deux experts, une neuropsychologue de l’enfant et un mathématicien, intéressés par la problématique des troubles de l’ap- prentissage en mathématiques et des dyscalculies. Chacun d’entre eux a développé une carrière alliant recherche scientifique et intérêt pour le champ de la clinique. Le but de ce livre est de créer des ponts entre, d’une part, ce que la science a pu mettre en évidence concernant le développement numérique chez l’enfant et les dif- ficultés liées à ce développement et, d’autre part, la pratique clinique. Il s’adresse à toute personne qui est amenée à accompagner les enfants en difficulté d’apprentissage en mathématiques, que ceux-ci aient été diagnostiqués dyscalculiques ou pas. Il peut s’agir de professeurs de mathématiques travaillant dans l’enseignement spécialisé, de logopèdes, d’orthophonistes ou de logopédistes, d’orthopédagogues, de psychologues scolaires ou de neuropsychologues. Dès lors, nous utiliserons réguliè- rement le terme de « coach en mathématiques » pour faire référence à ces différents professionnels de l’accompagnement. Notons toutefois que notre approche se base sur l’analyse cognitive détaillée des processus mis en jeu, et qu’une formation de base dans ce domaine est donc nécessaire pour comprendre le contenu de cet ouvrage. Le livre comporte six chapitres : • Le chapitre 1 explique les grandes lignes d’une instruction ou d’une remédia- tion efficace ; • Le chapitre 2 porte sur les habiletés numériques élémentaires, comme le comp- tage et le dénombrement ; • Le chapitre 3 se focalise sur la maîtrise des codes numériques symboliques, c’est-à-dire les nombres verbaux et les nombres arabes, en explorant en parti- culier le transcodage et la compréhension de la base 10 sous-jacente à ces deux systèmes ; • Le chapitre 4 s’intéresse à la réalisation des opérations arithmétiques de base, addition-soustraction et multiplication-division ; • Le chapitre 5 porte sur la résolution des problèmes verbaux ; 9
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques • Le chapitre 6 aborde les nombres rationnels, soit les fractions et les nombres décimaux. Une structure similaire sous-tend les chapitres 2 à 6. Chaque chapitre comprend une partie théorique et une partie pratique. La partie théorique inclut l’explication des processus en question et de leur développement ; les difficultés et défis rencontrés lors de ce développement sont présentés, notamment chez les personnes présentant une dyscalculie ou des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Ensuite, une synthèse des études d’intervention visant à remédier à ces difficultés est présentée. Les deux dernières sections sont davantage orientées vers la pratique clinique. D’abord, une courte section s’intéresse à l’évaluation de ces processus pour aider le clinicien à jauger la nécessité d’apporter une aide à ce niveau à l’enfant qu’il accom- pagne, mais aussi pour permettre d’évaluer, le cas échéant, l’efficacité de sa prise en charge. Enfin, chaque chapitre se termine par une proposition claire et concrète d’un programme d’intervention pour accompagner les enfants dans le développement du processus en question. Ces programmes sont basés sur les connaissances scientifiques présentées dans la partie théorique du chapitre, mais également sur les expériences cliniques des deux auteurs de l’ouvrage. À travers ce livre, nous souhaitons outiller au maximum les coaches pour leur permettre d’intervenir de manière plus efficace dans leur accompagnement des enfants en difficulté d’apprentissage et ainsi aider ces enfants à traverser ces obstacles. 10
Chapitre 1 Les bases d’une intervention cognitive pour les problèmes d’apprentissage en mathématiques et les dyscalculies 1. Qu’entend-on par dyscalculie ou difficulté d’apprentissage en mathématiques ? Les systèmes éducatifs du monde entier accordent une grande importance au développement des compétences numériques des enfants, car posséder des aptitudes en mathématiques est essentiel pour vivre et participer à nos sociétés modernes (Ancker & Kaufman, 2007). Cependant, tout le monde n’est pas capable de maîtriser les bases des mathématiques. Par exemple, au Minnesota, 21 % des enfants de 11 ans quittent l’école primaire sans atteindre le niveau de mathématiques attendu et 5 % n’atteignent même pas les compétences numériques attendues d’un enfant de 7 ans (Gross, 2007). Ces difficultés sont généralement appelées « difficultés d’apprentissage en mathématiques » ou DAM. Lorsque ces difficultés sont sévères, persistantes et ne sont pas dues à un manque d’intelligence ou à une scolarisation inadéquate, on les appelle « dyscalculies développementales » (DD). La prévalence de la DD est d’environ 6 %. Par exemple, Gross-Tsur, Manor et Shalev (1996) ont testé 3 029 enfants israéliens de quatrième année primaire et ont utilisé deux critères pour détecter la présence d’une dyscalculie ; (1) avoir une intel- ligence dans la normale et (2) obtenir un score à un test de mathématiques inférieur à la performance moyenne obtenue par les enfants deux années plus jeunes (enfants de deuxième année primaire). Ils ont constaté que 6,5 % des enfants répondaient à ces critères. De même, dans une étude récente portant sur 2 421 enfants d’école primaire, Morsanyi, Bers, McCormack et McGourty (2018) ont identifié des difficultés 11
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques persistantes et graves en mathématiques dans 6 % des cas. Après l’application de leurs critères d’exclusion, 5,7 % présentaient des difficultés d’apprentissage spécifique en mathématiques. Pourtant, nombre de ces DAM ne sont pas détectées (Barbaresi, Katusic, Colligan, Weaver, & Jacobsen, 2005). La plupart du temps, ces problèmes sont persistants. Par exemple, Shalev, Manor, Auerbach et Gross-Tsur (1998) ont suivi, sur une période de trois ans, les enfants qu’ils avaient détectés comme présentant une dyscalculie lorsque ceux-ci étaient en quatrième année primaire (voir l’étude susmentionnée). Ils ont constaté que presque tous avaient encore un score faible à un test de mathématiques (inférieur au percen- tile 25) et qu’environ la moitié d’entre eux présentaient encore des difficultés très graves avec un score sous le percentile 5. Ces DAM persistent même à l’âge adulte et on estime qu’un cinquième des adultes en Angleterre ont des compétences en calcul inférieures au niveau de base requis pour gérer les situations de la vie courante (Williams, Clemens, Oleinikova, & Tarvin, 2003). Les difficultés rencontrées par les personnes atteintes de dyscalculie sont multiples et peuvent concerner, entre autres, la maîtrise des codes numériques (lire et écrire des nombres arabes, comprendre le système en base 10), le stockage de faits arithmétiques dans la mémoire à long terme (par exemple, se rappeler que 5 + 4 = 9 ou que 8 × 3 = 24), la réalisation des procé- dures de calcul ou la résolution de problèmes verbaux en mathématiques. 2. Quelles sont les causes de ces difficultés ? Outre des facteurs globaux tels qu’un faible niveau socioéconomique, des difficul- tés d’ordre affectif, un quotient intellectuel faible, etc., les recherches en sciences cognitives ont tenté d’identifier le processus numérique le plus élémentaire qui constituerait la pierre angulaire de tout apprentissage mathématique ultérieur et qui, s’il était altéré, conduirait à des DAM. 2.1. Un déficit au niveau d’un processus numérique de base L’une des hypothèses dominantes dans le champ concerne le « système approxi- matif de la magnitude numérique ». En effet, les bébés naissent avec une capacité innée à détecter, de manière approximative, la numérosité ou le nombre d’éléments dans un ensemble (voir chapitre 2). La représentation sous-jacente s’appelle le sys- tème numérique approximatif. Il s’agit d’une représentation non verbale qui soutient un sens intuitif et approximatif du nombre chez l’homme ainsi que chez d’autres espèces animales. Selon Wilson et Dehaene (2007) ou Piazza et al. (2010), une défi- cience au niveau de ce système numérique approximatif expliquerait l’apparition des DD. En effet, des recherches ont montré que la capacité à détecter le plus grand 12
Les bases d’une intervention cognitive… ensemble parmi deux sans compter (soit une tâche évaluant ce système numérique approximatif), mesurée à l’âge préscolaire, prédit de manière sélective la performance scolaire en mathématiques à l’âge de 6 ans (Mazzocco, Feigenson, & Halberda, 2011a). Deuxièmement, dans de telles tâches, certaines recherches ont observé que les enfants avec DAM ou DD avaient des performances inférieures à celles des enfants à développement typique (par exemple, Mazzocco, Feigenson, & Halberda, 2011b ; Piazza et al., 2010). Cependant, plusieurs autres recherches n’ont pas réussi à reproduire ces résultats (pour une revue, voir De Smedt, Noël, Gilmore, & Ansari, 2013). D’autres recherches encore ont fait valoir que ce n’était pas tant cette représentation approximative de la magnitude numérique qui constituerait la base des apprentissages mathématiques, mais plutôt la capacité de l’enfant à associer des symboles numériques, par exemple, les mots nombres tels que « cinq » ou les nombres arabes tels que « 5 », à leur sens, c’est-à-dire à la grandeur numérique qu’ils représentent (Noël & Rousselle, 2011 ; Rousselle & Noël, 2007). En effet, les nombres symboliques permettent d’aller au-delà d’une représentation approximative de la magnitude et d’activer une représentation numérique précise, ce qu’exigent les mathématiques. De nombreuses recherches ont en effet montré que la performance dans les tests de mathématiques est davantage corrélée à la capacité de juger, parmi deux nombres arabes, celui qui est le plus grand plutôt qu’à la capacité de comparer des ensembles d’éléments (c’est-à-dire, des comparaisons non symboliques). Schneider et al. (2017) ont synthétisé, dans une méta-analyse, les études mesurant le lien entre les tâches de comparaison de nombres symboliques (des chiffres arabes) et non symboliques (des collections de points) avec la performance en mathématiques et ont trouvé une association significativement plus élevée avec les tâches symboliques (r = 0,302) qu’avec les tâches non symboliques (r = 0,241). En outre, plusieurs recherches ont indiqué que la performance des per- sonnes avec DD est particulièrement altérée dans la comparaison des nombres sym- boliques, et pas tellement dans la comparaison non symbolique. Ainsi, dans une méta-analyse, Schwenk et al. (2017) ont examiné ces différences et ont montré que les enfants atteints de DD étaient significativement plus lents que les contrôles dans les tâches de comparaison symbolique (g de Hedges = 0,75) et, dans une moindre mesure, dans les tâches non symboliques (collections de points) (g de Hedges = 0,24). Un autre traitement numérique invoqué comme cause possible de la DD est le subitizing, c’est-à-dire l’évaluation rapide et précise de petites collections de points (de 1 à 4 points). Quelques études ont en effet observé une altération de ce processus chez les enfants atteints de DD (par exemple, Ashkenazi, Mark-Zigdon, & Henik, 2013 ; Moeller, Neuburger, Kaufmann, Landerl, & Nuerk, 2009 ; Schleifer & Landerl, 2011). Enfin, des recherches récentes ont examiné un autre aspect fondamental des nombres : leur valeur ordinale. En effet, les enfants atteints de DD sont plus lents que les enfants typiques lorsqu’il s’agit de réciter la suite des nombres (Landerl, Bevan, & Butterworth, 2004). De plus, la capacité de juger si trois nombres sont 13
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques présentés dans l’ordre (ascendant, ou descendant comme 6 3 2) ou non (par exemple, 3 2 6) est un très bon prédicteur de la réussite en mathématiques, plus encore que la capacité à comparer la grandeur de deux nombres (Lyons & Beilock, 2011, Morsanyi, O’Mahony, & McCormack, 2017), et les personnes atteintes d’une DD semblent présenter des faiblesses dans ce processus (Rubinsten & Sury, 2011). Cependant, des recherches plus récentes suggèrent que cette difficulté n’est pas spécifiquement liée au domaine numérique. En effet, la performance dans des tâches où il s’agit de juger l’ordre de séquences non numériques (par exemple, les mois de l’année ou les lettres) est également corrélée avec la performance en mathématiques (chez les adultes, Morsanyi et al., 2017 ; Vos, Sasanguie, Gevers, & Reynvoet, 2017) et permet de pré- dire, chez des enfants de première année primaire, leurs performances en mathéma- tiques un an plus tard (O’Connor, Morsanyi, & McCormack, 2018). Enfin, des difficultés dans des tâches de jugement d’ordre numérique ou non numérique sont observées chez les personnes atteintes de DD (Morsanyi, van Bers, O’Connor, & McCormack, 2018). Notons que ces difficultés d’ordre ne se limitent pas aux tâches de jugement d’ordre. En effet, dans la mémoire à court terme, les personnes avec une DD sont particulièrement en difficulté lorsqu’il s’agit de mémoriser l’ordre de pré- sentation des items, plutôt que les items eux-mêmes (Attout, Salmon, & Majerus, 2015 ; De Visscher, Szmalec, Van der Linden, & Noël, 2015). Actuellement, de plus en plus de travaux montrent que la DD ne serait pas une entité homogène caractérisée par une seule cause sous-jacente, mais plutôt qu’il exis- terait différents profils de DD. Skagerlund et Träff (2016) ont par exemple montré que certains DAM résultaient de faiblesses dans le traitement des nombres symbo- liques, d’autres dans le traitement des nombres symboliques et non symboliques et que des déficits cognitifs plus généraux pouvaient aussi être à l’origine de certaines DD (Träff, Olsson, Östergren, & Skagerlund, 2017). Szucs (2016) a distingué les per- sonnes atteintes de DD selon qu’elles présentaient, ou non, des problèmes de lecture associés. Les personnes avec DD et des problèmes de lecture seraient caractérisées par une faiblesse au niveau de la mémoire à court terme et de travail verbal, tandis que les « DD pures » seraient associées à une faiblesse au niveau de la mémoire à court terme et de travail visuo-spatiale. De Visscher et al., Noël (2015) ont décrit deux autres profils de DD. Les DD, caractérisées par des difficultés spécifiques dans la mémorisation des réponses aux petits calculs (ce qu’on appelle les faits arithmé- tiques), seraient dues à une hypersensibilité à l’interférence liée à la similarité des items à mémoriser alors que les DD plus globales seraient liées à un problème dans le traitement de l’ordre. D’autres auteurs n’ont pas fait de distinction a priori, mais ont procédé à des analyses en clusters afin de déterminer différents sous-groupes de personnes atteintes de DD. Ainsi, Bartelet, Ansari, Vaessen et Blomert (2014) ont répertorié six groupes distincts d’enfants avec DD : certains avec des faiblesses au niveau du système des nombres approximatifs, d’autres avec des difficultés spatiales, d’autres encore avec des difficultés à accéder à la magnitude numérique des nombres symboliques, etc. À l’heure actuelle, de nombreux auteurs sont d’accord avec l’idée 14
Les bases d’une intervention cognitive… que le développement numérique repose sur plusieurs composants neurocognitifs et que toute altération de l’un d’entre eux peut compromettre cet apprentissage (Fias, Menon, & Szucs, 2013). En conséquence, une hétérogénéité des DD est attendue (voir aussi Andersson & Östergren, 2012). Nous avons commencé par souligner que différents processus numériques de base sont importants pour l’apprentissage des mathématiques, en particulier, le système numérique approximatif, le subitizing, l’accès à la magnitude numérique à partir de nombres symboliques ou le traitement de l’ordre. Un déficit dans chacun d’eux pour- rait éventuellement conduire à une DD. Outre ces processus numériques de base, les processus cognitifs généraux sont également importants pour un bon développement numérique. 2.2. Un déficit au niveau d’un ou de plusieurs processus cognitifs généraux 2.2.1. Le langage L’un d’entre eux est le langage. En effet, si les bébés naissent avec une certaine sen- sibilité à la dimension de la magnitude numérique, le premier apprentissage numé- rique de l’enfant est celui de la chaîne numérique verbale, soit un apprentissage verbal dans lequel les mots doivent être appris et produits dans un ordre déterminé. De nombreux articles ont montré que les enfants présentant un trouble spécifique du langage montrent de grandes difficultés dans les apprentissages numériques, qu’il s’agisse du développement de la chaîne numérique verbale, du dénombrement ou du calcul (Donlan, Cowan, Newton, & Lloyd, 2007 ; Fazio, 1994). Globalement, le niveau mathématique de ces enfants correspond à leur niveau langagier (Durkin, Mok, & Conti-Ramsden, 2013). Toutefois, il semble que ce retard serait présent pour les traitements numériques exacts, mais pas pour les traitements numériques approxi- matifs portant sur du matériel non symbolique (Nys, Content, & Leybaert, 2013). Cette relation entre capacités langagières et calcul est également observée dans des populations tout-venant en considérant plus spécifiquement le rôle des capacités phonologiques dans le développement numérique et mathématique. Ainsi, plusieurs études montrent une corrélation entre la performance arithmétique des enfants et leur conscience phonologique (la conscience des sons ou phonèmes qui constituent les mots) (voir Donlan et al., 2007 ; Hecht, Torgesen, Wagner, & Raschotte, 2001 ; Leather & Henry, 1994). Ces capacités de conscience phonologique (mesurées à l’âge de 4 ou 5 ans) permettraient également de prédire les compétences mathématiques ultérieures des enfants (Alloway et al., 2005 ; Simmons & Singleton, 2008). Cependant, Krajewski et Schnieder (2009) montrent que les capacités de conscience phono logique mesurées à l’âge de 5 ans corrèlent significativement avec la performance en mathématiques à l’âge de 8 ans lorsqu’il s’agit des capacités de base (comptage et 15
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques lecture de nombres arabes), mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de tâches nécessitant la compréhension de la quantité exprimée par les nombres. De nombreuses recherches se sont aussi intéressées aux personnes présentant une dyslexie, puisqu’il s’agit là d’un trouble caractérisé par des capacités de conscience phonologique faibles. Une revue de la question montre que ces personnes ont souvent de piètres performances en mathématiques, en particulier dans le comptage et la récupération de faits arithmétiques en mémoire (Simmons & Singleton, 2008). Des chercheurs ont également étudié des participants dyslexiques en veillant à ce qu’au- cun ne présente une DD associée. Plusieurs recherches montrent que ces personnes dyslexiques auraient surtout des difficultés dans la constitution d’un réseau de faits arithmétiques en mémoire à long terme (par exemple, Boets & De Smedt, 2010 ; Cirino, Ewing-Cobbs, Barnes, Fuchs, & Fletcher, 2007). Selon Göbel (2015), l’asso- ciation entre un déficit phonologique et des difficultés de constitution d’un réseau de faits arithmétiques en mémoire serait liée au fait qu’une même structure cérébrale, le gyrus angulaire gauche, serait impliquée dans ces deux processus. 2.2.2. La mémoire Un deuxième domaine important est celui de la mémoire. En effet, les mathéma- tiques requièrent la mémorisation et puis la récupération d’informations, comme les mots nombres et leur ordre dans la liste de comptage ou les faits arithmétiques. Une étude a révélé que les enfants avec DD étaient plus lents à réciter la suite numérique (Landerl et al., 2004) et de nombreuses autres ont constaté que les enfants avec DD avaient des difficultés à mémoriser les faits arithmétiques (par exemple, Garnett & Fleischner, 1983 ; Geary, Hoard, & Hamson, 1999). Les difficultés liées à la mémorisation de faits arithmétiques ne s’expliqueraient pas par des capacités de mémoire à long terme globalement faibles (De Visscher & Noël, 2014a-b ; Mussolin & Noël, 2018), mais par une sensibilité exagérée aux interférences liées à la similarité des items à mémoriser (De Visscher & Noël, 2014a-b). Une autre recherche réalisée chez des étudiants universitaires a montré une corrélation entre la capacité à mémoriser des séquences et les capacités de calcul (Holmes & McGregor, 2007). En ce qui concerne la mémoire de travail, de nombreuses études ont montré que tous les composants (y compris l’inhibition, la flexibilité et la mise à jour) sont asso- ciés à la performance mathématique, la corrélation la plus élevée étant constatée avec la mise à jour verbale (voir la méta-analyse de Friso-van den Bos, Van der Ven, Kroesbergen, & van Luit, 2013.) De plus, lorsqu’on compare les différents domaines numériques, il apparaît que les capacités de mémoire de travail sont davantage cor- rélées avec la résolution de problèmes verbaux et les calculs (voir la méta-analyse de Peng, Namkung, Barnes, & Sun, 2016). Enfin, plusieurs études ont montré que les enfants atteints de DAM avaient une mémoire de travail verbale et visuo-spatiale médiocre (voir la méta-analyse de Swanson & Jerman, 2006). 16
Les bases d’une intervention cognitive… 2.2.3. Le domaine visuo-spatial Un troisième domaine cognitif qui semble être impliqué dans le développement numérique est le domaine visuo-spatial. En effet, les mathématiques nécessitent évi- demment un traitement visuo-spatial pour la géométrie, mais aussi pour comprendre le système positionnel des nombres arabes ou pour résoudre des calculs en colonnes de nombres à plusieurs chiffres. Les processus visuo-spatiaux semblent également sollicités dans la résolution de problèmes verbaux puisque l’utilisation d’images visuelles est corrélée avec de meilleures performances dans la résolution de ces pro- blèmes (van Garderen, 2006). De plus, de nombreuses recherches soutiennent que la représentation des nombres est orientée dans l’espace (Hubbard, Piazza, Pinel, & Dehaene, 2005) avec, dans nos cultures occidentales, les petits nombres repré- sentés à gauche et les grands nombres vers la droite. La tâche de positionnement de nombres sur une ligne numérique non graduée avec un nombre écrit à chaque extré- mité (par exemple, 0 et 100) mesure cette mise en correspondance entre nombres et espace. La méta-analyse de Schneider et al. (2018), montre que la précision dans cette tâche corrèle de manière significative avec la compétence mathématique, soulignant ainsi l’importance de cette connexion entre nombres et espace dans le développement numérique. Certaines recherches ont montré que les capacités en mathématiques étaient en lien avec les compétences spatiales (Mix & Cheng, 2012 ; Osmon, Smerz, Braun, & Plambeck, 2006, pour une revue, voir Crollen & Noël, 2017). Rourke (1993), Rourke & Conway (1997) et Rourke et Finlayson (1978) ont identifié un type de DD qui résulterait de difficultés visuo-spatiales. À cet égard, plusieurs auteurs ont observé que les enfants ayant des déficits au niveau de leurs capacités visuo-spatiales mais des capacités verbales intactes avaient des performances plus médiocres que leurs pairs en géométrie (Mammarella, Giofrè, Ferrara, & Cornoldi, 2013), en calcul écrit et dans la sériation numérique (Mammarella, Lucangeli, & Cornoldi, 2010). Crollen et Noël (2015) et Crollen, Vanderclausen, Allaire, Pollaris et Noël (2015) sont allées plus loin et ont montré que, chez les enfants présentant une déficience visuo-spatiale, la repré- sentation de la magnitude numérique est moins précise et son orientation gauche- droite moins fortement établie. Cependant, toutes les DD ne seraient pas dues à de faibles compétences visuo-spatiales. Par exemple, Szucs, Devine, Soltesz, Nobes et Gabriel (2013) n’ont pas trouvé de différence significative entre les enfants avec une DD et les enfants contrôles dans deux tâches visuo-spatiales (orientation mentale et symétrie spatiale), mais ont constaté une faiblesse au niveau des capacités de mémoire à court terme et de mémoire de travail visuo-spatiale. 2.2.4. Le raisonnement Enfin, la capacité de raisonnement est évidemment importante pour résoudre au moins les problèmes mathématiques les plus complexes. Certaines études ont en effet montré que le raisonnement non verbal mesuré avec le test des matrices en première ou en troisième année primaires prédisait la résolution de problèmes verbaux ou la 17
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques réussite en mathématiques un an après (Fuchs et al., 2005 ; Fuchs et al., 2006 ; Nunes et al., 2007). Sur un échantillon couvrant une large tranche d’âge (6 à 21 ans), Green, Bunge, Chiongbian, Barrow et Ferrer (2017) ont constaté que le raisonnement fluide était un prédicteur significatif des résultats en mathématiques, 1,5 et 3 ans plus tard. En outre, Morsanyi, Devine, Nobes et Szucs (2013) ainsi que Schwartz (2017) ont constaté que les enfants atteints de DD avaient des capacités de raisonnement infé- rieures aux enfants contrôles (dans ce cas, le raisonnement transitif). Enfin, Nunes et al. (2007), ont constaté que la formation des enfants au raisonnement logique entraî- nait des progrès plus importants en mathématiques qu’un groupe contrôle n’ayant pas reçu cette formation ; ce qui soutient l’idée d’un lien de causalité entre le raison- nement logique et l’apprentissage mathématique. En conclusion, le développement numérique et l’apprentissage des mathéma- tiques reposent sur plusieurs processus fondamentaux ; des processus numériques de base, mais aussi de nombreux domaines cognitifs généraux, notamment le langage, la mémoire, les compétences visuo-spatiales et le raisonnement. En conséquence, une dégradation dans l’un de ces processus peut entraîner des difficultés spécifiques dans le domaine numérique. Des recherches ultérieures tenteront de préciser ces différents profils de DD, mais tous les cliniciens, enseignants spéciaux ou coaches en mathéma- tiques travaillant avec un enfant atteint de DAM ou de DD, doivent être conscients de cette hétérogénéité et doivent tenter de comprendre quel est le profil spécifique de l’enfant qu’ils accompagnent de manière à être les plus efficaces possible dans l’inter- vention qu’ils proposent. 3. Pratiques pédagogiques efficaces Répondre au besoin d’améliorer les résultats en mathématiques de tous les élèves constitue un défi indéniable. Actuellement, les mathématiques à l’école oscillent entre des pratiques d’enseignement plus traditionnelles dirigées par un enseignant et des approches plus novatrices centrées sur les élèves. Les pratiques dirigées par l’ensei- gnant font en sorte que les élèves travaillent sur un ensemble de problèmes et les encouragent à utiliser des stratégies qu’ils ont mémorisées dans la plupart des cas. Puis, dès que possible, les enseignants donnent aux élèves des feuilles d’exercices qu’ils doivent compléter individuellement. Dans ce processus, les échanges verbaux entre élèves sont très limités ou inexistants. Au contraire, l’instruction centrée sur l’élève accorde une valeur primordiale au développement des idées personnelles de l’enfant sur les mathématiques. Les activités centrées sur l’élève lui offrent la possibi- lité de participer activement au processus de génération des connaissances mathéma- tiques (Clements & Battista, 1990). Les élèves apprennent de multiples stratégies pour expliquer et résoudre les problèmes de mathématiques, en mettant davantage l’accent sur la compréhension des concepts mathématiques sous-jacents que sur l’acquisition de la fluidité procédurale. Les possibilités de communiquer leur compréhension 18
Les bases d’une intervention cognitive… mathématique visent à renforcer le raisonnement métacognitif des élèves. Cependant, toutes ces pratiques se déroulent dans l’environnement de la classe où peu d’attention est accordée aux larges différences interindividuelles concernant les expériences pré- alables, les connaissances et les compétences d’entrée des élèves d’une même classe (Ketterlin-Geller, Chard, & Fien, 2008). Généralement, les élèves sans DAM bénéficient davantage des pratiques péda- gogiques centrées sur l’élève en raison des exigences organisationnelles, sociales, verbales et des exigences des tâches plus grandes dans cette approche, tandis que les pratiques dirigées par l’enseignant peuvent être particulièrement utiles pour les élèves avec une DAM. Cela s’explique par le fait que ces dernières pratiques font souvent moins appel à l’attention, à la mémoire de travail, au langage et aux res- sources cognitives générales, des domaines dans lesquels les élèves avec DAM peuvent présenter des faiblesses. Travailler la fluence procédurale avec les élèves atteints de DAM peut être particulièrement approprié quand ils commencent à maîtriser les connaissances et les compétences de base (par exemple, la reconnais- sance des chiffres, les faits arithmétiques) qui nécessitent relativement peu de rai- sonnement abstrait ou de stratégies complexes (Kroesbergen & Van Luit, 2003 ; Kroesbergen, Van Luit, & Maas, 2004). Une analyse de suivi de groupes d’élèves avec ou sans DAM a montré que pour les élèves sans DAM, l’instruction dirigée par l’enseignant et celle centrée sur l’élève avaient toutes les deux des effets positifs significatifs d’ampleur à peu près égales (Morgan, Farkas, & Maczuga, 2014). En revanche, pour les élèves avec DAM, seule l’instruction dirigée par l’enseignant avec des exercices de drill était associée de manière significative à une meilleure réussite. D’autre part, des résultats prometteurs suggèrent que les étudiants en DAM pour- raient également bénéficier de la présentation de stratégies multiples avec un accent mis sur la compréhension. Par exemple, Bottge et Hasselbring (1993) ont comparé les performances de deux groupes d’adolescents avec DAM dans la résolution de pro- blèmes dans deux conditions, l’une impliquant des problèmes verbaux standards et l’autre des problèmes contextualisés présentés sur vidéodisque. L’approche contextua- lisée a pour caractéristique de mettre l’accent sur les applications du monde réel, de se concentrer sur la compréhension des concepts sous-jacents de problèmes réels et d’inté- grer des discussions avec les élèves. Bien que les deux groupes aient amélioré leurs performances, les étudiants résolvant des problèmes contextualisés ont nettement mieux réussi au test après l’intervention et ont été en mesure d’utiliser leurs compé- tences, après la phase d’instruction, dans deux tâches de transfert. Les auteurs concluent qu’enseigner aux élèves la pensée mathématique en insistant plus fortement sur le développement des concepts est essentiel au succès en mathématiques et conduirait non seulement à une compréhension plus approfondie des mathématiques, mais également à une meilleure maîtrise du calcul (Baker, Gersten, & Lee, 2002). Malheureusement, la communauté scientifique, les pouvoirs politiques et les admi- nistrations scolaires n’ont pas accordé autant d’attention à l’enseignement des 19
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques mathématiques pour les élèves avec DAM qu’à celui de la lecture pour les élèves dys- lexiques. Bien que la recherche sur « ce qui fonctionne le mieux » dans l’enseignement des mathématiques pour les élèves avec des DAM soit limitée, certaines méta-analyses mettent en évidence les pratiques d’intervention, basées sur les preuves, qui sont les plus efficaces pour les étudiants en DAM. Selon la méta-analyse réalisée par Gersten et al. (2009), les sept stratégies de remédiation les plus efficaces pour les étudiants avec DAM sont les suivantes : (1) des instructions explicites, (2) l’utilisation de représentations visuelles, (3) la verbalisation par l’étudiant, (4) l’utilisation de plusieurs exemples péda- gogiques, (5) l’utilisation d’heuristiques et de multiples stratégies, (6) le fait de donner des feedbacks permanents, et (7) l’enseignement assisté par des pairs. L’analyse a mon- tré que, parmi les stratégies d’instruction susmentionnées, celles amenant les plus grandes tailles d’effet étaient l’instruction explicite (taille d’effet de 1,22, p < 0,001) et l’utilisation d’heuristiques et de multiples stratégies (taille d’effet de 1,56, p < 0,001). L’instruction explicite fournit à l’élève une guidance étape par étape et des possibilités de pratique (résoudre des exercices) avec des retours ciblés. L’utilisation d’heuristiques avec des exemples multiples suit une approche plus générique pour résoudre un pro- blème en impliquant plusieurs façons de résoudre un problème et des discussions avec les élèves pour évaluer les solutions proposées. D’autres revues de la littérature sou- tiennent également l’efficacité de l’instruction explicite (par exemple, Chodura, Kuhn, & Holling, 2015 ; Ketterlin-Geller et al., 2008 ; Kroesbergen & Van Luit, 2003) et de l’utilisation d’heuristiques et de stratégies multiples (Kroesbergen & van Luit, 2002). Stevens, Rodgers et Powell (2017) ont récemment effectué une méta-analyse de 25 années d’intervention en mathématiques auprès d’élèves avec DAM de la quatrième à la douzième année scolaire. L’objectif était de déterminer les effets d’intervention en mathématiques sur les résultats des élèves. Ils ont constaté une extrême variabilité dans l’ampleur et la direction des effets, allant de – 0,66 à 4,65, avec une médiane de 0,71. Les effets moyens constatés étaient moins importants que ceux calculés dans les revues de littérature précédentes qui s’étaient centrées sur les interventions proposées aux élèves du primaire exclusivement (par exemple, Chodura et al., 2015 ; Gersten et al., 2009), ce qui suggère que les interventions chez les élèves avec DAM sont plus efficaces lorsque ceux-ci sont plus jeunes. En effet, les élèves plus âgés ont probablement plus de lacunes au niveau de leurs connaissances et plus de conceptions mathématiques erronées, compte tenu de la structure hiérarchique de l’enseignement des mathéma- tiques. En termes de contenu d’intervention, les résultats indiquent que les étudiants ne répondraient pas favorablement aux interventions ciblant un domaine de contenu spécifique alors que l’élève aurait des lacunes dans les connaissances préalables. Ma (1999) soutient également cette conclusion en affirmant que les idées fausses et les difficultés concomitantes des élèves en mathématiques résultent probablement de l’apprentissage de règles ou d’algorithmes en début d’apprentissage, qui ne sont pas précis ou qui ne sont pas étayés conceptuellement. En conséquence, elle a suggéré que les interventions mathématiques pour les élèves en difficulté devraient avoir une fonc- tion corrective et impliquer de réenseigner les concepts et les principes mathématiques 20
Les bases d’une intervention cognitive… fondamentaux. Par conséquent, il peut être utile d’élaborer des interventions portant sur des domaines variés partant du plus simple au plus complexe. Travailler de manière large, touchant plusieurs domaines, y compris revoir des choses plus basiques, permettra aux étudiants de pouvoir, par la suite, réaliser des tâches mathématiques plus avancées. En effet, des lacunes plus élémentaires empêchent certains élèves de pouvoir traiter correctement une série de problèmes, impliquant un raisonnement mathématique de niveau supérieur (Stevens, Rodgers, & Powell, 2018). Par exemple, résoudre une équation peut être impossible pour certains élèves, car ils ont des lacunes dans des connaissances relevant d’apprentissages antérieurs. Revoir ces apprentissages plus basiques leur permettra d’aller plus loin. 4. De la recherche à la pratique Dans la section précédente, nous avons vu que les instructions explicites, l’utilisa- tion d’heuristiques (approche davantage dirigée par l’enseignant) ainsi que de mul- tiples stratégies et des instructions conceptuelles (approche davantage orientée par les étudiants) semblent être les stratégies pédagogiques les plus efficaces pour les étudiants en DAM. Pour cette raison, nous porterons davantage notre attention sur les principes de (1) l’instruction explicite, (2) de l’utilisation d’heuristique et (3) sur l’instruction favorisant une flexibilité mathématique en incluant également les autres caractéristiques d’intervention invoquées, soit l’utilisation de représentations visuelles, l’utilisation d’exemples multiples, le fait de fournir des feedbacks ou une rétroaction continue et la possibilité d’un soutien apporté par des pairs. Nous décri- rons donc une approche pédagogique intégrant plusieurs stratégies pédagogiques, une compréhension approfondie des aspects conceptuels et une prise de décision en ce qui concerne la stratégie adaptée à chaque élève. Avant de passer à la description des différents types d’instructions fondées sur des preuves, nous souhaitons mentionner une des limites principales de ces études, selon notre point de vue. En effet, les chercheurs ont recruté les échantillons d’étudiants avec DAM, principalement en utilisant un test de performance mathématique, puis en sélectionnant les étudiants dont les scores se situaient sous un seuil déterminé. Pourtant, Murphy, Mazzocco, Hanich et Early (2007) ont constaté que les seuils couramment utilisés (percentiles 10 et 25) conduisaient à identifier des groupes d’élèves présentant des profils cognitifs différents. Par conséquent, l’hétérogénéité des participants dans ce type d’étude est une limite majeure à l’efficacité des interventions proposées aux étudiants avec DAM. En effet, une stratégie pédagogique donnée pourrait très bien être bénéfique pour un enfant avec DAM, mais ne pas nécessaire- ment être efficace pour un autre élève qui présenterait des forces et des faiblesses différentes en termes de compétences en mathématiques. Ainsi, en pratique clinique, les cliniciens ou les coaches doivent être conscients des différents besoins de chaque étudiant afin de leur fournir la pratique pédagogique la plus adaptée. Comme Ball, 21
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques Lubienski et Mewborn (2001) le prétendent, le bon enseignant en mathématiques est celui qui sait adapter son enseignement aux différents besoins des enfants, plus encore que celui qui a une solide expérience en mathématiques. Or, on sait que trop souvent, les enseignants des niveaux élémentaire et moyen ne sont pas suffisamment formés à la fois en ce qui concerne leurs propres connaissances en mathématiques, mais aussi en ce qui concerne la manière de les enseigner à leurs élèves (Ball, Hill, & Bass, 2005). Ceci est encore plus flagrant lorsque l’enseignant doit répondre aux besoins des étu- diants en DAM présentant des profils mathématiques hétérogènes. Par conséquent, un point-clé pour l’enseignant traditionnel, mais encore plus pour ceux qui travaillent avec des enfants en difficulté d’apprentissage (enseignants du spécialisé, cliniciens, coaches en mathématiques), est de savoir comment adapter leurs interventions aux élèves avec DAM avec lesquels ils travaillent et planifier le cours de leur intervention en tenant compte du profil mathématique de chaque étu- diant DAM. Après avoir expliqué les trois stratégies d’instruction (explicite, utilisa- tion de méthodes heuristiques, flexibilité mathématique), nous essaierons de relever ce défi en suggérant certaines pistes pour aider à la prise de décision sur la façon de planifier des interventions individuelles en sélectionnant des éléments de toutes les stratégies d’enseignement susmentionnées. Ce que nous proposons n’est pas de choi- sir exclusivement une stratégie pédagogique, mais de composer le cocktail d’inter- vention le mieux adapté au profil mathématique de chaque élève. Ainsi, bien que toutes les interventions contiennent les caractéristiques des trois stratégies (explicite, utilisation d’heuristiques, flexibilité mathématique), leur répar- tition différera suivant les différents profils mathématiques des élèves avec DAM. Ceci est dans la lignée des travaux de Fuchs et al. (2016), qui ont montré qu’une intervention combinant un enseignement explicite et de très bonnes explications avait permis d’améliorer la compréhension de contenus mathématiques, en particu- lier chez les étudiants ayant une mémoire de travail limitée. Pour décrire la stratégie pédagogique qui favoriserait différemment chacune de ses composantes sur la base du profil mathématique de chaque élève en DAM, nous introduirons le terme de stratégie d’intervention « Flexplicite » (flexible et explicite). Ainsi, nous décrirons d’abord en détail les principes de la stratégie d’intervention Flexplicite, puis nous formulerons des recommandations sur la manière de l’appliquer à des élèves avec DAM présentant des profils mathématiques différents. 4.1. Composants d’une stratégie d’intervention Flexplicite 4.1.1. Instruction explicite L’enseignement explicite est l’un des piliers de nombreux programmes de l’ensei- gnement spécial. C’est une pratique basée sur les preuves (evidenced-based) qui four- nit aux enseignants un cadre de travail concret et faisable pour dispenser un 22
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