Edward Hopper - Exposition au Grand Palais

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Edward Hopper - Exposition au Grand Palais
Edward Hopper – Exposition au
            Grand Palais

       Haut lieu culturel du paysage parisien, le Grand Palais
accueille du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013 (prolongé au 3
février 2013) une toute nouvelle exposition, itinérante, proposant aux
visiteurs de découvrir un artiste peu connu du grand public
européen : Edward Hopper. Artiste américain qui traversa allègrement
la première partie du siècle, il est aujourd’hui considéré comme une
figure emblématique de l’art américain.
Cette exposition produite par le commissaire Didier Ottinger,
intelligemment construite, nous propose de découvrir son œuvre de
façon chronologique en puisant d’abord dans ses sources, ses
fréquentations, ses voyages, pour cheminer jusqu’aux œuvres de la
maturité, plus connues. Le parcours est parsemé de salles annexes retraçant ses
travaux parallèles, à l’instar de la gravure et de l’aquarelle, qui font partie intégrante
de son évolution.

               Né en 1882, Hopper évolue dès son plus jeune âge dans un milieu
modeste. Initialement graveur, il part se former à la New York School of Art en 1900
et y rencontre plusieurs artistes qui ont participé à la création de son style. L’un des
plus influents à ses débuts est sans doute son professeur Robert Henri, qui lui a
donné le goût pour les représentations réalistes. Parmi les personnes qu’il rencontre
à cette époque, nombreux sont ceux qu’on assimile aujourd’hui à l’Ashcan School
(ou Ecole de la Poubelle), qui se sont attachés à peindre le quotidien des gens les
plus pauvres du milieu urbain.

                        Edward Hopper, Solitary Figure in a Theater, 1902-1904, Huile sur carton,
                             31,8 x 23,3 cm, New-York, Whitney Museum of American Art.

                       Dans cette peinture, on observe déjà son attrait pour les sujets
                       du quotidien, sa touche assez épaisse qui ne cherche pas à
                       traiter le détail mais l’atmosphère, la lumière (notamment
                       visible dans le travail sur l’ombre et la palette de gris
employée), et les personnages esseulé en proie au rêve. Tous ces points vont
constituer plus tard son style propre, et il est étonnant de rencontrer ces
caractéristiques dès les débuts du peintre. La première salle, dans laquelle cette toile
est exposée, retrace ses débuts dans la peinture, et met l’accent sur les influences
d’artistes comme Georges Bellows, lui aussi graveur à ses heures, ou Thomas
Edward Hopper - Exposition au Grand Palais
Eakins, sans oublier son professeur Robert Henri dont voici une œuvre,
contemporaine à celle d’Hopper.

Robert Henri, Self-Portrait, 1903, Huile sur toile, 80 x 67,6 cm, Lincoln, Sheldon Museum of
      Art.

On retrouve dans cette toile de Henri un certain intérêt pour la lumière,
jouant avec elle pour cacher, voire fondre, son propre portrait dans le fond
du tableau. Egalement, cette touche épaisse qu’on retrouve dans les
œuvres qu’Hopper produit à cette époque. L’autoportrait est par ailleurs un
thème qui intéresse l’artiste exposé, en tout cas dans un premier temps,
comme le montre cette toile, aux accents impressionnistes (Didier Ottinger).

Edward Hopper, Self-Portrait, vers 1904, Huile sur toile, 51 x 40,5 cm, Collections Thyssen-Bornemisza

La partie suivante de l’exposition s’intéresse aux voyages qu’il effectue à la fin des
années 1900 en Europe, et plus particulièrement à ceux qui le portent en France.
Trois dates sont mises en avant : 1906, 1909 et 1910. Sa sympathie pour la France
n’a cessé de croître au fil de ses séjours et Hopper se passionne sinon aux
paysages parisiens qu’il peint avec ferveur, au principal courant pictural de la fin du
XIXème siècle qui est à ces dates pleinement digéré : l’impressionnisme qui, dans
son optique de restitution de la lumière, correspond parfaitement à l’une des
problématiques de l’artiste. Plusieurs peintres vont le marquer dès son premier
voyage à Paris, à l’occasion du Salon d’Automne 1906 : Albert Marquet, Vallotton et
Degas.
Edgar Degas, Un Bureau de Coton à la Nouvelle-Orléans, 1873, Huile sur
      toile, 73 x 92 cm, Pau, musée des Beaux-Arts
Ce tableau de Degas (à gauche) est particulièrement
apprécié par Hopper lors de sa visite, il retient de ce style le
point de vue audacieux pris par le peintre et le sujet du
tableau, résolument moderne, pour le retranscrire
immédiatement dans son œuvre. On le trouve dans cette
toile (à droite) réalisée à Paris, représentant un escalier en
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colimaçon à l’intérieur                                   d’une composition rectiligne. La
fusion du motif et du                                     format accentue l’effet de verticalité
en incluant                                               simultanément une tension produite
par l’opposition entre                                    les courbes et les lignes multiples du
tableau.
Edward Hopper, Stairway                                   at 48 Rue de Lille, Paris, 1906, Huile sur bois,
     33 x 23,5 cm, New                                    York, Whitney Museum of American Art

Par ailleurs, c’est                               entre ces premières salles exigües
que se profile le tout                            premier espace, plus sombre mais
plus consacré aux                                 techniques parallèles
qu’Hopper emploie                                 dans son parcours
artistiques. Ici, il s’agit                       de l’illustration que
l’artiste pratique de                             1906 à 1924. Pour lui,
cette pratique est avant tout alimentaire, ses tableaux ne trouvant de
public, la seule œuvre qu’il réussit à vendre est Sailing, lors de la
fameuse Armory Show de 1913. On retrouve des échos iconographiques
à ces travaux dans les toiles postérieurs, puisque les images qu’on lui
commande sont avant tout des représentations de la vie quotidienne. Sa
francophilie transparait également dans des travaux qu’il conçoit hors
commande, illustrant des passages de l’œuvre de Victor Hugo.
Edward Hopper, Couverture illustrée de la revue The Morse Dry Dock Dial, 2 février 1919,
     New York, Morse Dry Dock and Repair Company, The Arthayer R. Sanborn Hopper
     Collection Trust
        En 1908, les œuvres de huit artistes américains sont présentées à la
Macbeth Gallery of New York. La critique nomme ce regroupement l’ « Ashcan
School », ou « groupe des Huit », du fait des sujets jugés triviaux que ces peintres
traitent. Hopper ne participe pas à cette première exposition mais se joint à ses amis
à son retour d’Europe en 1910, se convertissant à l’iconographie sociale prônée par
Robert Henri et ses compagnons.
Considéré comme l’un des premiers chefs d’œuvre de Hopper, Soir Bleu apparait
comme être, selon les termes de l’exposition, « son adieu à l’Europe qui l’a presque
exclusivement inspiré jusqu’alors ». En comparant cette toile avec l’Atelier du Peintre
de Gustave Courbet, le commissaire d’exposition montre bien en quoi le tableau est
une allégorie du statut de l’artiste au milieu de ses contemporains. D’une part la
bohème, les artistes qu’il fréquente, d’autre part les bourgeois, profiteurs symbolisés
par la figure du « maquereau ».
Edward Hopper - Exposition au Grand Palais
dward Hopper, Soir Bleu, 1914, Huile sur toile, 91,4 x 182,9 cm, New York, Whitney Museum of American
                                                        Art
Dans une Amérique qui cherche à s’émanciper du contrôle exercé par l’Europe et
plus particulièrement Paris, Hopper et ses compagnons tentent d’affirmer un art
national, qui ne subirait pas l’influence des centres artistiques extérieurs. Hopper
consacrera dans cette optique des textes à deux artistes, John Sloan (selon le
peintre, à l’origine « du premier mouvement (…) dans le développement d’une
conscience artistique nationale ») et Charles Burchfield (qui saurait « donner une
dimension épique à (…) la banalité »).
        Deuxième espace en retrait présentant les travaux parallèles à la peinture de
Hopper, la présente salle tente de retracer le parcours de graveur qu’il a effectué.
Encore une fois les murs restent sombres, bien qu’on passe d’une teinte bordeaux à
du vert qui renvoie mieux la lumière. La scénographie commence à s’éclairer pour
les visiteurs, dans tous les sens du terme. La volonté de M. Ottinger est de plus en
plus la luminosité des salles, d’aérer les espaces au fil de l’avancée qui se veut
chronologique, soulignant le dépouillement progressif qui a lieu dans l’art de
l’américain. Le spectateur serait placé selon lui dans une position de voyeur qu’on
retrouve dans les œuvres Hopper, en
multipliant les murs nus ; cette initiative, si elle
a le mérite d’être fondée, apparait peu
pertinente quand il faut en toute occasion jouer
des coudes pour avoir la possibilité de regarder
une toile, malgré l’espace et l’isolement des
œuvres.
La gravure qui s’étend de 1915 à 1928 dans la
carrière de Hopper a un rôle crucial dans son
art. Cette technique permet en effet de travailler
intensément sur la lumière, avec pour seul
appui la bichromie. Que cela soit dans le travail
sur les ombres (Night Shadows, à gauche) ou les reflets
métalliques (The Locomotive, à droite), l’artiste va puiser
dans ce médium à la jonction entre l’illustration et la peinture pour opérer peu à peu
la transition entre les deux. La composition très rigoureuse de certaines gravures
traitant de l’architecture a induit les historiens de l’art à le comparé à Mondrian.
Dans cette attirance pour l’architecture, il faut aussi inclure l’influence d’Eugène Atget
sur Hopper. Ses photographies ont un but avant tout documentaire, mais l’artiste
américain reste fasciné par ces vues de quartiers voués à la démolition. Autre
producteur de cliché, Mathew Brady participera lui au
développement de la thématique socialo-nationale de Hopper, à
travers un livre illustrant la guerre de sécession, qu'il obtient en
1938.
Eugène Atget, Maison habitée par Molière, 16, rue de l’Ave-Maria, et 6, rue des
     Jardins, 1901, Tirage argentique, Paris, Département des Estampes et de
     la Photographie, Bibliothèque nationale de France

        C’est au cours d’un séjour à Gloucester durant l’été
1923 que Hopper débute sa pratique de l’aquarelle. A l’inverse
de ses contemporains, il ne s’intéresse pas aux bateaux qui y
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posent l’ancre, mais aux bâtiments. Encore une fois, ce médium est très important
                                                dans la carrière de l’artiste, puisqu’il
                                                s’agit à nouveau de jouer sur les effets
de                                              la lumière, cette fois en couleur,
                                                permis par la technique de l’aquarelle.
                                                L’exposition de cette production au
                                                Brooklyn Museum of art est un franc-
                                                succès en 1923, et l’institution fait
                                                l’acquisition d’une des œuvres,
                                                première à intégrer une collection
                                                publique en Amérique. S’en suivra une
                                                très bonne vente à l’automne 1924 qui
lui                                             permettra d’abandonner son activité
                                                d’illustrateur commercial.
La                                                                             salle qui
                                                                               s’ouvre sur
les aquarelles précédentes est                                                 clairement
plus lumineuse, en lien sans                                                   doute avec
la nouvelle décision de Hopper.                                                Ici sont
présentées des toiles plus                                                     connu du
publique, peintes à l’huile entre                                              1925 et
1929, reprenant déjà les motifs                                                qui feront
plus tard son succès. On                                                       retrouve
surtout son attrait pour le                                                    cadrage,
qui a même inspiré de grands
réalisateurs, à l’instar
d’Hitchcock qui extrait de la toile House by the Railroad une de ses plus célèbres
maisons, véritable protagoniste de Psychose.
Edward Hopper, House by the Railroad, 1925, Huile sur toile, 61 x 73,7 cm, New York, The Museum of
     Modern Art (ci-dessus)
     Vue de la maison utilisée par Hitchcock pour son film Psychose (à gauche)

Une rupture due aux exigences d’espaces d’exposition est nécessaire pour pouvoir
poursuivre la visite. Si cet élément n’est pas voulu par les organisateurs de
l’exposition, il permet de reprendre son souffle après la traversée presque
oppressante des premières salles, bondées de monde.
        L’affiche à partir de la descente des marches est bien plus aérée, et il est plus
aisé de se déplacer pour observer les
toiles qui appartiennent toujours à
l’espace chronologique 1925-1928. Les
préoccupations sont encore les mêmes,                                                                et
le travail de Hopper s’oriente nettement
sur la lumière et l’atmosphère qu’elle
permet de rendre. Tout type de tableau
peut-être un prétexte à cette recherche,
pourvu qu’il rappelle l’univers américain
dans lequel évolue le peintre. Ainsi, il
s’illustre autant dans les scènes
d’intérieurs sobres que dans le paysage
aux accents romantiques évoquant la conquête des terres sauvages et désertes.
Edward Hopper - Exposition au Grand Palais
Edward Hopper, Railroad Sunset, 1929, Huile sur toile, 74,3 x 121,9 cm, New York, Whitney Museum of
     American Art

Une nouvelle salle annexe présente la deuxième série d’aquarelles que Hopper
réalise entre 1926 et 1941. Son dernier périple le conduit en Mexique, en 1943, et
signe la fin de sa production d’aquarelle, qui selon lui ne corresponde plus à sa façon
de travailler, allant plus loin dans l’introspection, et ne s’appuyant plus sur le motif.
La deuxième partie de cette espace comprend les huiles réalisées entre 1937 et
1949. Elles témoignent de l’avancée de ses travaux sur la lumière, et l’esthétique se
rapproche de plus en plus de ce qui fera le trait caractéristique du dernier style de
l’artiste. Il se concentre visiblement sur les scènes d’intérieurs et les paysages
urbains,
        La dernière salle intermédiaire, qui renoue avec l’obscurité des débuts, nous
présente le travail de Philip-Lorca diCorcia, un artiste contemporain qui permet de
souligner l’impact de l’œuvre de Hopper sur les générations suivantes. Un diaporama
(qui justifie ce retour à l’obscurité, en même tant que le thème de l’oeuvre) présente
des portraits de prostitués de Los Angeles, entre
1990 et 1992. Ces travaux, s’inscrivent dans la
droite lignée de Hopper par l’important travail sur la
lumière, la position de voyeur mais aussi le thème
social qu’il sous-tend, à la lumière d’un contexte de
forte homophobie et de moral raffermie,
Plusieurs chefs d’œuvre se succèdent dans la salle
finale, rassemblant les toiles réalisées entre 1947 et
1966, et témoignent d’aspects annexes mais
intéressants. Sa femme, Joséphine voulait être son
seul modèle, et refusait d'être être représentée âgée.
Ses caprices sont ainsi exhaussés dans Morning Sun, tableau dans lequel
transparait la mélancolie caractéristique de Hopper et son rapport à la lumière.
Edward Hopper - Exposition au Grand Palais
Edward Hopper, Morning Sun, 1952, Huile sur toile, 71,4 x 101,9 cm, Columbus (Ohio), Columbus
     Museum of Art
La mouvance sociale dans laquelle s’est toujours inscrit
Hopper a bien failli lui faire du tort, durant les années de
Chasse aux Sorcières instiguées par le Maccarthisme. Les
commanditaires du tableau Conference at Night ont même
refusé de prendre la toile pour y avoir vu quelque réunion
communiste, la scène se passant les nuits et présentant des
personnages aux visages couverts, paraissant comploter.
Edward Hopper, Conference at Night, 1949, Huile sur toile, 71,8 x 102,4
     cm, Wichita Art Museum, Roland P. Murdock Collection.

       Victime de son succès, et sans doute de sa large médiatisation, le principal
inconvénient de la rétrospective réside dans sa très grande fréquentation : des
réservations complètes peu de temps après leur mise en ligne, un nombre important
de personnes dans les salles et des files d’attente pour visiteurs sans billets qui
peuvent atteindre plus de quatre heures. Elle reste pourtant une des expositions les
plus importantes cette année, et bien que des erreurs muséographiques telles que
les cartels incomplets (absence des dimensions et de la technique) soient
aberrantes, la rareté des œuvres de Hopper en Europe permet de découvrir un autre
pan de l’art américain, qui reste associé à l’expressionnisme abstrait des années 50.
La peinture de l’artiste est à n’en pas douter influencée par l’art impressionniste
européen, mais les différentes expériences annexes par lesquelles Hopper est
passé, telles la gravure ou l’illustration, lui ont permis d’acquérir son style propre,
caractérisé par un traitement intense de la lumière et de la mélancolie, Le Grand
Palais et Didier Ottinger ont réussi le pari de rendre la visite ludique et pédagogique,
ouvrant de nouvelles perspectives concernant un artiste, à l’inverse de la
rétrospective Dali visible à Pompidou en parallèle, qui n’atteint pas l’intelligence
scénographique à laquelle devrait aujourd’hui aspirer tout évènement culturel phare.
Edward Hopper - Exposition au Grand Palais Edward Hopper - Exposition au Grand Palais Edward Hopper - Exposition au Grand Palais
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