ENTRE EUPHORIE ET DYSPHORIE : LE GENRE AMBIGÜ DANS LES CONTES MASSA DU CAMEROUN DE PAUL SAMSIA - No 19, octobre 2021
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Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 ENTRE EUPHORIE ET DYSPHORIE : LE GENRE AMBIGÜ DANS LES CONTES MASSA DU CAMEROUN DE PAUL SAMSIA Cécile DOLISANE-EBOSSE dolisanececile@yahoo.fr Université de Yaoundé1 Tel 237699610837 Résumé L’imaginaire du conte qui se veut un espace et une temporalité d’émerveillement épouse également les contours de la société à laquelle il appartient. C’est dire que le croisement effectué autour de l’image de la femme retracée par Paul Samsia dans les contes Massa du Cameroun, reste biaisé et contrasté. Cette représentation montre la place centrale que la gent féminine occupe comme permanence et garante des valeurs traditionnelles en tant que mère et épouse mais paradoxalement, elle est aussi une source de conflits à cause de son côté frivole avec ses mœurs légères. Cette infidélité récurrente laisse entrevoir une certaine ambiguïté dans ses rapports avec le sexe opposé, faits d’attirance et de suspicion à la fois. En clair, cette recherche qui s’inscrit dans une approche socio- anthropologique, se propose d’être une relecture critique de ces contes dans une perspective genre. Mots-clés: dysphorie, euphorie, genre, conte, massa. Introduction L’interculturalité qui motive l’élaboration des contes massa vient à point nommé, prolonger et illustrer ces combats de la liberté par le biais de la résistance culturelle. En effet, il y a 136
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 dans cette démarche une volonté de rapprocher les peuples par une connaissance mutuelle afin de sortir des fonds baptismaux, un vaste héritage qui a une dimension académique, c’est- à- dire intelligible, heuristique et épistémologique et non un simple folklore, résidu de la vision coloniale. Cette créativité est donc pluridimensionnelle, car elle comporte des enjeux politicoidéologiques diffus surmontés des défis culturels et éthiques, le conte devenant par là même, une archive et une trace mémorielle en cette ère de globalisation où les cultures minorées sont en perdition. Le choix de la transcription de cette manne orale n’est pas anodin, il veut rendre cette trace mobile, la décloisonner pour l’inscrire dans la multi spatialité et dans plusieurs temporalités. Réécrit, il n’est plus figé dans sa communauté d’origine, il devient un dialogue transculturel, interdisciplinaire, une poétique en circulation, donc, en communication avec d’autres cultures sous un mode d’échanges des altérités. Par ailleurs, l’analyse critique du conte nous dit Mohamadou Kane dans « le conte d’Amadou Koumba : du conte traditionnel au conte moderne » et relayée par le canadien Fernando Lambert dans « un leader de la critique africaine, Mohamadou Kane » (Lambert, 64) exige une vaste culture. Il faut être doté d’une sensibilité aux valeurs esthétiques et dans le cas d’espèce, l’étude du conte requiert les modèles de la tradition doublée de l’histoire littéraire africaine. Le conte s’avère être une spécificité de la culture et de la création littéraire négro-africaine. Étant donc lui-même Massa, donc appartenant au lieu d’éclosion de ces parémies, l’auteur a pu récolter 41 contes dont le choix, la pertinence et les motivations devraient être laissés à sa propre subjectivité. Mais nous notons, d’ores et déjà, que l’auteur a voulu, dans l’ordonnancement holistique de la parole totalisante de 137
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 l’esthétique négro-africaine, respecter cette notion de symbiose entre tous les êtres vivants, animés ou non animés ; le sacré et le profane, ce mélange et harmonie des contraires qui affichent une interdépendance des éléments de la nature à l’instar du conte n°36 et 40 « la guenon et le femme enceinte » ou « les filles difficiles, le lion et le naja ». Il crée alors des passerelles entre les animaux et les humains, ces éléments qui se veulent unité et disharmonieux à la fois. Si l’on s’en tient à la démarche hiérophanique de Mircea Eliade additionnée de la fusion entre le sacré et le profane chez Roger Caillois avec le conte n°23 « Dieu et les hommes » ou encore le n°24 « Dieu, la lune, le caméléon, les hommes, et la mort », l’on remarque aisément une conjugaison et fusion de toutes les forces de l’univers. Il faut aussi reconnaitre que plusieurs chercheurs africains et africanistes se sont intéressés aux contes en général, en l’occurrence, les ténors du conte africain comme Lylian Kesteloot et Bassirou Dieng, Denise Paule et Geneviève Calame-Griaule dans les contes Dogons du Mali et surtout de l’image de la femme dans le conte africain en particulier, à l’exemple des travaux de Marie- José Tubiana sur les femmes du Tchad et du soudan (les contes Zaghawa), de la néerlandaise Mineke Schipper- de- Leuw sur les femmes dans les proverbes africains, du groupe de chercheurs sur les traditions orales africaines : LLACAN et de L’INALCO à Paris ainsi que les travaux de l’oraliste camerounaise Manouere Koletou sur les berceuses. Mais ce qui exige plus d’acuité dans ce cas de figure, c’est la femme du sahel qui retient de plus en plus l’attention des écrivains et des chercheurs en ce moment avec l’éclosion manifeste de la romancière peule du Cameroun, Djaili Amadou Amal et son célèbre roman les Impatientes et couronnée par ses nombreux 138
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 prix parmi lesquels, le plus prestigieux Goncourt des lycéens. Autrement dit, il ya une méconnaissance criarde des us et coutumes du Cameroun septentrional et partant, de la femme du sahel par les peuples du sud de ce pays. De la sorte, cette créativité mémorielle, s’il est encore besoin de le rappeler, est bienvenue pour mettre en exergue la portée culturelle, philosophique, religieuse et morale à partir des points d’ancrage de l’identité- racine des massa. C’est donc du dévoilement du substrat culturel qu’il s’agit ici. Mais, face à cette pléthore de contes qui touchent la vie quotidienne des hommes et des femmes de cette contrée, ce qui nous intéresse au plus haut point, c’est les rapports sociaux des deux genres, c’est-à-dire, les rôles sociaux que la société massa hautement patriarcale et dès lors, andocentrée réserve à la gent féminine par rapport au sexe dit fort. Or, dans ces situations de superpositions des substrats historiques, la question qui nous taraude l’esprit est de savoir si ce prolongement du conte traditionnel transformé en conte moderne, donc transcrit, n’a pas altéré, par l’érosion du temps, sa sémantème plénière ? Autrement dit, dans cette représentation des genres dans ces sociétés millénaristes, l’image de la femme n’a-t-elle pas subi, dans la lecture du conte rénové, des déviances scripturaires, voire un travestissement teinté de relents idéologiques, provoqué par la pénétration européenne et son modèle jacobin? Pour une meilleure compréhension de notre étude, nous divisons notre argumentation en trois axes. D’abord, la présentation des contes ayant trait à la femme dans ses relations avec l’homme. Ensuite, la perception que l’homme a de la femme dans ces contes et enfin, la relecture critique des fonctions sociales et morales essentialistes accolée aux femmes en vue d’un changement de paradigme. 139
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 Le système androgynique de la société précoloniale méconnu ou occulté D’entrée de jeu, l’auteur nous apprend, dans son introduction que dans les 41 contes que comptent ce recueil, 20 sont déclamés par les femmes et souvent jeunes et 21 par les hommes. Ce qui connote un paradigme androgyne dans l’Afrique postcoloniale. Cette complémentarité est illustrée à travers la performance du conte massa. C’est dire que la parole du conte est bien genrée du moins en termes de déclamation, mais si l’on s’en réfère à la photo de la première de couverture, on voit un vieillard, symbole évident de sagesse en Afrique selon les lois patriarcales, deux cases et un arbre. Il est assis sous le baobab avec sa Kora et l’on ne présente pas une femme pour l’accompagner. Il ya ici manifestement des velléités de minorer la femme, de la rendre invisible dans cet exercice de détente, de morale et d’éthique. Pourtant, c’est elle qui éduque et initie l’enfant qu’elle materne. De la sorte, il ya une certaine dissymétrie dans la représentation visuelle. Or, il est plausible que l’image ait une puissante portée interprétative qui projette le subconscient et parfois, l’inconscient collectif. Notre rôle ici dans une optique féministe est de revisiter et de s’insurger contre la stigmatisation et l’occultation des rôles féminins. Ensuite, l’équité entre les genres est perceptible chez ceux que Claude Levi- Strauss appelle dans les structures élémentaires de la parenté « les cadets sociaux » (Levi, c’est- àdire les femmes et les enfants. En effet, dans la dizaine de contes (12) qui s’inscrivent dans les rapports sociaux de sexe, seul le dernier « le cadet qui allait à l’école » n° 41 (p115) traduit l’équité entre les genres. En fait, la scolarisation, 140
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 voire, la transmission de la connaissance est d’abord réservée aux aînés qui ont droit à tous les privilèges dans la mesure où la stratification sociale sur le plan anthropologique veut que les jeunes et les femmes soient considérés comme des cadets sociaux, donc se situant à la périphérie, c’est-à-dire, au bas de l’échelle dans la hiérarchie sociale. En inculquant le savoir aux invisibles, cela signifie qu’on reconnait son futur rôle dans la société et par conséquent, qu’il ya une certaine évolution. Plus encore, celle qui transmet ces connaissances est une initiée, une maîtresse. Le rôle traditionnel d’éducatrice de cette dernière, comme véhicule des valeurs pérennes, est prolongé et magnifié. En montrant le pouvoir éducationnel de la femme, on dévoile également son talent. Il y a là, des velléités d’une revalorisation des deux entités considérées comme des subalternes dans une société phallique aux normes rigides. La représentation masculine de la femme dans les contes Il faut reconnaitre que le nombre de contes où la femme est décrite au cœur de l’action est une portion congrue sur les 41 contes de ce livre, on relève seulement 12 qui intègrent ouvertement le genre humain et non les métamorphoses homme-animal. C’est dire l’absence sociale de la femme dans ces contes. En outre, la prééminence de la lecture patriarcale s’observe aisément dans la classification des contes massa par la symbolique et la formulation des titres de ces contes qui sont assez évocateurs sans oublier l’obsessionnelle présence parentale et surtout la loi des pères pour le contrôle du corps féminin. Il s’agit du conte 6 « le père, la jeune fille et ses prétendants » (30), « le vagin qui communique no10 (39), « tromper un mari jaloux » n°18 (56), « la femme infidèle et ses coépouses » n°19 (65), « Kolum Mari » n°20 (67), « la fille, son 141
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 mari et le marabout » n°29 (89), « le père et ses deux filles » n°30 (91), « Déré la plus belle » n°33 (94), « la guenon et la femme enceinte » n°36 (107), « Kaya l’orpheline » n°82 (27) son côté rebelle, « les filles difficiles et le Naja » n°40 (113), en tout 11 contes ayant ciblé et axé sur l’éducation traditionnelle et les pesanteurs socio culturelles, notamment sa sexualité débridée, en un mot, ses mœurs légères. Le personnage féminin représente aussi la victime, aux habitudes du malheur, en l’occurrence, l’orpheline et la veuve. Ces dernières sont considérées comme d’éternelles victimes impuissantes. Infortunées, elles subissent et incarnent les souffrances féminines. Cette vulnérabilité et fragilité féminines dues au sexe dit faible décrété par la convention patriarcale connote également sa misère, et partant de là, la place qui lui est réservée. Bref, l’orpheline met à nu le destin tragique de la femme traditionnelle. En effet, avec l’autoritarisme parental illustré à travers l’exploitation et la prévarication durant la dot et tous les pourparlers du mariage, se dévoilent par le mutisme et le silence au féminin. En effet, la fille n’a pas de parole, seul le père décide. Par cet épisode de 9 bœufs qui se transforment en 27, on remarque aisément qu’elle est exploitée à travers la capitalisation des prétendants sur la tête de la jeune fille. Ce qui rappelle à n’en pas douter les témoignages de Marie- José Tubiana dans son essai, Des troupeaux et des femmes. Il se dégage un profit grâce à la femme moulée dans un système phallocratique qui chosifie cette dernière. Le narrateur nous fait savoir que son épouse était une interlocutrice privilégiée, cette conseillère de proximité qui lui dit d’attendre encore le miracle pour conserver ses 27 bœufs. Si par ricochet, on relève une certaine complémentarité et même une complicité des deux genres, on reconnait aussi que ces avoirs profitent 142
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 d’abord au mari, c’est-à-dire au père de la fille, car le mariage sert au transfert de biens pour ce dernier. Avec la construction ou la convention culturelle, la fille soumise et respectueuse reçoit toutes les bénédictions alors que l’indocile est associée soit à l’âne soit à un chien. La structure patriarcale se montre atavique, naturelle et essentialiste, elle n’obéit qu’à ses propres codes qui se reposent sur la violence et la fatalité, voire au destin. Le corps de la femme accaparé par le pouvoir phallique, reste une propriété masculine. Elle doit obéir aux normes de la tradition rigide, car c’est lui qui la marie et par conséquent, contrôle sa sexualité, d’où l’apologie de l’éternel féminin, c’est-à-dire, sa beauté physique. De même, l’attitude effacée de la jeunée fille rangée se traduit par une obséquiosité envers l’homme et sa soumission aveugle à ses parents. En exhibant « le vagin qui communique », le sexe féminin, devient le lieu de tous les fantasmes masculins. Cette hégémonie masculine exemplifiée par la loi du patriarcat, se manifeste dans ces contes par des préjugés dysphoriques comme « Kulom mari » où la femme est naturellement infidèle. Donc, un mari doit afficher la tempérance d’une part, se garder d’être jaloux d’autre part. Le corps féminin est un temple doit être sacrée et une propriété de l’homme. En exil et en prison dans son propre corps, elle doit protéger son sexe, son intimité qui ne doit appartenir qu’à son mari. Un regard misogyne d’un conte qui ne va pas sans nous rappeler celui de Francis Bebey tiré de son roman le roi Albert d’Effidi doublé d’un proverbe tout aussi provocateur en la matière, « la femme est comme une route, il ne faut jamais se préoccuper de ceux qui y sont passés avant ni même après et même….pendant !!!» (158) 143
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 Le catéchiste, le vieux Bélobo considère la femme comme une diablesse, il ne faut lui faire entièrement confiance. Ce qui fait d’elle un traitre et un être insatiable et les histoires des femmes infidèles s’observent dans les comptines avec des réactions imprévisibles et enfantines, un vrai décor. Voici la plaisanterie qui laisse planer une certaine misogynie dans la fiction de Bebey. L’enfant étant dans le ventre de la mère que Satan rôde autour. Or voici que la mère se rend au marché, à la ville (…). Elle aime les robes, les beaux foulards, (…) Mais l’argent pour acheter toutes ces choses-là, où est-il? N’oublies pas que Satan ne guette que de pareils moments, il murmure à l’oreille de la femme :» Si tu veux ce foulard, essaie donc de satisfaire le vendeur! Si tu veux cette robe qui te fait tant envie, essaie donc de satisfaire le vendeur, et tu verras, la robe sera à toi…(167-8) Au demeurant, dans l’herméneutique de ces contes, la beauté féminine peut être un piège puisqu’elle aime la précipitation et peut être stupide, car facile à manœuvrer lorsque l’homme a un butin. De ce fait, l’image de la femme de F. Bebey n’est pas très éloignée du personnage de Déré la belle chez les massa, mais cette beauté ensorcelante et son amour est éphémère. En conséquence de quoi, il ne faut guère se fier ou s’attacher à la femme volatile et volage. C’est la femme disgracieuse qui va de la femme puérile à la femme marchandise ; de la femme tentation à la femme objet. En clair, ces préjugés tournent, au premier chef, autour de son sexe comme une sorcière, une diablesse (Dolisane, 8). C’est dire que Déré la plus belle qui fouine dans le lieu tabou : le sexe et disparait sans pouvoir être cernée. 144
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 Enfin, elles se montrent ingrates envers les hommes qui apparaissent comme leurs bienfaiteurs et sont punies par le sort si elles s’écartent de la norme. Dans le conte n°29 « la fille, son mari et le marabout » une jeune fille tomba dans le puits et fut sauvé par un homme mais peu après, elle s’enfuit et se maria à un autre. Dans cette relation, elle n’arrivait pas à concevoir. Elle consulta dès lors un marabout qui lui révéla que pour obtenir ce précieux sésame qu’est la maternité pour une femme mariée, elle avait intérêt à retourner chez l’homme qui lui avait sauvé la vie. Autrement dit, la femme n’est pas reconnaissante mais plutôt opportuniste. Ici, le désir et l’opinion féminins ne comptent guère. De ce fait, elle est dont affublée d’interdits. Par exemple, les enfants nés hors mariages sont synonymes d’abomination et de déshonneur pour la famille. En tout état de cause, ce portrait féminin croit à la fatalité, à la justice immanente, aux forces de l’univers, aux vertus cardinales et thaumaturgiques. Regards croisés et conflits diffus de genres dans la société massa Les hommes sont férus de stratagèmes pour piéger leurs épouses avec une place prépondérante pour l’apparence. Elles sont toutes belles avec un penchant pour l’infidélité « la fille déraisonne ou quoi ? ». Il s’impose en tant que mâle et de l’autre côté, cette puissance écrasante la traumatise. Ainsi tétanisée et incapable de s’opposer à la gent masculine, elle courbe l’échine. Au regard viril, s’oppose une victime résignée qui ne se préoccupe que des soins de beauté pour améliorer son aspect extérieur, mieux sauver les apparences. De la sorte, sa révolte est muette et passive, d’où les pleurs et lamentations, illustrés à travers les chansonnettes p60. Elle ne vit que de la ruse, de la tactique à cause des pesanteurs socio-psychologiques générées par les siècles du patriarcat, 145
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 elle est sous le charme et sous la coupole de ce dernier. Finalement, elle est prête à tout pour atteindre ses objectifs, à savoir séduire un homme. Elle est la permanence et celle qui perpétue la descendance par le biais du mariage. C’est elle qui consolide le pouvoir du phallus. Les contes évoqués dans le cas d’espèce affichent inlassablement une prééminence de la généalogie, de la virilité masculine et de la maternité. La femme devient alors une machine à procréer dans la mesure où elle n’est rien sans enfant, la société ne lui reconnaissant que le statut d’épouse et de mère. Donc pour avoir une existence et de la considération, elle a l’obligation de satisfaire son mari au point qu’elle va jusqu’à se prostituer pour lui offrir une progéniture, l’impuissance et l’infécondité n’étant aucunement tolérées dans cet univers ou l’homme ne doit pas se sentir humilié. A partir du conditionnement social, lorsque le mari est défaillant sexuellement, il doit impérativement être couvert ou masquée par sa femme. Elle s’inscrit, pour reprendre la théoricienne du genre Judith Butler dans la généalogie qui est une nature et qui devient une culture par le biais de la convention sociale, et partant, des normes sociétales symbolico-idéologiques taillées à la mesure de l’institution patriarcale. Au reste, l’absence d’identité sexuelle et féminine y est criarde. La femme du conte, en l’occurrence, dans "la femme infidèle et ses coépouses", est une vraie marionnette entre les mains des hommes qui la manipulent à sa guise. Sous la pression du système phallocratique, elle préfère masquer les manquements et les infortunes de son mari en transgressant le tabou sexuel pourtant érigé par le patriarcat. Cette une déviance tant décriée par la tradition mais lorsqu’elle sert les intérêts du masculin, c’est- à- dire rehausse son image pour 146
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 ne pas dire sauve son honneur. Elle doit se surpasser, concéder et bafouer sa propre dignité pour protéger son mari, synonyme de son Dieu. « Elle était consciente de la situation de son mari et savait ce qu’on attendait d’elle. Elle devait alors l’honneur de son mari, et par celle de la famille. Elle gagna alors en confiance et en considération » (Samsia, 65). L’on perçoit que les pesanteurs traditionnelles dans ces conditions peuvent créer une instabilité psychologique, car mis sur un piédestal, la femme mariée peut entretenir les relations coupables en toute impunité quand l’honneur du mari est en jeu. C’est dire qu’il ya une sacralité de la maternité et par ricochet, du mari. Il ya là, à n’en pas douter, une déification de l’homme. En fin de compte, la femme vit avec des stigmates culturels. L’on décrit en toute simplicité, le sort de la femme, celui les orphelines maltraitées par leurs marâtres et qui sont par la suite, vengées par le sort et le destin. Par conséquent, l’action féminine est quasi inexistante, elles attendent le cours du destin. En somme, toutes ces femmes du conte vivent avec leurs maris, cette institution sacrée et adulée est au centre de la vie quotidienne de ces personnages. Elles tournent autour de leurs activités routinières et domestiques. Elles n’ont aucune identité propre et n’existent que par rapport à leurs protecteurs. Toutefois, il faut nuancer cette image affichée par rapport aux réalités factuelles. Certains personnages féminins laissent deviner une révolte diffuse à l’instar du comportement de Déré qui ne s’accroche guère à un homme. En d’autres termes, elle ne veut pas faire de son corps, une propriété masculine. Cette fuite ou cette manière de se volatiliser à chaque instant n’est pas fortuite. C’est une quête de la liberté, des velléités d’avoir une chambre à soi, sa vie 147
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 ne devant pas automatiquement être contrôlée par la société phallique. Il en est de même pour la sexualité débridée de Kolum Mari. Ces portraits fort ambigus et contrastés prouvent qu’on sort de la binarité réductrice calquée sur le paradigme eurocentriste pour une réalité bien plus complexe, car l’on décèle qu’elle pouvait aussi se montrer récalcitrante tout en restant digne. Par exemple, la fille compliquée peut également s’interpréter comme le rejet de l’asphyxie d’un père omniprésent et encombrant car le rôle de la littérature, c’est aussi de forger des utopies à partir de ces hétérotopies successives et enchâssées. Malheureusement, les idéaux du patriarcat s’accompagnent le plus souvent de la ritualisation en exacerbant les pouvoirs magico- religieux pour effectuer un lavage de cerveau et insuffler la peur par la manipulation. Au final, grâce à ces contes massa, l’on peut déduire sans ambages que ces luttes féminines se sont amorcées timidement depuis belle lurette, justifiées à travers les mariages forcés et sans amour qui finissent tragiquement, sa posture reste, par conséquent très ambiguë, oscillant entre l’euphorie et la dysphorie. Autrement dit, une telle démarche heuristique en appelle à une profonde analyse socio- pragmatique de ces contes, car ils nous cachent à peine d’autres pistes qui pourraient être fécondes et probantes pour les jeunes chercheurs. C’est en ce sens que le conte ancré dans son contexte culturel devient, de manière globale, une vaste contribution à l’élaboration théorique de genre africain ajoutée à un discours différencié. Il faut, pour une remise en question des déséquilibres hommes/femmes, les études du genre, cellesci dans une optique déconstructive et différencialiste ont pour objectif de perturber l’autorité masculine encore très poignant et prégnant dans cet univers. 148
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 De ce fait, la présence des femmes rebelles et libertines qui ont des amants et la fille qui ne se montre guère généreuse envers son père laissent présager des velléités d’affranchissement dans ces fictions. C’est dire que la critique féministe doit semer le doute en troublant les rapports sociaux de genre par les personnages insurrectionnels et insurgés comme la femme infidèle et celle qui ne supporte pas l’omniprésence du père parasite qui se fait entretenir par ses filles. En effet, les femmes étant en terre hostile et ostraciste, elles peuvent aussi prendre le courage de repousser leurs prétendants. Ce qui bat en brèche l’idée selon laquelle la femme ne saurait résister aux avances masculines dans la société traditionnelle ; donne renforcée par le paradigme occidental de la perception féminine ayant créé des amalgames et contribuant ainsi à dévoyer l’image réelle de la femme africaine. Conclusion Pour clore cette étude, nous dirons, dans une perspective genre et socio- anthropologique, qu’il ya des homologies entre les faits imaginaires du conte massa et la réalité palpable. En d’autres termes, ce conte nous a permis de trouver des interactions entre les productions littéraires dans leurs particularités socioculturelles, la circulation de ces textes oraux et l’intertextualité. De par les pratiques langagières, les modes d’expression et les modalités linguistiques, on peut déduire que ces personnages ne sont en fin de compte que le reflet de la société réelle depuis les temps immémoriaux et c’est dans cette orchestration et cohérence qu’ils trouvent leurs fonctions et leurs sens. En effet, le genre féminin insiste sur son apparence physique pour pouvoir se faire remarquer et enfin exister. Dans cette vie par procuration, la femme se définit par sa beauté 149
Revue de l’Association nigériane des enseignants universitaires de français (RANEUF) No 19, octobre 2021 ISSN : 978-059-704-2 physique, le mariage et sa capacité à procréer. Sauf que la beauté féminine est ambiguë et contrastée, elle est attirance et suspicion à la fois parce qu’évasive et poreuse dans le système patriarcal. C’est une pure vue de l’esprit. Dans la jeunesse, elle est un vrai charme, une diva recherchée par tous et par la suite, elle est abandonnée à son sort ou au destin lorsqu’elle est veuve ou orpheline. Les visages de femmes ici présentent une multitude de facettes, ils ne sauraient être unipolaires même si l’angle dominant reste l’éternel féminin et la confiscation du corps féminin. Mais certains d’entre eux sont récalcitrants et rebelles. Malgré le fait que cette révolte est douce, l’on reconnait des prégnances d’indépendance par ces échappatoires et leur libertinage. Cette sonnette d’alarme est une interpellation. Elle signifie qu’il faut alors sortir de ces pesanteurs socio- culturelles qui ont des répercussions socio- psychologiques et encourager l’éducation de la jeune fille afin que progressivement, elle participe activement au devenir de la nation en tant que citoyenne à part entière au lieu de l’étouffer, car comme disait Mariama Bâ dans une si longue lettre, cette éducation féminine est déterminante pour l’avenir de la nation (163). Œuvres citées Bâ Mariama. Une si longue lettre. Dakar NEA 1979. Print. Bebey Francis, Le roi Albert d’Effidi, Yaoundé : CLE, 1976. Print. Butler, Judith. Défaire le genre. Paris, Amsterdam, 2006. De Leuw, Mineke Schipper. Sources of all evil: African proverbs and saying on Women. London: Allison and Busby, 1991. Print. 150
Cécile DOLISANE-EBOSSE RANEUF- No 19, octobre 2021 Pp.136-151 http://dx.doi.org/10.17613/47kx-k417 Dolisane-Ebosse, Cécile. «L’ambiguïté du portait féminin dans le roman camerounais» in Women in French. n° spécial, 2003. 1 - 10. Print. Kesteloot, Lylian et Bassirou Dieng. Contes et mythes Wolof. Tome 1et2, Paris ; L’harmattan, 1983. Print. Lambert, Fernando. « Un leader de la critique africaine, Mohamadou Kane » in Études françaises. Vol. 37, n° 2, 2001. 63 - 77. Print. Levi- Strauss, Claude. Les structures élémentaires de la parenté. Paris, Haye : Mouton, 1967. Print. Manouere-Koletou, Blandine. Maternité et destin de femmes dans les contes du Cameroun. Éditions Universitaires d’Europe, 2015. Print. Samsia, Paul, Les contes Massa du Cameroun. Yaoundé : D et L, 2019. Print. Tubiana, Marie- José. Femmes du Sahel. Paris : SEPIA, 1994. Print. ---. Des troupeaux et des femmes. Paris : l’harmattan, 2000. Print. ---. Contes Zaghawa du Tchad et du Soudan. Paris : L’harmattan, 2003. Print. 151
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