Epilepsie et psychose - Supplement à Neurone 2016; Vol 21 (N 6) - Mental Health Sciences
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Supplement à Neurone 2016; Vol 21 (N° 6) 2015-2016 Epilepsie et psychose. M. Desseilles, A. Masson, A. De Nayer, M.-A. Domken, B. Delatte, B. Gillain, O. Pirson, E. Stillemans, V. Dubois, L. Mallet, J. Detraux DIV1641F
Table des matières 1. Introduction 4 2. La relation entre schizophrénie et épilepsie: une perspective historique 4 3. Epidémiologie 5 4. Perspectives étiologiques 6 4.1. Hypertrophie ventriculaire 6 4.2. Vulnérabilité génétique commune 6 4.3. Modification de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique 6 4.4. Traumatisme crânien 6 4.5. Neurogénèse anormale au niveau du gyrus denté 7 4.6. Normalisation forcée 7 5. Diagnostics 7 5.1. Diagnostic différentiel des crises d’épilepsie chez des patients atteints de schizophrénie 7 5.2. Diagnostic différentiel des psychoses associées à l’épilepsie 8 5.2.1. La psychose critique 8 5.2.2. La psychose inter-critique 8 5.2.3. La psychose post-critique 10 5.2.4. La psychose postopératoire neurochirurgicale de novo 10 6. Perspectives thérapeutiques 10 6.1. Les antiépileptiques en adjuvant aux antipsychotiques 10 6.2. Antipsychotiques et seuil épileptogène 12 6.3. L’ECT dans la schizophrénie et le trouble schizo-affectif 12 6.3.1. L’ECT curative 14 6.3.2. L’ECT de consolidation (ECT-C) et de maintenance (ECT-M) dans la schizophrénie 14 6.3.3. Mécanismes d’action antipsychotique de l’ECT 14 7. Conclusion 15 3 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
1. Introduction l’Antiquité. La description détaillée la plus même temps que l’épilepsie était enfin ancienne que nous possédons sur l’épilep- considérée comme une maladie neurolo- L’épilepsie est une des affections neurolo- sie à caractère schizophrénique se trouve gique grâce à l’œuvre de John Hughlings giques les plus fréquentes et concerne environ sur une tablette babylonienne au British Jackson (23, 25-29). 50 millions de personnes dans le monde (1). Museum (BM47753). Celle-ci constitue Elle est définie de façon conceptuelle comme l’un des chapitres d’un traité de méde- Dès la médecine babylonienne et «un trouble cérébral caractérisé par une pré- cine babylonien («Sa-gig» ou «Sakikku»), jusqu’à la Renaissance, l’épilepsie et la disposition durable à générer des crises d’épi- comportant 40 tablettes et remontant à psychose ont été considérées comme lepsie» (2-4). Il importe de distinguer d’une au moins 2.000 ans av. J.-C. (6, 7, 19-21). commandées par des démons et leurs part une crise d’épilepsie, et d’autre part Cette tablette fait minutieusement état de traitements dès lors basés sur un l’épilepsie1 proprement dite, définie par la bon nombre des différents types de crises modèle magico-religieux. répétition des crises. Une crise d’épilepsie est d’épilepsie (miqtu) que l’on distingue la manifestation clinique d’une hyperactivité aujourd’hui. Les «psychoses schizophréni- paroxystique hypersynchrone d’un groupe formes de l’épilepsie» (schizophrenia-like Au début des années 1930, la psychiatrie plus ou moins étendu de neurones et de son psychoses of epilepsy, SLPE), avec des hal- suggérait un antagonisme entre schizo- éventuelle propagation sur le cortex cérébral. lucinations et délires de persécution, et des phrénie et épilepsie (30-32). Cette concep- Elle peut être généralisée ou focale. Elle peut phénomènes post-critiques ont également tion se basait sur certaines évolutions et comprendre des signes moteurs, sensoriels, été décrits dans ce texte (6, 7, 22). L’accent différentes observations cliniques et neu- végétatifs et psychiques (5). est mis sur l’essence surnaturelle de l’épi- ropathologiques. En tout premier lieu, le lepsie: chaque type de crise étant associé succès de la malariathérapie dans le trai- L’association de l’épilepsie avec les troubles au nom d’un esprit ou d’un dieu, habi- tement de la neurosyphilis, par lequel une psychiques est déjà connue depuis l’Anti- tuellement malveillant (7). Le traitement maladie induite permettait d’en atténuer quité où elle est décrite dans les textes baby- relevait donc largement d’un «prêtre exor- une autre, avait encouragé le modèle d’an- loniens (6, 7). Les données de la littérature ciste» ou «ashipu» (6, 23). tagonisme biologique comme stratégie thé- scientifique suggèrent que les patients épi- rapeutique en médecine (31, 32). Ensuite, leptiques ont un risque de développer une Comme les Babyloniens, les Grecs dans le prolongement de cette approche, psychose 2 à 12 fois plus important que dans croyaient que des esprits/démons étaient trois observations cliniques (30-32) ont la population générale et ce risque s’avère à l’origine des crises d’épilepsie, qu’ils conduit les cliniciens à considérer l’épilep- encore plus important dans le cas d’une épi- considéraient comme un phénomène sur- sie et la schizophrénie comme des troubles lepsie du lobe temporal (8-16). A contrario, naturel (21, 24). Le terme épilepsie est antagonistes, contrairement aux croyances la fréquence de l’épilepsie est également dérivé d’un mot grec (epilambanein) qui d’aujourd’hui: plus importante chez les sujets psychotiques signifie «prendre possession de» ou «s’em- 1. la disparition partielle ou complète que dans la population en général (17, 18). parer de». C’est en des termes similaires, d’un bon nombre de symptômes Cette association peut suggérer une base mais au niveau psychique plus que phy- chez les patients atteints de schizo- de dysfonction neuronale commune entre sique, que la psychose est parfois décrite. phrénie lorsqu’ils développaient un les deux types d’affections. Par ailleurs, bon Toutefois, Hippocrate, un médecin grec trouble épileptique ou présentaient nombre de chercheurs ont essayé de mettre et considéré traditionnellement comme le une crise convulsive spontanée (par en évidence des facteurs ou des paramètres «père de la médecine», pensait que l’épi- exemple après un traumatisme crâ- communs. De plus, l’association entre les lepsie et la psychose (comme chaque nien ou une méningite); deux peut poser un problème diagnostique maladie) n’étaient pas sacrées, mais prove- 2. on avait également constaté une (dans les deux cas, nous retrouvons des naient d’un trouble du cerveau – un point faible incidence de la psychose chez signes communs) et thérapeutique (inter‑ de vue révolutionnaire pour l’époque. les patients épileptiques et que très actions pharmacocinétiques entre les anti‑ Dès lors, il recommandait des traitements peu de patients étaient atteints à la épileptiques et les antipsychotiques). physiques (21, 23). fois de schizophrénie et d’épilepsie; 3. enfin, en neuropathologie, les cher- Nous avons réalisé une revue de la littéra- Le point de vue d’Hippocrate, selon lequel cheurs étudiant les cellules gliales ture pour étudier les rapports entre ces deux l’épilepsie et la psychose sont des troubles lors d’autopsies de patients atteints types de troubles ainsi que pour rechercher du cerveau, n’a commencé à s’enraciner de différentes pathologies s’étaient la base factuelle relative à l’utilisation de qu’à partir du XIVe siècle. La médecine de aperçus qu’elles étaient augmentées l’électroconvulsivothérapie (ECT) chez les la Renaissance (XIVe -XVIIe siècle) se sépa- chez les patients souffrant d’épilep- sujets atteints de schizophrénie. rait peu à peu de la pensée du Moyen sie, tandis qu’elles étaient réduites Age qui était fortement influencée par les chez les patients atteints de schizo- croyances religieuses et superstitieuses, phrénie (31, 33). L’association entre l’épilepsie et les et faisait d’énormes progrès en direction troubles psychotiques suggère l’exis- d’une médecine «scientifique». Les méde- Ainsi, à l’époque, on a estimé que les tence d’éventuels facteurs communs, cins du siècle des Lumières (XVIIIe siècle) crises grand mal pouvaient avoir une utilité voire d’une relation causale entre avaient une furieuse envie d’explication thérapeutique et on a cherché un moyen les deux. rationnelle du mécanisme de l’épilepsie chimique de déclencher une crise d’épi- qui cadrait avec les découvertes anato- lepsie (30-32, 34-36). 2. La relation entre schizophrénie et miques et physiologiques de cette époque. épilepsie: une perspective historique L’arrivée du bromure, historiquement le L’hypothèse d’un antagonisme entre épilep- premier médicament anti-épileptique, sie et schizophrénie a mené le psychiatre Une association entre les troubles psy- dans la deuxième moitié du XIXe siècle, hongrois Meduna, en 1934, à provoquer chiques et l’épilepsie a été observée depuis représentait un progrès considérable, en des crises d’épilepsie chez des patients 4 Suppl. 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atteints de schizophrénie en pratiquant et l’observation des formes pharmaco-ré- Dans une étude de cohorte, basée sur des injections d’huile camphrée, puis de sistantes de la schizophrénie ont conduit des données nationales danoises qui métrazol (cardiazol) (30, 33, 35, 37-39). à cette résurgence (36). L’ECT est néan- concernent plus de 2,27 millions de per- Il pensait que l’induction des crises pour- moins une option thérapeutique de choix, sonnes nées entre 1950 et 1987, Qin et rait favoriser une hypertrophie des fibres pas seulement pour les patients atteints de al. (51-53) ont examiné si une augmenta- nerveuses, avec des conséquences béné- schizophrénie qui ne sont améliorés que tion du risque de développer une psychose fiques pour la schizophrénie. Cependant, partiellement par les traitements antipsy- était plus élevée chez les patients épilep- avant de perdre connaissance, le sujet avait chotiques, mais également pour ceux ayant tiques et s’il existait une influence de l’âge une telle expérience vécue d’angoisse (31) des symptômes catatoniques ou nécessitant de début, du type d’épilepsie, et des antécé- que la technique restait d’un usage limité une amélioration rapide des exacerbations dents familiaux d’épilepsie ou de psychose. et l’on a cherché d’autres moyens de par- symptomatiques schizophréniques (40, 41). L’épilepsie a été classée en 4 catégories lors venir au même résultat. Ce sont Cerletti et de chaque admission: épilepsie avec crises Bini qui ont proposé, en 1938, une tech- 3. Epidémiologie partielles complexes, épilepsie avec autres nique nouvelle qui évitait les inconvé- types de crises partielles, épilepsies géné- nients de l’huile camphrée et du métrazol Avant de mentionner les données épidémio- ralisées et autres types d’épilepsie (épilep- en utilisant une méthode de traitement par logiques sur la relation épilepsie-psychose, sies non spécifiées). Dans cette cohorte l’électricité: l’ECT, anciennement la sismo- il nous semble important de rappeler qu’il y de 2,27 millions de personnes, 1,5% avait thérapie ou l’électrochoc (31, 32, 35, 36, a des associations entre épilepsie et troubles eu une épilepsie avec un âge médian de 40). Le principe de l’ECT repose donc sur psychiatriques en général, et que le lien début de 14,7 ans à la première admis- un prétendu antagonisme clinique entre avec la psychose n’est donc qu’un exemple sion. Parmi eux, 276 (0,8%) ont été par la épilepsie et schizophrénie. particulier d’un lien plus général (45). suite hospitalisés pour une schizophrénie et 519 (1,5%) pour une psychose (schizo- Selon les études basées sur la popula- phrenia-like psychosis). La durée médiane La naissance de l’électroconvulsivothé- tion, la prévalence de la psychose varie entre la première hospitalisation pour épi- rapie (ECT) remonte à une conception de 2 à 7% chez les patients épileptiques. lepsie et la première hospitalisation pour fausse liant inversement épilepsie et Elle s’élève de 10 à 19% chez les patients psychose était de 8 années. Par rapport à la schizophrénie. atteints d’une épilepsie du lobe temporal population générale, les auteurs ont trouvé (10, 17, 46-50). Une revue systématique que les sujets épileptiques avaient environ A partir de cette date et jusque dans les et méta-analytique publiée en 2014 (10) 2,5 fois (risque relatif, RR = 2,48; 95% IC: années 1950, l’ECT bénéficiait d’une consi- a estimé que la prévalence de la psychose 2,2-2,8) plus de risques de développer une dérable popularité dans le traitement de la chez les patients atteints d’épilepsie est de schizophrénie et qu’ils avaient environ 3 schizophrénie. Trois éléments expliquent 5,6% (les pourcentages variant de 0,02 à fois (RR = 2,93; 95% CI: 2,69-3,20) plus de le déclin progressif de l’ECT dans la prise 27%) et 7% chez les patients atteints d’une risques de développer une psychose. En ce en charge de la schizophrénie dans les épilepsie du lobe temporal. qui concerne le risque de développer une années 1960 et 1970 (35, 36, 40-42): schizophrénie dans la population générale - l’introduction des antipsychotiques Chang et al. (9), dans une étude de cohorte que le patient soit épileptique ou non, les (avec la chlorpromazine) à partir de rétrospective, ont travaillé sur les infor- auteurs retrouvent un risque plus important 1952 (43), mations de la base de données nationale quand un antécédent familial d’épilepsie - le fait que l’ECT a une efficacité supé- d’assurance maladie de Taiwan et identi- (RR = 1,11; 95% CI: 1,01-1,22) ou de schizo- rieure dans les troubles de l’humeur, et fié 5.195 patients atteints de schizophré- phrénie (RR = 7,57; 95%CI: 6,98-8,20) est - l’opposition grandissante envers nie et 11.527 patients atteints d’épilepsie, observé (voir Tableau 1). Cependant, il n’y l’ECT (44). diagnostiqués entre 1999 et 2008. Ces avait pas de différence suivant le sexe et le groupes de patients ont été comparés à un type d’épilepsie suivant leurs 4 catégories. Une résurgence de l’intérêt pour l’ECT groupe de sujets sains du même sexe et âge émerga dans les années 1980 lorsqu’il fut (20.776 et 46.032, respectivement). Ils ont En utilisant les données disponibles dans constaté que, malgré les progrès pharma- trouvé que les patients atteints d’épilepsie deux registres nationaux finlandais, cologiques, environ 20 à 40% des patients sont environ 8 fois [taux de risque ajusté incluant 9.653 familles et 23.404 enfants, atteints de schizophrénie avaient une patho- (TRa): 7,65, intervalle de confiance (IC) à Clarke et al. (13) ont constaté que les indi- logie résistante (36, 42). Plusieurs études 95%: 6,04-9,69] plus susceptibles de déve- vidus avec une histoire parentale d’épi- bien conduites dans les années 1970 mon- lopper une schizophrénie. Inversement, ils lepsie avaient 2 fois (risque instantané ou trant l’efficacité de l’ECT dans la dépres- ont trouvé que les patients atteints de schi- taux de hasard, HR = 1,9; 95% IC: 1-3,7) sion, l’apparition d’une certaine inquiétude zophrénie sont environ 6 fois [TRa: 5,88, plus de risques de développer une psy- suite à l’évocation d’effets secondaires 95% IC: 4,71-7,36] plus susceptibles de chose schizophrénique, comparativement sérieux des neuroleptiques conventionnels développer une épilepsie. aux personnes sans antécédents familiaux Tableau 1: Risques relatifs ajustés (intervalle de confiance à 95%) de développer une schizophrénie ou une psychose selon des antécédents personnels et familiaux (51). Qin et al. (2005) Schizophrénie Psychose (schizophrenia-like psychosis) Antécédent personnel d’épilepsie 2,48 (2,20-2,80)* 2,93 (2,69-3,20)* Antécédent familial de schizophrénie 7,57 (6,98-8,20)* 6,24 (5,83-6,69)* Antécédent familial d’épilepsie 1,11 (1,01-1,22)° 1,20 (1,11-1,29)* *p < 0,01, ° p < 0,05 5 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
d’épilepsie. Les personnes avec une his- 4.2. Vulnérabilité génétique commune L’insuffisance ou la modification de la toire parentale de psychose avaient 2,7 fois perméabilité de la barrière hémato- (HR = 2,7; 95% IC: 1,2-6) plus de risques Certaines études génétiques suggèrent encéphalique à cause des crises d’épilep- de développer une crise d’épilepsie géné- que les psychoses de l’épilepsie et la schi- sie, permettant l’entrée d’auto-anticorps ralisée par rapport aux individus sans anté- zophrénie ont un chevauchement symp- pathogènes, pourrait contribuer à l’émer- cédents familiaux de psychose. tomatique parce qu’elles partagent des gence de la psychose post-critique chez facteurs de risque génétique communs (9). les patients épileptiques. Une revue systématique et méta-analy- Par exemple, des études génétiques ont tique récente (10) a trouvé que la psychose montré clairement un certain chevauche- et/ou la schizophrénie est 7,8 fois plus fré- ment entre les loci des facteurs génétiques quente chez les patients atteints d’épilepsie associés aux troubles du spectre psycho- 4.4. Traumatisme crânien que dans la population générale. tique et ceux associés aux membres de la famille protéique (leucine-rich glioma-inac- Il est démontré que des complications ob‑ tivated 1, LGI1 à leucine-rich glioma-inac- stétriques et périnatales sont associées tivated 4, LGI4), impliqués dans l’épilepsie. avec un risque accru (de 2 à 3 fois) pour Les études épidémiologiques ont confir- Cette famille protéique joue un rôle impor- la schizophrénie (65-68), particulièrement mé une relation bidirectionnelle entre tant dans la régulation de la transmission parmi des personnes au risque génétique schizophrénie et épilepsie. Cette rela- synaptique glutamatergique ainsi que dans élevé pour la psychose (69). Les liens entre tion pourrait être due à une vulnérabi- le développement du système nerveux cen- symptômes psychotiques (schizophré- lité commune (susceptibilité génétique, tral (9). Dans cette optique, il est intéressant niques ou non) et traumatisme crânien ne facteurs neurobiologiques et environne- de noter que «l’épilepsie partielle autoso- sont pourtant toujours pas élucidés (70). mentaux similaires) (9, 51, 54). mique dominante avec symptômes auditifs» est une épilepsie du lobe temporal d’origine Chez les sujets génétiquement vulnérables génétique, liée à des mutations dans le gène à la schizophrénie, le traumatisme crânien 4. Perspectives étiologiques LGI1, localisé sur le chromosome 10q24 est un facteur de risque environnemen- (62). Les symptômes les plus fréquents tal modéré qui augmenterait la probabi- La schizophrénie est un trouble complexe consistent en des crises d’épilepsie et des lité d’un déclenchement d’une psychose faisant intervenir de nombreux facteurs hallucinations élémentaires (du type bour- (Odds ratio, OR = 2,8; 95% IC: 1,76-4,47) étiologiques: anomalies génétiques, neuro- donnements d’oreille) ou complexes (voix). (71). Pour les sujets sans antécédents fami- anatomiques, biologiques et environne- Le gène CNTNAP22 serait également asso- liaux psychotiques, la corrélation entre mentales. Certaines de ces anomalies ont cié à la schizophrénie et à l’épilepsie (63). traumatisme crânien et schizophrénie également été mises en évidence chez les semble être faible (OR = 1,65; 95% IC: sujets épileptiques (9). 4.3. Modification de la perméabilité 1,17-2,32) (71-74). de la barrière hémato-encéphalique Notons que plusieurs études ont mis en Les victimes d’un traumatisme crânien, évidence un lien entre maladies psychia- Une association entre des crises d’épilep- qu’il s’agisse d’une simple commotion triques et crises d’épilepsie chez les indivi- sie, la perturbation de la barrière hémato- cérébrale (RR = 2,22, 95% IC: 2,07-2,38), dus avec un retard mental: la fréquence de encéphalique (BHE) et le système immu- d’une blessure sévère du cerveau (RR = ces troubles tend à augmenter en fonction nitaire a été suggérée pour expliquer la 7,40, 95% CI: 6,16-8,89) ou d’une frac- du degré de retard mental (55-57). Il faut pathophysiologie des psychoses post- ture du crâne (RR = 2,17, 95% IC: 1,73- donc contrôler le quotient intellectuel pour critiques. La BHE, qui sépare le cerveau de 2,71), ont également plus souvent des mettre de côté le retard mental dans le dia- la circulation sanguine, empêche la majo- crises d’épilepsie (post-traumatiques) que gnostic épilepsie-psychose. rité des molécules d’atteindre leurs cibles la population générale. De plus, ce risque cérébrales. Pollak et al. (64) émettent l’hy- épileptique, s’il est maximal la première 4.1. Hypertrophie ventriculaire pothèse selon laquelle la récurrence des année suivant le choc, reste élevé jusqu’à crises d’épilepsie va entraîner une pertur- dix ans après l’accident (4, 75, 76). Chez beaucoup de patients atteints de schi- bation ou une modification de la perméa- zophrénie, on a observé au niveau anato- bilité de la BHE, permettant l’entrée de Certaines études ont montré qu’il existe mique une réduction du volume de matière certains auto-anticorps pathogènes (par une forte comorbidité entre la survenue grise et un élargissement des ventricules exemple les auto-anticorps anti-récepteurs d’un traumatisme crânien, l’apparition dans des parties du lobe temporal, particu- glutamatergiques N-Méthyl-D-Aspartate d’un trouble de nature psychotique et des lièrement dans l’hippocampe, l’amygdale ou NMDA) dans le cerveau. Ces auto- crises d’épilepsie. Les crises d’épilepsie et le gyrus temporal supérieur, consécutif anticorps bloquent ou diminuent la sen- se produisent plus fréquemment chez des à un problème neurodéveloppemental (54, sibilité (downregulation) des récepteurs et individus qui ont un trouble psychotique 58, 59). Des ventricules cérébraux élargis peuvent brièvement produire des effets qui secondaire au traumatisme crânien, par chez les patients épileptiques ont déjà été ressemblent à des symptômes de troubles rapport aux individus avec un traumatisme décrits depuis 1917 (60). Sundram et al. (61) psychotiques. Après la clairance des crânien sans trouble psychotique (8, 77). ont démontré une réduction du volume de auto-anticorps pathogènes du système ner- matière grise et blanche dans le lobe tem- veux central, les symptômes psychotiques Par sa présentation clinique, la schizophrenia- poral chez les patients qui ont une épilepsie disparaissent. La psychose inter-critique like psychosis secondaire à un traumatisme du lobe temporal avec symptômes psycho- serait causée par une diminution perma- inclut classiquement un délire de persécu- tiques (10). La présence de ces anomalies nente de la sensibilité des récepteurs, tion (22%-80%) et des hallucinations audi- dans les deux maladies pourrait indiquer un ainsi que par une perméabilité augmentée tives (47%-84%), ce qui contraste avec mécanisme commun (10, 54). permanente de la BHE. le peu de symptômes négatifs (15%-22%). 6 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
Les lésions cérébrales dans la psychose sub- Tableau 2: Diagnostic différentiel des crises d’épilepsie chez des patients atteints de séquente à un traumatisme crânien sont pré- schizophrénie (18, 91-95). férentiellement polarisées au niveau des lobes temporaux et frontaux (70, 77-79). Syncope et causes cardiaques Hypotension orthostatique 4.5. Neurogénèse anormale au niveau Arythmie cardiaque du gyrus denté Maladies des valves cardiaques Maladies des artères coronaires L’hippocampe, se situant dans le lobe tem- poral médian, est une des seules struc- Syncope mictionnelle tures cérébrales à présenter une activité de Episodes vasovagales neurogénèse chez l’individu adulte. Cette Maladies cérébrovasculaires neurogénèse a lieu au niveau du gyrus Accident ischémique transitoire denté et, plus précisément, au niveau de Amnésie globale transitoire la zone sous-granulaire. En bref, les cel- lules souches neurales, qui résident et se Migraine complexe maintiennent au cours de la vie adulte Pathologies psychiatriques dans cette zone, produisent des cellules Crises non épileptiques psychogènes (CNEP) progénitrices. Celles-ci prolifèrent puis se Troubles dissociatifs différencient en cellules granulaires. Ces Troubles anxieux cellules néoformées migrent ensuite vers le gyrus denté. Une neurogénèse anormale Manifestations hystériques a été mise en évidence chez le sujet pré- Médicaments sentant une épilepsie et dans les modèles Antidépresseurs animaux d’épilepsie du lobe temporal. En Stabilisateurs de l’humeur effet, plusieurs études ont suggéré une aug- mentation du nombre des cellules granu- Antipsychotiques laires au niveau du gyrus denté durant le Anxiolytiques développement d’une épilepsie du lobe Antibiotiques (céphalosporines, quinolones, isoniazide, certains autres) temporal (80). Une telle prolifération anor- Amphétamines male a été également démontrée chez des Cocaïne patients atteints de schizophrénie (81, 82). Opiacés 4.6. Normalisation forcée Chimiothérapie Certains antiépileptiques La normalisation forcée correspond à l’appa- Arrêt brutal de certains traitements médicamenteux rition d’une psychose lorsque les crises épi- (benzodiazépines, barbiturates) ou l’alcool leptiques cèdent (avec un EEG en apparence Effets indésirables des médicaments «normalisé»), par exemple sous traitement antiépileptique. Généralement, les épisodes Réactions dystoniques aiguës sont brefs mais parfois ils peuvent se pro- Tremblement intermittent longer sur plusieurs semaines. Cependant, Encéphalopathies toxiques l’émergence d’une psychose à l’occasion de Troubles métaboliques/toxiques la disparition des crises ne concerne qu’un Hypoglycémie sous-groupe très restreint de patients. De plus, le concept de normalisation forcée Hypocalcémie demeure controversé. A l’heure actuelle, il Modifications de la balance des électrolytes est impossible d’interpréter ce phénomène Urémie de manière univoque (83-85). Eclampsie Autres maladies neurologiques 5. Diagnostics Choréoathétose paroxystique ou dystonie 5.1. Diagnostic différentiel des crises d’épilep- Hyperexplexie (trouble neurologique héréditaire qui se caractérise sie chez des patients atteints de schizophrénie par un réflexe de sursaut exagéré au bruit et au contact) Tics Avant de porter le diagnostic d’épilepsie Stéréotypies chez un patient atteint de schizophrénie, Myoclonie il est impératif d’éliminer d’autres fac- teurs étiologiques potentiels, tels que la Titubation consommation de certains stupéfiants, cer- Traumatisme crânien tains troubles métaboliques (iatrogènes ou Troubles du sommeil autres), l’utilisation des antipsychotiques Dyssomnies (narcolepsie, syndrome des jambes sans repos) (effet secondaire ou sevrage) et autres maladies neurologiques (voir Tableau 2). Parasomnies (terreur nocturne, somnambulisme, apnée du sommeil) 7 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
Le psychiatre doit procéder à une éva- dans l’évaluation du mal épileptique ou de la conscience (conscience claire ver- luation neurologique approfondie. Dans des crises répétées (87). De plus, certaines sus confusion), selon la situation chronolo- cette optique, l’électroencéphalogramme études ont rapporté une augmentation du gique de survenue du trouble psychotique (EEG) est indispensable pour le diagnos- taux de prolactine, déjà présente avant par rapport aux crises [psychoses péri-cri- tic de l’épilepsie. A côté d’un EEG de nuit, le début du trouble psychotique chez au tiques (pré-critique, critique, post-critique) des explorations plus complètes pour- moins 25% des patients naïfs de traitement et inter-critique] (48). La classification la raient être réalisées (EEG ambulatoire, EEG antipsychotique (88-90). Le dosage sérique plus utilisée des psychoses en lien avec vidéo…). L’imagerie par résonance magné- de la prolactine ne peut donc certainement l’épilepsie se base sur le rapport tempo- tique (IRM) est l’examen d’imagerie le plus pas être utilisé comme outil de diagnos- rel entre la crise et le développement du performant pour préciser l’étiologie: l’ima- tic différentiel des crises d’épilepsie chez trouble psychotique. On distingue, selon gerie est cruciale pour localiser le foyer l’adulte psychotique. cette classification, les psychoses critiques, épileptogène ou détecter une éventuelle inter-critiques et post-critiques (14, 15, 47, lésion (18). 5.2. Diagnostic différentiel des psychoses 74, 85, 97-101). associées à l’épilepsie Après la mesure des signes vitaux pour éva- 5.2.1. La psychose critique luer la stabilité de la situation, un recueil Il existe schématiquement deux grandes anamnestique le plus précis possible, com- circonstances associant psychose et épi- Au cours de certaines crises d’épilepsie, prenant notamment les antécédents médi- lepsie. D’abord, l’épilepsie peut compli- des manifestations d’allure psychotique caux familiaux et personnels du patient, quer une psychose préexistante par le fait peuvent se voir. Les symptômes psycho- ainsi qu’une description la plus précise pos- que certains antiépileptiques, utilisés pour tiques sont donc contingents avec la crise sible du malaise par les témoins, est recom- contrôler les crises d’épilepsie, peuvent d’épilepsie. La psychose critique est brève mandé. Durant les 24 heures qui suivent la affecter le contrôle efficace de symptômes (quelques heures ou jours), s’accompa- crise d’épilepsie les valeurs «seuils» de cer- des troubles psychotiques (voir plus loin). gnant d’une altération de la conscience taines anomalies biologiques susceptibles A l’inverse, la psychose peut apparaître (47, 85, 99). Sur le plan clinique, la psy- d’entraîner une crise d’épilepsie doivent secondairement à l’épilepsie (14, 96). chose critique se caractérise par l’ap- être évaluées (18). Les six principaux para- Récemment, pour la première fois, les psy- parition de pensées et comportements mètres biochimiques à considérer pour leur choses associées à l’épilepsie ont été iden- inhabituels, d’une agitation, d’une anxiété imputabilité dans la survenue d’une crise tifiées comme des entités nosographiques et d’une confusion. Les délires et les hallu- d’épilepsie sont: la glycémie (< 2mmol/l ou dans le DSM-5. Elles y sont classées dans cinations auditives et visuelles sont moins > 25mmol sans ou avec cétose), le sodium la catégorie «trouble psychotique dû à fréquents (46, 99, 102) (voir Tableau 3). (< 115mmol/l), le calcium (< 1,2mmol/l), une autre affection médicale» (97). Etant le magnésium (< 0,3mmol/l), l’urée san- donné que l’état psychotique au long 5.2.2. La psychose inter-critique guine (> 35,7mmol/l) et la créatinine cours de l’épileptique ressemble beaucoup (> 884mmol/l). Cependant, ces chiffres à une schizophrénie et que l’épilepsie Les psychoses inter-critiques représentent doivent être considérés à titre indicatif (86). peut mimer les symptômes psychotiques, 5% de l’ensemble des troubles psycho- L’American Academy of Neurology recom- il est important de connaître le diagnostic tiques observés dans l’épilepsie (48). mande d’utiliser le dosage sérique de la différentiel. Elles peuvent être épisodiques (quelques prolactine comme complément au dia- jours à quelques semaines) ou chroniques gnostic différentiel de certaines crises épi- Plusieurs modalités de classement pour les (quelques mois). Les psychoses inter- leptiques chez l’adulte non psychotique. psychoses épileptiques ont été proposées: critiques chroniques ont une présenta- Cependant, la prolactine ne permet pas selon la durée de l’épisode psychotique tion clinique évocatrice d’une schizo- de distinguer une crise épileptique d’une (psychoses épisodiques versus psychoses phrénie (47, 100). Parce que les critères syncope et son utilité n’a pas été établie chroniques), selon le degré d’altération diagnostiques coïncident avec ceux de la Tableau 3: Diagnostic différentiel des psychoses de l’épilepsie (46, 48, 54, 100). Psychose de l’épilepsie Critique Inter-critique Post-critique Conscience Altérée Normale Normale ou discrètement altérée Durée Quelques heures ou jours Inférieure à un mois (épisodiques) Quelques jours ou semaines Quelques mois jusqu’à plus de 10 ans (chroniques, SLPE) EEG Status epilepticus Inaltéré Augmentation de l’activité épileptique Symptômes positifs Des pensées et comporte- Critères de premier rang de Critères de premier rang de Schneider ments inhabituels Schneider plus manifestes rarement rencontrés Hallucinations et délires sont Délires paranoïdes et Un syndrome délirant de thématique moins fréquents hallucinations plus variable (de persécution, de gran- deur, de référence, somatique, mystique) Symptômes négatifs Rarement rencontrés Rarement rencontrés Pas manifestes 8 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
schizophrénie selon le DSM-5, dans la lit- avec une meilleure systématisation que de schizophrénie. Enfin, le fonctionne- térature anglo-saxonne, elles sont dénom- les délires schizophréniques) et des hal- ment prémorbide des SLPE paraît moins mées «psychoses schizophréniformes de lucinations auditives (les hallucinations déficitaire que celui des patients atteints l’épilepsie» (schizophrenia-like psychoses visuelles sont rares). Cependant, dans les de schizophrénie (14, 22, 47, 100-103) of epilepsy, SLPE) (22, 47, 102, 103). SLPE, une indifférence affective et des (voir Tableau 3). Le tableau 4 laisse entre- symptômes négatifs sont rarement ren- voir les facteurs de risque. Le tableau clinique peut comporter un contrés et les patients sont plus conscients syndrome délirant paranoïde (parfois de leur maladie que les patients atteints Tableau 4: Liste des facteurs de risque potentiels pour la psychose post-critique, la psychose inter-critique et la psychose non-classifiée chez les patients avec une épilepsie du lobe temporal (46). Facteurs de risque Psychose post-critique Psychose inter-critique Psychose non-classifiée3 Facteurs dépistés par l’anamnèse Un début de l’épilepsie avant l’âge de 10 ans XXX XXX Une histoire de convulsions fébriles prolongées4 XXX Facteurs cliniques Status epilepticus5 XXX XXX XXX Crises dialeptiques et/ou automotrices 6 7 XXX Crises généralisées secondaires XXX Intelligence verbale et/ou non verbale +/- +/- (dite de performance)8 inférieure Alexythimie XXX Salves de crises d’épilepsie XXX Facteurs anatomiques Sclérose temporale mésiale9,10 du côté gauche XXX Crises bitemporales ou crises avec une diffusion XXX rapide vers le lobe temporal controlatéral Des foyers épileptiques temporaux gauches XXX et droits Réduction bilatérale de volume de la substance XXX blanche dans les régions de l’hippocampe Réduction de volume de la substance grise XXX dans les régions de l’hippocampe gauche Diminution du nombre de neurones XXX XXX XXX(+) dans la région CA1 de l’hippocampe L’existence d’une sclérose bilatérale de l’hippocampe XXX L’existence d’une sclérose unilatérale de l’hippocampe XXX XXX(+) Diminution de l’activité des synapses XX de l’hippocampe gauche Diminution de la réorganisation synaptique XXX dans le gyrus denté11 Activité de la phospholipase A2 (iPLA2) élevée XX dans l’hippocampe Diminution du volume cérébral régional +/- dans l’hippocampe/l’amygdale Déformations dysplasiques ou atrophie XXX du néocortex temporal Anomalies neuronales dans les gyri moyens XX et supérieurs du lobe temporal gauche Perte d’axones du lobe frontal (particulièrement XX du côté droit) et du lobe temporal Lésions de la substance blanche et grise XXX dans les régions extratemporales XXX = basé sur des résultats d’étude de qualité méthodologique bonne; XX = basé sur des résultats d’étude de qualité méthodologique modérée; (+) = association inverse; +/- = résultats contradictoires 9 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
5.2.3. La psychose post-critique qui suivent l’intervention chirurgicale (85, du système glutamatergique, soit en modi- 108-115). fiant la conductance ionique (canaux Na+ Le syndrome de psychose post-critique ou Ca2+) (118). Bien que l’hypothèse dopa- représente 25 à 30% de l’ensemble des Le tableau clinique de cette psychose, minergique a été depuis longtemps la plus troubles psychotiques observés dans l’épi- dominé par des idées délirantes de per- développée dans le cadre de la schizo- lepsie (14, 48). Sa prévalence varie entre 2 sécution et des hallucinations auditives, phrénie, l’hyperactivation dopaminergique et 7,8% chez les patients épileptiques (47, ressemble par certains points aux SLPE. mésolimbique n’apporte qu’une explica- 85), et est estimée à environ 7% chez les Cependant, les mécanismes physiopatholo- tion partielle de l’étiologie de la schizo- patients ayant une épilepsie du lobe tem- giques semblent différents. Dans la genèse phrénie. C’est probablement la raison qui poral (104). des psychoses chroniques intercritiques, il explique que de nombreux patients (envi- est mis en évidence la longue durée d’évo- ron 20 à 40%) souffrant de schizophrénie La psychose post-critique donne un tableau lution d’une épilepsie temporale phar- ne répondent pas suffisamment bien au clinique spécifique. Après un intervalle maco-résistante. Des IRMs volumétriques traitement antipsychotique en monothé- de complète lucidité variant de 2,5 à 72 ont révélé que des patients épileptiques à rapie (36, 42). C’est dans ce contexte que heures à l’issue d’une crise ou d’une salve psychose postopératoire de novo avaient l’hypothèse glutamatergique se dévelop- de crises (14, 46, 105), le trouble psycho- des anomalies au niveau de leurs struc- perait (119) et que plusieurs molécules, y tique survient. L’insomnie, l’anxiété et un tures cérébrales. Par exemple, on a trouvé compris les antiépileptiques, ont été pro- sentiment d’oppression précèdent typique- une différence significative de volume de posées comme traitement adjuvant aux ment la survenue de symptômes psycho- l’amygdale qui était plus petite du côté non antipsychotiques chez ces patients chro- tiques, incluant les délires de thématique opéré chez les patients psychotiques que niques résistants, pour potentialiser l’effi- variée (de persécution, de grandeur, de réfé- chez les sujets contrôles (116). cacité antipsychotique. On suppose que les rence, mystique), les hallucinations, la cata- principaux mécanismes pharmacodyna- tonie et un sentiment de dépression ou des D’autres facteurs de risque pour le déve- miques impliqués dans l’efficacité clinique symptômes maniaques (mysticisme, gran- loppement d’une psychose post-opératoire des antiépileptiques dans le traitement diosité). L’apparition des critères de premier sont la présence d’une lésion congénitale, de la schizophrénie résistante incluent la rang de Schneider (comme des hallucina- une histoire personnelle ou familiale de modulation de la neurotransmission GABA tions consistant en une voix commentant en psychose, des anomalies bilatérales sur les ou glutamatergique et la modulation des permanence le comportement ou les pen- électroencéphalogrammes préopératoires canaux ioniques voltage dépendant (118). sées du sujet, ou des pensées imposées) est et une opération après l’âge de 30 ans (85, Le tableau 5 laisse entrevoir les différents rarement rencontrée et les symptômes néga- 115, 116). niveaux d’action d’antiépileptiques, le tifs ne sont pas manifestes. La durée de cette tableau 6 les effets bénéfiques et nocifs de psychose est généralement brève (quelques L’âge de début de la psychose chez les ces médicaments. jours ou semaines, avec une grande varia- patients épileptiques est significativement bilité), évoluant avec une conscience nor- plus tardif. Dans l’étude de Adachi et al., Toutefois, la recherche n’apporte que peu male ou discrètement altérée (48, 64, 85, l’âge moyen de début de la psychose (la d’éléments contributifs concernant ces traite- 98, 106) (voir Tableau 3). psychose inter-critique et post-critique) ments combinés et aucun critère clinique ou chez les patients épileptiques a été estimé électrophysiologique n’indique l’utilisation La psychose post-critique apparaît essen- à 30,1 ans, celui du développement de préférentielle d’antiépileptiques en adjuvant tiellement chez des patients présentant une la psychose chez les patients atteints de aux antipsychotiques dans le traitement de épilepsie du lobe temporal, évoluant depuis schizophrénie à 26,6 ans. Dans la schi- la schizophrénie. Quatre molécules seront au moins 10 ans (85, 102). Le tableau 4 zophrénie, la maladie apparaît habituel- abordées: la carbamazépine et le valproate laisse entrevoir les facteurs de risque. lement quelques années plus tard chez (des antiépileptiques traditionnels), ainsi que les femmes. Dans l’épilepsie, il n’y a pas la lamotrigine et le topiramate (des nouveaux La psychose post-critique se différen- de différence majeure entre femmes et antiépileptiques) (118, 120). cie d’autres psychoses péri-critiques (pré- hommes en ce qui concerne l’âge de début critique et critique) par les symptômes de la maladie (117). Carbamazépine suivants: - absence de confusion ou de dysfonc- 6. Perspectives thérapeutiques Bien qu’il y ait une tendance en faveur tion autonomique; d’une stratégie d’augmentation au moyen - présence d’une pensée plus organisée; 6.1. Les antiépileptiques en adjuvant de la carbamazépine, les résultats obtenus - absence des changements électro- aux antipsychotiques jusqu’à présent n’atteignent pas un niveau physiologiques à l’EEG (107). significatif (126). Une étude comparant la L’utilisation des antiépileptiques dans la carbamazépine à un placebo en monothé- 5.2.4. La psychose postopératoire schizophrénie semble être contre-indiquée rapie dans la schizophrénie a été rapide- neurochirurgicale de novo vu que l’efficacité des ECT dans la prise ment abandonnée en raison d’un taux de en charge de la schizophrénie repose sur rechute élevé (127). Leucht et al. (128, 129) Quelques travaux ont été spécifiquement un prétendu antagonisme clinique entre ont conduit une méta-analyse de 10 études consacrés à la survenue de psychoses post‑ épilepsie et schizophrénie. Cependant, contrôlées et randomisées (N = 283) ayant opératoires de novo. Après une opéra- le but des médicaments antiépileptiques trait à la carbamazépine dans la schizophré- tion au niveau du lobe temporal pour une est de prévenir la récidive des crises en nie, en monothérapie ou associée aux neu- épilepsie réfractaire, en moyenne 7% des bloquant l’hyperexcitabilité neuronale roleptiques conventionnels. L’adjonction patients (85) (mais les chiffres des études soit en renforçant l’activité inhibitrice de la carbamazépine à un antipsychotique oscillent entre 1,7 et 28,5%) développent GABAergique (acide gamma-aminobuty- chez les patients non-répondeurs ou par- un syndrome psychotique dans les 6 mois rique), soit en inhibant l’activité excitatrice tiellement répondeurs (N = 147, 6 études), 10 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
se traduit par une baisse non significative Quelques études (130-133) ont démon- une agressivité persistante. Sur la base de respectivement 20% (p = 0,08) et 35% tré que la carbamazépine peut être utile des preuves issues d’études randomisées (p = 0,09) du score de la BPRS. De plus, la en association avec les neuroleptiques actuellement disponibles, il n’est donc carbamazépine n’a eu aucun effet notable. conventionnels chez les patients présentant pas possible de préconiser une utilisation Tableau 5: Différents niveaux d’action d’antiépileptiques (120). Augmentation Blocage des Blocage des de l’activité inhibitrice Antagonisme Activité canaux du sodium canaux calciques de l’acide gamma- de l’action antiépileptique voltage-dépendants voltage-dépendants aminobutyrique (GABA) du glutamate Autres Carbamazépine (Tegretol ) ® + Ethosuximide (Zarontin®) + Felbamate (Taloxa )® + + + Gabapentine (Neurontin ) ® + Lacosamide (Vimpat ) ® + Lamotrigine (Lambipol®, Lamictal®) + + Lévétiracétam (Keppra®) + + + Oxcarbazépine (Trileptal )® + Phénobarbital (Gardenal ) ® + Phénytoïne (Diphantoine , Epanutin ) ® ® + Prégabaline (Lyrica®) + Primidone (Mysoline ) ® + Rétigabine (Trobalt ) ® + Rufinamide (Inovelon ) ® + Stiripentol (Diacomit®) + Tiagabine (Gabitril ) ® + Topiramate (Topamax ) ® + + + + Valproate (Depakine ) ® + Vigabatrine (Sabril®) + Tableau 6: Effets bénéfiques et nocifs des antiépileptiques (120-125). Antiépileptique Effets bénéfiques Effets nocifs Agressivité, troubles de l’attention, troubles cognitifs, Barbituriques Anxiété, stabilisateur de l’humeur, sommeil irritabilité, désir sexuel, fonctionnement sexuelle Carbamazépine Agressivité, manie, stabilisateur de l’humeur, douleur Irritabilité, troubles de l’attention Ethosuximide Agressivité, confusion, dépression, insomnie Anxiété, insomnie, phobie sociale, stabilisateur Irritabilité/agitation, somnolence, fatigue, ataxie, Gabapentine de l’humeur, migraine, douleur œdème périphérique Insomnie, irritabilité, éruption cutanée, vertige, Lamotrigine Dépression, stabilisateur de l’humeur, manie nausées, ataxie Anxiété, dépression, irritabilité, fatigue, vertige, Lévétiracétam Migraine somnolence Dépression, troubles de l’attention, Phénytoïne Manie étourdissements, ataxie Sédation, somnolence, vertige, étourdissements, fatigue, Prégabaline Douleur (de la fibromyalgie), insomnie, anxiété nausées, gain de poids, problèmes de concentration Tiagabine Manie, stabilisateur de l’humeur Dépression, irritabilité, vertige, fatigue, somnolence Binge eating, manie, stabilisateur de l’humeur, Dépression, troubles cognitifs, perte de poids, Topiramate migraine, perte de poids fatigue, somnolence, nausées Agitation, agressivité, irritabilité, manie, Valproate Somnolence, gain de poids, dépression stabilisateur de l’humeur, migraine 11 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
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