Epilepsie et psychose - Supplement à Neurone 2016; Vol 21 (N 6) - Mental Health Sciences

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Supplement à Neurone 2016; Vol 21 (N° 6)

           2015-2016

           Epilepsie et psychose.
           M. Desseilles, A. Masson, A. De Nayer, M.-A. Domken, B. Delatte,
           B. Gillain, O. Pirson, E. Stillemans, V. Dubois, L. Mallet, J. Detraux
DIV1641F
Table des matières

1.   Introduction                                                                                                 4

2.   La relation entre schizophrénie et épilepsie: une perspective historique                                     4

3.   Epidémiologie                                                                                                5

4.   Perspectives étiologiques                                                                                    6

     4.1.            Hypertrophie ventriculaire                                                                   6

     4.2.            Vulnérabilité génétique commune                                                              6

     4.3.            Modification de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique                           6

     4.4.            Traumatisme crânien                                                                          6

     4.5.            Neurogénèse anormale au niveau du gyrus denté                                                7

     4.6.            Normalisation forcée                                                                         7

5.   Diagnostics                                                                                                  7

     5.1.            Diagnostic différentiel des crises d’épilepsie chez des patients atteints de schizophrénie   7

     5.2.            Diagnostic différentiel des psychoses associées à l’épilepsie                                8

		                   5.2.1. La psychose critique                                                                  8

		                   5.2.2. La psychose inter-critique                                                            8

		                   5.2.3. La psychose post-critique                                                             10

		                   5.2.4. La psychose postopératoire neurochirurgicale de novo                                  10

6.   Perspectives thérapeutiques                                                                                  10

     6.1.            Les antiépileptiques en adjuvant aux antipsychotiques                                        10

     6.2.            Antipsychotiques et seuil épileptogène                                                       12

     6.3.            L’ECT dans la schizophrénie et le trouble schizo-affectif                                    12

		                   6.3.1. L’ECT curative                                                                        14

		                   6.3.2. L’ECT de consolidation (ECT-C) et de maintenance (ECT-M) dans la schizophrénie        14

		                   6.3.3. Mécanismes d’action antipsychotique de l’ECT                                          14

7.   Conclusion                                                                                                   15

                                                                     3
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1. Introduction                                    l’Antiquité. La description détaillée la plus    même temps que l’épilepsie était enfin
                                                   ancienne que nous possédons sur l’épilep-        considérée comme une maladie neurolo-
L’épilepsie est une des affections neurolo-        sie à caractère schizophrénique se trouve        gique grâce à l’œuvre de John Hughlings
giques les plus fréquentes et concerne environ     sur une tablette babylonienne au British         Jackson (23, 25-29).
50 millions de personnes dans le monde (1).        Museum (BM47753). Celle-ci constitue
Elle est définie de façon conceptuelle comme       l’un des chapitres d’un traité de méde-
                                                                                                     Dès la médecine babylonienne et
«un trouble cérébral caractérisé par une pré-      cine babylonien («Sa-gig» ou «Sakikku»),
                                                                                                     jusqu’à la Renaissance, l’épilepsie et la
disposition durable à générer des crises d’épi-    comportant 40 tablettes et remontant à
                                                                                                     psychose ont été considérées comme
lepsie» (2-4). Il importe de distinguer d’une      au moins 2.000 ans av. J.-C. (6, 7, 19-21).
                                                                                                     commandées par des démons et leurs
part une crise d’épilepsie, et d’autre part        Cette tablette fait minutieusement état de
                                                                                                     traitements dès lors basés sur un
l’épilepsie1 proprement dite, définie par la       bon nombre des différents types de crises
                                                                                                     modèle magico-religieux.
répétition des crises. Une crise d’épilepsie est   d’épilepsie (miqtu) que l’on distingue
la manifestation clinique d’une hyperactivité      aujourd’hui. Les «psychoses schizophréni-
paroxystique hypersynchrone d’un groupe            formes de l’épilepsie» (schizophrenia-like       Au début des années 1930, la psychiatrie
plus ou moins étendu de neurones et de son         psychoses of epilepsy, SLPE), avec des hal-      suggérait un antagonisme entre schizo-
éventuelle propagation sur le cortex cérébral.     lucinations et délires de persécution, et des    phrénie et épilepsie (30-32). Cette concep-
Elle peut être généralisée ou focale. Elle peut    phénomènes post-critiques ont également          tion se basait sur certaines évolutions et
comprendre des signes moteurs, sensoriels,         été décrits dans ce texte (6, 7, 22). L’accent   différentes observations cliniques et neu-
végétatifs et psychiques (5).                      est mis sur l’essence surnaturelle de l’épi-     ropathologiques. En tout premier lieu, le
                                                   lepsie: chaque type de crise étant associé       succès de la malariathérapie dans le trai-
L’association de l’épilepsie avec les troubles     au nom d’un esprit ou d’un dieu, habi-           tement de la neurosyphilis, par lequel une
psychiques est déjà connue depuis l’Anti-          tuellement malveillant (7). Le traitement        maladie induite permettait d’en atténuer
quité où elle est décrite dans les textes baby-    relevait donc largement d’un «prêtre exor-       une autre, avait encouragé le modèle d’an-
loniens (6, 7). Les données de la littérature      ciste» ou «ashipu» (6, 23).                      tagonisme biologique comme stratégie thé-
scientifique suggèrent que les patients épi-                                                        rapeutique en médecine (31, 32). Ensuite,
leptiques ont un risque de développer une          Comme les Babyloniens, les Grecs                 dans le prolongement de cette approche,
psychose 2 à 12 fois plus important que dans       croyaient que des esprits/démons étaient         trois observations cliniques (30-32) ont
la population générale et ce risque s’avère        à l’origine des crises d’épilepsie, qu’ils       conduit les cliniciens à considérer l’épilep-
encore plus important dans le cas d’une épi-       considéraient comme un phénomène sur-            sie et la schizophrénie comme des troubles
lepsie du lobe temporal (8-16). A contrario,       naturel (21, 24). Le terme épilepsie est         antagonistes, contrairement aux croyances
la fréquence de l’épilepsie est également          dérivé d’un mot grec (epilambanein) qui          d’aujourd’hui:
plus importante chez les sujets psychotiques       signifie «prendre possession de» ou «s’em-       1.     la disparition partielle ou complète
que dans la population en général (17, 18).        parer de». C’est en des termes similaires,              d’un bon nombre de symptômes
Cette association peut suggérer une base           mais au niveau psychique plus que phy-                  chez les patients atteints de schizo-
de dysfonction neuronale commune entre             sique, que la psychose est parfois décrite.             phrénie lorsqu’ils développaient un
les deux types d’affections. Par ailleurs, bon     Toutefois, Hippocrate, un médecin grec                  trouble épileptique ou présentaient
nombre de chercheurs ont essayé de mettre          et considéré traditionnellement comme le                une crise convulsive spontanée (par
en évidence des facteurs ou des paramètres         «père de la médecine», pensait que l’épi-               exemple après un traumatisme crâ-
communs. De plus, l’association entre les          lepsie et la psychose (comme chaque                     nien ou une méningite);
deux peut poser un problème diagnostique           maladie) n’étaient pas sacrées, mais prove-      2.     on avait également constaté une
(dans les deux cas, nous retrouvons des            naient d’un trouble du cerveau – un point               faible incidence de la psychose chez
signes communs) et thérapeutique (inter‑           de vue révolutionnaire pour l’époque.                   les patients épileptiques et que très
actions pharmacocinétiques entre les anti‑         Dès lors, il recommandait des traitements               peu de patients étaient atteints à la
épileptiques et les antipsychotiques).             physiques (21, 23).                                     fois de schizophrénie et d’épilepsie;
                                                                                                    3.     enfin, en neuropathologie, les cher-
Nous avons réalisé une revue de la littéra-        Le point de vue d’Hippocrate, selon lequel              cheurs étudiant les cellules gliales
ture pour étudier les rapports entre ces deux      l’épilepsie et la psychose sont des troubles            lors d’autopsies de patients atteints
types de troubles ainsi que pour rechercher        du cerveau, n’a commencé à s’enraciner                  de différentes pathologies s’étaient
la base factuelle relative à l’utilisation de      qu’à partir du XIVe siècle. La médecine de              aperçus qu’elles étaient augmentées
l’électroconvulsivothérapie (ECT) chez les         la Renaissance (XIVe -XVIIe siècle) se sépa-            chez les patients souffrant d’épilep-
sujets atteints de schizophrénie.                  rait peu à peu de la pensée du Moyen                    sie, tandis qu’elles étaient réduites
                                                   Age qui était fortement influencée par les              chez les patients atteints de schizo-
                                                   croyances religieuses et superstitieuses,               phrénie (31, 33).
 L’association entre l’épilepsie et les
                                                   et faisait d’énormes progrès en direction
 troubles psychotiques suggère l’exis-
                                                   d’une médecine «scientifique». Les méde-         Ainsi, à l’époque, on a estimé que les
 tence d’éventuels facteurs communs,
                                                   cins du siècle des Lumières (XVIIIe siècle)      crises grand mal pouvaient avoir une utilité
 voire d’une relation causale entre
                                                   avaient une furieuse envie d’explication         thérapeutique et on a cherché un moyen
 les deux.
                                                   rationnelle du mécanisme de l’épilepsie          chimique de déclencher une crise d’épi-
                                                   qui cadrait avec les découvertes anato-          lepsie (30-32, 34-36).
2. La relation entre schizophrénie et              miques et physiologiques de cette époque.
épilepsie: une perspective historique              L’arrivée du bromure, historiquement le          L’hypothèse d’un antagonisme entre épilep-
                                                   premier médicament anti-épileptique,             sie et schizophrénie a mené le psychiatre
Une association entre les troubles psy-            dans la deuxième moitié du XIXe siècle,          hongrois Meduna, en 1934, à provoquer
chiques et l’épilepsie a été observée depuis       représentait un progrès considérable, en         des crises d’épilepsie chez des patients

                                                                            4
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atteints de schizophrénie en pratiquant         et l’observation des formes pharmaco-ré-         Dans une étude de cohorte, basée sur
des injections d’huile camphrée, puis de        sistantes de la schizophrénie ont conduit        des données nationales danoises qui
métrazol (cardiazol) (30, 33, 35, 37-39).       à cette résurgence (36). L’ECT est néan-         concernent plus de 2,27 millions de per-
Il pensait que l’induction des crises pour-     moins une option thérapeutique de choix,         sonnes nées entre 1950 et 1987, Qin et
rait favoriser une hypertrophie des fibres      pas seulement pour les patients atteints de      al. (51-53) ont examiné si une augmenta-
nerveuses, avec des conséquences béné-          schizophrénie qui ne sont améliorés que          tion du risque de développer une psychose
fiques pour la schizophrénie. Cependant,        partiellement par les traitements antipsy-       était plus élevée chez les patients épilep-
avant de perdre connaissance, le sujet avait    chotiques, mais également pour ceux ayant        tiques et s’il existait une influence de l’âge
une telle expérience vécue d’angoisse (31)      des symptômes catatoniques ou nécessitant        de début, du type d’épilepsie, et des antécé-
que la technique restait d’un usage limité      une amélioration rapide des exacerbations        dents familiaux d’épilepsie ou de psychose.
et l’on a cherché d’autres moyens de par-       symptomatiques schizophréniques (40, 41).        L’épilepsie a été classée en 4 catégories lors
venir au même résultat. Ce sont Cerletti et                                                      de chaque admission: épilepsie avec crises
Bini qui ont proposé, en 1938, une tech-        3. Epidémiologie                                 partielles complexes, épilepsie avec autres
nique nouvelle qui évitait les inconvé-                                                          types de crises partielles, épilepsies géné-
nients de l’huile camphrée et du métrazol       Avant de mentionner les données épidémio-        ralisées et autres types d’épilepsie (épilep-
en utilisant une méthode de traitement par      logiques sur la relation épilepsie-psychose,     sies non spécifiées). Dans cette cohorte
l’électricité: l’ECT, anciennement la sismo-    il nous semble important de rappeler qu’il y     de 2,27 millions de personnes, 1,5% avait
thérapie ou l’électrochoc (31, 32, 35, 36,      a des associations entre épilepsie et troubles   eu une épilepsie avec un âge médian de
40). Le principe de l’ECT repose donc sur       psychiatriques en général, et que le lien        début de 14,7 ans à la première admis-
un prétendu antagonisme clinique entre          avec la psychose n’est donc qu’un exemple        sion. Parmi eux, 276 (0,8%) ont été par la
épilepsie et schizophrénie.                     particulier d’un lien plus général (45).         suite hospitalisés pour une schizophrénie
                                                                                                 et 519 (1,5%) pour une psychose (schizo-
                                                Selon les études basées sur la popula-           phrenia-like psychosis). La durée médiane
 La naissance de l’électroconvulsivothé-
                                                tion, la prévalence de la psychose varie         entre la première hospitalisation pour épi-
 rapie (ECT) remonte à une conception
                                                de 2 à 7% chez les patients épileptiques.        lepsie et la première hospitalisation pour
 fausse liant inversement épilepsie et
                                                Elle s’élève de 10 à 19% chez les patients       psychose était de 8 années. Par rapport à la
 schizophrénie.
                                                atteints d’une épilepsie du lobe temporal        population générale, les auteurs ont trouvé
                                                (10, 17, 46-50). Une revue systématique          que les sujets épileptiques avaient environ
A partir de cette date et jusque dans les       et méta-analytique publiée en 2014 (10)          2,5 fois (risque relatif, RR = 2,48; 95% IC:
années 1950, l’ECT bénéficiait d’une consi-     a estimé que la prévalence de la psychose        2,2-2,8) plus de risques de développer une
dérable popularité dans le traitement de la     chez les patients atteints d’épilepsie est de    schizophrénie et qu’ils avaient environ 3
schizophrénie. Trois éléments expliquent        5,6% (les pourcentages variant de 0,02 à         fois (RR = 2,93; 95% CI: 2,69-3,20) plus de
le déclin progressif de l’ECT dans la prise     27%) et 7% chez les patients atteints d’une      risques de développer une psychose. En ce
en charge de la schizophrénie dans les          épilepsie du lobe temporal.                      qui concerne le risque de développer une
années 1960 et 1970 (35, 36, 40-42):                                                             schizophrénie dans la population générale
-    l’introduction des antipsychotiques        Chang et al. (9), dans une étude de cohorte      que le patient soit épileptique ou non, les
     (avec la chlorpromazine) à partir de       rétrospective, ont travaillé sur les infor-      auteurs retrouvent un risque plus important
     1952 (43),                                 mations de la base de données nationale          quand un antécédent familial d’épilepsie
-    le fait que l’ECT a une efficacité supé-   d’assurance maladie de Taiwan et identi-         (RR = 1,11; 95% CI: 1,01-1,22) ou de schizo-
     rieure dans les troubles de l’humeur, et   fié 5.195 patients atteints de schizophré-       phrénie (RR = 7,57; 95%CI: 6,98-8,20) est
-    l’opposition grandissante envers           nie et 11.527 patients atteints d’épilepsie,     observé (voir Tableau 1). Cependant, il n’y
     l’ECT (44).                                diagnostiqués entre 1999 et 2008. Ces            avait pas de différence suivant le sexe et le
                                                groupes de patients ont été comparés à un        type d’épilepsie suivant leurs 4 catégories.
Une résurgence de l’intérêt pour l’ECT          groupe de sujets sains du même sexe et âge
émerga dans les années 1980 lorsqu’il fut       (20.776 et 46.032, respectivement). Ils ont      En utilisant les données disponibles dans
constaté que, malgré les progrès pharma-        trouvé que les patients atteints d’épilepsie     deux registres nationaux finlandais,
cologiques, environ 20 à 40% des patients       sont environ 8 fois [taux de risque ajusté       incluant 9.653 familles et 23.404 enfants,
atteints de schizophrénie avaient une patho-    (TRa): 7,65, intervalle de confiance (IC) à      Clarke et al. (13) ont constaté que les indi-
logie résistante (36, 42). Plusieurs études     95%: 6,04-9,69] plus susceptibles de déve-       vidus avec une histoire parentale d’épi-
bien conduites dans les années 1970 mon-        lopper une schizophrénie. Inversement, ils       lepsie avaient 2 fois (risque instantané ou
trant l’efficacité de l’ECT dans la dépres-     ont trouvé que les patients atteints de schi-    taux de hasard, HR = 1,9; 95% IC: 1-3,7)
sion, l’apparition d’une certaine inquiétude    zophrénie sont environ 6 fois [TRa: 5,88,        plus de risques de développer une psy-
suite à l’évocation d’effets secondaires        95% IC: 4,71-7,36] plus susceptibles de          chose schizophrénique, comparativement
sérieux des neuroleptiques conventionnels       développer une épilepsie.                        aux personnes sans antécédents familiaux

 Tableau 1: Risques relatifs ajustés (intervalle de confiance à 95%) de développer une schizophrénie ou une psychose
 selon des antécédents personnels et familiaux (51).
                     Qin et al. (2005)                          Schizophrénie                    Psychose (schizophrenia-like psychosis)
        Antécédent personnel d’épilepsie                      2,48 (2,20-2,80)*                             2,93 (2,69-3,20)*
     Antécédent familial de schizophrénie                     7,57 (6,98-8,20)*                             6,24 (5,83-6,69)*
          Antécédent familial d’épilepsie                     1,11 (1,01-1,22)°                             1,20 (1,11-1,29)*
 *p < 0,01, ° p < 0,05

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d’épilepsie. Les personnes avec une his-         4.2. Vulnérabilité génétique commune
                                                                                                     L’insuffisance ou la modification de la
toire parentale de psychose avaient 2,7 fois
                                                                                                     perméabilité de la barrière hémato-
(HR = 2,7; 95% IC: 1,2-6) plus de risques        Certaines études génétiques suggèrent
                                                                                                     encéphalique à cause des crises d’épilep-
de développer une crise d’épilepsie géné-        que les psychoses de l’épilepsie et la schi-
                                                                                                     sie, permettant l’entrée d’auto-anticorps
ralisée par rapport aux individus sans anté-     zophrénie ont un chevauchement symp-
                                                                                                     pathogènes, pourrait contribuer à l’émer-
cédents familiaux de psychose.                   tomatique parce qu’elles partagent des
                                                                                                     gence de la psychose post-critique chez
                                                 facteurs de risque génétique communs (9).
                                                                                                     les patients épileptiques.
Une revue systématique et méta-analy-            Par exemple, des études génétiques ont
tique récente (10) a trouvé que la psychose      montré clairement un certain chevauche-
et/ou la schizophrénie est 7,8 fois plus fré-    ment entre les loci des facteurs génétiques
quente chez les patients atteints d’épilepsie    associés aux troubles du spectre psycho-           4.4. Traumatisme crânien
que dans la population générale.                 tique et ceux associés aux membres de la
                                                 famille protéique (leucine-rich glioma-inac-       Il est démontré que des complications ob‑
                                                 tivated 1, LGI1 à leucine-rich glioma-inac-        stétriques et périnatales sont associées
                                                 tivated 4, LGI4), impliqués dans l’épilepsie.      avec un risque accru (de 2 à 3 fois) pour
 Les études épidémiologiques ont confir-
                                                 Cette famille protéique joue un rôle impor-        la schizophrénie (65-68), particulièrement
 mé une relation bidirectionnelle entre
                                                 tant dans la régulation de la transmission         parmi des personnes au risque génétique
 schizophrénie et épilepsie. Cette rela-
                                                 synaptique glutamatergique ainsi que dans          élevé pour la psychose (69). Les liens entre
 tion pourrait être due à une vulnérabi-
                                                 le développement du système nerveux cen-           symptômes psychotiques (schizophré-
 lité commune (susceptibilité génétique,
                                                 tral (9). Dans cette optique, il est intéressant   niques ou non) et traumatisme crânien ne
 facteurs neurobiologiques et environne-
                                                 de noter que «l’épilepsie partielle autoso-        sont pourtant toujours pas élucidés (70).
 mentaux similaires) (9, 51, 54).
                                                 mique dominante avec symptômes auditifs»
                                                 est une épilepsie du lobe temporal d’origine       Chez les sujets génétiquement vulnérables
                                                 génétique, liée à des mutations dans le gène       à la schizophrénie, le traumatisme crânien
4. Perspectives étiologiques                     LGI1, localisé sur le chromosome 10q24             est un facteur de risque environnemen-
                                                 (62). Les symptômes les plus fréquents             tal modéré qui augmenterait la probabi-
La schizophrénie est un trouble complexe         consistent en des crises d’épilepsie et des        lité d’un déclenchement d’une psychose
faisant intervenir de nombreux facteurs          hallucinations élémentaires (du type bour-         (Odds ratio, OR = 2,8; 95% IC: 1,76-4,47)
étiologiques: anomalies génétiques, neuro-       donnements d’oreille) ou complexes (voix).         (71). Pour les sujets sans antécédents fami-
anatomiques, biologiques et environne-           Le gène CNTNAP22 serait également asso-            liaux psychotiques, la corrélation entre
mentales. Certaines de ces anomalies ont         cié à la schizophrénie et à l’épilepsie (63).      traumatisme crânien et schizophrénie
également été mises en évidence chez les                                                            semble être faible (OR = 1,65; 95% IC:
sujets épileptiques (9).                         4.3. Modification de la perméabilité               1,17-2,32) (71-74).
                                                 de la barrière hémato-encéphalique
Notons que plusieurs études ont mis en                                                              Les victimes d’un traumatisme crânien,
évidence un lien entre maladies psychia-         Une association entre des crises d’épilep-         qu’il s’agisse d’une simple commotion
triques et crises d’épilepsie chez les indivi-   sie, la perturbation de la barrière hémato-        cérébrale (RR = 2,22, 95% IC: 2,07-2,38),
dus avec un retard mental: la fréquence de       encéphalique (BHE) et le système immu-             d’une blessure sévère du cerveau (RR =
ces troubles tend à augmenter en fonction        nitaire a été suggérée pour expliquer la           7,40, 95% CI: 6,16-8,89) ou d’une frac-
du degré de retard mental (55-57). Il faut       pathophysiologie des psychoses post-               ture du crâne (RR = 2,17, 95% IC: 1,73-
donc contrôler le quotient intellectuel pour     critiques. La BHE, qui sépare le cerveau de        2,71), ont également plus souvent des
mettre de côté le retard mental dans le dia-     la circulation sanguine, empêche la majo-          crises d’épilepsie (post-traumatiques) que
gnostic épilepsie-psychose.                      rité des molécules d’atteindre leurs cibles        la population générale. De plus, ce risque
                                                 cérébrales. Pollak et al. (64) émettent l’hy-      épileptique, s’il est maximal la première
4.1. Hypertrophie ventriculaire                  pothèse selon laquelle la récurrence des           année suivant le choc, reste élevé jusqu’à
                                                 crises d’épilepsie va entraîner une pertur-        dix ans après l’accident (4, 75, 76).
Chez beaucoup de patients atteints de schi-      bation ou une modification de la perméa-
zophrénie, on a observé au niveau anato-         bilité de la BHE, permettant l’entrée de           Certaines études ont montré qu’il existe
mique une réduction du volume de matière         certains auto-anticorps pathogènes (par            une forte comorbidité entre la survenue
grise et un élargissement des ventricules        exemple les auto-anticorps anti-récepteurs         d’un traumatisme crânien, l’apparition
dans des parties du lobe temporal, particu-      glutamatergiques N-Méthyl-D-Aspartate              d’un trouble de nature psychotique et des
lièrement dans l’hippocampe, l’amygdale          ou NMDA) dans le cerveau. Ces auto-                crises d’épilepsie. Les crises d’épilepsie
et le gyrus temporal supérieur, consécutif       anticorps bloquent ou diminuent la sen-            se produisent plus fréquemment chez des
à un problème neurodéveloppemental (54,          sibilité (downregulation) des récepteurs et        individus qui ont un trouble psychotique
58, 59). Des ventricules cérébraux élargis       peuvent brièvement produire des effets qui         secondaire au traumatisme crânien, par
chez les patients épileptiques ont déjà été      ressemblent à des symptômes de troubles            rapport aux individus avec un traumatisme
décrits depuis 1917 (60). Sundram et al. (61)    psychotiques. Après la clairance des               crânien sans trouble psychotique (8, 77).
ont démontré une réduction du volume de          auto-anticorps pathogènes du système ner-
matière grise et blanche dans le lobe tem-       veux central, les symptômes psychotiques           Par sa présentation clinique, la schizophrenia-
poral chez les patients qui ont une épilepsie    disparaissent. La psychose inter-critique          like psychosis secondaire à un traumatisme
du lobe temporal avec symptômes psycho-          serait causée par une diminution perma-            inclut classiquement un délire de persécu-
tiques (10). La présence de ces anomalies        nente de la sensibilité des récepteurs,            tion (22%-80%) et des hallucinations audi-
dans les deux maladies pourrait indiquer un      ainsi que par une perméabilité augmentée           tives (47%-84%), ce qui contraste avec
mécanisme commun (10, 54).                       permanente de la BHE.                              le peu de symptômes négatifs (15%-22%).

                                                                           6
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Les lésions cérébrales dans la psychose sub-
                                                    Tableau 2: Diagnostic différentiel des crises d’épilepsie chez des patients atteints de
séquente à un traumatisme crânien sont pré-
                                                    schizophrénie (18, 91-95).
férentiellement polarisées au niveau des
lobes temporaux et frontaux (70, 77-79).                                               Syncope et causes cardiaques
                                                                                          Hypotension orthostatique
4.5. Neurogénèse anormale au niveau                                                           Arythmie cardiaque
du gyrus denté                                                                        Maladies des valves cardiaques
                                                                                      Maladies des artères coronaires
L’hippocampe, se situant dans le lobe tem-
poral médian, est une des seules struc-                                                      Syncope mictionnelle
tures cérébrales à présenter une activité de                                                 Episodes vasovagales
neurogénèse chez l’individu adulte. Cette                                               Maladies cérébrovasculaires
neurogénèse a lieu au niveau du gyrus                                                 Accident ischémique transitoire
denté et, plus précisément, au niveau de
                                                                                         Amnésie globale transitoire
la zone sous-granulaire. En bref, les cel-
lules souches neurales, qui résident et se                                                        Migraine complexe
maintiennent au cours de la vie adulte                                                   Pathologies psychiatriques
dans cette zone, produisent des cellules                                       Crises non épileptiques psychogènes (CNEP)
progénitrices. Celles-ci prolifèrent puis se
                                                                                              Troubles dissociatifs
différencient en cellules granulaires. Ces
                                                                                                   Troubles anxieux
cellules néoformées migrent ensuite vers
le gyrus denté. Une neurogénèse anormale                                                  Manifestations hystériques
a été mise en évidence chez le sujet pré-                                                           Médicaments
sentant une épilepsie et dans les modèles                                                          Antidépresseurs
animaux d’épilepsie du lobe temporal. En
                                                                                          Stabilisateurs de l’humeur
effet, plusieurs études ont suggéré une aug-
mentation du nombre des cellules granu-                                                           Antipsychotiques
laires au niveau du gyrus denté durant le                                                           Anxiolytiques
développement d’une épilepsie du lobe                      Antibiotiques (céphalosporines, quinolones, isoniazide, certains autres)
temporal (80). Une telle prolifération anor-                                                       Amphétamines
male a été également démontrée chez des
                                                                                                       Cocaïne
patients atteints de schizophrénie (81, 82).
                                                                                                       Opiacés
4.6. Normalisation forcée                                                                          Chimiothérapie
                                                                                           Certains antiépileptiques
La normalisation forcée correspond à l’appa-                           Arrêt brutal de certains traitements médicamenteux
rition d’une psychose lorsque les crises épi-                              (benzodiazépines, barbiturates) ou l’alcool
leptiques cèdent (avec un EEG en apparence
                                                                                   Effets indésirables des médicaments
«normalisé»), par exemple sous traitement
antiépileptique. Généralement, les épisodes                                             Réactions dystoniques aiguës
sont brefs mais parfois ils peuvent se pro-                                               Tremblement intermittent
longer sur plusieurs semaines. Cependant,                                                Encéphalopathies toxiques
l’émergence d’une psychose à l’occasion de                                            Troubles métaboliques/toxiques
la disparition des crises ne concerne qu’un
                                                                                                    Hypoglycémie
sous-groupe très restreint de patients. De
plus, le concept de normalisation forcée                                                            Hypocalcémie
demeure controversé. A l’heure actuelle, il                                    Modifications de la balance des électrolytes
est impossible d’interpréter ce phénomène                                                              Urémie
de manière univoque (83-85).
                                                                                                      Eclampsie
                                                                                      Autres maladies neurologiques
5. Diagnostics
                                                                                Choréoathétose paroxystique ou dystonie
5.1. Diagnostic différentiel des crises d’épilep-             Hyperexplexie (trouble neurologique héréditaire qui se caractérise
sie chez des patients atteints de schizophrénie                   par un réflexe de sursaut exagéré au bruit et au contact)
                                                                                                         Tics
Avant de porter le diagnostic d’épilepsie
                                                                                                     Stéréotypies
chez un patient atteint de schizophrénie,
                                                                                                     Myoclonie
il est impératif d’éliminer d’autres fac-
teurs étiologiques potentiels, tels que la                                                            Titubation
consommation de certains stupéfiants, cer-                                                   Traumatisme crânien
tains troubles métaboliques (iatrogènes ou                                                   Troubles du sommeil
autres), l’utilisation des antipsychotiques
                                                                   Dyssomnies (narcolepsie, syndrome des jambes sans repos)
(effet secondaire ou sevrage) et autres
maladies neurologiques (voir Tableau 2).                     Parasomnies (terreur nocturne, somnambulisme, apnée du sommeil)

                                                                           7
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Le psychiatre doit procéder à une éva-            dans l’évaluation du mal épileptique ou          de la conscience (conscience claire ver-
luation neurologique approfondie. Dans            des crises répétées (87). De plus, certaines     sus confusion), selon la situation chronolo-
cette optique, l’électroencéphalogramme           études ont rapporté une augmentation du          gique de survenue du trouble psychotique
(EEG) est indispensable pour le diagnos-          taux de prolactine, déjà présente avant          par rapport aux crises [psychoses péri-cri-
tic de l’épilepsie. A côté d’un EEG de nuit,      le début du trouble psychotique chez au          tiques (pré-critique, critique, post-critique)
des explorations plus complètes pour-             moins 25% des patients naïfs de traitement       et inter-critique] (48). La classification la
raient être réalisées (EEG ambulatoire, EEG       antipsychotique (88-90). Le dosage sérique       plus utilisée des psychoses en lien avec
vidéo…). L’imagerie par résonance magné-          de la prolactine ne peut donc certainement       l’épilepsie se base sur le rapport tempo-
tique (IRM) est l’examen d’imagerie le plus       pas être utilisé comme outil de diagnos-         rel entre la crise et le développement du
performant pour préciser l’étiologie: l’ima-      tic différentiel des crises d’épilepsie chez     trouble psychotique. On distingue, selon
gerie est cruciale pour localiser le foyer        l’adulte psychotique.                            cette classification, les psychoses critiques,
épileptogène ou détecter une éventuelle                                                            inter-critiques et post-critiques (14, 15, 47,
lésion (18).                                      5.2. Diagnostic différentiel des psychoses       74, 85, 97-101).
                                                  associées à l’épilepsie
Après la mesure des signes vitaux pour éva-                                                        5.2.1. La psychose critique
luer la stabilité de la situation, un recueil     Il existe schématiquement deux grandes
anamnestique le plus précis possible, com-        circonstances associant psychose et épi-         Au cours de certaines crises d’épilepsie,
prenant notamment les antécédents médi-           lepsie. D’abord, l’épilepsie peut compli-        des manifestations d’allure psychotique
caux familiaux et personnels du patient,          quer une psychose préexistante par le fait       peuvent se voir. Les symptômes psycho-
ainsi qu’une description la plus précise pos-     que certains antiépileptiques, utilisés pour     tiques sont donc contingents avec la crise
sible du malaise par les témoins, est recom-      contrôler les crises d’épilepsie, peuvent        d’épilepsie. La psychose critique est brève
mandé. Durant les 24 heures qui suivent la        affecter le contrôle efficace de symptômes       (quelques heures ou jours), s’accompa-
crise d’épilepsie les valeurs «seuils» de cer-    des troubles psychotiques (voir plus loin).      gnant d’une altération de la conscience
taines anomalies biologiques susceptibles         A l’inverse, la psychose peut apparaître         (47, 85, 99). Sur le plan clinique, la psy-
d’entraîner une crise d’épilepsie doivent         secondairement à l’épilepsie (14, 96).           chose critique se caractérise par l’ap-
être évaluées (18). Les six principaux para-      Récemment, pour la première fois, les psy-       parition de pensées et comportements
mètres biochimiques à considérer pour leur        choses associées à l’épilepsie ont été iden-     inhabituels, d’une agitation, d’une anxiété
imputabilité dans la survenue d’une crise         tifiées comme des entités nosographiques         et d’une confusion. Les délires et les hallu-
d’épilepsie sont: la glycémie (< 2mmol/l ou       dans le DSM-5. Elles y sont classées dans        cinations auditives et visuelles sont moins
> 25mmol sans ou avec cétose), le sodium          la catégorie «trouble psychotique dû à           fréquents (46, 99, 102) (voir Tableau 3).
(< 115mmol/l), le calcium (< 1,2mmol/l),          une autre affection médicale» (97). Etant
le magnésium (< 0,3mmol/l), l’urée san-           donné que l’état psychotique au long             5.2.2. La psychose inter-critique
guine (> 35,7mmol/l) et la créatinine             cours de l’épileptique ressemble beaucoup
(> 884mmol/l). Cependant, ces chiffres            à une schizophrénie et que l’épilepsie           Les psychoses inter-critiques représentent
doivent être considérés à titre indicatif (86).   peut mimer les symptômes psychotiques,           5% de l’ensemble des troubles psycho-
L’American Academy of Neurology recom-            il est important de connaître le diagnostic      tiques observés dans l’épilepsie (48).
mande d’utiliser le dosage sérique de la          différentiel.                                    Elles peuvent être épisodiques (quelques
prolactine comme complément au dia-                                                                jours à quelques semaines) ou chroniques
gnostic différentiel de certaines crises épi-     Plusieurs modalités de classement pour les       (quelques mois). Les psychoses inter-
leptiques chez l’adulte non psychotique.          psychoses épileptiques ont été proposées:        critiques chroniques ont une présenta-
Cependant, la prolactine ne permet pas            selon la durée de l’épisode psychotique          tion clinique évocatrice d’une schizo-
de distinguer une crise épileptique d’une         (psychoses épisodiques versus psychoses          phrénie (47, 100). Parce que les critères
syncope et son utilité n’a pas été établie        chroniques), selon le degré d’altération         diagnostiques coïncident avec ceux de la

 Tableau 3: Diagnostic différentiel des psychoses de l’épilepsie (46, 48, 54, 100).
                                                             Psychose de l’épilepsie
                                      Critique                             Inter-critique                         Post-critique
           Conscience Altérée                                Normale                               Normale ou discrètement altérée
                 Durée Quelques heures ou jours              Inférieure à un mois (épisodiques)    Quelques jours ou semaines

                                                             Quelques mois jusqu’à plus de
                                                             10 ans (chroniques, SLPE)
                   EEG Status epilepticus                    Inaltéré                              Augmentation de l’activité épileptique
  Symptômes positifs Des pensées et comporte-                Critères de premier rang de           Critères de premier rang de Schneider
                     ments inhabituels                       Schneider plus manifestes             rarement rencontrés

                          Hallucinations et délires sont     Délires paranoïdes et                 Un syndrome délirant de thématique
                          moins fréquents                    hallucinations                        plus variable (de persécution, de gran-
                                                                                                   deur, de référence, somatique, mystique)
 Symptômes négatifs Rarement rencontrés                      Rarement rencontrés                   Pas manifestes

                                                                            8
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schizophrénie selon le DSM-5, dans la lit-                           avec une meilleure systématisation que                                 de schizophrénie. Enfin, le fonctionne-
térature anglo-saxonne, elles sont dénom-                            les délires schizophréniques) et des hal-                              ment prémorbide des SLPE paraît moins
mées «psychoses schizophréniformes de                                lucinations auditives (les hallucinations                              déficitaire que celui des patients atteints
l’épilepsie» (schizophrenia-like psychoses                           visuelles sont rares). Cependant, dans les                             de schizophrénie (14, 22, 47, 100-103)
of epilepsy, SLPE) (22, 47, 102, 103).                               SLPE, une indifférence affective et des                                (voir Tableau 3). Le tableau 4 laisse entre-
                                                                     symptômes négatifs sont rarement ren-                                  voir les facteurs de risque.
Le tableau clinique peut comporter un                                contrés et les patients sont plus conscients
syndrome délirant paranoïde (parfois                                 de leur maladie que les patients atteints

 Tableau 4: Liste des facteurs de risque potentiels pour la psychose post-critique, la psychose inter-critique
 et la psychose non-classifiée chez les patients avec une épilepsie du lobe temporal (46).
                            Facteurs de risque                                          Psychose post-critique                 Psychose inter-critique                Psychose non-classifiée3
 Facteurs dépistés par l’anamnèse
 Un début de l’épilepsie avant l’âge de 10 ans                                                        XXX                                    XXX
 Une histoire de convulsions fébriles prolongées4                                                                                            XXX
 Facteurs cliniques
 Status epilepticus5                                                                                  XXX                                    XXX                                     XXX
 Crises dialeptiques et/ou automotrices
                             6                              7
                                                                                                      XXX
 Crises généralisées secondaires                                                                                                             XXX
 Intelligence verbale et/ou non verbale
                                                                                                                                              +/-                                     +/-
 (dite de performance)8 inférieure
 Alexythimie                                                                                                                                                                         XXX
 Salves de crises d’épilepsie                                                                                                                                                        XXX
 Facteurs anatomiques
 Sclérose temporale mésiale9,10 du côté gauche                                                                                                                                       XXX
 Crises bitemporales ou crises avec une diffusion
                                                                                                      XXX
 rapide vers le lobe temporal controlatéral
 Des foyers épileptiques temporaux gauches
                                                                                                                                                                                     XXX
 et droits
 Réduction bilatérale de volume de la substance
                                                                                                                                                                                     XXX
 blanche dans les régions de l’hippocampe
 Réduction de volume de la substance grise
                                                                                                                                                                                     XXX
 dans les régions de l’hippocampe gauche
 Diminution du nombre de neurones
                                                                                                      XXX                                    XXX                                   XXX(+)
 dans la région CA1 de l’hippocampe
 L’existence d’une sclérose bilatérale de l’hippocampe                                                                                                                               XXX

 L’existence d’une sclérose unilatérale de l’hippocampe                                               XXX                                                                          XXX(+)

 Diminution de l’activité des synapses
                                                                                                                                                                                      XX
 de l’hippocampe gauche
 Diminution de la réorganisation synaptique
                                                                                                                                             XXX
 dans le gyrus denté11
 Activité de la phospholipase A2 (iPLA2) élevée
                                                                                                                                              XX
 dans l’hippocampe
 Diminution du volume cérébral régional
                                                                                                                                                                                      +/-
 dans l’hippocampe/l’amygdale
 Déformations dysplasiques ou atrophie
                                                                                                      XXX
 du néocortex temporal
 Anomalies neuronales dans les gyri moyens
                                                                                                                                              XX
 et supérieurs du lobe temporal gauche
 Perte d’axones du lobe frontal (particulièrement
                                                                                                                                              XX
 du côté droit) et du lobe temporal
 Lésions de la substance blanche et grise
                                                                                                                                                                                     XXX
 dans les régions extratemporales
 XXX = basé sur des résultats d’étude de qualité méthodologique bonne; XX = basé sur des résultats d’étude de qualité méthodologique modérée; (+) = association inverse; +/- = résultats contradictoires

                                                                                                     9
                                                                                  Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 6 • 2016
5.2.3. La psychose post-critique                 qui suivent l’intervention chirurgicale (85,      du système glutamatergique, soit en modi-
                                                 108-115).                                         fiant la conductance ionique (canaux Na+
Le syndrome de psychose post-critique                                                              ou Ca2+) (118). Bien que l’hypothèse dopa-
représente 25 à 30% de l’ensemble des            Le tableau clinique de cette psychose,            minergique a été depuis longtemps la plus
troubles psychotiques observés dans l’épi-       dominé par des idées délirantes de per-           développée dans le cadre de la schizo-
lepsie (14, 48). Sa prévalence varie entre 2     sécution et des hallucinations auditives,         phrénie, l’hyperactivation dopaminergique
et 7,8% chez les patients épileptiques (47,      ressemble par certains points aux SLPE.           mésolimbique n’apporte qu’une explica-
85), et est estimée à environ 7% chez les        Cependant, les mécanismes physiopatholo-          tion partielle de l’étiologie de la schizo-
patients ayant une épilepsie du lobe tem-        giques semblent différents. Dans la genèse        phrénie. C’est probablement la raison qui
poral (104).                                     des psychoses chroniques intercritiques, il       explique que de nombreux patients (envi-
                                                 est mis en évidence la longue durée d’évo-        ron 20 à 40%) souffrant de schizophrénie
La psychose post-critique donne un tableau       lution d’une épilepsie temporale phar-            ne répondent pas suffisamment bien au
clinique spécifique. Après un intervalle         maco-résistante. Des IRMs volumétriques           traitement antipsychotique en monothé-
de complète lucidité variant de 2,5 à 72         ont révélé que des patients épileptiques à        rapie (36, 42). C’est dans ce contexte que
heures à l’issue d’une crise ou d’une salve      psychose postopératoire de novo avaient           l’hypothèse glutamatergique se dévelop-
de crises (14, 46, 105), le trouble psycho-      des anomalies au niveau de leurs struc-           perait (119) et que plusieurs molécules, y
tique survient. L’insomnie, l’anxiété et un      tures cérébrales. Par exemple, on a trouvé        compris les antiépileptiques, ont été pro-
sentiment d’oppression précèdent typique-        une différence significative de volume de         posées comme traitement adjuvant aux
ment la survenue de symptômes psycho-            l’amygdale qui était plus petite du côté non      antipsychotiques chez ces patients chro-
tiques, incluant les délires de thématique       opéré chez les patients psychotiques que          niques résistants, pour potentialiser l’effi-
variée (de persécution, de grandeur, de réfé-    chez les sujets contrôles (116).                  cacité antipsychotique. On suppose que les
rence, mystique), les hallucinations, la cata-                                                     principaux mécanismes pharmacodyna-
tonie et un sentiment de dépression ou des       D’autres facteurs de risque pour le déve-         miques impliqués dans l’efficacité clinique
symptômes maniaques (mysticisme, gran-           loppement d’une psychose post-opératoire          des antiépileptiques dans le traitement
diosité). L’apparition des critères de premier   sont la présence d’une lésion congénitale,        de la schizophrénie résistante incluent la
rang de Schneider (comme des hallucina-          une histoire personnelle ou familiale de          modulation de la neurotransmission GABA
tions consistant en une voix commentant en       psychose, des anomalies bilatérales sur les       ou glutamatergique et la modulation des
permanence le comportement ou les pen-           électroencéphalogrammes préopératoires            canaux ioniques voltage dépendant (118).
sées du sujet, ou des pensées imposées) est      et une opération après l’âge de 30 ans (85,       Le tableau 5 laisse entrevoir les différents
rarement rencontrée et les symptômes néga-       115, 116).                                        niveaux d’action d’antiépileptiques, le
tifs ne sont pas manifestes. La durée de cette                                                     tableau 6 les effets bénéfiques et nocifs de
psychose est généralement brève (quelques        L’âge de début de la psychose chez les            ces médicaments.
jours ou semaines, avec une grande varia-        patients épileptiques est significativement
bilité), évoluant avec une conscience nor-       plus tardif. Dans l’étude de Adachi et al.,       Toutefois, la recherche n’apporte que peu
male ou discrètement altérée (48, 64, 85,        l’âge moyen de début de la psychose (la           d’éléments contributifs concernant ces traite-
98, 106) (voir Tableau 3).                       psychose inter-critique et post-critique)         ments combinés et aucun critère clinique ou
                                                 chez les patients épileptiques a été estimé       électrophysiologique n’indique l’utilisation
La psychose post-critique apparaît essen-        à 30,1 ans, celui du développement de             préférentielle d’antiépileptiques en adjuvant
tiellement chez des patients présentant une      la psychose chez les patients atteints de         aux antipsychotiques dans le traitement de
épilepsie du lobe temporal, évoluant depuis      schizophrénie à 26,6 ans. Dans la schi-           la schizophrénie. Quatre molécules seront
au moins 10 ans (85, 102). Le tableau 4          zophrénie, la maladie apparaît habituel-          abordées: la carbamazépine et le valproate
laisse entrevoir les facteurs de risque.         lement quelques années plus tard chez             (des antiépileptiques traditionnels), ainsi que
                                                 les femmes. Dans l’épilepsie, il n’y a pas        la lamotrigine et le topiramate (des nouveaux
La psychose post-critique se différen-           de différence majeure entre femmes et             antiépileptiques) (118, 120).
cie d’autres psychoses péri-critiques (pré-      hommes en ce qui concerne l’âge de début
critique et critique) par les symptômes          de la maladie (117).                              Carbamazépine
suivants:
-     absence de confusion ou de dysfonc-        6. Perspectives thérapeutiques                    Bien qu’il y ait une tendance en faveur
      tion autonomique;                                                                            d’une stratégie d’augmentation au moyen
-     présence d’une pensée plus organisée;      6.1. Les antiépileptiques en adjuvant             de la carbamazépine, les résultats obtenus
-     absence des changements électro-           aux antipsychotiques                              jusqu’à présent n’atteignent pas un niveau
      physiologiques à l’EEG (107).                                                                significatif (126). Une étude comparant la
                                                 L’utilisation des antiépileptiques dans la        carbamazépine à un placebo en monothé-
5.2.4. La psychose postopératoire                schizophrénie semble être contre-indiquée         rapie dans la schizophrénie a été rapide-
neurochirurgicale de novo                        vu que l’efficacité des ECT dans la prise         ment abandonnée en raison d’un taux de
                                                 en charge de la schizophrénie repose sur          rechute élevé (127). Leucht et al. (128, 129)
Quelques travaux ont été spécifiquement          un prétendu antagonisme clinique entre            ont conduit une méta-analyse de 10 études
consacrés à la survenue de psychoses post‑       épilepsie et schizophrénie. Cependant,            contrôlées et randomisées (N = 283) ayant
opératoires de novo. Après une opéra-            le but des médicaments antiépileptiques           trait à la carbamazépine dans la schizophré-
tion au niveau du lobe temporal pour une         est de prévenir la récidive des crises en         nie, en monothérapie ou associée aux neu-
épilepsie réfractaire, en moyenne 7% des         bloquant l’hyperexcitabilité neuronale            roleptiques conventionnels. L’adjonction
patients (85) (mais les chiffres des études      soit en renforçant l’activité inhibitrice         de la carbamazépine à un antipsychotique
oscillent entre 1,7 et 28,5%) développent        GABAergique (acide gamma-aminobuty-               chez les patients non-répondeurs ou par-
un syndrome psychotique dans les 6 mois          rique), soit en inhibant l’activité excitatrice   tiellement répondeurs (N = 147, 6 études),

                                                                         10
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se traduit par une baisse non significative     Quelques études (130-133) ont démon-                        une agressivité persistante. Sur la base
de respectivement 20% (p = 0,08) et 35%         tré que la carbamazépine peut être utile                    des preuves issues d’études randomisées
(p = 0,09) du score de la BPRS. De plus, la     en association avec les neuroleptiques                      actuellement disponibles, il n’est donc
carbamazépine n’a eu aucun effet notable.       conventionnels chez les patients présentant                 pas possible de préconiser une utilisation

 Tableau 5: Différents niveaux d’action d’antiépileptiques (120).
                                                                                                       Augmentation
                                           Blocage des        Blocage des                         de l’activité inhibitrice    Antagonisme
                               Activité canaux du sodium   canaux calciques                         de l’acide gamma-           de l’action
                       antiépileptique voltage-dépendants voltage-dépendants                     aminobutyrique (GABA)         du glutamate        Autres
           Carbamazépine (Tegretol ) ®
                                                   +
             Ethosuximide (Zarontin®)                                           +
                  Felbamate (Taloxa )®
                                                   +                                                           +                     +
           Gabapentine (Neurontin )  ®
                                                                                +
                Lacosamide (Vimpat ) ®
                                                   +
  Lamotrigine (Lambipol®, Lamictal®)               +                            +
              Lévétiracétam (Keppra®)                                           +                              +                                     +
           Oxcarbazépine (Trileptal )®
                                                   +
           Phénobarbital (Gardenal ) ®
                                                                                                               +
 Phénytoïne (Diphantoine , Epanutin )
                          ®          ®
                                                   +
                 Prégabaline (Lyrica®)                                          +
               Primidone (Mysoline ) ®
                                                                                                               +
                 Rétigabine (Trobalt )
                                     ®
                                                                                                                                                     +
              Rufinamide (Inovelon ) ®
                                                   +
               Stiripentol (Diacomit®)                                                                         +
                 Tiagabine (Gabitril )
                                     ®
                                                                                                               +
              Topiramate (Topamax )  ®
                                                   +                            +                              +                     +
               Valproate (Depakine ) ®
                                                                                                               +
                  Vigabatrine (Sabril®)                                                                        +

 Tableau 6: Effets bénéfiques et nocifs des antiépileptiques (120-125).
     Antiépileptique Effets bénéfiques                                                      Effets nocifs
                                                                                            Agressivité, troubles de l’attention, troubles cognitifs,
       Barbituriques Anxiété, stabilisateur de l’humeur, sommeil
                                                                                            irritabilité, désir sexuel, fonctionnement sexuelle
     Carbamazépine Agressivité, manie, stabilisateur de l’humeur, douleur                   Irritabilité, troubles de l’attention
       Ethosuximide                                                                         Agressivité, confusion, dépression, insomnie
                       Anxiété, insomnie, phobie sociale, stabilisateur                     Irritabilité/agitation, somnolence, fatigue, ataxie,
        Gabapentine
                       de l’humeur, migraine, douleur                                       œdème périphérique
                                                                                            Insomnie, irritabilité, éruption cutanée, vertige,
         Lamotrigine Dépression, stabilisateur de l’humeur, manie
                                                                                            nausées, ataxie
                                                                                            Anxiété, dépression, irritabilité, fatigue, vertige,
       Lévétiracétam Migraine
                                                                                            somnolence
                                                                                            Dépression, troubles de l’attention,
          Phénytoïne Manie
                                                                                            étourdissements, ataxie
                                                                                            Sédation, somnolence, vertige, étourdissements, fatigue,
         Prégabaline Douleur (de la fibromyalgie), insomnie, anxiété
                                                                                            nausées, gain de poids, problèmes de concentration
           Tiagabine Manie, stabilisateur de l’humeur                                       Dépression, irritabilité, vertige, fatigue, somnolence
                       Binge eating, manie, stabilisateur de l’humeur,                      Dépression, troubles cognitifs, perte de poids,
          Topiramate
                       migraine, perte de poids                                             fatigue, somnolence, nausées
                       Agitation, agressivité, irritabilité, manie,
           Valproate                                                                        Somnolence, gain de poids, dépression
                       stabilisateur de l’humeur, migraine

                                                                         11
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