FAUT-IL S'INTÉRESSER AUX ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES ?

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FAUT-IL S'INTÉRESSER AUX ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES ?
nov. 2014

FAUT-IL S’INTÉRESSER
AUX ÉLECTIONS
DÉPARTEMENTALES ?
          es élections départementales de mars 2015 ne passionneront probablement pas les foules :
          il faut s’attendre à une participation très faible, probablement inférieure à 50% ; les résultats
          semblent déjà connus d’avance, le Parti socialiste se préparant à une nouvelle défaite après
          celle des municipales de cette année.
   Pourtant, ces élections apportent des innovations intéressantes, au-delà du changement de
   terminologie (1) : parité parfaite introduite par la règle même du scrutin, nouveaux découpages des
   cantons, vote de tout le pays le même jour (alors qu’auparavant les cantons étaient renouvelés de
   manière partielle à chaque élection). Par ailleurs, si la faible participation et l’issue nationale du scrutin
   sont probables, on peut se demander pourquoi : est-ce entièrement la responsabilité du gouvernement
   et de sa très faible popularité ? Que nous dit la science électorale sur les élections intermédiaires ?
   Enfin, dans ce contexte, les partis politiques devront être encore plus innovants que d’ordinaire pour
   organiser en un temps record les meilleures campagnes possibles. Heureusement, l’innovation dans
   les campagnes électorales n’est plus réservée aux grandes élections nationales. Désormais, les
   candidats aux élections locales peuvent eux aussi bénéficier des progrès de la science électorale et
   des nouveaux outils numériques. C’est pour leur faciliter cet aggiornamento que nous avons
   développé une version spéciale Cantonales 2015 de notre logiciel Cinquante Plus Un (2).

   Pour cette septième édition, Brèves de campagne se penche sur les nouvelles élections
   départementales – un scrutin plus intéressant qu’il n’y paraît.

Un progrès historique : la proportion de femmes élues va être multipliée par quatre
Aujourd’hui, moins d’un conseiller général sur sept est une femme et quatre conseils généraux seulement
sur cent un sont présidés par des femmes. Après mars 2015, la moitié des conseillers généraux seront
des conseillères ; et pour un nombre inhabituellement élevé d’entre elles, ce mandat sera le premier. Cela
constitue un renouvellement sans précédent pour ces assemblées. La parité est en effet inscrite au cœur
du nouveau scrutin : dans chaque canton, les électeurs devront choisir un binôme de candidats comportant
nécessairement un homme et une femme. Cette nouveauté pourrait augmenter l’intérêt pour des élections
souvent boudées par les citoyens.

(1) Nous élirons pour la première fois des conseillers départementaux, qui viendront remplacer les actuels conseillers généraux
(2) Cinquante Plus Un est un logiciel de campagne électorale et de pilotage politique. Il permet aux candidats d’analyser et cartographier leur
territoire, d’organiser et piloter leur campagne, de recenser et qualifier leurs contacts. Il a déjà été utilisé par plus de soixante équipes de campagne
lors des dernières municipales. Pour en savoir plus, rendez-vous sur notre site : http://www.liegeymullerpons.fr/offre/.

                                                               Liegey Muller Pons
                                                     info@liegeymullerpons.fr | 01 43 55 35 68
                                                        106 rue du Chemin Vert, 75011 Paris
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L’intensité de ces élections et la couverture médiatique dont elles feront l’objet seront également
mécaniquement accrues par une autre nouveauté : pour la première fois, tous les Français sont appelés
aux urnes les 22 et 29 mars prochains. Jusqu’à présent, au contraire, les élections cantonales avaient lieu
tous les trois ans, dans un canton sur deux. A chaque élection, seule la moitié du pays votait.
Malheureusement, ces deux innovations ne suffiront sans doute pas à compenser les effets d’un contexte
politique très difficile.

2015 : année de vaches maigres ou de vaches grasses ?
Les élections cantonales sont celles qui, avec les élections européennes et les élections régionales,
connaissent les taux de participation les plus faibles : 60% en moyenne sous la Ve République
(figure 1 ci-dessous).

                         Figure 1. Participation aux élections de la Ve République

En plus d’être faible, la participation aux élections cantonales, que nous isolons sur la figure 2, est bien plus
variable que pour d’autres scrutins. Sur l’intervalle de trois ans séparant deux élections, la chute ou
l’augmentation de la participation est souvent considérable, jusqu’à atteindre 18 points entre 1985 et 1988.

Ces fluctuations rendent tout exercice de prédiction difficile : la participation aux élections de mars prochain
sera-t-elle similaire à celle enregistrée en 2011, 15 points supérieure, 15 points inférieure ? 2015 sera-t-elle
une année de vaches maigres, ou de vaches grasses ?

Pour aller un peu plus loin, il faut s’intéresser au contexte électoral dans lequel les élections cantonales
sont organisées. Nous distinguons ainsi trois contextes qui influencent chacun différemment le niveau de
participation. La plupart des élections cantonales organisées depuis 1958 ont eu lieu une année au cours
de laquelle aucune autre élection n’avait encore eu lieu. Trois élections ont eu lieu quelques mois après

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la tenue d’élections législatives ou présidentielles. Enfin, plus récemment, cinq élections ont été couplées
à d’autres élections, ayant lieu le même jour que d’autres scrutins, municipaux ou régionaux. La figure 3
représente l’évolution de la participation aux élections cantonales selon qu’elles relèvent de la première, de
la deuxième, ou de la troisième catégorie.

            Figure 2. Participation aux élections cantonales

            Figure 3. Participation aux élections cantonales, selon le contexte

On constate qu’à contexte électoral donné, la participation évolue de façon beaucoup plus linéaire : les
fluctuations constatées figure 2 reflétaient en grande partie des changements de contexte. Ainsi, il n’y a pas
de contexte plus défavorable pour organiser une élection cantonale qu’une année qui a déjà connu une
élection importante : les électeurs se sont alors déjà exprimés, et ils considèrent l’enjeu comme mineur. A
l’inverse, la participation aux élections cantonales n’est jamais aussi haute que lorsqu’elles sont organisées
le même jour qu’un autre scrutin : les électeurs ont en effet alors une double raison de se rendre aux urnes.

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Les élections de mars 2015 se situent dans la catégorie intermédiaire, celles des élections cantonales
organisées une année au cours de laquelle aucune autre élection n’a encore eu lieu. Depuis 1982, la
participation à ces élections diminue de scrutin en scrutin, sans exception. Lors des dernières élections
cantonales, en 2011, l’abstention atteint un record. Plus d’un électeur sur deux s’abstient, au niveau
national ; plus de deux sur trois dans le département de Seine-Saint-Denis ; jusqu’à quatre sur cinq dans le
canton de Sarcelles-Sud-Ouest. Il est facile de prolonger la courbe : 2015 devrait être elle aussi une année
de vaches maigres, caractérisée par un taux de participation inférieur à 50%. C’est dommage, car le
gouvernement avait la possibilité de coupler les élections départementales et les élections régionales et,
ainsi, de placer ce scrutin sur la courbe la plus élevée.

Au Parti socialiste : chronique d’une défaite annoncée
Aujourd’hui le Parti socialiste dirige 61 présidences de département sur 101, héritage de plusieurs vagues
roses successives depuis 1994 (Figure 4). Il devrait enregistrer une défaite sévère aux élections de mars.
Sur cela, tout le monde s’accorde. La question est ailleurs : quelles sont les raisons de cette défaite
annoncée, et quelle sera son ampleur ?

                               Figure 4. Résultats des élections cantonales depuis 1994

Le Parti socialiste a déjà perdu les élections municipales de mars 2014. Cette défaite a le plus souvent
à des facteurs conjoncturels : impopularité du président et du gouvernement, scandales et « couacs »,
implantation locale croissante du Front National. Nous croyons que la raison des défaites enregistrées par
le PS, à ces élections municipales comme aux élections départementales à venir, est ailleurs. En effet, à
chaque élection intermédiaire ou presque, quelles que soient les raisons avancées, quelle que soit
l’actualité politique, quel que soit le pays, quel que soit le parti au pouvoir, celui-ci est défait. En 2008,
moins d’un an après l’élection de Nicolas Sarkozy, l’UMP subissait un revers cuisant aux élections
municipales et cantonales. En 2010, deux ans après la victoire historique de Barack Obama, les
Démocrates américains perdaient les élections de mi-mandat, privant le président de majorité au Congrès.
L’universalité de cette règle n’avait d’ailleurs pas échappé à de nombreux élus locaux qui, le soir du
deuxième tour de l’élection présidentielle de 2012, craignaient (ou espéraient, selon leur camp) un retour
de bâton pour les prochaines élections. Ainsi, au-delà des facteurs conjoncturels propres à chaque élec-
tion, la défaite du parti au pouvoir aux élections intermédiaires s’explique aussi par des facteurs structurels.

Les chercheurs en science politique se sont depuis longtemps penchés sur cette question. Dans un article
récent sur la probable défaite du parti démocrate américain aux élections de mi-mandat du 4 novembre
prochain (3), Sasha Issenberg met en avant deux théories complémentaires. La première théorie est la
« théorie du référendum » ou « théorie du vote sanction » : pour gagner l’élection présidentielle, les
candidats cherchent à conquérir les électeurs indécis en faisant des promesses qu’ils ne pourront pas tenir.

(3) Sasha Issenberg, “How the Democrates Can Avoid Going Down this November – The new science of Democratic survival”, Newrepublic.com,
27 avril 2014

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Les élections intermédiaires prennent dès lors la tournure d’un référendum sur la politique du
gouvernement pour ces électeurs sans loyauté partisane. Ceux qui avaient voté pour le vainqueur, déçus
par les promesses non tenues, marquent leur désaccord en votant pour le parti adverse ; ceux qui avaient
voté contre lui la première fois sont confortés dans leur premier choix.

La seconde théorie est celle du surge and decline, qu’on pourrait traduire par la théorie de la marée haute
et de la marée basse. Selon cette théorie, le corps électoral comporte deux types d’électeurs : des
électeurs actifs, qui participent à l’ensemble des élections, et des électeurs intermittents, qui ne votent que
si l’enjeu du scrutin est suffisamment important. Lors d’une élection à forte intensité comme l’élection
présidentielle, la marée est haute : tous les électeurs votent et le candidat qui gagne l’élection présidentielle
est celui qui parvient le mieux à mobiliser parmi les électeurs intermittents. Mais ces électeurs intermittents
risquent de s’abstenir lors des élections intermédiaires suivantes, parce que celles-ci sont de moindre
intensité : à marée basse, ce ne sont pas les mêmes électeurs qui votent et donc pas les mêmes candidats
qui l’emportent. La théorie du référendum et celle du surge and decline sont complémentaires. Elles ont en
commun de prédire de façon presque mécanique la défaite du parti au pouvoir aux élections
intermédiaires. L’ampleur de cette défaite sera encore plus frappante en 2015 : en effet, jusqu’à présent, le
renouvellement des conseillers généraux par moitié créait une certaine inertie : il limitait l’ampleur de ces
mécanismes et réduisait le nombre de départements qui basculaient dans l’autre camp. En mars, le
renouvellement sera intégral : les partis de droite peuvent espérer remporter un nombre très élevé de
départements.

Les conséquences d’une lourde défaite, pour le Parti socialiste, seraient non seulement politiques, mais
aussi financières et humaines. Après l’élection, les cotisations des nouveaux élus représentent une manne
financière considérable pour leur parti d’appartenance. Les élus membres du Parti socialiste reversent par
exemple en moyenne 10% de leur salaire au parti, soit environ 15 millions d’euros chaque année, ou un
quart du budget total du parti. C’est l’une des raisons qui a valu à ce parti le qualificatif de « parti d’élus ».
En cas de défaite, cette dénomination risque fort de devenir désuète, avec des conséquences qui
dépassent la dimension strictement financière.

En outre, les élus comme le personnel administratif des conseils départementaux sont en quelque sorte la
colonne vertébrale des partis : ce sont les premiers à se mobiliser pour les élections suivantes, y compris
nationales. Exercer un mandat de conseiller général est souvent une première étape, formatrice, pour les
cadres du parti appelés à gravir les échelons jusqu’aux postes nationaux. Une défaite trop cuisante risque
donc de priver le parti qui la subit de certaines de ses forces vives, de détourner des jeunes candidats
prometteurs de la carrière politique, et d’entraîner des défaites ultérieures.

Les candidats peuvent-ils quelque chose contre la force des marées ?
Les résultats de la science politique ont souvent un côté fataliste, mettant l’accent sur des facteurs
structurels difficiles à modifier à court terme. Néanmoins, les candidats ont une marge de manœuvre
importante. En effet, les partis politiques devraient aborder ces élections départementales en se posant
trois questions stratégiques. Quels sont les départements tangents, où la campagne peut faire la différence
? Au sein de chaque département, quels sont les cantons tangents ? Dans ces cantons, quelles zones
faut-il cibler, et à quel type d’électeurs faut-il s’adresser ?

Les sondages nationaux qui seront réalisés d’ici les élections n’apportent aucune réponse à ces questions :
leur échelle n’est pas assez fine. Pour identifier les départements tangents, une première méthode pourrait
consister à partir des départements tangents la dernière fois. Cette méthode ne permet cependant pas de

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prendre en compte la tendance nationale de recul de la gauche, et elle ne s’applique pas aux cantons,
puisque leurs frontières ont radicalement changé (4).

Ce redécoupage et la variabilité caractéristique des élections cantonales dont nous discutions plus haut
rendent une analyse plus serrée et plus systématique des données électorales passées indispensable.
Mais ce travail est difficile et coûteux. Pour en mutualiser les coûts, nous avons construit un modèle
prédictif pour l’ensemble de la France et nous l’avons intégré à Cinquante Plus Un, notre application en
ligne de gestion de campagne. Calibré sur les dernières élections, notre modèle estime le potentiel de voix
gagnables par chaque parti dans chaque bureau de vote, qu’il s’agisse d’électeurs indécis à convaincre,
selon la théorie des élections intermédiaires comme élection-sanctions, ou d’électeurs intermittents à
mobiliser, selon la théorie des marées hautes et des marées basses. Nos estimations, disponibles à
l’échelle du bureau de vote, peuvent bien entendu être agrégées aux échelons supérieurs du canton et du
département. Elles nous permettent ainsi de répondre aux trois questions énoncées ci-dessus.

Quelle que soit la qualité des prédictions que l’on peut effectuer équipé d’un tel modèle, une chose est
certaine : il n’y a aucune raison d’être fataliste sur le désintérêt des citoyens. Certains cantons échappent à
la très forte abstention qui caractérise les élections locales : en 2011, par exemple, la participation s’élevait
à 80% dans certains cantons d’Aveyron, un niveau atteint ailleurs uniquement lors des élections
présidentielles. En outre, la forte variabilité des scores constatée d’une élection sur l’autre au sein d’un
même territoire, au-delà des mouvements de fond nationaux, est le signe que le contexte local, les
caractéristiques des candidats, la qualité de leur campagne sont autant de facteurs qui comptent.

(4) Les cantons sont deux fois moins nombreux et en moyenne deux fois plus grands. Un nouveau canton n’est cependant pas, en général, le
simple agrégat de deux anciens cantons. L’intégralité des frontières ont été réaménagées, de sorte que les tailles des cantons au sein d’un même
département, soient plus homogènes. En effet, un vote vaut relativement moins dans un canton relativement plus peuplé. Le creusement des écarts
de population entre cantons depuis le découpage de 1801 menaçait ainsi le principe d’égalité devant le suffrage.

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