Géante=Création. Le monde d'Adolf Wölfli

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Guide de l’exposition

                                      Fondée par
                    Maurice E. et Martha Müller
                    et les héritiers de Paul Klee

Géante=Création.
Le monde d’Adolf Wölfli
21.05. – 15.08.21
Plan de la salle

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« Eh bien !! C’est comme si la bengalisation et la projection
d’étincelles de notre tube d’omnipotence, rempli et presque
­illimité, ne devaient jamais prendre fin. Et une fois de plus,
 la nouvelle Géante-Création de saint Adolphe s’étend et
 ­s’amplifie dans toutes les directions imaginables de la rose des
  vents, encore bien davantage que la dernière fois. »

Citation d’Adolf Wölfli

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Introduction
Il y a 100 ans, qualifier Adolf Wölfli ( 1864 – 1930 ) d’artiste était une
affirmation audacieuse. C’est pourtant ce qu’a osé le psychiatre et
médecin Walter Morgenthaler dans la première monographie Ein
Geisteskranker als Künstler ( Un malade mental artiste ) qu’il consacre
au patient de la Waldau en 1921 ; ce faisant, il défie aussi bien la
psychiatrie que l’art. Aujourd’hui, l’œuvre extraordinaire de Wölfli
jouit d’une véritable reconnaissance dans le monde entier.

Wölfli, en revanche, était depuis longtemps conscient de son statut.
Il vient à l’art à l’âge de 35 ans, alors qu’il est interné à l’hôpital
psychiatrique de Waldau à Berne. Dessinateur, compositeur et
écrivain, il y crée jusqu’à sa mort, en 1930, une œuvre tentaculaire :
un univers de plus de 25 000 pages – la « Géante-Création de saint
Adolphe », comme il l’appelle lui-même. Son œuvre est unique
dans l’art du 20ème siècle.

Que Wölfli puisse un jour envisager une carrière artistique était
loin d’être acquis, étant donné ses origines. Il naît dans un milieu
très pauvre, est employé comme main-d’œuvre bon marché et
exerce ensuite différents métiers comme journalier. Il est empri-
sonné pour maltraitance d’enfants et transféré à la Waldau en
1895 après avoir été diagnostiqué schizophrène. Malgré son
manque d’éducation, il a créé en autodidacte une œuvre qui
­fascine, aujourd’hui encore, par sa puissance visionnaire.

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Wölfli considère lui-même ses écrits littéraires comme son œuvre
majeure. Il y travaille avec peu d’interruptions de 1908 à sa mort
en 1930, transformant sa vie en un récit idéalisé dans lequel lui et
ses fidèles compagnons voyagent à travers les pays et les conti-
nents de mondes imaginaires. Il s’agit de voyages mentaux fantas-
tiques qui se prolongent même dans l’espace et contrastent éton-
namment avec son internement à la Waldau. Dans un acte fort
d’autodétermination, il réinvente ses conditions de vie.

 Les écrits de Wölfli sont reliés dans de somptueux folios, entre-
 coupés de pièces sonores, de poèmes et d’illustrations. L’exposition
du Zentrum Paul Klee, réalisée en collaboration avec la Adolf
­Wölfli-Stiftung, Kunstmuseum Bern, respecte les préférences de
 l’artiste et centre la présentation, pour la première fois, sur une
 sélection de ses livres. Les dessins sont ainsi replacés dans leur
 contexte, celui des écrits. L’exposition offre une occasion unique
 de redécouvrir cette œuvre extraordinaire.

Son œuvre se développe le long des abîmes qui ont, de fait, déter-
miné la vie de Wölfli. Il érige, a
                                 ­ u-dessus des fragments d’une exis-
tence problématique et grâce au pouvoir de l’art, une œuvre d’une
grande force poétique qui nous touche ­encore aujourd’hui. Cette
exposition se veut un plaidoyer pour le marginal et l’extra-ordinaire,
qui ne trouvent plus guère de place dans un monde de plus en plus
normé.

L’exposition est une collaboration entre le Zentrum Paul Klee et
l’Adolf Wölfli-Stiftung. Toutes les œuvres exposées sont prêtées
par la Adolf Wölfli-Stiftung, Kunstmuseum Bern.

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Adolf Wölfli dans sa cellule, à côté de la pile de ses écrits, 1921
Adolf Wölfli-Stiftung, Kunstmuseum Bern

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C’est ainsi que Walter Morgenthaler décrit le portrait photo-
graphique d’Adolf Wölfli dans son ouvrage de 1921 Ein Geistes-
kranker als Künstler. Adolf Wölfli :

« La pose qu’il prend habituellement pour expliquer ses peintu-
res est caractéristique. Ces derniers temps, il n’enlève jamais
le béret qu’il a plaisir à porter du matin au soir, ni le tabac à
chiquer qui lui gonfle la joue gauche. Été comme hiver, il porte
ses pantalons, ses chaussettes et ses manches de chemise
­retroussés. Il est très solidement bâti. L’an dernier, il a pas mal
 vieilli. Il n’a accroché ces deux peintures que pour le temps de
la photo ; d’ordinaire, les murs de sa cellule sont nus, à l’exception
de trois ou quatre images tirées de revues illustrées. Devant
lui se trouve une pile de ses œuvres, celles du haut ne sont pas
encore fixées ; en bas, quatre volumes imposants. Tout en
haut, deux rouleaux de papier sont superposés en croix : ce
sont les trompettes avec lesquelles il fait sonner ses compositi-
ons. Derrière lui, sur le sol, du papier vierge et des dessins non
encore insérés. »

Walter Morgenthaler, Ein Geisteskranker als Künstler.
Adolf Wölfli, Berne 1921, p. 125s.

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Biographie
1864        Wölfli, né le 29 février à Bowil, dans l’Emmental ­
            ( canton de Berne), est le cadet d’une famille de sept
            enfants. Son père, tailleur de pierre, est alcoolique.
            Adolf Wölfli grandit dans la misère.

Vers 1870   Son père abandonne la famille. Sa mère gagne sa vie
            comme blanchisseuse.

1872         Wölfli et sa mère, malade, bénéficient de l’assistance
             aux indigents et sont relogés par les autorités bernoises
            dans leur commune d’origine, Schangnau. Ils sont
            ­séparés et placés chez des paysans pour lesquels ils
             travaillent.

1873        Mort de sa mère.

1873 – 1879 Forcé à travailler, Wölfli est hébergé chez différentes
            familles de paysans et vit dans des conditions très dif-
            ficiles et dégradantes.

1880 – 1890 Wölfli travaille comme valet de ferme et homme de
            main dans différents lieux des cantons de Berne et
            Neuchâtel. Une première relation amoureuse échoue
            pour des raisons sociales. Il connaît d’autres aventures
            amoureuses, qui échouent toutes en raison de sa
            pauvreté.

1890        Wölfli est arrêté pour tentative de viol sur une jeune
            fille de quatorze ans et une fillette de cinq ans et il est
            condamné à deux ans de prison.

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1892 – 1895 Solitude et isolement social croissants.

1895         Wölfli est à nouveau arrêté pour tentative de viol sur
             une fillette de trois ans et demi. Il est admis à l’hôpital
             psychiatrique de Waldau, près de Berne, pour y faire
             examiner sa santé mentale. Diagnostic : schizophrénie.
             Wölfli est interné à la Waldau où il restera jusqu’à sa
             mort en 1930.

1899         Wölfli commence à dessiner à la Waldau. Aucune
             œuvre de cette période n’a été conservée.

1904 – 1906 Les premiers dessins conservés forment un groupe
            d’œuvres à part entière et se distinguent par la grande
            qualité du graphisme et la vision artistique qui s’y
            ­d éveloppe ( quelque 50 dessins au crayon de grand
             format sur 200 à 300, à l’origine).

1907         Le médecin et psychiatre Walter Morgenthaler arrive
             à la Waldau, où il travaille par intermittence jusqu’à la
             fin de 1919. Premiers dessins en couleur de Wölfli.

1908 – 1912 Wölfli commence à écrire sa première œuvre Von der
            Wiege bis zum Graab. Oder, Durch arbeiten und schwitzen,
            leiden und Drangsal, bettend zum Fluch. Manigfalltige
            Reisen, Abenteuer, Un-glücks-Fälle, Jagten, und sonstige
            Erlebnisse eines verirrten, auf dem gantzen Erdball herum.
            Oder, Ein Diener Gotes, ohne Kopf, ist ärmer als der ärmste
            Tropf ( environ 3000 pages ). Des dessins au crayon de
            couleur illustrent le texte.

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1912 – 1916 Rédaction des Geographischen und allgebräischen Hefte
            ( environ 3000 pages ). Des images de musique et de
            nombres accompagnent le texte. À partir de 1916 Wöl-
            fli signe sous le nom de St. Adolphe II.

1916        Début de la production des dessins sur feuille volante,
            appelés « art gagne-pain », qui sont réalisés spéciale-
            ment pour la vente.

1917 – 1922 Rédaction des Hefte mit Liedern und Tänzen ( environ
            7000 pages ). Premières œuvres de commande pour
            la Waldau. De petites collections des dessins de son
            « art gagne-pain » se constituent, notamment celles
            de médecins et d’artistes.

1921        Walter Morgenthaler publie Ein Geisteskranker als
            Künstler. Adolf Wölfli, sa célèbre monographie sur la
            vie et l’œuvre de Wölfli. À l’occasion de cette publica-
            tion, des dessins de Wölfli sont exposés pour la pre-
            mière fois dans des librairies à Berne, Bâle et Zurich.

1924 – 1928 Rédaction des Allbumm-Hefte mit Tänzen und Märschen
            ( environ 5000 pages ).

1928 – 1930 Rédaction de la Trauer-Marsch ( environ 8000 pages ).

1930         Le 6 novembre Adolf Wölfli meurt d’un cancer du
            ­pancréas.

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1 Premiers dessins 1904 – 1907
Les tout premiers dessins conservés d’Adolf Wölfli remontent aux
années 1904 à 1907. Mais d’après son dossier médical, il se serait
mis à dessiner spontanément dès 1899. De cette première phase
de son œuvre, il reste une cinquantaine de travaux, sur un total es-
timé à 200 – 300 dessins.

  « A dessiné tout l’été avec assiduité et usé son crayon semaine
  après semaine, ses dessins ne ressemblent à rien, un fouillis
  inextricable de notes, de mots, de figures, il donne à chacune
  de ces feuilles des noms fantaisistes tels que cordes de trom-
  bone, enroulis-refuge, etc. »

  Dossier médical, 19.10.1902

Les premiers travaux forment un ensemble autonome de grande
qualité graphique et force visionnaire, sur la base duquel se déve-
loppe ensuite l’art de Wölfli. Dans ces travaux, on identifie déjà les
éléments formels et thématiques qui s’imposeront pour établir la
continuité de l’œuvre. Les principaux éléments structurants sont
les portées, mais celles-ci n’accueillent pas encore de notes. Les
scènes narratives sont insérées dans un riche décor ornemental
entrecoupé de textes. Le dessinateur élargit ses compositions en
passant d’une première feuille à deux ou quatre. Cela annonce déjà
sa tendance à travailler en séries et son penchant pour la narration.
Les dessins en noir et blanc sur papier journal non imprimé sont
parfois signés : « Adolf Wölfli, compositeur de Schangnau ». Wölfli
décrit alors ces travaux comme des « compositions musicales ».

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Vers 1907, Wölfli passe à la couleur, qui va devenir un élément de
conception déterminant, notamment pour les dessins qui figurent
dans ses écrits. Cette nouvelle orientation a peut-être été inspirée
par Morgenthaler. Le jeune médecin et psychiatre Walter Morgen-
thaler a effectué un premier stage à la Waldau en 1907 en tant
qu’interne. Il y retourne en tant que médecin assistant de 1908 à
1910, puis y travaille comme chef de clinique de 1913 à 1920.
­Morgenthaler accompagne et soutient le travail de Wölfli. En 1921,
 il publie une monographie sur la vie et l’œuvre de Wölfli, dont il est
 le témoin direct – un travail de pionnier dans le domaine de la psy-
 chopathologie et de l’art, qui est toujours d’actualité. Cet ouvrage
 porte un titre programmatique : Ein Geisteskranker als Künstler.
 ( Un malade mental artiste ). Pour la première fois, le patient est
 qualifié d’artiste et présenté avec son nom complet ( et non seule-
 ment avec ses initiales ).

      Description par Walter Morgenthaler, extraite de son ouvrage
      de 1921 Ein Geisteskranker als Künstler. Adolf Wölfli du dessin de
      Wölfli Leichenfeier. Seite 5., nommé Der Springbrunnen par
     ­Morgenthaler :

     « Le puissant jet d’eau qui monte retombe en un large rideau.
     Dans le bassin, entouré d’une clôture et d’un chemin, il y a, sur
     la droite, une anguille et une nasse ; et les deux extrémités
     e
     ­ ffilées du bassin forment à leur tour une grosse tête de poisson,
     du fait que l’œil, la nageoire, etc. sont placés dans l’eau. Et
     troisièmement il y a aussi aux mêmes endroits, en plus de
     l’eau et des têtes de poisson, des oisillons que l’on repère à
     leurs yeux, plus petits, insérés dans des lignes ondulées qui
     entourent le grand œil du poisson. ­

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Au bord du bassin se trouvent quatre arbres avec des drapeaux
et des fanions, entre lesquels sont incrustées des créatures
singulières ressemblant à des oiseaux ou des phoques ( surtout
dans le fanion du troisième arbre ). L’arrière-plan est constitué
 d’un mur colossal, qui, dans ses parties supérieures, est percé
 de nombreuses portes, fenêtres, cheminées, niches, etc. – La
 partie inférieure est moins nette : au centre, un miroir ovale
 ( miroir de jeune fille ? ), une femme avec une poire au bout
d’une ficelle, un homme également avec une pomme, différentes
 têtes, deux H, un plus grand, foncé, et en dessous une rangée
 de coupes blanches, assez petites. En bas, en guise de termin-
 aison horizontale, des portées vides ; en marge un motif avec
 des étoiles, dans les angles des têtes fantastiques, un croise-
 ment de têtes d’animaux et de têtes humaines, etc. Dans tout le
 tableau sont à nouveau insérés de nombreux petits oiseaux,
 escargots, têtes de poissons, etc. ( le jet de la fontaine, par
 exemple, est également divisé en oisillons ). Comme bande
­horizontale le «Glöggliring», plus bas des variations de celui-ci.
De plus, une grande partie de l’image est recouverte de jeux de
 mots, de rimes et de rythmes qui n’ont aucun sens pour nous. »

Walter Morgenthaler, Ein Geisteskranker als Künstler. ­
Adolf Wölfli, Berne 1921, p. 119s.

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2 Écrits et dessins 1908 – 1930
En 1908, Wölfli commence son œuvre narrative, l’œuvre de sa vie,
sur laquelle il travaillera avec peu d’interruptions jusqu’à sa mort
en 1930. En réalisant un tissage complexe de prose, de poésie,
de tableaux de classification, de chiffres inventés, d’illustrations,
de collages et de compositions musicales, il transforme son enfance
en passé prestigieux et son avenir en utopie individuelle.

     « Dessine moins. En revanche, écrit maintenant des histoires,
     toutes sortes d’autobiographies affabulées contant ses multiples
     aventures dans les parties les plus diverses du monde – atta­
     ques de brigands, naufrages, luttes avec des sauvages –, dans
     les villes il a visité des théâtres et assisté à des concerts, etc. »

     Dossier médical, 25.09.1908

 L’ensemble des œuvres que nous laisse Wölfli se compose de cinq
 parties ; il comprend en tout 45 grands carnets reliés par ses soins
 ainsi que 16 cahiers totalisant plus de 25 000 pages. Wölfli conçoit
 chaque page comme une composition achevée dont l’élément por-
teur est l’écriture manuscrite, qui se déploie à un rythme constant.
La typographie fait ressortir certains mots et lettres dont les
­caractères sont grossis ou colorés. Des illustrations, qui complètent
 l’écrit par leur forme et leur contenu, viennent ici et là interrompre
 le texte. L’ensemble forme un tout, constitué de lettres décoratives,
de bordures, de vignettes, de marges, de petites compositions au-
tonomes ou même de dessins pleine page et de planches à rabats.

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Plus de 1600 dessins et 1600 collages ont été intégrés aux 16 cahiers :
ces travaux ( dessins et collages  ) ont été détachés pour être montrés
dans des expositions et sont présentés en tant qu’œuvres individu-
elles depuis les années 1970. L’exposition organisée pour le Zentrum
Paul Klee replace plus résolument ces dessins dans le contexte
des livres.

3 Du berceau au tombeau 1908 – 1912
Cahiers n° 1, 2, 9, 3, 10, 17 ( 3a ), 4, 5

La première partie des écrits de Wölfli raconte la vie qu’il s’ima-
gine avoir vécue sous la forme d’un récit de voyage « naturaliste »
dans lequel fiction et réalité s’entremêlent. Ce livre comprend en
tout 2970 pages de texte et 752 illustrations, qu’il a lui-même reliées
en albums. Wölfli y réinterprète son enfance problématique en un
récit glorieux ponctué d’aventures merveilleuses, de découvertes et
de combats victorieux contre le danger. Ainsi débute une œuvre
narrative qui comptera 25 000 pages et l’occupera jusqu’à sa mort.

Ce récit tentaculaire est intitulé Du berceau au tombeau. Ou, par le
travail et la sueur, la souffrance et la tribulation, implorant la malédic-
tion. Les multiples voyages, aventures, malheurs, poursuites et autres
expériences d’un être perdu, à travers le monde. Ou encore, Un serviteur
de Dieu, sans tête, est plus pauvre que le plus pauvre des idiots ( Von
der Wiege bis zum Graab. Oder, Durch arbeiten und schwitzen, leiden
und Drangsal, bettend zum Fluch. Manigfalltige Reisen, Abenteuer,
Un-glücks-Fälle, Jagten, und sonstige Erlebnisse eines verirrten, auf
dem gantzen Erdball herum. Oder, Ein Diener Gotes, ohne Kopf, ist
­ärmer als der ärmste Tropf ).

                                                                        15
Le récit prend la forme d’un carnet de voyages dont le héros est un
garçon nommé « Doufi » ( diminutif bernois d’Adolf ). Avec sa famille,
« Doufi » parcourt pour ainsi dire le monde entier. Les contrées qu’il
traverse sont mesurées, codifiées et inventoriées au moyen de de-
scriptions détaillées, d’indications de distances et de longues listes
de villes, de montagnes, de rivières, d’îles et de caves, conformément
à cette foi dans le progrès en vogue au tournant du siècle.

Le texte combine prose, poésie et inventaires détaillés ; il est com-
plété par des cartes colorées, des portraits et des illustrations
d’événements tels que batailles, chutes et catastrophes. Dans ces
dessins, nous trouvons à répétition le motif du « Vögeli » ( petit
­oiseau ), qui deviendra un élément important du vocabulaire for-
 mel de Wölfli. Dans ce petit oiseau on peut voir un protecteur de
 l’alter ego omniprésent de Wölfli ; il représente en même temps un
 symbole sexuel qui complète et remplit l’espace vide comme un
 élément de construction modulable.

4 Cahiers d’algèbre et de géographie
  1912 – 1916
Cahiers n° 6, 7, 8, 11, 12, 13, 15

Si, dans Du berceau à la tombe, Adolf Wölfli réécrit le passé, c’est
un avenir glorieux qu’il évoque dans ses Cahiers d’algèbre et de
géographie ( Geographische und allgebräische Hefte ). Il s’approprie
l’ensemble du globe et arpente ensuite le cosmos auquel il accède
dès le cahier n° 11. L’histoire de la «Géante-Création de saint
­Adolphe » culmine le 23 juillet 1916 lorsque Wölfli s’autoproclame
 « saint Adolphe II » ( cahier n° 13 ).

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Wölfli décrit à son neveu Rudolf comment faire naître la future
 «Géante-Création de saint Adolphe ». L’ensemble du globe doit
 être racheté, réorganisé, intégralement urbanisé pour qu’il puisse
 finalement se l’approprier entièrement en en modifiant le nom de
 manière systématique : Schangnau devient « la demeure de saint
 Adolphe », la Suisse « la forêt de saint Adolphe », l’océan est nommé
« océan de saint Adolphe » et l’Afrique « le Sud de saint Adolphe ».
Wölfli lui-même devient saint Adolphe et ses compagnons, «      ­ Com-
pagnie de voyage des chasseurs et des naturalistes suisses »,
­devient « l’avant-garde des voyages géants ».

   Les membres de cette « avant-garde » quittent ensuite le monde
   à bord de la « Banderole de voyages géants » ou du « Voyage du
   ­serpent éclair ou de la Corbeille de transport » et ils parcourent le
cosmos. Comme la terre auparavant, c’est maintenant tout l’univers
qui est mesuré, inventorié et renommé. Et puisque les nombres
habituellement utilisés ne correspondent plus aux dimensions
­gigantesques de la future «Géante-Création de saint Adolphe »,
 ­Wölfli en étend le système et y ajoute plusieurs unités : le « Quad-
  rilliarde » est désormais suivi de « Regonif, Sunif, Jeratif, Unitif,
  ­V idonis, Weratif, Hylotif, Ysantteron », et ainsi de suite. Dorénavant,
   le nombre le plus élevé aura pour nom « Zorn » ( colère ).

Cette expansion spatiale s’accompagne de la croissance du « capital
fortune de saint Adolphe », que Wölfli calcule, gère et augmente
sous la forme de « calculs d’intérêts sur le capital » au-delà de l’an
2000. Ces calculs et tableaux font apparaître des images de chiffres
qui, avec les partitions, constituent les nouveaux types d’illustrations
qu’il développe. Partitions et images de chiffres symbolisent la
­p uissance, l’immensité et la beauté de la création du monde de
 Wölfli.

                                                                        17
5 Cahiers de chants et de danses 1917 – 1922
Cahiers n° 15, 16, 17, 18, 19, 20

Dans ce récit tentaculaire de plus de 7000 pages, Wölfli chante et
célèbre sa « Géante-Création de saint Adolphe » dans le style des
marches, polkas et mazurkas. Il utilise pour cela différents ­t ypes
de papier : papier d’emballage et papier magasin, ­nappes en
­p apier usagées, emballages en laine d’acier, affiches de casino,
 rapports médicaux, etc.

Wölfli chante sa création dans des variations toujours renouvelées.
Ses chants et danses se composent de rimes dialectales et phoné-
tiques, ainsi que de solmisations, procédé par lequel les degrés
d’une tonalité sont chantés sur certaines syllabes. Ils portent des
prénoms de femmes : « Santta Ida », « Santta Lina » ou des noms
inventés : « Kanaari », « Dalaari ». Certains reprennent les noms de
personnes ou d’événements réels : « Dr. Morgenthaler Pollka »,
« Plébiscite Pollka » etc.

La structure est un aspect important des cahiers de chants et de
danses. Tandis que les écrits précédents étaient structurés par la
narration continue et la pagination, les Cahiers de chansons et de
danses ( Hefte mit Liedern und Tänzen ) ont leur propre système de
numérotation, à partir duquel Wölfli élabore ses compositions
­musicales. Cette numérotation constitue l’élément porteur de la
 structure, d’autant plus que les textes se basent de moins en
 ­moins sur une continuité narrative. Les numéros des chants déter-
  minent la succession des différentes danses.

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Cette vénération hymnique se caractérise par des compositions
musicales, qui sont complétées par des illustrations découpées
dans des revues que Wölfli utilise de plus en plus souvent à partir
de 1915. Dans ces collages il reprend des motifs de son univers,
sous une forme concentrée et toujours renouvelée. Partitions et
collages offrent un panorama de la nouvelle création de Wölfli, de
ses désirs et de ce monde dont il restera exclu, en tant que patient
à la Waldau.

6 Art gagne-pain 1912 – 1930
Parallèlement à son œuvre narrative, Wölfli crée des dessins sur
des feuilles volantes – d’abord de manière sporadique, puis réguliè-
rement, à partir de 1916, en raison d’une demande croissante ; il les
échange contre des crayons de couleur et du tabac ou les vend à des
admirateurs et des collectionneurs. Walter Morgenthaler, psychiatre
à la Waldau et mécène de Wölfli, a donc qualifié cet ensemble d’œuvres
d’« art gagne-pain » ( Brotkunst). Sur les plus de 1000 dessins réalisés
par Wölfli, environ 760 œuvres ont survécu jusqu’à ce jour.

Il s’agit en général de dessins aux crayons de couleur, exception-
nellement aussi de collages, que Wölfli a exécutés sur du papier à
dessin sous forme de feuilles volantes. Au verso de chaque œuvre
figurent des explications de l’artiste, qui établissent une relation
avec la Géante-Création de saint Adolphe. Sur les plans de la forme
et du contenu, ces travaux sont donc étroitement liés à ses écrits,
mais plus simples dans leur conception. Cette structure picturale
plus claire est aussi une concession au goût de sa clientèle, Wölfli
ayant compris que cela lui permettait de mieux vendre ses dessins.

                                                                      19
En raison d’une forte demande de « portraits », comme Wölfli ap-
pelle lui-même les dessins sur feuilles volantes, il lui faut parfois
faire appel à un assistant qui vient le seconder. Les revenus
que Wölfli tire de ces ventes sont gérés par la maison de santé
­psychiatrique de Waldau, qui les utilise pour racheter du matériel
 de dessin.

Les dessins sur feuilles volantes sont d’une grande importance pour
la réception de l’œuvre de Wölfli. Alors que l’on ne découvre ses
écrits, et donc l’étendue réelle de son univers mental, qu’en 1976, les
feuilles volantes circulaient déjà publiquement de son vivant : d’abord
dans un petit cercle d’amateurs, puis parmi les artistes ( Jean Dubuffet,
André Breton, Arnulf Rainer et bien d’autres ), et depuis les années
1970 également dans les expositions et sur le marché de l’art.

7 Œuvres de commande
Adolf Wölfi travaille sur commande à diverses occasions, créant
ainsi des œuvres pour un usage public ou privé. Ces travaux sont
une façon d’affirmer sa conscience d’artiste et montrent claire-
ment que son travail s’adresse à un public.

À la suite de la présentation de la psychiatrie suisse à l’Exposition
nationale de 1914, Walter Morgenthaler conçoit un musée de la
psychiatrie à la Waldau. Il charge Wölfli de décorer les armoires et
les vitrines où seront exposées les pièces provenant de la collection
Waldau. Actuellement, ces vitrines sont encore utilisées au Musée
de la psychiatrie à Berne et sont accessibles au public.

20
Dans les années 1920, Adolf Wölfi décore également d’autres
meubles pour Hermine Marti, une enseignante qui, en tant qu’ad-
miratrice et mécène de son art, aura acquis jusqu’en 1930 une im-
pressionnante collection d’œuvres, directement auprès de l’artiste.

En 1922 c’est Oscar Forel, médecin à l’hôpital psychiatrique de
Waldau, qui charge Wölfli de créer un paravent en quatre panne-
aux, recouvert des deux côtés respectivement de 12 et 4 dessins
( aujourd’hui Collection de l’Art Brut, Lausanne ).

Incité par Walter Morgenthaler, Adolf Wölfli réalise en 1926, pour
la salle de conférence du nouveau bâtiment de la Waldau, la fresque
Memorandumm ( 1,5 × 3 m ). Il y revient une fois encore, dans une
sorte de rétrospective, sur la genèse de la « Géante-Création de
saint Adolphe ». Pour des raisons de conservation, cet œuvre ne
peut pas être présentées actuellement.

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8 Marche funèbre 1928 – 1930
16 cahiers sans numéros

La Marche funèbre ( Trauer-Marsch  ) constitue la conclusion de
 l’œuvre poétique de Wölfli. Elle se compose de 16 cahiers de plus
 de 8300 pages de collages et de textes peu aérés. Le récit est
­remplacé par des sons et des rythmes et prend la forme d’un poème
onomatopéique. La Marche funèbre n’a pu être achevée avant la
mort de Wölfli, en 1930.

     « Je travaille depuis de longues années sur une marche funè-
     bre très belle et très forte qui comptera en tout 8850 magnifi-
     ques chants de marche. Et j’en ai déjà composé 7 150. Dans
     certaines parties y sont insérés de nombreux et beaux poèmes,
     énigmes, blagues et pièces d’un style enjoué : récits de voyage !
      Récits de guerre et de chasse ! Ainsi qu’un nombre tout à fait
      respectable de belles images. Toute cette œuvre, une fois
     ­terminée, atteindra la somme irréprochable de 55 000 Francs. »

     Citation d’Adolf Wölfli

22
Sa Marche funèbre, Wölfli la conçoit comme son propre requiem,
lequel se condense en un mantra captivant. Dans les « Chants de
marche » qui s’y trouvent, la notation n’est plus basée sur la solmi-
sation, comme dans les cahiers précédents, mais sur des structures
phonétiques presque abstraites. Partant des mots clés de son
­univers, Wölfli développe une rime dialectale pour « Wiiga » ( mot
dialectal pour berceau ). Cette rime dialectale est suivie d’une série
de structures phonétiques qui riment avec les voyelles a, e, i, o, u.
Chacune de ces structures phonétiques est séparée de la suivante
par l’indication « 16.Cher:1 » que l’on peut interpréter comme une
indication de mesure.

La Marche funèbre ne contient plus que quelques dessins. Elle est
illustrée par plus de 1000 collages, des images provenant de revues
contemporaines. Lorsqu’on les parcourt, elles s’assemblent pour
former un grand panorama qui reflète les visions de Wölfli et celles
de toute une époque. Dans la Marche funèbre Wölfli convoque en
mots et en images, une fois encore et de manière condensée, les
thèmes centraux de sa création du monde et les relie à « Wiege »
( berceau ), mot qui se trouve au début de sa vie et de ses écrits.

                                                                    23
Führungen und                      Samstag 29. Mai 2021 13:00
                                   Sinn-Reich
Begleitprogramm
                                   Eine alle Sinne ansprechende
                                   Führung für Gäste mit und
Platzzahl beschränkt.              ohne Behinderung. Mit
Programm­änderungen und            Gebärden­dolmetscherin und
Einschränkungen vorbehalten        induktiver Höranlage
(siehe zpk.org)
                                   Sonntag 13. Juni 2021 15:00
Sonntags 12:00                     L’Art Brut: Un art libre
Öffentliche Führungen              et affranchi des normes
                                   culturelles
Dienstags 12:30 – 13:00            Führung im Gespräch zum
Kunst am Mittag                    ­Begriff Art Brut des Künstlers
                                    Jean Dubuffet, mit Sarah
Fremdsprachige Führungen            ­Lombardi, Collection de l’Art
Französisch, Englisch,               Brut, Lausanne, und Fabienne
Italienisch siehe zpk.org            Eggelhöfer, Chefkuratorin
                                     ­Zentrum Paul Klee
 Montag 24. Mai 2021
 14:00 / 16:00                     Sonntag 20. Juni 2021 11:00
Un=glücks=fall=linien              Wölflis Weltreise
Märsche, Tänze und andere          Eine Spoken-Word-Hommage
­Rituale von Adolf Wölfli inter-   an den Künstler Adolf Wölfli
 pretiert von Meret Matter,        von «Bern ist überall», mit
 Stimme, und Lucas Niggli,         Musik­begleitung. In deutscher
 Schlagwerk                        und französischer Sprache

Mittwoch 26. Mai 2021 14:00
Einführung für Lehrpersonen
Mit Dominik Imhof,
Leiter Kunstvermittlung

24
Donnerstag 24. Juni 2021 18:00      Sonntag 15. August 2021 17:00
Freunde ZPK                         «und 10 stük vom sommer»
Führung für die Mitglieder der      Das Ensemble Proton Bern
«Freunde ZPK» mit dem Kurator       spielt ­­­­Kompo­­si­tio­nen von Ezko
Hilar Stadler sowie Experten und    Kikoutchi, Annette Schmucki
Expertinnen des Hauses              und Walter Feldmann nach
                                    Wölflis «musika­­­­li­schem Ansatz»
 Sonntag 27. Juni 2021 15:00
 Kunst und Religion im Dialog
 Barbara Schmutz, Ökumene
 Bern Nord, im Dialog mit
­Dominik Imhof, Leiter Kunst­­­­-
 ver­mittlung

Samstag 03. Juli 2021
14:00 – 19:00
Wölfli in aller Munde
Gemeinschaftliche Nonstop-
Lesung aus Adolf Wölflis
Schriften. Alle sind eingeladen,
mitzu-wirken und Wölflis Werk
ihre Stimme zu ver­lei­hen.
Weitere Informationen unter
paulundich.ch

                                                                       25
Kunstvermittlung                  Samstags 09:30 – 11:45
                                  Kinderforum
für Familien                      Kunst am Samstag für Kinder
                                  ab 7 Jahren zum Thema
21.05. – 15.08.21                 «Welten erkunden»
Interaktive Ausstellung
«Kleines Universum»
Kreativer Brückenschlag von
den Ateliers des Kinder­          Publikation
museum Creaviva in die
Ausstellungen des Zentrum         Neuauflage zum 100-Jahr-­
Paul Klee                         Jubiläum der Publikation von
                                  Walter Morgenthaler
Dienstag bis Freitag
14:00 / 16:00                     «Ein Geisteskranker als Künst-
Samstags und sonntags             ler», Hrsg. Adolf Wölfli-Stiftung,
12:00 / 14:00 / 16:00             mit Beiträgen von Magaly Tornay
Offenes Atelier im Kinder­        und Hilar Stadler, 186 Seiten,
museum Creaviva                   ca. 20 Abb., Verlag der Buch-
Stündige Workshops zu einem       handlung Walther und Franz
monatlich wechselnden Thema       König, Köln 2021
in Verbindung zu den Ausstel-
lungen im Zentrum Paul Klee

 Sonntags 10:15 – 11:30
 Familienmorgen
 In der Ausstellung und im
­Atelier des Kinder­museum
 Creaviva für die ganze Familie

26
Weitere                            01. – 19.06.21
                                   Der Wolf ist los
Veranstaltungen                    Plakatausstellung auf dem
in Bern                            Bahnhofplatz Bern mit Werken
                                   von Künstlerinnen und Künst-
20.05.21 – 26.02.22                lern des Ateliers Rohling,
Fragmente                          ­Creahm Fribourg, der Kunst­
Das Schweizerische Psychia­         werk­statt Waldau Bern und des
trie-Museum Bern präsentiert       Psychiatriezentrums Münsingen
Deckenmalereien aus Wölflis        Weitere Informationen:
Zelle sowie Werke seiner Kol-      derwolfistlos.kulturpunkt.ch
leginnen und Kollegen
Weitere Informationen:              Mittwoch 09. Juni 2021 18:30
psychiatrie-museum.ch               Offene Kirche Bern –
                                    Heiliggeistkirche
 Samstag 19. Juni 2021              Weg vom Rand. Neues Interesse
 Schweizerisches                    an «Outsider»-Kunst?
 Psychiatrie-Museum Bern            Öffentliches Podium im
 Originalschauplätze               ­R ahmen von «Der Wolf ist los».
 14:00 Führung mit Andreas          Einführung Katrin Luchsinger,
­Altorfer, Leiter Psychiatrie­-­    Kunsthistorikerin, mit Gästen
 Museum Bern, an Wölflis            aus Kunst und Kultur
 Werk- und Lebens­stätte in der
 Psychiatrischen Heil­anstalt
 Waldau
 16:00 Buchvernissage und
 ­Lesung Neuauflage von Walter
  Morgenthalers «Ein Geistes-
  kranker als Künstler» ( 1921).
  Lesung mit Ariane von
­Graffenried

                                                                 27
Avec le soutien de

                     Ruth & Arthur Scherbarth Stiftung

Le Zentrum Paul Klee est accessible à tous
et propose des manifestations inclusives.

Zentrum Paul Klee
Monument im Fruchtland 3
3006 Bern
Tel +41 (0)31 359 01 01
info@zpk.org
www.zpk.org

Horaires dʼouverture
Mardi – Dimanche 10:00 –17:00

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                                                         et les héritiers de Paul Klee
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