Histoire de la Pharmacie - La pharmacie à l'âge moderne Chapitre 2 : Professeur Patrice Trouiller
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UE7 – Santé Société Humanité Histoire de la Pharmacie Chapitre 2 : La pharmacie à l’âge moderne Professeur Patrice Trouiller Année universitaire 2011/2012 Université Joseph Fourier de Grenoble - Tous droits réservés.
Plan du cours - Chapitre I : Aux origines de la pharmacie 1. Introduction à l’histoire de la pharmacie 2. Emergence de la pharmacie : la boutique des remèdes et l’apothicaire - Chapitre II : La pharmacie à l’âge moderne 1. Structuration de la pharmacie moderne : le médicament, le pharmacien, le laboratoire 2. La pharmacie du XXIe siècle et ses perspectives
Chapitre II : La pharmacie à l’âge moderne 1ère partie - Profession pharmacien : l’officine, le préparatoire, le laboratoire 1. La pharmacie et les sciences - La chimie - A la frontière de la chimie et de la pharmacie : la quinine 2. La pharmacie moderne et la loi de Germinal - La loi de 1803 - Le cadre d’exercice professionnel 3. Le médicament, un bien de consommation - Des remèdes secrets aux spécialités - Le médicament : des bénéfices et des risques ? 4. Le médicament, son industrialisation - Isoler, standardiser, rechercher
Période chronologique : XVII et XVIIIème siècle (siècle des Lumières) 1. La pharmacie et les sciences La chimie . Enseignements destinés aux apothicaires sur les opérations chimiques de base pour une préparation rationnelle du médicaments . Emergence du concept de composé chimique (‘antichambre’ du principe actif) Cours de Chymie de Nicolas Lémery dispensé au Jardin royal des plantes (institution placée sous l’autorité du Roi et non de la Faculté qui deviendra après la Révolution le Muséum d’histoire naturelle) L’édit de création du Jardin des plantes (1635) qui précisait : « Attendu que l’on enseigne point dans Paris, non plus qu’une autre Ecole de Médecine du Royaume, les écoliers à faire les opérations de pharmacie… », montre bien le souci de combler un vide que ne remplissait pas la Faculté, celui de structurer l’art de préparer le médicament.
. L’enseignement de la chimie appliquée aux remèdes (chimie médicinale ou pharmaceutique) se structure et fait l’objet d’échanges savants (Europe), parallèlement à la dégradation des Facultés de médecine (France) Cours de Chimie de Guillaume- François Rouelle, démonstrateur royal au Jardin Les premiers cours de du Roy (1761) : un des premiers « chymie » destinés aux cahiers de cours diffusés aux apothicaires et aux élèves (en quelque sorte, une médecins, organisés aux « ronéo » avant la lettre) Jardins du Roy
. La chimie qui s’est développée avec la pharmacie, s’individualise comme science autonome (Lavoisier) : - elle conquiert de nouveaux territoires (eg, chimie organique) - elle contraint et subordonne la pratique de la pharmacie Antoine-Laurent Lavoisier publie avec Guyton de Morveau, Fourcroy et Berthollet la « Méthode de nomenclature chimique » (1787) : avec cette nomenclature nouvelle, il ne s’agissait pas de simplement remplacer la vieille terminologie (celle des alchimistes réputée comme peu systématique et bourrée de synonymie => facteurs de confusion), mais de fournir aux chimistes une méthode leur permettant de caractériser par un nom les différentes substances.
. La chimie devient la base de l’enseignement de la pharmacie : pour que la pharmacie ne soit plus « le seul art d’extraction des jus de plantes » (Fourcroy) Le médecin Antoine François de Fourcroy insistera sur l’association étroite qu’il y a entre la chimie et la pharmacie. Outre son travail d’homme politique durant la Convention (loi de 1803 fondant la pharmacie moderne), il favorise les liens entre chimie, pharmacie et médecine par la création de publications scientifiques, comme le « Journal de la société des pharmaciens de Paris » dans lequel apparaît pour la première fois le terme « pharmacologie »
A la frontière de de la chimie et de la pharmacie – La quinine « Le remède anglois pour la guérison des fièvres » (1683 Nicolas de Blegny) : le premier ouvrage publié en France qui décrit l’efficacité du quinquina dans les fièvres, déjà utilisé depuis plusieurs années en Angleterre « Les admirables qualitez du Kinkina » décrivant l’efficacité du quinquina dans les fièvres (1689)
. De l’analyse chimique du végétal (Cinchona) au principe actif (identification et caractérisation botanique, puis analyse : caractères organoleptiques, physico- chimiques) Face à la demande importante d’écorce de quinquina (comme fébrifuge, tonique, dans la goutte, l’hydropisie…) et sa rareté progressive (=> coût exorbitant *), il apparaît sur le marché des « faux quinquinas » (espèces voisines du Cinchona mais ne contenant pas de quinine et/ou cinchonine). Il s’agit alors de mettre au point des techniques d’analyse Cinchona permettant de les différencier : on officinalis, décrite part des méthodes analytiques par Ch. De la héritées des iatrochimistes Condamine apothicaires ou médecins (eg, distillation par voie humide, extrait sec) * Le coût d’un traitement pouvait aller jusqu’à l’équivalent de plus d’une année de revenu annuel d’un maître d’école
. Du principe actif au médicament Détail des propriétés organoleptiques et physico- Mémoire de Pelletier et Caventou sur chimiques des alcalis extrait de Cinchona permettant leur l’isolement de la quinine et de la caractérisation (action des réactifs, solubilité, fusibilité…) cinchonine (1821)
. Du principe actif au médicament testable (début de la pharmacologie - Magendie) et utilisable en clinique Avec la quinine = Construction des pratiques et des méthodes de recherche qui deviendront le processus normal de la recherche pharmaceutique Le physiologiste François Magendie va contribuer à préciser les propriétés pharmacologiques (activité, toxicité) du sulfate de quinine : il teste sur des chiens (modèle animal) par voie intraveineuse les alcalis du quinquina, puis chez l’homme. Avec l’isolement de la quinine (et des autres alcaloïdes) émerge la notion de principe actif … dont on peut caractériser, outres les propriétés physico-chimiques, les propriétés pharmacologiques, et les effets en clinique (animale puis humaine) C’est alors que l’on peut véritablement parler de « médicament »
. Premiers pas vers la production industrielle du médicament : de la géopolitique (malaria et expansion coloniale) à l’industrie pharmaceutique (chimie des colorants) Face à la demande massive de quinine (conquêtes coloniales freinées par la malaria => « Tombeau de l’homme blanc »), 2 procédés d’industrialisation émergent : - l’extraction à partir de l’écorce (avec Pelletier industrialise Pelletier), l’extraction du sulfate de - la synthèse chimique, quinine à partir de un échec transformé l’écorce : partant de 150 en succès de la chimie tonnes d’écorce, il des colorants (synthèse obtient 4 tonnes de de la mauvéine par sulfate de quinine ! Perkin)
2. La pharmacie moderne et la loi de Germinal (1803) Naissance des professions de santé Le médecin chimiste Fourcroy fut un des artisans de la restructuration de la médecine et de la pharmacie modernes La Loi du 21 Germinal de l’An XI (dite « Loi de 1803 ») définit l’organisation et la police de la pharmacie : prévoyant la création de 3 Ecoles de Pharmacie, organisant l’enseignement, et réglementant la profession.
Un statut professionnel : Pharmacien 1ère (compétence nationale) et 2ème classe (compétence locale) par symétrie aux médecins (docteur en médecine vs. officier de santé) ; herboriste (non pharmacien) ; création des écoles de pharmacie ; monopole du pharmacien sur le médicament La loi de 1803 établit deux corps de pharmaciens : de 1ère et de 2ème classe, conduisant ‘de facto’ à deux standards d’exercice professionnel. Bibliothèque de l’Ecole de Pharmacie de Paris (XIXe): entre 1803 et 1854 plus de 10 000 pharmaciens sont formés, dont les 2/3 en 2ème classe dans le cadre des jurys départementaux… un recrutement local souvent de faible niveau. La dualité « 1ère- 2ème classe » disparaîtra en 1898.
. Un cadre d’exercice professionnel : - Le Codex : un référentiel officiel , un livre d’ingrédients (liste) et de recettes médicinales (savoir-faire) = Un corpus de compétence à valeur normative - Deux types de médicaments : préparation magistrale et préparation officinale Le Codex Medicamentarius ou Pharmacopée Française sera publié en 1816 (première édition en latin, puis ensuite en français) : c’est un ouvrage officiel de valeur normative que tout pharmacien a l’obligation de posséder et de s’y conformer. Il comporte différentes parties dont une consacrée aux produits à usage pharmaceutique (avec leurs caractères physico-chimiques – eg, point de fusion : cerclage rouge) et une autre comportant les recettes officielles (cerclage jaune) autorisées à la préparation.
. Mais absence d’une définition précise du médicament + peu de rigueur dans l’application du Codex et de la police des médicaments => Prolifération anarchique de remèdes, et de leurs pourvoyeurs informels (herboristes, colporteurs, religieux… ) L’herboriste acquiert avec la loi de 1803 un statut officiel, une nécessité de diplôme (délivré par les Ecoles de pharmacie) avec une activité limitée au seul commerce des « plantes médicinales fraîches ou sèches »… mais bien souvent l’arrière boutique est transformée en véritable pharmacie. De plus les colporteurs herboristes (eg, colporteurs de l’Oisans) étaient les pourvoyeurs principaux en remèdes Sœurs religieuses tenant une dans les zones reculées. Le statut d’herboriste sera pharmacie hospitalière et supprimé en 1941. pratiquant des soins (XIX e siècle)
3. Le médicament, un bien de consommation En dehors des alcaloïdes (et des antiseptiques), un nombre réduit de produits efficaces reflet de la persistance de l’impuissance thérapeutique (jusqu’aux années 1930) Ce tableau des « inventions pharmaceutiques » montre que le nombre de médicaments efficaces était faible tout au long du XIX e siècle, avec notablement l’émergence des produits issus de la chimie. Bien que l’infection soit toujours au XIX e siècle la pathologie prédominante, la classe des anti-infectieux est peu représentée (en dehors de l’arsphénamine/Salvarsan, et des premiers vaccins).
. Faute de pouvoir soigner avec efficacité (remèdes/médicaments), la médecine du XIXe siècle s’attache à prévenir les maladies via les vaccins et l’hygiène publique (mouvement hygiéniste, politiques de prévention) Les travaux du médecin français Villermé – ou ceux de l’anglais Chadwick, avec l’utilisation de la statistique médicale, sont les premiers à faire le constat de la santé précaire des populations ouvrières et pauvres et d’inciter à légiférer (Poor law Act, 1834 ; Loi sociale, 1841) Joseph Lister préconisait (1870) des donnant ainsi un pulvérisations phéniquées (phénol: un des début d’assise premiers antiseptiques à usage médical), politique au technique permettant de limiter les mouvement suppurations postopératoires et la hygiéniste mortalité : diminution de 40 à 15% !
Les remèdes secrets – Publicité et industrialisation . Bien qu’interdits les remèdes secrets prolifèrent, en cause : l’absence de police spécifique du médicament et des intérêts économiques supérieurs (industrialisation et libéralisme économique du XIXe) Si les remèdes secrets sont interdits par la loi de 1803 (cerclage jaune) avec un régime de tolérance qui s’installe et qui profite aux pharmaciens et aux industriels (libéralisme économique), mais a un impact négatif sur la santé publique (accidents, abus commerciaux, accès limité…). La problématique des remèdes secrets n’est pas propre à la France, on la retrouve à l’identique en Angleterre. Ils seront définitivement interdits en France en 1926
. La prolifération des remèdes secrets témoigne de la persistance de l’approche hippocratique de la maladie : la « médecine moderne » (eg, Magendie, chimie, Bichat) ne diffuse que lentement dans la société du XIXe siècle Le médicament est demandé par le malade qui privilégie certaines présentations comme les vins, et les produits présentés comme des fortifiants ou stimulants (ce que l’on a appelé les « remèdes gourmands »), montrant l’ancrage dans les représentations populaires et hippocratiques de la maladie… le remède n’étant là que pour renforcer l’évolution naturelle de la maladie, le retour spontané à la santé
. L’industrialisation et la diffusion des remèdes secrets va s ’appuyer sur le phénomène de la publicité (réclame) : argument d’autorité pour « faire acheter » Le remède secret porte un nom de fantaisie (future nom de « spécialité ») et fait l’objet de publicité (réclame) : le fabriquant y revendique des supposées propriétés thérapeutiques, usant d’arguments d’autorité (référence à un médecin, à une institution, etc.) pour convaincre le malade du sérieux et du caractère scientifique de son remède La publicité pour le médicament est présente dès la publication des premières revues médicales (fin XIX e siècle)
Le baume de Saint Antoine (préparé selon la même formule qu’au Moyen Age) est présenté avec cette réclame-buvard comme une « véritable découverte thérapeutique », pour vanter son caractère moderne et technique la caution du pharmacien est ajoutée…
Info publicité du laboratoire Publicité « grand public » Pfizer qui commercialise la (Nouvelle Zélande, 2009) statine pour le médicament « anti- hypocholestérolémiante la obésité » Orlistat (Alli ®, plus vendue au monde. Xenical ®), utilisant Cette publicité a été arrêtée subtilement une image et un après que l’OMS ait mis en message évocateurs (« Lose avant le risque anxiogène et weight Gain life ») pour de minimisation des autres vanter la perte de poids, sans facteurs de risque (eg, mention des risques et effets obésité, sédentarité, indésirables. Ce produit est tabagisme), et l’aspect non depuis l’objet d’une enquête éthique que véhicule ce type de pharmacovigilance de message publicitaire (Lancet, 2003)
. La prolifération des remèdes secrets s’appuie également sur l’ absence de brevets de produits (loi de 1844)… Si la loi de 1844 exclut le médicament de la brevetabilité, elle permet la protection du nom de marque (le pharmacien dépose la marque de son remède, un nom fantaisiste, ce qu’on appellera plus tard la « spécialité » : cerclage rouge), et le brevet de procédé (eg, celui de la confection de « dragée arabique : cerclage jaune)
… mais le brevet de procédés persiste => Prolifération des remèdes secrets (et leurs effets délétères) mais indirectement encouragement à l’innovation technologique (eg, alcaloïdes, sulfamides) Ernest Fourneau est à l’origine de la découverte des propriétés thérapeutiques des sulfamides antibactériens (1935) à partir de l’amélioration d’un procédé de synthèse déposé (breveté) par IG Farben – Bayer => l’absence de brevet n’est pas antinomique de l’innovation
4. Le médicament, des bénéfices et des risques ? . Jusqu’aux années 1930, rien d’effectif ne permet de mesurer et quantifier le rapport « bénéfice / risque » d’un médicament Avec cette description (encadré ci dessous) faite par un employé d’hôpital du traitement des fièvres palustres lors de l’expédition militaire napoléonienne des Antilles (1801), on voit que la question du « bénéfice / risque » d’une thérapeutique n’avait à ce moment pas de sens. Dans les effets délétères observés, ce n’était pas la toxicité possible du remède qui était l’hypothèse… mais l’évolution naturelle de la maladie (Dessin de H. Philippoteaux : « Evacuation de Walcheren par les Anglais, embarquement des malades », 1809)
. Expérimentation à visée thérapeutique (ou de connaissance) : - Le corps (mort ou vivant) des individus de vile condition (prisonniers, prostitués, fous, esclaves) peut servir de « matériau expérimental », d’expériences à visées thérapeutiques (ou de connaissance) - Les questions du « bénéfice/risque » des thérapeutiques et de l’éthique autour de l’utilisation de sujets humains sont sans réponses Inoculation variolique (tableau de Boilly, 1807) : l’inoculation ou variolisation consiste à inoculer du pus desséché de pustules varioliques dans la peau d’un sujet indemne. En 1796, Jenner introduira la « vaccination » en utilisant l’effet protecteur de la vaccine (cowpox)
Le scorbut provoquait de nombreuses victimes parmi les marins (eg, lors de l’expédition de J. Cartier au Canada, Scorbut : James près d’1/4 des hommes d’équipage vont Lind s’occupant de succomber) : description par Lind de son marins atteints de essai (« A Treatise of the Scurvy », scorbut. 1753), correspondant au premier essai simple contrôlé non randomisé du Image (ci-contre) traitement du scorbut par une décrivant les signes alimentation contenant du citron et des cardinaux du scorbut oranges ! chez les marins (XVIIIe)
. Comment évaluer le bénéfice thérapeutique ? - Jusqu’à l’essai « streptomycine », l’expertise individuelle du clinicien est la seule base, - avec Hill (milieu XXe) : définition de l’essai contrôlé randomisé (critères objectifs de quantification, randomisation) qui permet d’évaluer le médicament, - mais la réglementation arrive tardivement : Directive européenne (1975), loi française dite « Huriet-Sérusclat » (1988) « Le traitement de la tuberculose par la streptomycine », Bradford A Hill (Medical Research Council, MRC), publié dans le British Medical Journal (1948): l‘essai contrôlé randomisé sera considéré comme le modèle de l’essai thérapeutique.
. Expérimentation humaine : L’opinion publique et le milieu médical réagissent aux multiples accidents thérapeutiques (aspect juridique de la faute, puis questionnement moral sur la justification d’une expérimentation) Expérimentation sur la physiologie du métabolisme, hôpital Kaiserin Victoria Haux (Berlin 1920) Les expérimentations thérapeutiques qui se déroulent mal : les affaires « Gailleton » à Lyon (syphilisation d’un enfant atteint de teigne, 1859), « Neisser » en Prusse (contamination d’un sérum antisyphilitique), le « procès des médecins de Lübeck » (1930) provoquent des réactions de la population et des condamnations en justice. Surgit de façon non encore explicite, la question du consentement libre du sujet soumis à un essai thérapeutique
. Expérimentation humaine : Une police sanitaire émerge en réaction aux catastrophes sanitaires « Dans l’ordre du normatif, le commencement c’est l’infraction » (Georges Canguilhem – Le normal et le pathologique, 1943)
. Expérimentation humaine : Les accidents sanitaires (eg, affaires Gailleton, Neisser, Lübeck) posent d’abord des questions juridiques (responsabilité), puis morales et éthiques (consentement, personnes vulnérables) Expérimentation médicale nazie (1942-46) : émasculation d’adolescent. En 1932, une étude sur l’évolution naturelle de la syphilis chez des populations noires américaines est lancée (Tuskegee study, Alabama, USA). Malgré l’arrivée de la pénicilline (1942) l’étude sera poursuivie jusqu’en 1972 laissant certains sujets étudiés sans soins. Le Président Clinton demandera pardon au nom des Etats-Unis (1997)
. Après Nuremberg : Passage d’un quasi vide normatif à une « l’inflation » réglementaire, autour des principes d’autonomie de la personne, de bienveillance et de justice « Enlever les décisions morales des mains fragiles des humains sans pourtant les remettre entre les mains de Dieu » (Anne Fagot-Largeault)
5. Le médicament, son industrialisation
. Industrialisation par transformation de l’officine : du préparatoire officinal à l’atelier puis à la coopérative et finalement à la fabrique (usine) de médicaments eg, Pharmacie centrale de France L’exemple de la Pharmacie Centrale de France fin XIXe) est une bonne illustration de l’évolution « à la française » de l’officine pharmaceutique en industrie du médicament. De gauche à droite: Hall central de la pharmacie où sont préparées les commandes des pharmaciens (fonction de coopérative grossiste) - Véhicule à cheval servant à approvisionner les officines – Atelier de pulvérisation pour la fabrication de médicaments (usine de St Denis)
. Industrialisation par diversification de l’industrie chimique des colorants eg, IG Farben-Bayer (Allemagne), Imperial Chemical Industries (Angleterre) Matériel de laboratoire pour la préparation des médicaments : de l’officine au laboratoire (Angleterre, 1849) Usine Bayer à Leverkusen (1938) : diversification de l’industrie chimique (IG Farben) dans la pharmacie (Bayer AG : atelier de synthèse)
Les défis de l’industrialisation du médicament : Isoler [1], standardiser [2], rechercher [3] . Isoler [1] un principe actif, le synthétiser ou l’extraire, l’analyser (appel à la physico-chimie, pharmacologie, et/ou bactériologie) Photos : atelier industriel de préparation d’extraits végétaux et serre de culture industrielle de plantes – usine Madaus - Sous l’impulsion de Magendie la détermination de l’action spécifique Allemagne, 1920) des drogues pures devient possible (pharmacologie expérimentale): il publie dès 1821 le premier formulaire fondé uniquement sur les substances pures
. Standardiser [2] un principe actif - La standardisation biologique de l’insuline = Savoir mesurer une activité biologique pour assurer une activité et une qualité constantes (eg, opothérapie) => Apparition des concepts de lot de fabrication et d’unité internationale Avant que l’insuline ne soit découverte (Banting et McLeod, 1921 - prix Nobel), on traitait La découverte de l’insuline : laboratoire et cahiers de le diabétique par un régime hypocalorique : si les laboratoire de Banting (expérimentation chez le adultes survivaient, le plupart des enfants mourrait chien : la glycémie baisse de 33 à 29) est le résultat : à gauche la photo d’un enfant « avant et après d’un réseau de travail inédit, industriels / l’insuline » - à droite le retentissement médiatique universitaires / hospitaliers… qui deviendra la norme de cette invention du processus de la recherche médicale
. Standardiser [2] un produit commercial industriel avec comme objectif : qu’il corresponde aux besoins thérapeutiques et qu’il plaise au malade => Diversification des formes galéniques et des présentations Atelier de fabrication de capsules (vers 1900) C’est autour de 1840 que le dauphinois Pravaz a mis au point la seringue permettant d’administrer les médicaments par voie injectable (photo: ampoule-sérum, 1900) Appareil à granuler
. Standardiser [2] un produit commercial industriel avec comme objectif : d’incitation du médecin à le prescrire = Naissance du « marketing médical » (eg, Diuril® : ‘le médicament se vend comme un paquet de lessive’) Campagne de lancement du concept marketing du Chlorothiazide – Diuril® : le symptôme (hypertension artérielle) est transformé en maladie à la quelle correspond un médicament ad-hoc. Le laboratoire crée un environnement Objet dérivé marketing familier pour le prescripteur via des publicitaire : produits dérivés (« the Diuril Man »), des journaux « The Diuril « maisons », et des éditions spéciales (eg, édition Man » du JAMA de janvier 1958)…
. Rechercher [3] : de la recherche à la recherche-développement avec l’hypothèse du concept de « récepteur » et d’interaction ligand-récepteur (Ehrlich) => La notion de cible pharmacologique apparait Coloration au bleu trypan de cellules de parasite : Ehrlich montre que les Ehrlich fait l’hypothèse du concept de récepteur et colorants ont des affinités en fonction d’interaction récepteur-ligand => notion de cible des tissus ou des micro-organismes pharmacologique, base de la pharmacodynamie avec lesquels ils sont mis en Cette hypothèse sera effectivement démontrée dans présence les années 1940.
. Rechercher [3] : émergence de la technique du « criblage moléculaire » (eg, le composé 606 – Salvarsan®) => Le chimiste synthétise puis le pharmacologue/toxicologue et/ou bactériologiste testent (développement non clinique) Ehrlich, avec le développement du Salvarsan® (arsphénamine) qui est le 606ème composant testé, établit Criblage moléculaire automatisé une nouvelle méthodologie dans la recherche : le criblage et informatisé : les molécules sont moléculaire (ou « screening ») synthétisées en grand nombre puis testées sur des cibles
. Rechercher [3] : des résultats et des limites - Résultats : les innovations et les acquis thérapeutiques de la période glorieuse de l’industrie pharmaceutique (1930-1980) - Limites : une baisse du rendement (quantitatif et qualitatif) du modèle de R&D reposant sur la chimie à partir des années 1990 Tableau : nombre de nouvelle entités chimiques (NCE) pour les périodes 1961-1980, 1981-1990 et 1991-2001 En 2009 - selon le système d’évaluation de la Haute Autorité de Santé (HAS), sur 109 médicaments évalués, 10 ont obtenus (=> < 10%) un niveau d’ASMR (amélioration du service médical rendu) majeur ou important, c’est à dire ont été considérés comme innovants, et 99 considérés comme non innovants.
. Rechercher [3] : La biologie moléculaire et les biotechnologies comme nouveau modèle de la pharmacie et possible débouché commercial (?) Les médicaments issus des biotechnologies (peptides, protéines, produits de l’ingénierie cellulaire ou tissulaire) prennent une place accrue dans le marché de la pharmacie
Chapitre II : La pharmacie à l’âge moderne 2ème partie – La pharmacie, enjeux et perspectives 1. La pharmacie et ses perspectives 2. Conclusion - Bibliographie - Mode d’emploi du cours
1. La pharmacie et ses perspectives . L’histoire de la thérapeutique et du médicament : - Ne se réduit pas à celle de la pharmacie (eg, streptomycine et tuberculose) - Ne peut se résumer à une opposition simpliste entre un passé obscur (ie, impuissance thérapeutique) et un présent héroïque (ie, révolution thérapeutique) C’est en 1947 que le streptomycine est évaluée et utilisée efficacement dans la tuberculose, constituant le premier médicament antituberculeux. Pour autant, le taux de mortalité par tuberculose avait commencé à chuter dès le XIXème siècle, avec comme causes principales : les avancées de l’hygiène et de la salubrité l’habitat urbain, une alimentation moins carencée.
. La pharmacie du XXIème siècle peut se lire via une triple grille : (1) Médicalisation de la société (2) Economie de la santé et justice sociale (3) Sécurité sanitaire et risques
(1) Médicalisation (« sanitarisation ») de la société : . Amorcée avec l’idéologie hygiéniste (XIXe), . Déviée par des pratiques eugénistes (loi eugénistes), . Amplifiée avec la médicalisation de questions qui relevaient du champ social L’extension de la norme médicale au champ social : des problèmes Dans le premier quart du XXe siècle de nombreux pays (Etats- qui relevaient auparavant de la Unis, Suisse, pays scandinaves) ont mis en place des lois vie naturelle (eg, puissance eugénistes préconisant la stérilisation des malades mentaux, des sexuelle, infertilité…) sont criminels, des déviants sociaux… médicalisés, et pour certains pris Si des pratiques actuelles comme le DPI (diagnostic en charge par une thérapeutique préimplantatoire) ou le DPN (diagnostic prénatal) ne relèvent pas médicamenteuse (eg, de cette idéologie - demeurant des pratiques individuelles, on impuissance, ostéoporose) ou peut s’interroger sur les conséquences de leur généralisation non médicamenteuse. sous la pression de la société et de l’offre technologique.
(2) Omniprésence de l’économie de la santé La question de l’accès aux produits de santé (et aux soins) et celle d’une inflation illimitée des coûts : d’une question morale (charité) à une question de justice sociale (eg, accès aux thérapies innovantes fonction du pouvoir d’achat) Si la question de l’accès aux thérapeutiques disponibles se pose depuis longtemps, la question s’est acutisée avec l’augmentation de l’efficacité des traitements et de leurs coûts d’acquisition : on est passé d’un problème moral à une question de justice sociale (eg, accès aux antirétroviraux)
(3) Sécurité sanitaire et risques - Une préoccupation ancienne (eg, quiproquo, charlatanisme) qui a changée d’échelle avec l’industrialisation du médicament (un lot en cause => toute une population à risque), dans un contexte de philosophie du risque zéro - Une question qui se lit à l’aune de la faute, du risque et/ou accident iatrogène, et de la finance. En 2007, des lots d’héparine ont été contaminés par de la chondroïtine persulfatée à la suite d’une opération de falsification. Cette contamination frauduleuse a été à l’origine de plusieurs décès et de nombreux accidents allergiques dans le monde (2008). Cette problématique du risque par « défaut de qualité » n’est pas propre aux pays émergents : en 2008 tout un lot de Nelfinavir (antirétroviral d’origine industrielle suisse) était retiré suite à une contamination accidentelle par une substance génotoxique.
2. Conclusion . Niveau épistémologique La démarche scientifique est née quand les conditions de « vérificabilité » (expérience + instruments) sont ajoutées et font parties du raisonnement initial : - Avec Hippocrate, Galien, Dioscoride : des théories (raisonnement) parfois sur la base d’observation, mais sans expérience de vérification, ou des théories transformées en dogmes non questionnables (les « Anciens » au Moyen âge) - Avec Paracelse : une théorie (vue comme un dogme intangible) avec des pseudo expériences (monstration et non démonstration), et des instruments (laboratoire, alambic…) - Avec la Chimie médicinale : des théories (eg, « Traité élémentaire de chimie » de Lavoisier, concept de récepteurs d’Ehrlich), une expérimentation et des expériences (eg, Seguin, Pelletier, Magendie…), et des instruments (distillateur, calorimètre, animal de laboratoire, statistique…)
. Niveau sociologique - Le pharmacien Un paradoxe : quand il acquiert un statut professionnel et une reconnaissance (loi 1803, chimie), son rôle/expertise décroit (il vend et ne prépare plus), et se dilue dans le réseau technoscientifique industrie / hôpital avec des tentatives de réaffirmation (eg, de l’uroscopie du Moyen âge à la pharmacie clinique du XXe siècle). - Le médicament (et les produits de santé) Pas simplement un bien de consommation, mais un « objet frontière » (non réductible à sa seule matérialité) dont les conditions d’utilisation sont questionnées (eg, marketing médical, risque), et ainsi que celles de son accès inéquitable (eg, de Renaudot aux antirétroviraux). De plus en plus une panacée technique, bien que, malgré son caractère nécessaire (période glorieuse de 1930-1980), il ne soit pas suffisant (eg, tuberculose et streptomycine). A des maladies de plus en plus individualisées (eg, cancer) correspondent des thérapeutiques (médicamenteuses ou non) de plus en plus ciblées… a priori bénéfiques pour l’individu, mais insupportables à terme sur le plan collectif (coûts financiers pour la société).
Bibliographie - La médecine et les sciences, XIXe-XXe siècles Jean-Paul Gaudillières, éditions La Découverte 2006 - Histoire et médicament aux XIXe et XXe siècles Christian Bonah, Anne Rasmussen (sous la direction), éditions Glyphe 2008 - La philosophie du remède Jean-Claude Beaune (sous la direction), éditions Champ Vallon 1993 - Histoire de la pensée médicale en Occident (tomes I, II et III) Mirko Grmek (sous la direction), éditions Seuil 1993 - Dictionnaire de la pensée médicale Dominique Lecourt (sous la direction), éditions PUF - Histoire de l’expérimentation humaine en France (1900-1940) Christian Bonah, édition Les Belles Lettres 2007 - Des médicaments pour les pauvres - Ouvrages charitables et santé publique Olivier Lafont, édition Pharmathèmes 2010
Mode d’emploi Dans la perspective du concours (PACES), pour appréhender au mieux ce cours, composé d’un contenu audio et d’un contenu vidéo [texte + iconographie commentée + tableau] : - seul le texte est à apprendre (cerclage rouge), les tableaux (cerclage vert), l’iconographie commentée avec le texte en italique encadré (cerclage bleu), ainsi que l’audio ne sont pas à apprendre formellement, mais là pour aider à comprendre et illustrer les idées et points forts développés (résumés dans le cerclage rouge) dans cet enseignement autour de l’histoire de la pharmacie.
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