Islam et sécularité : Réformismes et enjeux géopolitiques - youssef belal ali bouabid omar saghi
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Islam et sécularité : Réformismes et enjeux géopolitiques youssef belal ali bouabid omar saghi N° 17 2 0 1 2
N° 17 - 2012 prochainement : « Légitimation et sacralité Royale » Avertissement : les informations contenues et les opinions exprimées dans ces textes n’engagent que leurs auteurs.
Sommaire Le Cercle d’Analyse Politique……………………………..1 Présentation…………………………………………………..…3 Note de travail, par youssef belal……………………………7 Contributions………………………………………………….25 Sécularisation et crises des consciences occidentale et musulmane, par ali bouabid……………………………25 Réflexions sur sécularisation sociale et politique au Maroc, par omar saghi……………………………………41 Publications…………………………………………………….51
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Le Cercle d’Analyse Politique Le Cercle d’Analyse Politique (CAP) est un espace créé en Juin 2001, à l’initiative conjointe de la Fondation Abderrahim Bouabid et la Fondation Friedrich Ebert. Composé d’un cercle restreint de chercheurs marocains, cet espace de réflexion collective s’attache en priorité à (re)-formuler les interrogations que suggère une lecture critique et distanciée de sujets politiques. Le débat interne porte sur la discussion de la note de travail préparée par un membre, et de deux Commentaires critiques qui l’accompagnent. Les échanges, auxquels prennent part l’ensemble des membres font l’objet d’une présentation et d’une synthèse qui complètent la note de travail. Le tout rassemblé compose la présente publication appelée «Les cahiers bleus». Au plan méthodologique, le parti pris qui commande le choix des sujets et le traitement qui leur est réservé, dérive du regard que nous nous efforçons de porter sur l’actualité : un sujet d’actualité qui fait débat, nous interpelle en ce qu’il fait fond sur des questions lourdes qu’il nous appartient de mettre au jour et d’expliciter. Inversement, soulever d’emblée des thèmes de fond, dont l’examen entre en résonance et éclaire autrement l'actualité immédiate. Kristina BIRKE Anas CHAOUI Le Cercle d’Analyse Politique 1
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Les Membres du Cercle · Belal Youssef – Chercheur à l’IURS. · Bouabid Ali – Enseignant chercheur, et Directeur de la publication. · Bourquia Rahma – Présidente de l’Université de Mohammedia. · Darif Mohamed – Professeur à la Faculté de Droit de Mohammedia. · Errarhib Mourad – Fondation Friedrich Ebert. · El Ayadi Mohamed – Professeur à la Faculté des Lettres de Casablanca. · El Messaoudi Amina – Professeur à la Faculté de Droit de Rabat. · El Moudden Abdelhay – Professeur à la Faculté de Droit de Rabat. · Filali Meknassi Rachid - Professeur à la Faculté de Droit de Rabat. · Jaïdi Larabi – Professeur chercheur, Faculté de Droit de Rabat. · Laarissa Mustapha – Professeur à la Faculté des Lettres de Marrakech. · Rachik Hassan – Professeur à la Faculté de Droit de Casablanca. · Tozy Mohamed – Professeur à la Faculté de Droit de Casablanca. Le Cercle d’Analyse Politique 2
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Présentation La présente livraison des « cahiers bleus » autour de la thématique globale de la sécularisation est ordonnée autour d’un document de travail, rédigé par Youssef Belal et discuté dans certaines de ses dimensions par deux contributions que nous devons à Ali Bouabid et à Omar Saghi. Avant d’en restituer les grandes lignes, Il importe d’indiquer au préalable que le texte que nous propose Y. Belal a été écrit antérieurement à ce qu’il est convenu d’appeler le « printemps des peuples ». Il n’empêche que le contenu et la qualité des analyses qui y figurent n’ont rien perdu ni de leur actualité ni de leur pertinence. Dans sa la forme, le texte de Y. Belal tranche dans sa tonalité avec la posture qui a caractérisé jusque là la majorité sinon des travaux du moins des publications du Cercle d’Analyse Politique. Le recours au procédé du working paper (document de travail) pour introduire nos échanges, sans prétendre satisfaire aux canons du travail scientifique contenait néanmoins l’idée d’une distance entre analyse et opinion. Avec le texte de Belal nous sommes me semble t il davantage en présence d’un policy paper que d’un working paper. Par policy paper au sens de la tradition anglo saxonne, nous entendons un propos engagé et finalisé qui combine deux ordres de discours : le registre de l’analyse au nom de la connaissance scientifique, et le registre de l’opinion qui exprime des convictions. Penser le réformisme en terre musulmane en générale et la sécularisation de la théocratie marocaine en particulier, telle est la perspective dans laquelle Y Belal inscrit d’emblée sa contribution ordonnée autour de la thèse suivante : « si la théocratie n’est pas souhaitable pour le monde musulman, la religion peut toutefois jouer un rôle symbolique dans l’espace public compatible avec un régime politique démocratique dans une société sécularisée ». Ainsi l’auteur déroule son raisonnement sur la base d’un développement conceptuel et historique autour de la sécularisation dans les sociétés Le Cercle d’Analyse Politique 3
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique musulmanes qui le conduit à préconiser le concept de sécularité pour rendre compte de l’usage symbolique de la religion dans l’espace public. Après avoir établi une « typologie de la sécularisation de l’Etat dans les sociétés du monde musulman », l’auteur en vient à poser que « La sécularité peut être envisagée pour le Maroc si elle repose sur une sécularisation de la théocratie monarchique ». Ali Bouabid dans sa contribution, partage les hypothèses de l’auteur du policy paper ainsi que les convictions qui en découlent du point de vue de la voie à suivre pour penser les conditions d’une acclimatation de la sécularisation favorable à l’option démocratique. Il s’en détache néanmoins sur deux points. En premier lieu, il soutient que dans un monde globalisé et ouvert, la réflexion sur la sécularisation ne peut dorénavant être instruite indépendamment d’une prise en compte conjointe des crises de la conscience occidentale et de la conscience en terre musulmane qu’elle génère, et de leurs effets de miroir. C’est ici toute la problématique de l’émancipation de l’individu qui est en cause. La crise de la conscience occidentale sur fond de sécularisation massive la questionne à nouveaux frais. Un questionnement qui ne peut être écarter de la réflexion sur la crise de conscience que subissent à leur tour les musulmans, écartelés entre leur foi et l'adhésion au monde moderne. En second lieu, si l’auteur souscrit à la thèse paradoxale développée par Y. Belal selon laquelle sécularisation souhaitable de la monarchie passerait par son confinement à la sphère spirituelle, il en appelle cependant à la sécularisation préalable du champ religieux à travers un dispositif de régulation faisant place au pluralisme bien plus favorable à l’installation de la monarchie dans une posture d’orientation et d’arbitrage supérieurs. Le propos de Omar Saghi tout aussi stimulant pour la réflexion, s’efforce d’élucider les trois dimensions politique, sociale et diplomatique du processus de sécularisation dans les pays arabes et/ou musulmans en général avec des éléments d’illustration pour le Maroc. S’il considère que le concept de laïcité est impropre à rendre compte de la dimension sociétale de la sécularisation, il souligne l’intérêt d’embrasser d’un même mouvement les trois dimensions de la sécularisation. Cette triple dimension, au fondement de sa contribution, le conduit à partager la thèse de l’échec de l’islamisme dans sa dimension politique et de sa Le Cercle d’Analyse Politique 4
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique vogue au plan socioculturel et à pointer le double paradoxe qui caractérise les sociétés musulmanes aujourd'hui. A savoir, d’une part le constat d’une « réislamisation de masse » qui voisine avec « l’affirmation d’une opinion agnostique » ; et d’autre part, « le constat d’une proximité culturelle à l’Europe et d’un rejet simultané du modèle occidental ». S’agissant du Maroc et sur le plan politique, tout en insistant sur la centralité religieuse du « fait monarchique », l’auteur à l’instar des autres contributeurs y voit une manière de « faciliter le processus de sécularisation politique : la religion échapperait doublement à l’ordre étatique et à la mobilisation sociétale. » et d’ajouter, « c’est probablement ainsi qu’il faudrait interpréter une partie de l’histoire politique récente et contemporaine du Maroc, et du jeu complexe entamée par la monarchie avec et contre les acteurs politiques islamistes : leur abandonner des pans de l’Etat mais essayer de garder le monopole du religieux. » A. B. Le Cercle d’Analyse Politique 5
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Note de travail, par youssef belal Islam et sécularité : Réformismes et enjeux géopolitiques Il n’existe pas de société où règnerait la confusion du religieux et du social et il existe encore moins d’homo-islamicus. Il n’existe pas non plus de monolithisme social qui rendrait mécaniquement nécessaire un Etat théocratique prolongement naturel d’une société entièrement sous l’emprise du religieux. Dans le même temps, la laïcité n’est pas une fin en soi, particulièrement lorsqu’elle prend la forme d’un laïcisme qui bannit complètement le religieux de l’Etat et de l’espace public. Le débat autour de cette question ne peut être dissocié de la place de la religion en démocratie et en modernité politique. Mon propos se résume de la manière suivante : si la théocratie n’est pas souhaitable pour le monde musulman, la religion peut toutefois jouer un rôle symbolique dans l’espace public compatible avec un régime politique démocratique dans une société sécularisée. C’est le point que je souhaite démontrer dans ce texte. Pour désigner le maintien d’un usage symbolique de la religion dans l’espace public en démocratie, je préfère utiliser le terme de sécularité plutôt que celui de laïcité qui est étroitement lié à l’histoire de la république en France et ne restitue pas les nuances du terme anglais secularism renvoyant à une diversité de parcours nationaux. Ce choix s’impose d’autant plus que mon approche repose sur un développement conceptuel et historique autour de la sécularisation. La définition post-moderne de la sécularisation (i) ne peut être retenue pour illustrer mon propos. La sécularité s’inscrit dans le processus de sécularisation des sociétés musulmanes (ii) et le recours à la théocratie est en partie une réaction à cette sécularisation (iii). Le réformisme en islam repose sur une herméneutique ouverte (iv), mais doit s’articuler à l’Etat et à la société civile pour trouver un ancrage dans la société. La Turquie et l’Iran constituent les deux expériences les plus Le Cercle d’Analyse Politique 7
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique riches d’enseignements pour la sécularité en islam (v, vi) et pour une typologie de la sécularisation de l’Etat dans les sociétés du monde musulman (vii). La sécularité peut être envisagée pour le Maroc si elle repose sur une sécularisation de la théocratie monarchique (viii) et sur un usage stratégique du référentiel théologique (ix). I. Les sociétés modernes et l’emprise du religieux : la distinction entre religion et politique serait-elle illusoire ? Selon la critique post-moderne de la sécularisation, la distinction entre religion et politique serait illusoire du fait de l’omniprésence déguisée du théologique dans le monde contemporain. La sécularisation est alors entendue comme un transfert des structures structurantes façonnées par la religion 1 de la société pré-moderne vers la société moderne. La théologie politique de Carl Schmitt a consacré d’amples développements à la généalogie de concepts de la politique moderne, comme la communauté politique et la souveraineté : « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’Etat sont des concepts théologiques sécularisés. Et c’est vrai non seulement de leur développement historique, parce qu’ils sont transférés de la théologie à la théorie de l’Etat –du fait, par exemple, que le Dieu tout-puissant est devenu le législateur omnipotent-, mais aussi de leur structure systématique dont la connaissance est nécessaire pour une analyse sociologique de ces concepts ». Ici, la sécularisation consiste en un transfert de concepts de l’âge théologique vers les « temps modernes » qui n’ont pas l’originalité radicale à laquelle certains de ses théoriciens prétendent. Dans cette perspective, la théologie politique mènerait le monde, même dans les sociétés occidentales modernes dont on a cru qu’elles avaient définitivement relégué la religion au passé. La modernité du monde contemporain serait à relativiser puisque la rupture avec la religion n’est pas aussi radicale que l’affirment les héritiers des Lumières, et les sociétés occidentales sont encore sous l’emprise d’un « inconscient religieux » (Régis Debray). Dépouillé de ses apparences religieuses, le pouvoir structurant de la religion perdure parce qu’il aurait su épouser la vie moderne. Même les idéologies athées comme le communisme ne seraient en réalité que des religions séculières. 1 Carl Schmitt; Théologie Politique. Le Cercle d’Analyse Politique 8
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Selon la conception post-moderne de la sécularisation, le projet séculier et la laïcité seraient donc vains puisqu’ils ne perçoivent pas la persistance des formes religieuses dans les sociétés sécularisées. Bien que cette approche soit tout à fait intéressante dans l’analyse de la modernité et de ses limites, elle est écartée ici car elle tend à « diluer » le religieux et ne permet pas d’expliquer ses manifestations dans le monde musulman contemporain. Il s’agit pour nous de circonscrire le religieux afin de mieux saisir son articulation au politique. Le choix d’écarter une telle conception de la sécularisation n’est pas seulement la conséquence d’une analyse. Il découle également d’une prise de position qui est défendue ici et qui consiste à formuler une préférence normative pour la modernité politique. II. Sécularité et sécularisation du monde musulman La sécularité consiste à organiser l’autonomie du politique par rapport au religieux. La sécularité n’est ni positiviste ni anti-religieuse dans le sens où elle chercherait à mettre fin à la religion. La sécularité n’évacue pas totalement la religion de l’espace public mais organise son usage symbolique. La sécularité n’est pas seulement un concept mais renvoie également à une réalité. La monarchie anglaise n’est pas laïque mais séculière dans le sens où l’anglicanisme est religion d’Etat, et le monarque à la tête de l’Eglise anglicane. Dans le même temps, le pouvoir exécutif réel est entre les mains du premier ministre élu et non de la monarchie. La sécularité s’inscrit dans la continuité du processus de sécularisation qui n’est pas la fin de la religion ou la fin des croyances religieuses. Elle renvoie tant au déclin du pouvoir structurant de la religion qu’aux changements religieux (individualisation et éclatement du croire, autonomisation des pratiques religieuses par rapport aux institutions officielles…) induits par la modernité. La sécularisation travaille en profondeur les sociétés musulmanes contemporaines. La différentiation sociale, la « societalization » et la rationalisation constituent des bouleversements majeurs qui transforment la signification sociale de la religion 2 . Sous l’effet de l’émergence de plusieurs champs distincts régis par des règles et des institutions 2 David Martin, A general theory of secularization. Le Cercle d’Analyse Politique 9
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique spécifiques, la différentiation sociale fait de la religion un secteur parmi d’autres qui n’exerce plus son hégémonie en matière d’instruction, de solidarité sociale ou de production du droit. L’émergence de nouvelles classes sociales sous l’effet du développement du capitalisme induit des visions du monde concurrentes de la cosmogonie religieuse. La société se substitue à la communauté locale qui ne constitue plus l’univers restreint des individus, et la religion est concurrencée par d’autres formes du lien social. La rationalisation qu’opère le monothéisme avec la croyance en un Dieu unique et transcendant, mais aussi avec le développement de la théologie préparent la voie à la rationalisation instrumentale et à la maîtrise technique du monde. Les sociétés musulmanes modernes sont travaillées en profondeur par la sécularisation. La religion a perdu son pouvoir structurant. Pour s’en convaincre, il suffit de mesurer le déclin irrémédiable (voire la disparition dans certains cas) d’un ensemble de fonctions autrefois dévolues à la religion. Les hommes de religion (les saints, les jurisconsultes…) ne sont plus au centre de la vie sociale des sociétés musulmanes modernes mais à leur périphérie. Le savoir théologique est marginalisé de la production de normes morales ou juridiques. Il y a une disjonction évidente entre la transformation des rapports sociaux induits par la vie moderne et la capacité du langage religieux à accompagner ces changements. La religion est devenue un secteur de la vie sociale. III. Le recours à la théocratie Est-t-il préférable pour les hommes de vivre en théocratie ? Au-delà de l’intérêt immédiat des acteurs et des groupes qui cherchent à perpétuer ou à instaurer le gouvernement théocratique (la monarchie marocaine, les ayatollahs d’Iran, les oulémas saoudiens), les hommes vivraient-ils mieux sous la Loi divine ? Le gouvernement théocratique n’a pas été seulement formulé par des hommes de religion ou des doctrinaires islamistes du XXe siècle. Le projet séculariste dans le monde musulman doit aussi prendre au sérieux la construction intellectuelle de la théocratie afin qu’il soit en mesure de formuler des contre-arguments. On ne cherchera pas ici à discuter l’ensemble des arguments invoqués par les partisans du gouvernement théocratique. Le postulat partagé par l’ensemble des théocrates est que la théocratie serait a priori la perfection. Le Cercle d’Analyse Politique 10
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique En islam, la théocratie est principalement le règne de la Loi divine. Cette Loi aurait réponse à toutes les questions et serait solution à tous les problèmes. Pour mériter la vie céleste, les hommes doivent instaurer le gouvernement de Dieu. Le gouvernement de Dieu peut être fondé a priori. Al-Farâbî a donné à la théocratie un fondement philosophique néo-platonicien. Dans Les opinions de la cité vertueuse, le roi-prophète représente le lien entre le divin et les mortels qui n’ont pas une connaissance directe du supranaturel. La connaissance de la science divine permet à la cité d’accéder à la perfection par le truchement du roi-prophète. Au-delà de sa construction théorique, la théocratie exerce une attraction réelle auprès de certains musulmans. Dans un âge d’angoisse, une politique de la Vérité permet d’éviter le doute. Face à la coupure de la colonisation et de la domination occidentale, la théocratie islamique est une mobilisation des ressources culturelles perçues comme propres aux musulmans. L’attitude qui consiste à chercher dans les textes sacrés des normes de comportements sociaux et politiques révèle qu’il y a une multiplicité de choix qui s’offrent aux individus et les inquiètent. Lorsqu’il y a un seul modèle de comportement, ou un comportement dominant que la tradition contribue à reproduire avec des changements mineurs, la société n’est pas menacée dans son système de vérité car la religion assurait la cohérence de l’ensemble. Lorsque le changement social s’accélère, l’ouverture sur d’autres sociétés s’accroît, l’accès à d’autres modes de vie et notamment à la société de consommation se développent, la transmission des normes traditionnelles et la reproduction des comportements sont rompues. La concurrence des vérités et des valeurs pousse les groupes sociaux menacés dans leur mode de vie ou qui se sentent perdus face à la multiplicité des choix qui s’imposent à eux, à rechercher l’interdit plutôt que le permissible. La distinction entre le licite et l’illicite reprend une nouvelle vigueur car elle permet de partager le fardeau de l’existence moderne avec Dieu. Elle régule les frustrations et donne à l’individu la certitude de faire les bons choix. Les conditions de possibilité d’émergence en islam de toutes les formes de rigorisme religieux du XXe siècle sont liées aux transformations sociales profondes que vivent les sociétés musulmanes. Le passage « du Le Cercle d’Analyse Politique 11
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique monde clos à l’univers infini » met fin aux bénéfices liés à la croyance en la Vérité absolue, et à la reproduction des modes de vie et des rôles sociaux. L’univers infini ne renvoie pas seulement à la cosmogonie mais surtout à la multitude des possibilités qui s’offrent à l’individu et rendent possible son affirmation et son autonomie. L’islamisme est un puissant vecteur de sécularisation. Il contribue à circonscrire le projet de totalisation religieuse du monde à un acteur social, et à accentuer la différenciation séculière de la société. Le mouvement islamiste nourrit le clivage entre une vision religieuse du monde dont il se veut le représentant exclusif et la sécularisation de la société. Pour exister, il doit postuler le déclin du pouvoir structurant de la religion et se présenter comme son dernier bastion. Dans une société « oublieuse de Dieu », les mouvements islamistes se constituent en communautés religieuses qui entendent préserver la religion dans ses différentes dimensions en perpétuant un enseignement cultuel, théologico-savant, et moral. En fondant une communauté sur la base du lien religieux, les islamistes postulent que la religion ne re-lie plus les hommes. Pour faire sens, elle doit être intensément vécue et visible. C’est aussi parce que l’islamisme est l’expression d’une «mondanisation» qu’il entre en tension avec le monde moderne. La norme invoquée renvoie à des relations sociales figées et érigées en modèle à un moment donné par la jurisprudence islamique. L’écart entre la norme et le changement social qui s’accélère révèle le déclin de la religion dans le monde moderne. L’islamisme consiste à refuser cet écart croissant entre norme et évolution des rapports sociaux (entre hommes et femmes, entre musulmans et non-musulmans). L’islamisme cherche à freiner cette évolution et à réduire l’écart en réaffirmant la primauté de la norme, aussi figée soit-elle. Au même titre que les mouvements inspirés par une religion « séculière », les mouvements islamistes cherchent à reconstruire le lien social. Déstructurées par l’urbanisation, le progrès technique et le développement de l’économie, les sociétés traditionnelles ont connu un déclin irrémédiable. Cette tentative de re-faire du lien social un lien religieux montre a posteriori la fonction liante de la religion et son effritement. Dans l’islamisme, il y a une nostalgie de la communauté et de sa force holistique, car cette dernière a laissé place à la société des individus. Le Cercle d’Analyse Politique 12
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique IV. Herméneutique et interprétation ouverte des textes sacrés Dans l’islam contemporain, certaines normes tirées de la jurisprudence musulmane ou d’une lecture directe de certains passages des textes sacrés posent problème car certains acteurs cherchent à les appliquer de manière littérale. Ces normes entrent en conflit avec les règles de la vie moderne, surtout lorsque ces acteurs cherchent à les substituer au droit positif alors que d’autres interprètes des textes sacrés en donnent une interprétation ouverte. Il y a donc un double conflit entre d’un côté une interprétation fermée et une interprétation ouverte des textes sacrés, et de l’autre côté entre l’interprétation fermée des textes sacrés et les règles de la vie moderne. Une interprétation ouverte des textes sacrés qui laisse le choix aux individus ne pose pas problème car elle peut être compatible avec la vie moderne. L’approche herméneutique consiste à chercher dans les textes sacrés les passages incitant les musulmans à organiser un gouvernement temporel distinct de la religion (Ali Abderrâzik). Cette démarche n’est pas exempte de paradoxes. Elle cherche à donner un fondement religieux à la laïcité ce qui signifie qu’elle confère à la religion l’autorité nécessaire pour emporter la conviction des coreligionnaires. Le discours rationnel vierge de toute référence religieuse ne serait donc pas en mesure de convaincre les musulmans de la pertinence du projet séculier. Il s’agit d’un détour de la sécularité par le religieux qui n’est en rien spécifique aux penseurs musulmans. Les philosophes qui ont contribué à fonder la modernité européenne ont eu aussi recours à cette stratégie argumentative. Dans le Léviathan, Hobbes jette les fondements théoriques de l’Etat « civil » en ayant recours à des références bibliques car il ne le conçoit pas sans son double chrétien comme l’indique le titre même de son traité. Pour susciter l’adhésion, le droit naturel hobbesien prend appui sur « les révélations surnaturelles de la volonté de Dieu ». Toutefois, le réformisme en islam ne peut s’engager exclusivement sur le politique. Il doit s’articuler à une réflexion sur la signification de la religion pour les hommes. Ce n’est d’ailleurs pas pour le mode d’organisation du pouvoir que l’approche herméneutique a été la plus féconde mais plutôt sur les thèmes fondamentaux de la modernité qui prêtent à conséquence au niveau politique : l’autonomie de l’individu, la raison ou la liberté. La religion comme « mouvement » (Mohammed Le Cercle d’Analyse Politique 13
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Iqbal) invite à ne pas rester enfermé dans une vision défensive et figée de l’islam. Le réformisme se nourrit de deux approches complémentaires. La première que l’on pourrait qualifier de « légale-rationnelle » va mettre l’accent sur l’importance de la raison et cherchera à mobiliser le rationalisme Averroïste. L’usage de la pensée téléologique du fikr maqâsidî postule l’existence de fins universelles dans les prescriptions religieuses qui ne sont pas explicitement formulées et qu’il convient de saisir lorsque les normes théologiques entrent en conflit avec la réalité sociale. La seconde approche repose sur la mystique musulmane et la « sagesse orientale », particulièrement développées dans la philosophie iranienne. Lorsque le sens de la religion repose sur l’être et l’élévation spirituelle, la dimension théologico-politique ainsi que les normes sociales deviennent nécessairement secondaires au profit de l’intériorité. A l’inverse des « théocrates » qui croient que le Coran énonce le savoir absolu du monde, les réformistes estiment que le sens de la révélation n’est pas fondamentalement d’ordre verbal. Pour saisir le sens profond du Coran et des dits du Prophète, il convient d’aller au-delà des lectures littérales. La religion doit être ouverte à la critique du discours rationnel, particulièrement lorsque certaines formes du pouvoir religieux sont répressives et oppressives. L’interprétation ouverte permet d’éviter les lectures littérales des textes sacrés. En revenant sur les conditions historiques de la révélation et de l’écriture de certains versets du Coran, en étudiant la fondation puis la production du droit musulman, et en intégrant les travaux des sciences sociales des universités des pays du monde musulman et dans les autres pays, des chercheurs et des intellectuels « réformistes » multiplient les interprétations ouvertes. Une des apories du projet séculier est la difficulté à diffuser son discours auprès des musulmans. Ils peuvent chercher à faire du système éducatif le vecteur de leur discours ce qui supposerait que l’Etat soit porteur du projet d’une sécularité éclairée. Les penseurs musulmans doivent se faire « prédicateurs » pour toucher les musulmans. Aussi, l’articulation et les tensions de la religion et de la politique en Turquie et en Iran sont riches d’enseignement pour l’ancrage sociétal du réformisme. Comme dans toute religion entremêlée au politique, le réformisme en islam ne se pense pas séparément des enjeux politiques. Les deux Le Cercle d’Analyse Politique 14
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique parcours nationaux les plus intéressants à étudier sont la Turquie et l’Iran qui offrent les voies les plus prometteuses dans la production deux modèles de modernité politique en islam (On relèvera qu’il s’agit de l’islam chiite et de l’islam sunnite non arabe). La Turquie est le pays musulman qui est allé le plus loin dans la laïcisation et la démocratisation de l’Etat tandis que l’Iran est le seul pays à avoir expérimenté une révolution religieuse. V. Laïcité et réformisme religieux d’Etat : la République turque Sous l’influence des courants de pensée laïcistes en Europe et au prix de transformations radicales, l’élite turque du début du XXe siècle - comprenant notamment les adeptes de l’athéisme et du positivisme-, a troqué l’islam politique impérial pour le nationalisme laïc. En théorisant le turquisme, Ziya Gökalp cherche à « mettre fin à la théocratie dans laquelle les lois sont faites par les califes et les sultans » tout en préservant l’islam. S’il dénonce l’anticléricalisme, Mustapha Kemal ne rejette pas en bloc la religion, et c’est parfois au nom de la transcendance religieuse qu’il justifie la laïcisation de l’Etat : « pour purifier et élever la foi islamique, il est indispensable de la désengager de l’instrumentalisation politique qui a prévalu durant des siècles ». Il ne faut pas oublier que le Califat islamique est toujours en vigueur au moment de la proclamation de la République et Atatürk envisage un moment de le conserver avant son abolition en mars 1924. Il faut attendre 1928 pour que l’islam ne soit plus religion d’Etat, et 1937 pour voir la laïcité formulée dans la constitution sous le terme laiklik. Si l’islam est utilisé comme ressource symbolique au profit du kémalisme et de ses trois piliers -Laïcité, République et Nation-, la Constitution turque ne l’évoque dans aucun de ses articles et garantit « la liberté de conscience, de croyance et de conviction religieuses ». Aussi, « nul ne peut être astreint à prendre part à des prières ou à des rites et cérémonies religieux, ni à divulguer ses croyances et ses convictions religieuses et nul ne peut être blâmé ni incriminé en raison de ses croyances ou convictions religieuses ». Dans le même temps, «l’éducation et l'enseignement religieux et éthique sont dispensés sous la surveillance et le contrôle de l'Etat ». Contrairement à la thèse de la dé-islamisation de la Turquie comme condition d’ancrage à la modernité défendue par Bernard Lewis, la laïcité turque n’est donc pas dénuée d’ambivalences, y compris chez les Unionistes et les Kémalistes. Le Cercle d’Analyse Politique 15
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Avec l’accès au pouvoir en 2002 de l’AKP, la laïcité turque a été paradoxalement consolidée. Le parcours des islamistes turcs et leur expérience à la tête du gouvernement a accrédité l’idée que l’islamisme pouvait également inspirer des acteurs politiques dans un contexte de laïcité. En respectant le pacte laïc –par conviction ou par contrainte-, mais aussi en défendant le projet d’une « démocratie conservatrice », l’AKP a contribué à démocratiser l’Etat turc longtemps prisonnier de l’interventionnisme de l’armée dans la vie politique. C’est en cherchant à se différencier de l’autoritarisme laïc qui a longtemps prévalu en Turquie sans toutefois rejeter la laïcité que l’AKP a entrepris de développer des contre-pouvoirs institutionnels, notamment pour limiter les intrusions de l’armée. Dans sa tentative d’appuyer le projet réformiste en islam, l’Etat turc a fait appel à “l’école d’Ankara” qui regroupe des théologiens turcs, pour la plupart enseignants à l’Université de la même ville. La Direction des Affaires Religieuses [le Diyanet] a notamment sollicité ce groupe de théologiens pour éditer une nouvelle collection de dits du Prophète [hadîth] expurgés de tous les dits « anti-modernes », notamment tous ceux qui maintiendraient les femmes dans une situation d’infériorité. Cette initiative contribue à désacraliser les textes sacrés bien qu’il s’agisse des dits du Prophète dont l’importance est moindre par rapport au Coran aux yeux des croyants et des autorités religieuses. Face à une Arabie Saoudite théocratique empêtrée dans le carcan anti-moderne du wahhabisme, la Turquie laïque pourrait initier une diffusion de cette modernité religieuse dans le cadre d’une politique « néo-ottomane » auprès des pays musulmans. L’émergence économique de la Turquie (membre du G20), son passé impérial rapidement refoulé par les kémalistes, son rôle dans la stabilisation de l’Irak et auprès de l’Iran, et plus récemment son prestige acquis sur la question palestinienne et dans le même temps le double ancrage européen (candidat sérieux à l’adhésion) et atlantiste (membre de l’OTAN) sont des atouts clés qui expliquent l’attractivité du modèle turc. VI. Théocratie et réformisme en Iran La République Islamique est un cas original de checks and balances entre pouvoir séculier et autorités religieuses, bien que souvent à l’avantage de ces dernières. Depuis la révolution islamique de 1979, la hiérarchie Le Cercle d’Analyse Politique 16
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique religieuse joue un rôle clé du fait de la doctrine de velayat al-faqih [gouvernement du docte religieux]. Elu par l’Assemblée des experts, le guide est l’autorité religieuse et politique suprême de la République. Bien qu’il soit élu au suffrage universel direct, le président de la République dispose de moins de pouvoir que le guide. Le Conseil des Gardiens de la Constitution –qui comprend des membres du clergé chiite iranien-, dispose d’un pouvoir de veto sur les lois votés par le Parlement, et il peut retirer un proposition de loi jugée en contradiction avec la sharî’a. Dans le même temps, tous les membres du Parlement sont élus au suffrage universel mais les candidatures doivent être approuvées par le Conseil des Gardiens. En islam chiite iranien, l’existence d’une hiérarchie religieuse organisée autour du savoir religieux permet l’adoption de prescriptions normatives et leur large diffusion auprès des croyants. Des positions a priori dissidentes ou hétérodoxes par rapport à la tradition chiite comme celles de l’Ayatollah Ruhollah Khomeyni en matière de velayat al-faqih se sont rapidement imposées car elles ont été adoptées par la hiérarchie religieuse chiite en Iran –qui y trouvait aussi l’occasion inespérée de se forger une position hégémonique dans l’appareil d’Etat. Devenue orthodoxie, la notion de velayat al-faqih pourrait être contestée à son tour par l’adoption par une partie de la hiérarchie religieuse –surtout lorsqu’il s’agit de la plus haute autorité marja’ taqlid comme le fut Ali Montazeri, un temps successeur potentiel de Khomeiny, ou comme l’est Youssef Sâne’i- du principe de séparation de la religion et de la politique. L’expérience iranienne révèle les apories d’une théocratie pourtant créée à la suite d’une révolution religieuse populaire. Depuis la fin de la guerre contre l’Irak, l’esprit de sacrifice insufflé par le souffle révolutionnaire s’est tari. Le recours du régime iranien à la force exercée par les Pasdaran et les Bassidji pour étouffer la contestation et les revendications de liberté de la société civile a discrédité la République islamique aux yeux d’une partie de la jeunesse iranienne. L’enrichissement et les privilèges d’une partie de la hiérarchie religieuse au moyen de la rente pétrolière tranche avec l’ascétisme de Khomeiny et a porté un coup fatal à la vertu qu’entendait instaurer la Révolution islamique. De fait la théocratie est devenue l’exercice du pouvoir par la hiérocratie chiite iranienne. En exerçant le pouvoir dans un régime autoritaire et répressif, le clergé ne représente plus l’idéal de changement qu’il incarnait au temps du Shah, par le truchement de la figure de Khomeiny. Le Cercle d’Analyse Politique 17
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique L’opposition au régime de la République islamique regroupe deux types d’acteurs : les opposants rejetant le régime dans sa totalité et visant à mettre fin à la république islamique, et ceux qui souhaitent réduire le pouvoir de la hiérarchie religieuse et élargir l’espace politique du pouvoir séculier. Cette opposition politique s’accompagne d’un débat théologico-politique très riche. Un nombre croissant d’acteurs de la Révolution islamique –à l’exemple de Soroush-, et de représentants de la hiérarchie religieuse critiquent publiquement le régime de Téhéran. Les événements de 2009 qui ont suivi les élections présidentielles contestées ont montré que certains dogmes de la République- comme le velayât al faqih- sont rejetés. Il est probable que la République islamique ne perdura pas sous sa forme actuelle. La marge étroite de la présidence de Khatami et la radicalisation du régime sous la présidence de Ahmadinejad ont repoussé à plus tard une ouverture politique qui serait prélude à une nouvelle articulation entre le théologique et le politique. Le réformisme d’une partie des clercs et des laïcs a un ancrage social réel qui attend de trouver sa traduction politique et son adoption par l’Etat. VII. Etat et sécularisation dans le monde musulman : une typologie théologico-politique Le monde musulman comprend plusieurs types de régimes établissant un rapport différencié à la théologie politique. Dans certains pays musulmans, la religion exerce son hégémonie sur l’Etat (l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan des Talibans). Elle est marginalisée dans certains Etats (la Turquie) tandis qu’elle est au fondement de théocraties modérées (le Maroc). Il est possible d’établir une typologie des rapports entre religion et Etat dans le monde musulman en retenant quatre critères : - Le pouvoir des autorités religieuses dans l’appareil d’Etat, - le contrôle de l’ordre moral au nom de la religion, - le poids de la religion dans la production du droit, - la nature du système politique. Le Cercle d’Analyse Politique 18
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Une typologie de la sécularisation des Etats dans le monde musulman Autorités Religion et ordre Religion et Système religieuses dans moral production du droit politique l’appareil d’Etat Les lois sont votées Démocratie Turquie Marginalisées Liberté par le Parlement élu. représentative Laïcisme. En tant que Le droit est voté par Système mixte : commandeur des Tolérance ponctuée le Parlement. monarchie croyants, le roi de poussées de autoritaire et Maroc concentre les contrôle de l’ordre Sécularisme des lois représentation pouvoirs mais les moral (par ex. le excepté pour démocratique. autorités religieuses mois de Ramadan) certains champs sont marginalisées (Code de la Famille) Système mixte : Le droit est vote par Pouvoir important Contrôle de l’ordre gouvernement le Parlement élu. mais la hiérarchie moral mais la société de la hiérocratie Iran Contrôle de religieuse est conteste cette et conformité des lois à divisée intrusion. représentation la sharî’a. démocratique. Oligarchie Contrôle de religieuse et Arabie Contrôle de l’ordre conformité des lois à tribal et absence Pouvoir important la sharî’a. Saoudite moral de représentation démocratique. Je ne reviendrai pas ici sur les régimes turc, iranien et marocain qui font l’objet de développements dans le reste du texte. Pour ce qui est de l’exemple saoudien, il convient de souligner que les autorités religieuses ont un pouvoir réel dans l’Etat. Le roi doit émettre des décrets royaux en conformité avec la sharî’a. Le Coran et la Sunna sont la « constitution » du royaume des Al Saoud. Le Comité Islamique de l’Assemblée Consultative contrôle la conformité des décisions à la sharî’a. Le Comité de la Commanderie du Bien et du Pourchas du mal et les « muttawa’ » contrôlent l’ordre moral de la société. Hormis l’organisation d’élections locales en 2005, l’Arabie Saoudite reste fermée à tout développement d’un espace politique émanant de la société civile. Le Cercle d’Analyse Politique 19
Les cahiers bleus n°17 Islam et Sécularité : Réformismes et enjeux géopolitique Etant donné la diversité des parcours de la sécularisation des Etats dans le monde musulman, le réformisme en islam ne peut prendre la forme d’une réponse unique aux questions théologico-politiques. Dans le même temps, la circulation des idées entre sociétés musulmanes aura indéniablement un impact dans la diffusion de nouveaux modèles d’articulation du politique et du théologique. VIII. La théocratie monarchique au Maroc La monarchie marocaine tire les bénéfices de la sacralité religieuse et de la concentration des pouvoirs dans les mains du roi. Si la sacralité du roi semble être relativement acceptée, il convient de rappeler qu’elle fut contestée au moment de sa constitutionnalisation en 1962. La gauche avait rejeté le fondement théocratique du pouvoir en ayant recours à l’argumentation théologique (sous la houlette du Fqih Belarbi El Alaoui), avant de l’accepter comme composante du compromis politique conclu avec la monarchie. La sacralisation de la personne du roi selon l’article 19 de la Constitution est une sacralisation du pouvoir, et neutralise toute critique dirigée contre le roi. Elle a pour fonction « d’immuniser » la monarchie. Le détenteur suprême et effectif du pouvoir exécutif n’est jamais mis en cause par les acteurs politiques dans le système. Le fait que la monarchie soit la clef de voute de la théocratie marocaine se traduit par une marginalisation des autres acteurs religieux. Les oulémas au Maroc ne constituent pas un contre-pouvoir. Le Conseil Supérieur des oulémas est une chambre d’enregistrement. Les oulémas sont devenus des fonctionnaires appliquant les circulaires et les instructions de l’Etat. Les oulémas sont marginalisés dans l’appareil d’Etat. Ils n’ont mot dire en matière de production législative et ne détiennent aucune fonction-clé. Les lois sont votées par le Parlement, et ils n’ont de pouvoir à aucun moment du processus législatif. Ils ne sont pas en mesure contrôler la conformité des lois à la sharî’a. Par ailleurs, sous l’effet de l’hégémonie des professionnels de la politique sur les professionnels de la religion, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) exerce une action politique autonome de la Loi religieuse et contribue à la production du droit positif. Bien qu’il ne semble pas aussi à l’aise que Hassan II dans la fonction de Commandeur des croyants, Mohammed VI a tenu à préserver la Le Cercle d’Analyse Politique 20
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