L'accès des débiteurs LILA et NINA au système légal d'insolvabilité au Canada

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L’accès des débiteurs LILA et NINA au
      système légal d’insolvabilité au Canada :

              Étude semi-empirique et analyse critique

                             Professeure Aurore Benadiba, LLD*

                                               Mars 2021

*
  Docteur en droit, Professeure titulaire à l’Université Laval. L’auteure tient à exprimer toute sa gratitude
envers tous les professionnels, ayant participé à cette étude, pour le temps consacré et les informations
délivrées dans le cadre du volet empirique. Elle est reconnaissante envers l’association canadienne des
professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation (CAIRP) ainsi que le Conseil des syndics autorisés
en insolvabilité du Québec pour leur soutien dans ce projet. Elle remercie aussi le bureau du surintendant des
faillites pour l’accès à certaines de ses données, notamment Madame Sarah Gaudet et l’équipe Analytique
des Affaires et des Données, pour leur travail de compilation. L’auteure assume la responsabilité des
commentaires émis dans la partie analyse de ce rapport.
INTRODUCTION
A) Contexte et problématique

Depuis de nombreuses années, l’état de vulnérabilié de certaines personnes insolvables
comme les débiteurs ayant des faibles revenus ou actifs et sans revenu et sans actif,
désignés sous l’acronyme anglais LILA et NINA1, interpelle les instances nationale et
internationale2.

Les crises financières et le modèle de la société de consommation ont certainement
accentuer les difficultés financières pour les individus à faibles revenus en privant certaines
personnes d’un bien être moral et économique.

Dans une perspective juridique, souvent, de droit comparé, les auteurs3 s’interrogent sur
leur accès au système légal d’insolvabilité afin d’offrir aux débiteurs Canadiens LILA et
NINA une nouvelle procédure de faillite simplifiée et à faible coût.

Or, la question de l’accès des débiteurs LILA et NINA revient à aborder l’articulation et
les points de tension entre les politiques sociales et les objectifs économiques du droit de
l’insolvabilité personnelle, sa structure, son financement et les rôles respectifs de l’État,
des créanciers et des professionnels habilités à administrer les faillites4.

Notre étude vise à vérifier, dans une certaine mesure, avec les limites inhérentes à toute
étude semi-empirique, l’accès et le traitement des débiteurs à faibles revenus et actifs ou
sans revenu et sans actif, qui peuvent être compris comme des débiteurs sans revenu
excédentaire, au système d’insolvabilité au Canada.

Pour ce faire, notre recherche a débuté par une analyse de la littérature juridique,
économique et sociale concernant les propositions de consommateurs et les procédures
faillite avec administration sommaire des consommateurs. Depuis les derniers
amendements de la L.f.i. de 2009, les conditions pour déposer une proposition de

1
  Low Income Low Asset, No Income No Asset.
2
  Bureau du surintendant des faillites (ci-après BSF) Canada, Plan d’activités 2019-2020 du Bureau du
surintendant des faillites, 2019, en ligne (pdf) : ; The World Bank Working Group, «
Report on the Treatment of the Insolvency of Natural Persons » (2014) No ACS6818, en ligne (pdf) :
World Bank
.
3
  Notamment Saul Schwartz et Stephanie Ben-Ishai, « Establishing the Need for a Low-Cost Canadian Debt
Relief       Procedure » (2020) 29 Intl Insolv Rev 25 [Schwartz et Ben-Ishai, « Debt Relief Procedure »];
Stephanie Ben-Ishai et Saul Schwartz, « Bankruptcy for the Poor » (2007) 45:3 Osgoode Hall LJ 471 [Ben-
Ishai et Schwartz, « Bankruptcy »]; Stephanie Ben-Ishai, Saul Schwartz et Thomas GW Telfer, « A
Retrospective on the Canadian Consumer Bankruptcy System: 40 Years after the Tasse Report » (2011)
50 Can Bus LJ 236 aux pp 256–257 [Ben-Ishai, Schwartz et Telfer]; Voir aussi sur cette question Iain
Ramsay, « The new poor person’s bankruptcy: Comparative perspectives » (2020) 29:1 Intl Insolv Rev 4
[Ramsay, « The new poor »]; Iain Ramsay, « Towards an international paradigm of personal insolvency law:
a critical view » (2017) 17:1 QUT L Rev 15 [Ramsay, « Towards an international paradigm »].
4
  Ramsay, « The new poor », supra note 3.

                                                                                                       1
consommateur se sont nettement améliorées. La procédure de faillite sommaire, quant à
elle, offre un moyen simplifié et relativement rapide de réhabiliter un débiteur endetté et
malchanceux. Les dossiers de faillite avec administration sommaire représentent un gros
volume annuel de dossiers de débiteurs canadiens5, une partie de ces débiteurs ne justifient
pas de revenu excédentaire6. Il est dès lors important de connaître les profils des débiteurs
sans revenu excédentaire, sont-ils tous nécessairement des débiteurs désignés comme
LILA ou NINA ?

La spécificité de cette recherche inédite au Québec et, du moins de cette ampleur, au
Canada réside surtout dans son volet empirique. En effet, afin de mieux comprendre l’accès
des débiteurs pauvres au système légal de faillite, il nous a semblé important de sonder les
professionnels de l’insolvabilité, en les interrogeant sur leurs pratiques professionnelles.
De même, nos observations porteront sur la pratique des conseillers travaillant dans des
associations communautaires d’économie familiale (dénommées ci-après « ACEF »)
installées principalement au Québec et, une, en Ontario.

Pour les fins de cette étude, nous avons fait le choix de ne pas interroger des conseillers
financiers dénommés credit counsellors pour deux raisons majeures : la diversité des
pratiques des counselling agency implantées surtout à l’extérieur de la province de Québec
et le manque de transparence quant à la nature et au coût des services proposés aux
consommateurs surendettés, en l’absence de réglementation professionnelle. La littérature
juridique existante sur le credit counselling au Canada nous est apparue suffisante pour
mener notre recherche actuelle.

B) Question générale de recherche et questions spécifiques

Notre question générale de recherche porte sur l’accès effectif des débiteurs LILA et NINA
au système d’insolvabilité au Canada. Dans le cadre de notre analyse, nous répondrons à
d’autres questions, plus spécifiques, concernant notamment :

    1- La définition des débiteurs ayant des faibles revenus et actifs et ceux sans revenu et sans
       actif (LILA et NINA);
    2- Les conditions d’évaluation de la situation financière des débiteurs sous étude;
    3- Le contenu des informations transmises aux débiteurs portant sur les procédures
       d’insolvabilité (faillite ou proposition de consommateur), les options alternatives (comme
       la consolidation de dettes, les arrangements, le statu quo, le dépot volontaire) et leurs effets
       juridiques;
    4- Les critères et les outils utilisés par les syndics et les conseillers budgétaires afin de
       proposer aux débiteurs une procédure d’insolvabilité (faillite ou proposition de
       consommateur) ou une solution alternative;
    5- Le caractère abordable du coût d’une procédure de faillite pour les débiteurs LILA et
       NINA;

5
  Tableau communiqué par le BSF intitulé BKHQRA-3748 parti 3 18Sep2020 : 60 773 dossiers de faillite
avec administration sommaire en 2019.
6
   Tableau communiqué par le BSF intitulé BKHQRA-3748 Final 04Sep2020 : 20 299 dossiers
d’administration sommaire LILA et NINA en 2019.

                                                                                                     2
6- Les capacités de paiement des débiteurs sous étude, les conclusions d’ententes et
       l’utilisation de l’article 156.4 de la L.f.i.;
    7- Le traitement uniforme, à l’échelle du Canada, des débiteurs LILA et NINA par les syndics;
    8- L’accès au programme d’accès à la faillite (ci-nommé « PAF ») pour les débiteurs LILA
       et NINA.

C) Méthodologie : une analyse multiméthodes et multidonnées

            1) Collecte de données empiriques auprès des professionnels de
               l’insolvabilité et des conseillers budgétaires
                      a) Auprès des syndics autorisés en insolvabilité

A partir des questions spécifiques mentionnées, nous avons interrogé 20 syndics autorisés
en insolvabilité (S20) justifiant d’une expérience en insolvabilité des personnes,
notamment sans revenu excédentaire.

Nous avons réalisé des entretiens semi-dirigés, d’une durée moyenne de 1 h 35, auprès de :

    –   8 syndics au Québec, dont 1 syndic de l’échantillon-témoin;
    –   5 syndics en Ontario, dont 1 syndic de l’échantillon-témoin;
    –   2 syndics en Colombie-Britannique;
    –   2 syndics au Manitoba et en Saskatchewan;
    –   2 syndics en Alberta;
    –   1 syndic dans les Provinces atlantiques.

Ces entrevues semi-dirigées ont été réalisées à partir d’un questionnaire non communiqué
préalablement aux participants afin de favoriser la discussion, de ne pas induire les
réponses et de ne pas leur laisser le temps de la préparation ou d’une possible concertation.

Les syndics ont été invités, par courriel, à participer à cette étude et sélectionnés en fonction
de quatre principaux critères7 :

    –   Géographique;
    –   En fonction du nombre de dossiers annuels d’insolvabilité personnelle8;
    –   En fonction de l’expérience du syndic interrogé dans ce domaine9;
    –   En fonction du modèle d’affaires10 : pratique seule ou à plusieurs.

7
  Voir Annexe 1. Les entretiens ont été menés en personne, par zoom et avec enregistrement audio. Certains
extraits des entrevues ont été biffés pour protéger l’anonymat des répondants en éliminant simplement les
informations nominatives ou toute référence permettant l’identification du syndic ou son genre.
8
   Voir Annexe 1. Aucun pourcentage n’a été arrêté. Les syndics devaient simplement déclarer avoir une
pratique plutôt majoritaire dans le domaine de l’insolvabilité des consommateurs.
9
  Aucun nombre d’année d’expérience n’a été arrêté.
10
   Voir Annexe 1. Recherche d’une certaine diversité des pratiques des syndics.

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Nous avons procédé par questions dites ouvertes visant à évaluer les pratiques de ces
professionnels sur leur lieu de travail et en lien avec celui-ci11. Les premières entrevues ont
été effectuées auprès de deux syndics, formant ainsi un échantillon-témoin afin de valider
la pertinence des questions formulées à partir du questionnaire établi.

                       b) Auprès des ACEF

Les ACEF du Québec ont également été invitées, par courriel, à participer à cette étude.
Des entretiens ont ainsi été réalisés auprès de 6 conseillers budgétaires (ACEF6) (1 à
Ottawa, en Ontario et 5 au Québec : différentes régions). Nous avons également discutés
avec 2 coordinateurs travaillant dans deux ACEF implantées au Québec.

Depuis 1966, les organismes communautaires appelés Association Communautaire
d’Économie Familiale12 ont pour mission d’« éduquer »13, d’informer et de conseiller les
individus ou les familles endettées et les personnes aux prises avec des difficultés
financières afin de les aider à développer notamment une autonomie financière. Ces
organismes à but non lucratif, membres de l’Union des consommateurs14, fournissent des
services gratuits de consultation portant, par exemple sur la préparation d’un budget et sur
la question de l’épargne. Ils interviennent également à des fins éducatives auprès des élèves
des écoles secondaires et d’organismes communautaires impliqués dans le domaine de la
santé.

Les entrevues réalisées nous ont apporté des éléments de réponse à la question de l’accès
des débiteurs à l’information légale concernant les solutions alternatives et les procédures
d’insolvabilité.

Ces entretiens ont également permis de collecter des données concernant les conditions de
traitement des demandes de consultation et de suivi budgétaire pour les personnes ayant de
faibles revenus auprès des ACEF.

11
   À la suite du dépôt d’une demande formelle, cette démarche empirique a été validée auprès du bureau
d’éthique de l’Université Laval, lequel a exempté la recherche d’autorisation puisque les professionnels
étaient évalués sur leur lieu de travail, dans le cours normal de leur travail et les questions posées étaient en
lien avec leur travail. Cette recherche a respecté les règles d’usage en matière de demande d’information, de
collecte et de confidentialité des données en utilisant les formulaires notamment de consentement auprès des
participants, mis à la disposition par le Bureau d’éthique de l’Université Laval.
12
   « Nos membres » (dernière consultation le 19 décembre 2020), en ligne : Union des consommateurs
 [Union des consommateurs, « Nos membres];
Voir par ex « ACEF de Québec » (dernière consultation le 19 décembre 2020), en ligne :
.
13
   Ce terme employé très souvent dans la littérature portant sur l’éducation financière pourrait être discuté
puisque certains auteurs ne sont pas clairement favorables avec une idée répandue qui consisterait à
considérer que les personnes pauvres devraient être éduquées au sens qu’elles seraient responsables
individuellement de leur situation de précarité financière, cela ferait fi des autres causes expliquant leur état
de surendettement comme l’accès encouragé à des crédits à taux d’intérêt élevé et à des prêts sur salaire
couramment proposés au Canada. Ce terme peut être utilisé, dans le présent rapport, sans connotation
politique ou morale, et vise à émettre l’idée que l’une des manières de favoriser une meilleure gestion
budgétaire passe par l’apprentissage ou l’acquisition de bons réflexes comme ceux dispensés par les ACEF.
14
   Union des consommateurs, « Nos membres », supra note 12.

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Nous avons aussi recueilli quelques informations sur les programmes d’éducation
financière menés par les organismes communautaires interrogés (animation d’ateliers dans
les écoles secondaires et auprès d’autres intervenants sociaux).

Cette collecte de données auprès des syndics canadiens et des conseillers budgétaires
(ACEF) a été menée jusqu’à ce qu’on observe une récurrence et une redondance dans les
idées et qu’aucun élément nouveau ne soit rapporté15. Les données ont fait l’objet d’une
analyse de contenu thématique16, à partir des enregistrements audio et des transcriptions
écrites sous forme de verbatim. Les données ont été ainsi compilées à l’aide d’une grille
d’analyse élaborée dans une approche déductive, à partir de plusieurs thématiques
soutenues par notre cadre de recherche théorique.

             2) Collecte de données indirectes auprès du BSF
Par ailleurs, à notre demande, le BSF nous a transmis des données relatives aux dossiers
d’insolvabilité personnelle, déposés depuis les 5 dernières années dans les provinces
canadiennes. Ces données nous ont permis d’illustrer certaines de nos observations
empiriques afin de mieux comprendre certaines sous-thématiques comme les causes de
l’insolvabilité ou les utilisateurs du programme d’accès à la faillite17. Elles apportent aussi
un éclairage utile, par exemple, sur le nombre de dossiers d’administration sommaire
concernant les LILA et NINA, sur la typologie des dettes ainsi que sur le nombre d’ententes
de paiement ou les taux de libération des syndics et des faillis.

Ainsi dans la présente étude, dans sa partie analyse, les données empiriques seront, au
besoin, croisées avec les données indirectes fournies par le BSF. Cette analyse
multiméthodes et multidonnées permettra de dégager une vision plus globale de l’accès au
système d’insolvabilité pour les débiteurs à faibles revenus et actifs, qui fera aussi l’objet
de publications ultérieures.

D) Plan de l’étude
Nous présenterons, d’abord, les données recueillies au cours des entrevues ainsi que les
résultats qui se dégagent de ce volet empirique (Parties 1 et 2).

Afin de comprendre les conditions d’accès des débiteurs LILA et NINA aux procédures
d’insolvabilité, il est nécessaire, au préalable, de dresser un portrait de ces débiteurs. À
l’aide des analyses sociodémographiques, des données du BSF et forts de nos résultats
empiriques, nous mettrons en lumière les possibles critères d’identification, les profils
émergents, les formes de pauvreté et, surtout, les causes structurelles et comportementales
de l’insolvabilité touchant les personnes surendettées. Nous pourrons dès lors aborder la
question de l’accès des consommateurs aux procédures légales d’insolvabilité.

15
   Alain Blanchet et Anne Gotman, L’enquête et ses méthodes, Armand Colin, 2005 à la p 54.
16
   Blanchet et Gotman, supra note 15 à la p 94; Pierre Paillé et Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en
sciences humaines et sociales, Armand Colin, 2016 à la p 161.
17
   Les informations du Bureau du surintendant des faillites nous ont été transmises par courriel et la plupart
sous forme de fichiers, dont certains sont cités dans le présent rapport.

                                                                                                            5
Nos travaux de recherches démontreront alors que les professionnels permettent l’accès
des débiteurs LILA et NINA en leur proposant une gamme d’options dans un cadre
flexible, notamment sous l’angle du coût (Partie 3). Nous examinerons aussi le programme
d’accès à la faillite du BSF et son utilisation par les débiteurs, notamment LILA et NINA
(Partie 4).

Enfin, nous nous interrogerons aussi sur l’opportunité et la pertinence d’instaurer au
Canada une procédure d’allègement de la dette à l’instar du Royaume-Uni et de la
Nouvelle-Zélande. Nous verrons, à l’aide de la littérature actuelle, l’impact de ces mesures
d’allègement sur les débiteurs à faibles revenus et actifs ou sans actif et les conditions
d’administration de ces procédures de faillite (Partie 5).

           I-      PRÉSENTATION DES DONNÉES ISSUES DES ENTREVUES
                   AVEC LES SYNDICS

    1.1. Contact avec le débiteur et entretien avec un syndic
Le premier contact avec le syndic, un conseiller ou une réceptionniste du bureau vise à
accueillir et rassurer les personnes souhaitant avoir des conseils en raison de leur situation
financière. Une première évaluation sommaire financière et personnelle (dettes, revenus,
emploi, situation familiale, actifs) permet de rassembler les informations utiles pour une
prise de rendez-vous ultérieure. Les sources des références sont multiples : anciens clients,
publicité, organismes publics, communautaires, professionnels (ex. : conseillers ACEF,
avocats, non-profit credit counselling agency).

Les débiteurs prennent souvent du temps avant de consulter un syndic. Ils tentent, avant,
de redresser seuls leur situation financière, avec l’aide de leur institution financière ou
d’organismes communautaires, comme les conseillers des ACEF (S1,S5, S6,S8,S13, S14).

Les personnes consultant un bureau de syndics mettent du temps à franchir le pas en raison
de leurs souffrances financière et morale les paralysant et, souvent, ils ressentent un malaise
profond ou de la honte (S1, S5, S8). En effet, certains syndics ont constaté que : « La même
peur, la même honte. Souvent, les gens ont pris six mois à deux ans avant de prendre la
décision de nous consulter » (S1, S6). Selon les syndics, la démarche de consultation des
débiteurs est souvent motivée par un besoin d’apaisement (S11), car ils se sentent
angoissés, font de l’insomnie (S1, S8), sont « dépassés par les évènements » (S13) et « la
plupart du temps en panique » (S4). Les débiteurs recherchent un apaisement à leurs
souffrances psychologiques liées à un sentiment de détresse financière. En ce sens, un
syndic a déclaré :

       « La mission de notre travail, notre raison d’être comme syndic, c’est de permettre aux
       gens de retrouver leur paix d’esprit en leur donnant des conseils judicieux […] » (S1)

Les personnes sont insolvables, mais peuvent rencontrer plusieurs problèmes à la fois, pas
seulement d’ordre financier:

                                                                                             6
« À prime abord, les gens viennent nous voir. Ils savent qu’ils ont des difficultés
       financières. Mais des fois, est-ce que c’est… est-ce qu’ils ont besoin d’aide d’autres
       organismes ? Ou est-ce qu’ils ont besoin d’être référés à un avocat ou est-ce que… donc,
       vraiment, ça dépend des situations. Souvent, les gens viennent te voir puis il y a une
       panoplie d’autres problèmes, là. Le problème financier n’est pas le seul problème. » (S3)

Un ou plusieurs entretiens, en personne, par téléphone ou par visioconférence (pratique
répandue avec la pandémie), peuvent être nécessaires pour l’évaluation afin d’effectuer un
tri des documents du débiteur et prendre connaissance des éléments de nature financière
notamment les revenus, les actifs et les dettes (S4, S5, S6, S8, S10, S11, S12, S13, S14).

       « So everybody seems to think the assessment is just a five-minute event, but actually, it
       spans over three or four meetings to assess the person. » (S12)

    1.2.Les critères et outils pris en considération pour définir ou qualifier un
    débiteur LILA ou NINA
Dans leur pratique journalière, les syndics n’ont pas besoin de définir un débiteur LILA ou
NINA par rapport aux autres débiteurs. Ils ne semblent pas opérer de différence dans la
prise en charge et le traitement entre les débiteurs, à partir de la faiblesse des revenus ou
l’absence d’actif saisissable (S3, S4, S10, 12, S13, S14, S16). Ces acronymes LILA et
NINA semblent être davantage utilisées par les universitaires ou par les associations
professionnelles que par les syndics au cours de leur pratique (S2, S3, S7, S14, S18):

       « Le LILA puis le NINA n’est pas clairement défini » (S3)

       « […] dans la vraie vie, là, LILA/NINA nous autres… un client, c’est un client » (S4)

       « […], it doesn’t matter to me if you're a low-income person or not because I don't know
       what low income means » (S10)

       « So I don’t distinguish between a regular debtor, a LILA, and a NINA. To me, they're all
       debtors. So we would take people on and help them regardless of high income, low income,
       no income. » (S16)

        « En fait, en pratique, le dossier LILA ou NINA n’existe pas. Un dossier, c’est un dossier
       […] le mot LILA et NINA, c’est une invention [universitaire]. Mais il n’y a pas un syndic
       qui va regarder un dossier : “Est-ce que c’est un dossier LILA ou NINA ? » (S3)

La faiblesse des revenus et des actifs n’est pas un critère distinctif lors de l’évaluation
d’un dossier (S1, S3, S7, S18, S19, S20) :

       « Je dois vous dire que pour nous, là, aucune des choses qu’on fait, la faiblesse des revenus
       est un critère. » (S1)

       « Mais un syndic ou une conseillère va regarder devant eux un débiteur et puis va leur
       trouver une solution ou va leur recommander une solution à leurs difficultés financières.
       Que ce soit un dossier LILA ou NINA n’importe pas du tout. » (S3)

                                                                                                  7
Les principaux critères mentionnés par les professionnels, très souvent à l’aide d’exemples
de dossiers concrets, peuvent se lister, sans ordre de préférence comme suit :

     –   Les revenus du débiteur et de l’unité familiale;
     –   Les actifs (nature et montant et la saisissabilité des biens : auto, maison, CELI, REER,
         REE, assurance-vie);
     –   Les ressources disponibles;
     –   Les dettes (libérables ou garanties et leur montant. Prêt, marge, carte de crédit, prêt
         étudiant, contraventions, retenues sur prestations d’aide sociale ou assurance-emploi pour
         fraude, cautions, co-endosseurs);
     –   La situation d’emploi (fixe, temporaire ou saisonnier, travailleur autonome, retraite, sans-
         emploi);
     –   Les obligations;
     –   Le budget;
     –   Les dépenses non discrétionnaires (pensions alimentaires, garderie, frais médicaux, frais
         reliés au travail);
     –   Les dépenses fixes (loyer, factures);
     –   La situation familiale (le nombre de personnes dans l’unité familiale, le revenu du
         conjoint).

Certains critères s’ajoutent, lors de cette évaluation, comme les suivants :

     –   Mentionnés par 9 syndics, la santé physique ou mentale, les dépendances (S1, S4, S7, S8,
         S9, S13, S15, S18, S20);
     –   Mentionnés par 7 syndics, les transactions révisables (S1, S2, S6, S13, S15, S16, S17);
     –   Mentionnés par 5 syndics, les catégories de créanciers (certains sont plus agressifs) (S1,
         S3, S4, S6, S10);
     –   Mentionnés par 4 syndics, l’âge du débiteur (aînés avec supplément de revenu garanti) (S6,
         S7, S8, S17);
     –   Mentionnés par 3 syndics, le coût de la vie selon la situation géographique (S10, S12, S16);
     –   Mentionnés par 3 syndics, situation de deuxième ou troisième faillite (S2, S13, S18);
     –   Mentionnés par 2 syndics, la faible scolarisation (S4 et S8).

Les syndics disposent de nombreux documents justificatifs comme les relevés de banque,
les talons de paie, les avis de cotisation pour évaluer la situation financière du débiteur. Ils
disposent de plusieurs outils comme une grille budgétaire, un logiciel pour rentrer les
informations personnelles et comptables du débiteur et parvenir au calcul du revenu
excédentaire.

Par ailleurs, tous les répondants utilisent l’instruction du BSF 11R2-202018 qui permet de
calculer le revenu excédentaire du débiteur. Certains syndics remarquaient son application
uniforme, à l’échelle du Canada, indépendamment du coût de la vie d’un lieu à l’autre (S4,
S10, S12, S16, S17) : « même grille à Vancouver qu’à Québec » (S4).

18
  Bureau du surintendant des faillites Canada, Revenu excédentaire, Instruction no 11R2-2020, 16 décembre
2020, en ligne :  [BSF, Revenu excédentaire].

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Le calcul du revenu excédentaire est un critère, parmi d’autres comme le coût de la
vie ou un plafond de revenu applicable, permettant d’identifier un débiteur LILA ou NINA.
Il semble couvrir une variété de situations.

       « So defining low income, like I said, I think it's relative to where they live, how much their
       income is, the cost of living, how many people in the household. Not even to go into the
       surplus income, which is a separate issue that we're not discussing. But it's relative to their
       situation and their cost of living. » (S16)

       « Les dossiers LILA, le critère, le simple critère de ne pas avoir de revenus excédentaires
       n’est pas suffisant. On doit quand même attribuer un revenu plafond. Et puis, selon moi, le
       revenu plafond devrait peut-être correspondre au revenu plafond d’un débiteur qui a le
       droit à certaines déductions supplémentaires dans son rapport d’impôt. […] selon moi, le
       revenu plafond devrait être environ de 30 000 $ pour un individu […] je trouve que ce n’est
       pas un critère. Je trouve qu’un individu devrait avoir pas de revenus excédentaires et puis
       un revenu brut de 30 000 $ au moins. Je pense qu’un travailleur autonome ne devrait pas
       tomber dans un critère de LILA. » (S3)

En effet, selon certains les syndics (S1, S2, S3, S4, S5, S6, S7, S8, S10, S13, S14, S15,
S17, S18), certains débiteurs ne déclareraient pas l’ensemble de leurs revenus ou les
revenus de leur conjoint ou des ressources provenant de parents ou de proches les aidant;
d’autres, encore, disposent d’actifs comme des REER ou des assurances-vie qu’ils ne
souhaiteraient pas liquider.

       « […] we have to disclose on the form 65 that the spouse refused to decline [sic] income,
       and as a result, we've used the formula and the surplus corrective to cut the guideline in
       half. So that’s sort of one class of people that have low income that are maybe not low-
       income from a poverty perspective because they're not actually feeling any stress because
       the other family members have income.
       In other situations, we do get a lot of people that have come in that are low-income that
       are not only below surplus income guidelines, but having trouble meeting their day-to-day
       living needs. » (S15)

Toutefois, de l’avis de certains syndics (S1, S3, S20), ce n’est qu’une fois que
l’administration du dossier terminée, qu’il serait possible de les identifier :

       « On pourrait présumer que c’est ça quelqu’un qui n’a pas beaucoup de revenus, c’est
       quelqu’un qui est en bas de la grille, qui n’a pas de revenus excédentaires. […] le logiciel
       permet de faire des choses, mais de sortir des listes, de trier par dossier, il ne me permet
       pas de faire ça. » (S1)

Ainsi, la plupart des syndics interrogés ont procédé à une collecte manuelle dans leur
système informatique en recherchant les dossiers d’administration sommaire, sans revenu
excédentaire. Selon leur déclaration, ce n’était pas une collecte facilement permise par leur
système informatique (S1, S2, S3, S5, S7, S14, S19, S20) :

       « Ici on ne tient pas de statistiques sur les dossiers avec revenus excédentaires ou sans
       revenus excédentaires. […] parce que […] le calcul du revenu excédentaire va se poser de
       différentes formes. Bon, il y a la personne qui a des revenus en bas du seuil donc à ce

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moment-là, ça, c’est facilement réglé, là. Mais il y a la personne qui a des revenus au-
       dessus du seuil, mais compte tenu de ses charges non discrétionnaires, bien, elle n’aura
       pas de revenus excédentaires. […] » (S14)

Les frontières sont difficiles à évaluer pour les syndics entre les concepts de débiteurs
LILA et NINA, celui de précarité et celui de pauvreté en raison de la diversité et de la
complexité des situations :

        « Mais quand on tombe en bas du revenu excédentaire, c’est rare qu’on a des gens qui
       nagent dans l’argent, là. C’est des gens à revenus modestes. Bon. Fait que c’est sûr que
       ces gens-là, c’est assez rare qu’ils vont avoir des actifs importants, des REER importants,
       des CELI, des maisons. Bon, vous allez avoir des gens sur l’aide sociale, sur le chômage,
       des gens… […] Bien, ce que je dis, c’est que dans le 50 % en dessous du revenu
       excédentaire, là, on a toute la gamme du zéro revenu au revenu modeste. Bon, où est-ce
       qu’on met la ligne ? Je ne suis pas capable de vous la donner exactement […] » (S4)

       « […] la réalité est très différente pour quelqu’un qui gagne 2 400 dollars par mois,
       2 300 dollars par mois, par exemple qui habite seul, mais vraiment seul […], en banlieue
       de Montréal, qui a besoin d’un véhicule pour se déplacer — il y a un coût astronomique à
       avoir son véhicule, à se déplacer pour devoir aller à Montréal parce qu’il n’y a pas
       nécessairement un transport en commun efficace — versus quelqu’un qui gagne peut-être
       1 500 par mois, qui habite chez ses parents ou avec des colocs, qui n’a pas besoin de
       véhicule. Ses capacités financières sont astronomiques à 1 500 versus quelqu’un qui gagne
       2 400. Fait qu’on a fait un système de lignes directrices qui est très relatif. » (S6)

        « Ah, quelqu’un qui est sur l’aide sociale, qui ne travaille pas en dessous de la table, qui
       n’a aucune autre source de revenus possible, je n’ai aucune idée comment ils font pour
       arriver. C’est juste impossible d’arriver avec 600 piastres par mois. Il n’y a pas de
       logement à ces prix-là s’ils ne sont pas subventionnés […]. Puis il n’y a pas de place pour
       l’épicerie. Il n’y a pas de place pour rien. » (S6)

Certains professionnels (S1, S3, S4, S6, S8) font état d’une pluralité de situations difficiles
sur le plan humain. Quelques témoignages, en ce sens :

       « Il y a les facteurs humains aussi qui sont pris en considération […] est-ce qu’elle va se
       rendre malade parce qu’elle est tellement stressée à cause des dettes ? […]quand tu fais
       une entrevue de débiteur, c’est ce facteur humain-là aussi qui va jouer dans la
       recommandation. Donc, ce n’est pas seulement qu’une évaluation mathématique. Voici les
       revenus et voici les dépenses. Voici combien je suis capable de payer. Il y a d’autres
       facteurs. Est-ce que la personne qui est devant moi est enceinte et va avoir un bébé dans
       trois mois ? Si oui, c’est une dépense de plus, là ! Donc, c’est un tas de facteurs. » (S3)

Pour la grande majorité des syndics (S1, S3, S4, S6, S7, S8, S10, S11, S12, S13, S14, S16,
S19), les débiteurs LILA ou NINA peuvent correspondre à certains profils socio-
économiques comme:

   –   Les prestataires de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi;
   –   Les travailleurs autonomes;
   –   Les travailleurs saisonniers;

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–   Les étudiants;
   –   Et, les retraités et pensionnaires.
À ce sujet, des syndics (S4, S6, S7, S8, S10, S11, S12, S14) évoquent le phénomène du
surendettement des aînés, plutôt récent, et certains l’ont expliqué en ces termes :

       « Les aînés, c’est ça. C’était une catégorie qu’on ne voyait pas depuis… mais là, c’est
       vraiment, je pense qu’au niveau des statistiques, c’est vraiment qu’est-ce qui monte le plus
       au niveau des aînés. Mauvaise planification de la retraite. […] Mais là, oups, ils sont
       malades ou il arrive quelque chose. Puis ils ne sont plus capables d’avoir leur emploi
       d’appoint. Ça fait que là, ça devient… leur budget est plus difficile à gérer. C’est à cause
       d’une maladie, mauvaise planification […]dans le passé, là, je pense que c’était des gens
       qui économisaient plus, qui avaient moins… je pense que l’accès au crédit était plus limité.
       Les 65 ans, il y a 20 ans, étaient plus ceux qui avaient connu la guerre, plus un souci
       d’épargne. » (S8)

Les causes multiples de l’insolvabilité des débiteurs s’expliqueraient pour plusieurs
motifs comme : un problème d’endettement en raison de la perte ou de la faiblesse du
revenu, mais non seulement (S1, S2, S3, S4, S5, S6, S7, S8, S9, S10, S13, S14, S16, S17,
S19, S20).

Les syndics ont aussi mentionné un problème lié à l’éducation budgétaire (S2, S8, S4,
S5), l’accès au crédit (S1, S2, S4, S6, S7, S8, S10, S13, S16, S14), la perte d’emploi (S2,
S6, S8, S17), la séparation (S10, S13), la maladie physique ou mentale (S1, S3, S4, S6,
S8, S10, S13, S14, S17), les problèmes de dépendance (S5, S14, S19, S20) ou le
décès d’un proche (S13, S17) :

       « Souvent, ces gens-là qui ont peu de revenus, peu d’actifs, ils ont quand même 20 000 $
       de cartes de crédit. Ils ont eu des cartes de crédit, imagine-toi, cinq ou six cartes de crédit
       à coup de 3 000 $ chaque. Puis ils ont quand même 15 000 ou 20 000 de cartes de crédit.
       Même s’ils ont peu de revenus puis qu’ils ont peu d’actifs. » (S1)

       « […] ils ne viennent pas tout le temps parce qu’ils n’ont pas de revenu, ça vient souvent
       aussi parce qu’ils ont des problèmes d’alcool, de drogues ou de gambling. So il y a toutes
       sortes de raisons pourquoi quelqu’un ne va pas faire un paiement. Parce qu’il y a des
       individus qui ont de la misère à ne pas emprunter, si je peux expliquer de cette façon-là.
       Puis ces personnes-là vont aller chercher de nouveaux prêts avec les payday loan. Puis là,
       ils sont pris à faire ces paiements-là ou ils prennent tout l’argent de leur compte de
       banque. » (S5) ;

       « C’est des gens, soit par innocence, soit par malchance, soit parce que la banque leur a
       dit qu’ils étaient capables de payer ça “si Visa m’a accordé ça c’est parce que je pouvais
       le rembourser”, ou ils ont perdu un emploi […] C’est des situations où est-ce que, on
       parlait décès d’un conjoint puis, là, tout à coup tout le budget familial vient de tomber,
       toute la structure familiale vient de tomber. Même si on élimine les dettes la problématique
       n’est pas le paiement des dettes. Il n’y a juste pas assez de revenus pour le coût minimum
       de vie. » (S6)

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« […] si on parle des personnes qui n’ont pas beaucoup d’actifs, pas beaucoup de revenus,
       on parle nécessairement de problèmes de santé mentale, là. On arrive là, là. De problèmes
       psychologiques, détresse psychologique. […] » (S13)

    1.3.Sur le seuil de dettes pris en considération pour déposer une proposition de
    consommateur ou une faillite
Les syndics interrogés sont majoritairement d’accord sur le fait que le seuil légal de 1000 $
de dettes n’est pas réaliste ou du moins applicable seul, pour être retenu comme un
critère décisif pour déposer un dossier de proposition de consommateur ou de faillite. Un
extrait en ce sens :

       « I don't know if there's a real threshold, but I think a lot of times, it a combination of what
       their ability to pay is versus what their debts are. Certainly, if they only have $1,000 worth
       of debts, it doesn’t necessarily make sense for them to do a bankruptcy or a proposal. »
       (S19).

Les syndics vont vérifier la capacité de paiement du débiteur par rapport aux
montants de ses dettes, au nombre de ses créanciers et au montant de ses revenus. Ce
critère semble décisif. Cette évaluation se fait au cas par cas, sans seuil nécessairement
préétabli, et le montant de dettes n’est pas le seul critère retenu (S1, S4, S6, S9, S11, S14,
S15, S16, S17, S17, S18, S19, S20).

En pratique, il se dégage, tout de même, une estimation quant au niveau de dettes libérables
qui permettrait le dépôt d’une procédure de faillite ou d’une proposition de consommateur.
Elle serait comprise davantage entre 5000 $ et 6000$ (S1, S2, S3, S5, S7, S9, S11, S12,
S13, S15, S17, S20) que 5000$ et 10 000 $.

En dessous des seuils estimés, les syndics orienteraient plutôt les débiteurs vers des
solutions alternatives comme un arrangement avec les créanciers ou une procédure de
dépôt volontaire. Ils pourraient aussi les diriger vers les services d’un autre professionnel
comme un avocat, un travailleur social, une institution financière, un organisme
communautaire, une ACEF ou un non-profit credit counsellor.

Par ailleurs, plus de la moitié des syndics ont déposé un dossier de faillite en dessous de
ces seuils estimés, dans de rares cas, pour des motifs d’urgence, « humanitaire » ou pour
arrêter le harcèlement agressif des créanciers (S3, S4, S5, S6, S7, S8, S10, S12, S13, S14,
S15, S20) :

       « […] il pourrait y avoir des circonstances particulières, une personne âgée qui a le
       cancer, qui va décéder, qui veut simplement nettoyer son dossier pour ne pas laisser de
       soucis à ses enfants puis qu’elle a seulement 4000 $ de dettes. Est-ce qu’on va prendre le
       dossier ? Oui, tout à fait ! Mais encore là, ça dépend des circonstances […] » (S3);

       « mère monoparentale plus d’électricité, revenu… Hydro-Québec exige le 4000 $ dû ou
       5000 $ pour remettre l’électricité. Je vais prendre le dossier […] c’est des raisons
       humanitaires qui me fait… mais je fais signer l’affidavit à ce moment-là […] Pour des

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petits montants de dettes. La personne n’arrive plus puis qu’elle ne peut plus faire manger
       sa famille. » (S8).

Il ressort des entretiens que seules les dettes libérables seront prises en considération
par le syndic lors de l’évaluation pour déposer un dossier de faillite ou de proposition
de consommateur. Les syndics ont fourni plusieurs exemples de dettes non libérables : les
contraventions ou les remboursements de prêts d’étudiants (si la date de fin d’études
remonte à moins de 7 ans) ou de trop-perçus de l’assurance-emploi ou de l’aide sociale
dans le cas de fraude ou d’allégations mensongères (S2, S4, S5, S6, S7, S8, S11, S14, S15)
versés dans le cadre, par exemple des programmes sociaux ontarien ou québécois. Pour ce
type de dettes non libérables, des solutions alternatives à la faillite ou à la proposition de
consommateurs peuvent être envisagées par les syndics susmentionnés.

Tous les syndics interrogés ont déclaré ne pas refuser les dossiers d’insolvabilité ayant
un seuil de dettes en deçà des seuils estimés. Les syndics cherchent plutôt une solution
alternative avec le débiteur, la plus appropriée à sa situation financière (S1, S2, S3, S4, S5,
S6, S7, S8, S9, S10, S11, S12, S13, S14, S15, S16, S17, S18, S19, S20).

Les rares motifs de refus d’évaluer et de prendre en charge un dossier, exprimés par les
syndics, porteraient sur le comportement irrespectueux, impoli, agressif, dangereux,
malhonnête ou frauduleux du débiteur (S6, S7, S8, S10, S13, S14, S15, S18).

               1.4 Les critères et facteurs pour les solutions alternatives

                       1.4.1.1.Les critères permettant d’orienter le débiteur vers une
                               solution alternative

Un bas niveau de dettes serait un facteur encourageant les syndics à envisager une solution
alternative pour régler les difficultés d’endettement des débiteurs à faibles revenus et actifs.
Ce bas niveau de dette semble être inférieur à 5000/6000 $. Toutefois, la majorité des
syndics n’a pas souhaité fixer de seuil puisque les solutions alternatives seraient toujours
présentées au débiteurs lors de l’évaluation (S5, S11, S12, S16, S18, S19, S20).

Ce qui ressort aussi des entretiens est le caractère « unique de chaque situation », les
syndics apprécient la situation du débiteur « selon les circonstances » (S3, S4, S14, S16,
S17), selon la volonté du débiteur (S18, S19), ce qui expliquerait l’absence de seuil indiqué
pour un certain nombre de syndics (S4, S9, S10, S11, S12, S14, S15, S16, S18, S19).

Au cours des entrevues, il a été clairement exprimé que la décision finale revenait au
débiteur, que ce soit pour les procédures alternatives ou celles d’insolvabilité. Certains
syndics ont insisté sur ce point (S11, S12, S16, S18, S19).

               1.4.2. De nombreux facteurs pour déterminer la capacité de paiement
                      du débiteur lors du choix d’une procédure alternative

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De nombreux facteurs sont pris en considération par les syndics pour déterminer la capacité
de paiement du débiteur et mieux orienter le débiteur vers une solution alternative,
notamment : le montant et la nature des dettes, le nombre de créanciers, le montant des
revenus, la situation d’emploi et son évolution possible, les difficultés à faire un budget ou
à le contrôler, les actifs, la situation familiale.

Dans le cas des débiteurs à faibles revenus et actifs, les syndics vérifieraient aussi la
faisabilité d’une entente avec leurs créanciers. Cette entente permettrait de diminuer le
montant des dettes au lieu d’envisager une proposition de consommateur ou une faillite
(S2, S4, S5, S6, S7, S8, S9, S11, S12, S14, S15, S20). Pour certaines dettes comme la
fourniture d’électricité, les syndics réfèreraient le débiteur aux conseillers des ACEF en
raison d’une possibilité d’entente avec Hydro-Québec (S2, S13). Le syndic pourrait aussi
suggérer au débiteur de les contacter pour planifier une consultation budgétaire (S1, S2,
S3, S4, S5, S8, S13).

Certains syndics ont orienté les débiteurs vers les services d’un organisme not-for-
profit credit counselling. Toutefois, certains syndics ont exprimé des réticences en raison
de l’absence de réglementation professionnelle de ces conseillers et de la confusion
possible au sein du public entre le travail des syndics et celui des credit counsellors.

       « […] qu’est-ce qui arrive avec credit counselling, vu que c’est… certains de ces
       organismes-là, c’est une business puis il y a vraiment beaucoup de pression sur leurs gens
       sur le front line de signer des gens au debt management plan. » (S7)

Deux facteurs favoriseraient la procédure de dépôt volontaire : la stabilité et le montant
des revenus. Toutefois, elle présenterait plusieurs inconvénients, peu adaptée pour les
débiteurs LILA et NINA, comme : le montant des revenus bruts comptabilisés laissant peu
de revenus au débiteur pour vivre, la longueur de la procédure, le montant total des dettes
à payer (aucune réduction possible), les démarches administratives à effectuer seul auprès
du tribunal.

       « […] des fois, ils ne travaillent pas non. Des fois, ils sont sur l’assurance chômage ou sur
       l’aide sociale. Ces gens-là ne peuvent pas se mettre sur le dépôt volontaire. Il faut travailler
       pour être sur le dépôt volontaire, là. C’est saisie de salaire. […] C’est une recette du passé,
       le dépôt volontaire. On en parle, il y a des gens qu’on réfère au dépôt volontaire. Souvent,
       c’est des gens à faible revenu, mais un salaire avec faibles dettes. » (S4)

La consolidation de dettes est aussi une voie possible présentée par les syndics. Toutefois,
et souvent, les débiteurs les consultant ont déjà utilisé cette option ou ne sont pas éligibles,
car leur capacité d’emprunt est limitée, notamment pour les débiteurs à faibles revenus et
actifs (S2, S4, S6, S11, S15).

Ces débiteurs LILA et NINA détiendraient différentes dettes concernant : des cartes de
crédit, des prêts bancaires, des prêts sur salaires, des amendes, des prêts d’études ou des
remboursements de trop-perçus de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi.

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Le statu quo semble être une option souvent utilisée par les débiteurs à faibles revenus et
actifs puisqu’ils ont des biens insaisissables et sont dès lors à « l’épreuve du jugement »
(S1, S2, S3, S4, S5, S6, S7, S8, S10, S11, S12, S13, S15, S16, S17, S20).

Les syndics susmentionnés expliquent à ces débiteurs comment se protéger contre le
harcèlement des créanciers par l’envoi d’une lettre afin de faire cesser les appels
téléphoniques (sur le fondement des dispositions protectrices applicables dans certaines
provinces en droit de la consommation). Le changement de numéro de téléphone ou de
compte bancaire ou encore l’attente de la prescription de certaines dettes sont aussi décrits
comme des solutions possibles.

       « I do explain, especially to no-income debtors, the fact that they're judgement-proof […]
       So if that individual is a pensioner or on disability that have no income whatsoever, I do
       explain the fact that if you can't make the payments to your creditors, there's really nothing
       much that the creditors can do to you, other than calling you and harassing you. They can
       take you to court and obtain a default judgement, but they can garnish the income that is
       not there. » (S20)

Toutefois, pour certains de ces débiteurs à faibles revenus ou actifs, « fragilisés », harcelés
de manière agressive par les créanciers, « peu instruits » ou ayant des problèmes de santé
mentale, le statu quo ne constituerait plus une option pour eux. Ils vivraient cette situation
de manière anxiogène, ce qui les conduirait, parfois, à déposer un dossier de faillite.

       « Donc souvent, ça, c’est pour le débiteur, c’est vraiment… c’est ce qui le pousse à faire
       un dossier d’insolvabilité. Un dossier, disons… un débiteur NINA ou LILA, ça va être le
       fait qu’il se fait achaler par les agences de recouvrement ou par les créanciers. Ne pas
       payer la dette n’est pas nécessairement un facteur. C’est ça. C’est l’inconfort qui vient
       avec. » (S3)

En tout état de cause, les syndics interrogés ne veulent pas se substituer au débiteur, car la
décision finale lui appartient. Il lui revient de faire, éventuellement, un choix entre les
options proposées : solutions alternatives ou procédures d’insolvabilité.

       1.5. Les critères permettant de proposer une proposition de consommateur

L’option de déposer une proposition de consommateur est motivée par la prise en compte
par le syndic de nombreux critères. Certains sont prépondérants :
   -   la capacité financière du débiteur et plus, spécifiquement, l’existence d’un surplus
       budgétaire (S3, S4, S5, S7, S12, S13, S18, S19, S20);
   -   les perspectives d’augmentation de revenus ou d’évolution dans la situation d’emploi (S2,
       S3, S7, S8, S10, S14);
   -   l’aide possible des parents ou des amis proches (S6, S7, S11, S12, S13, S16, S20);
   -   la réalisation nette des actifs, le dividende pour les créanciers (S6, S10, S18, S19, S20);
   -   la nature, le montant des dettes, le nombre et les catégories de créanciers (S16, S17, S18,
       S19, S20;
   -   et, l’existence de faillites antérieures (S2, S9, S11, S13, S15, S20).

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