L'indépendance du Kosovo et ses conséquences - Futuribles
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TRIBUNE EUROPÉENNE L’indépendance du Kosovo et ses conséquences 1 PAR JEAN-FRANÇOIS DREVET Bien qu’ayant pris fin il y a près de neuf ans, en décembre 1999, la guerre qui a opposé les communautés serbe et albanaise dans la région du Kosovo, pendant plus de trois ans, a laissé des traces. Mal- gré une pacification sous contrôle international, les tensions dans cette région des Balkans, jusqu’ici incluse dans la république de Serbie, sont restées palpables, au point que le Kosovo a officialisé sa déclaration d’indépendance le 17 février 2008. Facilitée par le souvenir encore pérenne des multiples violations des droits de l’homme subies par la communauté musulmane (ma- joritaire), durant l’ère Milosevic, l’acceptation de cette indépendance n’en pose pas moins problème à l’Union européenne en raison, d’une part, des principes de droit international en ce domaine ; d’autre part, des frontières assez peu cohérentes du Kosovo et de la présence dis- persée, dans cette zone, de nombreuses minorités albanophones, qui pourraient raviver les tensions régionales. Jean-François Drevet expose ici les tenants et aboutissants de cette question kosovare, notamment du point de vue de l’Union européenne. S.D. I ien qu’attendue depuis long- sans rapport avec ceux de l’ancienne B temps, la proclamation de l’in- dépendance du Kosovo le 17 fé- vrier 2008 a suscité une tempête de province serbe. Sans revenir sur tout ce qui a été réactions politiques et diplomatiques, dit, il est indéniable que l’événement qui a été largement influencée, dans crée un précédent, aussi bien sur le l’Union européenne (UE) 2 comme principe de l’indépendance que sur ailleurs, par des problèmes internes les frontières à reconnaître au nouvel 1. Ancien fonctionnaire à la Commission européenne. Les propos exprimés ici n’engagent que leur auteur. 2. Voir DREVET Jean-François. « À propos du veto slovaque ». Futuribles, n° 331, juin 2007, pp. 81-84. 81
© futuribles n° 341 - mai 2008 État. Dans une récente communica- indépendance est une sécession, illé- tion 3, la Commission européenne a gale en droit international, au nom réitéré la vocation de l’UE à accueillir, des dispositions de la Charte des le moment venu, les pays des Balkans Nations unies qui défend l’intégrité occidentaux, y compris le Kosovo. de ses États membres. Pourra-t-elle y parvenir ? Bien que l’histoire du monde en présente un assez grand nombre de Le principe cas, la sécession n’a pas bonne répu- de l’indépendance tation : on se souvient des Sudistes Plus d’un demi-siècle après la dé- américains au XIXe siècle ou, plus ré- colonisation, qui a fait entrer à l’Orga- cemment, du Biafra que la commu- nisation des Nations unies plus d’une nauté internationale a laissé écraser. centaine de nouveaux pays, près de Un peu partout, la présence de forces deux décennies après la dislocation centrifuges incite les gouvernements des fédérations soviétique, yougoslave à s’opposer par principe à une sépa- et tchécoslovaque, qui a engendré la ration non négociée. création, en Europe, d’une vingtaine C’est pourquoi le Conseil européen de nouveaux États, il ne devrait pas y a décidé 4 que le Kosovo constituait avoir de problème à en accepter un un « cas sui generis, qui ne remet nul- de plus. lement en question les principes de Le Kosovo ne figure pas parmi les souveraineté et d’intégrité territoriale, pays les plus petits du continent. Avec la Charte des Nations unies… » En près de deux millions d’habitants, il fait, une grande partie de la commu- est nettement plus peuplé que le nauté internationale a admis la légi- Monténégro (685 000 habitants) qui timité de l’indépendance du Kosovo l’a précédé sur le chemin de l’indé- en raison des violations répétées des pendance. Son identité linguistique droits fondamentaux infligées par le et religieuse le distingue nettement gouvernement de Milosevic à la po- de la Serbie. Au contraire de quelques pulation albanophone. Pour la pre- « républiques » autoproclamées du mière fois, le devoir d’ingérence a Caucase ou de la Méditerranée orien- dépassé les limites de l’humanitaire tale, il doit sa naissance à la volonté pour acquérir une dimension poli- constamment affirmée de la majorité tique, et les droits de l’homme ont de sa population et non aux manipu- prévalu sur la raison d’État. lations d’une grande puissance voisine. Les adversaires de l’indépendance Cependant, fait juridique essentiel, du Kosovo ont quelques raisons d’y le Kosovo n’est pas sur le même plan voir un important précédent : aurions- que les ex-républiques fédérées de nous maintenant un nouveau critère, l’URSS ou de la Yougoslavie, car il avait basé sur le droit des personnes, qui le statut de « région autonome » à permettrait de juger du bien-fondé l’intérieur de l’une de ces républiques, des revendications indépendantistes ? la Serbie. Celle-ci en conclut que son Comme les Kosovars, les Kurdes d’Irak 3. Balkans occidentaux, renforcer la perspective européenne. Bruxelles : COM (2008)127, 5 mars 2008. 4. Conclusions du Conseil du 18 février 2008. 82
L’INDÉPENDANCE DU KOSOVO ET SES CONSÉQUENCES Le Kosovo et ses minorités ethniques Albanais SERBIE Serbes Zone KFOR française Bosniaques Goranis Kosovska- Zone KFOR britannique Mitrovica Limites des RO Medvedja zones KFOR* ÉG Pristina ÉN Pec Superficie : NT 10 877 km2 MO Population : Bujanovac 2 millions d’habi- tants dont environ Presevo 150 000 Serbes et 40 000 repré- Zone KFOR italienne sentants d’autres Prizren minorités ALBANIE Zone KFOR américaine Langues : albanais, serbe, turc Zone KFOR allemande *Kosovo Force : force MACÉDOINE armée multinationale de l’OTAN au Kosovo. © Futuribles, mars 2008. Source : Le Monde. auraient assez souffert pour mériter rester ? Cela est faisable pour ceux leur indépendance, au contraire des qui résident dans le nord du Kosovo Corses, des Catalans, des Écossais ou (70 000 habitants, soit environ la des Flamands de Belgique ? Que moitié du total) et sont majoritaires penser de l’application de ce principe sur un petit territoire qui jouxte la aux Tchétchènes ou aux Tibétains, Serbie, au nord de la rivière Ibar, avec dont le pouvoir de tutelle pourrait une partie de la ville de Kosovska- résister plus efficacement que la Mitrovica. Mais cela serait bien plus dif- Serbie de Milosevic aux pressions ficile pour les autres Serbes, confinés internationales ? dans des enclaves qui ne subsistent que grâce à la présence internatio- La question des frontières nale. Le problème concerne aussi les albanophones résidant en Serbie Une fois ce droit acquis pour les proprement dite, dans la vallée de uns, qu’en sera-t-il pour les autres ? Presevo 5, où ils sont majoritaires. Si les albanophones du Kosovo peuvent quitter la Serbie, pourquoi De manière constante, la jurispru- la minorité serbe du Kosovo (environ dence internationale a défendu avec 150 000 habitants ; 5,3 % de la po- une certaine efficacité le principe de pulation) ne pourrait-elle pas y l’intangibilité des frontières, notam- 5. Encore 70 000 albanophones dans les trois communes de Presevo, Bujanovac et Medvedja. 83
© futuribles n° 341 - mai 2008 ment celles héritées de la colonisation. et en Bosnie, et l’intensité du net- Les séparations récentes de l’Érythrée toyage ethnique qui a vidé de ses d’avec l’Éthiopie, ou de Timor Leste habitants certaines régions comme de l’Indonésie, s’appuient sur d’an- la Krajina de Croatie. Or c’est précisé- ciennes limites internationalement ment pour éviter cela que la commu- reconnues. Il en irait de même si le nauté internationale est intervenue Somaliland (ex-britannique) se sépa- au Kosovo en 1999. rait de la Somalia (ex-italienne) de Comme ailleurs dans l’ex- jure, après l’avoir fait de facto en Yougoslavie, les limites du Kosovo ne 1991. En Europe, il a été décidé que correspondent pas à celles des peu- les limites administratives des an- plements serbe et albanophone. Non ciennes républiques fédérées, sovié- seulement elles n’ont pas la même va- tiques ou yougoslaves, seraient leurs leur juridique qu’entre les républiques frontières internationales et ce prin- fédérées, mais elles ont varié 8 et ne cipe a été jusqu’à présent sauve- sont pas complètement définies 9. gardé. Cette attitude est dictée par la Faut-il vraiment en faire des frontières prudence, car les conflits dans ce do- internationalement reconnues ? Puis- maine durent très longtemps et sont qu’il a été décidé que le Kosovo était difficiles à résoudre. un cas sui generis, elles pourraient être redessinées. Il existe cependant une différence majeure entre l’URSS, où les répu- Mais il s’agirait d’un précédent bien bliques ont été le plus souvent déli- plus sensible que celui de l’indépen- mitées par Staline sur des bases lin- dance, en raison de l’existence de mi- guistiques 6, et la Yougoslavie où Tito, norités albanophones autour de l’en- en bon disciple des Habsbourg, s’est semble Albanie-Kosovo. Celle du basé sur des frontières historiques Monténégro 10 estime que les poten- parfois très anciennes 7, qui ne coïn- tialités du nouvel État, indépendant cident qu’exceptionnellement (c’est le depuis juin 2006, valent mieux que cas de la Slovénie) avec des limites celles de la « Grande Albanie », qui ethniques (linguistiques ou reli- ne serait qu’une mise en commun de gieuses). Ceci explique l’importance la misère de ses composantes 11. Mais des minorités, puis la violence des la situation est bien différente en conflits des années 1990 en Croatie Macédoine 12. En dépit des accords 6. Avec des exceptions comme le Nagorno-Karabakh, région autonome de peuplement arménien incluse dans l’Azerbaïdjan turcophone. 7. C’est notamment le cas de la Bosnie-Herzégovine dont les frontières remontent à l’Empire ottoman. 8. Le Kosovo a été créé en 1945 en tant que région autonome pour la minorité albanophone, mais sans avoir l’objectif d’y regrouper toutes les communes où cette population était majoritaire. Ses prérogatives et sa frontière avec la Serbie ont varié pendant la période titiste. 9. Il existe un contentieux territorial avec la Macédoine. 10. Les albanophones représentent 5,3 % de la population du Monténégro (environ 36 000 habi- tants) et sont majoritaires dans les communes qui bordent la frontière avec l’Albanie. 11. Cf. BATT Judy (sous la dir. de). Is There an Albanian Question? Paris : European Union Institute for Security Studies, Chaillot Paper, n° 107, janvier 2008. 12. La population albanophone de Macédoine représenterait actuellement entre le quart et le tiers du total. Elle est déjà majoritaire dans les régions occidentales et pourrait le devenir dans le pays tout entier car sa croissance démographique est beaucoup plus rapide que celle des slavophones. 84
L’INDÉPENDANCE DU KOSOVO ET SES CONSÉQUENCES d’Ohrid (2001), qui ont enrayé une pas dominer actuellement la Serbie. évolution vers la guerre civile, les Il est donc important de montrer aux tensions restent sensibles. D’une part, nationalistes de Belgrade et des pays les minorités (musulmanes) veulent candidats que leurs conceptions n’ont obtenir de nouveaux droits. D’autre pas leur place dans l’UE. part, les slavophones (orthodoxes), Compte tenu de l’expérience de la avec seulement 61 % de la popula- région en matière de traitement des tion, craignent de perdre leur position minorités, il serait réaliste de recon- majoritaire. naître aussi le droit à l’autodétermi- Le problème n’est pas limité aux nation des communes du Nord où les minorités albanophones : il est ouver- Serbes sont majoritaires, éventuelle- tement évoqué en Bosnie ou même ment de celles de Presevo, afin d’avoir dans d’autres pays européens 13. Le une nouvelle frontière aussi proche respect de l’intangibilité des fron- que possible des limites ethniques. tières a pour inévitable corollaire Comme l’a indiqué le Conseil, cela celui des minorités. Si ce n’est pas le n’implique pas pour autant la satis- cas, il faut s’attendre à une remise en faction de revendications comparables, cause des limites. à commencer par celles des Serbes de Bosnie, car on ne parviendra pas Quelles solutions ? à faire coïncider les limites politiques et ethniques dans l’ex-Yougoslavie. À L’indépendance du Kosovo est un terme, l’intégration dans l’UE aura fait acquis, essentiellement en raison pour effet de « spiritualiser les fron- du comportement intolérable du tières 14 ». En attendant, un Kosovo gouvernement de Milosevic et parce indépendant peut-il émerger sans dé- que l’esprit de repentance ne paraît stabiliser son environnement ? I 13. En Belgique, six communes francophones, dites « à facilités », de la périphérie de Bruxelles, incluses dans la région flamande qui leur conteste le droit d’utiliser le français, revendiquent le droit de choisir leur région. 14. Objectif affirmé par le gouvernement de Budapest pour inciter à la patience les minorités hon- groises des pays voisins, dans une situation géographique comparable aux albanophones du pour- tour de l’Albanie. 85
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