La démocratie cauchemar Welcome to New York d'Abel Ferrara - Érudit
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Document generated on 04/15/2020 9:06 a.m. 24 images La démocratie cauchemar Welcome to New York d’Abel Ferrara Nicolas Klotz Entre la bande dessinée et le cinéma Number 170, December 2014, January 2015 URI: https://id.erudit.org/iderudit/73268ac See table of contents Publisher(s) 24/30 I/S ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital) Explore this journal Cite this review Klotz, N. (2014). Review of [La démocratie cauchemar / Welcome to New York d’Abel Ferrara]. 24 images, (170), 52–53. Tous droits réservés © 24/30 I/S, 2014 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
CHRONIQUE INACTUELLE La démocratie cauchemar par Nicolas Klotz * Welcome to New York d’Abel Ferrara JUNE PROJECT PHOTO NICOLE RIVELLI PHOTOGRAPHIE © 2013 A près les chambres d’hôtels de tous vues de DSK dans la tête. Celles monde, parmi lesquelles Depardieu se luxe new-yorkais que fréquentent qui ont fait des millions de fois le déplace comme eux, hanté par cette fella- beaucoup d’hommes d’affaires, tour du monde, des sites internet, des tion qu’il vient d’imposer à l’une des leurs. d’hommes politiques, d’acteurs de cinéma, magazines : DSK dans son imperméable, On pense alors à cette phrase ahuris- de présentateurs de télévision, de stars du le visage hagard, en plein cauchemar. sante prononcée par Jérôme Cahuzac à monde médiatique ; la prison. Après les Ces images qui ont rapporté des millions la télévision juste avant que n’éclate le call-girls qui débarquent dans la nuit et à l’industrie médiatique, sonnant le scandale qui le décapitera à son tour : la repartent à l’aube, qui errent dans les glas de la carrière politique et de la vie lutte des classes, c’est terminé. Dans cette couloirs, entrent et sortent des luxueuses privée de DSK. La décapitation en scène quasi-documentaire, Depardieu et voitures ; la police, les gardiens de prison. direct du directeur du Fond Monétaire Ferrara nous montrent non seulement Après les scènes de sexe burlesques où International qui a arrangé les affaires de qu’elle n’est pas terminée, mais qu’elle est Gérard Depardieu expose son corps, sa pas mal de personnes. Obscénité viscé- devenue planétaire, massivement impla- lourdeur, aux corps souples, liquides, rale du magma médiatico-politique cable, prête à nous exploser à la gueule. de ces filles de la nuit ; les voyous. En devenu le cauchemar de la démocratie. L’unique horizon réel pour des milliards une vingtaine de minutes, on chute des La démocratie cauchemar. de personnes. Cette phrase hallucinante, hauteurs toutes puissantes du pouvoir, Sauf qu’ici, à cet instant, on assiste à opium distribué généreusement par du fric mondia lisé, des secrétaires quelque chose qui échappe enfin et radica- ceux-là même qui s’enrichissent comme mannequins, à une cellule de prison. De lement, à ce qu’on a vu. On assiste à un des porcs sur le dos, la vie, la misère de la lumière spectrale, funèbre, jet-set moment de cinéma exceptionnel. Une ceux qui subissent celle-ci chaque jour, numérisée, à cette cellule en pierre. Trois dizaine d’hommes dans une cellule de est peut-être le véritable sujet du film de murs derrière des barreaux, à l’intérieur de prison qui se tournent autour, rodant Ferrara. laquelle Depardieu, complètement sonné, comme des fauves arrogants prêts à s’entre- Et on mettra en face de cette phrase est toisé par un groupe de jeunes délin- tuer. Et malgré la prison, la présence svelte, toute en élégance assassine, susurrée quants noirs. policière, leurs regards sont comme des de manière quasi amicale,par l’élégant En une vingtaine de minutes, on se f lingues. Une dizaine de délinquants futur ministre du budget d’un gouverne- retrouve là, avec les images qu’on a noirs, immigrés, toutes les banlieues du ment socialiste, le corps démesurément 52 24 IMAGES 170 CHEMINS DE TRAVERSE 60804A_JMC_Int.indd 52 2014-11-28 2:45 PM
réel de Gérard Depardieu. Ce corps présents dans le scandale. Les accéléra- gardiens américains. À Baudelaire qui autour duquel tourne le film entier : l’anti- teurs et les moteurs du scandale. Pour se rôde sur les visages. À Jacqueline Bisset trou noir du corps de Jérôme Cahuzac. concentrer sur l’humain qui, par nature, tout à fait magnifique en Anne Sinclair, L’anti-trou noir du corps politique leur échappera toujours. Pour filmer les si proche, si humaine. Cassavetes et Gena dans son ensemble. Y compris ceux des vérités humaines, il faut de l’intime, de la Rowlands. Bogart et Bacall. Sid and mannequins du Front National. On se durée, de la sensibilité, du travail. Il faut Nancy. souviendra aussi de l’opprobre que le film Pasolini, Godard, il faut le cinéma. Il faut Le film de Ferrara, comme son précé- avait soulevé pendant quelques jours dans le visage de Depardieu dans l’imperméable dent 4h44 Last Day on Earth, vous laisse la galaxie médiatique au moment de sa de DSK, sur lequel on devine, malgré le avec un sentiment de grande mélancolie. sortie sur internet pendant le festival de cauchemar et la violence du scandale, la Le sentiment que ce cauchemar dans Cannes. Du corps de Depardieu « filmé proximité amicale que l’ex-directeur du lequel nous sommes forcés de vivre n’a comme un porc ». Des articles écrits pour FMI entretenait avec ses propres gouffres. aucune issue, aucun avenir, aucune fin. tuer le film dans l’œuf et éjecter Ferrara Welcome to New York est un film Qu’il est là pour toujours. Changeant de de la sphère cinéma. ultra contemporain, au x antipodes nom, de corps, de futur, chaque instant. Il y a une blessure DSK. Une entaille des films twists qui ravissent ceux qui Effaçant les évènements, les œuvres, les profonde dans la vie d’un homme, d’une veulent éteindre le monde pour briller à êtres humains. Étouffant le passé pour femme de chambre noire, de toutes sa place. On pourrait parler des heures mieux anesthésier le présent. Comment les personnes que le scandale a englou- de la puissance massive du corps de vivre dans un monde financé et dominé ties, et dans la politique en général. En l’acteur Depardieu. De son opacité et sa par des trous noirs ? cinéaste new-yorkais, dans la pure tradi- finesse. De Cassavetes, à qui le film rend Cinéaste français, Nicolas Klotz a notamment tion du cinéma indépendant américain, hommage. Cassavetes dont Ferrara est le réalisé La blessure, La question humaine et Low Ferrara a fait un film sur cette blessure frère crépusculaire. Au Caravage qui hante Life, coréalisé avec Elisabeth Perceval. quasi-shakespearienne. Il a eu l’intelli- les magnifiques séquences de prison où gence d’éloigner, d’ignorer les médias, si Depardieu expose sa nudité devant les CHEMINS DE TRAVERSE 24 IMAGES 170 53 60804A_JMC_Int.indd 53 2014-11-28 2:45 PM
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