LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE

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LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
LOUIS-PIER DUPUIS-KINGSBURY

         LA FRAGMENTATION PICTURALE ET
              L'INSTALLATION-PEINTURE
         La présentation du paysage panoramique

                                Mémoire présenté
           à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
           dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels
                pour l'obtention du grade de Maître es Art (M.A.)

                  ÉCOLE DES ARTS VISUELS
   FACULTÉ D'AMÉMANAGEMENT, ARCHITECTURE ET ARTS VISUELS
                     UNIVERSITÉ LAVAL
                         QUÉBEC

                                      2009

© Louis-Pier Dupuis-Kingsbury, 2009
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Résumé

       Le but de ce mémoire est de présenter mon approche ouverte du langage
pictural. Traitée dans une optique contemporaine, ma peinture s'articule en
traitant un des plus vieux thèmes picturaux : le paysage. Utilisé comme prétexte
pour peindre, ce thème se développe en une multitude de concepts comme
l'authenticité picturale développée à même le processus de création, les espaces
picturaux et la peinture-installation.

Tous ces thèmes servent à revoir la peinture contemporaine comme étant en lien
direct avec son histoire, comme étant conceptuellement fragmentaire dans sa
conception et sa réception.

                                                                              il
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
À la peinture,

           III
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Avant-propos

Je tiens principalement à remercier mon directeur de recherche, Bernard Paquet,
pour sa présence, la qualité de ses commentaires et sa sincérité tout au long de
mon cheminement à la maîtrise.

Je tiens également à remercier ma famille, ma copine et mes amis pour leur
support ainsi que leurs encouragements.

Finalement, je tiens à remercier mes collègues, étudiant(es)s et professeur(es)s,
que j'ai côtoyés depuis 2002, le début des mes études en arts visuels.

                                                                               IV
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Table des matières

Résumé                                                              II

Dédicace                                                           III

Avant-propos                                                       IV

Table des matières                                                 V

Introduction                                                        1

Chapitre 1 : De l'authenticité picturale jusqu'à la méthodologie

d'une peinture fragmentaire                                        3

1.1 L'authenticité picturale                                       6

1.2 Les facteurs picturaux                                          8

1.2.1 La forme                                                      8

1.2.2 La couleur                                                   9

1.2.3 La matière                                                   11

1.2.4 La gestuelle                                                 13

1.3 La méthodologie                                                15
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Chapitre 2 : L'espace pictural                                        19

2.1 L'espace interne                                                  21

2.2 L'espace externe                                                  25

2.3 L'espace interne/externe, la relation                             28

Chapitre 3 : L'espace paysage, présentation ou représentation?        30

3.1 Pourquoi le paysage?                                              34

3.2 Le panorama et l'horizon                                          37

3.3 Le dispositif installatif des ensembles-tableaux, l'élaboration   41

Conclusion                                                            44

Illustrations                                                         45

L' exposition Paysage                                                 56

Illustrations de l'exposition                                         57

Bibliographie                                                         66

                                                                      VI
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Introduction

        Ce mémoire se veut comme le compte-rendu de mon cheminement à la
maîtrise depuis les deux dernières années de recherche-création. Cette étude se
défend autant du point de vue pratique, le travail concrètement réalisé en atelier,
que du point de vue intellectuel, le volet conceptuel. C'est par une élaboration
mettant en rapport ces deux points qu'une synthèse théorique de mon approche
est donc possible. Cette synthèse s'articule par la coordination de trois
principaux thèmes théoriques.

Le chapitre initial, De l'authenticité picturale jusqu'à la méthodologie d'une
peinture fragmentaire, contextualise mon positionnement théorique par rapport à
ma peinture. Cela est donc expliqué en traitant spécifiquement des sous-thèmes
que sont : Y authenticité picturale, les facteurs picturaux et la méthodologie.

Cette contextualisation théorique nous amène au point principal de ma
recherche : L'espace pictural. Ce chapitre traite particulièrement des découvertes
réalisées en processus d'atelier. L'espace pictural se développe en trois
fragments. Le premier est l'espace interne où est traité principalement l'aspect
bidimensionnel de ma peinture. Ensuite, il y a l'espace externe qui concerne
davantage la relation que nous entretenons avec le tableau-objet ainsi que la
relation que celui-ci a avec l'environnement dans lequel il figure. Finalement,
l'espace interne/externe s'articule au niveau de la mise en relation des deux
premiers types d'espaces, le concept de l'installation picturale.

L'installation se développe en élaborant la thématique picturale de mon travail :
l'espace paysage. Ce dernier chapitre justifie l'utilisation de ce thème en traitant
de la question du paysage par rapport aux types d'espaces exploités en atelier.
Cette   mise   en   contexte    du   paysage    peint   soulève     donc   l'important
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
questionnement de l'horizon et du panorama pictural qui ressort de mes
expérimentations.
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Chapitre 1
DE L'AUTHENTICITÉ PICTURALE JUSQU'À LA
MÉTHODOLOGIE D'UNE PEINTURE FRAGMENTAIRE
LA FRAGMENTATION PICTURALE ET L'INSTALLATION-PEINTURE
Dans un premier temps, je crois qu'il est important de préciser que mon
travail en peinture peut prendre plusieurs directions en termes d elaborations
concrètes     d'idées.    Depuis   les    deux    dernières    années,     nombre
d'expérimentations ont eu lieu. Au début, il était question de tenter le volet
« installatif » voire le métissage de différents tableaux mis en commun. Par la
suite une élaboration sur les types d'espaces s'est développée. Maintenant,
l'intérêt principal de ma recherche s'articule davantage sur la fragmentation
panoramique d'un paysage peint.

Vu en atelier, mon travail peut sembler linéaire dans le sens où j'ai besoin de
bien analyser ce qui précède l'élaboration d'une nouvelle œuvre. C'est en fait le
prétexte déclencheur de mon processus. C'est par les œuvres précédentes que
vont naître les idées d'une suite voir même, comme dans le cas présent, de la
fragmentation du paysage.

Je vois la peinture comme une construction logique qui part d'éléments vierges
de sens. Ces éléments sont les facteurs picturaux : la couleur, la touche, la
forme (abstraite), etc. Rien n'est concrètement identifiable comme par exemple
la représentation d'un objet physique. Si je me permets une analogie avec la
sculpture, contrairement à celle-ci, qui a comme point de départ le matériau dont
elle sera elle-même fabriquée, l'œuvre peinte débute sur une toile dépourvue de
forme, de couleur et de matière. Certes, pour justifier mon exemple précédent, il
nous faut exclure le châssis lui-même physique qui sert de support au
développement de la peinture. Bien entendu, il est certain que mon travail
repousse cette limite par son aspect installatif où le châssis est tout aussi actif
que la couleur. Seulement, à des fins de compréhensions concernant l'analyse
d'une seule toile, je tente d'amener le thème de l'authenticité picturale à un
rapport plus simplifié.

Pour ce faire, il faut peut-être se positionner dans des circonstances précises
afin de mieux cerner le point de départ. Comme l'indique James Guitet dans la
citation suivante, il faut être prédisposé, au départ, à écouter le silence d'un
tableau en devenir :

        « D'un geste simple et démuni, je continue à marquer, déposer,
        frotter... sur la toile tendue comme si la peinture était inchangée
        depuis des millénaires.
        J'interroge son silence obstiné.

        Structure - Matière - Lumière se livrent un combat pour « un je-ne-
        sais-quoi » d'invisible habitant l'espace. Soudain, il suffit d'une
        discrète touche de couleur pour éclairer entièrement un corps unifié.

        Alors, le silence nous parle. »1

L'étape qui suit est celle de la recherche de stratégie pour résoudre l'œuvre
picturale par différents moyens techniques qui seront prochainement abordés
dans le sous-chapitre des facteurs picturaux. Si la toile se construit, il y a
forcément un moment où un problème surgit et devra être résolu. En fait, le
«challenge» est précisément là, lorsqu'il faut finalement faire le bon coup, celui
qui fera fonctionner l'ensemble à un moment ou a un autre du processus. Cela
doit probablement découler du fait que mon travail part habituellement de gestes
assez spontanés et que l'élément déclencheur de l'œuvre surgit sans préavis.

Tous ces points décisifs de la création de l'œuvre sont orchestrés par une
importante prise de conscience de l'authenticité picturale, des facteurs picturaux
et finalement par l'élaboration d'une méthodologie. Expliquées plus en détail
dans      ce    présent     chapitre,    ces   stratégies     expriment   précisément   mon
cheminement artistique étroitement lié à une démarche intellectuelle et
conceptuelle.

1
    James Guitet. Peindre, Paris, Éditions L'Harmattan, 2004, p. 18
1.1 L'AUTHENTICITÉ PICTURALE

           Je conçois en effet la peinture comme une activité rationnelle. Rationnelle
dans le sens où je l'aborde telle une construction dont la complexité dépend de
l'intention, de l'inspiration et de la décision.

L'authenticité picturale est « ce avec quoi l'artiste doit dialoguer » pour construire
l'œuvre. Elle agit, en quelque sorte, comme la règle de l'œuvre d'art. A priori,
bien que cela puisse sembler rigide, loin de moi est l'idée que l'œuvre soit
restrictive dans sa conception ou sa perception. Au contraire, je vois mon travail
comme un système qui peut s'articuler à l'intérieur d'une seule toile ainsi qu'entre
plusieurs tableaux mis en commun. Seulement, ce système doit être en lien
constant avec la manière dont je perçois la peinture : comme un processus en
évolution, une œuvre en devenir. Autrement dit, il suffit d'être à l'écoute du
médium et de ses caractéristiques afin de construire une œuvre authentiquement
picturale dont les limites plastiques et conceptuelles ouvrent sur une infinité de
possibilités :

         « L'acte producteur du peintre ne se limite pas à la manipulation du
         pinceau organisant l'espace chromatique. Bien des opérations,
         variant selon le peintre, constituent une chaîne sensori-motrice,
         symptomatique et structurante du champ phénoménal, conduisant
         l'œuvre en cours vers un climat spécifique qui ne dépendra pas de la
         seule apparence, mais sera contenu dans les profondeurs de la
         chaire de l'œuvre ».2

Non seulement cette citation de Guitet appuie ma position face à l'acte
fondamental de peindre en lien avec le résultat, mais elle fait la lumière sur
l'importance des subtilités dans une toile. En d'autres mots, dans une œuvre «
[...] pour qu'il y ait du visible il faut qu'il y ait une foule de petits invisibles. »3.

2
     Ibid., p.9
3
    Ibid., p U
C'est par ces « petits invisibles » que le visible, vu et senti, s'empreint d'une
richesse.

Cette « richesse » picturale agit comme un générateur dans mon travail. Mais il
n'est pas simple de cerner le cœur de l'œuvre. Pour ma part, le générateur de
mes tableaux se situe probablement dans le non-dit, comme une sorte de
sensation où les mots ne servent plus à donner explication. En d'autres termes,
*[...] l'œuvre n'est pas à la trace ou la courbe de l'art en tant qu'activité, elle est
l'art même; elle ne le désigne pas, elle l'engendre. L'intention de l'œuvre d'art
n'est pas l'œuvre d'art4. En fait, ce petit invisible pourrait se traduire par une
sensation que l'œuvre me transmet, sorte de perception sentie, mais difficile à
nommer avec les mots. La citation suivante de R. Barthes désigne bien la
sensation difficilement explicable qu'est la relation « authentique » avec l'œuvre :

      « La langue inconnue, dont je saisis pourtant la respiration, l'aération
      émotive, en un mot la pure signifiance, forme autour de moi, au fur et
      à mesure que je me déplace, un léger vertige, m'entraîne dans son
      vide artificiel, qui ne s'accomplit que pour moi : je vis dans l'interstice,
      débarrassé de tout sens plein. »5

L'œuvre se dresse ainsi devant mes yeux, à chaque fois, comme un objet
nouveau à découvrir. C'est de la sorte que j'entrevois l'authenticité picturale.
L'œuvre prend forme selon une voie constamment renouvelée et m'oriente dans
des univers différents. Je dois donc ficeler et trouver des stratégies nouvelles à
tout coup. Ces stratégies se développent par l'élaboration de diverses
manipulations plus ou moins techniques que je nomme les facteurs picturaux.

4
  Henri Focillon. Vie des formes : suivi de Éloge de la main, Paris, Éditions. Presses
  Universitaires de France, 1943, p.3
5
  Roland Barthes. L'empire des signes, Paris, Éditions du seuil, 2007, p.21
1.2 LES FACTEURS PICTURAUX

           Le but de ce sous-chapitre est d'identifier et d'analyser ce que j'appelle les
facteurs picturaux. En fait, les facteurs picturaux sont en quelque sorte des
vecteurs qui servent à structurer l'œuvre peinte. Ils sont partie intégrante de
celle-ci et servent aussi de langage stratégique. J'identifie quatre de ces facteurs
qui sont les plus importants dans ma démarche. Dans un premier temps, il est
question de la forme qui, en quelque sorte, englobe les trois autres qui sont la
couleur, la matière et la gestuelle.

1.2.1 La forme

           La forme agit comme le vecteur principal de mon œuvre. Autrement dit,
dans l'optique de la spontanéité «[...] le signe signifie, mais, devenu forme, il
aspire à se signifier, il crée son nouveau sens, il se cherche un contenu, il lui
donne une vie jeune par des associations, par des dislocations de moules
verbaux. »6 La forme articule les trois autres facteurs parce qu'elle est
nécessaire à leur existence. Si l'on observe l'exemple d'un de mes tableaux (voir
l'image 2) c'est par la dynamique des diverses formes créées que s'accordent,
par la suite, les couleurs, les matières et les gestuelles.

Bien que je ne sois pas trop fervent des équations qui laissent souvent place à
des raisonnements exclusivement binaires, une formule élaborée par le peintre
James        Guitet     articule efficacement   l'importance   de   la forme dans la
compréhension de ma peinture : « (M C) E = F [...] La Matière et la Couleur se
manifestant dans l'JÊtendue produisant le phénomène Forme. »

Or, il est important de préciser que dans ma pratique la forme s'articule
principalement par un travail qui est, à la base, intuitif. Basées sur une activité
fortuite, les formes naissent d'elles-mêmes et se développent systématiquement

6
    Henri Focillon. Op. Cit., p.8
sur le support. En inversant l'équation précédemment énoncée, afin de la
rapprocher davantage de mon travail, la couleur, la matière et le geste
deviennent donc possibles par la forme. En d'autres termes : envisageables
lorsqu'ils sont « formés ». Il est important d'indiquer que j'entends le geste au
même titre que l'étendue dont peut parler James Guitet. Je n'irais pas jusqu'à
dire que ce sont des synonymes, mais j'utiliserai surtout le terme de la gestuelle
plutôt que celui de l'étendue. La formule devient donc : F = (M C) G7.

1.2.2 La couleur

        La couleur est probablement le vecteur le plus sensible, celui qui exprime
la sensation picturale essentiellement dégagée du tableau. Je la traite de
diverses façons. A priori, je crois souvent qu'elle n'est que prétexte à l'œuvre,
qu'il en va de soi pour l'élaboration du tableau et que la peinture = la couleur.
Cependant, si je m'y penche de manière plus approfondie, je constate qu'il en
est beaucoup plus que cette simple déduction.

Il faut concevoir les couleurs comme des instruments de constructions. Par
exemple (voir l'image 7) la couleur est utilisée ici comme un lien concret entre les
supports mis en relation dans              cet ensemble-tableaux. Diverses stratégies
peuvent être prises. Souvent, c'est par des contrastes de couleurs ou par des
arrangements chaotiques que les couleurs façonnent le système de mes
tableaux. « // s'agit d'établir une boîte idéelle de couleurs, définir un arrangement
où se peut justifier la place de chaque couleur, de se confectionner une trousse à
outils.8 ». Ainsi, la couleur est à la fois simple et complexe. Elle « [...] contribue à
exprimer la lumière, non pas le phénomène physique, mais la seule lumière qui
existe en fait, celle du cerveau de l'artiste9. Ainsi, si elle reflète la lumière de
l'intelligence   humaine, tel que le cite H. Matisse, elle s'adresse donc
indirectement à la sensibilité de celui-ci. Dans ma démarche, la couleur est au

7
  F = (M C) G veut dire Forme = ( Matière et Couleur) Gestuelle
8
  Paul Klee. Théorie de l'art moderne, Paris, Éditions Denoël, 2005, p.65
9
  Henri Matisse. Écrits et propos sur l'art, Paris, Éditions Hermann, 2005, p.201
service de la forme; elle la qualifie. Je dirais même qu'elle lui donne la prestance
et l'impact qu'elle aura dans l'œil du regardeur. En comparaison avec la
musique, la note sert à la chanson comme la couleur sert au tableau. La note
donne à la fois le sens et la sensibilité à la musique, comme le fait aussi la
couleur pour l'œuvre peinte. Seulement, la couleur en peinture ne se passe pas
dans le temps; une fois appliquée sur la toile, elle y reste, du moins, jusqu'au
prochain coup de pinceau.

Mes        couleurs ont une façon bien particulière de s'articuler. En fait, j'essaie
d'établir les liens, soit par ressemblances ou par différences, qu'elles peuvent
avoir entre elles.

         « J'utilise les couleurs les plus simples. Je ne les transforme pas
         moi-même, ce sont les rapports qui s'en chargent. Il s'agit seulement
         de faire valoir des différences, de les accuser. Rien n'empêche de
         composer avec quelques couleurs, comme la musique qui est bâtie
         uniquement sur sept notes. [...] Il suffit d'inventer des signes. Quand
         on possède un authentique sentiment de la nature, on peut créer des
         signes qui soient autant d'équivalents entre l'artiste et le
         spectateur. »10

Comme dit précédemment Matisse, l'important dans l'utilisation des couleurs est
de provoquer des rapports entre celles-ci. Ainsi, ces rapports deviennent
partagés. Ils deviennent communication entre artistes et spectateurs. Des liens
sont possibles. Ils deviennent comme une logique. Lorsque je peins, j'utilise
souvent des couleurs basiques, elles sont souvent très proches des tons
primaires et secondaires (voir l'image 5). Il est également important de souligner
que j'utilise beaucoup de contrastes forts, par exemple : chaud/froid (voir l'image
6). Basé sur la mise en différence de celles-ci, cela crée un certain phénomène
que je trouve très percutant pour l'œil. Inutile de rappeler que la peinture est un
fait à priori optique :

10
     Ibid, p.204

                                                                                   10
« L'effet laissé sur la rétine par un rouge brusquement éloigné après
         une longue exposition n'est pas rouge, mais vert. Et si l'œil s'expose
         longuement au vert, l'effet laissé dans les mêmes conditions sera
         l'émergence soudaine du rouge. La même sorcellerie préside à
         l'alternance du jaune et du violet, du bleu et de l'orangé. »11

Issu de la physique, ce phénomène de la couleur/lumière expliqué par Paul Klee
nous explique bien ce que sont les contrastes chromatiques et comment ils
agissent. Je garde toujours cette stratégie lorsque je choisis mes couleurs. Bien
que les premières couches soient souvent fortuites, je cherche toujours dans les
choix des prochaines couleurs à provoquer des différences entre les autres
précédemment appliquées. Ainsi, la relation s'élabore, se complexifie et prend du
sens.

1.2.3 La matière

          À la couleur se joint un autre facteur pictural : la matière. Ces deux agents
ont un lien direct avec la forme. La matière est importante car elle est un vecteur,
au même titre que la couleur et la gestuelle, qui donne naissance à la forme.
Bien qu'elle agisse de manière différente que la couleur, elle est souvent en lien
avec celle-ci. Je perçois la matière comme le facteur qui rend la peinture
authentique en elle-même. C'est-à-dire qu'elle est la marque physiquement
identifiable de la peinture. Par exemple : c'est par la matière que l'on peut
distinguer le choix d'un certain type de peinture plutôt qu'un autre. À propos de
ma démarche, j'utilise différents types et différentes qualités de peintures. Ainsi,
certains tableaux sont principalement faits d'acrylique, de latex ou même d'huile.
Bien que des mélanges entre les types de peintures soient aussi présents, il est
important pour moi qu'elles s'affirment selon ce qu'elles sont vraiment.
L'authenticité picturale se traduit par la qualité, la texture et la sensibilité que la
matière-peinture nous transmet. Par exemple, les diverses qualités des
interventions dans mes tableaux se distinguent par la facture de la matière.
11
     Paul Klee Op. Cit., p.68

                                                                                    11
La matière est aussi en lien avec la construction du tableau. Dans mon travail,
c'est souvent par elle que nous pouvons retracer les étapes de réalisation, sorte
de code descriptif directement en lien avec la poïétique de l'œuvre. C'est
souvent par un jeu de « reconnaissance » entre les différentes qualités de
peintures que mes tableaux s'articulent (voir l'image 1 et 2). Ici les éléments, les
formes, se différencient grandement par leurs textures/matières. Un jeu visuel
s'articule en laissant sous-entendre les étapes de constructions par les
différenciations des diverses matières utilisées.

D'ailleurs, la matière introduit autre chose dans mon travail : un jeu « d'entre-
deux » entre la représentation figurative et la présentation abstraite des formes.

         « En raison de valeurs qualitatives matérielles directement liées à la
         couche picturale, le programme de la texture est ici différencié de
         celui de la couleur, celle-ci entretenant des rapports d'exclusivité, de
         vraisemblance ou d'arbitrante (sic) avec le composant de figuralité
         (sic), rapports qui demeurent donc d'un tout autre ordre qualitatif. La
         texture, elle, ne peut pas être saisie dans ces mêmes paradigmes,
         puisqu'à chaque démonstration explicite, elle parodie, par exemple,
         les valeurs de vraisemblance de la picturalité et de l'iconocité (sic),
         sans abolir le réalisme potentiel du composant. »12

Bien que l'aspect « figuration/abstraction » soit élaboré plus en profondeur dans
le dernier chapitre de ce mémoire, thématique de l'espace paysage, l'important
est de souligner l'effet qu'a la matière à ce sujet. Tel que cité plus haut par
Nycole Paquin, un tableau davantage « pictural », voire abstrait, sera souvent
très ponctué par la matière. C'est-à-dire qu'elle sert dans ce cas de sujet. À
l'inverse, comme nous pouvons constater dans certains de mes tableaux, une
facture plus travaillée et aboutie de la matière accentue l'effet réaliste (voir
l'image 3). Finalement, la texture agit en ressemblance, soit en différence avec la
réalité. Cependant, j'essaie de présenter la texture de manière autonome. Elle

12
     Nycole Paquin. L'objet peinture : pour une théorie de la réception, Montréal, Éditions Hurtubise,
     1991, p.83

                                                                                                   12
prend forme et elle fait ressortir ses propres qualités plastiques avant de faire
valoir ses propriétés de ressemblance avec le réel, sa « figurante »13.

1.2.4 La gestuelle

      L'autre facteur pictural, la gestuelle, a un lien direct avec la matière. Nycole
Paquin résume avec justesse mon propos sur la matière qui :

      «[...] entretient alors des rapports aussi de transparence ou
      d'opacité avec l'acte pictural, des rapports aussi de résistance
      matérielle ou de soumission au sujet de figurante (sic). [...]
      Dépendant de sa dominance ou de sa soumission à la figurante (sic),
      qu'il s'agisse de l'image ou du texte, de composants abstraits ou
      réalistes, la plasticité personnalise le corps, la main du sujet
      concepteur qui manifeste par le « je » ou par le « il (elle) » sous-
      entendu [...] »14

La texture est donc comme une trace personnelle, le geste particulier de l'artiste.
Il s'agit donc d'un lien direct avec l'authenticité picturale. La gestuelle dans mon
travail s'articule en quelque sorte à la manière de la trace.

      « [...] La trace, essentiellement, se présente, elle ne se montre pas.
      Elle est le début ou la fin de ce qui n'est pas montré. [...] Elle
      provoque l'usage empirique de l'imagination, qui vient opérer une
      greffe par associations mentales à un vécu, une connaissance, un
      mode de pensée. »15

Comme I' explique James Guitet ci-haut, la trace se présente, elle émerge.
Cependant, il articule ses idées en utilisant le terme trace plutôt que gestuelle,
comme je l'entends. Seulement, j'entrevois l'effet comme étant similaire en ce
qui concerne la gestuelle. Alors, je profiterais de cette citation pour décrire
l'aspect intuitif nécessaire de celle-ci dans ma peinture. C'est-à-dire que c'est par
la prise de conscience que la gestuelle doit être intuitive, voire fortuite, pour

13
   Ibid, p.83
14
   Loc. Cit.
15
   James Guitet. Op.Cit., p.25

                                                                                   13
qu'elle se présente dans l'œuvre. C'est par la gestuelle que la forme pourra se
développer dans l'espace de mes tableaux.

En ce sens, James Guitet nous présente la trace comme l'essentiel d'un geste
qui amène la forme :

         « La trace est une réduction, un indice, qui ne propose qu'un effet de
         proximité telle que la défini la gestalt-théorie comme : « l'assemblage
         des parties d'un ensemble d'existants se faisant, toutes choses
         égales, selon la loi de la plus courte distance. C'est la loi de la
         proximité que la trace induit à la figure par opération mentale qui crée
         des relations entre les traces telles que des fils imaginaires [...] »16

La gestuelle est donc génératrice de sens puisqu'elle ponctue, comme la couleur
et la matière, la forme. Ce qu'elle semble avoir de particulier, c'est qu'elle sert
directement le geste humain. Elle humanise l'action de peindre. D'ailleurs, elle
l'est puisqu'elle agit de manière sensible. Sans la gestuelle, la forme ne serait
pas liée à l'être humain, le créateur. Or, elle se veut comme une « fantaisie
psychique, une psychanalyse de la connaissance prise entre la sensorialité (sic)
et le concept »17.

En somme, les facteurs picturaux sont les outils qui sont mis à ma disposition
afin d'élaborer mes stratégies de résolutions de tableaux. Utilisés dans une
optique d'authenticité picturale, ils sont au service de mon œuvre et lui donne
toutes ses qualités et caractéristiques autant plastiques que conceptuelles selon
une méthodologie précise.

16
     Ibid, p.25
17
     Loc. Cit.

                                                                                    14
1.3 LA MÉTHODOLOGIE

           Ma méthodologie s'articule en trois principaux aspects. D'abord, il y a la
variation qui agit comme générateur au même titre que la forme pour ses
composantes énoncées précédemment. De cela découlent les deux autres
termes : la fragmentation et l'hétérogénéité.

La variation dans mon travail peut être expliquée à différents niveaux. J'entends
le terme « variation » comme quelque chose qui peut être d'ordre plastique.
Ainsi, du côté plastique il y a d'abord la variation concernant les facteurs
picturaux, les couleurs, les formes, les matières et les diverses gestualités, qui
s'articulent en différence les unes avec les autres. Ensuite, il y a la question des
interventions possibles en peinture, lorsque je suis à l'atelier. Autrement dit, les
variations se font souvent en choisissant des manières de travailler, des façons
de résoudre la toile qui demeurent, du début jusqu'à la fin, en constante
construction.

La variation plastique peut s'illustrer concrètement par nombre décisions
stratégiques prises en cours de processus. En voici de nombreux exemples
démontrés par l'artiste James Guitet :

         « [...] couper, découper, recouper, couvrir, découvrir, recouvrir,
         voiler, dévoiler, opacifier, transparencer (sic), mouiller, éponger,
         tamponner, laver, délaver, délayer, essuyer, rouler, enrouler,
         dérouler, poser, déposer, juxtaposer, superposer, composer, repérer,
         ajuster, joindre, encoller, coller, décoller, border, déborder,
         symétriser, désymétriser (sic), ouvrir, fermer, caler, décaler, visser,
         dévisser, tendre, pendre, pencher, dresser, accrocher, décrocher,
         agrafer, maçonner, scier, limer, pointer, enfoncer, tourner, retourner,
         contourner, placer, déplacer, racler, répéter, verser, brasser,
         mélanger, étendre, limiter, délimiter, déchirer, plier, déplier, replier,
         enduire, teinter... peindre. »18

18
     Ibid, p.9

                                                                                     15
Bien que cela soit généralisé, une de ces actions me concerne davantage :
superposer. Si nous allons voir l'image 2, nous constatons d'abord que mon
travail s'élabore en superposition au niveau chromatique et au niveau formel. Les
contrastes entre les formes et les couleurs étant plus efficaces, l'hétérogénéité
est accentuée. Cela s'exprime également au niveau installatif. C'est par des
superpositions de tableaux « physiques » que s'installe le paysage dans
l'environnement d'exposition.

La variation picturale ouvre directement à l'idée de la fragmentation. C'est-à-dire
que par des explorations jouant sur la variation entre les couleurs, les formes, les
matières et les formats de tableaux, j'en suis arrivé à concevoir mon travail avec
une optique fragmentaire. D'ailleurs, tout le développement du volet installatif y
est directement lié.

Dans l'idée de la fragmentation, ce qui m'intéresse particulièrement est
l'ouverture et l'immensité des possibilités que celle-ci peut créer. En fait, «[...]
Puisque l'unité n'est plus à chercher dans les objets mais dans la forme du
jugement, le champ de diversité est quasi illimité, et, parallèlement, aucune de
ces diversités ne pourra prétendre être règle pour les autres. [...] »19. Ainsi,
contrairement à un autre type d'œuvre, celle qui est fragmentaire laisse le choix
au spectateur d'y trouver son propre sens. Propre à mon travail (voir l'image 10)
la fragmentation nous amène à une réception quantitative au sens où nous
sommes devant un éventail d'œuvres, nous avons le choix de prendre ou de
laisser ce qui nous intéresse. La fragmentation crée une mise en relation entre
mes tableaux et nous en tant qu'observateur.                          L'important est que le
morcellement amène l'ouverture des possibilités tant dans la création de l'œuvre
que dans la réception de celle-ci. Aussi, Anne Cauquelin aborde un aspect
intéressant : l'œuvre ne s'analyse plus en tant qu'objet mais plutôt comme un
générateur d'objets issus du jugement qu'on en fait. Alors, nous retournons vers

19
     Anne Cauquelin. Court traité du fragment : usage de l'œuvre d'art, Paris, Éditions Aubier-
     Montaigne, 1986, p.48

                                                                                                  16
l'œuvre - en tant qu'objet - pour appuyer l'objet même de notre jugement qui lui
aussi est natif de l'œuvre.

Autre trait du fragment, l'œuvre se présente de manière fractionnée et m'oblige à
me questionner à différents niveaux lorsque je la regarde. C'est-à-dire que
l'œuvre fragmentaire n'est pas localisée dans une lecture précise, elle demande
un       effort.   Comme   le   précise   Anne   Cauquelin,   l'œuvre   segmentée
nous positionne sur un terrain vierge de perception. Elle demande à être perçue
sans affect préconçu :

         «[...] le détournement c'est le mouvement qui abandonne la fin
         proposée à l'entendement, lui tourne le dos, la prend non comme fin,
         mais comme point de départ « répulsif », pour joindre au plus tôt,
         sous les couches défaites du schéma transcendantal, la première
         imagination, celle qui ne fait qu'une image des divers de
         l'intuition. »20

Autrement dit, elle nous oblige à nous débarrasser de nos affects, d'accepter les
possibilités nouvellement présentées. La prédisposition, voire          l'innocence
nécessaire à la réception de l'œuvre. C'est dans ce sens que j'entends
« l'ouverture de l'œuvre».

Enfin, le fragment génère une sorte de mystère à l'œuvre. Elle devient
authentique par sa complexité fragmentaire. Le système fragmentaire engendre
un «[...] espace pour le moment vide [...] en attendant que nous fassions
paraître - par l'exercice du jugement de goût - quelques formes privilégiées de
la perception sensible. [...] »21. Comme le démontre ma recherche, je laisse les
tableaux se développer le plus simplement que possible (voir l'image 9 et 10).
Cela génère également un développement plus simple lors de l'élaboration de
l'installation. À la limite, mes toiles sont quasiment « dysfonctionnelles» si nous

20
     Ibid, p. 55
21
     Ibid, p.48

                                                                                17
les analysons indépendamment. La fragmentation suggère une approche de
groupe. C'est le regroupement des toiles qui donne le sens à mon travail.
Étrangement, je constate que le fragment donne le sens à l'ensemble et c'est
celui-ci qui, à son tour, donne du sens à l'existence même du fragment.

En somme, l'authenticité picturale, les facteurs picturaux et ma méthodologie
sont le portrait d'un travail qui évolue dans un processus évolutif et fragmentaire.
De ce cheminement en atelier surgit l'intérêt de l'espace exploité dans ma
peinture.

                                                                                 18
CHAPITRE 2
L'ESPACE PICTURAL

                    19
Comme le processus en atelier, l'espace pictural est une composante
importante dans mon cheminement en création. Afin de bien cerner mon
approche, j'ai élaboré trois volets qui lui sont spécifiques.

Le premier est l'espace interne qui se manifeste à même le tableau. Il s'agit ici
de l'espace traditionnel de la peinture, celui où la combinaison des deux
dimensions - la largeur et la hauteur - crée un espace ayant comme seule limite
la surface de l'objet, la toile. Ainsi, le canevas agit comme un écran où est
généré et articulé l'espace peint.

Ensuite, le deuxième volet exploré est l'agissement de l'espace externe. Celui-ci
se comprend mieux d'un point de vu où l'on tient compte du lieu et de la
disposition de la toile dans celui-ci. En fait, c'est la considération de l'espace
environnant de l'œuvre picturale, celui dans lequel elle prend place et interagit.
Cet aspect de ma démarche peut se traduire par l'intérêt à considérer ma
peinture d'un point de vue actuel car ce médium a un lourd bagage historique et
se doit de poursuivre son évolution dans une mise en contexte contemporaine
afin d'arriver à des découvertes novatrices.

Enfin, la troisième catégorie au sujet de l'espace pictural dans ma recherche est
celle qui se situe à la fois à un niveau interne et à un niveau externe. Autrement
dit, il s'agit de se pencher, du même coup, sur ce qui se produit à l'interne et à
l'externe d'une toile. C'est une analyse de la relation entre les deux espaces.

                                                                                  20
2.1 L'ESPACE INTERNE

         À priori, l'espace interne se veut comme celui qui est bidimensionnel, qui
est propre au tableau qui le génère en lui-même. Par rapport à l'histoire de l'art, il
s'agit probablement de l'espace pictural le plus commun puisqu'il a été
longtemps exploité en servant de fenêtre à l'imaginaire. On a longtemps
considéré la toile comme un contenant pouvant renfermer une projection d'idées
entre ses propres limites physiques : la toile montée sur le châssis de bois.

Bien que l'espace n'ait pas toujours été en premier plan d'analyse, puisqu'une
toile, par exemple, avait la fonction d'illustrer une scène religieuse, j'essaie de le
créer de façon différente dans mon travail. Lorsque je peins, je suis d'abord
fasciné par les multiples possibilités picturales, celles décrites précédemment dans
le chapitre concernant les facteurs picturaux. Ma peinture est quelque chose qui se
construit et qui s'articule en étapes. L'espace interne dans le tableau est celui qui
est bidimensionnel et qui est créé par la relation des couleurs, des gestes, des
matières et des formes.

De ce fait, lorsque nous observons un tableau de très près, il nous fait connaître sa
consistance physique, sa matière (voir image 122). Avec un recul suffisant, pour
voir l'ensemble, il nous fait maintenant connaître sa structure globale (voir image
2). Ainsi, le tableau nous présente son essence davantage conceptuelle, voire
intellectuelle. Nycole Paquin s'est particulièrement penchée sur le sujet et elle
nous illustre bien ce phénomène vécu par le spectateur qui observe une toile à
partir de ces différents points de vue:

       « Dans un espace serré entre position du corps regardant et de la
       plage « abstraite » du tout dernier plan qui bloque la profondeur,
       l'horizontalité du subjectile et de l'obliquité de la ligne qui détermine
       arbitrairement le sol et le mur de décor entrent en complicité avec les

22
     Évidemment, il faut être conscient que, dans ce cas-ci, même une représentation
     photographique n'arrive pas à bien rendre l'idée de la matière. L'idéal est de physiquement
     contempler le tableau.

                                                                                             21
torsions du composant principal, [...] amorçant ainsi chez le
        regardant un processus de lecture qui doit excéder les bornes
        actuelles et virtuelles du tableau. Le regardant assume l'inconfort des
        tiraillements entre la prégnance visuelle différée sur une dynamique
        pluri-di-rectionnelle (sic), la position verticale de son corps face à des
        formes qui semblent « revenir » en deçà de la scène interne et la
        narration des composants dont la doublure référentielle
        abstraction/réalisme corrobore l'incommodité. »23

Outre les effets causés par les différentes positions du corps face à l'espace
interne d'une toile, je me suis intéressé aux différentes possibilités de faire
cohabiter divers éléments picturaux ainsi que leurs effets. L'idée d'hétérogénéité
dans ma peinture me permet d'explorer et de mettre en relation des choses qui, à
première vue, peuvent paraître impossibles à faire coexister. En fait, c'est à ce
niveau que l'espace interne entre en ligne de compte. Puisque je joue avec les
facteurs picturaux et que je les confronte, ils ouvrent des espaces qui sont propres
à la peinture, l'authenticité picturale. Par exemple : une coulure de peinture crée
un espace véritablement pictural (voir l'image 2). L'effet du violet, à droite, coulant
à l'inverse de la logique accentue l'authenticité de la matière. Cela nous révèle
l'exclusivité de ce geste et de cette forme par rapport aux autres. C'est pourquoi la
variation des interventions, des formes et des couleurs crée littéralement des
espaces picturaux propres au monde bidimensionnel de mes tableaux.

Dans mon travail ce type d'espace peut agir à trois niveaux : de manière
figurative, de manière abstraite et finalement d'une façon ambiguë,             entre la
figuration et l'abstraction. Bien qu'un questionnement à propos de l'abstraction
ou de la figuration ne soit pas, en tant que tel, au cœur de mes recherches, j'ai
quand même constaté à quel point ces deux manières de peindre peuvent
comporter leurs propres particularités. Nycole Paquin introduit bien l'impact qu'a
un traitement pictural selon qu'il soit de nature abstraite ou de nature figurative:

23
     Nycole Paquin. Op. Cit., p.50

                                                                                       22
« À l'égard de l'art mimétique, la représentation ne jouerait qu'un rôle
         tout à fait externe au tableau, référant à la présence illusoire de
         composants nommables en dehors du champs pictural proprement
         dit. »24

En fait, il est intéressant de constater à quel point la peinture fonctionne en
opposition. En accord avec Nycole Paquin, si on fait de l'abstraction, cela rend le
sujet de la toile présent à l'intérieur même du tableau. Donc, la peinture abstraite
rend le sujet interne actif; il se présente au premier degré de la perception. C'est
alors la matière qui parle. Car il est important de se rappeler qu' « // n'y a pas de
« perte de réfèrent » en art abstrait, puisque même la forme la plus floue dans
ses contours engage une opération descriptive. »25 directement liée à la toile, la
surface physique devant nous. Tandis que lorsqu'on fait de la peinture figurative,
on tend à détacher le sujet du tableau. Le sujet n'est pas seulement dans
l'œuvre peinte, la matière, mais quelque part dans la pensée, la mémoire voire
même le concept. Seulement, ma peinture fonctionne étrangement avec les
deux, leurs limites. Créant une ambiguïté entre le figuratif et l'abstrait, à l'opposé
de l'abstraction qui prédominerait l'effet de la matière, je tente de traiter le
figuratif afin qu'il se serve de la matière pour altérer son effet (voir l'image 3 ou
les montagnes sont partiellement faites de coulures grises et bleues).

Mon travail à propos de l'espace interne joue davantage sur la dernière
possibilité que j'ai précédemment mentionnée : l'ambiguïté entre l'abstraction et
la figuration, soit : l'aspect spontané que me permet la peinture abstraite, et, du
côté figuratif : l'apparence construite et « contrôlée » (voir l'image 3). Ainsi, la
peinture demeure libre. Mon travail se veut comme une peinture ouverte dans sa
construction et sa perception. Cela est accentué par l'ambiguïté du traitement.

Enfin, je terminerai le présent sous-chapitre en abordant l'aspect spontané de
ma peinture abstraite. Exercice purement contemporain, la fragmentation de mon
travail se manifeste non seulement physiquement, mais conceptuellement. Je

24
     Ibid, p. 75
25
     Loc. Cit.

                                                                                    23
m'inspire parfois de l'histoire de l'art. Ainsi, une forte inspiration minimaliste et
moderniste des années cinquante ressort de mon travail. Que ce soit par les
couleurs, les formes, les gestuelles et les formats des toiles, la simplicité est
observable dans l'espace interne des œuvres (voir image 4). Autrement dit,
l'œuvre picturale n'a pas besoin d'être complexe afin d'être fonctionnelle. Cela
demeure très important lorsque j'entreprends un tableau. La règle d'or est qu'il
faut prendre des décisions conséquentes à l'évolution              du tableau en
construction. Les stratégies prises pour résoudre le tableau doivent être
authentiques par rapport à ma démarche illustrée dans le premier chapitre.
Matisse développe bien le fonctionnement de base à l'interne du tableau lors de
son élaboration, sorte d'harmonie nécessaire :

        « Peinture ou dessin, inclus dans un espace donné, doivent donc
        être en accord étroit avec le cadre, comme un concert de musique de
        chambre sera interprété différemment selon les dimensions de la
        pièce où il doit être entendu. »26

26
     Henri Matisse. Op. Cit., p. 196

                                                                                  24
2.2 L'ESPACE EXTERNE

       L'espace externe de la peinture est en fait celui qui l'englobe et qui
l'entoure, par exemple: l'environnement immédiat ou la salle d'exposition. Il est, à
mes yeux, tout aussi important que celui contenu dans la toile puisqu'ils sont les
deux en relation. Un agit sur l'autre et vis versa. Cela leur permet de se donner
mutuellement du sens.

La volonté d'explorer l'espace externe du tableau est similaire à celle de l'espace
interne. En fait, c'est pour les possibilités perceptives que peut m'offrir
l'expérience de jouer avec la toile dans l'espace. Par exemple: l'installation d'un
tableau dans l'architecture a ses propres balises. Le fait d'exposer un tableau,
ayant déjà son propre espace interne, son contenu bidimensionnel, dans un
espace physique peut jouer sur le sens de celui-ci. Les possibilités sont donc
infinies. Par exemple : la toile peut avoir un sujet conceptuel autre que celui de
l'espace où elle est, un tableau « fermé ». À l'inverse, cela rend l'espace externe
agissant, le sujet de la toile peut donc être en lien avec son environnement, le
lieu où elle est précisément installée.

Cela m'amène à aborder l'angle de la présentation du tableau. Dans mon travail,
souvent l'œuvre est physiquement présentée au sol. Non pas déposée à plat,
par terre, mais plutôt appuyée au mur de telle sorte que nous pourrions croire
que celle-ci n'est pas « encore » exposée, comme si l'installation de l'exposition
était encore en cours (voir image 5 et 6). Or, cela peut s'expliquer en se référant
à l'authenticité picturale, sorte de manière de rendre la toile autonome. C'est-à-
dire que j'entrevois le tableau comme un objet qui peut prendre place librement
dans notre environnement. Ainsi, il ne dépend donc plus du mur pour être
exposé. Prenons l'exemple d'une toile déposée au sol, elle n'aura forcément pas
le même rapport avec le spectateur et l'espace que celle traditionnellement
accrochée au mur.

                                                                                 25
« Comme toute autre classification de la systémique, l'analyse de
        l'angle de présentation de l'objet ne prévoit pas la production
        pragmatique de l'objet « transportable » et « déplaçable » en dehors
        d'une situation donnée, mais elle prévient contre toute position
        méthodologique qui viserait à bâcler le discours sur le tableau; elle se
        veut structurante, et non structurée a priori. »27

En accord avec la précédente citation, le fait de disposer mes tableaux de façon
non conventionnelle est justement pour les retirer de toute possibilité d'analyse
« standardisée ». Effectivement, l'idée principale est d'altérer la perception
même du tableau dans notre environnement, de le faire vivre en dehors de ses
propres limites physiques. « En un mot, les œuvres n'attendent pas, dressées
sur [...] piédestal, une quelconque bénédiction supplémentaire, mais existent
seulement en tant que « termes » d'un exercice du jugement [...] »28. C'est alors
une nouvelle façon de concevoir l'œuvre.

En introduisant précédemment           les limites physiques, une autre notion
importante, en ce qui a trait à l'espace externe, vaut l'importance d'être abordée:
le format. Effectivement, dans mon travail il y a plusieurs types de formats qui
peuvent être démontrés. D'abord, il y a le format pensé comme dimension
physique, la grandeur du châssis lui-même. Dans un second temps, le format
peut-être       réfléchi plus particulièrement à propos de la forme du tableau lui-
même.

En ce qui concerne la dimension du format de tableau en relation avec l'espace
externe, Nycole Paquin introduit bien l'important de cet enjeu :

        « Quelles que soient les dimensions du support, celui-ci non
        seulement « envahit » le champ du regardant, mais détermine en
        circonscrivant les périphéries du champ pictural intérieur en rapport
        avec l'extériorité du tableau. Il localise le corps en encourageant une
        vision appropriée à la concentration sur la surface peinte. En ce sens,
        les dimensions de l'objet constituent la marge déterminante de

27
     Nycole Paquin.Op. Cit., p.58
28
     Anne Cauquelin. Op. Cit., p.48

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