La manipulation de résultats sportifs - Une forme particulière de corruption - Jusletter

 
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Flavia Broglia

La manipulation de résultats sportifs
Une forme particulière de corruption

Les scandales à répétition de matchs truqués ont mis à mal, ces dernières
années, l’image et l’intégrité du sport. Ces manipulations, orchestrées prin-
cipalement par des réseaux mafieux, constituent de nouvelles formes de cri-
minalité et de blanchiment d’argent face auxquelles la Suisse peine à ri-
poster, ne disposant pas des outils législatifs adéquats. C’est désormais vers
l’introduction d’une infraction spécifique de fraude sportive que semblent se
diriger les autorités suisses, allant ainsi dans le sens de la future Convention
internationale du Conseil de l’Europe.

Catégories d’articles: Articles scientifiques
Domaines juridiques: Droit pénal; Sport

Proposition de citation: Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13
octobre 2014

ISSN 1424-7410 , http://jusletter.weblaw.ch, Weblaw AG, info@weblaw.ch, T +41 31 380 57 77
Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13 octobre 2014

Table des matières
I.   Introduction
II.  Aperçu de la problématique des manipulations de résultats dans les compétitions sportives
     1.    Non betting cases
     2.    Betting cases
III. Les systèmes de jeux d’argent
     1.    Les paris traditionnels
           1.1.      Les sociétés de loterie et paris
           1.2.      Les opérateurs privés
     2.    Les paris en ligne
IV. Recommandations internationales
     1.    Union européenne
     2.    Conseil de l’Europe
V. Situation actuelle en droit suisse
     1.    L’article 4a de la loi sur la concurrence déloyale
           1.1.      Le droit actuel
           1.2.      La révision du droit de la corruption
     2.    Dispositions du Code pénal
           2.1.      L’article 158 CP
           2.2.      L’article 146 CP
           2.3.      L’article 147 CP
     3.    La loi sur les loteries et les paris professionnels
           3.1.      Le droit actuel
           3.2.      L’avant-projet de loi sur les jeux d’argent
VI. Droit désirable
     1.    Nouvelle infraction spécifique de fraude sportive
     2.    Coopération et harmonisation internationale
VII. Conclusion

I.             Introduction
[Rz 1] Les scandales à répétition exposés dans la presse ces dernières années montrent bien
que le domaine du sport n’est pas épargné par le phénomène criminel, et plus particulière-
ment par la corruption1 . On la retrouve sous les aspects les plus divers, comme lors d’attribution
d’importantes fonctions au sein d’une fédération, de droits sur les évènements sportifs, de mani-
festations sportives ou encore dans la manipulation de résultats de compétitions sportives.
[Rz 2] Les compétitions arrangées peuvent être liées ou non aux paris sportifs, mais lorsqu’elles
le sont, le problème prend une ampleur mondiale, puisque la plupart des mises sont enregistrées
via des opérateurs de paris en ligne, souvent asiatiques, sur des rencontres sportives ayant lieu
n’importe où dans le monde2 . L’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) préci-
se que le trucage de matchs de football a déjà fait l’objet d’enquêtes dans plus de soixante pays au

1     A titre d’exemples : F. Hirzel, (30 novembre 2010), Trois hauts dignitaires de la FIFA épinglés, LeTemps ; E. Champel,
      p. Auclair, D. Courdier, T. Marchand, E. Frosio, F. Torchut, (29 janvier 2013), Mondial 2022: Le Qatargate, France
      Football ; O. Perrin, (5 février 2013), Et si le foot était complétement pourri ?, LeTemps ; T. Bühler, (20 juin 2013),
      FIFA : Sepp Blatter contre le pirate des caraïbes, L’Hebdo ;S. Peca, (3 juin 2014), Jeux de pouvoir et patriarches dominent
      la FIFA, LeTemps.
2     P. Boniface, S. Lacarriere, P. Verschuuren, Paris sportifs et corruption. Comment préserver l’intégrité du sport, IRIS,
      Paris 2012, p. 74ss ; voir aussi la conférence de presse donnée le 6 février 2013 par Europol https://www.europol.
      europa.eu/content/results-largest-football-match-fixing-investigation-europe(dernière consultation en août 2014).

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cours des deux dernières années3 .
[Rz 3] Fausser un résultat, y compris sur un aspect secondaire du jeu, revient tout d’abord à nier
les valeurs sportives, mais cela crée aussi un risque majeur pour l’image du sport en général.
Toutefois, la problématique ne se limite pas au domaine du sport, car il ressort de la plupart des
affaires que les manipulations de résultats sportifs représentent une nouvelle forme de crimina-
lité organisée et de blanchiment d’argent4 ; il est ainsi primordial d’apporter une réponse sur le
plan du droit pénal également.
[Rz 4] C’est dans ce cadre que s’inscrit la présente contribution ; nous nous proposons en effet
d’étudier les dispositions du droit pénal suisse éventuellement applicables à des cas de rencontres
sportives truquées, ainsi que l’opportunité d’introduire une nouvelle disposition spécifique en la
matière. Au préalable, une distinction sera faite entre les cas de manipulations qui sont liées
aux paris et celles qui ne le sont pas, avec à cet égard une présentation de la règlementation
en vigueur. Nous exposerons également les différentes avancées internationales au travers des
projets de règlementations de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.

II.           Aperçu de la problématique des manipulations de résultats dans les
              compétitions sportives
[Rz 5] Le Conseil de l’Europe définit l’expression manipulation des résultats sportifs comme « un
arrangement sur une modification irrégulière du déroulement ou du résultat d’une compétition sportive
ou d’un de ses événements en particulier (par exemple match, course, . . . ), afin d’obtenir un avantage
pour soi-même ou pour d’autres et de supprimer tout ou partie de l’incertitude normalement liée aux
résultats d’une compétition »5 .
[Rz 6] Les manipulations de rencontres peuvent être liées ou non aux paris sportifs, c’est ce que
l’on distinguera ci-dessous en parlant de betting cases ou de non betting cases en référence aux
formules employées par la Commission européenne dans une étude sur les matchs arrangés6 .

1.            Non betting cases
[Rz 7] Dans les cas que l’on nomme les non betting cases, l’enjeu sportif est le but principal de
la manipulation7 . La période de fin de saison est particulièrement à risque lorsque le match n’a
d’importance que pour l’un des deux adversaires. Bien qu’il s’agisse de buts sportifs, ceux-ci ont

3     http://www.interpol.int/fr/Criminalit%C3%A9/Corruption/Int%C3%A9grit%C3%A9-dans-le-sport(dernière con-
      sultation en août 2014).
4     Rapport du Conseil fédéral du 7 novembre 2012 sur la lutte contre la corruption et les matchs truqués dans le sport
      § 5.2.3 p. 49 et § 7.4.2.2 p. 68 (rapport en réponse au postulat 11.3754 déposé le 28 juin 2011 par la Commission de
      la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des Etats) (cité : rapport du CF du 7 novembre 2012 ; dernière
      consultation en octobre 2014) ; voir aussi le rapport de juillet 2009 du GAFI sur le blanchiment dans le milieu sportif
      Money Laundering through the Football Sector(dernière consultation en octobre 2014).
5     Recommandation CM/Rec(2011)10du Comité des Ministres aux Etats membres sur la promotion de l’intégrité du
      sport pour lutter contre la manipulation des résultats, notamment sur les matchs arrangés, adoptée le 28 septembre
      2011, p. 3.
6     Etude de la Commission européenne Match-fixing in sport: a mapping of criminal law provisions in EU 27datant de
      mars 2012, p. 10 (cité : Etude Match-fixing in sport).
7     Par exemple, la victoire lors d’une compétition, la qualification en ligue supérieure ou pour une certaine compétiti-
      on, la non relégation en ligue inférieure, la place au classement.

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des répercussions économiques plus ou moins grandes pour les clubs/sportifs. Eviter la relégation
ou se qualifier pour une certaine compétition a des conséquences financières évidentes, que ce soit
sous la forme de contrats de sponsoring, de droits de télévision, ou encore au niveau du volume
des ventes de la billetterie par exemple8 .

2.            Betting cases
[Rz 8] Les matchs truqués sont plus souvent liés au marché des paris qu’à un enjeu sportif, et
leur nombre a augmenté depuis quelques années en raison, notamment, de l’augmentation et de
la diversité de l’offre de paris sportifs en ligne.
[Rz 9] Dans le contexte des manipulations de résultats de compétitions sportives liées aux paris,
il convient tout d’abord de faire une distinction entre trois notions fondamentales. On parle de
paris légaux pour « l’ensemble des paris autorisés dans un domaine ou un pays particulier (par exemple
en vertu d’une licence établie par une autorité de surveillance) ». Les paris illégaux sont à l’inverse «
l’ensemble des paris non autorisés dans un domaine ou un pays particulier ». Et finalement, les paris
irréguliers sont caractérisés par « l’ensemble des paris pour lesquels les mises ou les événements faisant
l’objet du pari sont entachés d’irrégularité ou d’incohérence »9 .
[Rz 10] Si pour les non betting cases l’objet de la manipulation est le résultat final, il en va au-
trement pour les betting cases en raison de la variété des marchés proposés par les opérateurs.
L’objet de la manipulation peut alors être le résultat final ou intermédiaire, le nombre de buts
ou de points marqués, ou encore des faits de jeu spécifiques. Certaines offres de paris sont plus
à risques, comme celles sur des faits de jeu spécifiques10 car ceux-ci sont aisément falsifiables11 ,
sans pour autant se répercuter sur le cours et le résultat final de la compétition12 . Le live betting
peut également se révéler problématique : du moment qu’il permet de parier en temps réel sur la
rencontre, son contrôle est ainsi rendu plus compliqué, et les parieurs peuvent ajuster leur choix
suivant les variations des cotes du marché13 .

III.          Les systèmes de jeux d’argent
1.            Les paris traditionnels
[Rz 11] Nonobstant les différents modèles de régulation des jeux d’argent possibles, comme la
prohibition, les licences (délivrées à certaines conditions plus ou moins strictes) ou les monopoles
(qui peuvent être des monopoles d’Etat ou des monopoles d’opérateurs)14 , on trouve tradition-

8    Etude Match-fixing in sport, p. 10.
9    Rapport du CF du 7 novembre 2012, § 5.1.2 p. 46 ; recommandation CM/Rec(2011)10, p. 3.
10 Par exemple, le plus grand nombre de corners, le total des corners, le nombre de cartons rouges, la première mise en
     touche, le premier but marqué dans les 15 premières minutes.
11 On parle alors de spot fixinglorsqu’un fait de jeu est truqué.
12 P. Boniface, S. Lacarriere, P. Verschuuren, op. cit., p. 29.
13 Idempp. 122-123.
14 Etude de l’Institut suisse de droit comparé Study of gambling services in the internal market of the european uniondu
     14 juin 2006, § 3.1 pp. 14ss du résumé (disponible sur le site de la Commission européenne http://ec.europa.eu/
     internal_market/gambling/docs/study1_en.pdf) (dernière consultation en août 2014).

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nellement deux types d’opérateurs de paris : d’une part, les sociétés de loterie et paris qui sont
plus ou moins liées à l’Etat et, d’autre part, les opérateurs privés.

1.1.        Les sociétés de loterie et paris

[Rz 12] Les Etats européens ont établi un système de réglementation plus ou moins semblable
prévoyant une interdiction de principe des grandes loteries avec toutefois la possibilité d’octroyer
des autorisations à un organisateur unique. Celui-ci bénéficiera d’un monopole avec l’obligation
de reverser les bénéfices tirés des jeux en faveur de buts d’utilité publique ou de l’Etat directe-
ment15 .
[Rz 13] En Suisse, le domaine des paris est réglementé par la loi fédérale du 8 juin 1923 sur les
loteries et les paris professionnels (ci-après LLP)16 . L’offre, la négociation et la conclusion profes-
sionnelles de paris sont prohibées par l’article 33 LLP. Cependant, la possibilité de permettre la
négociation et la conclusion professionnelles de paris au totalisateur17 (uniquement !) est laissée
aux cantons18 . Les 26 cantons ont décidé de former la Conférence spécialisée des membres de
gouvernements concernés par la loi sur les loteries et le marché des loteries (CDCM) et d’adopter,
le 7 janvier 2005, la Convention intercantonale sur la surveillance, l’autorisation et la répartition
du bénéfice de loteries et paris exploités sur le plan intercantonal ou sur l’ensemble de la Suis-
se19 (ci-après CILCP), en contrepartie de quoi le Conseil fédéral a suspendu la révision de la LLP.
L’article 14 CILCP prévoit que les loteries et paris doivent être homologués par la Commission
des loteries et paris (ci-après Comlot). Aujourd’hui, seules deux grandes sociétés de loteries et
de paris sportifs, la Loterie Romande et Swisslos, sont autorisées à proposer des paris sur le ter-
ritoire suisse, lesquelles reversent leurs bénéfices nets aux cantons et à la société du Sport-Toto
pour qu’ils soient affectés à des buts d’utilité publique, notamment dans les domaines culturel,
social et sportif20 . Il s’agit donc d’une situation de monopole.
[Rz 14] Le 21 septembre 2010, l’Office fédéral de la justice (OFJ), par le biais du bureau d’évaluation
infras qu’il a mandaté, a rendu un rapport final d’évaluation des mesures prises par les cantons
dans le domaine des loteries et des paris. Bien que la CILCP ait réussi à combler les lacunes prin-
cipales de la LLP, les auteurs du rapport concluent qu’une révision législative dans le domaine est
incontournable, notamment afin de mieux appréhender les développements des jeux de hasard
en ligne21 . Le projet de révision a repris à la suite de l’acceptation le 11 mars 2012 par le peuple

15 L. Perréard, Monopole des loteries et paris en Suisse : état des lieux et perspectives, Cahier de l’IDHEAP 236,
   Chavannes-Lausanne 2008, p. 1 ; M. Diaconu, Le financement du sport par les paris sportifs: un essai de typologie,
   in : Jusletter 16 juillet 2012, Rz 14—17.
16 RS 935.51. Cette loi trouve sa source à l’article 106 de la Constitution fédérale (RS 101).
17 Dans ce système, les parieurs misent chacun la somme de leur choix sur l’issue de leur choix, le total des mises va
   dans une sorte de pot commun sur lequel le bookmaker prend une commission (proportionnelle au montant des
   mises placées). A la fin de l’évènement, les joueurs gagnants se partagent le total au prorata de leur mise initiale. La
   cote varie en permanence en fonction des mises des joueurs successifs. L’opérateur de paris ne prend aucun risque.
   C’est le système rendu célèbre par le PMU (Q. Toulemonde, Les paris sportifs en ligne : comprendre, jouer, gagner, Am-
   phora, Paris 2011, p. 63).
18 Article 34 LLP.
19 Entrée en vigueur le 1er juillet 2006.
20 Message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 relatif à l’initiative populaire « Pour des jeux d’argent au service du
   bien commun », FF 2010 7255p. 7283 § 3.2.1.
21 § 8 Résumé du rapport infras, Evaluation des mesures prises par les cantons dans le domaine des loteries et des
   paris, 21 septembre 2010 (dernière consultation en octobre 2014).

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et les cantons du contre-projet direct du Conseil fédéral à l’initiative populaire « Pour des jeux
d’argent au service du bien commun ». Le 30 avril 2014, le Conseil fédéral a mis en consultation
un avant-projet de loi sur les jeux d’argent et son rapport explicatif, regroupant la LLP et la loi
fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeux (LMJ)22 en une loi
unique.

1.2.          Les opérateurs privés

[Rz 15] Certains Etats, à l’exemple de Malte ou du Royaume-Uni, accordent à des opérateurs
privés le droit de proposer des paris sportifs sur leur territoire en leur délivrant, sous certaines
conditions, des licences23 .
[Rz 16] A l’inverse des sociétés de loteries, les opérateurs privés poursuivent davantage un résultat
économique. Comme ils ne sont pas tenus de reverser leurs bénéfices en faveur de buts d’utilité
publique, ils peuvent les destiner entièrement au développement de leurs activités et peuvent
ainsi se permettre d’offrir des cotes beaucoup plus alléchantes que celles proposées par les loteries
nationales24 . La lutte contre les paris irréguliers est également pour eux une priorité puisque leur
image et leur crédibilité risquent d’être mises à mal, ils souhaitent ainsi préserver leur activité
économique25 .

2.            Les paris en ligne
[Rz 17] Avec l’évolution des technologies de l’information, des offres de paris en ligne ont vu le
jour. Il est aujourd’hui possible de parier de chez soi sur des compétitions sportives se déroulant
sur un autre continent. On parle à cet égard d’une mondialisation du marché des paris via Inter-
net. Même si en Suisse il est possible de parier en toute légalité via les sites internet de la Loterie
Romande ou de Swisslos, les parieurs ont un accès complètement libre à de nombreux opérateurs
de paris en ligne proposant des offres beaucoup plus intéressantes et variées, et face auxquelles il
est de plus en plus difficile pour les loteries nationales de rester compétitives26 .
[Rz 18] Des systèmes de surveillance des paris en ligne avec des échelles d’alertes permettant de
repérer les fluctuations anormales sur le marché, en fonction notamment des cotes et du volume
des mises, ont vu le jour depuis quelques années déjà. Ils peuvent être utilisés en pré-match, en li-
ve ou a posteriori pour essayer de détecter et/ou de comprendre une fraude. Ces systèmes d’alerte
précoce ont été adoptés à la fois par les opérateurs de paris (privés ou publics) et par le mou-
vement sportif27 . On peut en trouver de trois sortes : les systèmes internes aux opérateurs, ceux

22 RS 935.52.
23 Livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur de la Commission européenne
     COM(2011)128final du 24 mars 2011, p. 17.
24 L. Perréard, op. cit., p. 53.
25 P. Boniface, S. Lacarriere, P. Verschuuren, op. cit.,p. 91.
26 L. Perréard, op. cit., p. 55. Il ne faut toutefois pas oublier que si les sociétés de loteries et de paris d’Etat sont
     délaissées au profit des opérateurs privés, c’est le système même du financement traditionnel du sport amateur qui
     sera menacé, d’où l’importance d’une réflexion sur les possibles évolutions du système actuel suisse et sur la lutte
     contre les paris illégaux.
27 P. Boniface, S. Lacarriere, P. Verschuuren, op. cit., pp. 124—125 ; rapport du CF du 7 novembre 2012, § 5.3.1.1. pp.
     52—53.

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communs à plusieurs opérateurs qui offrent un partage des informations permettant ainsi une
analyse comparative, et finalement ceux intégrés aux organisations sportives qui suivent leurs
compétitions respectives28 . Néanmoins, pour une lutte véritablement efficace contre les matchs
arrangés, il faudrait créer un système de surveillance commun unique et centralisé entre les di-
vers opérateurs de paris sportifs et partager cette information avec les organismes nationaux de
régulation, les organisations internationales telles qu’Interpol et le mouvement sportif29 .

IV.          Recommandations internationales
[Rz 19] Bien qu’il n’y ait pour l’heure aucune législation spécifique concernant les matchs ar-
rangés au niveau international, la question est d’actualité. Plusieurs initiatives, recommandations
et projets sont en effet à l’ordre du jour d’organismes internationaux. Dans cette partie de notre
contribution, il sera fait état de la situation dans l’Union européenne (ci-après UE) et au sein du
Conseil de l’Europe.

1.           Union européenne
[Rz 20] La lutte contre la manipulation de matchs est devenue depuis quelques années un enjeu
prioritaire dans différents domaines d’intervention de l’Union européenne (politique du sport,
surveillance des marchés des jeux d’argent, lutte contre la corruption).
[Rz 21] Au niveau de la politique du sport, le paragraphe 2 de l’article 165 du Traité sur le fonc-
tionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE) prévoit que « l’action de l’Union doit viser
à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les
compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport ». La lutte
contre les matchs truqués, qui sont contraires au principe de l’équité des compétions sportives,
relève donc de la compétence de l’Union européenne30 .
[Rz 22] En 2011, le Conseil de l’UE a adopté un plan de travail sur le sport pour les années 2011 à
2014 qui définit l’action des Etats membres et de la Commission afin de renforcer la coopération
européenne dans le domaine du sport. Le Conseil établit notamment comme priorité l’intégrité
du sport, en particulier la lutte contre le dopage et les matchs truqués et la promotion de la bonne
gouvernance ; il met en place à cet effet un groupe d’experts sur la « bonne gouvernance dans
le domaine du sport »31 . Le Conseil encourage par ailleurs une coopération étroite et l’échange
d’informations entre toutes les parties concernées pour une lutte efficace ainsi qu’à suivre les
travaux en cours au sein des différentes enceintes internationales32 .
[Rz 23] En mars 2012, l’étude Match-fixing in sport — A mapping criminal law provisions in EU 27

28 P. Boniface, S. Lacarriere, P. Verschuuren, op. cit., p. 126ss.
29 P. Boniface, S. Lacarriere, P. Verschuuren, op. cit.,pp. 136—137 et p. 148 ; J.-F. Vilotte, Préserver l’intégrité et la
     sincérité des compétitions sportives face au développement des paris sportifs en ligne,rapport à Madame Chantal Jouanno,
     ministre française des Sports, 17 mars 2011, § 111 et § 113.
30 Mais cette dernière ne peut prendre que des mesures d’encouragement et en aucun cas des mesures d’harmonisation
     de la législation des Etats membres (art. 165 § 4 TFUE) puisqu’elle ne dispose que de compétences d’appui dans le
     domaine du sport (art. 6 TFUE).
31 Plan de travail de l’Union européenne en faveur du sport pour 2011—2014, JO C 162 du 1 juin 2011.
32 Conclusions du Conseil de l’UE sur la lutte contre le trucage de matchs, JO C 378 du 23 décembre 2011.

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sur le cadre juridique applicable à la fraude dans le domaine du sport dans les Etats membres
est publiée par la Commission européenne. La situation juridique disparate des Etats membres
est mise en exergue33 . L’étude conclut que l’absence de bases légales cohérentes et comparables
dans les Etats membres peut rendre la coopération entre eux plus difficile et que l’existence d’un
délit sportif particulier, bien qu’il puisse avoir un effet dissuasif et faciliter la mobilisation des
ressources policières et judiciaires, ne mène pas nécessairement à plus de décisions judiciaires
ou à une diminution des cas suspects. Ce qui rend la lutte plus efficace est sans doute la volonté
politique et une forte implication de tous les intéressés, sans oublier les mesures éducatives et
de prévention auprès des athlètes, juges, arbitres et administrateurs sportifs34 . Dix recommanda-
tions sont dressées à l’intention de l’Union dans le but d’améliorer l’effectivité des dispositions
légales35 .
[Rz 24] Le Parlement européen a, quant à lui, adopté, le 14 mars 2013, une résolution dans laquel-
le il souhaite que des actions coordonnées entre les différents acteurs en jeu soient mises en place
et que la Commission européenne coopère avec les Etats tiers, tout particulièrement avec ceux
qui posent problèmes au niveau de la prise de paris (certains pays asiatiques notamment)36 .
[Rz 25] Quant à l’aspect de la corruption, l’article 83 §1 TFUE permet à l’UE d’adopter « des règles
minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de crimi-
nalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière ». Il s’agit précisément des do-
maines tels que la corruption, la criminalité informatique ou la criminalité organisée. Il est donc
imaginable que, via cette disposition, la lutte contre les atteintes à l’intégrité des compétitions
sportives puisse être harmonisée au niveau européen37 . C’est d’ailleurs une solution envisagée
par la Commission européenne dans sa communication sur la lutte contre la corruption dans
l’UE38 .
[Rz 26] Finalement, pour ce qui est des jeux et paris, il existe une réelle volonté de clarifier le
cadre règlementaire des jeux en ligne afin d’éviter la prolifération d’activités criminelles. Le Par-
lement européen, tout comme la Commission dans son livre vert, reconnaissent que le secteur
des jeux d’argent en ligne est en pleine expansion et qu’il comporte de nombreux risques en
matière de lutte contre la criminalité organisée et les matchs truqués en raison d’une règlemen-
tation disparate au sein des Etats membres de l’UE39 découlant du principe de subsidiarité40 . La

33 Certains Etats répriment les cas de manipulations de résultats sportifs par des infractions de droit commun (cor-
   ruption, escroquerie ou fraude aux jeux), d’autres par des délits sportifs particuliers, qui peuvent se trouver dans
   le Code pénal, dans une loi sur le sport ou encore dans une loi spécifique réprimant les infractions pénales dans le
   domaine du sport (Etude Match-fixing in sport, pp. 23—41).
34 Idem pp. 43-44.
35 Idem
36 Résolution du Parlement européen du 14 mars 2013 sur les matchs truqués et la corruption dans le sport
   P7_TA(2013)0098.
37 Etude Match-fixing in sport, p. 19 ; j.-f. Vilotte, op. cit., § 167.
38 Communication de la Commission européenne sur la lutte contre la corruption dans l’UE, COM(2011)308final du 06
   juin 2011, § 4.7 p. 16.
39 COM(2011)128final du 24 mars 2011 ; résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur les jeux d’argent
   et de hasard en ligne dans le marché intérieur P7_TA(2011)0492.
40 Selon ce principe, les Etats membres sont libres de régler le marché des jeux d’argent sur leur territoire, dans les
   limites du droit de l’Union, et notamment de l’article 56 TFUE qui garantit la libre prestation des services. Des re-
   strictions peuvent toutefois être admises pour des raisons impérieuses d’intérêt général et pour autant qu’elles soient
   proportionnées, non-discriminatoires, cohérentes et systématiques (COM(2011)128final du 24 mars 2011, pp. 11-
   12).

                                                             8
Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13 octobre 2014

Commission, dans une communication de 2012, énonce cinq priorités, dont la préservation de
l’intégrité du sport et la lutte contre le trucage de matchs41 . Le Parlement européen demande une
stricte réglementation, voire une interdiction de certaines offres de paris à risque comme le live
betting ou celles sur certains faits de jeux afin de réduire les risques de spot fixing. Il enjoint en ou-
tre la Commission à instaurer un système d’alerte européen pour les autorités de réglementation
des paris42 .

2.           Conseil de l’Europe
[Rz 27] Le Conseil de l’Europe a créé en 1999 le Groupe d’Etats contre la Corruption (ci-après
GRECO), une commission spéciale qui suit et encourage les Etats membres dans leur lutte con-
tre la corruption par le biais de rapports d’évaluation périodiques43 . Lors du troisième cycle
d’évaluation sur la Suisse portant sur les incriminations contenues dans la Convention pénale
et la transparence du financement des partis politiques, le GRECO concluait, dans son Rapport
d’Evaluation de 2011, que le droit pénal suisse de la corruption était bien développé et qu’il
répondait dans l’ensemble aux exigences de la Convention44 . Il adressait toutefois cinq recom-
mandations à mettre en œuvre jusqu’à la fin avril 2013, dont notamment celle de supprimer la
condition de la plainte pour la poursuite de la corruption dans le secteur privé. Le Conseil fédéral
a alors initié une révision du droit de la corruption. Dans le Rapport de Conformité du troisiè-
me cycle d’évaluation, publié le 21 novembre 2013, le GRECO salue le fait que la Suisse, pour
ce qui est des incriminations, ait pris en compte toutes les recommandations et se félicite de la
direction que prend le projet de révision du droit de la corruption, tout particulièrement la pour-
suite d’office de l’infraction de corruption privée et son introduction dans le Code pénal suisse
(ci-après CP)45 qui va permettre de clarifier son champ d’application, et ce notamment pour le
cas des organisations sportives46 .
[Rz 28] Quant à la question spécifique du sport, le Comité des Ministres47 du Conseil de l’Europe
a décidé en 2007 d’instituer l’Accord partiel élargi sur le sport48 (ci-après APES). L’APES a été
créé pour mettre en œuvre des activités de coopération intergouvernementale dans le domaine
du sport et il peut, dans ce cadre, élaborer des normes (politiques ou légales) afin de trouver des

41 Communication de la Commission européenne Vers un cadre européen global pour les jeux de hasard en ligne,
     COM(2012)596final du 23 octobre 2012. Elle annonce d’ailleurs qu’elle adoptera en 2014 une recommandation sur
     les bonnes pratiques dans le domaine de la prévention et de la lutte contre le trucage de matchs lié aux paris.
42 Résolution du Parlement européen du 10 septembre 2013 sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché
     intérieur P7_TA(2013)0348.
43 En ratifiant en 2006 la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption, la Suisse est devenue automati-
     quement membre du GRECO et doit dès lors obligatoirement se soumettre aux procédures d’évaluation et de confor-
     mité.
44 GRECO, Troisième cycle d’évaluation : Rapport d’Evaluation sur la Suisse — Incriminations, du 21 octobre 2011 § 93
     (dernière consultation en octobre 2014).
45 RS 311.0.
46 GRECO, Troisième cycle d’évaluation: Rapport de Conformité sur la Suisse — Incriminations et transparence du
     financement des partis politiques, du 18 octobre 2013 § 19.
47 Le Comité des Ministres, composé des ministres des Affaires étrangères de tous les Etats membres ou de leurs re-
     présentants permanents à Strasbourg, est l’instance de décision du Conseil de l’Europe (http://www.coe.int/t/cm/
     aboutcm_fr.asp) (dernière consultation en août 2014).
48 L’APES a d’abord été instauré pour une période initiale de trois ans (Résolution CM/Res(2007)8du 11 mai
     2007), à l’échéance de laquelle son établissement a été confirmé pour une durée indéterminée (Résolution
     CM/Res(2010)11du 13 octobre 2010).

                                                             9
Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13 octobre 2014

solutions adéquates aux problèmes qui se posent actuellement dans le sport au plan international.
Il permet des échanges, non seulement entre les autorités publiques de ses Etats membres, mais
aussi entre celles-ci et le mouvement sportif49 .
[Rz 29] Depuis 2008 déjà, à l’occasion de la 11ème Conférence du Conseil de l’Europe des Minis-
tres responsables du sport50 , les matchs arrangés, la corruption et les paris illégaux étaient perçus
comme les nouveaux défis à l’éthique sportive. Dans la résolution n°1 de la 18ème Conférence in-
formelle du Conseil de l’Europe des Ministres responsables du sport, qui s’est tenue à Bakou le
22 septembre 2010, il est reconnu que les matchs truqués constituent une réelle menace pour
l’intégrité du sport et qu’une coopération entre les autorités publiques, les opérateurs de paris et
les organisations sportives est devenue une absolue nécessité pour lutter contre ce phénomène.
En 201151 , le Comité des Ministres préconise aux Etats d’adopter une politique et des mesures
adéquates en suivant ses lignes directrices52 et demande également au secteur privé (organisa-
tions sportives et opérateurs de paris) de développer son niveau d’autorégulation. Une réflexion
sur la création d’un organe international permanent de lutte contre la manipulation des résultats
sportifs est encouragée. Le Comité des Ministres invite encore l’APES à étudier la faisabilité d’une
éventuelle convention internationale dans le domaine.
[Rz 30] Lors de la 12ème Conférence du Conseil de l’Europe des Ministres responsables du sport
en 201253 , les Ministres ont prié l’APES de commencer les travaux de la nouvelle convention
internationale contre la manipulation des résultats sportifs en impliquant tous les Etats membres
et observateurs de l’APES dans l’optique de développer un instrument qui pourrait être largement
ratifié, également par des Etats non européens et des Etats qui n’ont pas encore adhéré à l’APES54 .
Ceci en coopération avec l’Union européenne avec laquelle une résolution sur la coopération
entre les deux entités dans le domaine du sport a été décidée à cette même Conférence55 . La
convention a été ouverte à la signature lors de la 13ème Conférence du Conseil de l’Europe des
Ministres responsables du sport qui s’est tenue à Macolin le 18 septembre dernier. Quinze Etats
l’ont d’ores et déjà signée, dont la Suisse56 . Elle entrera en vigueur après sa ratification par cinq
Etats signataires, incluant au moins trois Etats membres du Conseil de l’Europe57 .

49 http://www.coe.int/t/dg4/epas/about/Factsheet_fr.asp(dernière consultation en août 2014).
50 11ème Conférence du Conseil de l’Europe des Ministres responsables du sport à Athènes du 10 au 12 décembre 2008.
51 Recommandation CM/Rec(2011)10du 28 septembre 2011.
52 Les lignes directrices prévoient notamment le fait pour les Etats de se doter de dispositions légales réprimant effi-
   cacement les cas de manipulations et qui puissent être des infractions potentiellement préalables au blanchiment
   d’argent, de prévoir éventuellement une responsabilité des personnes morales, et de s’assurer que les autorités de
   poursuite pénale aient les moyens d’investigation appropriés.
53 12ème
54 Résolution n°1.
55 Résolution n°2.1; voir aussi la recommandation de décision du Conseil de la Commission européenne
   COM(2012)655final du 13 novembre 2012.
56 Le Conseil fédéral devrait préparer un message d’ici la fin de l’année 2015.
57 http://www.vbs.admin.ch/internet/vbs/fr/home/documentation/news/news_detail.54509.nsb.html(dernière con-
   sultation en septembre 2014); Communiqué de presse DC108(2014) du 18 septembre 2014, Trucage de matchs : quin-
   ze pays ouvrent la voie à la mise en œuvre de la nouvelle Convention du Conseil de l’Europe, disponible sur le site internet
   du Conseil de l’Europe : http://hub.coe.int/fr/.

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V.            Situation actuelle en droit suisse
[Rz 31] A l’heure actuelle, en Suisse, il n’y a pas d’infraction spécifique réprimant les cas de ma-
nipulation de rencontres sportives. Cependant, plusieurs dispositions légales pourraient a priori
entrer en ligne de compte.

1.            L’article 4a de la loi sur la concurrence déloyale
1.1.          Le droit actuel

[Rz 32] Depuis le 1er juillet 200658 , la corruption active et passive privée est réprimée par l’article
4a de la loi sur la concurrence déloyale (ci-après LCD)59 . L’article 23 LCD prévoit comme sanc-
tion une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. Il s’agit d’un
délit poursuivi uniquement sur plainte. En raison de sa place systématique dans la LCD, le bien
juridique protégé est la loyauté dans les relations commerciales et la bonne foi dans les affaires60 .
Ainsi, selon l’article 2 LCD, tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui
contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre
concurrents ou entre fournisseurs et clients doit être qualifié de déloyal et illicite.
[Rz 33] Les éléments constitutifs objectifs de l’article 4a LCD sont les suivants :
  • les parties : la corruption privée implique une relation tripartite entre une tierce personne (le
    corrupteur) et un employé, associé, mandataire ou autre auxiliaire (l’agent ou le corrompu)
    d’un tiers du secteur privé (le principal)61 . Le corrupteur peut être n’importe qui, tandis que
    le corrompu ne peut être qu’un auxiliaire du principal qui soit lié à celui-ci par un devoir
    de fidélité62 . Toute personne physique ou morale ayant des auxiliaires peut jouer le rôle de
    principal. La corruption directe du concurrent lui-même ne tombe donc pas sous le coup de
    l’art. 4a LCD63 .
  • Le secteur privé : les secteurs privé et public sont complémentaires et une activité relève
    forcément de l’un de ces deux secteurs. Le secteur privé peut alors être défini négativement
    comme tout ce qui ne relève pas du secteur public, soit toutes les tâches qui ne sont pas
    dévolues à l’Etat64 .
  • Les comportements incriminés : sous sa forme active, la corruption privée consiste pour
    l’auteur à offrir, promettre ou octroyer un avantage indu au corrompu pour ce dernier ou en
    faveur d’un tiers. L’employé, associé, mandataire ou autre auxiliaire d’un tiers qui sollicite, se
    fait promettre ou accepte l’avantage indu adopte un comportement déloyal constitutif de cor-
    ruption privée passive. Par avantage indu, le législateur entend tout avantage matériel ou im-

58 Le volet passif a été introduit à la suite à l’adhésion de la Suisse à la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la
     corruption (RS 0.311.55), le volet actif était déjà prévu par l’ancien article 4 let. b LCD.
59 RS 241
60 N. Queloz, M. Borghi, M. L. Cesoni, Processus de corruption en Suisse, Vol I, Helbing & Lichtenhahn,
     Bâle/Genève/Munich 2000, p. 330 ; FF 2004 6549p. 6573.
61 N. Queloz, M. Borghi, M. L. Cesoni, op. cit., p. 351 ; rapport du CF du 7 novembre 2012, § 4.1.2.2 p. 33.
62 Le volet actif de la corruption privée est ainsi un délit commun, alors que son volet passif constitue un délit propre.
63 Message du Conseil fédéral du 10 novembre 2004 relatif à l’approbation et à la mise en œuvre de la Convention
     pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption, FF 2004 6549p. 6576.
64 D. R. Gfeller, Die Privatbestechung — Art. 4a UWG : Konzeption und Kontext, Helbing & Lichtenhahn, Bâle 2010, p.
     143 (cité : D. R. Gfeller, Die Privatbestechung) ; rapport du CF du 7 novembre 2012, § 4.1.2.3 p. 34.

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Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13 octobre 2014

    matériel auquel le corrompu n’a pas droit65 . Il s’agit de toute amélioration objectivement con-
    statable — juridique, économique ou personnelle — de la situation du bénéficiaire66 . L’article
    4a alinéa 2 LCD réserve les montants de faible valeur généralement admis et ceux convenus
    contractuellement.
  • La contre-prestation : l’idée d’obtenir l’avantage promis doit avoir un effet motivant, il doit
    ainsi exister entre l’avantage indu et la violation des devoirs ou l’usage du pouvoir d’appréciation
    par l’auxiliaire une relation de prestation à contre-prestation, ou rapport d’équivalence67 . On par-
    le alors de contrat de corruption68 . La preuve concrète du lien entre l’avantage et le compor-
    tement du corrompu n’est pas exigée, il suffit que les actes futurs soient déterminables de
    manière générique69 . Lorsque l’octroi de l’avantage indu intervient après la violation du de-
    voir, sans que cela n’ait été convenu préalablement, il manque alors le lien de causalité entre
    la prestation et la contre-prestation du contrat dit de corruption70 .
[Rz 34] L’action ou l’omission du corrompu doit également être en relation avec son activité pro-
fessionnelle ou commerciale. Peu importe à quel moment l’accord intervient, que ce soit durant les
heures de travail ou dans un contexte privé, l’élément déterminant est le contenu de l’accord :
il doit porter sur un acte qui a trait aux activités professionnelles ou commerciales de l’agent71 .
Si tel n’est pas le cas, le comportement est hors du cadre de l’art. 4a LCD. La notion d’activité
commerciale ou professionnelle est à comprendre dans un sens large afin d’y inclure les activités
professionnelles accessoires. Pour distinguer une activité professionnelle d’une activité non pro-
fessionnelle, plusieurs critères peuvent compter : la rémunération (si la fonction apparaît comme
étant honorifique dans la société civile, l’infraction de corruption privée ne devrait pas entrer
en ligne de compte), la nature de la fonction exercée, l’étendue des responsabilités endossées ou
l’importance et le fonctionnement de l’entité en cause72 .
[Rz 35] Finalement, le comportement du corrompu doit être contraire à ses devoirs ou dépendre de
son pouvoir d’appréciation. L’article 4a LCD réprime donc uniquement la corruption proprement
dite et non pas l’octroi ou l’acceptation d’avantages en vue de l’accomplissement des devoirs73 .
L’agent agit de manière contraire à ses devoirs lorsqu’il viole ses devoirs contractuels et, plus
généralement, l’obligation de fidélité qui lui incombe en raison du rapport de confiance le liant
au principal, lui impartissant d’agir uniquement dans l’intérêt des affaires du principal et non pas
dans son propre intérêt74 . La disposition vise aussi le cas où l’auxiliaire, sans violer expressément

65 FF 2004 6549p. 6576.
66 Message du Conseil fédéral du 19 avril 1999 relatif à la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire
   et l’adhésion de la Suisse à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transac-
   tions commerciales internationales, FF 1999 5045p. 5075 ; B. Corboz, Les infractions en droit suisse, Vol II, Stämpfli,
   Berne 2010, N 9 adart. 322ter (cité : B. Corboz II).
67 B. CorbozII, N 17 adart. 322ter.
68 Dupuis, Geller, Monnier, Moreillon, Piguet, Bettex, Stoll, Petit commentaire du CP, Helbing & Lichtenhahn, Bâle
   2012, N 19 adart. 322ter.
69 FF 1999 5045p. 5081.
70 D. R. Gfeller, Spielmanipulationen als Privatbestechung — Voraussetzungen und Folgen, in : Liber amicorum für Mar-
   cel Alexander Niggli, Helbing & Lichtenhahn, Bâle 2010, p. 123 (cité : D. R. Gfeller, Spielmanipulationen).
71 D. R. Gfeller, Die Privatbestechung, p. 192.
72 Rapport explicatif du 15 mai 2013 concernant la modification des dispositions pénales incriminant la corruption du
   code pénal et du code pénal militaire§ 1.2.1.2 p. 10.
73 Comportements pourtant réprimés lorsqu’ils concernent un agent public suisse. Cf. art. 322quinquies et 322sexies
   CP.
74 D. R. Gfeller, Die Privatbestechung, p. 199.

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Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13 octobre 2014

un devoir contractuel, exerce son pouvoir d’appréciation de manière biaisée75 .
[Rz 36] La corruption privée au sens de 4a LCD est une infraction intentionnelle. Le dol éventuel
suffit76 .
[Rz 37] Il convient alors de se demander si la LCD, plus précisément son article 4a, est applicable
aux manipulations de compétitions sportives. Diego r. Gfeller, dans sa contribution Spielmani-
pulationen als Privatbestechung — Voraussetzungen und Folgen, conclut à l’application de l’article
4a LCD au monde du football professionnel.
[Rz 38] Tout d’abord, les footballeurs professionnels sont bien dans une relation agent-principal
(ou employé-employeur) avec le club sportif puisqu’ils sont liés à leur club par un contrat de
travail au sens des articles 319ss du Code des obligations ( CO )77 . Il en va de même pour les
entraîneurs. Les arbitres de jeu ne peuvent en revanche pas être qualifiés de travailleurs puisqu’il
n’y a pas de lien de subordination entre eux et l’association de football, celle-ci n’ayant qu’un
pouvoir limité de donner des instructions, ils seront plutôt considérés comme mandataires ou
auxiliaires de l’association78 . Les joueurs, les entraîneurs tout comme les arbitres sont donc liés,
respectivement au club ou à l’association, par une obligation de fidélité et de diligence découlant
des différents rapports contractuels. Ainsi, un joueur qui se placerait volontairement en position
de hors-jeu ou qui offrirait une occasion de but à l’équipe adverse, un entraîneur qui posterait
volontairement des joueurs en mauvaise position sur le terrain, ou encore un arbitre qui ne sanc-
tionnerait pas un comportement non-conforme aux règles du jeu, violerait ses devoirs79 .
[Rz 39] Il faut encore se demander si le sport professionnel participe au jeu de la concurrence
économique au sens de la LCD. Les footballeurs professionnels perçoivent en général un salaire
fixe ainsi que des primes de matchs (dues au joueur qui a joué le match et dont le montant varie
en fonction du résultat) et des primes spéciales (dues lorsqu’il s’agit par exemple d’une partici-
pation à une Coupe, obtention d’un titre ou d’une promotion)80 . Lorsque l’issue d’une rencontre
est arrangée, il y aura forcément des répercussions sur les primes des joueurs et l’on peut alors
considérer que les manipulations ont un effet direct sur les rapports entre concurrents81 . La réfle-
xion est identique concernant les relations entre le club de football et ses sponsors, le sponsor
versant au sponsorisé en principe une somme fixe majorée en fonction des résultats82 . De plus,
dans un arrêt Piau T-193/02 du 26 janvier 2005, le tribunal de première instance des commun-
autés européennes précise que « les associations nationales [. . . ] regroupent des clubs pour lesquels
la pratique du football constitue une activité économique. Ces clubs de football sont par conséquent des
entreprises au sens de l’article 81 CE [remplacé par l’article 101 TFUE] et les associations nationales
qui les rassemblent des associations d’entreprises au sens de la même disposition (§ 69) ». Il ajoute que
« la circonstance que les associations nationales regroupent des clubs dits amateurs à côté des clubs dits
professionnels n’est pas susceptible de remettre en cause cette appréciation. A cet égard, il convient de
relever que la qualification unilatérale, par une association ou une fédération sportive, de sportifs ou de

75 FF 2004 6549p. 6577.
76 D. R. Gfeller, Spielmanipulationen, p. 203.
77 P. Zen-Ruffinen, Droit du sport, Schulthess, Zurich/Bâle/Genève 2002, N 521.
78 D. R. Gfeller, Spielmanipulationen, p. 124.
79 D. R. Gfeller, Spielmanipulationen, p. 126.
80 P. Zen-Ruffinen, op. cit., N 574.
81 D. R. Gfeller, Spielmanipulationen, p. 128.
82 D. R. Gfeller, Spielmanipulationen, p. 129 ; P. Zen-Ruffinen, op. cit., N 945-946.

                                                             13
Flavia Broglia, La manipulation de résultats sportifs, in : Jusletter 13 octobre 2014

clubs comme “amateurs” n’est pas par elle-même de nature à exclure que ceux-ci exercent des activités
économiques au sens de l’article 2 CE (§ 70) ».

1.2.        La révision du droit de la corruption

[Rz 40] Dans l’objectif de se conformer aux recommandations du GRECO83 et de répondre aux
nombreuses critiques, estimant les dispositions luttant contre la corruption privée déficientes,
tant en raison de leur place systématique dans la LCD que de l’exigence du dépôt d’une plainte,
le Conseil fédéral a chargé, le 8 juin 2012, le Département fédéral de justice et police (ci-après
DFJP) d’élaborer un avant-projet de révision du droit suisse de la corruption, accompagné d’un
rapport explicatif. L’avant-projet a été mis en consultation du 15 mai au 5 septembre 2013. Le 30
avril 2014, le Conseil fédéral a approuvé un message sur la modification du Code pénal visant à
renforcer la lutte contre la corruption.
[Rz 41] Dans son message, le Conseil fédéral propose de faire de la corruption privée un délit
poursuivi d’office en supprimant la condition de la plainte, ainsi que de renoncer au lien entre
corruption privée et concurrence déloyale en déplaçant l’infraction au titre 19 du Code pénal.
Il a en effet estimé que ces deux éléments constituent des obstacles considérables à la poursui-
te pénale. Les parties préféreraient s’arranger à l’amiable et éviter ainsi toute publicité négative
qu’engendrerait l’ouverture d’une procédure pénale pour corruption. Il s’agit en outre d’une in-
fraction trop grave pour laisser le poids de la mise en œuvre de la poursuite à un particulier, il y
a un intérêt public prépondérant à réprimer la corruption privée puisqu’elle concerne l’ensemble
de la société84 . L’on peut toutefois légitimement se demander si la suppression de la condition
de la plainte changera réellement quelque chose en pratique puisque, comme le mentionne le
Conseil fédéral dans son message de 2004, « il faut constater que ces infractions ne peuvent être
poursuivies qu’après dénonciation et avec la collaboration du lésé ou d’une personne intéressée. Il est
improbable qu’un fait de corruption privée parvienne à la connaissance des autorités de poursuite pénale
sans la collaboration des personnes privées directement touchées »85 .
[Rz 42] En constituant la corruption privée en infraction autonome dans le Code pénal, l’état de
fait ne sera plus dépendant de la notion de concurrence déloyale et ainsi la question controversée
de savoir si les fédérations sportives internationales tombent sous le coup de la LCD n’aura plus
lieu d’être. Il est toutefois regrettable que le projet n’ait pas été pensé davantage dans une vision
globale du secteur privé, mais dominé essentiellement par le scandale de l’attribution des Coupes
du Monde 2018-2022 de la FIFA puisque cette dernière a déjà été obligée d’entamer des réformes
à la suite de la levée de boucliers provoquée, notamment, par la publication le 17 octobre 2010
de l’enquête de journalistes du Sunday Times86 .
[Rz 43] La formulation des nouveaux articles 322octies et 322novies P-CP est quasiment identique
à celle de l’article 4a LCD puisque l’on a renoncé à supprimer la restriction de l’infraction aux

83 GRECO, Troisième cycle d’évaluation : Rapport d’Evaluation sur la Suisse — Incriminations, du 21 octobre 2011 §
   94.
84 Message du Conseil fédéral du 30 avril 2014 concernant la modification des dispositions pénales incriminant la cor-
   ruption du code pénal, FF 2014 3433pp. 7—8 § 1.2.1.1.
85 FF 2004 6549p. 6574.
86 j. calvert, c. newell, s. krause, c. schoon, (17 octobre 2010), Foul play threatens England’s Cup bid; Nations spend vast
   amounts in an attempt to be named World Cup host but as insight finds, $ 800’000 offered to a Fifa official can be far more
   effective, Sunday Times.

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