La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l'épreuve des discours critiques internationaux : le cas de Hochelaga à Montréal Planned ...

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Lien social et Politiques

La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve
des discours critiques internationaux : le cas de Hochelaga à
Montréal
Planned Social Mix in Residential Areas in the Face of
International Criticism: The Case of Hochelaga in Montreal
Annick Germain et Damaris Rose

Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux                      Résumé de l'article
Numéro 63, printemps 2010                                                    Le discours sur la mixité sociale programmée en milieu résidentiel a refait
                                                                             surface, notamment dans les programmes de revitalisation de quartiers
URI : https://id.erudit.org/iderudit/044146ar                                anciens à forte concentration de pauvreté. En se basant sur une étude des
DOI : https://doi.org/10.7202/044146ar                                       discours des divers intervenants ayant contribué à la réalisation du projet
                                                                             Lavo dans le quartier Hochelaga à Montréal, dans le cadre d’une recherche
                                                                             comparative internationale sur les discours sur la mixité sociale, les multiples
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                                                                             significations de la mixité sociale sont explorées plus particulièrement à
                                                                             Montréal. Compromis immobilier pragmatique typique d’un contexte de
                                                                             gouvernance néolibérale, reposant de plus en plus sur les acteurs
Éditeur(s)                                                                   communautaires et privés, la mixité sociale induite par une petite dose de
                                                                             gentrification fait partie d’une lutte contre la ghettoïsation mais est rarement
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                                                                             présentée, à la différence de ce qui se dit ailleurs, comme une opportunité pour
                                                                             consolider la cohésion sociale.
ISSN
1204-3206 (imprimé)
1703-9665 (numérique)

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Citer cet article
Germain, A. & Rose, D. (2010). La mixité sociale programmée en milieu
résidentiel à l’épreuve des discours critiques internationaux : le cas de
Hochelaga à Montréal. Lien social et Politiques, (63), 15–26.
https://doi.org/10.7202/044146ar

Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2010                      Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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                                                                            Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
                                                                            Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
                                                                            l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                            Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                            https://www.erudit.org/fr/
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        La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à
        l’épreuve des discours critiques internationaux :
        le cas de Hochelaga à Montréal

        Annick Germain et Damaris Rose

           Peut-on encore aujourd’hui                              moyennes, par un meilleur climat             rons plus particulièrement ici sur
        programmer des opérations de                               démocratique, une amélioration               les contextes de revitalisation
        mixité sociale sans être cynique                           des services de proximité, voire             urbaine. Ces contextes diffèrent
        ou… naïf ? Est-il encore possible
                     †                                             une pédagogie de la diversité                en effet de ceux des années 1970
        de faire fi des critiques qui ont cir-                     (Sarkissian, 1976) ? N’est-elle pas
                                                                                     †                          et 1980 où la mixité sociale était
        culé depuis plusieurs années dans                          en définitive contre-nature en fai-          pensée, du moins dans le contexte
        les cercles académiques et ont été                         sant fi des mérites de l’entre-soi           canadien, dans des opérations de
        diffusées dans les milieux de la                           (Genestier dans Béhar et al., 2004 :    †
                                                                                                                redéveloppement de vastes fri-
        décision et de l’intervention (Dan-                        123-124) et des distances minimales          ches industrielles à des fins
        sereau et al., 2002 ; Tunstall et†
                                                                   qui conditionnent les échanges               d’aménagement de nouveaux
        Fenton, 2006) ou dans le sillage                           entre catégories sociales contras-           quartiers résidentiels (Harris,
        des mouvements sociaux, et ce, de                          tées (Chamboredon et Lemaire,                1993). Aujourd’hui, l’intervention
        part et d’autre de l’Atlantique                            1970 ; Gans, 1961) ? Peut-elle en
                                                                       †                 †
                                                                                                                porte davantage sur des quartiers
        (Fraser et Kick, 2007 ; Lees, 2008) ?
                                         †                 †
                                                                   fin de compte encore incarner les            existants ou alors sur des
        La mixité sociale peut-elle être                           principes de justice sociale et              ensembles de logements sociaux
        autre chose qu’une idéologie néo-                          d’équité des politiques urbaines             qu’il s’agit de remodeler. À pro-
        libérale au service des classes                            contemporaines (Ascher, 2008) ?     †
                                                                                                                pos de ce deuxième cas de figure,
        moyennes, surtout dans les con-                                                                         notons tout de suite qu’à la diffé-
        textes de revitalisation des quar-                            Avant de déclarer forfait et de           rence de la France, le Québec est
        tiers où elle favorise et rend                             substituer aux politiques de mixité          engagé dans une véritable opéra-
        socialement acceptable la gentrifi-                        sociale des politiques d’accessibi-          tion de réhabilitation du loge-
        cation (Kipfer et Petrunia, 2009 ;                     †   lité et de mobilité (Donzelot,               ment social public (HLM), plutôt
        Slater, 2006) ? A-t-elle la moindre
                             †                                     2006), il n’est pas superflu de              que de rénovation. Et les tenta-
        vertu pour améliorer le sort des                           regarder les nouvelles formes                tives pour introduire un minimum
        catégories défavorisées, que ce                            prises par les opérations de mixité          de mixité sociale en modifiant
        soit par « l’exemple » que pour-
                         †                   †                     sociale, ainsi que les discours qui          très légèrement les critères d’at-
        raient leur donner les classes                             les orientent. Nous nous attarde-            tribution (Germain et Leloup, à

        Lien social et Politiques, 63, Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux. Printemps 2010, pages 15 à 26.
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES, 63                nant environ 200 logements privés        et Montréal, sur les discours des
                                                             et sociaux.                              acteurs locaux concernant la signi-
            La mixité sociale programmée en milieu
            résidentiel à l’épreuve des discours critiques                                            fication et les effets attribués à la
                                                                Dans le présent article, nous
            internationaux : le cas de Hochelaga à                                                    mixité sociale, à l’occasion d’opé-
            Montréal                                         nous intéresserons moins au pro-
                                                                                                      rations récentes de revitalisation
                                                             jet urbain en tant que tel qu’aux
                                                                                                      dans trois quartiers (La Goutte
                                                             discours des divers intervenants
                                                                                                      d’Or, Easton et Hochelaga)1.
                                                             engagés dans sa réalisation. Ce
                                                             projet, encore modeste, est d’ores          Après avoir brièvement rap-
                                                             et déjà en train de marquer un           pelé l’histoire du concept de
                                                             tournant dans l’histoire du quar-        mixité sociale et son évolution
                                                             tier, et plus largement dans les         récente dans le discours des inter-
                                                             politiques urbaines montréalaises.       venants en Angleterre, en France
    16
                                                             Comment en est-on arrivé là, alors       et au Canada, et avoir décrit le
                                                             que le contexte réunissait à la fois     déclin du quartier Hochelaga qui
            paraître), n’ont pas grand-chose à               des acteurs publics bien au fait de      a amené les acteurs à entre-
            voir avec les transformations                    l’évolution des idées et des cri-        prendre un programme de revita-
            significatives du tissu social                   tiques en matière de mixité              lisation, nous retracerons, au
            engendrées par les opérations                    sociale, et des acteurs sociaux très     moyen d’une recherche par entre-
            françaises de démolition-recons-                 engagés et avertis des effets per-       tiens semi-directifs, l’histoire de la
            truction impliquant la relocalisa-               vers de la mixité sociale et de la       mobilisation qui a mené au projet
            tion d’une proportion importante                 gentrification pour leurs clien-         Lavo. Nous insisterons particuliè-
            des anciens résidants au profit                  tèles ? Nous montrerons que le
                                                                  †
                                                                                                      rement sur les discours des
            d’une clientèle plus « mixte »          †   †    Québec (et le raisonnement vaut          acteurs-clés de cette opération de
            (Lelévrier, 2005). Ce n’est cepen-               aussi pour le Canada) et Montréal        revitalisation résidentielle et sur
            dant pas ce type de situation sur                en particulier, possèdent une            la place qu’y occupe la mixité
            lequel nous souhaiterions revenir                longue tradition de pragmatisme          sociale.
            dans les pages qui suivent, mais                 dans la planification des opéra-
            sur le premier cas de figure, plus               tions de mixité sociale program-         La mixité sociale :
            directement présenté du point de                 mée ou non, et que s’est bâtie une       un vieux concept pour des
            vue de la revitalisation urbaine de              culture réflexive en matière de          enjeux nouveaux
            quartiers anciens à forte concen-                politique sociale urbaine, alimen-
            tration de pauvreté.                             tée tant par des recherches locales         La mixité sociale fut d’abord
                                                             que par les connaissances des            une utopie née en Angleterre
               Le secteur Lavo dans le quar-                 expériences d’autres villes et par       dans le sillage de la Révolution
            tier Hochelaga à Montréal est une                la circulation internationale des        industrielle avant de ressurgir
            expérience récente de revitalisa-                idées. Cette culture est jusqu’à un      périodiquement à la faveur de
            tion d’un milieu résidentiel                     certain point partagée par une           nouveaux paradigmes en aména-
            dégradé, où, pour reprendre le                   diversité d’acteurs, tant publics        gement urbain tout au long du
            mot d’un élu municipal, on a res-                que sociocommunautaires, et a            XXe siècle tant en Europe qu’en
            pecté « la règle d’or de la mixité
                           †
                                                             « inspiré » la construction de com-
                                                              †       †                               Amérique du Nord et de faire
            sociale » (Gagnon, 2009). Ce pro-
                       †
                                                             promis ou du moins l’a facilitée.        l’objet de nombreux débats tant
            jet entrepris en 2000 et complété                Nous situerons également l’expé-         parmi les chercheurs que dans les
            en 2006, mené par la Ville de                    rience montréalaise par rapport          milieux de l’action publique (voir
            Montréal de concert avec plu-                    au discours sur la mixité sociale        introduction). Au Canada, l’his-
            sieurs acteurs des secteurs com-                 mis en avant en France et en             toire de la mixité sociale est à la
            munautaire et privé, consistait à                Angleterre. Notre propos s’appuie        fois indissociable de la prédomi-
            relocaliser une ancienne usine                   sur une recherche comparative            nance de la propriété d’occupa-
            polluante afin d’y réaliser un pro-              internationale effectuée en 2006-        tion dans le parc résidentiel (66 %†

            jet résidentiel « mixte » compre-
                                        †       †            2008 dans trois villes, Paris, Bristol   au Canada, 53 % dans le Grand
                                                                                                                      †
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        Montréal), de la portion congrue       sur d’anciens terrains industriels      l’éventail social somme toute
        réservée au logement social vu         dont le projet des Shops Angus, la      limité des ménages habitant sur
        comme une alternative de dernier       mixité sociale apparaît comme le        ce site (Dansereau, Germain et
        recours (autour de 6 % des †           résultat de négociations entre une      Eveillard, 1997). Le désengage-
        ménages), et d’un secteur locatif      diversité d’acteurs parmi lesquels      ment subséquent des différents
        en voie de résidualisation. Les        le mouvement sociocommunau-             paliers de gouvernement rendra
        interventions en faveur de la          taire joue un rôle clé (Germain,        toutefois difficile la répétition de
        mixité sociale dans les quartiers      Rose et Twigge-Molecey, 2010).          ce genre de projet basé en partie
        pauvres passeront donc principa-                                               sur le leadership des pouvoirs
                                                  Rappelons en quelques mots
        lement par une augmentation du                                                 publics. Mais il alimentera néan-
                                               l’histoire de ce projet-phare que
        parc en propriété d’occupation.                                                moins les débats subséquents,
                                               sont les « Shops Angus ». Lancé
                                                          †              †

        Le système d’habitation est aussi                                              notamment sous forme d’exper-
                                               vers la fin des années 1970 par un
        marqué par un contexte institu-                                                tises commandées par les acteurs       17
                                               promoteur immobilier pour déve-
        tionnel particulier reposant à la                                              publics (Dansereau et al., 2002) ou
                                               lopper du commerce et de l’habi-
        fois sur un État fédéral régissant                                             lors de séances de consultation
                                               tat sur le terrain désaffecté des
        l’articulation des compétences                                                 publique (Montréal [Ville], 2004)
                                               ateliers Angus2, le projet ne com-
        entre trois niveaux de gouverne-                                               ou de sessions de formation auprès
                                               prend au départ aucune compo-
        ment et sur des contextes locaux                                               d’intervenants communautaires.
                                               sante de mixité sociale. Au final, il
        marqués par la société civile          aura perdu toutefois sa compo-             À l’aube des années 2000, le
        (Harris, 1993). C’est tout particu-    sante de mixité fonctionnelle (le       discours sur la mixité sociale
        lièrement le cas au Québec où          développement commercial ayant          s’inscrit dans une conjoncture
        l’action communautaire est omni-       été fortement critiqué) et affi-        particulière. Il devient de plus en
        présente dans les expériences de       chera une diversité de modes            plus associé aux débats sur les
        mixité sociale programmées. Le         d’occupation (coopératives, orga-       présumés « effets de quartier »
                                                                                                    †                    †

        concept a cependant fait moins         nismes à but non lucratif [OBNL],       (induits, plus particulièrement
        qu’ailleurs l’objet de politiques      condos, etc.), diversité utilisée       dans la littérature étasunienne,
        volontaristes ou de discours mobi-     depuis comme étalon de réfé-            par le fait d’être pauvre et de
        lisateurs formulés dans une pers-      rence, notamment dans le projet         vivre, pendant une longue période,
        pective de cohésion sociale à          des Ateliers municipaux Rose-           dans un quartier à forte concen-
        l’échelle sociétale. À Montréal, les   mont ou dans celui de Benny             tration de pauvreté), bien que la
        projets exemplaires qui jalonnent      Farm (Riel-Salvatore, 2006). C’est      documentation scientifique sur
        l’histoire de la mixité sociale sont   qu’il fera l’objet d’une forte          l’importance des effets de quar-
        moins le résultat d’une volonté        mobilisation des milieux commu-         tier soit restée très peu con-
        délibérée de mélanger des catégo-      nautaires et des partis politiques      cluante (voir, inter alia, Musterd
        ries sociales au nom de principes      pour inclure une proportion             et Andersson, 2005). Qu’en est-il
        d’équité ou de progrès social, que     significative (40 %) de logement
                                                                †
                                                                                       ailleurs, notamment en France et
        d’un bricolage sociopolitique à        social (300 logements en HLM,           au Royaume-Uni ?  †

        l’échelle d’ensembles résidentiels     552 en coopératives, 200 en
        de taille modeste, bricolage qui       OBNL). Une étude post-occupa-           La mixité sociale dans les
        porte souvent avant tout sur des       tionnelle conclura au relatif suc-      politiques urbaines britanniques
        modes d’occupation (modes de           cès de l’opération sur le plan de       et françaises récentes
        propriété ou de location) plus que     la cohabitation sociale, grâce
        sur des catégories sociales propre-    notamment à l’aménagement de               Au Royaume-Uni, après les
        ment dites. Qu’il s’agisse des         nombreux espaces semi-publics           années Thatcher marquées entre
        coopératives d’habitation qui          faisant office de tampon entre les      autres par la privatisation par-
        seront appelées à remplacer dans       différents îlots occupés chacun         tielle du logement social public
        les années 1970 le logement social     par des clientèles de statut socio-     due à des politiques d’accession à
        public de type HLM, ou du déve-        économique différents et appro-         la propriété pour les locataires,
        loppement de nouveaux quartiers        priés par celles-ci, ainsi qu’à         politique qui a eu l’effet pervers
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES, 63                consultative sur l’habitat et de        matière d’habitation connaît de
                                                             rapports sur les « communautés
                                                                                        †            façon générale des évolutions
            La mixité sociale programmée en milieu
            résidentiel à l’épreuve des discours critiques   viables ». On y pose la question de
                                                                    †                                importantes (accent mis sur l’ac-
            internationaux : le cas de Hochelaga à           la mixité sociale à une échelle plus    cession à la propriété, aide à la
            Montréal                                         vaste, car on reconnaît l’exclusion     personne plutôt qu’aide à la
                                                             croissante des populations défa-        pierre, ouverture du marché du
                                                             vorisées de tous les développe-         logement social à des partenaires
                                                             ments résidentiels récents pour         privés), tout comme la Politique
                                                             classes moyennes. Il faut alors         de la Ville toujours centrée sur les
                                                             promouvoir l’idée de logement           quartiers difficiles, mais avec une
                                                             « abordable » auprès des dévelop-
                                                              †                 †
                                                                                                     diminution des ressources publi-
                                                             peurs privés, par une directive de      ques pour soutenir la promotion
    18                                                       portée nationale mais appliquée         sociale des individus les plus défa-
                                                             localement. La « viabilité des com-
                                                                                    †
                                                                                                     vorisés. Ainsi depuis 2003 voit-on
                                                             munautés » passerait aussi par le
                                                                            †
                                                                                                     un recentrage sur la rénovation
            d’accroître les disparités socio-
                                                             maintien ou l’accroissement de la       urbaine et une recentralisation
            spatiales, le gouvernement néo-
                                                             présence de classes moyennes            des financements avec la création
            travailliste reprend en partie le
                                                             dans les quartiers défavorisés.         de l’Agence nationale de rénova-
            discours américain de l’exclusion
                                                             Ainsi dans le cas du quartier           tion urbaine. On ne parlera pas ici
            sociale et se penche sur le rééqui-
                                                             Easton à Bristol3, les enjeux de        de l’objectif de démolition de
            librage social des quartiers et
                                                             mixité tournent-ils beaucoup            logements sociaux, si ce n’est pour
            ensembles résidentiels les plus
                                                             autour de la revitalisation d’une       souligner l’importance prise par le
            défavorisés. En 2001, la National
                                                             rue commerçante locale où une           remodelage du tissu urbain, de sa
            Strategy for Neighbourhood Rene-
                                                             démarche de gentrification com-         texture sociale et de l’image des
            wal, avec comme slogan « Per-
                                                             merciale (voir à ce sujet Bridge et
                                                      †

            sonne ne devrait être désavantagé                                                        quartiers dans cette entreprise de
                                                             Dowling, 2001) est portée par           rééquilibrage social (Donzelot,
            en fonction de son lieu de rési-
                                                             l’entrepreneuriat ethnique local,       2006 ; Lelévrier, 2005). Il est plus
            dence » appuie des initiatives                                                               †

                                                             ainsi qu’autour du contrôle des
                      †

            locales pour améliorer le sort des                                                       pertinent pour notre propos de
                                                             « comportements antisociaux » au
                                                              †                                 †

                                                                                                     regarder la philosophie d’inter-
            habitants des secteurs les plus
                                                             moyen d’une surveillance accrue         vention dans les quartiers cen-
            défavorisés. Mais on insiste aussi
                                                             et de projets portés par le milieu      traux inclus dans la géographie
            sur le besoin de stabiliser (voire
                                                             communautaire (Manzi, 2010),            prioritaire, comme le quartier
            normaliser ?) ces quartiers en dif-
                                                             sans compter la promotion d’une
                               †

            ficulté par des interventions sur le                                                     pauvre et multiethnique de la
                                                             image de quartier axée sur sa           Goutte d’Or (Paris) où une admi-
            cadre de vie, pour empêcher
                                                             « viabilité » tant sociale qu’envi-
                                                                                                     nistration de gauche a adapté la
                                                              †         †

            l’exode des habitants de classe
                                                             ronnementale.
            moyenne. Cette politique natio-                                                          politique nationale aux contextes
            nale fait donc appel à une pano-                    L’approche française est moins       parisien et local particuliers
            plie d’acteurs régionaux et locaux,              décentralisée. Elle plonge ses          (Bacqué et Fijalkow, 2006). Pour
            dont le secteur municipal, le sec-               racines dans la Politique de la Ville   éviter la « ghettoïsation » tout en
                                                                                                                †             †

            teur communautaire et le secteur                 qui, depuis le tournant des années      faisant de ce quartier un endroit
            privé, regroupés en partenariats                 1980, dessine une géographie prio-      attirant pour les couches moyennes
            divers. En 2005, la Mixed Com-                   ritaire dans une perspective de         parisiennes coincées par un mar-
            munities Initiative, fortement                   justice sociale redistributive. À       ché immobilier de plus en plus
            influencée par les expériences                   partir de 1990, des lois affirment le   inaccessible, on cherche à diversi-
            américaines de dispersion de la                  droit au logement, puis le droit à      fier les modes d’occupation, à
            pauvreté (HOPE VI et Moving to                   la ville et l’on tente d’imposer aux    accueillir des classes moyennes
            Opportunity) et le discours sur                  villes un quota de 20 % de loge-
                                                                                            †        dans le logement social et à chan-
            les effets de quartier, intègre les              ments sociaux (Lelévrier, 2005).        ger la dynamique du tissu com-
            recommandations d’une politique                  Mais la politique nationale en          mercial en le dé-ethnicisant. On
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        favorise aussi l’émergence de nou-        clusion sociale pour contrer la          [Ville], 2002). Bref, un quartier
        velles dynamiques associatives            polarisation entre les riches ban-       « sinistré » et fortement stigmatisé
                                                                                            †       †

        portées par les nouveaux habi-            lieues et les vieux quartiers en         dans les médias locaux. Mais en
        tants de classe moyenne pour              déclin (Canada. Comité consulta-         même temps, comme c’est souvent
        changer les modes de socialité,           tif externe sur les villes et les col-   le cas à Montréal, la défavorisa-
        notamment dans les espaces                lectivités, 2006).                       tion en quartier populaire devient
        publics. Bref, promouvoir un pro-                                                  un terrain de luttes sociales et le
        cessus de gentrification « contrô-
                                        †
                                                    L’opération Lavo, discutée ci-         quartier se distingue aussi par la
        lée » au moyen de la mixité sociale
            †
                                                  dessous, appartient à cette mou-         densité et la combativité de son
        pour viser implicitement à diluer         vance idéologique. Mais elle             réseau communautaire. Un des
        son caractère multiethnique.              révèle aussi le rôle clé des interve-    chefs de file de ce réseau est, en
                                                  nants sociocommunautaires qui            matière d’aménagement urbain,
           Mais au-delà des différences           depuis les années 1980 se sont           le Collectif d’aménagement urbain        19
        séparant les politiques anglaises et      professionnalisés et ont appri-          d’Hochelaga-Maisonneuve
        françaises, on voit bien que désor-       voisé le terrain de l’économie           (CAUHM), composé d’interve-
        mais la mixité sociale engage les         sociale au point de se réorganiser,      nants issus du secteur de logement
        acteurs locaux et repose forte-           à l’occasion, en véritables déve-        sans but lucratif et coopératif, de
        ment sur leur capacité de mobili-         loppeurs communautaires. Quel-           travailleurs communautaires asso-
        sation. À cet égard, on peut dire         ques mots cependant, auparavant,         ciés au Centre local de services
        que ces expériences convergent            pour décrire le quartier où se           communautaires (CLSC) ainsi
        avec la tradition multi-scalaire qui      déroulait cette opération.               que de représentants d’autres
        prévaut depuis longtemps au                                                        organismes locaux.
        Canada. Aujourd’hui, il n’existe          Hochelaga : un quartier en
        pas de politique urbaine pancana-         déclin… mais socialement                    Pour contrer le déclin du quar-
        dienne, pour des raisons constitu-        combatif !                               tier, les leaders du Collectif, après
        tionnelles certes, mais surtout du                                                 avoir inventorié les bâtiments bar-
        fait que, dans le sillage du virage           Hochelaga est un ancien quar-        ricadés, mettent sur pied un projet
        néolibéral radical pris par le gou-       tier ouvrier, faisant partie de l’ar-    local de revitalisation « qui visait à
                                                                                                                    †

        vernement fédéral depuis la fin           rondissement municipal Mercier-          briser le cercle infernal de la
        des années 1980, les politiques           Hochelaga-Maisonneuve, et forte-         dégradation du cadre bâti et de la
        d’habitation provinciales sont            ment affecté par le mouvement de         détérioration du milieu social »    †

        devenues très disparates. Plusieurs       désindustrialisation qui secoue          (CAUHM, 2002 : 5). Pour amorcer
                                                                                                            †

        métropoles partagent cependant            Montréal. Le déclin est accentué         la réhabilitation physique et con-
        encore des préoccupations en              dans les années 1970 par le dépla-       trer l’hémorragie démographique
        matière de déstigmatisation des           cement des activités du Port de          qui affecte le quartier, le Collectif
        quartiers défavorisés, et soutien-        Montréal vers l’est de l’île et par      fera beaucoup de lobbying auprès
        nent à l’occasion des opérations          la démolition de 1200 logements          des élus des différents paliers de
        de gentrification « contrôlée » ou
                                †             †
                                                  pour faire place à une autoroute         gouvernement durant la seconde
        diverses mesures pour attirer des         en bordure du fleuve. L’exode en         moitié des années 1990. Il fait
        représentants de la « classe créa-
                                    †
                                                  banlieue de ses catégories les plus      notamment appel au Programme
        tive » dans les quartiers centraux
                †                                 socialement mobiles le vide quasi        de revitalisation des quartiers cen-
        au nom des impératifs de compé-           littéralement : il perd 42 % de ses
                                                                †            †             traux que viennent de mettre sur
        titivité urbaine (Kipfer et Keil,         habitants entre 1961 et 1986 et          pied le Gouvernement du Québec
        2002 ; Rantisi et Leslie, 2006). En
                    †                             affiche, plus qu’ailleurs, des signes    et la Ville de Montréal, visant les
        même temps, on note la multipli-          d’abandon, en plus d’être sous           poches de pauvreté qui subsistent
        cation, dans les discours acadé-          l’emprise de diverses formes de          alors que Montréal semble sortir
        miques et dans les cercles de             déviance (drogue, prostitution,          de la crise de la désindustrialisa-
        formulation de politiques, de réfé-       etc.) (Bibeau et Perreault, 1995) et     tion (un programme modeste
        rences aux thèses sur les effets de       de défavorisation (pauvreté, décro-      cependant car les ressources
        quartier et à la rhétorique de l’in-      chage scolaire, etc.) (Montréal          publiques sont devenues rares).
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES, 63                Montréal à négocier avec le              ailleurs, les regroupements de
                                                             gouvernement provincial pour             commerçants sont aussi très actifs
            La mixité sociale programmée en milieu
            résidentiel à l’épreuve des discours critiques   inclure, dans le Programme de            et réclament des actions visant les
            internationaux : le cas de Hochelaga à           revitalisation des quartiers cen-        rues commerciales, dont la rue
            Montréal                                         traux, des mesures pour promou-          Ontario, elle aussi en déclin. Les
                                                             voir l’accès à la propriété au           ensembles résidentiels seront
                                                             moyen de constructions neuves            donc accompagnés d’aménage-
                                                             (Rose, 2009).                            ment d’espaces publics se voulant
                                                                                                      emblématiques : la récupération
                                                                                                                          †

                                                                En 2000, d’autres éléments
                                                                                                      de la bretelle de chemin de fer qui
                                                             s’ajoutent pour créer un contexte
                                                                                                      desservait jadis l’usine Lavo mais
                                                             favorable afin de lancer un impor-
                                                                                                      était abandonnée depuis 1997,
    20                                                       tant projet de développement
                                                                                                      permet la création d’une place
                                                             résidentiel à Hochelaga. Des
                                                                                                      publique, la place Simon-Valois,
                                                             acteurs municipaux et commu-
            Le Collectif développe une straté-                                                        avec quelques nouveaux com-
                                                             nautaires constatent un effondre-
            gie reposant à la fois sur une reva-                                                      merces donnant sur la rue Ontario
                                                             ment des taux d’inoccupation
            lorisation de l’image du quartier                                                         (cette place est une première dans
                                                             dans le marché du logement alors
            ancrée dans son histoire, sur une                                                         la morphologie de ce quartier
                                                             qu’ils étaient traditionnellement
            compréhension des besoins des                                                             ouvrier typiquement canadien-
                                                             fort élevés et qu’il était donc facile
            habitants en matière de logements                                                         français), et un sentier piétonnier
                                                             de se trouver un logement peu
            et de services, mais aussi et surtout                                                     reliant les nouveaux immeubles
                                                             cher. Un site potentiel est alors
            sur le « rééquilibrage » du quartier                                                      résidentiels (Goulet, 2009).
                         †                      †
                                                             ciblé pour réaliser un important
            en attirant des petits propriétaires             projet de revitalisation.                   Mais la réalisation de ce projet,
            capables d’entretenir les loge-                                                           dont une partie nécessite une
            ments, ainsi que des propriétaires-                 Le projet Lavo consiste à relo-
                                                                                                      modification au Plan d’urbanisme,
            occupants, pour retrouver une                    caliser en banlieue une usine de
                                                                                                      est conditionnée par une consulta-
            diversité sociale perdue (Bohémier               production d’eau de Javel pour
                                                                                                      tion publique. Afin de faciliter
            et Rouleau, 1998 ; Rouleau, 1997).               planifier un développement rési-
                                        †
                                                                                                      l’obtention d’un consensus, la Ville
            Dans tout quartier populaire                     dentiel composé d’une diversité
                                                                                                      donne au Collectif le mandat de
            montréalais, on trouve historique-               de modes d’occupation. On
                                                                                                      faire une large consultation auprès
            ment une petite classe moyenne,                  construira 204 logements bien
                                                                                                      des individus et des organismes du
            souvent de propriétaires-occu-                   intégrés dans la trame résiden-
                                                                                                      quartier avant de déposer le projet
            pants de duplex ou de triplex. En                tielle et commerciale : 71 loge-
                                                                                                      à l’Office de consultation publique
                                                                                      †

            d’autres termes, les quartiers                   ments coopératifs (la moitié des
                                                                                                      de Montréal. Si « les étoiles étaient
                                                                                                                              †

            populaires ont toujours connu une                ménages ont des faibles revenus),
                                                                                                      bien alignées », pour reprendre
                                                                                                                      †

            certaine (et certes relative) mixité             93 condominiums (dont 72 % dits
                                                                                                      l’expression de certains représen-
                                                                                           †

            sociale, jusqu’à ce que l’exode                  abordables), 40 logements à but
                                                                                                      tants d’organismes communau-
            urbain des années 1950-1970                      non lucratif. Ces derniers visent
                                                                                                      taires interviewés5, le projet ne
            vienne ébranler cette diversité :                une clientèle moins pauvre que
                                                         †

                                                                                                      faisait cependant pas consensus
            tous les jeunes ménages désirant                 celle des logements subventionnés
                                                                                                      (CAUHM, 2001, 2004).
            acquérir une propriété pour fon-                 de la coopérative4. D’autres déve-
            der une famille fuient en effet vers             loppements résidentiels suivront.        Mixité sociale, gentrification ou
            la banlieue, et Montréal com-                    Le projet suppose des investisse-        inclusion sociale ?
            mence à faire figure de parent                   ments publics importants pour
            pauvre face à la banlieue. Ce dia-               décontaminer le site, investisse-           Si, pour le Collectif, il faut « ren-
                                                                                                                                            †

            gnostic, qui avait fortement                     ments qui seront consentis en            verser le vaste mouvement de
            imprégné les politiques d’habita-                2002 par le gouvernement provin-         désinvestissement dans le quar-
            tion municipales depuis la fin des               cial grâce au lobby exercé par les       tier » et d’exode des classes
                                                                                                          †

            années 1970, amène la Ville de                   élus et députés locaux. Par              moyennes et, pour ce faire, « réta-
                                                                                                                                        †
LSP 63-17   25/06/10   14:05   Page 21

        blir une mixité sociale » et même
                                †              urbaine anglo-américaine quant            La Stratégie d’inclusion de
        favoriser une certaine gentrifica-     aux mérites de la propriété d’oc-      logements abordables dans les
        tion, cette position ne fait pas       cupation, pour l’entretien de l’ha-    nouveaux développements rési-
        l’unanimité. Des graffitis évo-        bitat, le sentiment d’appartenance     dentiels, élaborée par la Ville de
        quant le spectre de la gentrifica-     au quartier et la propension des       Montréal en 2004-2005 en tenant
        tion feront d’ailleurs rapidement      propriétaires à participer aux ins-    compte d’expériences étrangères
        leur apparition aux alentours          tances locales de consultation         et en s’appuyant entre autres sur
        immédiats du site. Mais il n’y a pas   pour revendiquer une meilleure         l’expérience Lavo en cours à ce
        non plus de consensus au sein du       qualité de services. Toutefois, le     moment-là (Montréal [Ville],
        mouvement communautaire. Plu-          Collectif ajoute que certains des      2005), est à cet égard exemplaire :
                                                                                                                        †

        sieurs groupes, dont les principaux                                           elle vise à inclure, au moyen d’un
                                               membres des coopératives d’habi-
        comités de logement établis dans                                              processus flexible de négociation
                                               tation contribuent d’une manière
        le quartier, réclament d’emblée                                               largement portée par les acteurs      21
                                               semblable à l’amélioration de la
        100 % de logements sociaux pour                                               municipaux locaux et par les pro-
                †

                                               qualité de vie du quartier
        les populations locales de ce sec-                                            moteurs communautaires, un
                                               (CAUHM, 2002). Lors des entre-         minimum de 15 % de logement
        teur défavorisé, car selon eux les                                                             †

                                               vues rétrospectives que nous           social et 15 % de logement abor-
        ménages modestes ont de plus en                                                          †

                                               avons menées avec quelques-uns         dable dans les développements
        plus de difficulté à se loger sur le
                                               des principaux protagonistes,          résidentiels de plus de 200 loge-
        marché privé. Ce point de vue
                                               ceux-ci soulignent que leur vision     ments dans les grands sites publics
        n’est pas partagé par tous les
                                               du développement du quartier,          ou à caractère public. L’objectif
        intervenants qui travaillent avec
        les personnes démunies du quar-        dont le secteur Lavo, comprenait à     est plus facile à atteindre lorsque
        tier. Certains, dont les membres       la fois l’accueil de propriétaires-    la municipalité possède déjà des
        du Collectif ainsi que les acteurs     occupants et l’ajout de suffisam-      terrains, qu’elle peut alors céder
        municipaux et les commerçants,         ment de nouveaux logements             à des promoteurs communau-
        argumentent pendant la consulta-       sociaux et communautaires pour         taires à des prix inférieurs au
        tion locale ou les audiences           répondre aux besoins locaux.           marché. Dans le cas contraire, sa
        publiques subséquentes que les                                                réalisation dépend de sa capacité
                                                  La question de la part que          de négociation (notamment à
        nouveaux terrains résidentiels         prendra le logement social au sein
        devraient servir au moins en par-                                             la faveur de changements de
                                               du projet Lavo est donc d’emblée       zonage) et de celle de ses parte-
        tie à diversifier la population par
                                               au cœur des préoccupations et          naires communautaires qui, au fil
        l’ajout de logements en propriété
                                               devient un enjeu central. Or, pour     des années, ont appris à travailler
        d’occupation. Le Collectif signale
                                               les pouvoirs publics locaux, il        avec le secteur privé mais n’ont
        que, si on le compare à la
                                               n’est plus question que l’État         pas pour autant abandonné leur
        moyenne montréalaise, le quartier
                                               assume seul les coûts du logement      pouvoir de pression. La Stratégie
        Hochelaga-Maisonneuve possède
                                               social ; il faut donc trouver de       vise à la fois les quartiers défa-
        déjà une plus forte proportion de            †

                                               nouvelles modalités reposant sur       vorisés (plus de logements en
        HLM et d’autres types de loge-
                                               des partenariats avec des acteurs      propriété d’occupation) et les
        ments sociaux (en fait, 13,6 %   †

                                               privés ou communautaires pour          quartiers mieux nantis (plus de
        selon les estimations de la Ville
                                               produire du logement abordable,        logements abordables). La notion
        citées dans le document de
                                               et par ailleurs augmenter l’offre      d’inclusion très prisée dans les
        consultation du Collectif), alors
                                               de logement en accès à la pro-         réseaux de politique publique
        que la propriété d’occupation y
                                               priété pour pouvoir concurrencer       (Toye et Infanti, 2004) témoigne
        est fortement sous-représentée
                                                                                      de la marge étroite laissée aux
        (14 % à Hochelaga-Maisonneuve          la banlieue. Bref, il faut un peu de
                                                                                      acteurs publics.
            †

        et seulement 10 % dans le secteur
                         †
                                               tout, et la mixité sociale qui en
        Hochelaga). Le Collectif invoque       résulte est le fruit d’un compro-         Au cours de nos entrevues, les
        les arguments traditionnels large-     mis immobilier assez typique d’un      fonctionnaires séniors associés à
        ment répandus dans la sociologie       contexte néolibéral.                   l’élaboration des politiques d’ha-
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES, 63                 nants communautaires (dont les         gentrification fait partie de l’anti-
                                                              anciens membres du Collectif et        dote à la « ghettoïsation » qui est
                                                                                                                       †                           †

            La mixité sociale programmée en milieu
            résidentiel à l’épreuve des discours critiques    les promoteurs communautaires)         évoquée par plusieurs de nos
            internationaux : le cas de Hochelaga à            et municipaux sont d’avis que          interviewés comme le mal princi-
            Montréal                                          « Tous les ménages [du quartier]       pal qu’il a fallu combattre pour
                                                               †

                                                              doivent pouvoir trouver leur           changer l’image et la trajectoire
                                                              compte en matière de logement ». †     du quartier. Certains évoquent de
                                                              On souligne aussi le fait que les      façon explicite la présumée
                                                              ménages en mobilité sociale            influence bénéfique des classes
                                                              ascendante doivent pouvoir se          moyennes comme modèles de
                                                              loger dans le quartier, ce qui         rôle pour les « pauvres », dans le
                                                                                                                                   †           †

                                                              contribuerait à l’objectif partagé     contexte scolaire entre autres,
    22                                                        par tous de retrouver un équilibre     alors que pour d’autres la pré-
                                                              qui avait été perdu. D’une cer-        sence accrue des nouvelles
                                                              taine façon, viser la mixité, c’est    couches moyennes avec leurs
            bitation et de revitalisation
                                                              d’abord s’assurer qu’on n’exclut       habitudes de consommation diffé-
            urbaines aux paliers provincial et
                                                              personne, ou, si l’on veut, c’est le   rentes est globalement un atout,
            municipal nous ont signalé à quel
                                                              droit à la ville6. Le risque de gen-   non seulement pour casser
            point la position prise par le
                                                              trification lié à l’arrivée de nou-    l’image négative du quartier, mais
            Collectif, soit de souhaiter la
                                                              velles populations plus aisées         aussi pour ouvrir les horizons des
            bienvenue à une mixité sociale
                                                              d’autres quartiers est souvent         résidants traditionnels. À cet
            même si celle-ci doit être portée
                                                              évoqué par nos interlocuteurs.         égard, un discours particulière-
            en partie par des populations en
                                                              Dès la conception du projet Lavo,      ment optimiste est tenu par l’un
            provenance d’autres quartiers,
                                                              on ne s’attendait pas à ce que tous    des élus interviewés qui pense que
            était inhabituelle pour un groupe
                                                              les acheteurs des condominiums         la diversification de l’offre com-
            militant dans un quartier défavo-
                                                              soient des locataires du quartier7.    merçante pourrait même avoir un
            risé. Or cette position a permis de
                                                              Mais la gentrification est presque     effet « mobilisateur » et d’ouver-
                                                                                                               †                       †

            valider et de légitimer l’incorpo-
                                                              toujours présentée comme un            ture à la sociabilité publique pour
            ration des objectifs de mixité de
                                                              risque sous contrôle (on rappelle      une population qui jusqu’ici, ne
            revenus et de modes d’occupa-
                                                              que les nouveaux condominiums          pouvait s’imaginer « aller prendre
            tion dans les objectifs des poli-
                                                                                                                                           †

                                                              ne sont pas luxueux, et on pense       un petit café sur une terrasse »9.
            tiques de revitalisation.
                                                                                                                                                           †

                                                              que la vaste majorité du parc rési-    Toutefois, quelques-uns soulèvent
               Depuis la réalisation du projet                dentiel demeurera locatif). On se      le défi de conserver la mixité
            Lavo, dans quels termes les uns et                targue même de réussir là où le        socioéconomique dans le long
            les autres évoquent-ils la mixité                                                        terme : « il va falloir se donner les
                                                              quartier gentrifié emblématique
                                                                                                           †       †

            sociale ? Trois thématiques ressor-                                                      moyens pour que la population
                       †

                                                              qu’est le Plateau (omniprésent
            tent de nos entretiens.                                                                  demeure équilibrée et qu’on ne
                                                              dans les discours) a échoué en se
                                                                                                     transforme pas ce quartier, de
              La première, présente depuis le                 transformant en quartier homo-
                                                                                                     ghetto de pauvres qu’il était (…)
            début, concerne le dosage des                     gène devenu inaccessible aux
                                                                                                     en ghetto de nouveaux riches ».                   †

            modes d’occupation, puisqu’à                      ménages modestes. L’idée qu’une
            Montréal, comme ailleurs au                       gentrification « contrôlée » puisse
                                                                                    †   †
                                                                                                        La deuxième thématique con-
            Canada on l’a dit, il y a une forte               être bénéfique pour un quartier        cerne la vitalité sociale et écono-
            corrélation entre statut socioéco-                pauvre et stigmatisé est assez         mique du quartier. La mixité
            nomique et mode d’occupation ; la             †   répandue chez nos interlocuteurs       sociale, « c’est plus qu’une question
                                                                                                                   †

            mixité des modes de « tenure » est  †     †       (à l’exception des comités de loge-    de logement » : les commerçants
                                                                                                                           †   †

            donc le principal outil dont dispo-               ment) : « on disait à la blague que
                                                                    †       †                        locaux soulignent tous la vitalité
            sent les acteurs municipaux pour                  nous aussi on voulait de la gentri-    économique et la diversification
            modifier la composition sociale                   fication ! »8. La mixité sociale
                                                                        †       †                    des profils de consommateurs, soit
            d’un quartier. Tous les interve-                  induite par une petite dose de         qu’ils aient dès le début fortement
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        appuyé le projet de revitalisation,     les résidants de la coopérative        la relocalisation des résidents de
        soit qu’il s’agisse de nouveaux         d’habitation et ceux des nouveaux      HLM ou par l’attraction de
        commerces venus élargir la              logements privés, du fait non seu-     ménages de couches moyennes,
        gamme de l’offre commerciale            lement de l’aspect « yuppie » de
                                                                       †      †        est présentée comme une réponse
        pour profiter des nouvelles clien-      ces derniers mais aussi de l’ab-       à un problème défini plus en
        tèles. Toutefois, pour certains des     sence d’enfants dans le bloc de        termes de concentration spatiale
        commerçants, le maintien de rési-       condominiums. À ce chapitre, l’ar-     de la pauvreté que de pauvreté en
        dants de statut très modeste dans       rivée de populations issues de l’im-   tant que telle. Mais au Québec ce
        le secteur est également important      migration récente, non seulement       retour de la mixité prend le visage
        pour la stabilité de leur chiffre       dans l’ancien parc HLM mais aussi      du bricolage.
        d’affaires car il s’agit d’une clien-   dans les nouvelles constructions
        tèle fiable qui n’achète pas beau-      de logements sociaux et abor-             En fin de compte, comme c’est
                                                                                       souvent le cas à Montréal, le pro-
        coup, mais achète souvent. La           dables du projet Lavo, dans un                                                23
        nouvelle image de marque du             quartier qui traditionnellement en     jet Lavo, qui n’était pas prévu
        quartier, maintenant appelé fami-       comptait peu, est un défi en           dans le plan d’urbanisme de
        lièrement HoMa (pour Hochelaga-         quelque sorte inattendu.               Montréal, est moins le résultat
        Maisonneuve sur le modèle de                                                   d’une politique urbaine bien arrê-
                                                  Au total, la grande majorité de      tée qu’une expérience qui servira
        SoHo), est plutôt bien accueillie : †

                                                nos interlocuteurs accueillent         de projet pilote pour l’élaboration
        selon un élu, même si le libellé ne
                                                favorablement les changements          d’une nouvelle politique urbaine,
        fait pas l’unanimité, « on entend
                                 †

                                                induits par le projet Lavo mais ce,    en l’occurrence la Stratégie mont-
        une nouvelle réalité dans le quar-
                                                tout en sachant que le chemin qui      réalaise d’inclusion de logements
        tier, mais qui s’est imbriquée avec
                                                sépare une diversité sociale           abordables dans les nouveaux
        les gens de la place ».
                            †

                                                retrouvée et une gentrification        projets résidentiels. Cette straté-
           La troisième thématique donne        majeure du quartier est une voie       gie incarne parfaitement le type
        lieu à des commentaires plus rares      bien étroite.                          de gouvernance locale « multi-     †

        (sans doute en partie parce que le                                             acteurs » qui prévaut aujourd’hui
                                                                                              †

        projet Lavo n’était achevé que          Conclusion                             en matière de politique d’habita-
        quelques mois avant la réalisation                                             tion. En somme, une forme de
                                                   Même si, dans le cas particulier
        de nos entrevues) mais aussi plus                                              mixité socio-politique mise au ser-
                                                que nous avons étudié, le projet
        mitigés, et correspond d’ailleurs à                                            vice de la mixité sociale ! En ce
                                                final comprend une majorité de
                                                                                                                  †

        une vision de la mixité qui n’a                                                sens, l’histoire du projet Lavo
                                                logements sociaux et abordables,
        jamais, au Québec comme au                                                     illustre le pragmatisme local qui
                                                le discours et le processus ayant
        Canada, fait l’objet d’un discours                                             consiste à incorporer dans la
                                                mené à ce résultat sont assez dif-
        fort, à savoir la cohabitation des                                             fabrication de politiques d’habitat
                                                férents de ceux qui ont conduit à
        différences au service d’une                                                   une attitude de réflexivité face
                                                la réalisation des grands projets
        meilleure cohésion sociale. De                                                 aux expériences de terrain et aux
                                                canadiens des années 1970-1980.
        fait, et à l’instar des expériences                                            débats locaux, et qui suppose
                                                Ces projets étaient aussi issus de
        canadiennes et montréalaises                                                   avant tout une connexion étroite
                                                compromis immobiliers, mais la
        antérieures, la Ville de Montréal                                              et constante entre les différents
                                                position des acteurs communau-
        et le promoteur, dans leur marke-                                              niveaux de l’action sociale et poli-
                                                taires tranchait clairement en
        ting des condominiums, ne les                                                  tique, dont au premier chef l’ac-
                                                faveur du logement social, con-
        associent pas à un projet résiden-                                             tion communautaire. Mais si à
                                                trairement à ce que nous avons vu
        tiel plus vaste intégrant aussi du      dans le projet Lavo, et s’appuyait     Montréal la mixité sociale n’est
        logement social. Au mieux, la           aussi sur un ensemble de mesures       donc pas une idéologie à propre-
        mixité apparaît comme un défi de        plus généreuses propre à un État-      ment parler, elle reste néanmoins
        cohabitation plutôt que comme           providence.                            logée aujourd’hui à l’enseigne
        une opportunité. L’un des inter-                                               d’un certain néo-libéralisme du
        viewés souligne la très forte dis-         Dans une période néolibérale,       fait des investissements sociaux
        tance sociale qu’il perçoit entre       la mixité sociale, qu’elle passe par   limités de l’État et d’une « respon-
                                                                                                                      †
LSP 63-17       25/06/10            14:05   Page 24

            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES, 63                    venant, ont été utilisées dans les trois       mixité sociale dans les quartiers aisés
                                                                 villes ; les entretiens étaient enregis-
                                                                      †                                         de l’île de Montréal.
            La mixité sociale programmée en milieu               trés et traduits, et ont fait l’objet de
            résidentiel à l’épreuve des discours critiques       la même grille d’analyse. Pour le ter-
                                                                                                            7
                                                                                                                Dans les faits, selon les données de la
            internationaux : le cas de Hochelaga à                                                              Ville, 70 % des nouveaux propriétai-
                                                                 rain montréalais, nous avons effectué                          †

            Montréal                                                                                            res semblent provenir de l’extérieur
                                                                 des entrevues avec 26 informateurs-
                                                                 clés, dont 2 élus, 9 fonctionnaires,           de l’arrondissement.
                                                                 6 commerçants, 8 représentants d’or-       8
                                                                                                                Un article récent dans le journal dis-
                                                                 ganismes communautaires incluant
                                                                                                                tribué dans le métro (Delfour, 2010)
                                                                 ceux engagés dans le projet Lavo,
                                                                                                                titrait « Parlons gentrification au
                                                                                                                                    †

                                                                 ainsi que l’un des promoteurs privés
                                                                                                                Valois » à propos d’un nouveau res-
                                                                 impliqués dans ce projet. Pour un sur-
                                                                                                                            †

                                                                                                                taurant installé sur la place Valois. Le
                                                                 vol du projet, voir Rose et al. (2008).
                                                                                                                sous-titre « Valois pas Lavalois » (Laval
                                                                                                                                        †                           †

                                                             2
                                                                 Ce promoteur est une filiale du                étant une des principales banlieues
    24
                                                                 Canadien Pacifique, compagnie de               de Montréal) ajoutait à cette attitude
                                                                 chemin de fer qui, pendant la                  caustique vis-à-vis de la gentrifica-
            sabilisation » accrue du secteur
                                †
                                                                 Seconde Guerre mondiale, employa               tion une allusion à l’éternelle concur-
                                                                 jusqu’à 12 000 travailleurs dans les           rence entre Montréal et la banlieue
            communautaire pour l’inclusion
                                                                 Ateliers Angus pour l’entretien du             dont on souligne le peu d’urbanité.
            sociale.                                             matériel roulant.
                                                                                                            9
                                                                                                                Signalons à ce titre qu’il existe des
                                Annick GERMAIN               3
                                                                 Un quartier central de Bristol jugé            recherches montrant, au contraire,
                                      Professeure                très défavorisé mais attirant l’intérêt        que la présence de commerces
                Institut national de la recherche                de jeunes ménages des classes                  typiques de la gentrification risque
                            scientifique – Centre                moyennes pour qui les autres quar-             d’exacerber le sentiment d’exclusion
                   Urbanisation Culture Société                  tiers sont devenus trop chers (Bridge,         de la part des résidants de longue
                                                                 2006).                                         date (Lehman-Frisch et Capron,
                                   Damaris ROSE              4
                                                                 Ceux-ci sont financés dans le cadre
                                                                                                                2007).
                                      Professeure                d’un nouveau programme du gouver-
                Institut national de la recherche                nement fédéral, qui s’était depuis
                            scientifique – Centre                longtemps retiré du financement de
                   Urbanisation Culture Société                  nouveaux logements sociaux, mais
                                                                 qui accepte à partir de 2002 de réin-      Références bibliographiques
                                                                 vestir modestement, en partenariat
                                                                 avec les provinces et des acteurs          ASCHER, François. 2008. Les nouveaux
                                                                 locaux, dans le logement dit abor-           compromis urbains. Paris, Éditions
                                                                 dable. Le logement abordable est             de l’Aube.
            Notes                                                destiné aux ménages à revenu
                                                                 modeste : il est soutenu par une cer-      BACQUÉ, Marie-Hélène et Yankel
            1
                 Damaris Rose, Marie-Hélène Bacqué,              taine aide à la pierre mais son loyer        FIJALKOW. 2006. « En attendant la         †

                 Gary Bridge, Yankel Fijalkow,                   n’est pas fixé en fonction du revenu.        gentrification : discours et politiques
                                                                                                                                            †

                 Annick Germain et Tom Slater :                                                               à la Goutte d’Or (1982-2000) », Socié-
                                                                 Sa définition fait encore aujourd’hui                                                              †

                 Mixité sociale et revitalisation des                                                         tés contemporaines, 63 : 63-83.
                                                                 l’objet de vifs débats sur ce que l’on                                                     †

                 quartiers : ancrer les perspectives
                                                                 retient comme espace géographique
                 publiques internationales dans les réa-                                                    BÉHAR, Daniel, Jacques DONZELOT,
                                                                 de référence pour le calcul du revenu
                 lités locales. Vers une comparaison                                                          François DUBET, Philippe GENES-
                                                                 médian sur lequel se base la détermi-
                 transatlantique. Projet financé par le                                                       TIER, Marie-Christine JAILLÉ,
                                                                 nation de ce qui équivaut à un loyer
                 Fonds d’initiatives internationales du                                                       Christine LELÉVRIER et Marco
                                                                 abordable.
                 Conseil de recherche en sciences                                                             OBERTI. 2004. « Table ronde : La      †                   †

                 humaines du Canada, 2006-2008. Ce           5
                                                                 Sauf indication contraire, toutes les        mixité urbaine est-elle une politi-
                 projet comparait les discours des               citations qui suivent sont tirées des        que ? », Esprit, 303 : 121-142.
                                                                                                                    †   †                       †

                 acteurs impliqués dans trois opéra-             transcriptions des entrevues menées
                 tions de revitalisation à Montréal,             en 2007 dans le contexte de notre          BIBEAU, Jacques et Marc PERREAULT.
                 Paris et Londres à l’aide d’entrevues           recherche.                                   1995. Dérives montréalaises : à travers           †

                 semi-dirigées durant en moyenne                                                              des itinéraires de toxicomanies dans
                 une heure. Les mêmes grilles d’entre-       6
                                                                 Notons que certains intervenants             le quartier Hochelaga-Maisonneuve.
                 vues, adaptées à chaque type d’inter-           communautaires réclament aussi la            Montréal, Boréal.
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